Introduction
p. 13-25
Texte intégral
Comme le règne de la nature dans ses productions, l’Empire allemand est insondable dans l’infiniment grand comme dans l’infiniment petit ; et c’est cet aspect qui a provoqué chez les personnes initiées à l’extrême complexité du droit cet étonnement devant le système étatique allemand et cette admiration pour ce monument de justice achevée1.
Un impôt sans État ?
1Presque toutes les histoires d’impôt sont des histoires d’État. Tandis que les archives donnaient à voir les pratiques et les gestes associés au versement de l’impôt, les stratégies sociales dont il était le support et la signification symbolique qui lui était associée, l’historiographie, elle, semblait occupée, parfois jusqu’à l’aveuglement, par le problème de la construction de l’État moderne ou de l’absolutisme. C’est tout particulièrement le cas de l’historiographie française, car la France a, en quelque sorte, déposé une part importante de sa mémoire nationale dans la construction de l’État moderne2.
2L’impôt d’Empire ne fait pas exception à la règle, alors même que la question de savoir si le Saint-Empire peut être qualifié d’« État » a été l’une des grandes controverses de l’historiographie allemande des dernières décennies, et que le cas allemand force à voir la complexité et la plasticité de la notion d’État. La querelle n’est pas seulement nominaliste et il s’y est joué également le rapport des historiens allemands au grand récit de la construction nationale3. Le Saint-Empire, évincé et discrédité dans la seconde moitié du xixe siècle par l’historiographie de la « petite Allemagne » prussienne et protestante, dont il constituait l’alternative habsbourgeoise et catholique, a longtemps été dénigré comme archaïque et inefficace4. Il a connu un lent regain d’intérêt après la Seconde Guerre mondiale et l’attention des historiens s’est alors décalée : centrée jusque-là sur les « territoires » de l’Empire qui étaient les lieux de la construction de l’État et, partant, dépositaires de la modernité – surtout pour les plus importants d’entre eux –, elle s’est progressivement portée vers l’Empire lui-même qui, avec son fédéralisme lâche et son pouvoir faible, offrait un contrepoint utile à une mémoire prussienne saturée de militarisme et de nationalisme. La querelle sur l’étaticité du Saint-Empire s’est développée sur le fond de ce regain d’intérêt, mais aussi en réponse à la thèse du Sonderweg, ce « chemin particulier » qu’aurait connu l’histoire allemande par rapport au cours européen de la modernité5. La place nous manque pour évoquer la polémique dans toute sa richesse, mais on en retiendra que qualifier le Saint-Empire romain germanique d’« État » ne va pas de soi et qu’il existe une difficulté, récurrente depuis l’époque moderne, à le qualifier6. Pourtant, si l’absence de concept crée une forme d’insécurité intellectuelle, cet inconfort n’est pas dépourvu de vertu heuristique : on évite par la force des choses l’essentialisation abusive d’un concept aux contours imprécis dont l’apparence d’évidence est souvent un piège. Une chose est certaine, dans l’espace allemand plus que partout ailleurs : « [L’État est] quelque chose qu’on ne peut pas toucher du doigt7. »
Paradoxalement, les débats sur l’étaticité de l’Empire n’ont entraîné que peu de travaux se proposant d’examiner spécifiquement la fiscalité impériale et, moins encore, les formes collectives de résistance à cet impôt8. Inaugurée par le travail de Winfried Schulze paru en 1978, et à l’exception de celui-ci, pour lequel la question fiscale était un moyen parmi d’autres d’observer la réaction de la société impériale au « danger turc », l’historiographie de l’impôt d’Empire, qui concerne presque exclusivement le xvie siècle et la première moitié du xviie siècle9, est marquée par son extrême focalisation sur la question de « l’échec de l’État fiscal10 » et ce paradigme tend à écraser toute autre interrogation : la question qui l’anime est celle de la viabilité et de l’efficacité de l’Empire11, et elle cherche avant tout à expliquer l’absence de construction de l’État au niveau impérial, qu’elle impute principalement à l’opposition des princes de l’Empire. Corollairement, elle se focalise sur une échelle « centrale » principalement viennoise, et ne se situe jamais dans les territoires des princes. La plupart de ces récits écartent du même fait l’ensemble des structures fines et la pluralité des réseaux qui maillent l’Empire : malgré une volonté de différenciation12, ils s’en tiennent fondamentalement au dualisme, classique dans l’historiographie allemande, entre l’empereur (Kaiser) et l’Empire (Reich), incarné ici par ses « territoires » – réduits, dans les faits, aux plus grands d’entre eux.
3Cet ouvrage souhaite proposer un triple décentrement chronologique, problématique et spatial et rompre avec les approches dualistes d’une histoire souvent plus institutionnelle que sociale. Dans la lignée des travaux de Winfried Schulze13, c’est une histoire des pratiques de l’impôt à toutes les échelles qu’il entend mettre en œuvre une histoire de la société d’Empire, de la manière dont elle tient et dont le pouvoir se construit à tous les niveaux du corps social. En analysant l’impôt d’Empire à partir de la guerre de Trente Ans, on le saisit à un moment où il est supposé ne plus peser, ni financièrement, ni politiquement – ce qui ouvre un espace pour s’interroger sur d’autres fonctions de l’impôt et permet d’éviter celle de la (non-) construction de l’État14. Cela conduit à déplacer les interrogations : il ne s’agit plus tant d’évaluer l’efficacité des prélèvements pour l’empereur ni leurs conséquences sur les institutions impériales que leur signification et leur portée pour les agents redevables d’une part, et que leur incidence sur l’organisation des lieux mêmes où l’impôt est levé d’autre part. Cela explique le déplacement spatial : au lieu de situer l’étude au cœur du pouvoir impérial, nous avons choisi de décaler le regard non seulement dans les « territoires » mais, qui plus est, dans les plus petits d’entre eux, là où la construction de l’État moderne ne s’opère pas. Autrement dit, si l’historiographie allemande s’est construite autour du mot d’ordre « sans impôt, pas d’État15 », nous proposons d’interroger la réciproque : sans État, que dire de l’impôt ?
Des « territoires » sans histoire
4Les petits territoires de l’Empire qui serviront ici de terrain d’analyse, quoiqu’ils représentent l’écrasante majorité des quelque trois cents états d’Empire, demeurent aujourd’hui encore les parents pauvres de l’historiographie16. Observer l’impôt d’Empire dans ces territoires-là permet pourtant de l’analyser là où il est doté d’une incidence et d’une signification réelles. Dans les grands États, il est peu ou mal payé, il se dissout pour les contribuables dans la multitude des prélèvements et il ne sert que très exceptionnellement de support aux stratégies sociales et politiques des gouvernants – pour autant du moins qu’on puisse l’évaluer en l’absence de travaux qui y soient spécifiquement consacrés. De plus, choisir comme vecteur de l’analyse un impôt levé au nom d’une structure qui n’est pas un État par des pouvoirs qui n’en sont pas non plus, c’est échapper, par le fait, à la question de l’impôt comme facteur causal direct d’une construction étatique.
5Le fonctionnement institutionnel et politique des espaces gouvernés par les petits comtes et princes d’Empire n’a presque plus été objet d’analyse depuis la première moitié du xxe siècle et la grande controverse sur les origines du pouvoir territorial17. Depuis lors, point d’historiographie ou presque ne leur a été proprement dévolue, du moins pas à leur fonctionnement administratif et politique, à leurs institutions, à leurs finances et moins encore à la spécificité de leur organisation sociale18. À mi-chemin entre la seigneurie et l’État19, dotés de formes partielles de souveraineté, ces pouvoirs singuliers ne sont pourtant pas une erreur de l’histoire : ils représentent bien une possibilité qui, faute d’avoir été victorieuse in fine, n’a pas été intégrée aux grands modèles d’explication historique. Ils ont été de ce fait presque toujours dénigrés comme les reliquats archaïques d’un autre temps, inadaptés à l’époque moderne. Nous verrons pourtant que ce jugement hâtif ne rend pas justice à la complexité du réel.
6L’étude est située dans les pays des princes et comtes d’Empire de Reuss, Schönburg et Schwarzburg. Ces trois « Maisons » se désignent elles-mêmes comme des « états d’Empire de moindre puissance ». Les analyser ensemble n’est pas une décision arbitraire ou contingente : liées par des relations familiales et matrimoniales20, juridiques et politiques21, elles partagent en la personne de l’électeur de Saxe un ennemi, un patron et un suzerain commun, et en l’empereur un même suzerain et protecteur. Sur le fond de ces éléments communs, les gouvernants des trois Maisons élaborent des coopérations nombreuses, qui font de ces trois ensembles pris concomitamment une échelle de fonctionnement et un niveau de pouvoir en soi. Les étudier séparément aurait reconduit l’image trompeuse de « territoires » étanches, clairement délimités, là où l’impôt d’Empire fait au contraire surgir l’ampleur des porosités et des circulations qui les relient. Une analyse plus classique de l’impôt territorial aurait ramené le propos vers la question de la construction de l’État ou du « territoire », et aurait masqué combien les espaces gouvernés par les « états d’Empire de moindre puissance » étaient structurés par leur insertion dans l’espace social et politique impérial et comme « encapsulés » en lui, pour emprunter les mots de Giovanni Levi22. Ce n’est donc pas une triple monographie que cet ouvrage propose, mais plutôt une réflexion sur les échelles entrelacées et intermédiaires du pouvoir dans le Saint-Empire.
Pouvoirs, domination et consentement
Des millions de petits pouvoirs forment la trame de la société dont les individus forment la lisse. […] La philosophie politique a trop souvent coutume de réduire le pouvoir au seul pouvoir central, au Léviathan, bête de l’Apocalypse. Mais le pouvoir ne découle pas tout entier d’un pôle de détestation, « il est véhiculé par un réseau capillaire si serré qu’on se demande où il n’y aurait pas de pouvoir » […]. Ce qui fait bouger ou ce qui bloque une société, ce sont les innombrables petits pouvoirs autant que l’action du seul pouvoir central. Le Léviathan serait impuissant sans la foule des petits pouvoirs lilliputiens ; non pas parce que tout pouvoir dérive du centre ni parce qu’il serait partout mais parce qu’il n’aurait plus sous lui que du sable impossible à retenir d’une brassée. […] Nous ne pouvons échapper nulle part aux relations de pouvoir ; en revanche, nous pouvons toujours et partout les modifier ; car le pouvoir est une relation bilatérale ; il fait couple avec l’obéissance, que nous sommes libres (oui, libres) d’accorder avec plus ou moins de résistance23.
7Il ne s’agit pourtant pas seulement de rendre compte de formes de pouvoir tombées dans l’oubli : il s’agit d’en rendre raison. Plus essentiellement, cet ouvrage se propose donc d’analyser la lutte à laquelle se livrent l’ensemble des groupes d’agents à propos de la définition et de l’exercice du pouvoir : en évitant l’État et toute forme de pouvoir « central », en contournant le piège du Léviathan, on est à même de faire surgir un entrelacement de relations de domination qui sont, véritablement, la matière première de la construction du pouvoir. Lempereur et l’Empire, leurs tribunaux et leurs divers intermédiaires, l’électeur de Saxe, ses administrateurs et ses tribunaux, les seigneurs, comtes et princes de Reuss, de Schönburg et de Schwarzburg, leurs administrateurs, leurs sujets : tous sont mis en relation par le paiement de l’impôt d’Empire. Pour les princes et comtes, l’impôt d’Empire est à la fois le marqueur de leur statut contesté d’immédiats d’Empire et le symbole de leur allégeance et de leur fidélité à l’empereur, si bien qu’en payant, ils garantissent leur statut et leur rang sur la scène impériale. En levant l’impôt d’Empire sur leurs sujets, ils rappellent ces derniers à leur nature d’êtres redevables et à leur sujétion. Pour le puissant voisin saxon, l’impôt d’Empire payé par les princes et comtes est un obstacle à la médiatisation de ces derniers, qui serait la condition de leur absorption dans son propre territoire. Pour les sujets, il est un moyen extrêmement efficace, en raison de son intrication avec ces motifs institutionnels et féodaux, de mettre en question l’autorité qui s’exerce sur eux. Au cœur de l’analyse se trouvent donc des séries de rapports de force entrelacés et interdépendants. Prendre l’impôt d’Empire pour fil conducteur de l’analyse des relations sociales entre agents et groupes d’agents et de leur système d’interactions complexes, c’est avant toute chose s’essayer à une histoire des usages sociaux d’une institution d’Empire et, partant, à une histoire de l’Empire comme corps social, traversé par des relations de domination, de fidélité, de coopération et, surtout, de conflit.
8Car, si l’historiographie allemande récente a insisté à juste titre sur le caractère « négocié24 », « fondé dans le consensus25 » ou « désireux d’être accepté26 » du pouvoir local à l’époque moderne, et si elle a rompu par là avec l’idée d’une autorité unilatéralement imposée d’en haut pour montrer les ressources d’un pouvoir exercé aussi dans une interaction avec le « bas27 », la question fiscale met face à des autorités qui, davantage qu’elles ne recherchent le consentement de leurs sujets, leur enjoignent de consentir. En matière fiscale, il n’y a point véritablement – ou seulement très peu – de convergence d’intérêts possible : l’impôt nous ramène sans cesse au cœur d’une lutte élémentaire pour l’attribution des ressources matérielles, pour la définition d’une position sociale et il prend souvent, localement, les traits d’une extorsion impitoyable. Aussi consentement et refus, négociation et coercition sont-ils souvent co-présents. Moins que des couples antagoniques qui s’excluent mutuellement, ces binômes doivent être compris chaque fois comme des mécanismes complexes : négociation et affrontement sont susceptibles d’intrication.
9C’est également la raison pour laquelle cet ouvrage analyse l’ordinaire des relations sociales en lien permanent avec l’extraordinaire de la révolte et de la coercition violente : pour être rares, elles n’en structurent pas moins l’exercice quotidien du pouvoir et pèsent en permanence sur les interactions ordinaires. Tout comme l’émeute frumentaire, la révolte antifiscale a les traits d’un rappel à l’ordre qui, quoique exceptionnel, infléchit le cours des pratiques ordinaires28. Quant aux pratiques répressives et d’intimidation mises en œuvre par les autorités, dont nous verrons toute l’ampleur, elles remplissent une fonction analogue : la violence est certes une ultima ratio et l’on y recourt avec parcimonie, par économie de moyens, car elle coûte cher, financièrement, politiquement et symboliquement. Mais elle est exercée et, surtout, rappelée avec une régularité suffisante pour que la menace plane en permanence de la possibilité de son déferlement. L’exercice de la terreur par la révolte et par la coercition ne nous paraît donc pas exclusif des coopérations et des formes pacifiques de négociation, bien au contraire. Mais consentement et coopération des contribuables, en matière fiscale, doivent être compris dans un rapport dialectique à un refus et à une opposition qui sont tout aussi structurants.
10En contournant la question de l’État et en focalisant l’attention sur l’impôt d’Empire comme vecteur des stratégies sociales et révélateur du monde social, c’est donc bien une histoire du pouvoir qu’il s’agit d’écrire, ou plutôt de ces « millions de petits pouvoirs29 » qui font la trame de la société. L’allégeance et la soumission qui sont au cœur d’un geste fiscal ici toujours fondé dans la relation vassalique, comme la coercition qu’il implique parfois, en font un lieu privilégié pour étudier les rapports de domination et de fidélité à tous les niveaux du corps social. Payer ou ne pas payer, payer peu ou beaucoup, payer directement ou indirectement sont autant de moyens de dire publiquement son rang et sa place. L’impôt met en jeu, de manière singulièrement visible, et parfois plus douloureusement qu’ailleurs, la façon dont la société s’orchestre et tient ensemble, et le tissu de ces relations est l’endroit précis où s’élabore le lien politique : à travers l’impôt d’Empire, c’est une histoire des luttes autour de la construction, de la définition et de l’exercice du pouvoir qui se donne à voir.
Mondes sociaux
11Enfin, observer l’Empire depuis les pays de ces petits comtes et princes d’Empire fait surgir de manière plus aiguë qu’ailleurs la concurrence entre les différentes autorités susceptibles d’établir des normes, car l’impôt mobilise presque toutes les institutions existantes dans l’Empire et dans les espaces gouvernés par les trois Maisons30 : si ces différentes sources d’autorité ne sont pas sur un pied d’égalité, aucune d’entre elles n’est susceptible de s’établir face aux autres comme transcendante, apte à trancher et à établir des verdicts définitifs, bref à définir le réel. Cette concurrence des autorités n’est pas seulement institutionnelle : derrière, des agents et des groupes d’agents contribuent à son élaboration permanente. En retraçant l’écheveau de ces relations, le danger est pourtant de se perdre dans l’infiniment petit, l’infiniment varié et l’infiniment fluctuant, sans parvenir à déceler l’ordre qui gît sous les apparences de chaos – sous cette « fractalité » impériale dont Christophe Duhamelle a déployé toutes les modalités depuis l’Eichsfeld31.
12En comprenant cet ensemble d’interactions comme une « configuration sociale » au sens que lui donne Norbert Elias, on est à même de donner du sens à cet entrelacs mouvant d’agents sociaux, de groupes, d’autorités, et d’éviter de s’en tenir à la description de séries de « dualismes » si caractéristique de l’histoire allemande32 : l’Empire et l’empereur (Kaiser und Reich), le prince et les états (Landesherr und Landstände), l’autorité et les sujets (Obrigkeit und Untertan). Cette représentation du monde social engendre non seulement une abstraction et une simplification en ramenant toutes les interactions à un face-à-face binaire, mais encore elle présuppose qu’il est fondé sur des séries d’homologies : être « seigneur » (Herr) ou être « sujet » (Untertan), être « obéissant » (gehorsam) et « fidèle » (treu), être « redevable » (schuldig) se retrouvent dans les textes à tous les niveaux, comme si le corps social était une poupée russe, où les mêmes interactions se reproduisaient à l’identique. Démontrer qu’il n’en est rien est aussi l’une des tâches que nous nous proposons d’entreprendre : « consentir » à l’impôt, être vassal, être sujet, être obéissant, être redevable ou être fidèle n’ont ni le même sens ni les mêmes implications selon que l’on est seigneur, comte ou prince d’Empire, que l’on est un représentant de la noblesse territoriale33, ou que l’on est un simple contribuable, paysan ou bourgeois. Et, partant, le « don » de l’impôt, lui non plus, n’est pas une figure invariable.
13Penser cet écheveau comme une figure ou une configuration sociale (Soziale Figuration) présuppose que les relations entre agents et groupes d’agents tissent un réseau d’interdépendances qui forment une constellation particulière. Norbert Elias la compare tantôt au jeu d’échecs34, tantôt au jeu de cartes35, tantôt au ballet pour souligner que l’interdépendance des individus est proprement ce qui constitue le social ; on ne peut comprendre chaque coup du jeu, ni chaque pas de danse, si on l’isole des autres. La configuration est donc la somme de ces actions interdépendantes et possède une existence intrinsèque, à la fois fondée dans les agents qui la constituent et indépendante d’eux. Elle peut exister à toutes les échelles – de quelques individus rassemblés autour d’une table à l’ensemble d’une société – et peut s’appliquer aussi bien à un groupe harmonieux qu’à un groupe tiraillé par des conflits. Elle est produite par les interactions entre les agents qui la composent, mais peut se perpétuer au-delà d’eux, de sorte qu’elle se maintient au-delà des individus singuliers tant que les « modes spécifiques de dépendances entre ces individus » sont stables36. C’est donc en un sens ce « réseau capillaire serré » d’interactions dont parlait Paul Veyne que nous proposons d’appréhender, en suivant l’impôt d’Empire et les gestes qui l’accompagnent.
14La configuration sociale est ici étonnamment stable sur la période étudiée, bien qu’elle ne cesse de se modifier légèrement. L’ensemble des rapports de force oscille en permanence, remodelé par les basculements qui s’opèrent régulièrement, sans modifier pourtant de manière essentielle la structure du tout, si bien que « cette continuité de la société humaine est un “mouvement perpétuel”37 ». La période s’ouvre avec la fin de la guerre de Trente Ans, ses conséquences désastreuses sur l’économie et la démographie allemandes, l’endettement qu’elle a provoqué et qui grève pour longtemps les finances des petits états d’Empire, mais également les nombreux remaniements politiques et institutionnels qu’elle engendre. Alors que la paix de Westphalie est considérée ordinairement comme le moment décisif de basculement par lequel est enclenché le processus de construction des États territoriaux, ses conséquences concrètes sur les rapports de force politiques dans les plus petits « territoires » de l’Empire n’ont jamais été véritablement analysées. L’étude se clôt avec l’irruption de la Révolution française, occasion de la dernière grande guerre d’Empire et de ses derniers impôts, mais également de l’intrusion d’une radicalité politique nouvelle qui, on le verra, se coule dans une culture politique locale et ancienne. Entre les deux, plusieurs basculements importants s’opèrent, qui modifient les rapports entre l’ensemble des agents, en lien avec la configuration générale des rapports de force en Europe, dans l’Empire, dans la région saxonne et au sein de chaque Maison nobiliaire, sans pourtant en modifier la structure. Cette permanence de la configuration sociale globale et de l’ordre social impérial, cependant, est paradoxalement liée à des formes d’extraordinaire dont trois figures principales, ici, s’entrelacent.
Extraordinaires permanences et permanence de l’extraordinaire
15L’impôt d’Empire lui-même, tout d’abord, est « extraordinaire », au sens strict et financier du terme : il doit être consenti chaque fois par la Diète d’Empire dans des circonstances d’« extrême nécessité » (hohe Not). C’est pourquoi il fait saillir bien davantage que l’impôt ordinaire l’importance du consentement dans l’acte du versement. Du prince d’Empire jusqu’au simple contribuable, il ne va jamais de soi, et n’a jamais pour lui la légitimité de la coutume. Quoique extraordinaire, il est cependant réitéré avec une régularité suffisante pour qu’une structure se dessine au-delà des conjonctures singulières : ponctions et versements sont circonscrits dans le temps, mais font surgir un ensemble de pratiques qui perdurent bien au-delà de l’acte de paiement lui-même, élaborant, composant et redéfinissant perpétuellement le tissu des relations sociales.
16L’extraordinaire, toutefois, n’est pas seulement fiscal : c’est aussi celui des espaces gouvernés par les trois Maisons de Reuss, Schönburg et Schwarzburg, et c’est cette fois d’une anormalité institutionnelle et politique qu’il s’agit, tout aussi rétive à la réduction conceptuelle que l’Empire lui-même. On verra combien cette « monstruosité », pour reprendre le mot de Pufendorf, a partie liée avec l’univers pluri-normal d’un Saint-Empire caractérisé plus que tout autre corps politique par la concurrence des autorités et des systèmes normatifs. C’est également l’extraordinaire permanence de ces petits pouvoirs qui est en jeu, car ils ne disparaissent définitivement qu’en 1878 pour les Schönburg, en 1918 pour les Reuss et les Schwarzburg : leur « archaïsme » et leur inadaptation présumés ne permettent pas de rendre raison de leur résilience.
17Enfin, l’extraordinaire est celui de la révolte antifiscale, de la contestation judiciaire et de la coercition violente, qui viennent interrompre de manière spectaculaire le quotidien du pouvoir et de la domination, mais qui s’avèrent en dernière analyse liées de près à l’ordinaire de la négociation et de la coopération, dont elles agencent et déterminent le cours, si bien que cet extraordinaire-là, lui aussi, contribue à façonner le déroulement ordinaire des choses – et le haut degré de conflictualité sociale des petits territoires de l’Empire a été observé depuis longtemps par l’historiographie : il n’est, lui non plus, pas sans lien avec l’univers extraordinaire et enchevêtré du Saint-Empire dans son entier. Ces trois formes d’extra-ordinaire, le financier, l’anormal et le spectaculaire sont étroitement entrelacées, et nous proposons d’étudier leurs relations.
La première partie de l’ouvrage examine les stratégies sociales de paiement et de levée des impôts d’Empire et leurs conséquences sur l’organisation institutionnelle et spatiale du pouvoir dans les seigneuries, comtés et principautés. Gouvernés collectivement, les pays de ces petits états d’Empire sont caractérisés à la fois par l’éclatement de leur structure territoriale et par leur extraversion dans un espace impérial qui est véritablement le lieu où ils prennent sens : ces logiques spatiales répondent et correspondent à des logiques sociales d’affirmation et de distinction des seigneurs, comtes et princes immédiats d’Empire, comme à la structuration des pouvoirs dans l’Empire. Afin d’éclairer la manière dont ces formes politiques singulières, que le terme de « territoire » ne décrit que très imparfaitement, se construisent sous la pression de différentes forces, la deuxième partie explore, elle, les différents réseaux de la conflictualité portant sur l’impôt d’Empire et leurs intrications : l’électeur de Saxe, d’un côté, s’efforce de « médiatiser » ces petits immédiats pour les incorporer à son propre territoire, et, partant, essaie de les contraindre à rompre tout lien avec l’Empire – un lien dont le versement de l’impôt est l’une des formes les plus visibles ; les sujets contribuables, d’autre part, s’efforcent de limiter la prédation qui s’exerce sur eux et d’utiliser à leur profit les conflits avec l’électeur pour obtenir une marge de manœuvre politique. La troisième partie déplace alors de nouveau la perspective, et, en se concentrant sur les interactions entre gouvernants et gouvernés, analyse le jeu des menaces et des violences réciproques dans la construction et l’exercice du pouvoir, l’ingérence des sujets dans l’espace public et les formes de construction politique qui peuvent en découler.
Notes de bas de page
1 G. W. F. Hegel, La constitution de l’Allemagne : 1800-1802, Paris, Éditions Champ libre, 1974.
2 Le grand programme de recherches « Genèse de l’État moderne » a inauguré la réflexion.
Marqué fortement par des catégories héritées de l’analyse wébérienne et par une démarche régressive, il a mis l’impôt et la guerre au centre du processus de construction étatique. L’État moderne y est défini par son caractère abstrait, par son caractère transcendant et par sa vocation à monopoliser l’exercice de la puissance publique. L’impôt, lui, est compris comme étant en rupture non seulement quantitative, mais aussi qualitative avec le prélèvement seigneurial : il ne doit plus être tribut, ou « spoliation consentie », mais doit être pleinement consenti. Cf. J.-P. Genet (dir.), L’État moderne : genèse. Bilan et perspectives, actes du colloque tenu au CNRS à Paris les 19 et 20 septembre 1989, Paris, Éditions du CNRS, 1990.
3 Pour un aperçu général du débat, voir avant tout M. Schnettger (dir.), Imperium Romanum – Irregulare Corpus – Teutscher Reichs-Staat : das Alte Reich im Verständnis der Zeitgenossen und der Historiographie, Mayence, P. von Zabern, 2002. Georg Schmidt (« Das frühneuzeitliche Reich – komplementärer Staat und föderative Nation », Historische Zeitschrift, 273, 2001, p. 371-399) a proposé le concept d’« État impérial complémentaire » (komplementärer Reichs-Staat) pour qualifier le Saint-Empire et le réinscrire dans le cours « normal » de l’histoire européenne, en s’efforçant de démontrer qu’il avait bel et bien été à la fois un État et une nation, une thèse qui lui a valu de nombreuses oppositions, en particulier de Heinz Schilling, « Reichs-Staat und frühneuzeitliche Nation der Deutschen oder teilmodernisiertes Reichssystem. Überlegungen zu Charakter und Aktualität des Alten Reiches », Historische Zeitschrift, 272, 2001, p. 377-395. Les critiques les plus fortes sont à notre sens venues de Wolfgang Reinhard, « Frühmoderner Staat und deutsches Monstrum : Die Entstehung des modernen Staates und das Alte Reich », Zeitschrift für Historische Forschung, 29, 2002, p. 339-357, qui reproche à Georg Schmidt de vouloir normaliser à marche forcée le Saint-Empire au lieu d’appuyer sa spécificité, ce qui n’implique pas de le considérer comme un archaïsme.
4 Voir le bilan historiographique récemment proposé par Falk Bretschneider et Guillaume Garner, « Le Saint-Empire au prisme des historiographies allemande et française : introduction au dossier thématique », Trivium. Revue franco-allemande de sciences humaines et sociales/Deutsch-französische Zeitschrift für Geistes- und Sozialwissenschaften, 14, 2013.
5 Voir avant tout H. A. Winkler, Der lange Weg nach Westen : deutsche Geschichte 1806-1933, Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung, 2002.
6 Voir la polémique suscitée par l’expression de Pufendorf, qui qualifiait le Saint-Empire de « corps irrégulier et semblable à un monstre » (irregulare corpus aliquod et monstro simile) : S. Pufendorf, De Statu Imperii germanici ad Laelium fratrem, dominum Trezolani, liber unus, Genève, apud P. Columesium, 1667, chap. VI, § 9. L’expression fit scandale lors de la parution de l’ouvrage, de sorte que Pufendorf la retira de l’édition ultérieure ; il s’en est cependant justifié, en expliquant que la monstruosité devait s’entendre au sens d’une inadéquation avec les catégories aristotéliciennes. Trois siècles plus tard, la double négation alambiquée de Peter Moraw (« l’Empire n’était certes pas un non-État ») est révélatrice de la permanence de cette difficulté à subsumer le corps impérial sous les catégories politiques habituelles. Cf. P. Moraw, « Der “Gemeine Pfennig”. Neue Steuern und die Einheit des Reichs im 15. und 16. Jahrhundert », dans U. Schultz (dir.), « Mit dem Zehnten fing es an ». Eine Kulturgeschichte der Steuer, Munich, Beck, 1986, p. 130- 142, citation p. 130.
7 Cf. P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, Paris, Seuil, 2012, p. 25 : « “L’État fait ceci, l’État fait cela.” Je pourrais vous citer des kilomètres de textes avec le mot “État” comme sujet d’actions. C’est une fiction tout à fait dangereuse, qui nous empêche de penser l’État. »
8 Certains travaux la rencontrent de manière incidente. Ainsi l’ensemble des monographies sur les petits territoires ou les villes d’Empire, dont le haut degré de conflictualité à propos des impôts impériaux est connu de longue date, par exemple H. Gabel, Widerstand und Kooperation. Studien zur politischen Kultur rheinischer und maasländischer Kleinterritorien (1648-1794), Tübingen, Bibliotheca academica, 1995. Il en va de même pour les nombreux travaux sur les cercles d’Empire, qui toutefois n’y consacrent souvent que de minces analyses. À titre d’exemple, P. C. Hartmann, Der bayerische Reichskreis, 1500 bis 1803 : Struktur, Geschichte und Bedeutung im Rahmen der Kreisverfassung und der allgemeinen institutionellen Entwicklung des Heiligen Römischen Reiches, Berlin, Duncker & Humboldt, 1997, consacre moins de 10 % de ses analyses (une trentaine de pages sur cinq cents) à la question des impôts impériaux.
9 Elle reprend en cela les seuls travaux anciens existant sur la question, à savoir ceux de Johannes Müller, « Veränderungen im Reichsmatrikelwesen um die Mitte des 16. Jahrhunderts », Zeitschrift des historischen Vereins für Schwaben und Neuburg, 23, 1896, p. 115-176 ; « Das Steuer- und Finanzwesen des Heiligen Römischen Reiches im XVI. Jahrhundert », Neue Jahrbücher für das klassische Altertum, Geschichte und deutsche Literatur, 5, 1902, p. 652-678. Pour un constat similaire sur la différence de traitement entre le xvie siècle et les siècles suivants, voir P. Rauscher, « “Armeesatisfaktionen” und Wahlgeschenke. Ein finanzgeschichtlicher Beitrag zur Geschichte des Alten Reiches nach dem Westfälischen Frieden », Historisches Jahrbuch, 129, 2009, p. 231-266, et « Nach den Türkenreichstagen. Der Beitrag des Heiligen Römischen Reichs zur kaiserlichen Kriegführung im 17. und frühen 18. Jahrhundert », dans Id. (dir.), Kriegführung und Staatsfinanzen. Die Habsburgermonarchie und das Heilige Römische Reich vom Dreißigjährigen Krieg bis zum Ende des habsburgischen Kaisertums 1740, Münster, Aschendorff, 2010, p. 433-485.
10 L’expression est celle retenue dans P. Rauscher, A. Serles, T. Winkelbauer (dir.), Das « Blut des Staatskörpers ». Forschungen zur Finanzgeschichte der Frühen Neuzeit, Munich, Oldenbourg (Beiheft der Historischen Zeitschrift, 56), 2012, pour désigner la situation du Saint-Empire, p. 261.
11 Le travail important de Peter Schmid pointe par exemple que l’Empire « n’a pas réussi » à être un État moderne car « les temps n’étaient pas encore mûrs », P. Schmid, Der Gemeine Pfennig von 1495. Vorgeschichte und Entstehung, verfassungsgeschichtliche, politische und finanzielle Bedeutung, Göttingen, 1989, citation p. 189, 196 et 197.
12 Les travaux de Peter Rauscher montrent très bien l’articulation des différentes composantes de l’Empire et de la monarchie, ce qui lui permet d’aboutir à un tableau de la différenciation territoriale par l’impôt, P. Rauscher, Zwischen Ständen und Gläubigern. Die kaiserlichen Finanzen unter Ferdinand I. und Maximilian II. (1556-1576), Vienne/ Munich, Veröffentlichungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 41, 2004. Cependant, son « analyse de l’opposition entre les ambitions de l’empereur et les intérêts des états d’Empire, eux-mêmes divergents » demeure tributaire d’un schéma à la fois dualiste et intentionnaliste (citation p. 323).
13 W. Schulze, « Reichstage und Reichssteuern im späten 16. Jahrhundert », Zeitschrift für Historische Forschung, 2, 1975, p. 43-58 ; Id., Reich und Türkengefahr im späten 16. Jahrhundert, Studien zu den politischen und gesellschaftlichen Auswirkungen einer äußeren Bedrohung, Munich, Beck, 1978 ; Id., « Die Erträge der Reichssteuern zwischen 1576 und 1606 », Jahrbuch für die Geschichte Mittel- und Ostdeutschlands, 27, 1978, p. 169- 185 ; Id., « Oberdeutsche Untertanenrevolten zwischen 1580 und 1620. Reichssteuern und bäuerlicher Widerstand », dans P. Blickle (dir.), Festschrift für Günther Franz zum 80. Geburtstag am 23. Mai 1982, Bauer, Reich und Reformation, Stuttgart, 1982, p. 120-147.
14 La paix de Westphalie a longtemps été considérée comme le moment par excellence de la construction de « territoires » souverains au détriment de l’Empire. Cf. F. Bretschneider, G. Garner, « Le Saint-Empire au prisme des historiographies allemande et française… », art. cité.
15 Nous paraphrasons ici le titre de l’ouvrage d’Andreas Schwennicke, « Ohne Steuer kein Staat ». Zur Entwicklung und politischer Funktion des Steuerrechts in den Territorien des Heiligen Römischen Reichs (1500-1800), Francfort, Klostermann, 1996.
16 Dans l’intégralité de cet ouvrage, « état » traduit l’allemand Stand – l’état au sens du corps, ou de l’ordre – tandis qu’« État » traduit Staat – l’État au sens de l’ensemble des personnes et institutions qui constituent cette forme particulière de gouvernement qu’est le pouvoir étatique. Autant que faire se peut, il sera systématiquement précisé s’il s’agit des états d’Empire (Reichsstände), des états du pays (Landstände) ou des États territoriaux (Territorialstaaten), sauf dans les cas où la précision serait rendue à la fois superflue par le contexte et difficile par la syntaxe.
17 O. Brunner, Land und Herrschaft. Grundfragen der territorialen Verfassungsgeschichte Südostdeutschlands im Mittelalter, Vienne/Brunn/Leipzig/Prague, M. Rohrer, 1939 ; H. Patze, Die Entstehung der Landesherrschaft in Thüringen, Cologne/Vienne, Böhlau, 1962, vol. 1 ; W. Schlesinger, Die Landesherrschaft der Herren von Schönburg, Cologne/ Vienne, Böhlau, 1954 ; Id., Die Entstehung der Landesherrschaft. Untersuchung vorwiegend nach mitteldeutschen Quellen, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1964 [5e éd.].
18 Des travaux importants, en revanche, ont été consacrés à la conflictualité sociale dans les petits territoires. Voir entre autres H. Gabel, Widerstand und Kooperation…, op. cit. ; V. Press, « Von den Bauernrevolten des 16. Jahrhunderts zur konstitutionnellen Verfassung des 19. Jahrhunderts : die Untertanenkonflikte in Hohenzollern-Hechingen und ihre Lösungen », dans H. Weber (dir.), Politische Ordnungen und soziale Kräfte im Alten Reich, Wiesbaden, Franz Steiner, 1980, p. 85-112 ; W. Troßbach, Bauernbewegungen im Wetterau-Vogelsberg Gebiet, 1648-1806. Fallstudien zum bäuerlichen Widerstand im Alten Reich, Darmstadt, Hessische Historische Kommission, 1985 et Id., Soziale Bewegung und politische Erfahrung. Bäuerlicher Protest in hessischen Territorien, 1648-1806, Weingarten, Drumlin Verlag, 1987.
19 Voir la définition de Dietmar Willoweit, qui écrit à propos des Schönburg : « La question de savoir si de tels espaces sont des territoires au sens juridique de ce terme, ou bien s’ils ne sont que des domaines privés de taille inhabituellement grande [ungewöhnlich groß dimensionierte Privatherrschaften], a été souvent objet de controverse », s. v. « Territorium », dans A. Erler, E. Kaufmann, D. Werkmüller (dir.), Handwörterbuch zur deutschen Rechtstgeschichte, Berlin, 1991-1995, vol. 5.
20 V. Czech, Legitimation und Repräsentation. Zum Selbstverständnis thüringisch-sächsischer Reichsgrafen in der Frühen Neuzeit, Berlin, Lukas Verlag, 2003.
21 En particulier dans le cercle de Saxe supérieure et le banc des comtes de Wetteravie, cf. chap. 1.
22 G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard, 1989, qui parle de « l’inclusion et l’encapsulation des réalités locales individuelles dans un système politique, juridique, administratif et économique », p. 169.
23 P. Veyne, Foucault, sa pensée, sa personne, Paris, Albin Michel, 2008, p. 142-143.
24 Cf. les critiques stimulantes de Wolfgang Reinhard, « Zusammenfassung : Staatsbildung durch Aushandeln ? », dans R. G. Asch, D. Freist (dir.), Staatsbildung als kultureller Prozeß. Strukturwandel und Legitimation von Herrschaft in der Frühen Neuzeit, Cologne/ Weimar/Vienne, Böhlau, 2005, p. 429-438, où il reproche à ces concepts de nier ou d’amoindrir la verticalité des situations de pouvoir.
25 U. Meier, K. Schreiner, « Regimen civitatis. Zum Spannungsverhältnis von Freiheit und Ordnung in alteuropäischen Stadtgesellschaften », dans Id., Stadtregiment und Bürgerfreiheit. Handlungsspielräume in deutschen und italienischen Städten des Späten Mittelalters und der Frühen Neuzeit, Bürgertum, 7, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, p. 9-34.
26 S. Brakensiek, « Peut-on parler d’absolutisme dans l’Allemagne moderne ? Une domination désireuse d’être acceptée (Akzeptanzorientierte Herrschaft) », Bulletin d’information de la Mission historique française en Allemagne, 42, 2006, p. 249-263.
27 Cf. la synthèse de ces perspectives dans W. Blockmans, A. Holenstein, J. Mathieu (dir.), Empowering Interactions. Political Cultures and the Emergence of the State in Europe, 1300- 1900, Farnham, Ashgate, 2009 et dans R. G. Asch, D. Freist, Staatsbildung…, op. cit. Il nous semble que l’alternative du top down et du bottom up reconduit une verticalité, certes inversée, mais qui ne rend pas justice aux présupposés foucaldiens d’un pouvoir réticulaire et d’une société conçue comme un « archipel de pouvoirs différents » (M. Foucault, Dits et écrits. 1954-1988, Paris, Gallimard, 1994, vol. 4, p. 187). Sur la critique de la conception dualiste et dichotomique de l’exercice du pouvoir, voir également les remarques de M. Hohkamp, Herrschaft in der Herrschaft : die vorderösterreichische Obervogtei Triberg von 1737 bis 1780, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 13-19.
28 Sur l’efficacité de la menace de l’émeute frumentaire et son action sur les prix du marché du grain, voir E. P. Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past & Present, 50, février 1971, p. 76-136 : « La menace de l’émeute devait affecter la situation du marché dans son ensemble, non pas seulement dans les années de disette, mais aussi dans les années de récolte moyenne, non seulement dans les villes connues pour leur propension à l’émeute, mais aussi dans celles où les autorités souhaitaient préserver une tradition de paix », p. 120.
29 P. Veyne, Foucault, sa pensée…, op. cit.
30 À titre non exhaustif sont concernés au premier chef : la Diète d’Empire, la cour de Vienne, les deux tribunaux impériaux, les cercles d’Empire, les maîtres du Denier d’Empire, l’administration des territoires, leurs instances judiciaires, mais également les tribunaux saxons, les communautés et bailliages ruraux et urbains, pour s’en tenir aux seules structures institutionnelles.
31 Cf. C. Duhamelle, La frontière au village. Une identité catholique allemande au temps des Lumières, Paris, Éditions de l’EHESS, 2010.
32 Nous n’entendons pas ici le terme au sens du « dualisme austro-prussien », mais pour désigner les couples notionnels d’alternatives qui veulent construire des « systèmes dyadiques ». Voir J. C. Scott, La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éd. Amsterdam, 2008, p. 76 : « Toutes les descriptions officielles de la féodalité, de l’esclavage, de la servitude, des systèmes de castes ainsi que des innombrables structures de clientélisme décrites par les anthropologues prétendent être fondées sur un réseau de réciprocités dyadiques […] toujours articulées sur une base verticale. »
33 « Noblesse territoriale » traduit ici landsässiger Adel : par opposition aux noblesses « immédiates d’Empire », il s’agit des noblesses médiates, qui ne dépendent pas immédiatement de l’empereur, mais d’un suzerain ou d’un prince territorial qui n’est pas l’empereur.
34 N. Elias, La société de cour, op. cit., p. 152-153.
35 Id., Was ist Soziologie ?, Munich, Juventa, 1970, p. 141-142.
36 Id., La société de cour, op. cit., p. 143.
37 Id., La société des individus, Paris, Fayard, 1991, p. 87.
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