1Jean d’Arcy est un homme source. Remettre son action en perspective dans la continuité et l’histoire du temps présent est un projet stimulant.

2Pour caractériser Jean d’Arcy, il convient de rappeler son parcours d’officier, qui a forgé une partie de sa personnalité. Nous avons tous été séduits par lui au premier abord, par ce personnage qui se dévoilait progressivement. C’était peut-être là sa « complexité ».

3J’ai rencontré Jean d’Arcy en 1972 à son retour des États-Unis. J’avais fait mon entrée dans le secteur de l’audiovisuel un an auparavant, au cabinet du ministre de la Culture, Edmond Michelet, décédé en 1970, puis au Conseil d’État. Jean-Jacques de Bresson, alors directeur de l’ORTF, a fait appel à moi pour répondre aux questions juridiques, administratives et même déontologiques de l’ORTF, cet immense empire qui n’était pas encore condamné.

4L’ébauche d’une charte déontologique entre le ministère de la Culture et l’ORTFest un des sujets qui ont retenu mon attention au cabinet du ministre de la Culture. Deux puissances indépendantes qui parcouraient le même terrain et comptaient accomplir les mêmes missions, lesquelles étaient conçues de manière réciproque : le ministère de la Culture devait-il avoir avec la télévision les mêmes relations qu’avec la radio ? Ce problème se posait très sérieusement. Comment la radio et la télévision pouvaient-elles accomplir leur mission culturelle sans dépendre d’un ministère et simplement sur la foi d’une charte ou d’une convention internationale ? Cette charte a été rédigée. À ce moment-là, j’ai quitté le cabinet du ministre. Le directeur général de l’ORTF voulait faire signer ce texte par le successeur du ministre, Jacques Duhamel, et qu’il soit respecté de manière scrupuleuse en toute indépendance. Il a ainsi fait appel à moi pour cette première mission. Cette charte est à l’origine des notions qui sont traitées dans les cahiers des charges des chaînes publiques, puis des sociétés nationales de programmes et des chaînes privées.

5J’ai rencontré Jean d’Arcy au Haut-Conseil de l’audiovisuel qui venait d’être créé. C’était un lieu de réflexion et de propositions. Jean d’Arcy en était un membre actif, présidant l’une des commissions. J’avais alors une mission diplomatique qui consistait à ce que le Haut-Conseil de l’audiovisuel n’empiète nullement sur les prérogatives de l’ORTF. Une notion faisait alors débat et a été approfondie par Jean d’Arcy : c’était la recherche d’un système d’évaluation de la qualité des émissions de radio et de la télévision. On ne l’avait pas mis en place jusqu’à présent, l’immense empire sécrétait lui-même sa déontologie. Un organisme extérieur devait se pencher sur ce sujet, cela faisait partie du développement de la télévision. La notion de qualité d’un programme était une chose beaucoup plus simple pour la radio que pour la télévision. Fallait-il juger des programmes de la télévision ou de la conception même des émissions télévisuelles, de l’ensemble de la grille des programmes ? C’est au sein du Haut Conseil de l’audiovisuel qu’est née cette notion d’une « chaîne de télévision univers en soi », c’est-à-dire qui portait en elle-même toutes les obligations de qualité, de déontologie de service public.

6En 1975, la loi promulguant l’éclatement de l’ORTF a permis la création de sociétés indépendantes. À cette époque, j’étais directeur général de Radio France, au sein de laquelle un organisme international, l’Urti (Université radiophonique et télévisuelle internationale), était en déshérence à cause de la réforme et de l’éclatement de l’ORTF. L’Urti avait son siège à la maison ronde de Radio France. J’en suis devenu le président, à la demande de Jean d’Arcy. Il aimait cette université internationale et ne voulait pas qu’elle disparaisse dans cette réforme. Il m’a donc confié cette université, fondée par Wladimir Porché, que j’ai présidée pendant onze ans. Cette instance se donnait pour mission d’échanger des émissions de radio et de télévision entre tous les organismes de service public membres de l’Urti. Lorsque Jean d’Arcy confiait un poste à quelqu’un, c’était pour de longues d’années.

7Il était membre de la commission Moinot alors que je ne l’étais pas. Cependant, nous avons beaucoup réfléchi sur cette question. Il y avait un système d’auditions. Au centre des réflexions de Jean d’Arcy, il y avait la question de la création d’une instance de régulation et de l’indépendance de la radio et de la télévision dans un contexte de monopole. Jean d’Arcy était presque extrémiste sur ce sujet et voulait une indépendance de l’organisme de régulation extrêmement forte, avec des attributions exécutives lui conférant cette indépendance. Le point de rupture était le pouvoir financier. Pour Jean d’Arcy, l’organisme de régulation de la télévision et de protection de la radio ne pouvait pas ne pas avoir de pouvoir financier. Au sein de la commission présidée par Pierre Moinot, il savait que cette proposition n’aboutirait pas. Il n’en a pas fait un combat parce que la question était arbitrée depuis longtemps.

8Il a vécu une période un peu désenchantée. Il a réagi presque aussitôt en se consacrant à un autre projet qui a été le Comité d’histoire de la télévision. C’était son projet personnel, conçu comme un témoignage de l’ensemble de ses activités professionnelles. Dans ce projet, il fut extrêmement déterminé, ouvert, adroit, avec un réseau de relations très étendu, agissant toujours avec charme et compréhension, voulant créer un organisme et non une association d’anciens de la télévision, avec plusieurs missions. Il y avait les acteurs de la radio-télévision et un conservatoire de l’histoire de la radio-télévision. Il envisageait déjà, à l’époque, de recevoir des archives, de faire savoir aux acteurs de la radio-télévision qu’ils pouvaient déposer leurs documents, parce que l’État ne se donnait pas la mission de gérer les archives privées des pionniers et professionnels de la télévision publique. Allant plus loin encore, il avait étendu la vocation du Comité d’histoire à la création d’un musée de la télévision qui n’existe toujours pas. Il y a un musée de la radio mais pas de la télévision, en dépit de la place capitale qu’a eue la France dans la naissance de la télévision d’un point de vue technique. L’idée reste encore à mettre en œuvre.

9Créant lui-même le Comité d’histoire de la télévision, Jean d’Arcy en a pris la présidence et m’a demandé de faire partie du Conseil et d’en être le vice-président. À son décès, en 1983, j’en suis devenu le président. La création de ce comité est représentative de la personnalité de Jean d’Arcy. On y retrouve la vision globale qui le caractérisait : une histoire des techniques, des programmes, des organismes et des hommes qui avaient participé à cette immense aventure. La mission elle-même était multiple : recueillir les témoignages des pionniers et des acteurs, veiller à la collecte des documents, favoriser les études ou tout du moins en fournir les matériaux, car il avait le sentiment que l’histoire de la télévision appartenait, dans cette période initiale, davantage à ses créateurs qu’aux universitaires. Le Comité d’histoire est ainsi devenu un lieu de rencontre associant les réalisateurs, qui en ont été les principaux animateurs, mais aussi les dirigeants des chaînes et des organismes de télévision, les ingénieurs, les techniciens, les auteurs également. C’est avec un grand bonheur que j’ai assumé cette présidence dans la fidélité à l’esprit de son fondateur pendant près de vingt ans.

10Jean d’Arcy était un ardent défenseur du service public mais il a été également tenté par la privatisation. Son expérience américaine l’avait sur ce point conduit à une approche plus libérale. Je peux ainsi rappeler que je l’ai vu à de nombreuses reprises tenter d’acclimater, en France, des projets de télévision commerciale inspirés du modèle américain, mais sans succès, l’heure n’étant pas encore venue pour une ouverture du monopole. D’ailleurs, dans l’avenir qu’il prévoyait, il devait y avoir une collaboration entre les secteurs public et privé. Il avait également puisé en Grande-Bretagne des références et une réflexion sur la coexistence pacifique d’une puissante télévision publique avec des chaînes privées moins concurrentes qu’enrichissantes.

11Jean d’Arcy avait une conception extrêmement forte et précise du type d’hommes qui seraient alors les hommes du service public de la télévision. Les premiers membres en furent l’illustration. Je tiens à citer Pierre Desgraupes, Jacqueline Baudrier, Pierre Sabbagh, Pierre Wiehn, Roland Dhordain. Ils se caractérisaient par une conscience professionnelle, une exigence envers la qualité des programmes, un sens infaillible de la responsabilité à l’égard du grand public. Tel me paraît être l’héritage de Jean d’Arcy qu’ils incarnaient.