1 Naville considérait le temps de travail comme « l’enjeu le plus serré de la vie sociale » (Naville, 1969) en permettant par sa réduction non seulement le partage de l’emploi mais aussi la réorganisation des temps sociaux. Dans notre nouvelle société salariale, le profil des actifs s’est transformé en même temps que les conditions d’accès aux activités productives et le temps de travail. Alors qu’un long apprentissage sur le tas caractérisait la formation de la main-d’œuvre dans l’univers corporatif (Sewell, 1983), le salariat a institué la séparation de la formation et de l’emploi (Rolle, 1997).

2Cette séparation entre la formation et l’emploi est-elle présente dans l’apprentissage du métier d’éducateur sportif ? Tout comme pour les métiers de professeur de musique ou de danse, l’accès au métier d’éducateur sportif suppose une longue socialisation qui commence très jeune avec une nécessaire pratique sportive personnelle doublée d’une acculturation au milieu. Ainsi, dans les métiers d’entraîneur sportif ou d’encadrant d’activités physiques et sportives (APS), en salle de fitness, base nautique ou en pleine nature, l’entrée en formation débute bien avant l’accès à un cursus de formation.

3Dans un contexte de forte incertitude économique – dans ce métier comme dans d’autres –, la relation formation-emploi est problématique car elle est souvent réduite à une « vision adéquationniste ». La formation est en effet essentiellement construite en référence à l’emploi disponible sur le marché du travail (Le Roux, Wipf, 2012, p. 3-4). Dans la lignée des critiques adressées à cette approche binaire et mécaniste dont la causalité linéaire doit être questionnée (Tanguy, 1986) l’articulation entre les formations professionnelles et les emplois auxquels elles permettent l’accès nous incite à questionner les ajustements entre les divers temps sociaux enchevêtrés et constitutifs de ce lien : le temps des formations, le temps du travail, les temps connexes qui affectent l’emploi d’éducateur sportif et, plus encore, l’activité de travail directement en prise avec le temps de loisir des usagers et destinataires du service. Dans ce texte, nous voudrions ainsi montrer comment la variable « temps », considérée sous plusieurs aspects, influence la relation formation-emploi et constitue une variable que le sociologue doit prendre en compte au même titre que l’espace, la trajectoire ou le « milieu » social.

4Le temps dans la relation formation-emploi étant un phénomène socialement construit par les acteurs de cette relation, nous analyserons le jugement social porté par les employeurs (associatifs et marchands) sur le travail des salariés, selon leurs rapports aux temps sociaux et leur intérêt propre. Dans notre étude, la relation formation-emploi est ainsi analysée à partir de trois temps sociaux : le temps de la formation à la profession d’éducateur sportif, le temps de travail et le temps requis pour l’acquisition de la compétence reconnue dans l’encadrement des APS. Par-delà les temps objectivistes, le rôle du temps dans la construction de qualifications renvoie au rapport à la temporalité (tempus) des acteurs sociaux.

5Ce rapport au temps porte les marques du temps long de la socialisation, producteur du « capital spécifique » (Bourdieu, 1984) dans le segment du marché de l’emploi sportif, liée à l’intervention éducative ou l’encadrement des APS1. Nous tenterons d’expliquer le point de vue des employeurs du tiers-secteur (associatif) et du secteur marchand sur l’appréciation de la relation formation-emploi qualifiée par leur propre rapport aux temps sociaux. Et ce faisant, de comprendre le glissement de perception qui s’opère, reléguant le capital technique sportif fonctionnant comme filtre à l’entrée sur les marchés du travail, derrière d’autres acquis ou ressources, comme les « qualités relationnelles ». Plus indicibles parce que du registre du savoir-être, les « compétences relationnelles » se constituent aussi dans le temps, en particulier celui des expériences professionnelles vécues. Elles portent les marques des changements de temporalités de l’activité et de la formation requise. Par ailleurs, l’argument de la compétence au détriment de la qualification fondée sur une formation longue permet aussi aux employeurs de puiser leurs ressources humaines parmi des formations plus courtes et moins chères privilégiant l’employabilité immédiate (Monchatre, 2007).

6Pour illustrer notre propos, deux univers professionnels – aux configurations structurelles et finalités différentes – sont comparés : le secteur sportif associatif et l’entreprise de fitness. L’analyse des temps et de leurs effets a été forgée à partir de résultats d’enquêtes quantitatives et qualitatives réalisées dans la seconde partie des années 2000 (Marsault, Pichot et al., 2005 ; Bauger et al., 2004 ; Wipf et al., 2008 ; Mischler et al., 2010). Après une brève contextualisation de l’étude et une analyse des enjeux de définition tant de la profession que de la formation d’éducateur sportif, nous tenterons de voir ce que le temps fait à la relation formation-emploi et de comprendre comment s’instaure une compétence spécifique suspendue aux intérêts objectifs et aux valeurs des employeurs.

La profession d’éducateur sportif : un monopole d’État et une relation formation-emploi orientée vers le sport compétitif

7En forte croissance2 (Le Roux, Camy et al., 2002) après la période faste des « vingt glorieuses sportives » (1960-1980), les 117000 emplois recensés en 20093 dans l’encadrement, l’animation et la gestion des activités sportives, dont 35 % sont des postes de « moniteurs, éducateurs ou sportifs professionnels » (Le Roux, Camy et al., 2002), occultent la diversité des emplois et nourrissent des représentations partielles mais dominantes du sport associées aux clubs sportifs associatifs4. Il est en effet paradoxal d’observer l’accroissement des emplois administratifs et commerciaux liés au sport dans le secteur marchand autour des prestataires de services et les représentations dominantes confinées à la pratique sportive fédérale et à l’emploi d’éducateur sportif. Cette profession reste un métier à part car fortement encadré par l’État, tout en connaissant des évolutions liées à la transformation du marché du travail. C’est à l’aune du système sportif français et du rôle de l’État que le décalage entre une formation orientée vers l’encadrement du sport compétitif et la réalité des emplois occupés par les éducateurs, dans les TPE commerciales et/ou individuelles proposant essentiellement des loisirs sportifs et de la forme physique, peut être éclairé.

8L’enseignement, l’animation, l’entraînement ou l’encadrement dans une activité physique ou sportive contre rémunération nécessite la possession d’un titre de qualification inscrit au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). La spécificité de la profession d’éducateur sportif est étroitement liée au cadre juridique coercitif qu’impose l’article 43 de la loi du sport (1984), symptomatique d’un monopole d’État sur les formations et l’emploi dans le sport :

Nul ne peut enseigner, animer, entraîner ou encadrer contre rémunération une activité physique ou sportive, à titre d’occupation principale ou secondaire, de façon régulière, saisonnière ou occasionnelle, s’il n’est titulaire d’un diplôme comportant une qualification définie par l’État et attestant de ses compétences en matière de protection des pratiquants et des tiers.

9Comparativement à nos voisins européens, les réglementations relatives à l’encadrement sportif en France ont été conçues jusqu’à un passé récent dans une logique interventionniste. Pourtant, au-delà de ce cadre rationnel-légal, les conditions d’exercice de l’activité montrent à voir une grande variété de situations et de temps de travail. En effet, l’activité de cet emploi/métier peut s’exercer au sein de clubs sportifs, municipalités, organismes de loisirs/ vacances, sous statut d’indépendant, contractuel, vacataire, fonctionnaire et en contact avec des publics très divers (enfants, adultes, sportifs de haut niveau, personnes handicapées, 3^e âge…). L’activité varie également selon la discipline (ou spécialité) sportive (sport collectif, individuel, mécanique…) et le niveau des pratiquants (initiation, compétition…). Elle peut enfin s’exercer les fins de semaine, les jours fériés, en fin de soirée et être soumise à des variations saisonnières (vacances scolaires, manifestations sportives, sports d’été/d’hiver…). En regard de la fiche Rome spécifique à l’éducateur sportif, la lecture des environnements de travail possibles nous fait observer une prédominance des structures publiques et associatives où exerce l’« animateur sportif » : association, centre de vacances et de loisirs, centre socioculturel, club sportif, collectivité territoriale, établissement médical (hôpital, clinique…), fédération sportive, infrastructure sportive. Or, 35 % des emplois dans l’encadrement sportif sont recensés dans des entreprises commerciales (clubs de forme, centres équestres, entreprises proposant des activités indoor, complexes multisports, etc.). D’autres modalités d’exercice de cette activité professionnelle sont encore possibles à la marge, notamment au « domicile de particuliers », en tant que travailleur indépendant5.

10Sur la totalité des professionnels de l’encadrement des APS en France6, il apparaît que seulement 23 % sont dédiés au sport compétitif (dont 7 % dans les clubs sportifs professionnels et 16 % dans les clubs sportifs amateurs) et 77 % sont dédiés au sport-loisir non compétitif. Ces résultats montent ainsi que les emplois d’éducateurs sportifs sont essentiellement concentrés dans les TPE commerciales et/ou individuelles. Or, la formation au métier d’éducateur sportif reste campée sur une définition traditionnelle du « travail sportif », celle de l’État (en l’occurrence du ministère des Sports) en lien avec son projet de former l’élite sportive, en accord avec les fédérations sportives délégataires.

11On le voit, bien que formellement instituée par l’État depuis 1963, la profession d’éducateur sportif ne s’apparente pas à une profession comme les autres. Les différentes enquêtes réalisées dès les années 1990 sur des populations d’entraîneurs ou d’éducateurs titulaires d’un brevet d’État d’éducateur sportif (Loirand, 2006 ; 2010) montrent que cette profession ne rassemble pas des individus dotés d’un statut économique équivalent, disposant des mêmes compétences rares, regroupés en corps professionnel possédant un code commun de déontologie et exerçant dans les mêmes conditions. En réalité, selon les sports enseignés, les publics encadrés, les valeurs de ces milieux sportifs7 et les lieux d’exercice, la profession d’éducateur sportif est fortement atomisée. Dès lors, ces professionnels sont davantage unis subjectivement à leur spécialité sportive ou leur lieu d’exercice plutôt qu’à leur « groupe professionnel ». En l’occurrence, et contrairement aux « professions établies » (selon Becker), pour lesquelles l’acculturation progressive aux dispositions professionnelles attendues débute avec l’entrée dans un cycle de formation supérieure spécialisée, celle d’éducateur sportif suppose invariablement que les candidats à l’obtention du titre requis pour l’exercer aient déjà bénéficié d’une longue socialisation sportive dans une ou plusieurs disciplines, souvent depuis l’âge de 10-12 ans.

Le pouvoir d’instituer le temps de formation : l’État comme champ de luttes pour la définition des qualifications sportives

12À un premier niveau de lecture, la construction des qualifications de l’encadrement professionnel des activités sportives fait partie d’un processus général et classique d’ingénierie de formation relativement neutre et rationnel. Inscrites dans un schéma général des formations spécifiques à l’encadrement sportif et des acteurs politiques (ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports et de la Vie associative – MSJSVA, ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur – MENES), la mise en place et le choix des contenus des qualifications attestent pourtant de concurrence et de luttes symboliques dans la définition légitime de l’offre publique de formations dans ce secteur. Ces confits de prérogative entre deux ministères se révèlent dans les luttes internes au sein des services d’État pour définir la « bonne » relation emploi-formation. En ce sens, instituée par l’État, la profession d’éducateur sportif tend à constituer le « champ » (Bourdieu, 1984) de l’exercice de cette profession, à clôturer son accès et à définir les domaines d’intervention (Loirand, 2012).

13D’un point de vue institutionnel, l’espace des formations et des certifications professionnelles débouchant sur les titres professionnels d’éducateur sportif s’est profondément transformé en l’espace de quinze ans. Nous assistons au passage d’une logique interventionniste à une gouvernance partagée des conditions d’accès à l’encadrement sportif, avec l’arrivée de nouveaux certificateurs. Les concurrences se trouvent amplifiées avec l’arrivée notamment d’un nouvel acteur, la branche professionnelle sport (BPS). Celle-ci développe une nouvelle certification, le CQP (certificat de qualification professionnelle) permettant également d’accéder à l’encadrement sportif rémunéré. Dans ce contexte, les formations professionnelles se sont multipliées, alors qu’en parallèle, on assiste à une tendance généralisée à réduire les durées de formations. Le temps de la formation devient ainsi un enjeu entre les services d’État eux-mêmes, mais aussi entre l’État et les organismes employeurs. Les débats portent tant sur la durée générale de formation que sur la répartition des temps passés dans les centres de formation et dans les lieux de stage ou d’apprentissage. Au-delà d’un choix concerté, les transformations récentes semblent plutôt résulter des oppositions entre les organismes de formation affiliés à des ministères en concurrence pour occuper une position dominante et ainsi obtenir le pouvoir d’imposer la formation légitime. Ce faisant, une disjonction se fait jour entre le temps politique des institutions et le temps social et économique de l’activité de travail et des emplois dans le secteur de l’animation sportive.

Les qualifications professionnelles dans l’encadrement sportif : un espace fortement divisé

14Une lecture de la genèse des différentes qualifications professionnelles produites par les deux ministères en concurrence (MSJSVA et MENES) indique tout d’abord la complexité de ce champ professionnel et sa segmentation en secteurs économiques.

15L’instauration du brevet professionnel de la Jeunesse et des Sports au début des années 2000, diplôme de niveau IV, concourt au double mouvement de professionnalisation et de précarisation croissante des personnels de l’encadrement sportif. En effet, dans la mesure où le détenteur du brevet « peut être amené à assurer la coordination de différents acteurs de cette action et à mobiliser des bénévoles pour la relayer » (extrait du décret), force est de reconnaître que cette mission, certes non obligatoire, relève de prérogatives dévolues à d’autres formations qualifiantes de niveau III voire II8. Par conséquent, on peut s’interroger sur la pertinence de la mise en place de ces formations qui servent en partie à mieux déqualifier l’emploi (Martin, 2003). Répondant aux formations professionnalisantes des Staps9 de niveau de qualification III et II, les formations professionnelles de niveau inférieur apparues sous la tutelle du ministère des Sports permettent aux employeurs associatifs et marchands de rémunérer le plus faiblement possible des professionnels exerçant globalement des fonctions correspondant à un niveau de prérogatives et de qualification bien supérieur au niveau de qualification de leur titre. Au cours de la décennie 2000, l’apparition de CQP spécifiques à des familles d’activités sportives10 a renforcé ce triple processus de marchandisation des formations, de déqualification et de précarisation de l’emploi.

16Dès lors, on peut se demander si l’apparition de nouvelles qualifications professionnelles au cours des deux dernières décennies (DEUST et licences professionnelles dans le champ des Staps à l’université, brevets professionnels de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et du Sport dans le champ du MSJSVA et CQP au sein des fédérations) ne correspond pas à un levier d’alignement de tout un secteur de formations à fort enjeu économique sur des exigences de marché (Martin, 2003). Plus supposée que réellement démontrée, l’injonction à l’adaptation au marché dans les formations est en réalité un instrument de légitimation institutionnelle et de préservation d’un territoire politique dans la lutte pour le monopole des formations sportives (Pierre, 2009) qui oppose les deux ministères.

Prédominance du temps institutionnel ou l’impossible harmonisation interministérielle

17On s’aperçoit finalement que la diversité des conditions d’exercice des emplois d’éducateurs sportifs est occultée dans l’élaboration des schémas de formation. Au cœur des stratégies de légitimation institutionnelle, le temps « politique » prédomine, tout comme les intérêts particuliers. Il en ressort une sorte de naturalisation des contraintes sociales et une technicisation de la mise en place des formations qui visent à la rendre évidente, indiscutable et légitime. En voulant s’adapter aux règles « imposées » dites « naturelles » du marché, l’offre publique de formations fait reposer les référentiels de formation sur une lecture « adéquationniste » entre l’offre et la demande. Dans un contexte de désengagement économique de l’État en matière de subventions publiques à la formation depuis le début des années 2000, le cloisonnement accentué des formations professionnelles issues du MSJSVA et du MENES ne contribue pas à l’harmonisation interministérielle du système de formations et de qualifications souhaitées et revendiquées au nom de la lisibilité des diplômes dans l’espace européen (Le Roux, Camy et al., 2002). L’opposition historique entre les deux ministères en charge des formations sportives, mais aussi entre ces ministères et les fédérations sportives, tend à perdurer à travers leurs agents qui font prévaloir leurs intérêts pour exister – voire subsister – et ainsi faire apparaître leur institution comme légitime et pilote des formations.

18En ce sens, la recherche de l’adéquation formation-emploi est l’objet d’un faux-semblant de dialogue entre des ministères en conflit pour le monopole de la formation. Les rapports de concurrence et d’opposition ne présagent pas la possibilité d’un nouvel « ordre négocié » (Strauss, 1992). Les tensions naissent moins de la définition de référentiels de compétences que de la désignation des organismes producteurs de qualifications reconnues et de la reconnaissance d’un temps de formation légitime.

Les temps au prisme de la relation formation(s)-emploi

19Au regard d’autres professions, on s’aperçoit que le temps de travail des éducateurs sportifs est non seulement spécifique mais aussi asynchrone de ceux à qui il est destiné. En effet, pour les « usagers » ou les « clients », l’activité sportive fait partie de leur temps de loisir. Le caractère acyclique et saisonnier des activités de loisirs sportifs produit ainsi des effets sur la gestion des emplois et des ressources humaines des employeurs. Par conséquent, il convient de prendre en considération les temps et les durées de formation avant de mettre en perspective les intérêts et les valeurs des employeurs avec les temps objectifs des qualifications, pour mieux comprendre les effets des régimes de temporalités. Les employeurs des éducateurs sportifs établissent ainsi des distinctions entre les temporalités ou au contraire, parce qu’ils sont imbriqués, assimilent divers temps (de travail et de loisir) habituellement séparés.

La variabilité des durées des formations : une structure bipolaire de l’offre de formations

20On peut considérer le temps court de la formation « formelle » comme le temps de l’acquisition de la qualification et des diplômes légalement demandés. Or, la lecture panoramique de ces derniers fait apparaître le désajustement, et plus encore le brouillage, entre le niveau de qualification en termes de formation initiale, et a fortiori en termes de durée de formation, et l’emploi d’animateur/éducateur sportif visé. En permettant de nouvelles possibilités d’emplois pour des professionnels largement moins formés, les CQP apparus récemment sur le marché rajoutent de la complexité. À tel point que les employeurs ne s’y retrouvent plus dans ce maquis des formations :

Je viens de recevoir une nouvelle information de la part de la ligue régionale de gymnastique présentant un nouveau diplôme, un CQP… […] Franchement entre le BP JEPS, le DEUST et ça, comment voulez-vous qu’on s’y retrouve […] Moi pour quelques heures par semaine, ça m’intéresse forcément le CQP, financièrement y a pas photo11.

21Si cet aveu confirme le processus de précarisation de l’encadrement sportif professionnel déjà souligné, il met surtout en évidence le manque de lisibilité de l’offre de formations et le sens politique de leur positionnement respectif.

22Effet de concurrences entre les deux ministères dans le marché de l’offre de formations, ce brouillage vient, en seconde lecture, questionner la position du ministère des Sports à l’égard des fédérations sportives olympiques, des fédérations multisports ou affinitaires12, ou encore de certains organismes associatifs (comme l’UCPA13). Comme c’est le cas dans d’autres pays européens, ces organisations sportives sont en effet autorisées et habilitées à délivrer leur propre qualification permettant l’exercice professionnel réglementé et rémunéré dans la limite d’un temps partiel. Tout se passe comme si le ministère des Sports adoptait une stratégie de protection d’un territoire au sein duquel il associe les organismes de formation historiques de l’État et les fédérations auxquelles il a délégué une mission de service public, contre les autres formations et principalement celles du ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur.

23En fin de compte, assurées et sanctionnées par l’État, les formations longues au métier d’éducateur sportif font progressivement place à des formations plus courtes privilégiant l’employabilité immédiate et l’adaptation au poste de travail selon le secteur d’intervention.

La variété des temps du travail selon le secteur économique

24Peu enclins à prendre ouvertement position sur ces questions, les employeurs associatifs et marchands considèrent les formations au métier d’éducateur sportif davantage comme une obligation ou une injonction réglementaire que comme une ressource. Ils sont plutôt soucieux d’une adaptation pragmatique constante aux variations de l’activité professionnelle. Lorsqu’elles s’expriment, les prises de position sont contrastées selon les catégories d’employeurs. En effet, les employeurs marchands (comme par exemple les salles de fitness) ont tendance à déprécier les formations étatiques considérant qu’elles sont davantage conçues et adaptées à l’encadrement dans le milieu associatif, et insuffisamment à l’univers entrepreneurial et aux exigences d’une prestation de services payants. De leurs côtés, les employeurs associatifs, s’ils ne contestent pas les formations délivrées par l’État, demeurent indifférents dès lors qu’il s’agit d’évaluer les qualifications. Leur principale préoccupation est plutôt de « trouver » un encadrant sportif qualifié indépendamment des titres possédés, pour peu qu’ils soient protégés au regard de la loi et que l’encadrement réponde à la demande des adhérents licenciés.

25Qu’ils soient associatifs ou privés marchands, les employeurs se rejoignent dans leur rapport à la durée des formations professionnelles continues. Face aux difficultés rencontrées, notamment dans les petites structures, pour remplacer les salariés partis en formation, ils privilégient le temps d’apprentissage en situation. Les attentes des employeurs dans les secteurs associatif et marchand du fitness ont ceci de commun qu’elles ne se concentrent pas sur la qualification espérée ou le diplôme obtenu. Par contre, les employeurs marchands se focalisent sur l’exploitation commerciale des compétences acquises par leur personnel en formation, compétences perçues comme garantes du succès des cours et de la rentabilité de la structure. Ces prises de position sont chargées de sens si elles sont replacées dans leur configuration de travail.

26En effet, le temps de travail de l’éducateur sportif correspond au temps de loisir des adhérents dans le secteur associatif, comme des clients dans le secteur commercial. Mais le travail dans l’encadrement sportif se déroule aussi pendant les jours « non travaillés », le week-end, le samedi et le dimanche, essentiellement dans les entreprises de fitness. Si dans le secteur associatif, le temps de travail est prescrit en partie par les rythmes imposés du calendrier sportif qui déterminent les phases d’entraînement et les compétitions, les temps de travail du secteur marchand sont élargis à l’amplitude de travail maximale des journées (6 heures à 22 heures y compris entre 12 heures et 14 heures). En d’autres termes, dans cette situation professionnelle, ce sont les clients qui déterminent l’organisation du travail et la répartition des ressources humaines sur l’amplitude horaire hebdomadaire. Cette réalité est significative de l’hétérogénéité et de la diversification des temps de travail (Grossin, 1994) consubstantielle de la flexibilité structurelle (Lallement, 2003) : temps de travail comprimés, temps de travail intermittents, temps de travail souples aux horaires variables, temps de travail partiels…

27Les temps de travail de l’éducateur sportif sont ainsi définis par la nature de la relation de service et les objectifs explicites et latents que visent ces espaces de pratique. Contraint de répondre immédiatement aux besoins exprimés par le client dans le secteur commercial14, l’éducateur sportif professionnel bénéficiera, dans le secteur associatif, d’une marge de manœuvre et d’une gestion plus souple de son temps de travail, qu’il occupera selon des objectifs et une activité planifiés en amont.

Le secteur associatif et l’entreprise de fitness à l’épreuve du temps

28Les logiques d’action à l’œuvre dans les organisations sportives reposent sur une identité fortement dépendante du secteur sportif dans lequel elles se situent (Gasparini, 2000). Dans les clubs, les valeurs de référence privilégiant la finalité compétitive vont conduire les professionnels de l’encadrement à exercer leur activité dans un temps de travail contraint par les entraînements en soirée et les compétitions les week-ends. Différemment, des associations de loisir sportif affiliées aux fédérations multisports sont organisées en référence à un idéal de « sport bien-être » selon lequel les besoins corporels, le plaisir dans le mouvement guident l’activité professionnelle qui peut s’exercer à différents moments choisis par l’animateur en fonction des publics. Ces finalités ludique, récréative, de loisir vont conduire à recruter des encadrants sportifs plutôt animateurs qu’entraîneurs. Dans le monde marchand du fitness, la prédominance des TPE et PE favorise un mode de gouvernance familial qui enjoint tout salarié au surinvestissement au travail afin de s’adapter à la demande des clients. Leurs desiderata orientent profondément le management qui fixe le cadre du travail.

Le temps long requis pour l’acquisition de la compétence légitime

29L’acquisition d’une compétence professionnelle dans l’encadrement des APS se réalise au cours de la socialisation qui va former le capital spécifique15 dans le segment du marché de l’emploi sportif liée à l’intervention éducative ou l’encadrement des APS. Mais la lecture de la socialisation nécessaire à l’acquisition de cet ensemble de compétences spécifiques n’est pas identique selon les employeurs. À la socialisation associative prônée par les dirigeants associatifs, c’est-à-dire antérieure à l’entrée dans l’emploi, répond en quelque sorte la socialisation professionnelle in situ revendiquée par les employeurs marchands. Ces derniers considèrent que les compétences professionnelles s’acquièrent progressivement, dans le cadre d’une socialisation professionnelle dont ils sont les seuls tenus pour responsables, « entre leurs murs ». Selon le gérant d’une salle de fitness : « Quand ils sortent de l’école, ils ne savent rien ou pas grand-chose […] ». Si les premiers placent la technicité dans une phase de socialisation primaire, acquise précocement lors des premiers apprentissages moteurs, les seconds font valoir que cette ressource technique n’est fondamentalement appropriée qu’une fois la reconnaissance au travail obtenu par les clients, les destinataires du service. Fonctionnant comme droit d’entrée sur le marché du travail associatif et commercial, le haut capital technique spécifique à l’activité sportive est soumis à l’épreuve du surinvestissement au travail par laquelle s’obtiennent la reconnaissance et la légitimité professionnelle à court terme : « C’est dans la salle – de fitness –, quand il doit donner des conseils, qu’on voit s’il est professionnel ; il doit savoir se rendre indispensable16. » Mais cette condition nécessaire est jugée non suffisante par les employeurs lorsqu’ils sont amenés à prévoir l’avenir à moyen terme. Pour ces derniers, l’évolution professionnelle dans le secteur des jeunes professeurs est moins subordonnée à l’expression de leurs habiletés techniques qu’à leurs qualités humaines, leur disponibilité de tous les instants et à toute épreuve.

30On voit donc que des singularités propres au secteur associatif et au secteur marchand apparaissent. Dans le monde associatif, le titre acquis sur le temps long semble être le garant de la compétence possédée : « S’il est bon techniquement, il va savoir faire. » Dès le départ, le niveau technique du sportif fixe le jugement qui est porté sur sa compétence professionnelle. Dans la petite entreprise de service sportif, l’acquisition des compétences professionnelles correspond au temps de l’appropriation des règles, des normes de fonctionnement et valeurs de l’entreprise le plus souvent celles du gérant/de l’exploitant. Le degré d’appréciation du professionnel par le client – compétence de service – est un des indicateurs utilisés par l’exploitant pour juger du professionnalisme de son salarié.

Le rapport au temps de travail et les stratégies des employeurs

Une présence dévouée au travail

31Dans les deux sphères de travail étudiées (association et TPE-PE), le surinvestissement au travail du salarié semble être une constante, non seulement exigée par l’employeur mais aussi intégrée par le salarié. Mais le sens de ce surinvestissement semble avoir des origines différentes.

32Dans le secteur associatif, la césure entre le temps de travail et le temps domestique du salarié demeure floue. La sphère du travail et la sphère domestique semblent fusionner. L’omniprésence du salarié est garante du bon fonctionnement des activités et du projet associatif comme finalité (progression sportive, convivialité et sociabilité des membres dirigeants bénévoles du club). Ainsi dans les clubs associatifs, il n’est pas rare qu’un salarié éducateur sportif connaisse tous les prénoms des licenciés du club, eu égard aux moments extra-sportifs partagés en commun.

33Dans l’entreprise qui revendique l’esprit sportif17 et la proximité avec le client, la désignation de ce dernier par son prénom sonne comme un devoir pour le salarié, une exigence de personnalisation attendue dans le service. Le surinvestissement au travail du salarié traduit l’imprégnation de « la culture de l’entreprise » et constitue, aux yeux de l’employeur, une condition satisfaisant l’exigence de prestation de service (« satisfaire le client tout de suite, tout le temps, sans relâche »). Dans ce management par le client, l’employeur attend du salarié une efficacité immédiate. La finalité de l’activité de l’entreprise est la rentabilité comme garante de la préservation de l’identité entrepreneuriale/familiale. Le surinvestissement de tous les salariés comme moyen de réussite est en quelque sorte promu au rang de fin ultime.

Le déplacement des exigences des employeurs et la compétence spécifique

34La compétence est indissociable des représentations des acteurs sociaux sur la compétence elle-même. Aussi l’acception prise par la compétence dépend également d’autres facteurs, comme la nature de l’activité sportive (modalité compétitive ou loisir) et sa finalité (activité comme but en elle-même ou différemment comme prétexte à la sociabilité), la taille du club, son histoire, les dispositions et les histoires singulières des dirigeants.

35La compétence sportive traduit-elle un « capital » spécifique au sens de P. Bourdieu (1984) ? C’est-à-dire une compétence qui s’accumule au travers d’opérations d’investissement dans le sport (expérience de pratiquant sportif, participation aux compétitions) et qui permet de dégager des profits selon l’opportunité qu’a son détenteur d’opérer des placements plus rentables dans un univers particulier (Bauger, 2004 ; Gasparini, Pichot, 2007) ? Les profits dégagés à partir des seules propriétés sportives de son détenteur se réduisent aux univers de travail marqués par la compétition sportive : les associations sportives engagées dans un projet de performance sportive (même au niveau amateur) et les entreprises de fitness qui accueillent parce qu’elles le recherchent pour des effets escomptés en termes d’image et de notoriété, des sportifs et des équipes sportives de haut niveau à qui elles donnent la possibilité, et parfois même la faveur, d’utiliser les plateaux musculation pour s’entraîner et parfaire leur préparation physique généralisée.

36La disjonction entre les qualifications et les emplois visés peut être objectivée par le déplacement des exigences des employeurs. Ce dernier peut aider à comprendre le désenchantement affirmé des employeurs à l’égard de formations jugées inutiles pour acquérir des savoir-être. Les compétences techniques, nécessaires mais insuffisantes, semblent être progressivement reléguées aux dépens de compétences paramédicales, relationnelles et psychologiques. Cette réalité traduit un décalage avec la perception des savoir-faire prioritaires à posséder par les jeunes professionnels entrant sur le marché du travail obnubilés par la maîtrise technique.

37Dans le secteur associatif, on observe ainsi un décalage entre les prestations d’encadrement technique garanties de manière dominante par des formations fédérales et les attentes en termes d’animation (dimension ludique de l’activité sportive) et d’éducation que peuvent exprimer les usagers.

38Dans le secteur marchand de la remise en forme (centres de fitness), la pression du consommateur se traduit par une demande de cours ludiques et divertissants, mais aussi de conseils personnalisés en matière de santé, d’hygiène corporelle et alimentaire, d’hygiène de vie. Les clients dans les salles de fitness peuvent exiger des professeurs de fitness des compétences multiples et transversales, notamment physiologiques et anatomiques, paramédicales, etc. Différemment des employeurs et encore plus des formateurs, les clients usagers n’ont pas d’exigences fortes en matière de technicité.

39Dans le secteur du fitness, la compétence de service est primordiale et le prix à payer par le client doit être justifié par le niveau de la prestation. La satisfaction du client est un critère d’appréciation du professionnel d’encadrement pour l’employeur. Comme dans toute relation commerciale de service, le client réclame un service à la hauteur du prix payé. Tout bien considéré, qu’il s’agisse du secteur associatif ou du secteur marchand, se fait jour et s’impose une compétence relationnelle. Dans le secteur associatif, cette dernière a évolué de son versant technique vers une capacité d’animation ; dans le secteur marchand, cette compétence spécifique, également technique à l’origine, s’est déplacée vers une compétence de service.

40Dans ce contexte, l’univers des formations initiales d’État d’une durée de deux années est largement déprécié par des employeurs majoritairement autodidactes dans le secteur marchand (Wipf, 2008). En effet, ces derniers sont majoritairement les héritiers d’une petite bourgeoisie d’affaires ou commerciale. Ils ont ainsi bénéficié d’un héritage financier leur ayant permis d’investir dans la structure qu’ils gèrent sans véritablement connaître le secteur du sport. Certains exploitants sont par ailleurs des transfuges d’autres secteurs professionnels (l’immobilier par exemple) à l’intérieur desquels ils ont réussi commercialement. Leur réussite professionnelle n’a pas de lien étroit, parfois même aucun, avec les formations scolaires suivies, généralement très écourtées ou inexistantes. Dès lors, on comprend leur distance et leur impatience à l’égard des formations insuffisamment productrices de professionnels immédiatement opérationnels.

Rapport au temps, rapport au monde

41Par-delà leurs différences, ces mondes présentent pourtant des points communs. Les espaces de travail observés sont des lieux par excellence d’appropriation affective d’un « bien », d’un patrimoine. Ils mettent en relief le temps de l’urgence, un temps « totalitaire » marqué par l’absence de césure entre le temps de travail et le temps domestique, supposée acceptée au nom de la « passion » sportive vécue et/ou idéalisée par les employeurs.

42Dans les deux univers professionnels, les formations sont encore considérées comme des obligations réglementaires et ne sont que trop rarement perçues comme le temps indispensable d’apprentissage s’inscrivant dans un projet collectif de services aux personnes. L’association et le petit club de fitness ont ceci de commun qu’ils représentent aux yeux de leurs dirigeants et de leurs gérants en quelque sorte un bien qui est leur appartient, qui est leur propriété.

43De manière singulière dans l’association, la compétence du professionnel est subordonnée à l’expérience acquise dans la structure en tant que pratiquant à l’origine (le parcours initiatique du licencié entré tôt dans la structure). La compétence reconnue (nécessairement technique et aussi relationnelle, sociale) est donc suspendue à l’immersion de l’encadrant dans l’univers où il agit. C’est cette immersion qui fait dire aux dirigeants comme aux gérants que l’encadrant doit être lié aux personnes avec lesquelles il travaille et aux usagers-clients auxquels il dispense son enseignement.

C’est la passion pour l’activité et aussi la passion pour le lieu, ses habitués […]. On doit sentir qu’il se sent bien ici, on veut qu’il traîne ici, qu’il ne parte pas dès qu’il a fini son cours, ça, c’est insupportable, on n’attend pas ça de nos professeurs. On veut qu’ils discutent avec les pratiquants parce qu’ils en ont besoin, ils viennent chercher autre chose que de la pratique aussi. (Gérant de salle de fitness.)

44Fonctionnant comme un capital, cette propriété reconnue est facilitée par la proximité géographique et culturelle de l’éducateur à son association, à la localité de son association (« On le connaît, il est d’ici, de chez nous »), à son parcours initiatique de pratiquant. L’expérience vécue de sportif dans une telle organisation garantit ainsi non seulement le respect du projet associatif mais aussi le temps nécessaire à l’appropriation des codes et des valeurs de la culture d’entreprise qui passe, par exemple, par le fait d’avoir été pratiquant ou d’avoir fréquenté la structure, ses espaces conviviaux favorisant les échanges et le commerce (le bar, la brasserie) avant de devenir professeur de fitness.

45Au-delà du diplôme, dans les deux univers étudiés, le salarié doit instamment posséder d’une part des qualités relationnelles, apporter la preuve d’une éthique associative (rapport positif aux valeurs soutenues par l’association), d’une éthique « managériale »/de service d’autre part, et bien connaître ce que l’on enseigne (le « bluff » n’est pas possible). C’est ce qui explique la volonté des employeurs des clubs de fitness de pouvoir disposer des stagiaires le plus souvent et le plus longtemps possible dès le début et pendant la formation pour disent-ils « les former à leur manière avec nos propres règles de fonctionnement, nos propres méthodes ».

46Au sein de ces petites entreprises – au fonctionnement que l’on peut parfois qualifier d’« artisanal » – se dégage une caractéristique commune fortement structurante : la place de l’employeur/patron, tendance lourde déjà soulignée dans d’autres secteurs (Dufour, Hege, 2007). Ce dernier se confond en effet fréquemment avec l’existence de l’entreprise qu’il incarne personnellement. Pouvant faire lui-même partie intégrante de la force de travail productive de son entreprise, il participe du collectif de travail sans s’y soumettre totalement. Dans ces configurations de travail, le personnel valorise l’accès direct au patron, et l’immédiateté de la relation employeur/ employés semble constituer l’une des conditions de la pérennité de l’activité des entreprises.

47Le rapport individuel et familial au travail de l’employeur imprègne ainsi l’appréciation des compétences et le jugement porté sur les temps sociaux. Dans l’association, le rapport au travail revêt une dimension collective qui vise à protéger l’esprit bénévole et le projet associatif historiquement constitué. L’action au travail peut être évaluée sur un temps court, sur la durée de la saison sportive (planification du temps de travail à partir d’objectifs intermédiaires et finaux). Alors que dans l’entreprise, la contribution individuelle permanente (« ici et maintenant ») doit garantir la rentabilité et la pérennité de l’activité.

Pour conclure : temps court de la compétence, temps long de l’expérience

48S’adaptant à la demande des pratiquants, les formes et conditions du travail ont transformé les rapports au temps dans les organisations prestataires de services sportifs. Par l’entremise des clients, les exigences du salariat rythment les existences de plus en plus tôt, de plus en plus longtemps et de plus en plus profondément (Rolle, 1997). Le développement d’une « société des services à la personne » infiltre toutes les sphères de l’économie, associative et marchande. Il a précipité le statut de l’usager-client consommateur devenu « roi » qui ne supporte pas d’être déçu de la prestation. Le destinataire du service participe ainsi à la définition des normes de travail prescrites (Dujarier, 2006). Selon les organisations sportives et leurs univers de valeurs de référence, les employeurs se saisissent variablement, par intérêt partisan ou par impensé institutionnel, des qualifications professionnelles. La gestion du temps du travail en porte profondément les marques.

49Si la qualification est un processus social (Alaluf, 1986), elle se forme et se détermine en partie en dehors de l’espace de travail, notamment dans le cadre du système scolaire. L’enjeu d’employabilité contenu dans les formations professionnelles et leur finalité est inséparable du processus de qualification et de la logique d’acquisition des compétences professionnelles. Aussi, la construction des qualifications met en perspective les problématiques du temps court de la compétence et du temps long de l’expérience. Mettant en jeu et en scène divers organismes publics de formation et leur ministère de tutelle, la défense des qualifications révèle aussi en partie l’état du champ de la profession d’éducateur sportif et les stratégies de construction de frontières juridiques pour protéger l’entrée dans le métier. Par ailleurs, s’inscrivant dans le cadre du rapport salarial, le jugement social des employeurs fait aussi intervenir les processus de socialisation dans la production, la formation et la consommation (Alaluf, 1986 ; Desmarez, 2012) adossés à des régimes de temporalité différents. Le croisement et la rencontre des temps inhérents aux formations s’inscrivent pleinement dans une sociologie relationnelle des rapports sociaux entendue comme l’ensemble des liens contractuels et des relations informelles qui nous permettent de mieux comprendre les impasses et l’imbroglio du schéma actuel des formations, qui fondent pour autant les conditions de l’activité professionnelle dans l’encadrement des activités sportives. Influencés par leurs représentations, croyances et trajectoires biographiques, les employeurs associatifs et marchands se positionnent à l’égard du système d’offre de qualifications auquel ils n’adhèrent que par l’imposition légale-rationnelle, tout en étant soumis aux contraintes structurelles et économiques. Le rapport salarial, les stratégies et les pratiques de gestion des emplois et des ressources humaines qu’ils mettent en œuvre sont tributaires du temps des décisions macropolitiques et des temps institutionnels des qualifications professionnelles. Ils portent aussi les signes culturels de leur rapport au temps de l’activité de travail.