1Afin d’élargir le répertoire des symboles liés aux institutions de la République, ce bref exposé présente un ensemble mobilier commandé en 1945 par le Mobilier national pour la Direction générale des arts et des lettres.

2C’est dans le contexte de l’immédiat après-guerre qu’est passée la commande pour la salle de commissions de la Direction générale des arts et des lettres. Celle-ci, créée le 20 novembre 1944, dépend du ministère de l’Éducation nationale et est héritière de la Direction des Beaux-Arts. Elle est installée dans l’hôtel Kinsky, au 53 rue Saint-Dominique dans le 7^e arrondissement de Paris. Un important programme de décors mobiliers est alors lancé par le Mobilier national (qui dépend de cette direction) pour cet immeuble : d’une part pour le cabinet de travail du Directeur, Jacques Jaujard, et d’autre part pour la salle de commissions.

3Cette dernière commande est celle que nous présentons ici ; elle est destinée à « une vaste pièce du rez-de-chaussée décorée à la fin du xix^e siècle de stucs, de boiseries, de colonnes cannelées de style Louis XV11 ». Après l’ère troublée de l’Occupation, dans quelle mesure cet ensemble, par son iconographie liée à une nouvelle institution et au moment où il est commandé, manifeste-t-il un renouveau républicain ?

4Georges Goetz, qui reçoit la commande, est né à Paris en 1910 et décédé en 2001. Ce décorateur, formé à l’École Boulle, a reçu une médaille d’or à l’Exposition internationale de Paris en 1937, puis s’est établi à son compte à la Libération. Le Mobilier national lui confie alors plusieurs projets, dont celui-ci en août 1945.

5Il conçoit pour cette salle un ensemble dont le matériau modeste, le chêne, est complété par des tapisseries d’Aubusson. Il se compose de trois grandes tables, aux piètements ornés d’entretoises et d’appliques de bronze, dont les plateaux, de forme cintrée, sont marquetés de chêne à décor de chevrons ; autour de ce mobilier s’articule un ensemble de deux fauteuils et de trente-deux chaises aux lignes classiques en chêne décoloré. Les dossiers et les assises en tapisserie d’Aubusson, d’après des cartons de Georges Goetz également, ont été tissés par la manufacture Pinton en 1946.

6Ces sièges sont garnis en tapisserie couleur lie de vin ; chaque dossier est différent et présente un emblème sur un fond végétal (il s’agit de branches de diverses essences d’arbres). Un courrier de Georges Goetz adressé en juillet 1945 à Georges Fontaine, administrateur général du Mobilier national, témoigne de leur réflexion commune afin de définir le thème des modèles : « Je vous serai très reconnaissant de bien vouloir […] me convoquer afin que nous mettions au point la question des tapisseries de sièges. C’est un travail assez long, et auquel je voudrais apporter tous mes soins, étant donné l’importance de son rôle décoratif dans l’ensemble. Il nous faudra en déterminer le thème, et ce n’est pas si commode, le répertoire classique étant dépassé par le nombre ! (saisons, mois, muses, vertus cardinales, etc.), et nous arrêter sur une tonalité générale. Je vous soumettrai des maquettes qui serviront de base de discussion2 . »

7Cette recherche aboutit finalement à un recueil d’images adapté aux fonctions de cette institution de la République et va donc au-delà de l’aspect décoratif initialement envisagé par l’artiste comme en témoigne son courrier. En effet, le choix se porte pour les deux fauteuils sur des allégories de l’Artiste et de l’Ecrivain qui symbolisent particulièrement la Direction générale des arts et des lettres. Tandis que, sur les dossiers des trente-deux chaises, les emblèmes sont attachés aux missions et aux collections des divers services qui composent cette administration. Ceux-ci se répartissent entre « cinq directions : une direction des Arts plastiques, une direction des Musées de France, une direction des Bibliothèques et de la Lecture publique, une direction des Archives de France, une direction des Spectacles et de la Musique3 ».

8Ces Directions sont illustrées par ces emblèmes. Si certains ne sont pas toujours d’emblée éloquents, ils illustrent bien pour la plupart les services auxquels ils sont liés.

9Entre autres, le textile (fig. 1), le métal, la peinture, la sculpture représentent la Direction des arts plastiques. Archéologie gréco-romaine, archéologie médiévale (fig. 2) sont associées aux collections et donc à la Direction des musées de France. La gravure et la presse (fig. 3) évoquent la Direction des bibliothèques et de la lecture publique. La photographie (fig. 4), le papyrus, la reliure sont relatifs à la Direction des archives de France. Enfin, les emblèmes de la musique profane (fig. 5), la musique sacrée, le théátre, la danse et le cinéma sont choisis pour la Direction des spectacles et de la musique.

10Si ces emblèmes ne comportent pas de symboles républicains au sens strict, tels que le monogramme RF, la nature de la commande, à l’orée de la IV^e République, son programme et sa destination désignent le retour de la République. D’une part, ces trente-quatre représentations soulignent l’importance d’une administration mise en place récemment dans une période de renouveau des valeurs républicaines et définissent de manière symbolique le champ des activités que recouvre cette institution. D’autre part, puisque nous évoquons un territoire de signes, ces emblèmes sont les signes d’une République protectrice des arts qui les encourage et les diffuse dans la nation.

11Dans les années de cet immédiat après-guerre, d’autres ensembles de sièges sont conçus dans ce même esprit d’iconographie conditionnée par les fonctions du dépositaire. Le Mobilier national s’inscrit alors dans une importante politique de décoration. Cet ensemble dessiné pour la salle de commissions est néanmoins singulier au sein des collections du Mobilier national : il rompt avec l’habitude des commandes d’œuvres aux thèmes neutres, des commandes élaborées pour que les objets s’adaptent à tous les types de décors. Georges Goetz propose en quelque sorte de nouveaux emblèmes qui n’ont certes pas créé un précédent mais qui sont étroitement liés à la nouvelle organisation de la Direction générale des arts et des lettres, embryon du futur ministère d’État des Affaires culturelles mis en place en 19594.