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Le temps des banquets

 | 
Vincent Robert

Le banquet du souverain (1818-1831)

Chapitre 4. L’envers du carbonarisme (1818-1824)

Texte intégral

  • 1 A. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. VI, p. 18-19 (poursuite de Lafayette), p. 35  (...)

1Les vieilles histoires de la Restauration, d’inspiration libérale ou républicaine, plaçaient le début des années 1820 sous le signe du carbonarisme. On le comprend aisément, pour peu qu’on ait lu le récit des conjurations de Belfort et de Saumur, les pages que les historiens du xixe siècle consacrèrent à l’arrestation, au procès et au martyre du capitaine Vallé, à Toulon, ou au sort des quatre jeunes sergents de La Rochelle, guillotinés en place de Grève sans avoir rien révélé des secrets de l’organisation. Autour des héros de cet épisode, un foisonnement de scènes fortes et surprenantes, dont on s’étonne qu’elles n’aient pas inspiré dramaturges ou cinéastes : les cavaliers lancés à la rencontre de Lafayette, pour l’avertir de l’échec du pronunciamiento de Belfort, et détourner in extremis sa voiture sur Gray ; le pilori de Metz, couvert par la foule de fleurs et de branches de lauriers alors que le bourreau vient d’y attacher un carbonaro condamné à cette peine infamante ; la dévotion populaire au capitaine Vallé, enterré à la sauvette dans le coin des réprouvés, mais dont les restes sont identifiés dans l’été 1830 grâce au pêcher issu du noyau qu’une main anonyme avait discrètement enfoui huit ans plus tôt... Romanesque, romantique, le carbonarisme le fut indubitablement1.

  • 2 Consulter principalement le livre d’Alan B. Spitzer, Old Hatred and Young Hopes, et les réflexions (...)

2Il attire encore l’intérêt par le mystère qui l’entoure. Ses rituels, marqués par le secret des réunions, le cérémonial terrifiant de l’initiation, le caractère des engagements pris ; ses origines, napolitaines et, de façon plus lointaine, franccomtoises ; ses liens éventuels avec d’autres sociétés secrètes libérales européennes, et son héritage, de la charbonnerie réformée de Buonarroti jusqu’aux sociétés secrètes blanquistes, tout ceci a nourri les imaginations romanesques et alimenté les fantasmes de ceux qui croient dur comme fer aux ressorts occultes de la vie politique, aux conjurations ténébreuses (voire sataniques) donnant le coup de pouce décisif dans une révolution, ou visant à envelopper la société tout entière dans leur trame maléfique. On voit tout le profit que peut en tirer toute une paralittérature historique, dans la lignée de la depuis longtemps défunte Revue internationale des sociétés secrètes. Plus récemment, beaucoup plus sérieusement, des chercheurs se sont avisés de l’immense intérêt que représentait le carbonarisme pour l’histoire et pour la science politique : avant la Seconde Guerre mondiale, avant la Résistance, on ne trouve pas d’exemple dans l’histoire de France d’un mouvement clandestin de pareille ampleur, qui engloba vraisemblablement près de cinquante mille personnes, parmi lesquelles une bonne partie des futures élites de la monarchie de Juillet et la plupart des personnalités républicaines et socialistes de cette génération. Et ce passage massif à la clandestinité, l’adoption de la société secrète hiérarchisée comme forme majeure (quoique transitoire) de l’association politique posent au politologue beaucoup de questions sur l’usage du secret en politique. À tous points de vue, donc, le carbonarisme peut apparaître comme un épisode fascinant2.

3Je crois qu’il faut pourtant se déprendre de la fascination qu’exerce « cette conjuration du libéralisme adolescent ». Il ne s’agit pas de dauber sur la maladresse des conjurés, sur la prétendue lâcheté ou le cynisme des chefs de la haute vente, sur l’échec pitoyable enfin du mouvement, comme l’ont fait depuis longtemps les thuriféraires de la Restauration. Tout ceci a été relativisé ou expliqué par l’étude fondamentale d’Alan Spitzer. Il faut poursuivre ses analyses et considérer le carbonarisme comme un parti libéral clandestin, ou comme l’aile marchante, et aventurée, d’un parti libéral, qui, quoi qu’on puisse en dire, représentait alors effectivement la nation. À défaut, on ne comprendrait pas comment ce parti a pu se relever si rapidement de l’effondrement du carbonarisme, et comment son organisation a survécu à la répression, aux querelles intestines, au discrédit pesant sur certains de ses chefs. Les conjurés n’étaient pas des isolés dans un milieu hostile ou indifférent, mais bien plutôt, comme un siècle plus tard les résistants, à peu près comme des poissons dans l’eau. Pour comprendre les liens qui existaient entre le parti libéral et la société française, liens qui ont conduit des milliers d’étudiants, d’huissiers, de négociants et d’avocats à s’engager dans la Charbonnerie, nous devons revenir à l’étude de la sociabilité libérale, et notamment aux banquets politiques et autres formes de manifestations publiques du libéralisme, qui préexistaient aux conspirations et qui n’ont pas cessé pendant qu’elles se tramaient, notamment parce que, tout en étant mal vues des autorités, elles étaient considérées comme parfaitement légales.

Une tolérance obligée

4Le préfet Choppin d’Arnouville, qui expliquait au ministre Decazes, comme une évidence, qu’il ne pouvait interdire les festivités projetées par les libéraux de Grenoble dans l’été 1818, était un administrateur modéré, nommé par un gouvernement royaliste constitutionnel, et peu désireux de se mettre à dos l’opinion dominante dans son département. Mais il ne se contentait pas de dire qu’il serait impolitique d’interdire ce banquet, il disait qu’il n’en avait pas le droit. Ce n’est pas une simple opinion personnelle : c’est bien ainsi que tout le monde l’entendait à cette époque, aussi bien les ministres et les administrateurs que les notables qui prenaient l’initiative d’un banquet. Ni à Paris, ni en province, on ne peut interdire un banquet, quel qu’il soit : ni le dîner de l’Arc-en-Ciel, ni le banquet du Mont-Thabor, dont la coloration politique ne faisait aucun doute, n’ont été interdits. Et nous savons bien que, le 1er avril 1830, le gouvernement le plus réactionnaire de la Restauration (à défaut d’être le plus adroit), celui qui faisait le plus craindre aux libéraux un retour aux violences de 1815 et à l’Ancien Régime, ne le fit pas non plus et ne semble même pas l’avoir envisagé. Pourquoi ?

  • 3 A. Corbin, Le temps, le désir…, p. 53-79.

5En l’absence de législation à ce sujet, plusieurs raisons semblent converger pour expliquer cette tolérance. La première est que le fait de se réunir en un banquet ne peut pas être à soi seul considéré comme une source de trouble à l’ordre public. Les banquets se tenant généralement dans des lieux clos, ce qui s’y passe ne regarde pas l’administration. Alain Corbin a bien montré, en analysant l’agitation dans les théâtres de province sous la Restauration, que les préfets, sous-préfets et commissaires de police manifestaient une grande mansuétude vis-à-vis de tous les incidents qui s’y produisaient, tant que l’agitation ne débordait pas au-dehors, dans la rue, sur la place publique3. Il était très important qu’ils sachent ce qui s’y était passé exactement, mais les heurts et manifestations qui s’y produisaient n’avaient pas de suites. Dans le cas des banquets, la situation n’est pas très différente. L’autorité est attentive à la manière dont, dans certains cas, les participants se réunissent en cortège pour se rendre au lieu du banquet ; elle est plus attentive encore à observer comment s’effectue la dispersion du banquet, si les participants se sont séparés sans tumulte, s’ils ont quitté la salle individuellement, par petits groupes, ou, ce qui peut aussi arriver, en cortège (ainsi les citoyens de Châtellerault reconduisent-ils Voyer d’Argenson, aux flambeaux, jusqu’à la sortie de la ville, où il montera à cheval ou en voiture pour regagner sa terre des Ormes ; les convives du banquet de Rennes raccompagnent Dunoyer en un long cortège silencieux jusqu’à son hôtel). Mais, comme à la différence de la salle de spectacle ou du théâtre local, l’endroit où se tient le banquet n’est généralement pas un lieu public, et que les portes, voire les fenêtres, en sont fermées, elle n’a aucun droit d’y pénétrer officiellement. Il est bien entendu que, là encore, l’administration cherche à être informée de ce qui s’est dit, mais elle n’a aucun titre pour y être représentée ès qualités. Agir autrement, ce serait violer le domicile des citoyens, et on se croirait revenu aux pires jours de l’omnipotence de la police de Fouché, à la tyrannie impériale... ou aux temps de la Terreur blanche, que chacun souhaitait oublier.

6La deuxième série de raisons à prendre en compte tient à la conception de la société dominante parmi les élites politiques et administratives de la Restauration. Cette conception était clairement hiérarchique : il y avait les gens qui comptaient, la société à proprement parler, et le peuple, alternativement considéré comme un bon peuple et comme de la canaille mais, quoi qu’il en soit, des gens de peu. Tout était question de frontières : les aristocrates attachés à l’Ancien Régime les plaçaient très haut et refusaient in petto d’y admettre des roturiers, mais ce n’était pas le cas le plus fréquent parmi les administrateurs et les préfets. Les élites héritées de l’Empire, surtout ceux de leurs membres qui inclinaient au libéralisme, étaient beaucoup plus ouvertes, quelles que soient leurs origines personnelles et familiales : elles considéraient comme des notables tous ceux à qui la Charte avait réservé le droit d’élire les députés – qui payaient donc trois cents francs d’impôts directs ; et elles étaient probablement même convaincues que nombre de bourgeois de province, intelligents et pourvus d’une solide fortune, devaient être pris en considération, vu le rôle politique que certains d’entre eux pouvaient jouer localement : on prendra pour exemple le « terrible monsieur Goyet », cauchemar de tous les préfets de la Sarthe, qui faisait et défaisait les élections dans son département, toujours dans un sens libéral, bien qu’il ne fût pas électeur. Mais quoi qu’il en soit, ces deux classes de citoyens ne pouvaient pas, ne devaient pas être traitées de la même manière. Vis-à-vis du peuple, les élites administratives oscillaient entre un paternalisme débonnaire, par temps calme, et une brutalité extrême, pour peu que l’ordre soit troublé. On verra un peu plus loin des manifestations de cette bienveillance ordinaire, dont beaucoup d’historiens de la Restauration créditent le régime, en l’opposant à la dureté froide des élites de la monarchie de Juillet. Mais il faut aussi rappeler l’extraordinaire brutalité de la répression, lorsqu’elle s’abattait sur des humbles qui osaient réclamer ou manifester des opinions politiques.

  • 4 Le Carpentier mourut en prison. S. Luzzatto, Mémoire de la Terreur, p. 125.
  • 5 L. Desternes et G. Galland, « La réaction royaliste en Touraine... », p. 60. Émettre ainsi le souha (...)

7On a déjà évoqué la répression sanglante de l’insurrection du Dauphiné en mai 1816. Pendant la disette de 1816-1817, les cours prévôtales avaient multiplié les condamnations à mort pour rétablir l’ordre et terroriser la canaille : pensons aux quatre exécutions de Sens, auxquelles le gouvernement Decazes avait fait une large publicité. Mais n’oublions pas les condamnations par dizaines de simples citoyens, souvent de pauvres gens pour des faits qu’on ne peut qualifier autrement que de délits d’opinion. Deux exemples, entre mille : le paysan de la Manche qui avait caché l’ex-conventionnel régicide Le Carpentier, rentré clandestinement en France, fut condamné en 1819 à dix-huit ans de prison (tandis que son hôte ne se voyait infliger que dix ans d’emprisonnement4) ; dans l’Indre-et-Loire, la fille Couturier, une blanchisseuse de vingt et un ans, se vit infliger pour propos séditieux six mois de prison et cinquante francs d’amende, somme qui correspondait à ce qu’elle pouvait espérer gagner en un mois et demi d’un travail qui lui permettait seulement de ne pas mourir de faim5. La malheureuse avait dit en effet, pendant l’hiver 1815-1816 : « Au printemps, la violette reviendra. » En 1829-1830 encore, des gens du peuple étaient régulièrement condamnés à plusieurs mois de prison pour avoir simplement crié, souvent en état d’ébriété, « vive l’Empereur ! » En définitive, plutôt qu’à terroriser les populations, le régime semble avoir surtout réussi à entretenir les haines.

8En revanche, une fois la Terreur blanche passée, il n’était plus question de s’en prendre aux notables, grands et petits. Plus question de perquisitionner chez eux sans mandat, de les jeter en prison sur de simples soupçons. Les avocats et la presse libérale y veillaient, et les tribunaux ordinaires leur donnaient désormais raison. On a souvent été surpris, en retraçant les différents épisodes du carbonarisme, de l’extraordinaire mansuétude du pouvoir vis-à-vis de ceux qui composaient la Vente suprême, les Lafayette, Voyer d’Argenson, de Cor celles, Manuel, Jacques Koechlin, par exemple... Vers eux convergeaient pourtant de multiples indices, et un certain nombre de témoignages les mettaient en cause (tandis que des accusés, sous le coup d’une condamnation à mort, comme les quatre sergents de La Rochelle, les protégeaient par leur silence, en dépit des pressions et des offres) ; mais, à la grande fureur de certains ultras, il était à peu près impossible au régime de les faire passer en jugement, alors même que leur participation à des complots visant à renverser la monarchie était patente, voire, dans le cas de Lafayette, publiquement revendiquée. On n’était décidément plus au temps de Richelieu et de Cinq-Mars.

9Dans ces conditions, comment aurait-il été possible d’interdire un banquet donné en leur honneur ? Comment empêcher des citoyens honorablement connus, la plupart électeurs, des notables en un mot, de leur en offrir un pour leur témoigner de la reconnaissance ? Que l’administration s’avise d’empêcher un banquet, ou seulement de paraître laisser faire des gens qui voudraient s’y opposer par la force, et le pouvoir risque d’être accusé de violer les droits les plus sacrés reconnus et garantis par la Charte, les libertés individuelles. Un gouvernement qui se hasarderait à interdire un banquet de notables est un gouvernement tyrannique, qui a rompu le pacte social fondamental : dès lors, la révolte est légitime.

  • 6 A. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. V, p. 355 et suiv.

10Un incident, rapporté notamment dans l’Histoire des deux Restaurations, de de Vaulabelle, semble à cet égard révélateur6. On a rappelé plus haut que le carbonarisme, loin de n’être qu’une sorte de société secrète ésotérique, regroupant quelques centaines de conspirateurs fanatisés, était en fait un « parti libéral clandestin » ; et qu’il a sans doute compté des adhérents par dizaines de milliers. On sait aussi, comme les contemporains le savaient, que le carbonarisme n’a jamais été un mouvement populaire, mais a principalement recruté dans les rangs de la bourgeoisie, hommes de loi et avocats, négociants et commis, étu diants et petits fonctionnaires, ainsi que parmi les cadres subalternes de l’armée (les quatre sergents de La Rochelle). Il n’y eut qu’une seule exception : toute la région de la Loire moyenne et inférieure, où s’était développée, tout à fait indépendamment du noyau parisien, une puissante société clandestine, appelée les Chevaliers de la Liberté. Cette société présentait la particularité d’associer à la petite et moyenne bourgeoisie locale (souvent propriétaire de biens nationaux) des milieux authentiquement populaires, anciens soldats, vignerons et mariniers de Loire notamment. Certains de leurs chefs ayant été contactés à tout hasard par des émissaires parisiens désireux d’implanter le carbonarisme dans la région, les Chevaliers de la Liberté s’intégrèrent en bloc dans l’organisation nationale, et on les retrouve dans les plus sérieuses tentatives d’insurrection du printemps 1822, l’expédition infructueuse du général Berton vers Saumur en particulier. Or, à l’origine de cette organisation révolutionnaire, on trouve justement l’interdiction d’un banquet, ou du moins une tentative de l’interdire, à l’automne de 1820. Lafayette et Benjamin Constant, élus de la Sarthe, étaient alors venus rendre visite à leurs électeurs, qui leur offrirent des banquets. Puis, tandis que Lafayette retournait dans la capitale, Benjamin Constant accédait à l’invitation qui lui était faite de se rendre à Saumur. Comme dans la plupart des villes de la région, la bourgeoisie locale et la population étaient viscéralement « patriotes », attachées au souvenir et à l’héritage de la Révolution qu’elles pensaient mis en péril par le régime. C’était là, en outre, qu’après Waterloo et l’invasion s’étaient dispersées les dernières armées françaises, celles que les royalistes parisiens appelaient élégamment les « brigands de la Loire ». La Terreur blanche y avait été particulièrement mal supportée : rappelons par exemple les emprisonnements arbitraires et les condamnations de Luynes, cinquante kilomètres en amont sur la Loire, courageusement dénoncés par Paul-Louis Courier. Mais, à la différence des autres petites villes de l’Ouest bleu, Saumur était le siège de la célèbre École de cavalerie, et il se trouvait qu’en cette année 1820 les élèves étaient des jeunes gens choisis pour leurs convictions royalistes. « Bruyants, querelleurs, bourboniens exaltés, les élèves, au premier bruit, à la moindre rixe, se réunissaient tous contre la population. » Pendant tout l’été, en écho aux événements de la capitale, les incidents n’avaient pas manqué. Voici le récit des faits par Vaulabelle :

« Le 7 octobre, les élèves apprennent que Benjamin Constant venait d’arriver dans la ville. […] Le soir même, une partie de l’École se porte devant la maison où il est descendu, lance des pierres, et le somme, avec des menaces, de quitter la ville sur-le-champ. Dispersés par la garde nationale (bourgeoise), les élèves reviennent le jour suivant en plus grand nombre, et veulent empêcher le banquet ; la garde nationale accourt et se met en devoir de protéger les convives ; les élèves renouvellent leurs cris et leurs injures ; une sorte de collision s’engage ; deux ou trois fusils partent dans les rangs des bourgeois ; les militaires mettent le sabre à la main ; des coups s’échangent et bientôt on compte de part et d’autre plusieurs blessés. Ce n’est qu’après de longs efforts que le général commandant l’école, le maire et le sous-préfet, accourus sur les lieux, parviennent enfin à séparer les deux partis. Le lendemain, 9 octobre, Benjamin Constant quittait la ville et poursuivait son voyage sous la protection d’un fort détachement de gendarmerie. »

11Et Vaulabelle conclut :

« Le banquet, cause de ces désordres, hâta l’accomplissement d’un projet de société politique secrète proposé depuis quelque temps aux principaux convives par l’un d’eux, l’aide-major Grandménil. On a dit que Benjamin Constant avait exercé une notable influence sur la formation de cette société : ce bruit n’a pas le moindre fondement. »

12Benjamin Constant n’a en effet jamais fait partie d’aucune société secrète, et il avait marqué sa volonté d’apaisement en quittant la ville, se réservant cependant de porter de tels faits devant l’opinion. Mais les libéraux de l’endroit étaient désappointés, car si un certain nombre avaient pu dîner avec leur idole, ils avaient dû renoncer à la grande manifestation qu’ils projetaient, un dîner par souscription de cent vingt couverts. Pour eux, dans ces circonstances, le seuil de l’intolérable a été franchi. Un pouvoir qui a restreint au printemps la liberté de la presse et les garanties de la sûreté individuelle des citoyens, et dont les suppôts prétendent interdire de donner un banquet à une personnalité aussi respectée que Benjamin Constant est à l’évidence quant au présent incapable de faire respecter les droits les plus sacrés de l’individu, et demain probablement tyrannique. Les moyens légaux de s’y opposer, ou simplement de manifester son opinion, font défaut : le passage à la clandestinité et à l’action illégale est pleinement justifié.

  • 7 AN BB 30 238, procureur général de Riom au garde des Sceaux, 14.09.1820.
  • 8 AN F7 6876. Copie de la réponse du ministre au préfet de l’Isère, juillet 1817.
  • 9 AN F7 6719. Dossier C. Perier. Lettres du préfet de l’Aube à Intérieur, 20.11, et 1.12.1829. Gendar (...)

13Aucun administrateur ne peut donc prendre l’initiative d’interdire un ban quet dès lors que son organisation a été décidée par des notables d’une ville, petite ou grande. Il peut certes se féliciter de l’attitude de certains députés de l’opposition, comme l’abbé de Pradt, qui, honoré d’une sérénade lors de son passage par Clermont dans l’été 1820, « a eu le bon esprit de refuser un banquet que voulait lui offrir une certaine secte [les libéraux les plus exaltés] et est parti pour sa terre près Issoire7 ». Mais, comme le reconnaissait le ministre de l’Intérieur dans sa réponse au préfet de l’Isère : « S’opposer à de semblables banquets verserait dans l’arbitraire et ne serait pas sans inconvénients, mais il est d’une saine politique d’en écarter les hommes sages et indifférents, d’en surveiller exactement et sans appareil la tenue, d’en bien connaître les principaux acteurs et de se tenir en mesure [sic] pour des circonstances plus graves et qui porteraient directement atteinte au maintien de l’ordre8. » Un administrateur peut, il croit même souvent de son devoir de susciter le maximum d’obstacles à la tenue de ce qui est considéré « sinon comme un acte d’hostilité, du moins comme un acte d’opposition au gouvernement ». Le préfet peut empêcher la mise à disposition de la salle de spectacle du lieu, si elle dépend de la municipalité ; si elle est privée, il est possible de faire sentir au propriétaire, pour qu’il en refuse la location, les risques encourus à prendre ainsi parti : certaines personnes influentes dans la société locale pourraient en représailles rompre toutes relations avec lui, ou se montrer défavorablement disposées à son égard. Il peut faire pression sur les convives en faisant valoir l’inconvenance de leur conduite ou le risque qu’ils encourent : se retrouver dans une société bien mélangée et frayer avec des individus très en dessous de leur condition. Il peut aussi refuser de mettre à la disposition des commissaires du banquet les quelques gendarmes ou pompiers sollicités à toutes fins utiles, et les laisser seuls face aux incidents possibles. Il peut enfin, par une manœuvre hardie, obliger les notables à prendre ouvertement parti, en offrant une réception à la préfecture à la date prévue pour le banquet : qui n’est pas avec le gouvernement est contre lui... C’est ce que fit le préfet de l’Aube, à l’automne 1829, le soir même où les libéraux du département fêtaient Casimir Perier, leur député : il semble n’avoir pas été mécontent de la manœuvre, puisqu’il réussit de la sorte à détourner des festivités de l’opposition tous les fonctionnaires, mais également, ce qu’il n’espérait guère au départ, les principaux membres du tribunal et de la chambre de commerce. Pourtant, comme les années précédentes, la réception donnée avait bien eu lieu, avec cette fois plus de cent soixante souscripteurs9. En définitive, pas plus qu’à une sérénade, par exemple, si elle se faisait non sur la voie publique (il serait alors possible de l’interdire) mais à l’intérieur d’une propriété privée, l’administration ne pouvait s’opposer à la tenue d’un banquet, dès lors qu’il se trouvait des notables assez indépendants et déterminés pour prendre l’initiative d’une telle manifestation et pour en mener à bien l’exécution. Elle le pouvait d’autant moins que, rappelons-le, pour les participants comme pour leurs adversaires, un banquet était avant tout une fête. Mais ce n’était pas qu’une fête, loin de là.

Les enjeux des banquets

14Les banquets de compagnons, de sociétaires d’un même métier ou même de francs-maçons, que nous avons évoqués au chapitre précédent, illustraient le lien qui existait au xixe siècle entre la table et une sociabilité formelle, soumise à des règles parfois explicites et, le plus souvent, coutumières et implicites. D’une manière générale, il n’y avait guère d’association, ni même de simple corps qui ne tînt son banquet annuel. Reste à vérifier s’il serait possible d’aller plus loin encore, en examinant la nature des relations entre ce qui nous est apparu comme une manifestation ponctuelle, la tenue d’un banquet, et des organisations politiques durables, comités électoraux ou éventuelles associations libérales dans ces années mal connues de la Restauration.

Le banquet comme matrice de l’association politique

  • 10 On s’était aussi réuni chez le baron Méchin, le baron de Staël, le marquis de Voyer d’Argenson. Cf. (...)

15À la fin de l’année 1819, le gouvernement du roi, d’autant plus inquiet des progrès électoraux des indépendants qu’ils ne s’accompagnaient pas d’un recul des ultras, et scandalisé par l’élection dans l’Isère de l’ex-abbé Grégoire, ancien conventionnel réputé régicide, résolut de s’en prendre à ce qui apparaissait alors comme une sorte d’état-major général des libéraux, à savoir la Société des amis de la liberté de la presse. S’avisant assez tardivement que ses effectifs dépassaient largement la vingtaine de personnes autorisées et que ses membres se réunissaient très régulièrement au domicile parisien de l’un ou l’autre de ses dirigeants, le ministère Decazes fit engager des poursuites contre le colonel Simon-Lorrière et M. Gévaudan, deux des hôtes habituels de l’association, pour contravention à l’article 291 du code pénal. On avait naturellement pris soin de ne pas inculper des personnalités de plus haut parage : ni le duc de Broglie (qui, il est vrai, avait depuis quelque temps pris ses distances), ni le comte de Thiard, ni Lafayette ni même Manuel, chez qui la société se réunissait tout aussi régulièrement, ne furent mis en cause. Le 18 décembre 1819 le tribunal correctionnel de la Seine condamna chacun des deux accusés à une amende de 200 francs et déclara la société dissoute10.

  • 11 La Minerve française, t. VIII, p. 48 (04.11.1 819).

16Comme bien l’on pense, les journaux proches des indépendants avaient protesté dès l’annonce du déclenchement des poursuites et commencèrent à élaborer l’argumentation juridique qui devait servir à défendre les accusés. Il s’agissait, pour l’essentiel, d’établir, d’une part, que l’article du code pénal napoléonien visait surtout les sectes religieuses (comme la Petite Église) ; et d’autre part, que le passage du despotisme impérial à un régime constitutionnel impliquait nécessairement, comme cela avait été le cas pour la presse, l’élaboration d’une nouvelle loi libérale sur les associations. D’après eux, la tolérance tacite dont le ministère avait fait preuve pendant dix-huit mois valait acompte sur la pratique de cette liberté et reconnaissance implicite de sa légitimité. Mais on peut être frappé aussi d’un argument avancé par un des correspondants de La Minerve. Pourquoi, demandait-il, le procureur du roi de Louviers n’engage-t-il pas lui aussi des poursuites contre les organisateurs du banquet en l’honneur de trois députés indépendants qui venait de se tenir au Neubourg, le 31 octobre 1819 : n’est-il pas patent que les convives, « tous les notables du canton », étaient plus de vingt (ils étaient cent soixante-dix), et qu’ils s’étaient réunis à un jour marqué de longue date pour s’entretenir d’objets politiques ou autres ? En d’autres termes, s’il y avait eu banquet, n’y avait-il pas matière à poursuite contre une association11 ?

  • 12 A. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. V, p. 57-60.

17Pour comprendre le lien apparemment si fort entre banquet et association politique, revenons donc dix-huit mois plus tôt, au banquet de l’Arc-en-Ciel. Relisons le passage où Vaulabelle décrit brièvement ce banquet, et replaçons-le dans son contexte, la description par l’auteur des efforts libéraux pour s’organiser12 : « À cette époque de la seconde Restauration, on ne conspirait pas encore, à Paris, dans le sens absolu du mot ; il y existait, à la vérité, deux sociétés politiques, l’une secrète, et l’autre publique ; celle-ci n’avait pas tardé, du moins à Paris, à absorber la première ; mais leurs membres songeaient moins à engager une lutte contre les Bourbons qu’à résister aux tendances rétrogrades de ces princes, et à l’arbitraire de leurs agents. » La société secrète, l’Union, avait été fondée à Grenoble en 1816 par l’avocat Joseph Rey ; après la venue de celui-ci à Paris, elle y avait fait des adeptes mais « le plus grand nombre ne cherchaient dans le secret qu’une protection et une sorte d’abri pour leur circonspection et leur timidité » ; si bien que « ces allures prudentes, timides arrêtaient les progrès de la société ; ses membres étaient donc en petit nombre, et leurs efforts, pour ainsi dire individuels, demeuraient sans résultats sérieux, lorsque en revanche une association publique créée à Paris un an environ après l’époque où l’Union naissait à Grenoble prit tout à coup un développement et une influence qui donnèrent à cette nouvelle association une action assez considérable sur le mouvement politique des deux années suivantes ». Il s’agit d’une société fondée à l’automne 1817 par un groupe d’une vingtaine de personnes (comprenant Lafayette et Benjamin Constant, naturellement, mais aussi deux pairs de France, de Broglie et Destutt de Tracy, et deux députés, Voyer d’Argenson et Laffitte) afin d’obtenir l’abrogation des lois sur la presse et de fournir une aide financière aux journalistes poursuivis ou condamnés. Mais ce n’est qu’après l’organisation par ses soins du dîner de l’Arc-en-Ciel, en hommage aux députés « qui avaient fait entendre, dans cette session, en faveur des droits de la presse, les protestations les plus chaleureuses », que celle-ci prit son plein développement : ainsi, dit Vaulabelle, « une fois l’élan donné, l’association devint fort nombreuse et reçut une organisation régulière, définitive, sous le nom de Société des amis de la liberté de la presse. Non seulement tous les membres de l’Union de Paris s’empressèrent d’y entrer, mais les hommes les plus timorés, pairs, députés, magistrats, ne craignirent pas d’en faire partie ».

  • 13 Le Constitutionnel, 6.02.1820.

18On comprend mieux, dès lors, pourquoi la question des toasts n’avait pour les libéraux qu’une importance tout à fait relative : l’essentiel était que cette manifestation de sociabilité libérale ait pu servir de couverture à la fondation d’une ébauche d’organisation politique régulière. Le dîner de l’Arc-en-Ciel fut donc, pour la Société des amis de la liberté de la presse, l’équivalent de ce que serait à un parti politique moderne le congrès de fondation. La société fut tolérée pendant une année et demie environ, pendant laquelle il n’y eut pas besoin d’organiser de banquet, puisque les réunions avaient lieu, à des jours déterminés d’avance, et sur lettres de convocation au domicile de l’un ou l’autre de ses membres. Le ministère, parfaitement au courant de son existence, et qui, dit joliment Vaulabelle, avait dans ses réunions « ses agents, et même ses sténographes », ne se décida à la poursuivre et à la dissoudre qu’au moment où il rompait avec les indépendants. Sept semaines après eut lieu, comme nous le savons, le deuxième grand banquet politique parisien, celui du Mont-Thabor. Il est donc probable que si, le 5 février 1820, les convives étaient bien réunis pour célébrer l’anniversaire de la loi Laîné et pour protester contre les menaces qui pesaient sur elle, l’objet de la réunion ne se réduisait pas à cela : en réunissant un millier de souscripteurs, les organisateurs avaient vraisemblablement aussi pour but d’élever une sorte de protestation muette contre la dissolution des Amis de la liberté de la presse, et de refonder, en quelque sorte, un parti libéral sur des bases élargies : la société dissoute n’avait compté que quatre cents membres environ, apparemment tous parisiens de résidence, tandis que parmi le millier de convives réunis figuraient, d’après Le Constitutionnel, « un grand nombre d’électeurs ou d’éligibles de Paris, des environs et de diverses villes de France13 ». Car si l’association est interdite, le banquet peut en tenir lieu : le banquet est en effet une quasi-association.

Une association en pointillé

  • 14 AN F7 6720, dos. 6, lettre du sous-préfet de Charolles à préfecture de S.-et-L, 27.08.1821.
  • 15 La seule liste que j’aie repérée concerne le banquet donné à B. Constant, le 10 octobre 1829, à Str (...)
  • 16 AN F7 6767, banquet à Cunin-Gridaine, Sedan, 24.08.1828. En dépit des espoirs du préfet, il y eut u (...)

19Je crois que l’on peut avancer en effet que si, d’une manière générale, il n’y a pas à cette époque de corps ou d’association sans banquet, la réciproque est tout aussi vraie. Comment procédaient les commissaires – les organisateurs – du banquet ? Tout d’abord, ils fixaient le montant de la souscription, ce qui indique très précisément, nous l’avons vu, le niveau social des convives que l’on souhaitait voir au banquet, sans toutefois empêcher, le cas échéant, la participation de sympathisants ardents, mais plus jeunes ou un peu plus désargentés. Ils faisaient ensuite circuler des listes de souscription parmi leurs amis et leurs connaissances, puis auprès de ceux qu’on leur avait indiqués à tort ou à raison comme d’éventuels sympathisants. Ceux qui adhéraient figuraient sur la liste ès qualités ; mais on se doute bien que les refus, polis ou non, étaient également inscrits dans les mémoires. Les noms de ceux qui avaient déjà souscrit étaient sans doute avancés auprès des hésitants pour les convaincre du caractère respectable de l’entreprise ou de sa légalité. Ces listes n’étaient donc pas véritablement secrètes, mais n’appartenaient pas non plus au domaine public. Jamais on ne les voit publiées dans des journaux ; et l’initiative d’un cafetier de Charolles qui en afficha une dans son établissement en 1821 suscita à l’évidence parmi les libéraux du lieu une vive réprobation14. Par conséquent, sauf rares exceptions, les autorités ne semblent pas être parvenues à en prendre copie, et elles ne figurent pas dans les archives ; ce qui est évidemment pour nous bien dommage, car nous pourrions affiner considérablement nos connaissances sur la sociologie du libéralisme sous la Restauration15. Quoi qu’il en soit, ces listes existaient : elles dépassaient les connaissances individuelles ou locales des commissaires pris individuellement et elles dessinaient des réseaux de personnes sur qui l’on pourrait vraisemblablement compter le cas échéant. Les souscripteurs ne se sont pas engagés sans retour, mais comme ils ont versé une certaine somme, ils peuvent demander compte aux commissaires de l’emploi des fonds. Ils ont fait plus : en assistant au banquet, ils ont accompli un acte qui les lie aux autres convives ; comme ils ont trinqué, qu’ils ont bu avec eux, ils ont affirmé publiquement qu’ils partageaient les mêmes valeurs, et une certaine confiance doit naître entre eux. D’où, soit dit en passant, les efforts désespérés des organisateurs pour éviter qu’une querelle entre convives pris de boisson (cela peut arriver en fin de soirée) ne dégénère en duel ; au contraire, il faut tout faire pour réconcilier les adversaires, par peur du scandale, bien sûr, mais aussi parce que, les témoins des uns et des autres risquant de prendre parti, l’efficacité politique de l’association n’y résisterait guère16.

  • 17 La presse de gauche rend compte assez souvent de meetings tenus outre-Manche, et ne manque pas d’en (...)
  • 18 Le Censeur européen, t. VIII, p. 402, à propos du repas du 6 juillet 1818, à Grenoble.

20Mais cette quasi-association que constituent les souscripteurs possède beaucoup d’autres vertus : non seulement, comme nous le montrerons plus loin, elle est en soi porteuse de valeurs proprement libérales mais elle est parfaitement légale et d’une extrême souplesse. Parfaitement légale, parce qu’on ne saurait interdire un banquet, alors que les associations, elles, sont étroitement surveillées ; parfaitement légale également dans ses objectifs, parce qu’on ne pouvait pas plus conspirer dans un banquet sous la Restauration qu’on ne pouvait le faire dans un meeting tenu dans l’Angleterre contemporaine, ou dans une réunion publique en France sous la Troisième République ou aujourd’hui17. Comme l’apprirent à leurs dépens quelques carbonari inconscients, un banquet ne peut absolument pas servir de couverture à des activités clandestines, parce que rien ne serait plus facile pour les autorités que d’avoir vent de ce qui s’y tramait et de savoir ce qui s’y était dit. Il suffirait de faire parler les bavards, et il n’en manque jamais, ou de soudoyer le personnel de l’établissement où les convives se sont réunis, ce qui ne présente aucune difficulté. Choisir de se réunir ostensiblement à table, dans un établissement ouvert au public, même si on ne tient pas trop à ce qu’il y ait une foule de curieux, c’est affirmer publiquement son attachement à l’action légale et sa volonté de s’inscrire dans le cadre des institutions. Naturellement, les royalistes les plus exaltés ne l’ont jamais vraiment admis et parlent par exemple de « festin des conjurés », évoquant Masaniello et la révolte de Naples à propos du grand banquet des Vendanges de Bourgogne. Mais c’étaient là purs fantasmes, de la part de gens qui, pour citer Le Censeur européen, avaient depuis longtemps coutume de « voir une conspiration dans des gens qui dînent ensemble, et des fermens de révolution dans une caisse de vin de Champagne18 ». Ce n’est pas dans un banquet que l’on peut comploter, et si l’on y noue certainement des relations utiles, si cela donne l’occasion au tout-venant du parti libéral de côtoyer des célébrités du côté gauche, ce n’est sûrement pas là non plus que l’on procède au recrutement d’une armée de conspirateurs.

21Cela l’est d’autant moins que le grand avantage du banquet comme forme d’action et d’association politiques est précisément son extrême souplesse, aux antipodes des serments et de l’engagement total réclamé à des conjurés. Un souscripteur peut donner sa signature et son argent, mais ne pas paraître au repas ; s’il assiste au festin, cas le plus fréquent, il peut faire respecter son quasi-incognito, ou au contraire faire parade de son engagement ; il peut enfin prendre de véritables risques politiques, en portant une santé et en prenant publiquement la parole, faire preuve de cette vertu chère aux libéraux de ce temps, qu’ils appelaient le « courage civique ».

  • 19 AN F7 6720, dossier Degouve de Nuncques, janvier 1830.
  • 20 AN F7 6920. Gendarmerie de Loches, rapport du 6.10.1829, à propos du banquet du dimanche 4 octobre. (...)

22Comment se rendre dans la salle du festin ? Il est toujours possible de faire preuve d’une grande discrétion. Le préfet du Pas-de-Calais note ainsi, en janvier 1830, à l’intention du ministre, que « la plupart [des souscripteurs du banquet offert à Arras au député Degouve de Nuncques] étaient arrivés enveloppés de leur manteau et paraissaient chercher à ne pas être vus du public19 ». La notation est caustique, mais il n’y a aucune raison de penser qu’elle ait été entièrement inventée : il y avait sans doute parmi les convives des gens qui ne tenaient pas à trop faire parade de leurs opinions politiques. À l’inverse, lors de la venue du député Girod de l’Ain dans sa circonscription d’Indre-et-Loire, le lendemain de son entrée dans la petite ville bleue de Loches, une partie des souscripteurs firent preuve en public de davantage de courage. Selon le rapport pittoresque du maréchal des logis commandant la gendarmerie locale, « au moment de leur réunion pour le dîner, ils ont formé deux rangs, ils sont allés chercher M. Girod de l’Ain au moment où ils ont traversé la place du Marché c’était à l’issue des vêpres où le peuple sortait des églises ils se trouvaient au concours du monde mais le public a paru n’y faire pas beaucoup d’attention au passage du cortège seulement curiosité de leur part quand il se passe quelque chose ». Le préfet, plus cruel, relate que ce dimanche-là : « M. Girod s’est rendu processionnellement à la salle du banquet, à la tête d’une partie des convives qui marchaient deux à deux comme une noce de village, il avait son chapeau à la main et rendait des saluts qu’on ne lui faisait pas20. » Nous avons là affaire à une véritable manifestation, ce qui n’est pas un cas si fréquent, car cela suppose que l’on escompte la bienveillance du public, et en tout cas pas de franche hostilité ; mais, quand rien de semblable n’avait été prévu, il était évidemment possible aussi de se rendre au banquet individuellement ou par petits groupes, sans chercher à se dissimuler mais sans non plus affectation particulière.

  • 21 Au banquet offert au « Héros des deux mondes », le 29 juillet 1829, un nommé Daubrée, « jeune indus (...)
  • 22 AN F7 3874, bulletin de Paris, banquet du Mont-Thabor, 6.02.1820 : « Dans quelques groupes on a ten (...)
  • 23 On verra plus loin que le patron des Vendanges de Bourgogne était fort opportunément malade lors du (...)
  • 24 Un exemple très clair est le procès intenté par l’administration préfectorale à La Sentinelle des D (...)
  • 25 C’est ce que propose par exemple le préfet du Finistère à l’encontre du maire de Châteaulin, « ultr (...)
  • 26 Cf. la Biobibliographie de cet auteur, par L. de La Sicotière, en préface à A. Du Chatellier, Un es (...)
  • 27 Un exemple pittoresque : le maire de Vizille et son adjoint furent destitués par le ministre de l’I (...)

23Le tout-venant des convives ne prennent guère de risques en participant à un banquet ; tout au plus seront-ils mal vus de la société royaliste locale, ce qui peut faire perdre quelques pratiques à un marchand ou un entrepreneur, mais probablement aussi lui en gagner d’autres. Dans certaines villes, dans certains départements décidément à gauche, il faut peut-être plus de courage pour refuser sa signature que pour l’apposer sur la liste, au grand dam du préfet. Être admis dans la société libérale locale peut même être considéré comme une faveur, un signe d’intégration des nouveaux venus21. En revanche, les préfets sont très attentifs à la présence parmi les convives de fonctionnaires et de titulaires de charges officielles. En général, on a préalablement tenté de les décourager ; mais s’ils y ont été quand même, que faire ? Il est extrêmement difficile d’exercer des poursuites, parce que participer à une telle réunion n’est pas un délit, et parce que aucun propos tenu dans un lieu privé, aussi séditieux fût-il, ne peut être constaté juridiquement22 : jamais les autres convives ne se souviennent de ce qui s’est dit exactement, ils n’ont pas entendu, et de toute façon il serait inconvenant de pousser trop avant l’interrogatoire, sous peine de paraître encourager la délation. Il ne faut pas trop compter sur le personnel de l’établissement, qu’il ait entendu quelque chose ou rien : il peut être soudoyé par la police, mais jamais il ne témoignera en justice. Si c’était le cas, le patron de l’établissement se mettrait définitivement à dos une bonne partie de sa clientèle, et c’est un risque qu’aucun ne veut prendre, même à Paris23. Il n’y a possibilité de poursuites judiciaires que dans un seul cas : celui où un journal libéral local aurait publié un compte rendu contenant des propos incitant à la haine ou au mépris du gouvernement, voire attentatoires à la majesté royale, ou bien hostiles à la religion de l’État24… Pour cela, il faudrait encore qu’il y eût justement un journal pour le faire ; or, avant la fin des années 1820, les feuilles libérales des départements étaient fort peu nombreuses, à peu près cantonnées aux grandes villes. On pourrait également intenter des poursuites aux imprimeurs ou aux rédacteurs des brochures de compte rendu, mais ce serait courir le risque d’un désaveu par la justice, et l’autorité hésite légitimement. Que reste-t-il donc ? Très peu de possibilités effectives : sanctionner les fonctionnaires qui ont pris part à un banquet considéré comme séditieux ; relever un maire de ses fonctions, puisqu’il n’est pas à cette époque élu par ses administrés, mais nommé par le gouvernement25. Mais là encore, il est difficile de sévir efficacement : certes, un petit fonctionnaire des douanes comme A. Maufras du Chatellier peut être temporairement déplacé de son Finistère natal jusque dans les Ardennes, mais c’est plus une brimade qu’une véritable punition26. Et dans certaines conjonctures, s’en prendre à un maire qui a assisté à un banquet, le révoquer peuvent s’avérer fort impolitiques : on accroît son prestige dans la population puisqu’on a mis en exergue son indépendance de caractère, et l’on n’est pas sûr du tout de trouver quelqu’un qui accepte ou qui puisse le remplacer27.

24Bref, un préfet ou un sous-préfet qui s’en prendrait aux convives d’un ban quet se ferait instantanément une réputation de tyranneau local, et se verrait cloué au pilori par la presse libérale, sans la moindre garantie d’efficacité politique. On comprend qu’ils aient hésité, en particulier dans la dernière année du régime. En revanche, les participants au banquet, et surtout ceux qui ont pris la parole ou chanté des couplets de leur composition, se sont, eux, montrés sous leur meilleur jour, si bien qu’à l’évidence, dans certains cas, leur comportement a pu friser la provocation. Bravant les foudres de l’administration, montrant que leurs convictions pèsent plus que leur éventuelle carrière ou que la faveur du pouvoir, sous ce gouvernement du moins, ils ont donné l’exemple du courage civique, vertu suprême des libéraux de la Restauration.

Valeurs de la sociabilité libérale

25Il y a plus, et c’est probablement pour cela que seuls les libéraux ont pu sous la Restauration recourir avec succès au banquet pour fonder des associations politiques d’une certaine envergure. Ce que n’ont jamais bien compris la plupart des administrateurs ou des polémistes ultraroyalistes, qui avaient une vision profondément hiérarchique de la société, c’est que le banquet rassemble des égaux, mieux même, qu’il fait des égaux.

  • 28 Mémorial de Toulouse, cité dans La Gazette de France du 11.05.1830.

26« À nos yeux ces réunions prétendument patriotiques, dans lesquelles l’esprit de parti (la plus ardente et la plus aveugle des passions) confond tous les rangs de la société et rapproche des hommes si peu accoutumés à fraterniser ensemble, sont de véritables orgies, où le député comme le magistrat compromettent leur dignité. Aux yeux du libéralisme, ce sont des triomphes28. » Pour les ultraroyalistes, par définition, les banquets libéraux pouvaient être considérés comme des orgies, parce qu’ils mêlaient les rangs, que l’on y trouvait des gens qui n’étaient pas du même monde ; et l’on pouvait ensuite sous-entendre toutes sortes d’excès. On saisit mieux pourquoi les libéraux, eux, insistaient sur la dignité des convives, sur l’excellent esprit qui avait régné dans ces « véritables fêtes de famille » ; mais ce n’était pas l’essentiel. Ce qui était reproché aux banquets libéraux était précisément ce qui en faisait la valeur aux yeux des convives : le mélange des conditions sociales, l’égalité en acte, ne fût-ce que pour un moment.

  • 29 AN F7 6718, dos. 24. Banquet à Vitré, 24.10.1829 ; AN F7 6740, Aveyron, gend. 12.07.1830.
  • 30 AN F7 6741, cabinet du préfet du Tarn-et-Garonne, (5) avril 1830 ; AN F7 6767, dos. C. Perier, préf (...)
  • 31 AN F7 6717, dos. B. Constant, préfet du Bas-Rhin, 11.10.1829.
  • 32 AN F7 6720, dos. 6, 27.08.1821. Selon le sous-préfet de Charolles, au banquet offert au député Humb (...)
  • 33 AN F7 6718, dos. 24. Préfet d’Ille-et-Villaine à Intérieur, 27.10.1829. Ou encore à Limoges, à prop (...)
  • 34 Par exemple, dans un banquet à Vernoux : « M. Boissy d’Anglas s’est montré réservé et peu communica (...)

27On se doute bien que, à peu d’exceptions près, préfets, sous-préfets et commissaires de police de la Restauration dépeignaient ces banquets sans indulgence. « Le banquet se composait de 54 convives de la ville et de la campagne. Plusieurs souscripteurs ne s’y sont pas rendus. Il y avait moins de 20 électeurs. » « Les convives n’étaient qu’au nombre de 90, encore ont-ils admis beaucoup de personnes de la basse classe29. » À Montauban, sur cent trente ou cent trente-cinq convives escomptés, « il n’existe sur cette liste qu’une trentaine d’électeurs au plus, les autres sont ou des jeunes gens ou des personnes sans importance politique ». « Ce sont, comme les autres fois et comme partout ailleurs, avec quelques propriétaires et quelques négociants aisés qui se sont faits les coryphées du parti, des gens de loi, des étudians, des clercs de notaire et d’avoués, de petits fabricants des artisans, presque tous de Troyes30. » Certes l’attention portée par les autorités au nombre d’électeurs présents procède de considérations pré-électorales tout à fait rationnelles. Mais il faut faire sa part au mépris flagrant dans lequel elles tiennent les autres participants. Ainsi, après avoir soumis au ministre la liste de la centaine de souscripteurs du banquet offert à Benjamin Constant à Strasbourg en octobre 1829, liste sur laquelle figurent, entre autres, deux officiers de santé, trois brasseurs, quatre charcutiers et un boucher, deux fabricants de chandelles, deux maçons, un épinglier, un chapelier, un huilier, le préfet conclut : « Votre Excellence jugera de la nature de cette réunion par l’état des personnes qui la composaient31. » Les autorités en déduisent, avec colère ou dédain, que les libéraux sont vraiment disposés à faire flèche de tout bois pour que l’assistance soit nombreuse, et elles se plaisent à rapporter que les organisateurs avaient d’abord prévu de n’ouvrir la souscription qu’à des personnes inscrites sur les listes électorales, mais que, pour faire nombre, il a fallu ouvrir les rangs à de tout jeunes gens ou à des individus de la basse classe32. Il devrait être à peu près impossible, dans ces conditions, que le député se soit réellement senti honoré du banquet qu’on lui a offert : « Le député [Lariboisière, élu de Vitré], paraissait sentir qu’il se trouvait dans une société peu honorable pour lui33. » Du moins est-il improbable qu’il se soit senti vraiment à l’aise en pareille compagnie, et il n’a pas tardé à se retirer34.

  • 35 Le député breton de Lariboisière était un royaliste constitutionnel, qui insista dans ce banquet po (...)

28De telles situations sont en effet plausibles : certains députés n’étaient pas forcément à l’aise avec les plus enthousiastes de leurs partisans, pour des rai sons qui pouvaient être sociales, mais aussi, notons-le, politiques35. Mais l’essentiel est, je le crois, ailleurs. Dès lors que les libéraux se réunissaient en un banquet et qu’ils avaient tracé les limites financières du cercle des participants, ils se devaient d’accueillir à peu près tout le monde : la sociabilité libérale est par définition ouverte, parce que les libéraux entendent représenter la nation tout entière, toutes les générations, des vieillards aux jeunes gens, et aussi tous les milieux sociaux, toutes les origines sociales. Au grand scandale des préfets et de tous les publicistes ultraroyalistes, il y avait en effet parmi les convives des gens qui n’auraient jamais dû se trouver à la même table, parce qu’ils n’étaient pas du même monde. Des nobles et des roturiers, ce que les libéraux ont toujours assumé, depuis l’époque du banquet de l’Arc-en-Ciel :

  • 36 Le Journal du commerce (futur Le Constitutionnel), 19.05.1818. Ce n’est pas une incidente, mais la (...)

« Dans nos rangs, nous comptons plusieurs des honorables représentants de la France, des banquiers dont les maisons influent puissamment sur le crédit public, des gens de lettres distingués qui sont l’honneur de nos corporations académiques, et d’autres qui le seront un jour de la liberté qu’ils commencent à défendre. Il est peu surprenant que des journaux qui cherchent à soutenir les privilèges aient fait remarquer le mélange des plébéiens et des nobles, des hommes d’un état inférieur et des hommes dont les fonctions sont élevées, de la médiocrité et de la richesse : dans nos rangs, il n’y a de distinction que celle des lumières, des intentions patriotiques et de l’utilité36. »

  • 37 Le Drapeau blanc, 6.04.1830.

29À la même table, on trouvera donc aussi des protestants et des catholiques : dans la liste qu’il envoie au ministre, le préfet du Bas-Rhin a noté la confession des souscripteurs du banquet en hommage à Benjamin Constant. Les protestants sont en écrasante majorité mais, sur cent sept souscripteurs, on compte dix-sept catholiques (dont six des dix avocats présents). La présence du député Saglio l’étonne, pour la double raison qu’il est catholique et qu’il est lié par sa famille à Humann, qui, paraît-il, déteste Constant. Les comptes rendus des Vendanges de Bourgogne signalent au nombre des convives le banquier Benoît (Bénédict) Fould, dont tout le monde savait les origines confessionnelles. Enfin, il faut bien rappeler que, à propos de ce banquet parisien célèbre, une certaine presse royaliste trouva particulièrement choquante la présence de deux « hommes de couleur ». Le Drapeau blanc cloue ainsi au pilori non seulement les députés qui se sont trouvés à cette « orgie de cabaret », mais encore ceux qui « ont témoigné aux commissaires de ce pique-nique libéral leurs vils regrets de n’avoir pas trinqué avec les mulâtres Fabien et Bissette37 ».

Au cœur des manifestations libérales

30On a vu qu’à partir du printemps 1820, confrontés à un pouvoir qui avait manifestement donné un fort coup de barre à droite, les libéraux de la capitale, comme ceux de province, avaient dû envisager d’autres formes d’action politique que celles auxquelles ils s’étaient à peu près tenus jusqu’alors. Les voies parlementaires semblaient désormais vouées à l’échec face à une majorité royaliste que la loi du double vote devait conforter à l’automne, et où les ultras tenaient une place toujours plus grande. La presse retombait, au moins temporairement, sous le joug de la censure. Dès lors, une partie de la jeunesse libérale parisienne envisagea le passage à la clandestinité et la perspective d’un coup de force, en liaison avec les plus téméraires de l’extrême gauche parlementaire, les Lafayette, Manuel et d’Argenson. La première tentative, le complot du 19 août 1820, fut éventée au dernier moment. Pour s’assurer une meilleure réussite, quelques jeunes gens fondèrent alors, sous le couvert de loges maçonniques d’une orthodoxie douteuse, une vaste organisation clandestine, d’après un modèle ramené d’Italie, de Naples précisément, le carbonarisme.

  • 38 L’article fondateur de Ch. Tilly, « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine (...)

31Mais la tentation du coup d’État ne pouvait concerner qu’une minorité résolue et assez restreinte, jeunes gens des écoles ou du commerce, demi-soldes, officiers ou sous-officiers nostalgiques de l’ancienne armée ; et l’exaspération d’une grande partie des populations citadines devant le tournant réactionnaire que semblait prendre le régime ne demandait qu’à s’exprimer publiquement. Surgissent donc, à partir de l’été 1820, tout un ensemble de formes d’expression publiques, pacifiques, et autant que possible légales, visant à permettre l’expression des sentiments politiques des populations patriotes, et pas seulement de la mince élite censitaire. Pour reprendre le vocabulaire de la sociologie des mouvements sociaux et pour rendre à Charles Tilly la notion dont il est l’inventeur, les libéraux de 1820 ont créé un répertoire spécifique de l’action politique, au sein duquel venaient s’intégrer des formes d’origines diverses, parmi lesquelles le banquet tient une place particulière38.

  • 39 Pour le contexte précis, voir Y. Le Gallo (dir.), Histoire de Brest, p. 210-211.
  • 40 AN BB 30 238. Procureur général de Rennes à garde des Sceaux, 9.08.1820.
  • 41 La Tribune des départements, 13.06.1830.

32Il faut, je crois, considérer comme la matrice de ce répertoire les événements qui se produisirent en Bretagne, spécialement à Brest, dans l’été 1820. Toutes les formes d’occupation expressive de l’espace public y ont été mises à l’épreuve et elles ont été reprises ensuite dans la France entière, comme nous le verrons. La première est l’utilisation politique du charivari, concert discordant donné sous les fenêtres d’un hôte indésirable, plusieurs soirs durant, tant que la foule n’a pu être dispersée, ce qui n’est pas toujours facile : la garde nationale brestoise semble avoir fait preuve d’une particulière mauvaise volonté. Les libéraux brestois avaient mis le procédé au point l’automne précédent, lors de la venue d’une mission, qui dut plier bagage devant la réaction de la jeunesse locale, sans que les autorités interviennent, ce qui fit quelque bruit39. Le charivari fut utilisé par des jeunes gens bien mis à l’encontre du député et procureur général Bourdeau, lors de sa visite à Brest40 ; mais son emploi ultérieur semble avoir été assez restreint. C’est que cette pratique risquait de dégénérer assez facilement et était ressentie comme profondément injurieuse pour sa victime. Elle était donc mal vue des libéraux, même très avancés (en juin 1830, La Tribune expliqua par exemple qu’il s’agissait d’une coutume barbare propre au Centre et au Midi de la France41), car elle ne s’accordait guère avec l’image sereine que les députés libéraux voulaient donner d’eux-mêmes et de leurs partisans. Très fréquente en revanche, la sérénade apparaît comme une sorte de double positif du charivari.

33La sérénade est un hommage rendu à une personnalité de marque, souvent le député libéral de la circonscription, ou un administrateur qui a laissé de bons souvenirs, donnée devant l’hôtel où il loge, la maison où il est descendu ou son propre domicile. Il suffit pour cela du concours de quelques musiciens, souvent des amateurs, parfois la musique de la garde nationale locale. Manifestement il y a volonté, de la part de ceux qui en prennent l’initiative et qui peuvent être peu nombreux, de créer l’événement, de faire en sorte que tout le monde soit au courant, et non pas les seuls électeurs. De la musique, les vivats qui l’accompagnent, la réponse éventuellement faite d’un balcon à la foule de curieux et de sympathisants qui s’est rassemblée, parfois l’illumination de certaines rues : nul en ville ne doit ignorer qu’il se passe quelque chose. Le lendemain, le surlendemain, le jour du marché ou de la foire, les conversations iront bon train et éclaireront tous ceux qui ne lisent pas les journaux et ne sont pas au fait de la situation politique. Il ne s’agit pas de mobiliser les seuls électeurs, mais de s’adresser à l’opinion publique, d’apporter la preuve que le député a bien le soutien de la population tout entière, de manière à faire indirectement pression sur les plus timides, les plus hésitants des électeurs censitaires avant un scrutin, ou même sur les autorités locales. Les risques de trouble à l’ordre public sont minces et les participants ne s’exposent pas à des poursuites. En revanche, une éventuelle intervention des forces de l’ordre susciterait l’indignation.

  • 42 AN BB 30238. Lettre du procureur général Bourdeau, 31.07.1820. Chevaux et voitures sont loués à plu (...)

34Ce qui se produisit à Brest pour la première fois le 6 août 1820 est d’une tout autre envergure et suppose une ville presque entièrement acquise à la cause de l’opposition. Il s’agit d’une réception triomphale, telle qu’on n’en avait réservé jusque-là qu’aux membres de la famille royale. Décrivant les scènes qui ont marqué l’entrée en ville du député Guilhem, « le prince de Brest, puisque c’est ainsi qu’il faut désormais le qualifier », le procureur général Bourdeau s’étrangle d’indignation : « Je m’abstiendrai de toute réflexion sur les scènes dont je viens de rendre compte à votre grandeur, mais il me semble qu’il ne devrait y avoir qu’une puissance dans l’État, et que Brest n’est pas encore une république indépendante. » Guilhem, député depuis 1818, était un négociant et armateur brestois, ancien président du tribunal de commerce, qui avait déjà représenté le département du Finistère, mais dans la chambre des Cent Jours ; ce qui lui valait évidemment la haine des ultras locaux et l’estime des patriotes. Il fut donc attendu à une ou deux lieues des portes de la ville par une garde d’honneur, composée de jeunes cavaliers vêtus de manière uniforme, et par des notables plus âgés venus dans leur voiture42. La séquence se reproduisit souvent dans les années suivantes : après un discours de bienvenue, le cortège – la cavalcade – se constitue et son passage attire nécessairement les habitants des faubourgs. Puis on entre en ville, parfois sous un arc de triomphe improvisé, aux acclamations de la foule et sous le regard des dames à leurs balcons. Comme pour une visite princière, la réception ne saurait être complète sans un grand banquet, en général le lendemain ou le surlendemain ; mais son organisation est rendue plus difficile par la mauvaise volonté des autorités, qui empêche de disposer des salons de l’hôtel de ville ou du théâtre municipal. Il faut donc en général trouver une salle de réception dans les faubourgs. Dans certains cas, lorsque l’enthousiasme a gagné toute la population, le banquet peut être suivi d’un grand bal, de feux d’artifice, voire d’autres réjouissances populaires. Enfin, le jour du départ du député, la garde d’honneur peut se reconstituer pour escorter le voyageur à quelque distance de la ville.

  • 43 Quelques-unes encore au tout début de la monarchie de Juillet. Nous en reparlerons.

35Ces cavalcades, ou entrées en ville triomphales, constituent une forme de manifestation pacifique de l’opinion d’autant moins connue qu’elle avait nécessairement pour cadre une ville de province, et jamais la capitale, beaucoup trop vaste et étroitement surveillée, et qu’elle ne s’est pratiquée que pendant une période extrêmement courte : guère plus d’une douzaine d’années à ma connaissance43. Reste à savoir quelle était la fonction du banquet dans ces festivités et quel sens politique précis il permettait de donner à la réception enthousiaste dont un député de l’opposition faisait l’objet. On pourrait évidemment se contenter de dire, comme Bourdeau, que, « si ce n’est pas là insulter et braver le gouvernement de la manière la plus insolente, j’avoue que toutes mes idées sont fausses », mais je crois que l’examen de quelques situations concrètes permettra de préciser le rapport que les élites urbaines et la population de certaines villes du royaume entretenaient avec le parti libéral dans ces temps où nous n’avons coutume de ne voir que complots et conjurations avortés.

L’hommage de l’Alsace au général Foy44

  • 44 Source principale, le dossier consacré au général, AN F7 6719. Voir aussi P. Leuilliot, L’Alsace au (...)
  • 45 Lequel, au témoignage du procureur général Bourdeau (AN BB 30 238, Rennes, 29.08.1821), voyageait a (...)

36Le général Foy était de ces nouveaux députés indépendants élus à l’automne 1819, qui peut-être avaient été au nombre des convives de l’Arc-en-Ciel, et sans doute membres de la Société des amis de la liberté de la presse, mais qui n’y étaient pas sortis de l’anonymat. Lui, en revanche, fit sensation dès son premier discours à la Chambre, à l’appui d’une pétition d’un capitaine de l’ancienne armée : « Il y a de l’écho en France quand on prononce ici les noms d’honneur et de patrie. » Son éloquence tranchait sur celle de ses collègues par une certaine brutalité, un ton très militaire, un patriotisme à fleur de peau, qui, joints à sa défense retentissante des armées de la Révolution et de l’Empire, lui valurent très vite une exceptionnelle popularité dans le pays. Il avait lutté pied à pied contre la remise en cause de la loi des élections, au printemps 1820, et, avec Manuel, il s’était distingué tout au long de la session suivante, dans la guerre acharnée que se firent libéraux et royalistes. Cependant, contrairement au député de la Vendée45, il semble n’avoir jamais trempé dans aucun complot, et il ne fut pas carbonaro.

37On se doute donc qu’à l’annonce de la venue en Alsace du député de l’Aisne, à l’épilogue de la session parlementaire de 1821, les libéraux alsaciens mirent tout en œuvre pour lui assurer une réception enthousiaste, qui contraste manifestement avec la tiédeur des Lorrains, ou du moins des Messins et Nancéiens, lors de son passage. L’Alsace était alors une place forte du libéralisme : la majorité de ses députés se rattachaient à cette opinion, alors que, dans la nouvelle chambre, les quelque quatre-vingts députés libéraux ne formaient plus qu’une petite minorité, moins du cinquième du total. La région avait été sévèrement éprouvée par le double passage des armées d’invasion, à quoi s’étaient ajoutées trois années d’une occupation très dure au départ. Les bourgeoisies locales et au moins une partie des citadins regrettaient la prospérité impériale, les débouchés qu’elle avait ouverts aux industries régionales, aux cotonnades mulhousiennes notamment, et les carrières administratives et militaires que la mainmise française sur la vallée du Rhin leur avaient offertes.

  • 46 La brochure conservée dans le dossier des Archives nationales précise : « Le 5 septembre, jour anni (...)
  • 47 P. Leuilliot, ibid., p. 289. Peu de détails parce que la réception de Voyer d’Argenson n’est connue (...)

38À Strasbourg, la sérénade lui fut donnée les deux premiers soirs ; le troisième, le maire l’interdit, au prétexte des cris d’« à bas les droits réunis ! » qui auraient été poussés dans la foule. Cela n’empêcha pas cent cinquante à deux cents citoyens notables de lui offrir un grand banquet, le 29 août, veille de son départ pour Colmar. Au nombre de plus de deux cents, les libéraux de la préfecture du Haut-Rhin vinrent l’attendre à une demi-lieue de leurs portes et lui servirent de garde d’honneur jusqu’à son hôtel. Mais il ne fut pas possible de faire davantage, entre autres choses parce que, une fois à l’intérieur de la ville, aux cris d’enthousiasme des jeunes gens et clercs de notaire répondirent ceux de quelques centaines d’artisans, ameutés par le curé Maimbourg pour une contre-manifestation royaliste. Enfin, le 5 septembre, son arrivée à Mulhouse, la « républicaine », comme disaient les royalistes, prit le caractère d’un véritable triomphe46 : il y fit une entrée plus spectaculaire encore que Voyer d’Argenson l’année précédente47, et comme lui se vit offrir un grand banquet, suivi d’un bal : « Afin, nous dit la relation enthousiaste publiée peu après, d’associer aux plaisirs de cette belle journée les dames de Mulhausen, chez qui le patriotisme ennoblit les autres vertus et les charmes qui sont le partage du sexe, le banquet fut suivi d’un bal brillant et nombreux, auquel le général assista jusqu’à la fin. L’illumination de la façade de l’hôtel où se donnait le bal avait attiré presque toute la population de Mulhausen, et la soirée, comme la journée, se passa sans le moindre désordre. »

39Nous avons déjà mentionné des réceptions du même type, notamment l’accueil extraordinaire réservé au député Guilhem par la ville de Brest, sur lequel Le Constitutionnel était resté extrêmement discret. Mais ici, un pas supplémentaire avait été franchi, car donner pareille fête à un député qui ne représentait pas la circonscription, qui n’était en aucune façon alsacien n’allait pas du tout de soi. Les libéraux de Mulhouse, le député Jacques Koechlin en tête, le sentaient si bien qu’ils précisaient dans leur brochure : « Sa qualité de député d’un autre département ne pouvait être un obstacle, c’était au contraire pour les habitants de Mulhausen, comme pour leurs compatriotes du département, un moyen de prouver encore une fois dans cette circonstance qu’ils reconnaissent dans un député le mandataire de la France entière, qu’ils ne savent pas faire de distinction entre le Français des Pyrénées et le Français des rives du Rhin. » Les banquets donnés au général Foy, comme ceux offerts à Manuel au même moment, sont donc un signe de la nationalisation de la vie politique, de l’affirmation de partis, ou du moins de tendances politiques nationales. On commence à entendre crier dans les rues Vive les députés du côté gauche !, ou Vive le côté gauche !, à quoi les contre-manifestants de Colmar rétorquaient Vive le côté droit ! Et il n’a pas été question de convier au banquet strasbourgeois le député monarchiste Renouard de Bussière, ce qui a entraîné l’abstention de ses collègues pourtant invités.

40Quant aux idées et aux revendications politiques des citoyens de Strasbourg et de Mulhouse, les toasts portés aux banquets les éclairent parfaitement. Aucun toast au roi, ni à son auguste famille, on pouvait s’y attendre. Mais il n’y a même pas d’allusion précise à la Charte : manifestement, les participants estiment que la nation est désormais libre de rentrer dans ses droits. À Strasbourg, on porte des toasts « au général Foy, défenseur de nos droits, de nos libertés constitutionnelles ! au côté gauche, aux hommes incorruptibles, aux défenseurs de nos libertés ! » entre autres. À Mulhouse, la première santé est celle du général Foy ; la deuxième, de Voyer d’Argenson, absent ; la troisième, de M. Bignon, absent ; la quatrième, de M. Koechlin ; le cinquième toast est porté à tous les députés défenseurs des libertés publiques ; le sixième, aux citoyens du département qui sont venus embellir la fête ; le septième, aux électeurs du Haut-Rhin, le huitième à l’armée ; et le neuvième et dernier, peut-être pour compenser ce que le précédent aurait pu avoir d’agressif, à l’union des nations qui jouissent du gouvernement représentatif (à cette date, le Royaume-Uni, l’Espagne et, ils l’espèrent, la France... face à la Sainte Alliance). Les cent cinquante convives de Strasbourg, les deux cents de Mulhouse n’étaient sans doute pas tous carbonari, mais, si le pronunciamiento de Belfort avait connu un début de réussite, ils s’y seraient ralliés sans hésiter.

Lyon et les souvenirs

41Beaucoup plus préoccupant, sans doute, pour le pouvoir, le banquet de Lyon, un mois plus tard, le mardi 9 octobre 1821. Pourtant, à en croire le préfet, il n’y aurait pas eu de quoi fouetter un chat, bien au contraire :

  • 48 AN F7 6719, dossier Corcelles. Préfet du Rhône au directeur général Intérieur, 29.10.1821.

« La scène de scandale qui a eu lieu le 9 n’a laissé d’autre effet que de retomber en honte et en ridicule sur le personnage qui en a été l’objet et sur les acteurs qui s’y sont prostitués. On ne pouvait réellement mieux s’y prendre pour se rendre le sujet de la risée publique et achever de perdre toute considération. Sous ce rapport, l’autorité pourrait vraiment se féliciter de cette équipée radicale, qui lui a fait gagner en force tout ce qu’elle a valu en ridicule au parti [libéral, évidemment]48. »

  • 49 On relira encore utilement le t. III de la vieille Histoire de Lyon dirigée par A. Kleinclausz pour (...)

42Dans ces conditions, on se demande bien pourquoi l’administration s’en était autant inquiétée, comme on peut en juger au volume de la correspondance échangée avec Paris. On peut également s’interroger sur le bien-fondé des efforts considérables déployés l’année précédente et d’ailleurs couronnés de succès, pour amener les libéraux lyonnais à renoncer à organiser pareille réception. Comme, d’autre part, les libéraux lyonnais semblent avoir été eux-mêmes très satisfaits de l’événement, qu’ils cherchèrent à immortaliser par une brochure (Fête donnée par les Lyonnais à M. Corcelles) et par une lithographie, il convient d’y regarder d’un peu plus près49.

43L’année précédente en effet, le préfet, le comte de Lezay-Marnésia, et le lieutenant de police de Lyon avaient eu fort à faire au mois d’août pour dissuader les principaux libéraux lyonnais d’organiser une grande réception au député Corcelles.

44Qui était le héros de la fête ? Claude Tircuy de Corcelles, député du Rhône, présentait un profil politique assez singulier, mais qui ne semble pas avoir été unique parmi les nobles libéraux de la Restauration. Né à Gleizé en 1768, il avait en effet émigré sous la Révolution, et même combattu dans les rangs de l’armée de Condé ; mais, en 1799, il était revenu en France, où il était rentré dans la vie privée, sans se rallier à l’Empire. Il sortit de sa retraite en 1814, et, apparemment par patriotisme, vint offrir à Augereau ses services contre l’ennemi qui menaçait Lyon. Colonel de la garde nationale de Lyon pendant les Cent-Jours, il paya son engagement évidemment incongru par deux années d’exil. Jamais il ne les pardonna aux Bourbons : élu député du Rhône en 1819, sa première intervention à la Chambre fut pour demander le retour des bannis. En 1820, il avait pris publiquement position contre les restrictions à la liberté individuelle, qui avaient été votées en réaction à l’assassinat du duc de Berry, et contre la censure de la presse. Proche de Lafayette, il avait trempé dans le complot du 19 août 1820 ; son fils François et lui étaient, à l’automne 1821, profondément impliqués dans les projets d’insurrection des carbonari. Les libéraux lyonnais ne le savaient pas tous ; mais qu’il s’agît d’un opposant parfaitement irréconciliable ne faisait aucun doute pour personne.

45L’accueil de Lyon à son député devait ne le céder en rien au triomphe que Mulhouse venait de faire au général Foy. Il était prévu qu’il fasse une entrée en ville par la porte de Vaise et qu’il se rende, dans une calèche précédée de nombreux cavaliers, et devant une foule qu’on espérait considérable, jusqu’à la place des Terreaux, face à l’hôtel de ville, au cœur de la cité. C’est là que le banquet lui serait offert, dans la grande salle de l’hôtel du Nord. À la sortie, on s’en irait, toujours en cortège, jusqu’au jardin des Montagnes françaises, situé de l’autre côté du Rhône, aux Brotteaux. Là on tirerait un feu d’artifice. Ceci dit, toutes les précautions avaient été prises par les organisateurs de la fête afin que tout, pendant le banquet, se passe sans le moindre incident et pour ne donner aucune prise à la suspicion. Autant qu’à Corcelles, caractère emporté et suspect d’extrémisme, le banquet était donné aux mânes de Camille Jordan, député de l’Ain, mort l’année précédente. Celui-ci, l’un des grands orateurs du « côté gauche », comme on disait alors, avait été aussi indiscutablement royaliste que fermement libéral. Rendre hommage à sa mémoire devait permettre d’attirer des électeurs modérés et rendrait plus difficile tout débordement. Le lieu choisi l’avait été aussi par souci de respectabilité et de transparence :

  • 50 AN F7 6719, dossier Corcelles, lettre du 9.10.1821.

« Le grand dîner […] devait avoir lieu dans la commune de La Guillotière, mais en y réfléchissant, les convives ont craint que cet éloignement ne donnât lieu à d’injustes préventions et ne fournît même des armes à la calomnie. Pour éviter cet inconvénient, ils ont jugé plus à propos de venir au contraire se placer sous les ailes de l’autorité, de se rendre en quelque sorte visibles aux regards de la plus scrupuleuse investigation. […] Les souscripteurs animés d’un esprit d’ordre ont tracé quelques dispositions réglementaires. Voici les principales […] le dîner ne durera que deux heures. Il n’y aura qu’une seule sorte de vin. De 20 en 20 places, il y aura un commissaire, lequel sera choisi parmi les doyens de la réunion. Immédiatement après, on se rendra aux Montagnes françaises, qui donneront les jeux ordinaires et un feu d’artifice. Si la malveillance profitait de cet événement pour troubler la réunion, ou si quelques cris, insinuations ou propos perfides se faisaient entendre près d’elle, tous ceux qui la composent s’empresseront de livrer le coupable aux autorités50. »

46Il ne se produisit pas de véritable incident, ni avant, ni après, ni surtout pendant le repas, à ceci près que, en dépit des suggestions discrètes mais insistantes venues des pouvoirs publics, personne n’y porta la santé du roi ; les toasts furent réservés à la mémoire de Camille Jordan, à celle d’un avocat libéral, et au « brave député Corcelles ». Mais il y eut foule. Peut-être pas à l’entrée dans Lyon, où l’honorable député fut accueilli par une brillante députation du commerce lyonnais et où un individu plaça une couronne de chêne sur sa tête avant que son cortège ne traverse la ville pour se rendre au lieu du banquet ; mais certainement le soir, aux Brotteaux, où avait été préparé un arc de triomphe orné d’un transparent à la gloire du « député fidèle ». Plusieurs milliers de personnes se pressaient sur le pont Morand et dans le jardin des Montagnes françaises, où l’on tira quantité de boîtes et le feu d’artifice prévu. Des cris fusèrent parmi la multitude : « Vive l’indépendance, vive la liberté, vive les libéraux », mais aussi « À bas la noblesse, à bas le clergé ! » La foule, dont une partie avait raccompagné Corcelles en ville, ne se dissipa que vers onze heures du soir ; les autorités étaient sur les dents, craignant le pire, un assaut à l’hôtel de ville peut-être.

47Puisque, en définitive, il ne s’était rien passé, une fois la frayeur dissipée, il fallait en tirer des leçons politiques. Ce que les autorités du département du Rhône s’abstinrent sagement de faire, semble-t-il. On envisagea des poursuites contre la brochure publiée par les libéraux, avant d’y renoncer prudemment et de se contenter de propos furibonds. Car les implications politiques de tout ceci pouvaient échapper au ministère de l’Intérieur, pourvu qu’il ne soit pas trop au fait de l’histoire de la ville, ni très attentif aux événements récents. D’abord, à la différence de l’année précédente, l’administration n’avait pas réussi à dissuader les principaux libéraux lyonnais d’organiser cette fête, qui évoque irrésistiblement, comme celle de Mulhouse, un mois plus tôt, ou l’entrée à Brest de Guilhem, deux années auparavant, les honneurs normalement rendus à un monarque, ou du moins à un prince de la famille royale. Et si elle n’y avait pas réussi, c’était parce que les libéraux lyonnais et Corcelles tenaient à donner à l’opinion une autre image de leur ville que celle que le préfet avait pu imposer un mois plus tôt : le 29 septembre 1821, en effet, les autorités avaient transféré en grande pompe les restes de M. de Précy à la pyramide funéraire des Brotteaux, élevée sur le lieu des massacres de 1793. Les hommages officiels rendus au chef militaire (royaliste) de la résistance lyonnaise aux troupes de la Convention permettaient de faire jouer en faveur de la dynastie les souvenirs horrifiés de la population locale, et on escomptait rallier ainsi les descendants d’une bourgeoisie qui avait été beaucoup plus girondine que royaliste, trente ans plus tôt.

48La manœuvre devait être par trop grossière et suscita en guise de riposte, de contre-manifestation la réception faite à de Corcelles. Et pour que les choses fussent parfaitement claires, pour que le choix de la bourgeoisie libérale lyonnaise, si on l’obligeait vraiment à opter entre l’Ancien Régime et la Révolution, même dans sa phase terroriste, ne fût pas douteux, la date choisie pour fêter le député libéral et les mânes de Camille Jordan était, comme le relevait, furibond, à l’intention du ministre un jeune aristocrate lyonnais resté prudemment anonyme, le 7 octobre, soit l’anniversaire de l’entrée de Dubois-Crancé dans Lyon, à la tête des troupes de la Convention. Plutôt la tyrannie de Paris, plutôt la République que le retour à l’Ancien Régime : si l’on pouvait un peu se douter que ce serait le choix de la « canaille », que ce fût aussi le choix des élites du commerce lyonnais était pour le régime un signe fort inquiétant.

Épilogue : les insolences de Jacques Laffitte

  • 51 J. Pontet (dir.) Histoire de Bayonne, p. 238-244.
  • 52 AN F 7 6719, dossier Basterrèche.
  • 53 P. Thureau-Dangin, Le parti libéral…, p. 188-192.

49Comme Brest, comme Mulhouse, comme Grenoble ou comme Lyon, la ville de Bayonne était alors une des citadelles du libéralisme51. En 1814, elle avait résisté pendant près de deux mois aux armées anglo-espagnoles et elle ne s’était ralliée aux Bourbons qu’en mai, bien après Bordeaux et sans le moindre enthousiasme. Rien d’étonnant à ce que le régime lui ait préféré Pau, la préfecture, plus conservatrice, et où les intérêts fonciers pesaient d’un grand poids. Et rien de surprenant non plus à ce que cette ville dynamique démographiquement et économiquement, où il était difficile aux autorités de trouver un maire, entre autres choses parce que les négociants étaient fort occupés de leurs affaires, ait élu un député indépendant, le banquier Basterrèche, dès 1818. À en croire les rapports qui ont été conservés, la jeunesse libérale de l’endroit semble avoir débordé d’activité52 : elle avait projeté, en septembre 1820, une cavalcade et une sérénade pour le retour de son député ; l’année suivante, à la fin de l’été, on donna une sérénade devant son hôtel, ce qui inquiéta les autorités (il y eut des cris de Vive le député libéral ! Vive le côté gauche ! Vive le Roi et la Charte !) puis un banquet de soixante couverts, que le préfet commentait avec détachement (« La décence et le bon ordre ont présidé à la fête »). Enfin, en mars 1824, « un grand nombre de jeunes gens, la plupart commis dans des maisons de commerce » donnèrent au fils du député, en l’absence de ce dernier, un banquet de 84 couverts ; en remerciement, celui-ci assura que « son père connaissait les obligations qui lui étaient imposées, qu’il remplirait son mandat de la manière la plus utile à ses concitoyens ». La précision était en effet utile, car les récentes élections à la Chambre des députés avaient été désastreuses53. Le général Lamarque écrivait : « Ces élections sont un nouveau Waterloo » : quatre vingt-onze députés libéraux sortant battus, parmi lesquels Lafayette, Laffitte, Chauvelin, Voyer d’Argenson, Manuel, Étienne, Kératry, les généraux Tarayre et Demarsay… Basterrèche figurait, avec Casimir Perier, le général Foy, Benjamin Constant et Dupont de l’Eure, dans la quinzaine de rescapés. Vu le tout petit nombre de députés libéraux qui subsistaient dans cette « Chambre retrouvée », il valait en effet la peine que ses futurs électeurs lui témoignent leur confiance et l’incitent à tout faire pour qu’il puisse à l’avenir postuler aux honneurs réservés aux « députés fidèles ».

  • 54 AN BB 18 1115. Correspondance adressée au ministre de la Justice, septembre-novembre 1824.

50C’est dans ces circonstances que, six mois plus tard, le 19 septembre 1824, la jeunesse libérale de Bayonne organisa un banquet en l’honneur du banquier Jacques Laffitte. À défaut d’être député du département, ni même désormais député tout court, cette personnalité libérale majeure était un enfant du pays, fils d’un charpentier du port. Il visitait sa ville natale avant de se rendre aux eaux de Bagnères ; cetait donc une occasion à ne pas manquer. Le dîner devant avoir lieu à Biarritz toute proche, une cinquantaine de jeunes gens à cheval se formèrent en haie d’honneur le matin à la porte de la cité, puis escortèrent la voiture de Laffitte jusqu’à la ville voisine. Celui-ci, splendide, leur offrit en définitive le repas. On porta trois toasts pendant le banquet ; le premier, à Charles X ; le deuxième « à la réunion du banquet » ; le troisième, à la Charte et à la liberté. Les convenances n’étaient-elles pas respectées ? Certes, comme le démontrerait à lui seul le troisième toast, il s’agissait d’une réunion libérale et les participants semblent avoir voulu la pérenniser en fondant dans les semaines suivantes une « société Laffitte » ou « société libérale Laffitte », avec d’ailleurs la bénédiction du banquier, qui leur aurait promis son buste pour « décorer la principale salle de leur réunion ». Mais, puisque le toast au roi a été porté, le loyalisme monarchique des participants ne paraît pas en cause54.

  • 55 Rapport officieux au baron Mounier, 24.01.1821, cité par E. Fureix, Mort et politique à Paris…, p.  (...)

51Or les autorités locales s’étranglent d’indignation, tout en restant impuissantes. Elles ont été scandalisées par ce repas, par les cris de Vive Laffitte ! poussés à tue-tête par l’escorte à son retour en ville au milieu d’une foule considérable, où quelques personnes auraient rétorqué Vive le Roi ! En effet, dit le procureur général de Pau, les auteurs de cette manifestation sont « fortement blâmables, à raison des circonstances qui faisaient contraster leur bruyante gaieté avec la douleur publique […]. C’était le moment où l’on était le plus affligé de la perte qu’on venait de faire et le sentiment des convenances suffisait pour déterminer le renvoi de cette fête à un autre jour ». Car cetait le jour où tous les Français avaient, ou auraient dû avoir la peine au cœur, le jour où l’on annonçait officiellement à Bayonne la mort de celui qu’ils devaient considérer comme leur père, le roi Louis XVIII. Je ne crois pas que quiconque puisse sérieusement plaider la pure coïncidence, surtout venant d’un personnage comme Laffitte. En tant que banquier dont les affaires requéraient de se tenir constamment au courant de l’actualité politique et financière, il était forcément, et même en voyage, un des hommes les mieux informés de France : il avait certainement été averti du décès du souverain aussi vite, sinon plus vite que le sous-préfet de Bayonne. C’était lui aussi qui, à Paris, trois années plus tôt, avait eu « l’audace de choisir le 21 janvier pour donner un bal où deux mille personnes ont été invitées55 ». On dansait chez Laffitte le jour où la France officielle commémorait le souvenir du « roi-martyr » ; il payait aux jeunes gens du commerce de Bayonne un banquet le jour où la France entière était censée plonger dans le deuil et l’affliction... Comment manifester plus clairement, mais sans un mot, ses sentiments à l’égard des Bourbons, des assassins de son gendre, le maréchal Ney ? Et que pouvaient bien faire les autorités face à cette insolence muette ?

Notes

1 A. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. VI, p. 18-19 (poursuite de Lafayette), p. 35 (pilori de Metz) et p. 40-41 (supplice de Vallé) ; H. Dutasta, Le capitaine Vallé.

2 Consulter principalement le livre d’Alan B. Spitzer, Old Hatred and Young Hopes, et les réflexions de P.-A. Lambert, La Charbonnerie française, 1821-1823. Du secret en politique.

3 A. Corbin, Le temps, le désir…, p. 53-79.

4 Le Carpentier mourut en prison. S. Luzzatto, Mémoire de la Terreur, p. 125.

5 L. Desternes et G. Galland, « La réaction royaliste en Touraine... », p. 60. Émettre ainsi le souhait du retour de Napoléon valait bien cela, puisque l’année suivante un enfant de quatorze ans fut guillotiné pour avoir simplement menacé le curé de son village, lors de la tentative de soulèvement du Lyonnais.

6 A. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. V, p. 355 et suiv.

7 AN BB 30 238, procureur général de Riom au garde des Sceaux, 14.09.1820.

8 AN F7 6876. Copie de la réponse du ministre au préfet de l’Isère, juillet 1817.

9 AN F7 6719. Dossier C. Perier. Lettres du préfet de l’Aube à Intérieur, 20.11, et 1.12.1829. Gendarmerie de l’Aube, 3.12.1829.

10 On s’était aussi réuni chez le baron Méchin, le baron de Staël, le marquis de Voyer d’Argenson. Cf. le Procès de la société dite les Amis de la liberté de la presse (BN Lb 48 1397).

11 La Minerve française, t. VIII, p. 48 (04.11.1 819).

12 A. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. V, p. 57-60.

13 Le Constitutionnel, 6.02.1820.

14 AN F7 6720, dos. 6, lettre du sous-préfet de Charolles à préfecture de S.-et-L, 27.08.1821.

15 La seule liste que j’aie repérée concerne le banquet donné à B. Constant, le 10 octobre 1829, à Strasbourg. Elle compte une centaine de noms, avec profession et appartenance confessionnelle, et se trouve aux Archives nationales, F7 6719. Le préfet précise au ministre : « Elle est complète à dix noms près que je n’ai pu avoir. »

16 AN F7 6767, banquet à Cunin-Gridaine, Sedan, 24.08.1828. En dépit des espoirs du préfet, il y eut un deuxième banquet l’année suivante.

17 La presse de gauche rend compte assez souvent de meetings tenus outre-Manche, et ne manque pas d’en tirer argument en faveur du droit de réunion en France. Ainsi Le Courrier de Bayonne et de la péninsule du 16 mars 1830 rapporte-t-il un meeting récent de marchands et de manufacturiers à Manchester sous ce titre fulgurant : « Comment on conspire légalement en Angleterre ».

18 Le Censeur européen, t. VIII, p. 402, à propos du repas du 6 juillet 1818, à Grenoble.

19 AN F7 6720, dossier Degouve de Nuncques, janvier 1830.

20 AN F7 6920. Gendarmerie de Loches, rapport du 6.10.1829, à propos du banquet du dimanche 4 octobre. Préfet Indre-et-Loire à Intérieur, 11.10.1829.

21 Au banquet offert au « Héros des deux mondes », le 29 juillet 1829, un nommé Daubrée, « jeune industriel arrivé récemment dans l’arrondissement d’Issoire », commence ainsi : « Messieurs, assis pour la première fois dans un banquet civique, assis pour la première fois au milieu de vous, animé du vif désir de devenir votre concitoyen, je réclame votre indulgence, celle qu’on accorde aux nouveaux venus […] » ; puis il lève son verre « Au général Lafayette ! », La Tribune des départements (9.08.1829).

22 AN F7 3874, bulletin de Paris, banquet du Mont-Thabor, 6.02.1820 : « Dans quelques groupes on a tenu les propos les plus injurieux contre le roi et les princes de sa famille. Il n’existe aucun moyen de les constater juridiquement, mais ils font connaître les véritables sentiments des mécontens qui formaient cette réunion. »

23 On verra plus loin que le patron des Vendanges de Bourgogne était fort opportunément malade lors du banquet des artilleurs de la garde nationale du 9 mai 1831 ; quant aux garçons, ils ne reconnaissent personne, d’après La Gazette des tribunaux (16.06.1831).

24 Un exemple très clair est le procès intenté par l’administration préfectorale à La Sentinelle des Deux-Sèvres, après le banquet de Niort, le 6 octobre 1829 (AN BB 18 1175). On ne poursuit pas les auteurs des discours et des chansons, mais les journalistes qui les ont publiés. Ceci dit, les tribunaux manquent souvent d’empressement à condamner, et le retour des emprisonnés, en mai 1830, tourna au cauchemar pour l’administration, puisque la population de la ville leur fit un triomphe !

25 C’est ce que propose par exemple le préfet du Finistère à l’encontre du maire de Châteaulin, « ultra-libéral », et de son adjoint, directeur des Postes, qui ont assisté au banquet donné au député Guilhem à Quimper (AN BB 30 238, lettre du 19.09.1820 à Intérieur). De telles sanctions sont fréquentes.

26 Cf. la Biobibliographie de cet auteur, par L. de La Sicotière, en préface à A. Du Chatellier, Un essai de socialisme... Son nom apparaît en effet dans des rapports officiels (AN BB 30 238, administration des douanes à garde des Sceaux, 17.09.1820.)

27 Un exemple pittoresque : le maire de Vizille et son adjoint furent destitués par le ministre de l’Intérieur pour avoir pris part aux honneurs décernés à Lafayette, et « le soir, un nombreux banquet leur a été offert par les habitans et une brillante sérénade a été donnée sous leur fenêtre ». Le préfet ne trouve aucun remplaçant au sein du conseil, un vieux conseiller se dérobant poliment, lui aussi y a participé... AN F7 6720, dos. Lafayette. Copie du Précurseur, 23.09.1829.

28 Mémorial de Toulouse, cité dans La Gazette de France du 11.05.1830.

29 AN F7 6718, dos. 24. Banquet à Vitré, 24.10.1829 ; AN F7 6740, Aveyron, gend. 12.07.1830.

30 AN F7 6741, cabinet du préfet du Tarn-et-Garonne, (5) avril 1830 ; AN F7 6767, dos. C. Perier, préfet de l’Aube à Intérieur, 29.11.1829.

31 AN F7 6717, dos. B. Constant, préfet du Bas-Rhin, 11.10.1829.

32 AN F7 6720, dos. 6, 27.08.1821. Selon le sous-préfet de Charolles, au banquet offert au député Humblot-Conté, « ne parurent pas plusieurs personnes d’opinions et de principes non moins exaltés mais qui avaient annoncé hautement qu’ils ne s’assoiraient point à une table où se voyaient divers individus tenant par leurs habitudes et leurs professions aux derniers rangs de la société ».

33 AN F7 6718, dos. 24. Préfet d’Ille-et-Villaine à Intérieur, 27.10.1829. Ou encore à Limoges, à propos d’une fête donnée en l’honneur du député Bourdeau (AN BB 18 1150, 5.01.1827), le procureur général prétend que « le héros de la cérémonie s’en serait dit-on bien passé. Le ridicule la frappa d’ailleurs aussitôt car les comédiens, dignes approbateurs d’une fête rivale, déclarèrent dans une affiche imprimée qu’il y aurait ce jour-là relâche au théâtre, à raison de cette auguste assemblée. Depuis les assistants sont nommés les Augustes ». Il explique ensuite qu’une partie des commissaires auraient essayé de supprimer dans les toasts envisagés les mots roi, légitimité et dévouement.

34 Par exemple, dans un banquet à Vernoux : « M. Boissy d’Anglas s’est montré réservé et peu communicatif, il a quitté la table et la société dès que les convenances le lui ont permis », AN F7 6719. Préfet de l’Ardèche à Intérieur (23.09.1829).

35 Le député breton de Lariboisière était un royaliste constitutionnel, qui insista dans ce banquet pour porter un toast au roi, mais qui vota cinq mois plus tard l’adresse des 221. Manifestement, comme beaucoup d’anciens fédérés bretons, les convives étaient plus à gauche.

36 Le Journal du commerce (futur Le Constitutionnel), 19.05.1818. Ce n’est pas une incidente, mais la conclusion du Premier-Paris, grand éditorial sur la situation politique, qui revient sur le banquet de l’Arc-en-Ciel, quinze jours plus tôt.

37 Le Drapeau blanc, 6.04.1830.

38 L’article fondateur de Ch. Tilly, « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne… », demeure extrêmement stimulant, en dépit des réserves que l’on peut émettre sur le tableau qu’il ébaucha dans cet article, ensuite développé dans La France conteste. Sur celles-ci, je me permets de renvoyer à mes Chemins de la manifestation.

39 Pour le contexte précis, voir Y. Le Gallo (dir.), Histoire de Brest, p. 210-211.

40 AN BB 30 238. Procureur général de Rennes à garde des Sceaux, 9.08.1820.

41 La Tribune des départements, 13.06.1830.

42 AN BB 30238. Lettre du procureur général Bourdeau, 31.07.1820. Chevaux et voitures sont loués à plusieurs lieues à la ronde pour aller au-devant de lui.

43 Quelques-unes encore au tout début de la monarchie de Juillet. Nous en reparlerons.

44 Source principale, le dossier consacré au général, AN F7 6719. Voir aussi P. Leuilliot, L’Alsace au début du xixe siècle…, t. I, Vie politique, passim. Sur le séjour du général Foy, p. 302-305.

45 Lequel, au témoignage du procureur général Bourdeau (AN BB 30 238, Rennes, 29.08.1821), voyageait au même moment « dans la Vendée et l’Anjou ; il a été accueilli par des fêtes à Angers où on lui a donné un dîner de deux cents couverts. Nantes où il est annoncé lui prépare une réception fort libérale que les autorités semblent fort peu disposées à tolérer. M. le lieutenant général Despinois est, dit-on, résolu à troubler le festin ; je ne serais point étonné quand il y aurait, comme à Bordeaux, du scandale ».

46 La brochure conservée dans le dossier des Archives nationales précise : « Le 5 septembre, jour anniversaire d’un triomphe de la liberté sur l’oligarchie, triomphe éphémère à la vérité, était, par un heureux hasard, le jour convenu pour cette fête. » Le 5 septembre 1816, le roi avait dissous la Chambre introuvable, montrant sa volonté de mettre fin à la Terreur blanche. Le lecteur sait déjà ce qu’il faut penser de cette sorte de hasard heureux.

47 P. Leuilliot, ibid., p. 289. Peu de détails parce que la réception de Voyer d’Argenson n’est connue que par les relations officielles, la presse étant alors censurée.

48 AN F7 6719, dossier Corcelles. Préfet du Rhône au directeur général Intérieur, 29.10.1821.

49 On relira encore utilement le t. III de la vieille Histoire de Lyon dirigée par A. Kleinclausz pour reconstituer le contexte. Voir aussi G. Ribe, L’opinion publique et les partis à Lyon…, p. 309-310.

50 AN F7 6719, dossier Corcelles, lettre du 9.10.1821.

51 J. Pontet (dir.) Histoire de Bayonne, p. 238-244.

52 AN F 7 6719, dossier Basterrèche.

53 P. Thureau-Dangin, Le parti libéral…, p. 188-192.

54 AN BB 18 1115. Correspondance adressée au ministre de la Justice, septembre-novembre 1824.

55 Rapport officieux au baron Mounier, 24.01.1821, cité par E. Fureix, Mort et politique à Paris…, p. 313.

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