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Jean d’Arcy

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Marie-Françoise Lévy

Engagement, culture et réseaux

Engagement et trajectoire professionnelle : des fonctions ministérielles à l’entrée à la RTF (1945-1952)

Marie-Françoise Lévy

Texte intégral

  • 1 Mes remerciements vont à Claude d’Abzac-Epezy pour son aide afin de comprendre le parcours militair (...)

1Poser des jalons pour apporter un éclairage sur l’action de Jean d’Arcy au cours d’une période brève mais intense – les années 1944-1952 – constitue le sujet de cet article. Comprendre ce temps de la vie de Jean d’Arcy implique de mieux cerner les divers univers dans lesquels il évolue. Il s’agit ici de présenter les hommes auprès desquels il s’engage et œuvre ; de repérer les expériences auxquelles il est associé au premier plan et les décisions qui l’impliquent ; de reconstituer un cheminement professionnel et personnel au cours duquel se forgeront des idées, des orientations et des amitiés durables accompagnant des moments importants et le temps long de son existence1.

  • 2 Archives nationales (AN), F9/3132, ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés.
  • 3 Robert Belot, Henri Frenay. De la Résistance à l’Europe, Paris, Seuil, 2013.
  • 4 Jean-Pierre Rioux, La France de la Quatrième République, t. 1, L’ardeur et la nécessité (1944-1952)(...)

2Le 1er septembre 1944, Jean d’Arcy est nommé auprès d’Henri Frenay, ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés du gouvernement provisoire de la République. Jean d’Arcy intègre la direction des Affaires sociales, confiée à Alain Barjot. Il en devient le directeur adjoint et prend alors la responsabilité de la sous-direction de l’Accueil et de l’Entraide2. À ce poste, il est aux côtés de Frenay pour organiser le retour, écrit Robert Belot, de « 4840000 personnes en déshérence et ayant besoin d’aide3 », « en quête d’un pays et d’un foyer », souligne Jean-Pierre Rioux4.

  • 5 AN, F9/3132, journées d’études des directeurs de Maisons départementales du prisonnier et du déport (...)
  • 6 AN, F9/3132, note de Jean d’Arcy, 12 septembre 1945.

3Jean d’Arcy a en charge l’accueil des prisonniers et déportés dans les départements et notamment dans la région parisienne ; l’ensemble des questions touchant à la mise en œuvre, à l’administration et à l’efficacité de la Maison du prisonnier et du déporté au plan national et départemental5. Dans ce cadre, sont de son ressort les relations avec les Fédérations de rapatriés, le Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés et les associations non fédérées. Jean d’Arcy interviendra également dans « la Campagne nationale du retour », un appel à la solidarité nationale en faveur des prisonniers et déportés. Le but de cette campagne est la recherche et la collecte de fonds pour les comités départementaux, de vêtements, de moyens de transport, de ravitaillement et d’hébergement en faveur des rapatriés6. Enfin, il est un autre domaine d’intervention de Jean d’Arcy, repérable dans les archives de la Direction des affaires sociales, qui touche au rapatriement des enfants réfugiés et isolés, à l’adoption des enfants évacués :

  • 7 AN, F 9/3132, Jean d’Arcy, directeur par intérim des Affaires sociales, note du 6 mars 1945, dont l (...)

Mon administration recherche actuellement en accord avec les différents départements ministériels et organismes publics ou privés intéressés, une solution au délicat problème de l’enfance abandonnée ou privée de famille à la suite des événements de guerre7.

  • 8 Archives du Service historique de la Défense (SHD), Bureau des archives des victimes des conflits c (...)

4Il intervient également sur « la tutelle provisoire des enfants de déportés8 ».

5L’implication de Jean d’Arcy dans cette action nationale d’urgence sera à plusieurs reprises soulignée par Henry Frenay – dans des correspondances personnelles attestant d’une relation se poursuivant sur de longues années. Et dans son ouvrage, La nuit finira, Frenay écrit :

  • 9 Henri Frenay, La nuit finira, Paris, Robert Laffont, 1973.

Chacun, sans ménager son temps et sa peine, parfois privé de sommeil pendant plusieurs jours, fera la preuve que, dans des circonstances exceptionnelles, on ne fait pas appel en vain à la solidarité nationale. Jean d’Arcy, dans mon ministère, en sera l’un des meilleurs exemples9.

  • 10 Archives du SHD, château de Vincennes, dossier militaire de Jean d’Arcy, État des services, Livret (...)

6Peut-on dater la rencontre entre d’Arcy et Frenay ? Quand Jean d’Arcy rejoint le ministère dirigé par Frenay, il a 31 ans. Titulaire de deux baccalauréats, philosophie et mathématiques, diplômé de l’École des hautes études commerciales en juillet 1933, il est un appelé du contingent en 1934. Il fait l’École des officiers de réserve, puis au cours de l’année 1935 suit les cours des officiers de transmission. Son service s’achève en octobre 1936 et cette même année, il obtient la licence en droit. D’Arcy prolonge d’un an sa vie militaire comme officier sous contrat (officier de réserve en situation d’activité). Sa situation est ainsi renouvelable chaque année. Ce qu’il fera pour l’année 1938. Il est promu au grade de lieutenant. En 1938, il rejoint Toul où il se trouve lors de la mobilisation. Officier adjoint au colonel commandant du 218e régiment d’artillerie lourde divisionnaire, Jean d’Arcy fait ce que l’on appelle « une belle guerre ». Il est décoré de la croix de guerre (4 juillet 1940). Bien noté, les observations soulignent sa parfaite éducation, son intelligence vive, le sens de la décision, les qualités d’instructeur et un aspect émotif de sa personnalité10.

  • 11 Ibid., Jean d’Arcy sera à nouveau maintenu en disponibilité à partir d’octobre 1945 et rayé des cad (...)
  • 12 Mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance, archives de la Commission nationale de la (...)
  • 13 Mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance, archives de la Commission nationale de la (...)

7En septembre 1940, il n’est pas mis en congé d’armistice. Il est affecté au 61e régiment d’artillerie à Toulouse. Il y est en surnombre et maintenu en activité à l’École des cadres avec pour fonction la formation des chefs d’équipe du 1er septembre 1940 au 27 novembre 1942. Démobilisé puis renvoyé dans ses foyers le 28 novembre 1942, titulaire d’une permission renouvelable de trente jours, il est mis en congé d’armistice en mars 1943 puis placé en non-disponibilité à dater du 15 novembre 194311. il rallie la France combattante et entre dans la Résistance en novembre 194212. De novembre 1942 à avril 1944, le Mémoire de proposition pour la Médaille de la Résistance précise qu’il est chargé du contre-espionnage, puis des parachutages dans la région de Toulouse. D’avril 1944 à la Libération, il appartient au service des relations extérieures du Mouvement de libération nationale à Paris13.

  • 14 Fonds Jean d’Arcy, Comité d’histoire de la télévision (CHTV), Inathèque de France, dans un document (...)

8Sur cette période de sa vie, Jean d’Arcy laisse peu d’écrits14. Dans le livre d’entretiens avec François Cazenave, il mentionne néanmoins cette période :

  • 15 François Cazenave (propos recueillis par), Pionnier et visionnaire de la télévision : Jean d’Arcy p (...)

J’ai continué dans l’armée d’armistice qui était une armée bizarre. C’est par elle que je suis peu à peu arrivé à la Résistance. La Résistance pour moi s’est passée à Toulouse et à Paris dans le service de « Combat » chargé d’assurer le courrier entre Paris, Londres et Alger. Malgré quelques voyages en Suisse assez amusants, ce ne fut pas une période très active : j’étais un militaire faisant de la Résistance15.

9Entre Henri Frenay et Jean d’Arcy une amitié durable se nouera.

  • 16 Fonds Jean d’Arcy, CHTV, Inathèque de France, lettre d’Henri Frenay à Jean d’Arcy, 1er janvier 1964

Chers amis, écrit Henri Frenay. Vous êtes les premiers à qui j’écris ce matin du 1er janvier en datant 1964. 1964…! Cela fait par conséquent 20 ans que l’on se connaît ! Le quart de la vie d’un homme de bonne longévité16.

10Et dans cette autre lettre écrite pour les 60 ans de Jean d’Arcy en 1973, il écrit :

  • 17 AN, MUSEE AE II 3810, lettre d’Henry Frenay, Hommage à Jean d’Arcy..., op. cit.

Enfin depuis 31 ans (déjà) nous avons prouvé que nous attachons le même prix à l’amitié, celle que je suis heureux de vous témoigner dans ce mot. Bon anniversaire ! Henri17.

  • 18 Fonds Jean d’Arcy, CHTV, Inathèque de France, CHTV 014467/19, Association pour la Fondation Berty A (...)

11Fidélité encore une fois témoignée par Frenay, en 1979, quand il adresse à d’Arcy un courrier pour soutenir la création de l’Association pour la Fondation Berty Albrecht. Au bas du document, il écrit : « On vous a regretté à la réunion « Combat». Il faudra se voir en mars (nous partons dans quelques jours). Bien amicalement. Henri18. »

12Si Jean d’Arcy et Henri Frenay se sont liés d’amitié, il reste difficile – aujourd’hui – de situer exactement l’année charnière de la rencontre entre les deux hommes. Le travail mené par d’Arcy à partir de septembre 1944 comme directeur adjoint des Affaires sociales auprès de Frenay, ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, marque – si ce n’est le moment inaugural d’un lien personnel – une période déterminante de leur relation.

  • 19 Celle-ci implique démobilisations et déréquisitions, l’épuration, la réduction des effectifs et le (...)

13La mission accomplie par Henry Frenay s’achève à la fin de l’année 1945. Le ministère disparaît. Jean d’Arcy poursuit son engagement d’administrateur et son action ministérielle. Il est nommé, le 21 novembre 1945, chef du cabinet civil du ministre des Armées, Edmond Michelet, poste qu’il occupe jusqu’en décembre 1946. La réorganisation des forces armées, fonction même qui incombe à Michelet, est délicate19. Dans les tâches d’ordre quotidien, d’Arcy se trouve notamment responsable de la préparation des conseils et comités. Mais la mission centrale de Jean d’Arcy se situe au tournant d’avril 1946, quand il est désigné, par Michelet, délégué du gouvernement à la conférence franco-vietnamienne de Dalat, conférence préparatoire ayant pour objet le statut de la Fédération. Arrivé à Saigon, Jean d’Arcy écrit à Edmond Michelet :

  • 20 Fonds Edmond Michelet, 4 EM 57, centre Edmond Michelet, Brive-la-Gaillarde, lettre manuscrite de Je (...)
  • 21 Ibid.
  • 22 Papiers Georges Bidault, AN, 457 AP/127, rapport au ministre, objet : ouverture de la conférence fr (...)

« Monsieur le Ministre, Je profite de l’avion qui part demain matin pour vous dire rapidement mon arrivée à bon port et vous rendre compte succinctement de ma conversation d’aujourd’hui avec l’Amiral20. » Lettre au caractère éminemment politique dans laquelle d’Arcy recommande de faire ressortir « la force et l’ordre dans l’Empire » et « la fermeté à Paris21 ». Accompagnant Ho Chi Minh lors du voyage pour Paris en juin 1946, Jean d’Arcy, en tant que délégué du gouvernement, occupe une position d’observateur et de rapporteur pendant la conférence franco vietnamienne de Fontainebleau. Il est ainsi l’auteur d’une note très circonstanciée sur les incidents et les facteurs ayant provoqué la suspension de la séance d’ouverture de la conférence de Fontainebleau, le samedi 6 juillet 1946 et qui viendraient ainsi en compromettre les objectifs22.

  • 23 Fonds Edmond Michelet, 4 EM 57, centre Edmond Michelet, Brive-la-Gaillarde, note sur l’amiral d’Arg (...)

14Dans une note postérieure, en date du 10 décembre 1946, d’Arcy porte un avis également très net sur le rôle de d’Argenlieu : « Il est absolument indispensable que l’amiral d’Argenlieu reparte en Indochine. Le plus rapidement possible et pour un délai minimum de deux mois23. »

  • 24 Jean d’Arcy, « Confrontation des thèses françaises et vietnamiennes », Politique étrangère, n° 3, 1 (...)

15Jean d’Arcy apportera un éclairage sur sa vision de la situation et sur sa position dans un article, « Confrontation des thèses françaises et vietnamiennes », publié en 194724. Construit comme un rapport, ce texte expose les deux thèses, les conceptions politiques des parties, souligne les points d’accord partiels et fragiles dont – sur le fond – les interprétations divergent et montre ce qui a conduit à la montée du conflit, des incompréhensions, des obstacles et des violences. Si ce texte résulte d’une approche modérée, le ton n’en est pas moins grave :

  • 25 Jean d’Arcy, « Confrontation des thèses françaises et vietnamiennes », art. cité.

Par-delà les brèves dépêches d’agence et les informations politiques plus ou moins sensationnelles qui, aussitôt lancées, se trouvent démenties, rien ne paraît plus tragique que ce lourd silence, traversé d’éclairs de feu et de sang qui plane en réalité sur les intentions profondes des deux gouvernements. Que voulait la France ? Que voulait le Vietnam ? Telle est, de part et d’autre, la question sans cesse formulée et qui, en dehors des slogans schématiques qui font les justifications apparentes des guerres, n’a jamais trouvé de réponse officielle claire et nette25.

  • 26 Ibid.

16Ce texte se veut une contribution à l’information de l’opinion pour lui permettre une meilleure compréhension de la situation. Distinguant une « opinion publique française », une « opinion étrangère », une « opinion annamite », il établit ce constat – « jusqu’à maintenant, aucun effort français n’a été tenté »– et il affirme qu’elles « attendent toutes trois vainement que leur soient exposés, de façon officielle, les buts précis des deux gouvernements ». Cet exercice de clarification auprès des opinions publiques porte pour espoir et objectif : la reprise d’un dialogue. Tel est l’enjeu de ce texte. Et dans ce processus, s’affirme la conviction que l’information peut en constituer une arme. D’Arcy n’écrit-il pas : « Puisque les circonstances sont telles qu’il [le dialogue] n’a pu être encore repris, ne pourrait-il cependant être utile, pour en préparer la reprise, d’avoir enfin recours à cette arme essentielle des démocraties qu’est l’opinion publique26 ? » Reprenant cette idée force, il conclut son article par une exhortation à une reprise du dialogue :

  • 27 Ibid.

Aujourd’hui la France, ayant affirmé nettement et clairement ses positions, est en mesure de reprendre le dialogue interrompu. Ceux qui le reprendront, [...] se souviendront qu’il aura fallu que des milliers d’hommes meurent pour que d’autres hommes soient susceptibles de parler le même langage et de se comprendre27.

  • 28 François Cazenave (propos recueillis par), Pionnier et visionnaire de la télévision..., op. cit.

17Recherche du consensus, approche constructive qui instaure l’information comme facteur d’un langage commun, au service du dialogue et de l’expression de la démocratie, constituent autant d’éléments fondamentaux de la pensée de d’Arcy. Il les exprime dans le temps même où il exerce désormais son activité professionnelle en tant que directeur adjoint du cabinet de Pierre Bourdan, ministre de la Jeunesse, des Arts et des Lettres, chargé des services de l’information, du gouvernement Ramadier (janvier 1947-octobre 1947). De cette période, Jean d’Arcy dira : « Les questions d’information étaient de première importance à la Libération : les statuts de la presse, des messageries et des imprimeries, toute une nouvelle législation qu’à la suite de la Résistance on essayait de mettre sur pied28. »

  • 29 AN, 22/AR/11, archives Pierre Bourdan, Pascal Ory, « Pierre Bourdan et la politique culturelle du g (...)
  • 30 Pascale Goetschel, Renouveau et décentralisation du théâtre (1945-1981), Paris, PUF, 2004.

18Jean d’Arcy va donc participer aux décisions importantes sur le statut de l’entreprise de presse élaborées lors de ce court ministère Bourdan et qui se caractérisent par la disparition de l’autorisation préalable de paraître pour les journaux (loi du 28 février 1947), la réglementation des messageries (loi du 2 avril 1947), l’adoption de la loi du 25 juin 1947 qui contribue également à redonner la liberté aux entreprises de presse et l’indépendance à l’égard de la tutelle politique. « En d’autres termes voici un ministre de l’information, note Pascal Ory, qui se préoccupe de se dessaisir de la plupart de ses attributions, ce qu’il confirme explicitement quand il déclare : le seul successeur de mon ministère doit être la liberté29. » L’autre élément majeur introduit par Pierre Bourdan concerne le statut de l’Agence France-Presse. Cette action politique établit de nouvelles relations entre information et démocratie. Enfin, il convient de ne pas sous-estimer les mesures en matière de politique culturelle et en particulier celles qui touchent au théâtre. Si Pierre Bourdan n’en est pas l’initiateur, il soutiendra néanmoins activement la décentralisation théâtrale en favorisant la mise en place des centres nationaux en province ; décentralisation théâtrale et aide aux jeunes compagnies se trouvent renforcées par les dispositions prises par le ministre permettant l’aide à la première pièce30. Le renouveau théâtral est incarné par la troupe dirigée et créée par Jean-Louis Barrault au théâtre Marigny à Paris en 1946. La première manifestation d’Avignon en cette année 1947 en est également une des expressions importantes. Dans ce contexte, Pierre Bourdan nomme Pierre-Aimé Touchard à la tête de la Comédie-Française. Jean d’Arcy participe donc de cette expérience culturelle et politique. L’importance du théâtre au service de la démocratisation culturelle et le renouvellement de cet univers artistique marqueront Jean d’Arcy qui, devenu quelques années plus tard directeur des programmes, poursuivra dans cette voie en faisant de la télévision, en ce domaine, un relais d’ampleur nationale. Son travail sur l’élaboration des projets, lois et décrets sur le statut de la presse a également contribué à forger sa réflexion sur la question, à ses yeux fondamentale, de l’information en démocratie. Est-ce alors le tournant de la vie professionnelle de Jean d’Arcy ? Le temps d’une rencontre décisive entre une conviction et sa mise en œuvre ? Lui-même témoignant que cette réflexion avait creusé son sillage en regard des années de guerre :

  • 31 François Cazenave (propos recueillis par), Pionnier et visionnaire de la télévision..., op. cit.

Mes activités dans l’information sont arrivées peu à peu en contrepoint. Dans l’armée, jusqu’au 18 juin 1940, on avait uniquement à obéir : cela repose sur le principe d’une décision du chef qui n’informe pas des raisons pour lesquelles il prend sa décision. Le processus de l’information est tout à fait différent : il part de la nécessité de convaincre, d’obtenir l’accord préalable de ceux à qui on donne un ordre31.

19Le parcours de Jean d’Acy se dessine, se précise. Il poursuit son activité en tant que chargé de mission dans le cabinet de François Mitterrand, secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, chargé de l’Information (juillet 1948-octobre 1949). La Radiodiffusion française est alors du ressort du ministre.

  • 32 Hélène Eck, « François Mitterrand et la question du développement de la télévision (1948-1949) », d (...)

Confrontée à de graves difficultés financières, écrit Hélène Eck, elle paraissait incapable de conduire ses missions en matière de radiodiffusion. Comment dans de telles conditions, pouvait-elle engager le développement d’un nouveau média, la télévision et convaincre les milieux concernés, tant politiques qu’économiques, de l’importance à venir de cette nouvelle technique ? François Mitterrand déploya beaucoup d’énergie, de ténacité et de sens politique pour apporter des solutions aux difficultés rencontrées. Avec quels résultats32 ?

  • 33 Sur ce sujet, se reporter dans cet ouvrage à la contribution d’Andreas Fickers et Andy O’Dwyer.

20Durant ce court exercice ministériel, trois mesures sont prises en matière de télévision : l’adoption du standard de télévision 819 lignes qui, par la qualité et la haute définition de l’image, constitue un enjeu industriel et commercial, d’une part, économique et politique, d’autre part. Il s’agit de convaincre les pays européens d’adopter ce standard en concurrence avec celui choisi par la Grande-Bretagne, le 625 lignes33. La publication du décret du 9 février 1949 qui crée le titre de « directeur général de la Radiodiffusion et Télévision française » inscrit la reconnaissance de la télévision et désigne sa place dans l’espace public. Reconnaissance affirmée quelques mois plus tard dans la loi du 30 juillet 1949 qui institue la redevance sur les postes de télévision.

  • 34 AN, F41/2669, note de service à l’attention de monsieur Porché S/C de monsieur Védrine, 31 mai 1949

21Jean d’Arcy, aux côtés de Jean Védrine, est présent sur ces dossiers et en particulier sur la défense du standard de 819 lignes défendu par la France. Dans une lettre adressée à Wladimir Porché, directeur général de la Radiodiffusion française, Jean d’Arcy lui demande la rédaction d’une note sur ce sujet en vue du débat à la Chambre34. Dans une note de Jean Védrine, se trouve ainsi définie la mission de Jean d’Arcy à Turin entre le 15 et le 25 octobre 1949 où doivent avoir lieu des démonstrations techniques de télévision :

  • 35 AN, F41/2669, Jean Védrine, mission de monsieur d’Arcy à Turin, courrier du 11 octobre 1949.

L’effort fait par les constructeurs américains est considérable. Il importe que le gouvernement italien mesure toute l’importance attachée par le gouvernement français à son choix. Tel est le but de la mission de M. d’Arcy35.

  • 36 Archives de la province dominicaine de France, bibliothèque du Saulchoir, R.P. Pichard o. p., Jean (...)
  • 37 Ibid.

22La rencontre entre Jean d’Arcy et le R.P. Pichard se situe dans ce contexte, quelques mois après la retransmission en direct, le 24 décembre 1948, de la messe de minuit célébrée à Notre-Dame de Paris par le cardinal Suhard. Après le succès de cet événement, le R.P. Pichard, adjoint auprès du père Charles Avril o. p., responsable des émissions religieuses radiophoniques, proposa à Jean d’Arcy deux projets : solliciter auprès du pape un discours filmé, en français et en anglais, célébrant la fête de Pâques 1949 et proposer l’offrande au Vatican, à l’occasion de l’année sainte, d’un émetteur de télévision destiné à devenir un studio-école36. « En un éclair, rapporte le R.P. Pichard, Jean d’Arcy saisit l’intérêt de ma suggestion » qui s’inscrivait dans la promotion et l’adoption du standard français en Europe. Ces démarches menées par Jean d’Arcy, en étroite relation avec Wladmir Porché tout au long de l’année 1949, aboutirent. Au mois d’octobre 1949, un comité national pour le don de cet émetteur est fondé. Paul Claudel en est le président. L’émetteur est inauguré à Noël 1949 et mis en fonctionnement le 13 mars 195037.

  • 38 Wladimir Porché, note de service du 27 octobre 1950, objet : missions concernant la télévision, AN, (...)

23Jean d’Arcy a désormais quitté les fonctions d’ordre directement ministériel pour rejoindre Wladimir Porché. Il est alors nommé conseiller, chargé à ses côtés des relations internationales. Ainsi s’opère le passage qui le mène dorénavant à agir au sein même de la Radiodiffusion-Télévision française. Il se verra confier deux tâches touchant à l’essor de la télévision : promouvoir ses réalisations au moment où est mis en service le standard français, organiser la participation aux réunions internationales, expositions et congrès. À Jean d’Arcy est attribuée la fonction diplomatique, économique et culturelle propre à ces missions38. Quand Jean d’Arcy devient directeur des programmes de télévision en 1952, il possède une connaissance remarquable des enjeux qui président tant au développement de la télévision à l’échelle européenne et internationale qu’aux obstacles internes au plan national.

24Que comprendre et retenir de ce parcours et des jalons qui en dessinent la réalisation ?

25En premier lieu, l’engagement renouvelé dans l’armée en choisissant, non la voix d’excellence et la carrière militaire par l’École de guerre, mais la voie médiane du statut contractuel adossé à l’École des officiers de réserve. Et la confirmation d’un engagement face aux événements qui s’annoncent.

26Les années dans l’armée d’armistice et la rupture au moment de l’engagement dans la résistance en novembre 1942.

27L’entrée en responsabilité directe dans le cabinet formé par Henri Frenay en septembre 1944 qui vient ouvrir une séquence professionnelle marquée par l’exercice de responsabilités dans les cabinets des ministères Michelet, Bourdan et Mitterrand.

28Une inflexion majeure en 1947 quand, auprès de Pierre Bourdan, il l’assiste sur des projets qui mettent au cœur de l’action politique deux convictions majeures : la liberté de l’information qui prend appui pour Jean d’Arcy sur la Déclaration universelle des droits de l’homme en son article 19 et la démocratisation culturelle.

29Les questions d’ordre diplomatique et industriel touchant au développement de la télévision dont il mesure les possibles dans un jeu d’échelle national et européen.

  • 39 Hommage à Jean d’Arcy..., op. cit., AN, MUSEE AE II 3810.

30De cette période naissent des amitiés durables avec Henri Frenay, Edmond Michelet, Pierre de Bénouville, le R.P. Pichard, Guy Hattu, et se nouent également des relations politiques sur la longue durée39.

31Ces années sont ainsi pour Jean d’Arcy une période d’engagement, d’expérience et de détermination. Elles lui apportent une excellente connaissance du milieu et des processus de décision politique, d’une part, et des rouages du fonctionnement des services de l’administration, d’autre part.

32C’est donc nourri de ces apports culturels et politiques qu’il prend la direction des programmes de télévision, qu’il pense et définit les missions du service public tout en les mettant en œuvre, confirmant, au demeurant, son engagement européen.

Notes

1 Mes remerciements vont à Claude d’Abzac-Epezy pour son aide afin de comprendre le parcours militaire de Jean d’Arcy, à Hugues Tertrais pour les échanges portant sur les écrits de d’Arcy traitant des conférences de Dalat et de Fontainebleau, et à Jean Astruc pour les conseils et avis dans le cadre de cette recherche.

2 Archives nationales (AN), F9/3132, ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés.

3 Robert Belot, Henri Frenay. De la Résistance à l’Europe, Paris, Seuil, 2013.

4 Jean-Pierre Rioux, La France de la Quatrième République, t. 1, L’ardeur et la nécessité (1944-1952), Paris, Seuil, 1980.

5 AN, F9/3132, journées d’études des directeurs de Maisons départementales du prisonnier et du déporté les 19, 20 et 21 septembre 1945 à Paris. Exposé de synthèse sur les rapports du directeur de la Maison du prisonnier et du déporté avec les trois fédérations (M. d’Arcy, directeur adjoint des Affaires sociales).

6 AN, F9/3132, note de Jean d’Arcy, 12 septembre 1945.

7 AN, F 9/3132, Jean d’Arcy, directeur par intérim des Affaires sociales, note du 6 mars 1945, dont l’objet est l’adoption des enfants évacués.

8 Archives du Service historique de la Défense (SHD), Bureau des archives des victimes des conflits contemporains, 40R26, Caen, lettre circulaire du 9 juillet 1945.

9 Henri Frenay, La nuit finira, Paris, Robert Laffont, 1973.

10 Archives du SHD, château de Vincennes, dossier militaire de Jean d’Arcy, État des services, Livret matricule.

11 Ibid., Jean d’Arcy sera à nouveau maintenu en disponibilité à partir d’octobre 1945 et rayé des cadres et du contrôle de l’armée en janvier 1957.

12 Mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance, archives de la Commission nationale de la médaille de la Résistance. Journal officiel du 24 octobre 1945, Annuaire des médaillés de la Résistance française. Le mémoire est composé d’un rapport rédigé par Pierre de Bénouville. Jean d’Arcy gardera de ces années des liens avec Pierre de Bénouville. En atteste la lettre adressée à Jean d’Arcy en 1973 à l’occasion de son 60e anniversaire : Hommage à Jean d’Arcy (plus de cent lettres reçues par Jean d’Arcy à l’occasion de son soixantième anniversaire) réalisé par son épouse (Manuela d’Arcy) et donné aux Archives nationales. Couverture imaginée et peinte par Mathieu, AN, MUSEE AE II 3810. Je remercie Monsieur Lucien Duval, secrétaire de la Commission nationale de la médaille de la Résistance qui autorisa la consultation de ces documents, ainsi que Stéphanie Maillet-Marqué pour la consultation de l’ouvrage Hommage à Jean d’Arcy.

13 Mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance, archives de la Commission nationale de la médaille de la Résistance. Journal officiel du 24 octobre 1945, Annuaire des médaillés de la Résistance française. De cet engagement, naîtra une amitié durable avec Pierre de Bénouville. Il convient également de préciser que Marie-Madeleine Duval (1913-1970), que Jean d’Arcy épousera en 1946, fut secrétaire d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Arrêtée en 1943, puis relâchée trois mois plus tard, elle entre alors au Service des relations extérieures du MLN. Cf. Mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance, archives de la Commission nationale de la médaille de la Résistance. Marie-Madeleine Duval est arrêtée avec Jean Martin-Chauffier (1922-1987). Elle est la sœur de Simone Martin-Chauffier (1902-1975). Résistante appartenant au réseau du Musée de l’Homme, celle-ci est l’épouse de Louis Martin-Chauffier (1894-1980). Écrivain, journaliste, il entre dans la Résistance et devient rédacteur en chef de Libération de 1942 à 1944. Simone Martin-Chauffier a publié sur ces années : À bientôt quand même, Paris, Calmann-Lévy, 1976. Le journal de Louis Martin-Chauffier a été publié dans Guillaume Piketty (dir.), Français en résistance. Carnets de guerre, correspondances, Journaux personnels, Paris, Robert Laffont (Bouquins), 2009, 1216 p. Je remercie madame Manette Bertin-Chauffier pour l’entretien quelle nous a accordé (10 janvier 2012).

14 Fonds Jean d’Arcy, Comité d’histoire de la télévision (CHTV), Inathèque de France, dans un document manuscrit de son curriculum vitae, il écrit : « Jean d’Arcy. Âge : 55 ans ; 1939-1944 : Officier d’artillerie ; Guerre ; Résistance ». Dans la version dactylographiée est inscrit : « 1933-1943 : Officier d’artillerie d’active ; 1943-1945 : Résistance (Combat) ».

15 François Cazenave (propos recueillis par), Pionnier et visionnaire de la télévision : Jean d’Arcy parle, Bry-sur-Marne/Paris, Ina/La Documentation française, 1984.

16 Fonds Jean d’Arcy, CHTV, Inathèque de France, lettre d’Henri Frenay à Jean d’Arcy, 1er janvier 1964.

17 AN, MUSEE AE II 3810, lettre d’Henry Frenay, Hommage à Jean d’Arcy..., op. cit.

18 Fonds Jean d’Arcy, CHTV, Inathèque de France, CHTV 014467/19, Association pour la Fondation Berty Albrecht, document du 28 février 1979 signé Henri Frenay. Jean d’Arcy deviendra membre actif de l’Association en 1979. Sa carte d’adhésion figure également dans les archives, CHTV 014467/19.

19 Celle-ci implique démobilisations et déréquisitions, l’épuration, la réduction des effectifs et le reclassement professionnel des cadres dégagés, Vers les armées de demain. Six mois d’eƒƒorts au ministère des Armées, novembre 1945-mai 1946, brochure du ministère des Armées, fonds Edmond Michelet, 4 EM 161, centre Edmond Michelet, Brive-la-Gaillarde. Voir également sur ce sujet les travaux de Claude d’Abzac-Epezy, « Edmond Michelet et la démobilisation de l’armée française (1945- 1946) », Revue historique des armées, n° 245, 4/2006 ; id., « Les sorties de guerre », p. 37-47 et « Edmond Michelet, ministre des Armées, et la réconciliation dans les armées françaises », dans Nicole Lemaitre, Jean-Marie Mayeur, Hélène Say (dir.), Edmond Michelet, un chrétien en politique, actes du colloque des 10 et 11 décembre 2011, Paris, Lethielleux, 2011.

20 Fonds Edmond Michelet, 4 EM 57, centre Edmond Michelet, Brive-la-Gaillarde, lettre manuscrite de Jean d’Arcy à Edmond Michelet, Saigon, le 29 avril 1946. Dans ce courrier, d’Arcy fait part notamment de la demande de d’Argenlieu et de son besoin « d’hommes ». Il écrit également : « La venue de la délégation est prévue pour la date fixée. Il est absolument primordial à mon avis que le MRP s’en occupe de près – particulièrement sur le plan contacts intellectuels. »

21 Ibid.

22 Papiers Georges Bidault, AN, 457 AP/127, rapport au ministre, objet : ouverture de la conférence franco-vietnamienne de Fontainebleau, 7 juillet 1946, 7 p. Et le témoignage de Thierry d’Argenlieu, Chronique d’Indochine. 1945-1947, Paris, Albin Michel, 1985.

23 Fonds Edmond Michelet, 4 EM 57, centre Edmond Michelet, Brive-la-Gaillarde, note sur l’amiral d’Argenlieu et la situation en Indochine au 9 décembre 1946.

24 Jean d’Arcy, « Confrontation des thèses françaises et vietnamiennes », Politique étrangère, n° 3, 1947, 12e année, p. 325-344.

25 Jean d’Arcy, « Confrontation des thèses françaises et vietnamiennes », art. cité.

26 Ibid.

27 Ibid.

28 François Cazenave (propos recueillis par), Pionnier et visionnaire de la télévision..., op. cit.

29 AN, 22/AR/11, archives Pierre Bourdan, Pascal Ory, « Pierre Bourdan et la politique culturelle du gouvernement Ramadier », communication au colloque « Paul Ramadier », Paris, 8 et 9 décembre 1988.

30 Pascale Goetschel, Renouveau et décentralisation du théâtre (1945-1981), Paris, PUF, 2004.

31 François Cazenave (propos recueillis par), Pionnier et visionnaire de la télévision..., op. cit.

32 Hélène Eck, « François Mitterrand et la question du développement de la télévision (1948-1949) », dans Olivier Feiertag, Isabelle Lespinet-Moret (dir.), L’économie ƒaite homme. Hommage à Alain Plessis, Paris, Droz, 2010.

33 Sur ce sujet, se reporter dans cet ouvrage à la contribution d’Andreas Fickers et Andy O’Dwyer.

34 AN, F41/2669, note de service à l’attention de monsieur Porché S/C de monsieur Védrine, 31 mai 1949.

35 AN, F41/2669, Jean Védrine, mission de monsieur d’Arcy à Turin, courrier du 11 octobre 1949.

36 Archives de la province dominicaine de France, bibliothèque du Saulchoir, R.P. Pichard o. p., Jean d’Arcy et l’introduction des religions juive et chrétienne dans la télévision naissante, mémoire dactylographié, 10 avril 1983, 46 p. Tous mes remerciements vont au frère Jean-Michel Potin pour son accueil et l’autorisation de consultation des documents, notamment la correspondance entre Jean d’Arcy et le R.P. Pichard ; « Jean d’Arcy. Hommage du révérend père Pichard », Bulletin du CHTV, n° 7, juin 1983.

37 Ibid.

38 Wladimir Porché, note de service du 27 octobre 1950, objet : missions concernant la télévision, AN, Centre des archives contemporaines, 950 218/Article 20.

39 Hommage à Jean d’Arcy..., op. cit., AN, MUSEE AE II 3810.

Auteur

Est historienne, chercheur au CNRS (UMR Irice, CNRS, universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris 4). Elle enseigne dans le master Histoire et Audiovisuel de l’université Paris 1 et dirige avec Anaïs Fléchet et Robert Frank le séminaire « Littératures et musiques dans les relations internationales : identités, transferts culturels et réception à l’époque contemporaine ». Parmi ses publications : La télévision des Trente Glorieuses. Culture et politique, Paris, CNRS Éditions, 2007 (en codirection avec Évelyne Cohen) ; Les lucarnes de l’Europe. Télévisions, cultures, identités, 1945-2005, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008 (en codirection avec Marie-Noële Sicard) ; Un espace public européen en construction. Des années 1950 à nos jours avec Robert Frank, Hartmut Kaelble, Luisa Passerini (dir.), Bruxelles, Peter Lang, 2010.

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