1Il y a une douzaine d’années, à l’approche du bicentenaire de la Révolution, dans les premiers temps de notre retraite d’enseignants, intéressés par l’histoire locale, incités à la fois par la présence, dans notre village de Neffiès, d’une fontaine surmontée d’une Marianne et par l’étude des ouvrages de Maurice Agulhon, nous avons entrepris le recensement et l’étude de ces statues dans l’Hérault, ce qui nous a fait découvrir quelques monuments atypiques, encore moins connus, si c’est possible, que les effigies classiques de la République en femme. Mais on peut penser que c’est la même ferveur républicaine, majoritaire dans le département, qui explique à la fois l’abondance des représentations de Marianne « normales » et celle d’initiatives non moins ferventes mais plus singulières.

2Mais auparavant pour mieux les situer, rappelons l’importance dans ce département de la représentation des effigies républicaines en place publique. L’Hérault est, avec l’Aude, le département comportant, en place publique, le plus de représentations de la République1 :

3 De 1878, première implantation d’une Marianne, due au sculpteur Taillefer à Marseillan, à 1992, bicentenaire de la Révolution, soit durant plus d’un siècle, 63 monuments (statues en pied ou bustes) ont été installés dans 52 des communes du département.

4Au fil du temps certaines ont disparu (dont cinq fondues durant l’occupation, victimes de la loi vichyste du 2 octobre 1941 sur la récupération des métaux non ferreux), parfois définitivement, parfois remplacées, ou refaites à l’identique (Lunel 1989-Agde 1995).

5Tant et si bien que la situation actuelle, en 2003 est la suivante : 51 localités possèdent 52 monuments (34 statues en pied et 18 bustes).

6Ces implantations de forte densité (une commune sur sept) ne sont pas également réparties. Elles se situent, pour l’essentiel, sur la ligne nord-sud de la vallée de l’Hérault et, de l’est à l’ouest sur la ligne des étangs et du canal du Midi.

7Hors de cette statistique qui ne concerne que les Mariannes pourrait-on dire « officielles », reconnues évidemment comme telles, il existe quelques effigies moins connues, voire ignorées.

8Deux sont encore classiques par leur distinction, et donc bien documentées, mais méritent d’être évoqués :

• à Béziers, le monument à Casimir Péret (figures 3 et 4) ;
• à Olargues, le monument à Alexandre Laissac. Cinq autres sont plus discrètes et plus pittoresques peut-être :
• la fontaine de Montagnac ;
• la Marianne de la maison Espitalier à Nébian (figures 5 et 6) ;
• la fresque républicaine à Tarrassac ;
• la statue de la Liberté à Lugné ;
• la girouette à la Marianne à Nizas.

Le monument à Casimir Péret à Béziers

9Béziers, qui n’a pas de véritable Marianne, possède un monument à la mémoire de Casimir Péret, maire de la ville condamné à la transportation en Guyane pour son opposition au coup d’État de 1851 et mort noyé lors d’une tentative d’évasion.

10Ce monument a été élevé en 1906 sur la place de la Révolution, proche de la cathédrale Saint-Nazaire. L’idée en revient à un jeune professeur de collège, alors conseiller municipal, qui n’était autre que le père du futur Jean Moulin.

11À l’origine, il était situé sur un terre-plein, au milieu de la place, et composé d’une colonne surmontée d’un buste de la République dû à Injalbert, dont le piédestal porte en médaillon le portrait de Casimir Péret, et sur lequel s’appuie une touchante allégorie féminine symbolisant la Résistance, le tout entouré de bornes de pierre et précédé d’une mosaïque représentant la palme du Sacrifice ou de la Victoire.

12Cette Résistance a disparu sous l’Occupation et, en 1978, sans doute pour faciliter la circulation, le monument, réduit à sa seule colonne, a été déplacé contre le mur du palais de justice voisin, jouxtant la cathédrale2.

Le monument à Alexandre Laissac à Olargues (1834-1913)

13Olargues ne possède pas de Marianne, mais sur la grand-place de l’Esplanade, près de la Mairie, se dresse un imposant monument dû au statuaire Magrou, inauguré le 24 mai 1920, consacré à la mémoire d’Alexandre Laissac, qui fut président du conseil général, maire de Montpellier et enfant du pays.

14La majestueuse effigie féminine adossée contre la colonne qui porte le buste de Laissac et qui s’appuie sur un faisceau de licteur évoque avec évidence la République dont l’homme politique a été le serviteur. Majesté de l’œuvre, majesté du lieu aussi.

15Ce monument, vu son emplacement au cœur du village, joue un rôle civique plus affirmé que le simple monument du souvenir qu’il serait resté situé au cimetière du village.

16Mais la statue du grand homme appartient, on l’a dit, à un genre connu. Plus rares sont les cinq, auxquels nous arrivons.

La fontaine à la République à Montagnac

17Contrairement à Pézenas, sa voisine et rivale de toujours, Montagnac n’a pas de Marianne mais possède cependant un témoignage discret et ancien de l’esprit républicain.

18Il s’agit d’un ajout, faisceau de licteur coiffé d’un bonnet phrygien, placé au moment de la Révolution au-dessus d’une fontaine datant du XVII^e siècle (entre 1659 et 1668).

19Cette fontaine, appelée alors Fontaine des deux griffons, se trouve dans un pan coupé, à l’angle de deux rues, « face à la maison Gilibert ». Elle fut érigée par les consuls, avec un ensemble de canalisations devant alimenter aussi les deux autres fontaines de la ville.

20Elle a été modifiée plusieurs fois. Peut-être le symbole républicain actuel remplace-t-il un décor royal de l’époque3 ?

La Marianne de la maison Espitalier à Nebian

21Outre sa Marianne « officielle » placée sur la fontaine de la place de la Liberté, ce village, voisin de Clermont-l’Hérault possède un buste de la République placé, comme en sentinelle, dans une niche d’une maison particulière sise place Eugène Delacroix.

22Cette maison, acquise par la famille Espitalier au siècle dernier, a servi autrefois de mairie et d’école.

23Chacune des deux niches grillagées de la façade a abrité un buste de Marianne. L’un a été brisé, reste actuellement celui de gauche.

24Il s’agit d’un buste en plâtre, peint, avec bonnet phrygien, d’une quarantaine de centimètres de haut, sans nom d’auteur. Sur le piédouche, presque effacé, figure le mot « République ».

La fresque à la Marianne à Tarassac

25Tarassac est un petit hameau écarté de la commune de Mons-la-Trivale, à flanc de colline au-dessus de la vallée de l’Orb, qui ne comporte qu’une seule rue et quelques maisons.

26Sur le crépi délité de l’une de ces maisons figure une fresque assez délavée représentant une tête de Marianne, presque effacée, au centre d’un cartouche rectangulaire, encadré par deux drapeaux tricolores aux hampes croisées, et dont les bandes sont horizontales et non verticales.

27Au-dessous, une inscription barbouillée de chaux blanche, dont seules quelques lettres restent visibles, dont la propriétaire de la maison, Mme Baccou, nous a livré la teneur « provocatrice » : « Salut à toi Marianne qui as su nous délivrer du joug du cléricalisme », inscription dont certains voisins se vengeaient en la badigeonnant régulièrement de blanc !

28Déjà âgée, Mme Baccou a toujours connu cette inscription, sans en savoir l’origine. Cette maison n’a jamais servi d’édifice public. S’agit-il d’une profession de foi privée, lors de la séparation de l’Église et de l’État ?

La Liberté de Lugné à Cessenon

29À Lugné, petit hameau de Cessenon-sur-Orb, sur une placette ombragée de micocouliers centenaires, s’élève une reproduction en résine teintée bronze de la Liberté de Bartholdi, haute d’environ deux mètres, sur un socle en pierre de 70 centimètres de haut, qui provient de la pile d’un pont sur l’Orb emporté par la crue de 1931 Sur le socle, les inscriptions suivantes : « 15 novembre 1889 Thiebaut frères fondeurs A. Bartholdi ».

30Cette Liberté a été réalisée en 1987 pour orner la proue d’un paquebot de luxe Le Maxim’s des mers, en vue d’une croisière pour des personnalités devant participer à New York aux cérémonies du centenaire de ce monument après sa réfection en 1989. Le commandant du paquebot, Albert Abelanet, originaire de Lugné, où il s’est retiré, a pu récupérer la statue qui avait été déposée, faute d’avoir trouvé acquéreur, dans un hangar de la Côte d’Azur.

31Le maire de Cessenon aurait souhaité qu’elle décorât la ville ou qu’elle figurât sur une hauteur pour être vue de loin, mais le propriétaire, plus modeste, a estimé que sa place était à Lugné4.

La Marianne-Girouette à Nizas

32Outre sa Marianne sur fontaine, Nizas possède une figurine en tôle peinte, d’environ 1,30 mètre de hauteur, aujourd’hui déposée dans l’actuelle mairie, mais qui était installée à usage de girouette sur le toit de l’ancienne mairie, déménagée dans les années 1920.

33Cette effigie possède indiscutablement les attributs d’une Marianne : bonnet phrygien, drapeau tricolore, présence d’un lion dompté, certes, mais puissant et vigilant.

34Rien n’a été trouvé, quant à son origine, aux archives municipale.

35Cette girouette a figuré à l’exposition de Mariannes locales organisée à Pezenas en septembre 1999 à l’occasion des journées du Patrimoine.

36Par-delà leur caractère anecdotique, et en dépit du peu de traces qu’elles ont laissées le plus souvent de leur passé, ces Mariannes, parfois naïves, mais touchantes, ne témoignent-elles pas, autant que leurs homologues « officielles » d’un réel attachement populaire à l’idéal républicain ? Et de l’intérêt d’une histoire locale à la fois civique, patrimonial et ethnologique ?