1La représentation architecturale du pouvoir politique a toujours revêtu une forme d’évidence : absolutisme, république, capitalisme ou régimes autoritaires. De nombreuses formes d’organisations politiques, si ce ne sont toutes, ont produit des lieux de pouvoir remarquables1. À la fois illustration et instrument des systèmes de domination, cette architecture institutionnelle est le plus souvent exceptionnelle et démonstrative. Au-delà d’une étude des signes et symboles politiques, cette étude envisage l’architecture même des édifices de pouvoir comme étant représentative du système politique qui les produit. Elle suit en ce sens l’invitation de Robert Badinter à une étude analytique de l’architecture des palais de justice :

Si les principes [du droit] sont affirmés dans les codes et les jugements, ils vont s’exprimer dans des formes plus immédiatement accessibles aux justiciables et plus visibles dans la cité : il existe une lecture à pierres ouvertes des palais de justice2.

2Dans la perspective d’une étude des représentations contemporaines de la République française, nous allons considérer les Hôtels de région ou sièges des conseils régionaux dont la conception a commencé au début des années 19803. Issus des processus de décentralisation, ces édifices témoignent des mutations des représentations politiques au sein d’un même cadre démocratique et républicain. Or, sachant que « la représentation de l’espace servirait toujours une stratégie, étant à la fois concrète, pensée et voulue, c’est-à-dire projetée4 », l’architecture participe activement aux processus de légitimation politique en accueillant et en exprimant de nombreux rites d’institution. On peut donc considérer l’étude des productions architecturales, issues de la décentralisation, comme un révélateur des conceptions politiques et culturelles de la République française à la fin du xx^e siècle et penser l’histoire de l’architecture comme une histoire des mentalités.

De l’architecture institutionnelle aux architectures de l’institution

3Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les lois Defferre de 1982, la formation de l’idée d’une entité politique régionale est un processus lent, parfois bousculé – notamment par le référendum de 1969 – mais relativement continu. Cette période est marquée par l’incertitude planant sur les différents programmes régionaux mis en place5. Pendant longtemps, les régions n’ont maîtrisé ni le contenu, ni les contours de leurs actions, recevant leurs attributions au gré des alternances gouvernementales. Avant 1982, l’histoire des édifices abritant les services des collectivités territoriales régionales est minime : la région n’étant constituée que d’une commission, celle-ci est toujours domiciliée à la préfecture de région.

4C’est avec la loi du 2 mars 1982 que les régions prennent leur indépendance, tant de la tutelle de l’État que des locaux de la préfecture de région. Étant très rapidement appelées à croître considérablement, les institutions régionales investissent précipitamment des édifices ayant pour la plupart un caractère temporaire, banal et peu représentatif6. À tel point que Jacques Baguenard, commentant la dynamique de la décentralisation, utilise cette métaphore d’une architecture indéterminée :

Il est vrai que, le mouvement l’emportant sur l’ordre, le souffle décentralisateur se développe, pragmatiquement, sans architecture préétablie, sans réflexions préalables sur les conséquences institutionnelles et financières du mouvement7.

5Pour mieux comprendre cette faiblesse originelle, observons les statuts et les définitions usuelles de ces nouveaux lieux de pouvoir républicain. Le seul élément légal fixant le cadre de création des Hôtels de région étant l’article : « Le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région8 », les collectivités locales ont toute liberté d’initiative et toute indépendance pour édifier les sièges des conseils régionaux9.

6Cependant, il existe de nombreux repères et modèles d’une architecture institutionnelle et républicaine. Issues en grande partie de la Révolution française, les institutions politiques, que sont les gouvernements, départements et communes, sont incarnées sur le territoire par des édifices appelés ministères, préfectures et mairies. Les définitions mêmes de ces constructions sont explicitement architecturales. Ainsi, mairie : « Édifice où se trouvent le bureau du maire, les services de l’administration municipale et où siège habituellement le conseil municipal » ; préfecture : « Immeuble dans lequel sont installés les services de l’administration préfectorale » ; ministère : « Ensemble des locaux qui abritent les services du ministère. » Pour le Conseil régional, le processus métonymique n’est pas consacré puisque sa définition indique seulement : « Assemblée délibérante composée de membres élus dans chaque région10 ». Ainsi, l’omission du sens relatif au bâtiment et l’absence de l’idiome « Hôtel de région » dans les dictionnaires sont symptomatiques d’un manque de reconnaissance de l’institution régionale.

7Au sein des désignations usuelles du siège des conseils régionaux, on constate qu’il règne aussi une certaine incertitude puisque cinq appellations différentes s’opposent. Il s’agit de : maison régionale (1), cité administrative (1), région (3), conseil régional (8) et hôtel de région (13).

8Maison régionale renvoie à un espace domestique et accueillant, de petite échelle. C’est une dénomination qui utilise implicitement la famille comme valeur républicaine et que l’on peut rapprocher des discours régionalistes de la petite patrie. C’est aussi généralement le nom des antennes locales des régions dans les départements, à Paris ou à l’étranger.

9Cité administrative évoque un dispositif urbain et ouvert, une agora composée d’une multitude de services de l’administration. Tout en attestant le caractère bureaucratique important de l’exercice du pouvoir, cette appellation se veut le vecteur d’une démocratie originelle : une citoyenneté en ville, s’épanouissant dans l’espace public.

10Région est une sorte de double métonymie. Elle postule l’assimilation d’une entité politique (le conseil régional) avec un territoire (la circonscription) ; puis son incarnation dans un édifice désigné par le même mot. Un raccourci qui, à défaut de rendre intelligible l’organisation politique de la décentralisation, suggère par sa simplification un propos identitaire plus fort.

11Conseil régional fonctionne comme les désignations mairie, préfecture et ministère. Ces appellations qualifient avant tout des fonctions, des responsabilités publiques. Au fil du temps, ces charges ont aussi désigné les administrations qui en dépendent et ont fini par indiquer la ville et le bâtiment où siège cette fonction. Il faut néanmoins remarquer que l’appellation conseil régional fonctionne sans repères architecturaux et typologiques semblables à ses prestigieux aînés11.

12Hôtel de région comble cette lacune en s’appuyant sur l’appellation hôtel de ville. L’hôtel, « grand édifice destiné à une administration, à un organisme public », constitue un repère typologique et architectural important qui recouvre à la fois les hôtels de ville issus de premières indépendances communales, les édifices réalisés au tournant de l’Ancien Régime, mais aussi les hôtels particuliers parisiens dont un nombre important sont utilisés comme siège d’institutions ou de gouvernement.

13Si diverses conceptions ou stratégies président à la dénomination des sièges des conseils régionaux, la désignation hôtel de région, qui domine quantitativement, est celle qui fait le plus référence à l’architecture et à une profondeur historique12. En 1996, le Code général des collectivités territoriales inscrit cette appellation, qui devient la dénomination légale de ces édifices : « Le conseil régional a son siège à l’hôtel de la région13. »

Édification des Hôtels de région et usages politiques du passé

14Les Hôtels de région de France métropolitaine apparaissent progressivement au début des années 1980. Force est de constater qu’au sein de ce corpus, formé à partir d’un même programme, il existe une grande diversité d’édifices investis. Ils rejoignent ainsi la philosophie de la décentralisation et le souhait de François Mitterrand concernant la maîtrise d’ouvrage des collectivités :

La décentralisation permettra ainsi aux régions, aux départements, de pratiquer une forme de liberté, de diversité dans les choix, qu’il s’agisse des matériaux, des techniques utilisées, des partis esthétiques retenus14.

15Si la majorité des bâtiments sont des constructions neuves, l’histoire semble jouer un rôle important dans la conception des Hôtels de région puisqu’un tiers du corpus est constitué d’édifices patrimoniaux. Or, dans les premières années des collectivités territoriales, la création des Hôtels de région est l’opportunité pour le politique d’asseoir la légitimité de ce nouveau maillage administratif. Comme le souligne Isabelle Paillart : « Il s’agit bien, à l’aide d’images, de logos, de slogans, de contribuer à l’identité d’un territoire pour que le pouvoir local trouve la légitimité de son action15. » D’autres phénomènes illustrent cette quête de légitimité politique, comme de grandes campagnes de communication identitaires ou la personnalisation élevée de l’exécutif régional. Dans le champ architectural, ces initiatives se concentrent autour de la manipulation d’éléments monumentaux ou patrimoniaux. Comme le souligne Maryvonne de Saint Pulgent, ces architectures deviennent le lieu d’enjeux politiques :

Pourquoi les régions françaises se tournent-elles régulièrement vers les vestiges du passé, comme si elles y recherchaient les traces d’une identité en déshérence ? Pourquoi les élus locaux accordent-ils un tel intérêt au patrimoine, au point d’en faire souvent un « emblème » de leur politique16 ?

16Près de trois quarts des édifices étudiés répondent à cette problématique d’une histoire monumentale comme vecteur d’identité et médiation politique. Au sein de cette conception dominante de l’architecture républicaine, on peut distinguer trois types architecturaux : les édifices patrimoniaux, les pastiches et les bâtiments postmodernes.

17Les édifices patrimoniaux utilisés ont des fonctions d’origines variées : usages religieux comme l’abbaye aux Dames de Caen (fig. 1) ou le séminaire de Châlons-en-Champagne ; usages civils tel l’hôtel de Grammont à Besançon ou le Grand Hôtel Continental d’Ajaccio ; ou encore militaires comme l’ancienne caserne de Rouen. Leur exploitation en tant que lieux de pouvoir exige une reconversion rendue possible par l’émergence dans les années 1980 de la réhabilitation. Cette pratique, qui consiste en une remise en état et une adaptation à de nouveaux usages d’un patrimoine déconsidéré, apparaît à la suite de destructions et de mises en péril de bâtiments et de tissus urbains du xix^e siècle comme la démolition des halles Baltard à Paris. Avec la prise de conscience collective des risques d’un excès de modernité, l’intérêt du politique rejoint alors les préoccupations et les convictions d’historiens et d’urbanistes17. Le pouvoir se saisit du patrimoine pour en faire une valeur consensuelle, notamment illustrée par la proclamation de l’année 1980, année du patrimoine.

18Lorsqu’elle concerne les lieux de pouvoir régionaux, l’architecture patrimoniale est d’autant plus efficace qu’elle se présente sous une forme conventionnelle. En effet, les monuments investis participent à deux titres à une construction identitaire : d’abord parce qu’ils témoignent d’une histoire politique et culturelle locale, ensuite parce qu’ils accueillent une représentation politique régionale contemporaine. La situation urbaine de ces bâtiments historiques est aussi révélatrice. Ils se trouvent en centre-ville et forment un archipel institutionnel composé de lieux de pouvoir locaux et étatiques ; une sorte de forum piéton. Par ailleurs, ces édifices offrent un rapport classique à l’espace public. Ils ménagent tous un dégagement, un espace de représentation et de transition que sont les places, parvis, cours ou boulevards. Enfin, ces édifices construits ou remaniés au xix^e siècle correspondent formellement à d’autres architectures institutionnelles ancrées dans la mémoire collective : architecture judiciaire, préfectures, gendarmeries, etc.

19Imitant ces architectures classiques, deux édifices du corpus, œuvres de Christian Langlois, sont des pastiches (fig. 2). Architecte en charge du Sénat, académicien et pamphlétaire à ses heures, il vante à travers ces réalisations « les combinaisons nouvelles d’éléments éternels parfaitement adaptés par leur morphologie à la nature humaine ». Convoquant un pastiche assumé, dégagé de tout effet kitsch18, l’architecture académique qui résulte de ces prises de position se veut inscrite dans une tradition historique nationale sinon universelle. Elle n’est donc en rien issue de savoir-faire, de conditions locales ou de traditions régionales. En effet, les deux réalisations sont conçues sur le même modèle : mêmes arcades et avancées des corps de bâtiments, mêmes registres de fenêtres et modénatures sur le parvis de la cathédrale d’Orléans qu’en Limousin.

20Dessinés pour le compte de deux régions de bord politique opposé19, ces deux bâtiments interrogent aussi le rôle et les inclinations de la maîtrise d’ouvrage publique. Or si l’on sait que l’architecture est souvent l’objet de récupération politique, force est de constater qu’en tant que constructions relativement identiques, l’architecture de ces Hôtels de région n’est ni de droite ni de gauche.

21Les constructions neuves accueillant les conseils régionaux font coïncider, en grande majorité, modernité politique et actualité architecturale20 : ce sont des édifices postmodernes. Théorisé en 1977 par Charles Jencks, le postmodernisme architectural repose sur la manipulation de références architecturales classiques, sur la redécouverte de la composition urbaine et sur les apports de théories sémiotiques21. Plusieurs événements permettent l’émergence de ce mouvement comme la première Biennale de Venise tenue en 1980 et intitulée : La présence du passé22 ou la publication de La condition postmoderne de Jean-François Lyotard qui assoit et conforte la réflexion des architectes23. En France, cette dynamique postmoderne, ce nouveau classicisme, est porté par une jeune génération qui s’appuie sur la création des villes nouvelles pour accéder à la maîtrise d’œuvre24.

22Pourtant, au sein du postmodernisme, les conceptions architecturales, leurs écritures et leurs échelles sont diverses. Si l’on se concentre sur notre corpus, le seul dénominateur commun de ces lieux de pouvoir postmodernes est la constante réinterprétation de l’histoire. Encore faut-il préciser qu’il s’agit d’une histoire plus soucieuse de l’évolution universelle des styles architecturaux que d’une histoire située, ancrée dans la complexité des territoires, des cultures et des sociétés.

23Ainsi, les hôtels de région postmodernes présentent divers degrés d’expression plastique : de la grandiloquence des corniches et autres éléments décoratifs en béton préfabriqué de l’arche de Bofill à Montpellier, à l’inspiration néocathare liée à la volumétrie massive et à l’emploi de la brique du Conseil régional de Midi-Pyrénées à Toulouse en passant par la référence au temple antique avec le péristyle monumental de l’hôtel de région de Bordeaux. Le traitement des espaces publics générés par les institutions régionales est lui aussi extrêmement varié : de l’enchaînement urbain de petites places dans l’opération de Grumbach à Poitiers (fig. 3), à l’isolement tant paysager que fonctionnel du conseil régional à la pointe orientale de l’île de Nantes, jusqu’à l’hôtel de région de Montpellier ponctuant la perspective symétrique absolument monumentale du quartier Antigone.

24À travers le moment architectural de la création des hôtels de région, on n’assiste donc pas à proprement parler à la création d’un modèle architectural : qu’il s’agisse de la réutilisation d’édifices patrimoniaux divers, de la création de pastiches ou de bâtiments postmodernes variés. Il s’agit plutôt de l’avènement d’un paradigme, d’une hégémonie conceptuelle de l’histoire dans les projets architecturaux. Exploitant les registres de monumentalité définis par Riegl – valeur historique, d’ancienneté ou de commémoration25 –, ces architectures sont utilisées comme des formes de légitimation politique. La modernité architecturale du début des années 1980 offre alors au politique les signes historiques lui servant lui-même à légitimer son existence. Dans la lignée des travaux de François Hartog et Jacques Revel, on peut donc considérer que la production architecturale des hôtels de région entre 1982 et 1992 définit un nouvel usage politique du passé26.

Mutations institutionnelles, crise de la représentation et nouvelles formes architecturales

25À partir des années 1990, les architectures précédemment investies sont mises à l’épreuve par différentes mutations. Sur le plan politique, la composition des exécutifs régionaux est soumise à une alternance générale. Mais c’est aussi une période de crise marquée par la baisse de participation aux scrutins, les affaires des marchés publics de la région Île-de-France et des élections de présidents de région avec les voix du FN en 1992 et 1998. Dans le champ architectural, les retours critiques sur l’architecture postmoderne se font acerbes. De nombreux auteurs insistent sur le fait que le postmodernisme propose au mieux un futur antérieur. Richard Meier, célèbre architecte américain, conclut sans appel l’épisode du postmodernisme architectural :

Fondamentalement, le postmodernisme a été un retour en arrière. Il a été un processus qui a tiré des copies des originaux, des copies de copies, des imitations d’interprétations, toutes reproduisant timidement le passé. Il n’a pas seulement pillé notre histoire, mais aussi volé notre présent, oblitérant notre avenir27.

26L’ancien modèle, tant politique qu’architectural, est donc sérieusement mis à mal ; d’autant plus que les régions sont progressivement dotées de compétences nouvelles. Ces mutations institutionnelles font craindre peu à peu une institution au bord de l’éclatement. Cette situation se traduit alors littéralement dans la dispersion spatiale des services des institutions régionales. La région Picardie, dont la présidence est logée dans un ancien hôtel particulier, compte ainsi dix-huit sites occupés au centre-ville d’Amiens28. Suite à ces évolutions désordonnées, un changement s’amorce, concrétisé le 28 mars 2003 avec la reconnaissance dans la Constitution de l’organisation décentralisée de la France et avec l’Acte II de la décentralisation29. Confortant l’action des collectivités territoriales, ces textes élargissent les domaines d’action des régions. De fait, on constate une forte croissance des personnels et des administrations régionales qui se répercute sur les lieux de travail des fonctionnaires territoriaux30. De nouvelles formes bâties et de nombreuses thématiques architecturales apparaissent alors.

27Plus grands, ces nouveaux hôtels de région sont d’une facture architecturale contemporaine, lisse et neutre. Conçus sur le modèle des espaces tertiaires, ils expriment et reflètent la place importante des bureaux administratifs au sein des instances du conseil régional et ce, au détriment de la fonction délibérative de l’assemblée régionale. Ces édifices font l’objet d’un travail poussé sur l’enveloppe, l’économie et la répétition des éléments de façade31. Derrière ces filtres génériques apportant discrétion, confort et luminosité aux espaces de travail, ces bâtiments intègrent aussi des espaces ouverts au public. Ces vides intériorisés ont le rôle didactique d’illustrer et de permettre les relations entre visiteurs, usagers, fonctionnaires et élus. Les architectes utilisent alors les concepts de rue intérieure, d’entre-deux ou d’atrium. À la fois halls, salles d’expositions et circulations, ces espaces multifonctionnels permettent au visiteur de voir fonctionner l’institution de l’intérieur. La médiation de l’architecture est alors utilisée comme syllogisme : saisir l’organisation générale de l’édifice correspond à une forme de compréhension de l’institution politique.

28L’implantation de cette nouvelle génération d’hôtels de région se fait en marge de la ville historique. Plus distants, ils sont positionnés le long de boulevards urbains et font partie d’opérations de développement urbain, comme à Lyon-Confluence, à Euralille 2 ou au quartier européen du Wacken à Strasbourg (fig. 4). Dans ces projets urbains, les hôtels de région n’ont pas de statut exceptionnel : respectant les îlots construits à l’alignement, la régulation stricte des hauteurs, la présence incontournable du végétal, ils ne sont ni fédérateurs ni exemplaires.

29Plus imposants, plus spécialisés, plus suburbains et plus ordinaires, ces édifices forment un corpus bien plus homogène que celui des réalisations de la première décentralisation des lois Defferre. Du paradigme de l’histoire comme légitimation politique dans les années 1980, on passe au tournant du siècle à un véritable modèle architectural dont les caractéristiques concourent à forger une image des hôtels de région évoquant la stabilité, l’ouverture et la technicité. La dimension publique de ces architectures semble aussi prépondérante et rappelle la multiplicité des significations de l’exercice du pouvoir au sein des bâtiments publics :

Ces bâtiments sont propriétés publiques ou construits avec des fonds publics et logent des institutions publiques. Ils sont le lieu d’assemblées produisant des décisions publiques et sont censés représenter l’intérêt général. Enfin, ils sont aussi supposés accueillir du public32.

30Ce modèle architectural repose alors sur une légitimité d’ordre légal : celle d’une administration au travail33. L’architecture des hôtels de région se veut être la démonstration de la dimension démocratique de ces lieux de pouvoir : transparence des décisions, concertation ou développement durable deviennent les nouveaux mots d’ordre de l’architecture institutionnelle républicaine.

31Sur le plan politique, la décentralisation et la création des régions restent comme l’un des grands chantiers de Mitterrand34. Traditionnellement outils de gouvernement, la circonscription et le territoire deviennent, à cette occasion, à la fois cadres et acteurs de l’action politique35. De par ses fondements autant que par la place grandissante des collectivités au sein de la gouvernance des territoires, la création des régions peut donc être considérée comme une réelle invention démocratique et républicaine36.

32A contrario, les lieux de pouvoir produits à cette occasion sont, dans leur ensemble, loin d’être des manifestes architecturaux. L’étude des hôtels de région offre pourtant une rétrospective étonnante où la légitimation tirée de désignations archétypiques, les usages architecturaux de l’histoire et l’efficacité des projets contemporains témoignent de la difficile naissance d’instances démocratiques locales. Actes manqués, les hôtels de région sont à la fois le douzième des grands travaux de François Mitterrand et leurs contraires fantomatiques : une œuvre involontaire, impensée et inconnue.