1Cette contribution a pour objet le questionnement des productions symboliques et iconographiques du Parti communiste français dans leur rapport avec une culture politique républicaine qui s’est imposée progressivement dans l’État et dans la société française entre la fin du xix^e siècle et le début du xx^e siècle. Comment ce parti, qui se construit dans les années 1920 en rupture avec le mouvement ouvrier classique, de type socialiste se comporte-t-il face à un « territoire de signes » républicains largement dominant dans l’espace public ? Va-t-il tenter de les contourner, de les subvertir ou d’en imposer de nouveaux, les siens ?

2On verra donc un PCF qui, au début de son existence, se présente et se comporte comme un parti en guerre contre le capitalisme et l’ordre de la bourgeoisie, extérieur au système politique français, au point, évidemment, de susciter de la part de l’État des réactions attendues et somme toute logiques : « Le communisme, voilà l’ennemi », déclare le ministre de l’Intérieur Albert Sarraut, le 22 avril 1927. Situé en quelque sorte aux « marges de la République1 », il rejette très majoritairement, avec pourtant des nuances et aussi des ambiguïtés, tout ce qui est républicain, arguant que cette République est indéfendable puisque « forme française de la démocratie libérale2 ». Ensuite, la répulsion affichée vis-à-vis de la République et de ses politiques et fonctions symboliques3 se transforme en appropriation, en remise à jour de ses signes de reconnaissance, pendant la période du Front populaire, puis durant la Libération et les années 1947-1954 de cette « guerre froide chaude4 ». Ne sont donc privilégiés ici, de manière délibérée, que quelques moments : les années 1920-1930 et 1944- 1954. Ainsi, il est possible de mettre en exergue des périodisations, ou plus précisément des changements d’angle d’attaque, selon la conjoncture politique ou selon les logiques internes à la sphère communiste. Par exemple, dans les constructions symboliques, la cohabitation ou les heurts entre deux référents historiques, le terreau révolutionnaire forgé par 1789 et celui emprunté à la révolution bolchevique d’octobre 1917 peuvent contribuer à éclairer un pan de l’histoire culturelle du Parti communiste français.

3Ces moments, à des degrés divers, sont donc porteurs de systèmes graphiques propagandistes véhiculés par l’appareil militant du Parti communiste, à savoir sa presse, quotidienne ou hebdomadaire, ses revues, magazines, brochures, ses affiches ou ses productions cinématographiques. On gardera cependant à l’esprit la différence entre deux périodes, avant et après la Seconde Guerre mondiale, quant à l’importance des titres de ce que Jacques Ion nomme le « conglomérat » communiste5. En effet, à propos de la presse communiste ou proche des communistes, l’éventail des titres de 1944 à 1954 est sans commune mesure avec ce qu’il était dans les années 1920-1930. Cette presse représente trente-huit quotidiens entre 1944 et 1946, si l’on suit les calculs d’Yves Guillauma6. Pour Philippe Buton, « dès la fin de l’année 1944, le PCF possède le plus considérable réseau de presse jamais constitué7 », c’est-à-dire 77 organes de presse pour un total de 2 464 000 exemplaires pour la fin de l’année 19458. Si l’on compare ces chiffres éloquents avec ceux de l’avant-guerre, soit 5 % avec trois titres de quotidiens (L’Humanité, Ce Soir et L’Humanité d’Alsace et de Lorraine), il va de soi que l’impact de ces signes graphiques ne peut être identique. Ce travail sur un segment des codes graphiques et symboliques communistes français participe d’une recherche sur l’histoire du visuel au sein du mouvement ouvrier et révolutionnaire9, histoire fondée sur l’hypothèse que « les documents visuels méritent d’être considérés à la fois comme une émanation du réel et comme le reflet d’une représentation intellectuelle préexistante10 ». Selon la belle et forte formule de Sylvain Maresca, « penser avec les yeux11 » permet en somme d’interroger autrement le mouvement ouvrier et de constituer un nouveau territoire en établissant la puissance de cette « iconosphère12 » propagandiste.

4La presse communiste et apparentée13 constitue donc la source principale de ce travail. Il faut y ajouter les différents recueils d’affiches politiques, comme celui de Philippe Buton et Laurent Gervereau14 ou celui de Jean Garrigues15. Les recherches diverses et très complètes de spécialistes de l’iconographie sociale comme Jean-Paul Gourevitch16, Christian Delporte17, Laurent Gervereau18, Lucie Fougeron19, Fabrice d’Almeida20, Fabienne Dumont21 ainsi que les études des historiens spécialistes du communisme22 sont un « surplomb » indispensable.

Le rejet de la symbolique républicaine

5Dans les années qui suivent la création du Parti communiste français, les rapports entre le communisme français et la Révolution de 1789, matrice des symboles tels que Marianne, le bonnet phrygien, le drapeau tricolore ou la prise de la Bastille, furent souvent ambigus, balançant entre analogies – jacobins/ bolcheviks, 1793/1917, Babeuf précurseur du communisme – et refus, parfois embarrassé, d’une révolution bourgeoise à laquelle on opposait constamment la Commune de Paris23.

6Pour mieux comprendre ces rapports, il importe de mettre en situation, d’abord, les premières années du tout jeune PCE Le processus enclenché à Tours, à savoir transformer un parti social-démocrate héritier « de traditions politiques mélangées » en « un parti de type nouveau, décalqué sur le modèle bolchevique24 », connut bien des soubresauts. Le PCF restait tributaire d’un passé « dont il ne s’était que bien formellement détaché25 ». En effet, s’il fut longtemps SFIC, c’est-à-dire Section française de l’Internationale communiste, ce ne fut pendant quelques années qu’une « autodéfinition », comme l’indique Danielle Tartakowsky26. Ensuite, rappelons également un contexte politique général dans lequel le PCF est accusé par l’État de vouloir subvertir la République, de comploter contre elle : quatre « complots » sont ainsi découverts dans les années 192027. Pour les communistes, la République, ses libertés démocratiques et ses rituels symboliques ne sont donc que le masque de l’oppression de classe. En bons léninistes, ils savent qu’il faut distinguer, dans cette logique d’analyse de classe, deux figures de la démocratie : la démocratie bourgeoise (ici, républicaine) qui est aussi une « configuration particulière du caractère séparé de l’État », et la démocratie prolétarienne, horizon d’attente du combat communiste28. Donc, rien à attendre de la République. Mais à rebours de certaines interprétations qui assignent ce rejet à une influence exclusivement soviétique (« la main de Moscou »), rappelons qu’une fraction importante du mouvement ouvrier français, depuis les massacres de la Commune de Paris par les Versaillais en 1871, a toujours assimilé l’oppression sociale et politique au « visage hideux » de la République. Le jeune parti, par-delà ses origines sociales-démocrates, renoue ainsi avec cette composante, plus ou moins anarcho-syndicaliste. Un illustrateur comme Jules Grandjouan, par exemple, qui s’intégrera plus tard dans les instances propagandistes communistes, représentait, en 1907, dans l’organe de la CGT, une pieuvre, le Capital, coiffée d’un bonnet phrygien par Clemenceau afin de dissimuler sa véritable nature, ce qui se révèle inutile et grotesque, puisque pour le peuple « le masque de la mangeuse d’hommes ne trompe plus personne29 ! » Les communistes français des années 1920 ne pouvaient donc que se reconnaître, également, dans cette déclaration de communards, en avril 1871, sur le drapeau tricolore qui, « après avoir été celui de la Révolution, sa gloire, après avoir été souillé de toutes les trahisons et de toutes les hontes de la monarchie, est devenu la bannière flétrie des assassins de Versailles30 ».

7Néanmoins, il est évident aussi que cet héritage se retrouve en osmose avec l’« Agit-prop » issue de la révolution d’octobre et de l’État bolchevique russe. Remarquons, dans la sémantique également, cette volonté de rupture, suivant le principe que toute praxis révolutionnaire et toute critique du « Vieux Monde » éprouvent le besoin d’un langage autre, et inventent, apportent de nouvelles positions dans la communication. « Komintern », « Politburo », « Bureau d’org. », « Rayon », « Agit-prop » sont assez rapidement adoptés par les militants français. Et ces vocables s’ajoutent aux symboles, dans les municipalités de ce qui deviendra vite la « ceinture rouge » de Paris ou dans les organes de propagande (drapeaux et étoiles rouges, bustes de Lénine, faucille et marteau sur l’en-tête de L’Humanité, etc.), comme autant de « signes visuels subversifs d’allégeance à un modèle, qui n’est pas la République française et son drapeau tricolore, mais l’URSS31 ». Un code symbolique se met en place dans la propagande iconique du Parti communiste français. Par exemple, une caricature indique bien la séparation entre un avant (une Marianne appuyée sur les droits de l’homme illustre la sentence suivante : « Depuis 1793 on disait : Tout homme a deux patries, la sienne et la France ») et un présent (un ouvrier armé d’une faucille et d’un marteau, appuyé sur la dictature du prolétariat, illustre la nouvelle formule : « Depuis 1917, on dit que tout homme a deux patries, la sienne et les Soviets32. » Dans le même ordre d’idées, une affiche pour les élections législatives de 1932 (soit deux ans à peine avant le « tournant national ») oppose encore, à gauche, un prolétaire sous l’uniforme, allongé mort devant un coffre-fort sur fond tricolore, alors que le côté opposé de la composition, à droite, donc à l’est, un soldat rouge doublé d’un musculeux jeune prolétaire, devant des usines récentes, sur fond rouge siglé de la faucille et du marteau. Au « Mourir pour leur patrie... » s’oppose un vigoureux « Non. Conquérir la nôtre33 ! ». Le prolétaire opposé à Marianne, la dictature du prolétariat opposée aux droits de l’homme et la mise en avant d’un nouveau symbole dans l’iconographie, la faucille et le marteau, tout est en place. En 1923, le célèbre caricaturiste Jules Grandjouan, devenu communiste en 1921, incitait Marianne à choisir entre la faucille et le marteau du travail (la révolution) et le sabre (la guerre)34. Marianne est donc toujours utilisée par les caricaturistes, mais soit elle est mise en position d’hésitation, soit elle est utilisée comme figure d’une époque certes révolutionnaire mais dépassée. Ce qui prime dans l’iconographie, ce sont surtout ces outils du travail, le marteau, lourd et plus adapté à l’homme, et la faucille, outil des femmes dans les campagnes russes. Ils symbolisent surtout l’union des prolétaires des villes et des campagnes. Cette symbolique, qui naît en Russie dès l’hiver 1918 et fait son apparition lors du défilé du 1^er mai 1918, figure sur les armoiries de l’URSS dès sa création en 1922 et se retrouve rapidement sur les timbres, les médailles, les assiettes, etc. Elle s’acclimate sans peine en France, car l’iconographie révolutionnaire utilisait déjà ce type de représentations, par exemple Steinlen dans une lithographie sur la Commune. La faucille et le marteau35 apparaissent pour la première fois dans L’Humanité, et ce pour des décennies, à gauche du titre le 4 octobre 1924, pour ensuite passer en arrière-plan du titre le 16 mars 192636. Sans insister sur la prégnance du drapeau rouge et l’absence du drapeau français, ou alors sa disqualification, signalons quand même l’exemple, ô combien significatif, du transfert de la dépouille de Jaurès au Panthéon le 23 novembre 1924. Le romancier communiste Paul Nizan, dans La Conspiration, décrit la manifestation communiste d’hommage, distincte bien sûr des cérémonies officielles du Cartel des gauches, surmontée, selon les comptes rendus de la presse communiste, de 180 drapeaux rouges37, pas moins ! N’ayons garde d’oublier, non plus, les invectives des poètes surréalistes et jeunes adhérents du PCF (1927) Benjamin Péret ou Aragon. Citons, par exemple, du second, dans son Traité du style (1927), la célèbre apostrophe : « Je conchie l’armée française dans sa totalité », ou son poème de 1934, Réponse aux Jacobins : « Je salue ici/ceux qui se mutinèrent au Chemin des Dames/en mil neuf cent dix sept […] et tournèrent/leurs armes du côté de la Marseillaise38. » Au final, ces quelques exemples indiquent que, dans cette période, une part non négligeable des militants du PCF ne s’inscrit pas du tout dans la culture républicaine et refuse cette référence implicite au cadre national qui fait partie du patrimoine commun des autres partis politiques.

Le PCF fait retour à la Nation

8Pourtant, au mitan des années 1930, tout bascule. Comme le remarque Jean Garrigues à propos, justement, d’Aragon et de son poème Réponse aux Jacobins, « il est en retard sur l’histoire, en retard sur cette nouvelle reconquête de la mémoire révolutionnaire que socialistes et communistes ont choisi de mener ensemble main dans la main39 ». Le tournant se situe en 1935. La manifestation du Rassemblement populaire du 14 juillet 1935, au cirque Buffalo de Montrouge, donne au Parti communiste l’occasion d’adopter publiquement La Marseillaise, par la voix de Jacques Duclos40, et d’accomplir ainsi symboliquement ce tournant national. Ensuite, lors d’un Comité central du Parti, son secrétaire général Maurice Thorez annonce aux ouvriers que les richesses millénaires de la France leur appartiennent de droit41. Ce que Paul Vaillant-Couturier concrétise dans L’Humanité, par son article « Des Capétiens aux communistes42 ». Enfin, au VIII^e Congrès du PCF (du 22 au 25 janvier 1936), Maurice Thorez, exalte les hommes, les symboles et les grands principes de 1789 dans son rapport fleuve, « L’union de la nation française ».

9En réactivant à son profit cette culture républicaine radicale, en affirmant la prédominance d’un terreau révolutionnaire national ou alors sa coexistence avec celui venu de l’Est, le PCF s’enracine dans la société et sort de son isolement politique, même si cela provoque quelques remous, chez les surréalistes par exemple ou parmi des militants syndicalistes et révolutionnaires comme Maurice Dommanget. Dans L’École émancipée, revue de la Fédération unitaire de l’enseignement, à propos de la réappropriation de l’hymne national par le parti, il défend pour la classe ouvrière son « chant autonome de classe » (l’Internationale), le « chant de la Communauté internationale des hommes sans Capital et sans dieu », et dénonce ce parti qui réhabilite « publiquement la Marseillaise dans le pays où le prolétariat l’avait pratiquement abandonnée43 ». Cette orientation nouvelle se traduit notamment par l’apparition des personnages et symboles issus de la période révolutionnaire, sous le crayon des dessinateurs de la presse et des affiches communistes. Une affiche de Joël pour les élections législatives d’avril-mai 1936 convoque Mirabeau « pour faire payer les riches44 », le calendrier publié par L’Humanité pour le cent cinquantième anniversaire de 1789 appelle à la rescousse les sans-culottes des deux sexes ou les soldats de l’An II : les communistes poursuivent les combats de la Révolution française, puisque « nous continuons la France », annonce Thorez en médaillon. La Bastille, qui n’avait jamais totalement disparu de l’imagerie communiste, s’affiche de plus en plus souvent, comme dans ce dessin de Dubosc, qui se moque d’un drapeau blanc hissé en signe de défaite par les défenseurs de la forteresse45. Dès ce moment, il est clair que le PCF souhaite s’inscrire dans les traces de la République, dans le but de « [l’]investir pour la repopulariser, en quelque sorte46. Il s’agit, dans une logique antifasciste, d’approfondir les « libertés démocratiques », puisque la « République française des conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats » (Maurice Thorez, discours de juin 1936) se faisant attendre, la III^e République est, somme toute préférable au régime hitlérien, comme l’écrit Marcel Cachin, dirigeant du parti, dans ses Carnets47. Le tournage du film de Jean Renoir, La Marseillaise (1938), financé en partie grâce à la CGT qui fournit également nombre de figurants et dont l’historien communiste Jean Bruhat fut le conseiller historique, fournit un exemple particulièrement significatif de cette réappropriation. Le télescopage entre les deux moments, 1789 et 1936, entre les sans-culottes et les ouvriers, peut se lire dans une anecdote évoquée par le romancier Thierry Jonquet dans un de ses romans, Comedia. Alors que Renoir filme l’arrivée des bataillons fédérés marseillais à Paris, il coupe soudain la caméra. « Conciliabule des assistants. La prise était correcte, pourquoi l’avoir interrompue ? Pourquoi ? Parce que les figurants rigolards levaient le poing ! Délicieux anachronisme48. » De même, lors de ce fameux Comité central du 17-19 octobre, Maurice Thorez annonce l’abandon du terme russe de « rayon » pour revenir à celui de « section », qui fleure bon la référence sans-culotte49 !

10La décennie suivante, celle de la Libération et de la « guerre froide chaude », ne modifiera pas en profondeur ces items. Même si des inflexions, des durcissements, de brefs retours se font jour dans quelques circonstances, le Parti communiste pérennise globalement une symbolique républicaine, qu’il diffuse largement dés l’époque de la Libération. En 1946-1947, plusieurs affiches proclament que le « Parti communiste français est […] le Parti de la République, le Parti de la France50 ». Mais ne nous y trompons pas. En période de guerre froide, l’identité ouvrière et communiste doit nécessairement faire alliance avec la République, étant entendu que les communistes sont justement les seuls à pouvoir la défendre. Lors de la réunion de Sklarska-Poreba (Pologne), en septembre 1947, qui voit la mise en place du Kominform et de l’idéologie communiste des deux camps, Jdanov n’a-t-il pas précisé aux partis français et italiens qu’ils doivent impérativement « prendre en main le drapeau de l’indépendance nationale et de la souveraineté de leurs propres pays » ? Cette nouvelle approche de la nation, pleinement adoptée et adaptée par le PCF, indique que la classe (ouvrière) est la seule apte à représenter la Nation, du fait du déclin et de l’asservissement des bourgeoisies ex-nationales. Dans son ouvrage Réalité de la Nation, Georges Cogniot démontre que selon ses intérêts et selon les moments historiques, la bourgeoisie transforme la nation en une mystification, pour dissimuler son caractère de classe, ou bien elle l’abandonne, la foule aux pieds51. D’où le retour de Marianne dans l’iconographie communiste. Celle-ci se retrouve assez rapidement « croquée » en une Marianne offensive, déterminée. La posture préférée de celle qui incarne en cette période la résistance de la Nation face à l’impérialisme américain (« Yankee go home ! ») est le coup de pied au derrière, assené avec vigueur et élan. Marianne se débarrasse ainsi en août/septembre 1948 des gouvernements Marie et Schuman, avant de récidiver en novembre 1949 avec celui de Queuille ; avec non moins de fermeté, elle renvoie d’un coup de sabot l’Oncle Sam, le plan Marshall ainsi qu’un porte-avions, le Dixmude, chargé de matériel de guerre et de bombardiers52. On la retrouve également partant à l’assaut de différentes Bastilles, celle de l’impérialisme américain53 ou celle de « la misère, la répression, la guerre54 », avec le drapeau tricolore de l’indépendance nationale brandi. Cette République, les communistes la défendent âprement, par exemple contre les ambitions « bonapartistes » voire « fascistes » prêtées au général de Gaulle, comme dans cette affiche du peintre réaliste-socialiste André Fougeron en 1951, dans laquelle le général bâillonne fermement une Marianne prise par surprise55.

11Mais pour autant, bien entendu, la symbolique issue de l’URSS ne disparaît pas. En 1946, face à la réaction, Marianne prend appui sur un jeune prolétaire, qui brandit la pique des sans-culottes et arbore fièrement sur le torse la faucille et le marteau56. Lorsqu’elle est corrélée aux représentations de la patrie du socialisme, on retrouve la République sous la forme d’une Marianne, épanouie et fière, qui donne le bras à un jeune soviétique musclé, sous le titre « Vive l’amitié franco-soviétique57 ! ».

12Vilipendée, ignorée, magnifiée ou instrumentalisée, qu’elle brille par son absence ou par sa présence, la symbolique républicaine fait sans conteste partie de l’univers visuel du communisme français, dans un système de va-et-vient avec les analogies républicaines que l’on retrouve en URSS58, la plus connue étant l’utilisation du moment thermidorien par Léon Trotsky pour caractériser ce qu’il nomme la « contre-révolution bureaucratique » de Staline. Cette iconographie s’est retrouvée au cœur d’une culture politique du conflit, dont on nous assure, par ailleurs, que celle-ci n’a plus de raisons d’être dans notre société post-moderne pacifiée. Si le drapeau rouge, la faucille et le marteau se font rares dans les manifestations de ce début du xix^e siècle, il apparaît parfois de bien charmantes Marianne. À Bordeaux, le 28 mars 2006, lors des immenses manifestations contre le CPE (Contrat première embauche), une institutrice de 33 ans, défilait, les seins largement dévoilés, en jupe et bonnet phrygien rouges, telle l’héroïne du tableau de Delacroix59. Pour clore ces quelques pistes de travail, citons la déclaration d’une organisation « compagnon de route » du PCF, les Combattants de la liberté et de la paix60, en septembre 1949 :

Cent ans de luttes ouvrières et la participation des communistes et des syndicalistes au premier rang du combat libérateur [la Résistance] donnent bien le droit au drapeau rouge d’être à l’honneur au côté du drapeau tricolore61.