Enfermement et suicide sous la IIIe République : le paradigme de la discipline
p. 375-391
Résumés
La prison pénale rencontre la question du suicide carcéral dans la seconde moitié du xixe siècle. Il en résulte, à partir des années 1860, la mise en place d’une politique de prévention rigoureuse, dont les résultats paraissent achopper sur l’accroissement continu du nombre des suicides tout autant que la radicalisation des modes opératoires.
S’appuyant sur une série de rapports administratifs consécutifs à des suicides et sur la production légale et réglementaire, cet article veut montrer que la manière dont l’institution pénitentiaire appréhende les gestes suicidaires éclaire en retour la nature de l’enfermement dans le cadre de la prison républicaine : si certaines analyses sensibles attribuent ces suicides au désespoir des détenus, pour l’administration pénitentiaire, ils s’assimilent exclusivement à des formes d’insoumission ou d’ultime évasion et justifient donc le renforcement du joug disciplinaire. Il en découle une politique de prévention qui privilégie le contrôle et la surveillance de « ceux dont on craint le suicide ». Jusqu’à mobiliser les formes extrêmes de coercition que sont la cellule de sûreté et la camisole de force, au prix, finalement, d’un fort accroissement du nombre des suicidés.
During the second half of the nineteenth century, the extension of penal jail raised the question of the suicide of prisoners. The creation of a strict prevention policy in the 1860s did not prevent the continuous increase in the number of deaths; nor did it stop more radical ways of committing suicide. Using a series of administrative reports drawn after suicides, as well as legal and regulatory texts, this article seeks to demonstrate how the way the penitential institution dealt with suicide may contribute to our understanding of the nature of confinement within republican jails. Some sensitive analysts were aware of the fact that the despair of detainees could lead to suicide; the penitentiary administration, however, considered suicide exclusively as a form of rebelliousness or even as a kind of ultimate escape. This justified the reinforcement of disciplinary measures, and led to a higher control and surveillance of “those who were held at risk of committing suicide”. This justified some extreme forms of coercion such as the security cell and the straightjacket, with a higher number of suicides as a result.
Remerciements
Je remercie Quentin Deluermoz, Jean-Claude Farcy, Dominique Godineau et Gilles Malandain pour leur relecture attentive.
Texte intégral
1Partons d’une première archive, un rapport administratif portant sur le suicide de Jean-Claude Denis, dans une cellule de sûreté de la maison d’arrêt de Lyon, en 1896, où l’on trouve la description suivante :
« En ouvrant la porte, le gardien s’aperçut que cet homme s’étranglait au moyen d’une petite cravate en foulard de soie passée autour du cou et dans l’interstice d’environ 1 mm 1/2 d’une agrafe en fer scellée dans le mur à 50 cm du sol, fixant à la muraille une tablette en bois.
Denis a dû s’étrangler en tirant sur le foulard fixé au clou, le lit de camp sur lequel portaient les deux coudes lui servant de point d’appui1. »
2Ce court extrait est emblématique de la situation de la prison républicaine à la fin du xixe siècle, à trois niveaux au moins : l’extrême radicalité du geste de strangulation volontaire d’abord2, l’existence du cadre particulier et neuf, à l’intérieur même de l’espace carcéral, d’une cellule de sûreté, et enfin une réaction significative : la production d’un rapport administratif. Trois éléments d’un jeu complexe de dérèglements et de régulations.
3Le geste suicidaire n’est évidemment pas spécifique à la prison, mais il acquiert en prison des formes et un sens spécifiques. Comme dans le monde libre, le suicide est dépénalisé depuis 1791 mais, en prison, puisque la mort éteint toute poursuite, ainsi que l’affirme le Code des délits et des peines de 17953, il est une manière d’échapper à la peine qui doit être jugulée par une administration chargée, en outre, si ce n’est du bien-être des détenus ou de leur amendement qui demeure un horizon lointain, au moins de leur entretien4. C’est autour de ce double impératif de l’enfermement que s’organise la politique pénale de prévention du suicide. La statistique du Compte de l’administration pénitentiaire donne à partir de 1852 le chiffre des suicides déclarés, avec semble-t-il plus d’exactitude après 1860, le « chiffre noir » des suicides réels demeurant impossible à fixer. Les tendances en ont été dégagées par les travaux de Jean-Claude Chesnais en 19765 : une forte sursuicidité carcérale, ainsi qu’une forte croissance du nombre de suicides entre 1864 et 1914. Le chiffre est multiplié par plus de dix, alors même que le nombre de détenus diminue fortement dans le même temps, en raison du développement parallèle de la relégation outre-mer6. Pourtant, et paradoxalement lorsqu’on considère cette forte croissance, l’administration pénitentiaire donne de nombreux signes d’attention aux suicides carcéraux entre la fin des années 1860 et les dernières années du xixe siècle.
4Cet intérêt administratif croise une réflexion plus ancienne qui traverse le xixe siècle et demeure assez mal connue7. Si le suicide apparaît toujours comme le fruit d’un drame individuel que l’on questionne, au xixe siècle, en termes de liberté morale, les médecins puis les pionniers des sciences sociales en infléchissent la lecture8. L’appréhension du suicide se voit ainsi tiraillée entre trois pôles : l’immoralité qui court tout au long du siècle, la maladie mentale et le fait social qui émergent presque ensemble à partir de 18509. Le travail éponyme d’Émile Durkheim marque une étape bien sûr fondamentale de ce mouvement et suggère que, si le geste suicidaire peut être compris comme une ultime liberté ou une transgression radicale, il est également le produit d’un processus social normal, à l’instar de la criminalité ou de la vie religieuse. La date de sa publication – Le suicide paraît en 1897 – est également significative puisqu’elle correspond presque exactement à un point maximum d’intérêt institutionnel pour le suicide carcéral, révélant certainement une inquiétude sociale plus vaste.
5Ces efforts d’analyse infléchissent indéniablement le regard porté sur les lieux d’enfermement. Si le modèle pénitentiel demeure, tout au long du xixe siècle, une référence constante des discours sur la prison, de nouvelles analyses en dévoilent certains effets pervers : les prisons favoriseraient ainsi la récidive, l’aliénation mentale ou le suicide. Autant de manifestations qui sont pour les historiens des objets susceptibles d’éclairer – comme symptômes – l’histoire sociale de la prison pénale.
6Les conditions et la structure institutionnelle de la détention déterminent en effet largement les gestes suicidaires10. De même le souci de la prévention génère-t-il des pratiques spécifiques à la prison, largement inhérentes au sens que l’institution attribue au suicide. Michel Foucault en a donné des instruments d’analyse opératoires : il propose ainsi, dans Surveiller et punir, une « microphysique » de ce « pouvoir disciplinaire », technique de normalisation qui s’applique à l’échelle des corps individuels, dans le cadre d’institutions comme l’école, la caserne ou l’usine, et dont la prison constitue la « figure concentrée11 ». En dépit des réflexions antérieures12, l’utopie pénale, sur laquelle plane l’idéal du Panopticon de Jeremy Bentham, paraît occulter la dimension dolosive de l’enfermement13, puisque le droit et le système des peines prétendent « punir l’âme et non plus le corps14 ». Il en résulte une étonnante abstraction du corps qui se résout dans la mise en place d’un principe général de surveillance – une forme de neutralisation des corps, de coercition a minima – qui, semble-t-il, face au suicide atteint un degré d’intensité particulièrement élevé15.
7L’analyse de la politique carcérale de prévention est ici menée à partir des rapports administratifs de suicides ou tentatives, de la série Y des archives départementales. Les dépouillements, effectués dans sept départements, ont permis de mettre au jour un petit corpus de quatre-vingt-cinq dossiers qui donnent à lire les gestes, les procédures, les préoccupations des acteurs de l’institution et des détenus, et éclairent une facette mal connue des formes d’exercice du pouvoir dans ce cadre de l’enfermement pénal16. On y distingue l’émergence d’une politique de prévention, la formalisation des responsabilités administratives et les dispositifs de pouvoir mis en œuvre face au suicide, du côté du personnel de surveillance tout autant que des détenus.
Le dispositif de prévention
8L’intérêt pour la question des suicides en prison émerge à partir des années 1840, sous l’impulsion des médecins mais aussi du personnel pénitentiaire, directement confronté au problème. La promotion de l’enfermement cellulaire, dont le principe est inscrit dans la loi en 1843 puis en 187517, stimule la réflexion, car on s’interroge très tôt sur ses effets sur l’état mental des détenus et, partant, sur le suicide. Les premières réalisations font figure d’expérimentations tragiques qui sont attentivement examinées : la création de la prison cellulaire de Mazas, en 1850, donne ainsi lieu à des rapports administratifs et des publications comme celle de Prosper Pietra Santa qui insiste, dès 1858, sur l’ampleur du nombre de suicides18. De même, les procédures d’isolement des prévenus au dépôt du Palais de justice de Paris apparaissent comme particulièrement sensibles.
9À partir du milieu du siècle, certains médecins aliénistes soulèvent la double question du caractère pathogène de l’isolement et des états suicidaires qui peuvent en découler19. L’Académie de médecine s’y intéresse en 1839, les Annales d’hygiène publique puis les Annales médico-psychologiques en 1844, mais cependant, si la question est posée, la réflexion s’effectue principalement sur le mode du déni. Moreau-Christophe (1839), Lélut (1844), Baillarger (1844) répondent ainsi par la négative, suivant une argumentation presque fixe qui sera reprise à son compte par l’administration pénitentiaire20 : la détention cellulaire ne produit ni le suicide ni la folie, d’autant qu’il est impossible de savoir ce qu’il serait advenu du détenu dans la vie libre, de même qu’il est impossible de vérifier si le trouble – folie ou mélancolie – préexistait à la détention. En outre, on ne peut prouver que le suicide commis en détention visait à échapper à la torture de la solitude, et même que la détention y avait son rôle. Cet argumentaire sera encore mobilisé par le promoteur de la loi de 1875, Bérenger, qui affirme ainsi que « la cellule ne produit pas par elle-même le suicide, mais elle lui donne des facilités plus grandes et exige une plus exacte surveillance21 ». La question n’est donc finalement pas tant de réduire les velléités suicidaires des détenus, dont la prison n’est pas présumée responsable, que d’en contenir les effets.
10Du côté du personnel pénitentiaire, en effet, la politique de prévention privilégie le modèle disciplinaire de contrôle et de surveillance. Les circulaires du ministère de l’Intérieur rendent compte de cet effort, avec d’abord fort peu de sollicitude, puisque, dans sa circulaire du 1er août 1838 sur l’introduction de l’emprisonnement individuel, le ministre de l’Intérieur affirme avec ostentation que, « quand il serait vrai que l’emprisonnement solitaire pût être plus nuisible à la santé, et même aux facultés intellectuelles, que le régime d’Auburn (où l’enfermement individuel nocturne alterne le jour avec un travail effectué en commun), il n’y aurait pas là une raison suffisante pour donner la préférence à celui-ci22 ». Les positions changent cependant rapidement. Une circulaire du 30 octobre 1841 impose ainsi d’informer la hiérarchie administrative – directeur d’établissement, préfet, ministre – de tout suicide de prévenu ou accusé. La règle est renforcée en 1875 puisque le gardien-chef doit informer par télégramme le directeur de la maison et le préfet de tout suicide ou tentative (ill. 1).
11Dans les années 1860, une politique de prévention se met véritablement en place concernant les « suicides » reconnus en 1868 comme des « faits particulièrement graves, lorsqu’ils s’accomplissent à l’intérieur d’une prison, c’est-à-dire à côté d’agents spécialement chargés de veiller, jour et nuit, sur la population détenue23 ». Une enquête administrative est d’abord menée en 1864 par les inspecteurs des prisons pour établir les moyens d’« enlever aux détenus tout moyen matériel de suicide par suspension24 ». Elle précède la publication des deux circulaires ministérielles décisives des 12 avril et 25 octobre 1866. La première prend acte des dangers de l’emprisonnement individuel qui, reconnaît-elle, « développe et fait naître dans l’esprit des détenus l’idée du suicide, et lorsque la volonté de se donner la mort est chez eux bien arrêtée, ils trouvent dans l’isolement où ils sont placés les moyens d’accomplir plus sûrement leurs sinistres projets25 ». La première mesure est donc de faire en sorte que « l’administration s’abstienne, autant que possible, d’infliger comme punition aux détenus la séquestration ou le cachot », notamment « pour expier une faute grave commise pendant la détention », ou lors d’une « mise au secret par ordre de l’autorité judiciaire ». Lorsque c’est impossible, il s’agit de réduire tout ce qui pourrait permettre les suicides : les pointes ou parties de construction en saillie, les tablettes, les lits de fer ou hamacs seront remplacés par des lits de camp fixés aux murs et au sol, les tables et escabeaux seront éloignés des barreaux de la fenêtre, les bouches de chaleur ou de ventilation devront être recouvertes d’une légère toile métallique et ne seront mises en mouvement que par le gardien, les fenêtres seront à porte fixe. Le troisième volet réglementaire porte sur la surveillance des détenus qui « peuvent faire redouter le suicide » : « tenir la cellule constamment éclairée », la faire surveiller d’« heure en heure », retirer chaque soir les vêtements et autres objets propres à faciliter l’évasion ou le suicide, les faire visiter au moins une fois par semaine par le médecin de la prison – la visite devant être consignée sur le registre destiné aux prescriptions médicales –, faire cesser l’isolement, voire, « par mesure d’humanité », assurer une promenade quotidienne. La circulaire souligne enfin la nécessité d’une « action morale sur les détenus […] : quand le dégoût de l’existence, la crainte du châtiment ou quelque crise morale viennent altérer ou dominer en lui les instincts conservateurs de la vie, il est bon qu’il trouve, dans de fréquents entretiens avec les personnes placées près de lui par la vigilance de la loi, la force de se soustraire à de coupables tentations. L’intervention du gardien-chef, du directeur, du médecin, de l’aumônier doit être régulière et constante. Rien ne saurait, mieux que leur influence et leurs exhortations, combattre les inspirations de la solitude et du désespoir26 ». Ces deux derniers points sont les seules marques d’attention à la psychologie des détenus. Ils témoignent cependant de l’existence de propositions fondées sur la socialisation des détenus, qui affleurent de Moreau-Christophe à Bérenger27, mais trouvent fort peu de place en prison, ne serait-ce que par manque d’interlocuteurs28.
Ill. 1 — Télégramme du directeur de la prison de Chartres au préfet, 8 sept. 1914, AD Eure-et-Loir, 1 Y 54

12Ainsi, l’instruction générale du 20 mars 1869 renforce, au contraire, les mesures de surveillance en rappelant les moyens de coercition disponibles :
« Si l’on juge qu’un détenu a des projets d’évasion, de suicide ou de violence, il peut être resserré plus étroitement, c’est-à-dire placé à l’isolement, dans une cellule obscure, pourvu de vêtements et d’ustensiles appropriés à sa situation, de façon qu’il n’en puisse faire usage contre lui-même ou contre les personnes qui l’approchent. En outre, il doit être, s’il y a lieu, l’objet d’une surveillance incessante de jour et de nuit29. »
13Il est précisé que, « en ce qui concerne les fers aux pieds, les menottes, la camisole de force, les liens ou entraves, ne doivent être employés que dans les cas prévus par l’article 614 ». Cet article du Code d’instruction criminelle de 1808 autorise les mesures coercitives à l’égard des prisonniers usant de « menaces, injures ou violences, soit à l’égard du gardien ou de ses préposés, soit à l’égard des autres prisonniers30 », et se trouve donc en 1869 implicitement étendu aux suicidaires présumés.
14L’ensemble de cette réglementation renvoie nettement à un modèle classique, bien connu et expérimenté, quoique exceptionnel : celui de la cellule des condamnés à mort, dont l’organisation se sophistique de la Conciergerie à Bicêtre (le quartier des condamnés à mort est ouvert en 1836), puis à la prison de la Roquette en 1851, et qui paraît constituer la matrice paradoxale de ce système d’extrême surveillance destiné à maintenir à la fois isolé et en vie. Pour empêcher l’ultime évasion que constituerait un suicide, on instaure une surveillance permanente du condamné (rondes rapprochées et régulières), un contrôle très serré des objets dont il dispose et de ses mouvements, jusqu’à la neutralisation pure et simple du corps. La circulaire du 12 avril 1866 préconise ainsi expressément de « revêtir [les condamnés à mort], aussitôt après leur condamnation, d’une camisole de force ; les faire surveiller constamment, de jour et de nuit, soit par des gardiens se relevant à tour de rôle, soit par des fonctionnaires ou des agents requis par qui de droit31 ».
15Il est difficile, en l’état actuel de la recherche, d’évaluer la mise en pratique de cet arsenal préventif. Dès le 21 octobre 1866, une nouvelle circulaire rappelle à l’ordre les préfets qui n’auraient pas exécuté les modifications et insiste sur les responsabilités des directeurs32. On sait que, en Meurthe, des inspecteurs généraux visitent les prisons et proposent des modifications, de même que dans la maison centrale de Haguenau. L’instruction générale du 20 mars 1868 mentionne en outre que « beaucoup de départements sont encore en retard » dans l’aménagement des cellules33.
16Le dossier est réouvert sous la IIIe République, après 1875, avec la circulaire ministérielle du 21 mars 1877 qui prévoit cette fois des mesures de réanimation des pendus (c’est le mode de suicide le plus fréquent), prises en charge non par les médecins, qui restent très peu présents en prison, mais directement par les gardiens qui, en attendant l’arrivée du médecin, doivent pratiquer le massage cardiaque et le bouche-à-bouche (ill. 2). Elle change peu l’orientation de cette production réglementaire qui accompagne la mise en place de la prison pénale et consiste en une prise sur les corps, bien plus qu’en une quelconque tentative de restauration subjective, dont les principes sont pourtant énoncés précocement.
Ill. 2 — Instruction du ministère de l’Intérieur, à afficher (1877), AD Yvelines, 1 Y 40

Enquêtes et responsabilités administratives
17Dès les années 1860, les circulaires se conjuguent avec un renforcement de la hiérarchie des charges et responsabilités dans un espace carcéral soumis à l’autorité administrative, celle du préfet, puis du directeur de l’établissement, situé, dès lors, hors droit commun34. Dès 1869, un courrier du ministre de la Justice au préfet de Meurthe-et-Moselle prévient que « l’accomplissement d’un suicide dans les prisons dont la surveillance lui est confiée donnera lieu à une investigation sévère », et évoque la responsabilité du préfet qui « ne sera dégagée qu’autant qu’il établira qu’il a fait prendre les mesures de surveillance conseillées par la prudence, et provoqué les améliorations nécessaires dans l’état matériel des cellules35 ».
18Un réel effort s’opère parallèlement en direction du recrutement et de la responsabilisation des personnels pénitentiaires, également perceptible dans d’autres corps comme la police, la gendarmerie, qui se dotent de codes de comportement d’une exigence croissante36. Cet effort de contrôle des fonctionnaires d’État stimule la production d’enquêtes administratives sur les suicides après 1866. Celles-ci s’étoffent, en termes de détails et de taille des dossiers, jusqu’à un point maximum que l’on peut situer précisément en 1897-1898, et révèlent l’évolution des centres d’intérêt.
19Ces enquêtes s’attachent parfois à évaluer la détermination des détenus pour déceler les éventuelles simulations. Par exemple à Toul, on considère :
« Si Constant avait voulu se suicider, il se serait porté un coup dans la région du cœur et non dans le ventre […]. Puis, au lieu d’employer un ustensile absolument incapable de produire un effet sérieux, il se serait servi d’un crochet de chaussonnier, arme terrible, plus redoutable encore qu’une baïonnette Lebel37. »
20Mais les investigations portent principalement, et plus rigoureusement encore dans les années 1890, sur une vérification serrée du comportement des gardiens, dont on examine le respect des mesures réglementaires, depuis les premiers signes qui auraient pu ou dû susciter l’attention des surveillants jusqu’à l’arrivée des médecins. Le but est de s’assurer de la régularité des rondes, de la qualité des secours, qui doivent être conformes à la circulaire de 1877, et même de la prévisibilité du suicide, élément très important du dossier. En 1884, le gardien du dépôt du palais de justice de Lyon décrit, dans un rapport très circonstancié, la régularité du dispositif de surveillance que Joseph Matabon a tenté de déjouer :
« Par mesure de précaution, à 8 heures 1/2 du soir, M. Barbier, gardien de la prison, fit sortir Matabon de cellule et le plaça avec un autre détenu. Ce matin 27 à 7 h 3/4, je lui ai donné son pain, à 8 h 1/2 je suis venu lui donner sa soupe, à 9 h je suis venu retirer sa gamelle, il n’avait pas fini de manger, de 9 h à 10 h je suis venu voir ce qu’il faisait et je l’ai trouvé couché. À 10 h 1/4, les agents de la sûreté venaient chercher Matabon pour l’interroger, c’est alors qu’en ouvrant sa cellule j’ai constaté que cet homme s’était pendu au moyen d’une ceinture de flanelle qu’il portait sur le corps à la targette de la croisée en se servant pour atteindre son but du baquet de propreté. J’ai coupé immédiatement la ceinture et j’ai prodigué tous les soins nécessaires en employant les moyens indiqués par la circulaire ministérielle du 21 mars 1877. Un médecin appelé par les gardiens de la paix a continué les mêmes efforts mais tout a été inutile, le docteur Jutet n’a pu que constater le décès38. »
21Ces enquêtes suscitent parfois des mesures d’amélioration de la cellule, comme c’est le cas en 1871 à Châteaudun, à la suite du suicide de Germond, « pendu avec son mouchoir au fil de fer auquel s’accroche la lampe de nuit39 ». Le fil est remplacé par une tablette. Ils n’entraînent cependant qu’exceptionnellement la mise en accusation de l’administration des prisons. On n’en trouve qu’un seul exemple, à Corbeil, en 1897, à propos du gardien Laurent qui, « chargé d’enlever pour la nuit le matériel de travail, n’a pas eu la précaution de vérifier l’état des cordes ». Il est puni de quinze jours d’arrêt, même si « rien ne laissait prévoir ce suicide40 ».
22Le plus souvent, l’argumentation pointe finalement le caractère inévitable du suicide, avec des éléments récurrents. Concernant Matabon, le courrier du ministère de l’Intérieur au préfet précise qu’« il résulte de ce rapport que le suicide du né Matabon ne saurait engager la responsabilité du personnel de garde, puisque rien dans l’attitude de ce détenu ne laissait prévoir qu’il eut l’intention de se donner la mort41 ». L’argument est encore étayé à propos du suicide de Séramour en 1898 : le rapport du directeur de la prison de Briey met ainsi hors de cause les gardiens parce qu’ils « n’ont commis aucune faute professionnelle. […] J’ai la conviction absolue, ajoute-t-il, que l’homme est maître de sa vie et qu’à moins de le garder à vue, jour et nuit, on ne peut l’empêcher de se détruire s’il en a l’intention. Dans ces conditions, j’estime que la responsabilité des agents de la prison de Briey ne peut être mise en cause42 ». De même, Denis, dont on a mentionné en tête de cet article le suicide spectaculaire, « a mis à profit les quinze minutes qui ont séparé deux visites consécutives du gardien pour mettre son projet à exécution ; il a utilisé un clou qui ne paraissait nullement propice à faciliter un suicide. N’ayant aucun point d’appui pour se pendre, il s’est étranglé par un procédé dénotant une volonté si déterminée, une ténacité telle que rien n’aurait pu empêcher la réalisation de ce funeste projet43 ».
23La même conclusion s’impose dans le cas un peu différent d’une défenestration, hors cellule donc, à Haguenau : « Cela s’est fait si rapidement qu’on s’est aperçu de cet accident que par le bruit produit par la chute. Cet accident ne peut être imputé au gardien Lagoutte qui a bien fait son service et auquel il est matériellement impossible d’empêcher à 50 hommes qui descendent un escalier de se précipiter dans le vide s’ils en ont la ferme intention44 », écrit le gardien-chef dans son rapport.
24Le suicide fait bien figure de dérèglement dans ces lieux d’enfermement où la seule réponse possible semble être l’intensification de la discipline. Celle-ci mobilise l’ensemble du personnel pénitentiaire, dont le comportement et les gestes sont les relais et opérateurs indispensables de l’ordre carcéral, mais achoppe sur ce qu’elle ne parvient à analyser qu’en termes d’évasion, une forme ultime et insupportable d’insoumission. C’est cette forme univoque d’analyse qui explique la nature disciplinaire de la réponse apportée.
Surveillance et résistance comme symptômes du régime disciplinaire
25Le déploiement de la surveillance intensive et des enquêtes administratives a pour effet corollaire de produire des savoirs empiriques sur le suicide qui permettent en retour de raffiner la surveillance. Les statistiques pénitentiaires permettent ainsi de repérer le « choc carcéral », dans les quelques jours ou le mois qui débute la détention : « L’impression première de la solitude, de l’encellulement a été si violente que la pensée de la destruction est née instantanément avec une force extrême dans leur esprit45 », observe Prosper Pietra Santa à Mazas. La charge de détecter les signes précurseurs, qui incombe au personnel de surveillance, concerne en effet tout à la fois les personnalités que l’on dirait aujourd’hui à risque, mais aussi les moments critiques de la détention. Le début de l’incarcération fait ainsi des prévenus et accusés un groupe surveillé plus attentivement, les moments clés du procès (interrogatoires, envoi de l’acte d’accusation) également sensibles réclament une surveillance plus soutenue. Les gardiens parviennent à obtenir des renseignements sur les intentions de suicide en s’informant auprès des codétenus. La préservation dans les dossiers de la même période de quelques lettres de suicidés, nécessairement très rares dans le contexte de la détention, révèle la même attention aux causes de suicide.
26Les enquêtes montrent que l’on cherche a posteriori des signes annonciateurs et des explications. Au départ, le commentaire est le plus souvent lapidaire : « On ignore les causes qui ont pu porter cette femme à cet acte de désespoir », écrit le directeur de Haguenau à propos de Marie Adinet, qui s’est défenestrée en 185346. Les analyses s’étoffent cependant par la suite, jusqu’aux années 1896-1897 qui marquent sur ce point encore un maximum. On s’interroge : « A-t-il donné des signes annonçant le suicide ou la tentative ? » Et les réponses elles aussi s’étoffent. Des propositions d’explication sont ainsi avancées à propos de Joseph Franz, pendu à la maison d’arrêt de Lyon en 1896 :
« J’ignore les motifs qui ont pu décider ce malheureux à prendre cette fatale résolution, si ce n’est d’admettre toutefois que la misère et les souffrances morales ne sont pas étrangères à sa funeste détermination47 », écrit le gardien.
27Les investigations sont plus fines encore concernant Jean-Claude Denis. On sait par exemple que ce détenu, « écroué d’hier à la maison d’arrêt en sortant le matin du Petit Parquet, avait manifesté l’intention d’attenter à ses jours ; [que] le gardien-chef, averti, moralisa ce prévenu et prit toutes les précautions pour qu’il ne mît point son projet à exécution48 ». Les précautions en question sont très précisément décrites dans le rapport du directeur de la 20e circonscription pénitentiaire :
« Cet individu n’avait pas tout d’abord paru affecté par son arrestation au point d’éveiller l’attention des gardiens.
Cependant le gardien-chef était averti hier soir, dès le retour des prévenus conduits à l’instruction, que Denis avait manifesté au palais de justice à un de ses codétenus l’intention de se donner la mort.
Des mesures étaient immédiatement prises pour prévenir le suicide. Denis était placé dans une cellule de sûreté avec la “bricole49” et ordre était donné à l’agent de service de le surveiller de très près. Denis ne cessa de protester contre les dispositions prises à son égard, jurant qu’il n’avait pas tenu le propos rapporté au gardien-chef et qu’il n’avait nullement l’intention qu’on lui prêtait. La nuit ne fut pas agitée. En présence de ce calme apparent, et sur les supplications du détenu, le gardien-chef a fait ce matin enlever la camisole de force.
Denis s’attendait à une visite de sa famille. Personne n’est venu le voir. Cette absence a-t-elle été considérée par lui comme un signe d’abandon ? N’est-il pas dès lors revenu à ses intentions premières auxquelles il paraissait avoir renoncé ? Tout le fait supposer. »
28Mais le rapport ne se contente pas de cette première hypothèse :
« C’était un morphinomane, son corps est couvert de traces de piqûres et sa chemise tachée de sang. Il avait à son entrée de la morphine qui lui a été retirée. Il est possible que la privation imposée par la détention à ce point de vue, jointe aux douleurs d’une incarcération, ait amené cet individu à une résolution extrême.
Quoi qu’il en soit, toutes les précautions ont été prises en la circonstance50. »
29Cette description, qui n’est pas un cas isolé, traduit l’intensité du rapport de force qui s’établit entre le détenu suicidaire et le personnel pénitentiaire. Comme on le voit pour Denis, le constat d’un risque suicidaire entraîne la mise en place de mesures de prévention extrêmement coercitives qui visent à neutraliser les corps enfermés. En Meurthe-et-Moselle, la femme Bruckmann, qui a tenté de se suicider par strangulation, en 1898, est ainsi soumise à un régime draconien :
« J’ai recommandé la surveillance la plus étroite, et au moindre symptôme l’emploi de la camisole de force qui, sans être douloureuse, empêche toute tentative de suicide.
J’espère également que le calme se fera dans cette pauvre intelligence et que nous finirons par lui faire comprendre que le repentir sincère de ses fautes, la soumission à ses supérieurs, la bonne conduite, le travail assidu pourront seuls militer en sa faveur et lui valoir une atténuation de la peine51. »
30Cette politique de surveillance remporte parfois quelques succès, comme dans le cas de Grollier, en 1898, à la maison d’arrêt de Lyon, « surpris au moment où il cherchait à fixer à une cheville du portemanteau les lacets de ses souliers déjà passés autour de son cou ». Le directeur s’attribue le mérite d’une meilleure organisation de la surveillance, ayant placé « tous les prévenus menacés de peines graves sous la garde d’un seul agent dont la surveillance, ainsi limitée à sept ou huit détenus suspects, deviendrait plus efficace52 ». Il ajoute cependant que « les traits et le langage [de Grollier] dénotent un profond désespoir et une résolution ferme de mettre fin à ses jours », sur lesquels « les consolation n’ont eu jusqu’ici aucune prise ». Ce constat semble anticiper un échec que les statistiques confirment globalement, puisque le chiffre des suicidés s’accroît fortement pendant la même période. Il marque l’échec des principes disciplinaires de prévention et annonce peut-être les chiffres encore bien supérieurs de la période actuelle.
31L’intérêt, bien réel, pour le suicide en prison dans la seconde moitié du XIXe siècle se traduit par des écrits médicaux, des données statistiques ou des circulaires du ministère de l’Intérieur qui tendent à inscrire dans la vie des prisons de nouveaux dispositifs institutionnels de prévention. Il s’y produit une connaissance empirique du risque suicidaire, un savoir qui, conformément à la logique du pouvoir disciplinaire, ne dirige pas son effort vers la subjectivité des détenus mais vers leur corps, suivant des procédés extrêmement classiques, dont la camisole de force et la cellule de sûreté sont emblématiques : soumettre, réduire les corps à l’impuissance pour corriger les âmes, face à un geste qui ne peut être interprété, dans le cadre de l’enfermement pénal, qu’en termes de rébellion, de violence ou d’évasion. Dans cette perspective, ces suicides peuvent être compris comme un geste ultime de réappropriation du corps.
32Le désespoir des prisonniers, qui apparaît pourtant dans certains rapports administratifs, comme dans les textes de certains réformateurs, est en effet une donnée absente de la réaction institutionnelle que provoque l’accroissement du nombre des suicides. La politique de prévention des suicides paraît alors redoubler l’échec du programme de correction que la prison pénale devait générer, parce que les techniques de soumission mobilisées, en prétendant contraindre à la vie, produisent précisément ce qu’elles voulaient juguler. Si la prison est une forme « concentrée et austère » des institutions disciplinaires, la cellule de sûreté, conjuguée avec la camisole de force, telles qu’elles sont appliquées à « ceux dont on craint le suicide », en figure peut-être alors la quintessence, ou l’extrême absurdité.
33À cet échec, constatable autour de 1897-1898, succède une période de désintérêt pour les prisons dans une France marquée par les attentats anarchistes et l’affaire Dreyfus. La victoire de la République radicale ne viendra pas infléchir la tendance, vouant de plus en plus la prison à la détention de criminels présumés dangereux et inaugurant après 1900 ce que Robert Badinter a nommé le « temps de l’indifférence53 ».
Notes de bas de page
1 Archives départementales (AD) Rhône, 1Y192, rapport suicide par strangulation, qui ajoute aux pièces ordinaires le constat de décès d’un commissaire de police, 1896.
2 Si de telles formes extrêmes de suicide ont déjà été constatées dans les cachots d’Ancien Régime, elles resurgissent avec une intensité renouvelée dans les dernières décennies du xixe siècle, voir Dominique Godineau, S’abréger les jours. Le suicide en France au xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 2012.
3 Code des délits et des peines de 1795, art. 7 : « L’action publique s’éteint par la mort du coupable. »
4 L’article 605 du Code d’instruction criminelle de 1808 précise ainsi : « Les préfets veilleront à ce que ces différentes maisons soient non seulement sûres, mais propres, et telles que la santé des prisonniers ne puisse être aucunement altérée. »
5 Jean-Claude Chesnais, « Le suicide dans les prisons », Population, 31-1, 1976, p. 73-85. La question reste d’actualité puisque la France est aujourd’hui dotée du taux de suicide carcéral le plus élevé de l’Union européenne, spécifique d’ailleurs au milieu pénitentiaire, avec 18/10000 en 2008 (chiffre publié en 2009 par Populations et Société).
6 La diminution est de 40 % dans les prisons métropolitaines entre 1893 et 1907.
7 D’importants travaux ont défriché les périodes antérieures : Jean-Claude Schmidt, « Le suicide au Moyen Âge », Annales. ESC, 1, 1976, p. 3-28 ; Alexander Murray, Suicide in the Middle Ages. Vol. 1 : The Violent Against Themselves, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; Dominique Godineau, S’abréger les jours…, op. cit. ; Michel Porret, « Les “Réflexions sur le suicide” de l’horloger genevois J. J. Mellaret (1769) », RHMC, 42, 1995, p. 70-90 ; et, pour le XIXe siècle, Jean Favard, « Les suicides en prison au XIXe siècle », dans Jacques-Guy Petit (dir.), La prison, le bagne et l’histoire, Paris/Genève, Librairie des Méridiens, 1984, p. 171-177 ; Barrie Ratcliffe, « Suicide in the City : Perceptions and Realities of Self-Destruction in Paris in the First Half of Nineteenth Century », Historical Reflections/Réflexions historiques, 18, 1, 1992 ; Sylvie Giraud, Le suicide à Paris à l’époque préromantique, 1791-1816, thèse dirigée par Jean Tulard, Paris IV, 2000 ; Hervé Guillemain, « Petits arrangements avec la mort volontaire. Suicide, folie et refus de sépulture dans la première moitié du xixe siècle », Interrogations. Revue pluridisciplinaire de sciences humaines et sociales, no 14, 2012 ; Georges Minois, Histoire du suicide. Les sociétés occidentales face à la mort, Paris, Fayard, 1995.
8 Dominique Godineau a montré quel processus de « recatégorisation du suicide » traverse le xviiie siècle pour en faire un problème de société inscrit dans l’espace public, ainsi qu’une question philosophique, avant que la Révolution y voie une possibilité ultime de liberté (ibid.).
9 « Un fait social, où l’individu n’intervient pour ainsi dire que pour donner une forme plus arrêtée, plus précise à des souffrances générales, souffrances morales et matérielles qui accusent hautement les vices de nos institutions et l’impuissance de nos lois » : Des Etangs, « Du suicide en France. Études sur la mort volontaire depuis 1789 jusqu’à nos jours », Annales médico-psychologiques, 1857, p. 3.
10 Les pratiques suicidaires elles-mêmes offrent un tableau global assez ordinaire, compte tenu cependant des contraintes de la détention et des caractéristiques de la population pénale. Le suicide y est majoritairement masculin, appliqué majoritairement par pendaison (36 cas), par défenestration lorsque la prison s’y prête (Saint-Paul à Lyon), par coup sur le torse (12). On se tranche les veines à la fin de la période, l’asphyxie au gaz apparaît en 1915.
11 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 259. La formule est relevée par Jean-Claude Farcy, L’histoire de la justice française de la Révolution à nos jours, Paris, PUF, 2001, p. 282.
12 Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre, Élisabeth Lusset (dir.), Enfermements. Le cloître et la prison (vie-xviiie siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, notamment Julie Claustre, « Les prisonniers “desconfortés” : les littératures de la prison au bas Moyen Âge », p. 89-106.
13 Laurence Guignard, « Les supplices publics à Paris au XIXe siècle : l’abstraction du corps », dans Michel Porret (dir.), Le corps violenté, du geste à la parole, Genève, Droz, 1998, p. 157-184 ; Sophie-Anne Leterrier, « Prison et pénitence au XIXe siècle », Romantisme, 142-4, 2008, p. 41-52.
14 Gabriel Bonnot de Mably, De la législation, cité par Michel Foucault, Surveiller et punir…, op. cit., p. 22.
15 Voir notamment Jeremy Bentham, Panoptique. Mémoire sur un nouveau principe pour construire des maisons d’inspection, et nommément des maisons de force, Paris, Imprimerie nationale, 1791. Sur le modèle pénitentiel, voir notamment Roger Merle, La pénitence et la peine, théologie, droit canonique, droit, pénal, Paris, Cerf/Cujas, 1985 ; Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France (1780-1875), Paris, Fayard, 1990.
16 Dans les départements suivants : Meurthe-et-Moselle, Eure-et-Loir, Rhône, Gard, Yonne, Bas-Rhin et Yvelines.
17 En 1843, la Chambre des députés adopte le régime de la séparation individuelle. Passée au second plan dans les années 1850, la loi du 5 juin 1875 propose la généralisation de la détention cellulaire, jour et nuit, dans les maisons d’arrêt départementales et les maisons centrales.
18 Prosper Pietra Santa, Mazas. Études sur l’emprisonnement cellulaire et la folie pénitentiaire, Paris, 1858. Les taux de suicide y sont bien supérieurs à ce que l’on peut trouver dans les prisons où perdure un enfermement collectif. On trouve aux États-Unis le même type de discussion dès 1791, année d’introduction du cellulaire à Philadelphie.
19 Les travaux sont nombreux en ce domaine. Citons par exemple, par ordre chronologique, Jean-Pierre Falret, De l’hypochondrie et du suicide, considération sur les causes, sur le siège et le traitement de ces maladies, Paris, 1822 ; Jean-Baptiste Cazauvieilh, Du suicide, de l’aliénation mentale et des crimes contre les personnes, comparés dans leurs rapports réciproques : recherches sur ce premier penchant chez les habitants des campagnes, Paris, 1840 ; G.-François Étoc-Demazy, De la folie dans la production du suicide, Paris, 1846 ; Alexandre Brière de Boismont, Du suicide et de la folie suicide considérés dans leurs rapports avec la statistique, la médecine et la philosophie, Paris, 1856.
20 Étienne Esquirol, « Rapport au nom d’une commission de l’Académie royale de médecine », Bulletin de l’Académie royale de médecine, t. III, 1839, p. 372-389 ; Louis Mathurin Moreau-Christophe, « De la mortalité et de la folie dans le régime pénitentiaire », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 22, 1839, p. 5-17 ; M. J. Baillarger (médecin à l’hospice de la Salpêtrière), « Note sur les causes de la fréquence de la folie chez les prisonniers », Annales médico-psychologiques, Paris, t. IV, 1844, p. 74-79 ; Louis-Francisque Lelut (médecin en chef de la 3e section des aliénés de l’hospice de la Salpêtrière, médecin du dépôt des condamnés), « De l’influence de l’emprisonnement cellulaire sur la raison des détenus », Annales médico-psychologiques, Paris, t. IV, 1844, p. 57-73.
21 Rapport de Bérenger (de la Drôme), cité par Charles-Jérôme Lecour, « Du suicide et de l’aliénation mentale dans les prisons cellulaires du département de la Seine », Annales médico-psychologiques, no 14, 1875, p. 300.
22 Louis Mathurin Moreau-Christophe, Code des prisons ou recueil complet des lois, ordonnances, arrêtés, règlements, circulaires et instructions ministérielles concernant le régime intérieur, économique et disciplinaire des maisons d’arrêt, maisons de justice, maisons de correction, maisons de force et autres prisons préventives ou pour peines placées sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, de 1670 à 1845, Paris, 1845, p. 227.
23 Instruction générale du 20 mars 1868.
24 Ibid., p. 160, circulaire du 7 avril 1864, signé le conseiller d’État secrétaire général Chamblain, pour le ministre de l’Intérieur.
25 Ibid., p. 261, circulaire du 12 avril 1866, « Instruction au sujet des mesures qui doivent être prises à l’égard des détenus placés dans les cellules ou chambres individuelles ».
26 Ibid., p. 264, circulaire du 12 avril 1866.
27 Le texte du réformateur se révèle attentif à la situation des détenus : « La surveillance a des limites », écrit-il, et « il suffit de la volonté pour sortir de la vie », il suggère de « préserver du découragement le prisonnier isolé », en favorisant les visites de l’aumônier, des médecins, des gardiens, de la famille, des amis. Le détenu doit ainsi être « isolé seulement de ses compagnons ».
28 En 1885, l’aumônier de Mazas reconnaît ainsi l’efficacité de ses visites « qui favorisent le désir d’amendement pour l’avenir », mais, écrit-il, « malheureusement, un seul homme ne peut suffire à ce besoin », Code pénitentiaire, t. X (1885-1886), Situation du service pénitentiaire, 1er mars 1885, p. 45.
29 Ibid., t. IV, p. 443, circulaire d’ensemble du 20 mars 1869. Cette mesure vient compléter l’arrêté du 25 décembre 1819 sur la police des prisons départementales, et l’art. 101 de celui du 30 octobre 1841 sur les peines disciplinaires.
30 Code d’instruction criminelle de 1808, art. 614 : « Si quelque prisonnier use de menaces, injures ou violences, soit à l’égard du gardien ou de ses préposés, soit à l’égard des autres prisonniers, il sera, sur les ordres de qui il appartiendra, resserré plus étroitement, enfermé seul, même mis aux fers en cas de fureur ou de violence grave, sans préjudice des poursuites auxquelles il pourrait avoir donné lieu. »
31 Code des prisons, op. cit., t. IV, p. 264, circulaire du 12 avril 1866. Voir Laurence Guignard, « Topographie parisienne de la peine capitale », Annales de l’Est, numéro spécial, 2012, p. 39-49.
32 Ibid., p. 274.
33 Ibid., p. 360.
34 Les collectivités pénitentiaires sont principalement régies par des règlements intérieurs administratifs, voir Martine Herzog-Evans, « Le droit en prison », Projet, 269, p. 87-95.
35 AD Meurthe-et-Moselle, 1Y73, 1869, lettre du ministre au préfet.
36 Christian Carlier, « Le personnel des prisons françaises au xixe siècle », Collection Archives pénitentiaires, 8, 1987 ; Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville : la construction d’un ordre public à Paris, 1854-1914, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012 ; Arnaud-Dominique Houte, Le métier de gendarme au xixe siècle, Rennes, PUR, 2010.
37 AD Meurthe-et-Moselle, 1Y73, 1900, Constant, lettre du directeur de la prison de Toul.
38 AD Rhône, 1Y192, 1884, Matabon, direction de l’administration pénitentiaire, rapport du directeur des prisons du Rhône.
39 AD Eure-et-Loir, 1Y54, 1871, Germond, ministère de l’Intérieur au préfet.
40 AD Seine-et-Oise, 1Y40, 1897, Dubuisson, ministère de l’Intérieur au préfet.
41 AD Rhône, 1Y192, ministère de l’Intérieur, direction de l’administration pénitentiaire, 2e bureau, au préfet du Rhône.
42 AD Meurthe-et-Moselle, 1Y73, 1898, Seramour, rapport du directeur de la prison au préfet.
43 AD Rhône, 1Y192, 1896, Denis.
44 AD Bas-Rhin, Y 208, 1853, Marie Adinet (70 ans).
45 Prosper Pietra Santa, Mazas…, op. cit., p. 94.
46 AD Bas-Rhin, Y 208, op. cit.
47 AD Rhône, 1Y192, 1896, Franz.
48 Voir supra.
49 Appareil composé de lanières de cuir, passant entre les jambes du détenu et attaché à sa ceinture. Il semble avoir été mis au point dans les prisons de Lyon : Jean-Claude Farcy, Meurtre au bocage. L’affaire Poirier (1871-1874). Les Coujartières, Tournebride, Le Tertre. Une enquête criminelle dans le Perche-Gouët au lendemain de la guerre de 1870, Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir, 2013, p. 338-339.
50 AD Rhône, 1Y192, 1896, Denis, no 1449, directeur de la 20e circonscription pénitentiaire à Monsieur le Préfet du Rhône.
51 AD Meurthe-et-Moselle, 1Y73, 1898, Bruckmann, le directeur de la circonscription de Nancy au préfet.
52 AD Rhône, 1Y 192, 1898, Grollier-Baron, le directeur de la circonscription pénitentiaire de Lyon au préfet du Rhône.
53 Robert Badinter (dir.), La prison républicaine, Paris, Fayard, 1992.
Auteur
Université de Nancy
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