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La République en représentations

 | 
Maurice Agulhon
, 
Annette Becker
, 
Évelyne Cohen

La représentation en politique

Symbolique et politique : nature et fonction des symboles partisans

Serge Berstein

Texte intégral

1Il est totalement légitime que les historiens du politique rendent hommage à Maurice Agulhon. Il est en effet l’un de ceux qui ont sorti le politique des ornières du tout-politicien pour le réintroduire dans la chair des sociétés humaines, en mettant en évidence le poids de phénomènes para- ou métapolitiques qui rendent compte des comportements, par référence aux sociabilités, aux représentations, au vécu et aux aspirations des hommes en société. De ces travaux pionniers, la série des « Mariannes » illustre une des dimensions les plus caractéristiques par le recours à une sémiologie de l’image personnifiée de la République à travers ses diverses contextualisations au cours de l’histoire. Or la piste ainsi ouverte s’avère féconde et conduit à s’interroger sur la nature et la fonction d’autres représentations symboliques, par exemple celles utilisées par les forces politiques.

Nature des symboles partisans

  • 1 A. Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, Paris, PUF, 2001, p. 569.

2Si l’on se réfère à la définition qu’en donne le sens commun, le processus de symbolisation repose sur l’établissement de rapports de similitude emblématique entre deux objets, l’analogie jouant le rôle d’une représentation admise par les membres d’une communauté qui, à travers elle, se reconnaissent comme tels. Le philosophe André Comte-Sponville considère le symbole comme « un signe non arbitraire et non exclusivement conventionnel, dans lequel le signifiant (par exemple l’image d’une colombe ou l’image d’une balance) et le signifié (par exemple l’idée de paix ou l’idée de justice) sont unis par un rapport de ressemblance ou d’analogie » et il met en relief l’intérêt de cette constatation, notant que « les symboles sont souvent suggestifs : parce qu’ils unissent le sensible et l’intelligible, l’imaginaire et la pensée1 ». On voit bien ce que cette approche du symbole peut apporter à l’intelligence des phénomènes politiques.

3Pour autant, et en s’en tenant au simple cas de la France, l’apparition des symboles partisans au sein des partis politiques n’apparaît d’usage courant qu’après la Première Guerre mondiale. Existent-ils auparavant ?

4D’une certaine manière on pourrait donner une réponse positive à cette question si on se réfère à la présence des « Mariannes » qui constituent le symbole représentatif de ce que l’on appelle au xixe siècle le « parti républicain », mais qui n’est en réalité qu’une tendance de l’opinion rassemblant tous ceux qui se reconnaissent dans la volonté d’instaurer, en France, le régime républicain, à l’époque où celui-ci est au combat contre le « parti royaliste », le « parti bonapartiste » ou le « parti clérical ».

5Mais ce n’est véritablement qu’avec la création des partis politiques comme organisations structurées au début du xxe siècle que l’on pourrait valablement chercher la présence de symboles dans la mesure où le « parti républicain » inorganisé se subdivise désormais en multiples formations séparées par leur vision du monde et la volonté de la manifester ostensiblement. Or il ne semble guère que, jusqu’à la Première Guerre mondiale, ces partis, il est vrai d’organisation récente, aient éprouvé le besoin de se doter de symboles.

6En revanche, à partir de l’entre-deux-guerres, ceux-ci apparaissent de plus en plus nettement sur les affiches, dans les réunions publiques, sur les premières pages des journaux des partis concernés et ce, d’autant plus que ceux-ci sont des formations militantes à forte charge idéologique. Très tôt le Parti communiste utilise le symbole de la faucille paysanne et du marteau ouvrier pour marquer son ancrage populaire et sa volonté d’émancipation des travailleurs des villes et des champs Le parti socialiste SFIO s’identifiera longtemps aux trois flèches importées d’Allemagne dont la signification semble assez rapidement obscure, si bien que, dans les années 1970, elles seront remplacées par le poing et la rose, symbolisant l’avenir radieux promis par la lutte du peuple. La succession des partis gaullistes à partir de la création du RPF en 1947 adopte comme symbole, avec une belle continuité, la croix de Lorraine. Celle-ci renvoie d’abord à Jeanne d’Arc et à son action pour bouter les Anglais hors de France, ce qui en fait un symbole patriotique, non dénué d’une connotation nationaliste, si on se réfère à la tradition barrésienne. Mais cet héritage ancien est oblitéré par la geste de la France libre qui renforce certes la dimension patriotique, mais estompe en revanche le trait nationaliste du symbole. Dès avant la Seconde Guerre mondiale, les radicaux se rassembleront autour du bonnet phrygien, emblématique de la révolution de 1789, mais ce symbole est polysémique de tous ceux qui prétendent inscrire leur action dans le cadre républicain et la continuité des grands principes. Aussi sera-t-il utilisé par le Front républicain aux élections du 2 janvier 1956 et, concurremment avec le drapeau tricolore, comme fond de la croix de Lorraine, par le RPR de Jacques Chirac après 1976.

7Ces exemples sont ainsi révélateurs du sens revêtu par les symboles partisans : il s’agit de résumer en un raccourci saisissant la culture politique du parti considéré. Comme tel, il est aisé d’engranger dans la mémoire et d’intérioriser en images d’Épinal des données complexes, exigeant de longs développements et des analyses circonstanciées, qui se trouvent ici concentrées dans un graphisme simple, aisé à reconnaître et à identifier, mais un graphisme codé, qui signifie beaucoup plus qu’il ne donne à voir en apparence.

Fonction des symboles partisans

8Le très large usage des symboles partisans dans la seconde moitié du xxe siècle et leur relative rareté auparavant conduisent à s’interroger sur la fonction qu’ils remplissent dans la société politique. On en distinguera deux, d’inégale importance, qui rendent compte du décalage dans le temps de leur utilisation.

9En premier lieu, le symbole politique fait assez vite fonction de marqueur identitaire. Tant que les cultures politiques demeurent floues, mal délimitées, plus ou moins noyées dans des nébuleuses aux frontières indécises, ce qui est le cas pour la majorité des formations politiques jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’usage des symboles identitaires apparaît non seulement inutile, mais encore contre-productif.

10En effet, l’imprécision des appartenances partisanes dans le pays, en tout cas à la base, durant le premier tiers du xxe siècle, n’incite pas, bien au contraire, à se distinguer des voisins dont on ne partage peut-être pas toutes les idées, mais avec lesquels on se retrouve dès lors qu’il s’agit de défendre l’essentiel. Sans doute existe-t-il des exceptions : la fleur de lys des monarchistes sert de marqueur identitaire fort pour ceux qui n’acceptent pas le règne de Marianne et voient en elle la « gueuse » à étrangler. Mais la relative prégnance de la notion de « parti républicain » jusque dans les années 1930 rend sans intérêt, pour la plupart des partis politiques, l’affichage d’appartenance à des cultures politiques spécifiques assez mal délimitées (sauf pour les communistes, et, par contrecoup, pour les socialistes SFIO). En revanche, ce qui vaut pour l’extrême gauche socialiste et communiste, attachée à marquer ce qui la distingue des partis bourgeois dès les années 1920, devient la règle commune à partir des années 1920. Désormais, chaque force politique s’attache à souligner la différence entre la culture politique dont elle se réclame et celle de ses rivales, affirmant son caractère distinctif par l’utilisation de symboles spécifiques qui la rendent irréductible à toutes les autres.

11Le symbole politique apparaît ainsi comme caractérisant un moment bien précis, celui de l’individualisation des partis politiques transformés de simples courants d’opinion tels qu’ils existaient au xixe siècle en organisations structurées aux frontières clairement délimitées.

  • 2 S. Berstein (sous la dir.), Les Cultures politiques en France, Paris, Seuil, 2002.

12Mais à cette volonté de se distinguer clairement, d’affirmer sa spécificité, s’ajoute une seconde fonction des symboles partisans qui est, cette fois, à usage interne, celle de constituer un facteur de communion entre les tenants d’une même culture politique et par conséquent de consolider la fidélité des adhérents à la formation dans laquelle ils se reconnaissent. La force d’une culture politique, et par conséquent du symbole qui en souligne la signification, réside en effet dans son caractère double, à la fois individuel et collectif2.

13Comme élément individuel, une culture politique, une fois acquise, fait l’objet d’une adhésion fortement intériorisée, qui fait désormais partie de l’être et qui, comme telle, s’apparente, mutatis mutandis, à une foi religieuse, c’est-à-dire qu’elle devient, en très grande partie inaccessible à la controverse. Du même coup, le symbole partisan prend le caractère d’un symbole transcendant, témoignant de l’attachement de l’individu à la vision du monde qu’il exprime implicitement. Sa simple vision suggère, pour les initiés, l’ensemble des signifiants qu’il évoque.

14Mais, toujours comme dans le cas de la croyance religieuse, la culture politique individuelle ainsi intériorisée est partagée par tous les individus qui y adhèrent. Et, pour tous, le symbole a, peu ou prou, la même signification. Du même coup, tous se reconnaissent en lui, y discernent approximativement le même sens à l’action qu’ils conduisent, partagent avec les autres adhérents le même idéal, participent au même combat, ont les mêmes adversaires, se réclament du même héritage, aspirent au même avenir. Le symbole partisan sert ainsi de facteur de communion autour de la culture politique dont est porteur le parti qui l’utilise, comme c’est le cas par exemple de la croix dans la religion chrétienne ou de l’étoile de David dans le judaïsme.

15Par la signification qu’il porte et les fonctions qu’il assume, le symbole partisan participe ainsi à la fois de la structuration des forces politiques et de la transcendance qui marque au cours du xxe siècle les formes de l’action politique.

Notes

1 A. Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, Paris, PUF, 2001, p. 569.

2 S. Berstein (sous la dir.), Les Cultures politiques en France, Paris, Seuil, 2002.

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