1Jusqu’à 2008, les socialistes ont été des républicains critiques et réservés, car ils ne se reconnaissaient pas totalement dans une « République bourgeoise ». Ils mettaient en avant leur horizon anticapitaliste – malgré leur acception des lois du marché depuis les années 1990 – et leur volonté d’inventer un autre modèle. Les défaites aux élections présidentielles de 2002 et 2007 ont incité le parti socialiste à réécrire sa « carte d’identité », sa « déclaration de principe », à la lumière des expériences « d’exercice du pouvoir » des vingt dernières années et de l’état du monde au début du xxi^e siècle et, partant, à clarifier son rapport à la République. Même si cette notion de « principe » reste assez vague, le besoin de codifier dans un texte les buts, méthodes et moyens adaptés au moment s’était déjà manifesté à trois reprises depuis la première « déclaration de 1905 », le contexte jouant à chaque fois un rôle crucial. Ainsi en 1945, quand Léon Blum, après la guerre et l’effondrement puis la renaissance du parti socialiste, avait suggéré et rédigé une nouvelle déclaration, plus « humaniste », adoptée en février 1946 ; puis, à la fin des années 1960, à un moment de « crise » et de recomposition de la gauche non communiste ; et, enfin, en 1990, quand, pour tenir compte à la fois de la récente expérience du pouvoir après la deuxième victoire de François Mitterrand et de l’effondrement du « système communiste » en Europe, le parti socialiste se définissait comme un parti de « transformation sociale » et acceptait « l’économie mixte de marché ». Le 14 juin 2008, les militants ont donc adopté une nouvelle déclaration de principe, la cinquième de leur histoire qui éclaircit leur position sur ce point. Comme le note l’historien Alain Bergounioux1, qui était aussi le rapporteur de la commission chargée d’élaborer cette nouvelle rédaction, cinq déclarations c’est à la fois beaucoup – car les valeurs qui fondent le socialisme démocratique n’ont pas changé – et c’est peu – car le monde se transforme rapidement.

2Cette déclaration de principe est donc un texte solennel, et elle a bien été conçue comme telle en 2008, avec, pour la première fois, un préambule inscrivant le combat du Parti socialiste dans une histoire longue qui rencontre celle du combat républicain : « Le Parti socialiste plonge ses racines dans la tradition de l’humanisme et dans la philosophie des Lumières. Il fait siennes les valeurs de Liberté, d’Égalité, de Fraternité, proclamées par la Révolution Française... » En 1946, en 1969, en 1990, les valeurs de la République étaient bien présentes dans les déclarations à travers les trois mots de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », repris dans des paragraphes mais, jusqu’en 1990, le parti socialiste se présentait comme un parti démocratique « essentiellement révolutionnaire », visant à substituer au système capitaliste une autre société2. En 2008, dans le chapitre III, qui définit « Notre parti socialiste », il s’affirme comme un parti « réformiste », « laïque », féministe », « humaniste », « européen », « internationaliste ». Le premier article de ce chapitre, l’article 12, annonce la mutation définitive : « Le Parti socialiste est un parti républicain. Il s’organise au service de l’engagement citoyen. Il fait siennes les valeurs de la République, la Liberté, l’Égalité, la Fraternité, la Laïcité. [… Il se] donne pour vocation de favoriser l’intégration et l’adhésion de tous aux valeurs de la République3. »

3Cependant, cette « mutation » très récente dans les mots ne doit pas occulter le fait que les socialistes se sont comportés depuis la formation des premiers partis à la fin du xix^e siècle en « républicains » s’attirant à cet égard des critiques sévères venant de leur « gauche ». La perspective « révolutionnaire » qui se lisait dans les textes était l’expression de la poursuite et de l’approfondissement du combat initié par la Révolution française, avec l’objectif de fonder une République supérieure, la République sociale.

4Comme la République, le mouvement socialiste s’est organisé puis divisé en partis dont les noms fixaient l’objectif et l’identité : Parti ouvrier, Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, Parti socialiste français, Parti socialiste de France... Depuis 1905, il y a continuité dans le nom du parti, du Parti socialiste SFIO au Parti socialiste. Et cela malgré les scissions (1920, 1933, 1938,1948,1958) et les refondations (1920,1944,1969,1971) : c’est bien d’une certaine façon pour en marquer la filiation « révolutionnaire » et socialiste. Le terme de République apparaît rarement dans l’intitulé des scissions, mis à part dans le cas des républicains socialistes ou de l’Union socialiste républicaine. Les scissions « de droite » (conduites par ceux qui voulaient participer à des coalitions gouvernementales avec des éléments comme les radicaux, ou par des hommes qui refusaient toute alliance à gauche avec le PC) accolaient à leur nom le qualificatif « de France » ou « français » pour en spécifier le caractère républicain, face à une SFIO ou un PS qualifié « d’otage du qu’en dira-t-on communiste ». Ou elles optaient pour le terme social-démocrate pour affirmer les valeurs démocratiques.

5Dès ses premiers pas, le mouvement socialiste s’est doté de symboles propres qui racontent aussi son rapport conflictuel à la République : un drapeau (rouge), une ou plusieurs devises (« prolétaires de tous les pays... », « vive la république sociale », « l’émancipation des travailleurs... »), des chants puis un hymne (L’Internationale), des symboles graphiques, le soleil levant, ouvrier et marteau et la Marianne Rouge, (en buste, effigie, reproductions, caricatures...). Tous ces éléments seront repris et adaptés au fil du temps pour servir la propagande des socialistes.

6Maurice Agulhon a parfaitement analysé cette imprégnation de la culture républicaine chez les socialistes :

Si le socialisme français de la fin du xix^e reproduit aussi aisément la mythologie et les expressions artistiques de la République d’autrefois, ce n’est pas seulement parce qu’il en prolonge le recrutement populaire et les aspirations à la justice et au bonheur. C’est aussi plus profondément, parce qu’il en reproduit les conditions culturelles et les mentalités : mentalités d’hommes et de femmes pauvres et simples, à l’Instruction encore élémentaire, au comportement encore tout imprégné des habitudes et des codes traditionnels, ayant emmagasiné sans contrôle les figures et les rites de la société englobante, religion, folklore de la fête4…

7Ces symboles peuvent donc être ceux de la République « bourgeoise », réinterprétés dans un sens socialiste. Ainsi, tout au long du xix^e siècle, de nombreuses réécritures de La Marseillaise et autres chants révolutionnaires ont permis d’exalter la République sociale ou de vilipender « la Marianne pervertie » par les bourgeois. Ignorée aujourd’hui, La Marianne de 1883, marche populaire, œuvre d’un ancien communard, Olivier Souêtre, connut ainsi jusqu’à l’arrivée de L’Internationale, à la fin du xix^e, un réel succès dans les milieux socialistes5. De la même façon, dans les municipalités qu’ils dirigent, par un drap ou un foulard rouge, les socialistes soulignent parfois le caractère social qu’ils confèrent à Marianne.

8La « culture socialiste » s’est aussi forgé son propre Panthéon dans lequel on retrouve ses héros (Jaurès, Blum, Mitterrand, et de plus en plus Mendès France) et ses martyrs (Salengro, Léo Lagrange, Brossolette, voire Bérégovoy), ses grandes heures (le Front populaire, La libération, mai 1981), ses moment plus sombres (la non-intervention en Espagne, la guerre d’Algérie), ses traîtres, etc. On mesure leur réussite sur ce plan aux tentatives de captation de ce Panthéon par les communistes ou d’autres dans le passé, et dans le présent par Nicolas Sarkozy et par le Front national.

9Quand le mouvement anarchiste ou des courants minoritaires d’extrême gauche antimilitariste n’hésitent pas avant 1914 à présenter la République et/ou Marianne sous des atours peu flatteurs – évoquons seulement l’affaire de l’article de Gustave Hervé qui créa la polémique avec sa formule du « drapeau dans le fumier »–, on relève dans la presse socialiste « officielle » au cours du siècle peu d’images dégradantes des symboles de la République. Au contraire, la République est souvent revendiquée explicitement par les socialistes organisés : La République sociale, La Petite République, sont des titres souvent repris par les groupes locaux, même si Jaurès met L’Humanité au-dessus de la République et si Jean Longuet, puis Léon Blum, se rangent derrière Le Populaire. Régulièrement, les Marianne socialistes sont de belles plantes, fières et solides, protectrices, maternelles ou alors meneuses d’hommes, des femmes de travailleurs, dures à la tâche. Dans les manifestations socialistes, jusqu’en 1958 tout au moins, au revers du veston, les manifestants arborent des insignes républicains, le bonnet phrygien, l’églantine, qui se mêlent aux deux premiers symboles de leurs partis.

10Chez les socialistes cohabitent dès l’origine, à côté de leurs symboles propres, signes de leur identité, les symboles de la République, juxtaposés ou réinterprétés. Nous suivrons l’évolution de cette représentation de la République par les socialistes en la confrontant à l’univers symbolique propre des socialistes. Sur le siècle, ils ont eu trois symboles officiels : le soleil levant, les trois flèches et le poing et la rose. Mais les socialistes n’ont pas cessé de jouer de toute la panoplie des symboles de la République pour s’adresser aux citoyens. Rappelons aussi que ces trois phases correspondent à de grandes tendances, mais que, bien sûr, des discours, des images anciennes, des symboles tendent à ressurgir régulièrement du « vieux fonds » socialiste6.

Les trois phases de la symbolique des socialistes du xix^e siècle jusqu’en 1934

11Le premier insigne des socialistes est le soleil levant vers lequel se tournent les regards, voire se dirige la barque des socialistes, laissant dans son sillage couler le militarisme (prussien), le profit et le clergé7. De 1905 à 1971, il est présent sur le timbre de cotisation que les militants achètent pour se mettre à jour de leur adhésion (fig. 1). Le soleil symbolise l’avenir radieux, opposé aux temps d’oppression et d’exploitation que vivent les ouvriers. Les socialistes des débuts héroïques dénoncent en effet le capitalisme et proposent de construire une autre société plus juste. Mais se sentant héritiers des combats révolutionnaires de 1798-1793 et de ceux pour la démocratie politique du xix^e siècle, ils s’affirment républicains. Ils entendent emmener « la République jusqu’au bout » selon l’expression de Jaurès, se battre pour la République sociale – appelée plus simplement « la sociale ». Ils sont aussi décidés à défendre la République contre ses ennemis, particulièrement les royalistes. Dans leurs manifestations, les symboles républicains – par exemple le bonnet phrygien à la pointe du drapeau derrière Jean Jaurès sur la célèbre photographie du discours du Pré-Saint-Gervais8 – côtoient le drapeau rouge. En mineur il est vrai.

12Dans l’ensemble, la République est seconde dans l’univers symbolique socialiste de ces années, loin derrière la figure virile de l’ouvrier(e). La République sociale, c’est d’abord celui-ci. L’iconographie est souvent classique, mêlant à l’univers ouvriériste des allégories traditionnelles de l’émancipation, comme sur les brochures du POF. Sur l’une, sur fond rouge et référence aux « travailleurs des chemins de fer », la liberté domine et éclaire le monde. Derrière elle, des usines ; devant, un jeune éphèbe se prélasse. Vision de l’avenir émancipé ? On s’interroge. L’Almanach socialiste illustré pour 1899, lui, met en scène un très viril ouvrier avec son marteau, mais il représente aussi, par son habit, un héritier des sans-culottes : avec bonnet phrygien, drapeau rouge et ceinture de flanelle9.

13En fait, les deux univers symboliques, républicains et socialistes, se marient souvent. Ainsi, en 1898 une publicité pour le journal codirigé par Jaurès, La Petite République, est illustrée par une composition complexe (fig. 2). Au premier plan, le grand tribun sème le grain socialiste. Derrière lui, un ouvrier en blouse (le député Christophe Thivrier qui s’est présenté au Parlement dans cette tenue !) guide un attelage de bœufs qui ont déjà entamé les labours. Sur le côté, un groupe de camarades, théoriciens, élus ou cadres socialistes, aux tenues diverses, entourent une Marianne rouge. Dans le fond, le symbole traditionnel des socialistes de ce temps, le soleil levant qui sort de l’océan. Tout à droite, une frise présente un groupe de responsables socialistes, disposés autour d’une églantine rouge.

14La guerre, avec l’Union sacrée assumée, prouve l’attachement des socialistes à la patrie et à la République. L’image produite par ou pour les « majoritaires socialistes » qui soutiennent l’Union nationale est celle de l’immense Jaurès s’interposant entre Marianne et ses prédateurs : les corbeaux (cléricaux ?), serpent, crapaud, renard – symbole de la trahison en ses années –, et même des chiens qui pissent sur Marianne (fig. 3). Rares sont les « minoritaires » de guerre à contester le patriotisme républicain, même s’ils dénoncent la guerre à tout prix. Lorsqu’ils deviennent minoritaires à leur tour, les socialistes partisans de l’Union sacrée fondent le journal La France libre qui développe toute la panoplie ouvrière et patriotique, avec des couleurs bleu-blanc-rouge omniprésentes sur les affiches de publicité du journal.

15La paix revenue, après la naissance du communisme qui s’en tient alors à l’ouvriérisme et aux symboles révolutionnaires, les socialistes pour se lancer à la conquête des électeurs retrouvent une iconographie symbolique plus classique, jusqu’au Front populaire. Ainsi, sur les cartes d’adhésion, où l’ouvrier et ses attributs dominent, mais guidés vers l’avenir par Marianne, cette dernière désignant même, semble-t-il, le soleil avec les lettres RS : République sociale.

16Ce positionnement est-il efficace ? Toujours est-il que la droite dénonce alors le danger que les socialistes font courir à la République, au même titre que les communistes. Le caractère républicain du socialisme est contesté par ses adversaires et dénoncé par les communistes par ailleurs.

Du Front populaire aux années 1960

17Du point de vue de la symbolique, on peut décomposer ces années en trois temps.

18Premier temps, les années du Front populaire : le temps du rouge et du noir. Dans les années 1930, années d’affrontement avec le « fascisme », la SFIO adopte un nouveau symbole de combat, les trois flèches inventées par Serge Tchakhotine pour barrer et effacer les croix gammées10. Tout au moins à Paris, elles sont identifiées à la SFIO d’après-guerre. Cette adoption signifie que le parti socialiste SFIO a accepté d’entrer dans l’ère de la mobilisation des masses, avec l’adoption de signes identitaires forts, et de combattre sur le terrain de la propagande. Ces trois flèches peuvent cohabiter avec Marianne, avant et après-guerre11. Cette Marianne adopte aussi dans les manifestations de rue un nouveau geste : elle brandit le poing. La République du Front populaire désigne et menace l’ennemi de la République autant qu’elle se différencie elle-même dans ce geste.

19Deuxième temps, les années 1944-1947 sont celles du bleu-blanc-rouge. Le message identifie le socialisme ou la SFIO, mais les couleurs de la Libération sont expressément patriotiques sur la majorité des affiches. La référence patriotique et républicaine peut se montrer insistante, lorsque le support cumule les couleurs, le drapeau et Marianne vers lesquels se dirigent les flèches socialistes (fig. 4). Le message se réduit alors à un bref raccourci : la défense de la République est entre les mains du peuple et il doit en confier la garde à ses meilleurs défenseurs, les socialistes qui mettent aussi les écrivains et journalistes de leur parti à son service : la SFIO c’est la parfaite République. Plus rarement en ces années, la double identité révolutionnaire et républicaine s’affiche parfois comme lorsque le rouge colore la sculpture de Rude et les trois flèches (fig. 5). Et, thème souvent repris, les trois flèches peuvent s’installer au centre de la cocarde du bonnet phrygien. Pourtant, cette rencontre entre socialisme et esprit de la Résistance sera brève, communistes et gaullistes sachant mieux que les socialistes exploiter ce filon, avec le thème du ressourcement de la République12.

20Troisième temps, les années 1947-1969 : en ces années de guerre froide puis de V^e République naissante, la SFIO s’associe totalement à la défense de la République, contre le double danger, communiste et gaulliste. Si l’anticommunisme devient premier, le thème de la menace contre la République est surtout agité contre la droite. En 1945, c’était le PRL, loup menaçant Marianne de ses grandes dents. Désormais, c’est l’ombre des vieilles défroques du général de Gaulle, du pouvoir personnel, que Marianne rejette. La SFIO s’épuise en ce combat, son imagination se tarit et sa symbolique se fossilise. Elle ne produit plus rien de nouveau et regarde surtout l’avenir à l’aune du passé. Ainsi, un dépliant de 1956 vantant la politique du gouvernement Guy Mollet renvoie à celle du Front populaire conduit par Léon Blum en 1936, avec des photographies des deux leaders. Symboliquement, les trois flèches blanches qui barrent le texte du document sont orientées de gauche à droite et inversent le cours du temps. C’est aussi le retour au rouge et noir. En 1958, la SFIO semble innover sur ses affiches13 en se plaçant « à l’avant-garde de la V^e République », Marianne étant par ailleurs quelque peu dans le brouillard. Mais en fait, le parti reprend un thème de propagande des années 1944-1946 et fait appel de nouveau pour ce faire au célèbre affichiste Paul Colin (déjà mobilisé en 1945). Elle ne produira plus rien de nouveau jusqu’à Épinay sur le plan de la propagande et de la symbolique.

Depuis 1971 : le poing et la rose

21Jusqu’en 1981, le parti socialiste, qui se met en ordre de bataille derrière François Mitterrand pour conquérir le pouvoir, cherche avant tout à asseoir sa nouvelle image, en rupture totale avec celle du parti socialiste SFIO : il impose rapidement un nouveau logo, le poing et la rose14, popularise son mot d’ordre « Changer la vie », et impose une méthode, « le programme commun » ; quitte à être, à partir de 1977-1978 et la rupture avec les communistes, unitaire pour deux. La République est alors peu présente dans la masse des productions iconographiques des socialistes, sauf au moment des élections. C’est ainsi que le logo – le poing et la rose – se décline sous toutes les formes et identifie désormais les socialistes.

22Après la victoire de 1981, la mutation en parti de gouvernement est très forte et se retrouve dans le langage des affiches, de plus en plus commandées à des agences de communication. Les campagnes se suivent et se ressemblent désormais, et bientôt, hormis la présence de son logo du parti socialiste, les slogans et parfois les images pourraient porter la signature d’autres formations républicaines. Ainsi, pour les législatives de 1986, quand il s’agit de battre la droite dont la victoire est annoncée, les affiches jouent sur la connivence, l’humour et la différence. Le message « Dis-moi jolie droite pourquoi as-tu de si grandes dents ! » est illustré du dessin d’un loup version Tex Avery, et le slogan « Au secours, la droite revient » de photographies en couleur de citoyens (un panel représentatif composé d’un travailleur, d’un cadre, d’une « ménagère de plus de 50 ans », un jeune, un vieux, un employé) dans des attitudes d’effroi... à l’idée du retour de la droite au pouvoir. Quand il veut être plus positif, le message des socialistes « Je veux récolter ce que j’ai semé à gauche » est illustré de quatre photographies couleur, des portraits de citoyens sereins : une femme, un homme, un jeune, un « vieux sympathique » tenant un épi de blé dans la main. Seul le petit logo identifie cette affiche comme émanant du parti socialiste. La communication commerciale impose ses codes consensuels.

23En 1988, revenu dans l’opposition, le parti socialiste, pour reconquérir le pouvoir, décline en trois vagues d’affiches le triptyque républicain sous la forme interrogative avec trois affiches : « Liberté ? », « Égalité ? », « Fraternité ? ». Les trois questions sont posées avec des images dramatiques (pour illustrer la question sur la Fraternité, la silhouette dessinée d’un corps sur un trottoir, avec la mention « déc. 1986 », renvoie à la mort tragique du jeune Malik Oussekine). Une première réponse, « Fraternité chérie », présente une photographie noir et blanc de trois enfants, dont un petit métis frisé. Suit une série de trois affiches avec le même visuel. Ce n’est plus un poing qui serre une rose (comme le représente son logo) mais une main qui offre une rose. Sur le même principe visuel la réponse « Liberté chérie » renvoie au pluralisme de l’information, la réponse « Égalité chérie » à la justice fiscale, et « Fraternité chérie » à la solidarité entre les générations. Cette campagne cherche à assimiler le PS, à travers son logo-symbole qui désormais le résume, en seul garant et défenseur de la République, d’une République qu’il aime et chérit.

24En 1988, comme en 1981, la campagne présidentielle de François Mitterrand s’inscrit dans la palette « républicaine » : le bleu-blanc-rouge républicain est suggéré, comme le profil du président, qui s’inscrit comme sur un médaillon, un billet de banque ou une pièce de monnaie.

25En 1990, l’affiche « 10 ans qu’on sème à gauche », tente de valoriser les acquis de la gauche au pouvoir en jouant sur les mots et les sentiments. Et c’est encore avec une main et une rose, une main qui cette fois sème des pétales que les socialistes communiquent, en rose (foncé) et bleu. Message qui se brouille car semer c’est aussi, s’agissant de pétales de rose, disséminer, voire comme le dénonce la droite dilapider. Mais ce message fait également écho à la métaphore républicaine du semeur ou de la semeuse, réinterprétée une nouvelle fois par les socialistes.

26Les défaites de 1993, puis la crise du parti socialiste des années 1990-1995 le voient abandonner le poing et la rose, tester d’autres couleurs (l’orange, puis le vert, dans différentes teintes), avant que le PS, pour les européennes de 1999, et alors que Lionel Jospin est devenu Premier ministre, reprenne le rouge. Stabilisé par la présence d’un leader « incontestable », le PS se réapproprie le rouge identitaire. Dans le même temps, les « affaires » ayant conduit à l’encadrement des dépenses de campagnes, le développement d’Internet et d’autres supports font perdre aux affiches leur place dans la communication des partis. On voit apparaître de plus en plus d’affiches textes, et la symbolique s’appauvrit ou s’efface.

27En 2002, pour le lancement de la campagne de Lionel Jospin, Premier ministre en campagne, c’est encore Marianne qui est convoquée, une Marianne aux mille visages, consensuelle15. On sait que cette référence républicaine ne fut pas suffisante pour assurer la victoire, la dissolution du message socialiste s’avérant une stratégie néfaste.

28Au terme de cette exploration, on constate une acclimatation et une pacification de la panoplie symbolique des socialistes au xx^e siècle. Le drapeau rouge toujours présent sur les affiches, dans les manifestations et dans les congrès du parti au plan national, jusqu’en 1981, côtoie et cède la place aux trois couleurs à la Libération, pour arriver aujourd’hui à une symbolique apaisée : le poing n’existe plus qu’à travers le logo et la rose rouge résume à elle seule le socialisme contemporain. Désormais, le rose est devenu la couleur métaphorique du socialisme européen.

29Pour son centenaire, le parti socialiste a publié un album illustré16 avec en couverture une Marianne brandissant une rose, reprise d’un montage du dessinateur Pym réalisé pour la une de L’Unité, l’hebdomadaire du PS, dans le cadre de la campagne des élections législatives de 1978 (fig. 6). Cette Marianne, c’est celle du tableau de Delacroix, la Liberté guidant le peuple. Cette image a été choisie par l’éditeur, La Martinière, de préférence à d’autres suggestions et compositions plus « partisanes » qui mêlaient l’histoire « interne » du parti socialiste, avec soleil, trois flèches et le poing et la rose. Un choix commercial, qui a été aussi repris pour la carte de vœux réalisée en 2005 par le service communication du PS, qui du drapeau européen (nouveau symbole dans la panoplie) aux figures des grands ancêtres trace une histoire visuelle du siècle des socialistes : Marianne est au premier plan, la rose s’est substituée au drapeau rouge. Mais est-ce Marianne ou une femme ? Cette image, de 1978 à 2005, ne signifie-t-elle pas qu’aujourd’hui Marianne est surtout un symbole de toutes les femmes, plus que de la République ? Ce consensus autour de cette figure perd dès lors de sa signification : n’importe quelle image de femme porterait par essence l’idée de la République. Est-ce la traduction d’un épuisement du discours et de la symbolique politique ? Dans une compétition politique où l’impératif est devenu de séduire et surtout de ne pas heurter, dans une société qui n’est plus composée que d’individus seulement différentiables par leur sexe et leur âge, et non plus par la fonction sociale ou par leur « aliénation », cette figure fait consensus. En politique, tout fait symbole, jusqu’à l’overdose. Lors de la dernière campagne présidentielle, Ségolène Royal, candidate du parti socialiste, a « joué » avec beaucoup de couleurs, certains journalistes ne retenant que la blancheur virginale de certains tailleurs, d’autres relevant parfois ses tenues rouge, rose, voire le bleu marine strict (lors du débat d’entre-deux tours avec Nicolas Sarkozy), la candidate brouillant les pistes à plaisir, et mettant à mal toute interprétation à sens unique de ses choix vestimentaires. Ce qui n’empêchait pas les commentaires d’interpréter ces choix dans le sens d’un abandon des couleurs de la gauche, soulignant les références à Jeanne d’Arc qui gagnaient en épaisseur quand la candidate, vêtue d’un tailleur blanc, évoquait l’héroïne. Les affiches des deux tours interprètent encore et toujours l’idée de la République incarnée dans une femme candidate (une figure classique, façon gravure, en noir et rouge, et une figure plus allégorique, en version bleu et rouge, un profil qui évoque à la fois l’affiche de François Mitterrand en 1988 et la nouvelle image officielle de la République française). Mais, les militants ont, dans certaines fédérations socialistes, fait leur propre choix en ne collant que l’affiche rouge17. En matière de symboles, chez les socialistes comme dans d’autres groupes ou familles politiques, les lectures ne sont jamais univoques et elles racontent toujours une histoire qui ramène à l’identité de ceux qui les manipulent.