Chapitre 1. Tableau de la situation en février 1971
p. 17-44
Texte intégral
1La présence de René Rémond dans la « haute » politique universitaire en tant que président d’université s’inscrit entre deux dates : le 27 février 1971, jour de son élection, et le 25 février 1976, jour où il transmet ses pouvoirs à son successeur, Jean-Maurice Verdier. Pour saisir son action au cours de ces cinq années, il convient de commencer par dresser le tableau de la situation en février 1971, en présentant à la fois la configuration du champ de la politique universitaire à l’échelle nationale et la situation personnelle de René Rémond.
Le champ de la politique universitaire
Un héritage structurant : l’œuvre d’Edgar Faure
2En février 1971, le champ de la politique universitaire est fortement marqué de l’empreinte laissée par Edgar Faure lors de son passage au ministère de l’Éducation nationale (juillet 1968-juin 1969). Nommé par de Gaulle en tant qu’ « homme des missions délicates, chargé de concilier l’inconciliable1 » , il a préparé, défendu et commencé à mettre en application une loi d’orientation sur l’enseignement supérieur qui a été promulguée le 12 novembre 1968. Ce texte a constitué la réponse du pouvoir gaulliste au « séisme » qui a dévasté les anciennes structures universitaires en mai-juin 1968. Porté par une équipe à la tonalité libérale et réformiste, inspirée par les travaux de l’Association d’étude pour l’expansion de la recherche scientifique (AEERS)2, il s’articule autour de trois piliers : autonomie, participation et pluridisciplinarité.
Autonomie, participation, pluridisciplinarité
3L’autonomie rend les universités maîtresses de leurs objectifs, de leur organisation et de leur fonctionnement3. L’autonomie est administrative puisqu’il est stipulé que les établissements d’enseignement supérieur « sont administrés par un conseil élu et dirigés par un président élu par ce conseil4 ». L’autonomie est aussi pédagogique : même si la loi énonce certaines dispositions, les universités « déterminent leurs activités d’enseignement, leurs programmes de recherche, leurs méthodes pédagogiques, les procédés de contrôle et de vérification des connaissances et des aptitudes5 ». Enfin l’autonomie est financière. C’est le ministre chargé des universités, au vu de leurs programmes, après consultation du conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) et en fonction de critères nationaux, qui répartit entre les différents établissements d’enseignement supérieur les crédits que le Parlement a mis à sa disposition en votant la loi de finances6. Mais une fois que les crédits sont attribués, les établissements les utilisent et les répartissent librement entre leurs différentes composantes7. Le contrôle financier ne s’effectue pas a priori comme c’est le cas pour les établissements publics administratifs mais a posteriori8. Dès que le budget est voté par l’université, il est donc exécutoire9.
4La participation doit permettre à tous les membres des institutions nouvelles de donner leur avis sur le fonctionnement et l’avenir de leur université par l’intermédiaire de leurs représentants10. Elle se traduit par la composition du conseil de l’université qui intègre les étudiants et les membres du personnel non enseignant11.
5Le troisième pilier de la loi d’orientation est la « pluridisciplinarité » : « Les universités sont pluridisciplinaires et doivent associer autant que possible les arts et les lettres aux sciences et techniques12. » Il s’agit de rassembler dans les mêmes institutions des disciplines et donc des enseignants qui n’avaient pas l’habitude de se côtoyer ni de travailler ensemble. Ce regroupement a pour but « d’associer les branches différentes du savoir, soit que tout en employant des méthodes différentes, elles travaillent sur les mêmes phénomènes, soit qu’elles se trouvent complémentaires dans leur recherche13 ». Pour cela, les cinq facultés (lettres et sciences humaines, sciences, droit et sciences économiques, médecine et pharmacie) sont appelées à se fractionner en ensembles homogènes, les unités d’enseignement et de recherche (UER) qui, une fois constituées, doivent se regrouper de leur propre initiative, en fonction de convergences de projets, en de nouveaux établissements pluridisciplinaires appelés à devenir les universités14. Le mot « université » change donc de sens. Désignant avant la loi Faure la réunion de toutes les facultés d’une académie, présidée par le recteur (il n’y avait par conséquent qu’une université par académie), il désigne après novembre 1968 un établissement d’enseignement supérieur pluridisciplinaire. Il peut y avoir plusieurs universités par académie15. Le recteur ne les préside plus – les fonctions de président d’université et de recteur sont rendues incompatibles16 – mais, à l’échelle de son académie, il « assure la coordination de l’enseignement supérieur et des autres enseignements17 ».
6La loi confie aux nouveaux établissements des missions de formation permanente et d’accueil des personnes qui n’ont pu poursuivre leurs études. Timide prise en compte de l’esprit de Mai : les étudiants se voient reconnaître une « liberté d’information à l’égard des problèmes politiques, économiques et sociaux » à condition qu’il n’y ait ni propagande, ni monopole, ni trouble à l’ordre public18.
Une loi diversement accueillie…
7La loi, qui a été votée à l’unanimité des votants à l’Assemblée, les communistes et six UDR s’abstenant, a été diversement reçue dans un monde universitaire profondément clivé depuis les événements de mai-juin 1968.
8Elle a été globalement soutenue par un pôle réformiste qui s’est structuré à la mi-juin, regroupant des modérés convaincus de la nécessité de la réforme, des communistes et des « gauchistes participationnistes », c’est-à-dire des étudiants et des enseignants qui voient dans la transformation de l’université une manière concrète de mettre en œuvre la révolution qu’ils appellent de leurs vœux. Du point de vue syndical, le Syndicat général de l’Éducation nationale (Sgen), la tendance du Snesup proche du Parti communiste français et le Comité de liaison des étudiants pour la réforme universitaire (Cleru) ont reconnu les aspects positifs de la loi.
9Les étudiants et les enseignants « intransigeants », eux-mêmes profondément clivés entre un pôle conservateur et un pôle « gauchiste insurrectionnel », ont une attitude toute différente. Les deux extrêmes se sont retrouvés dans ce que Jacques Monod19 a qualifié d’« étrange alliance20 » contre la loi Faure. Du côté conservateur, l’on trouve des enseignants qui ont été révulsés par les événements de Mai 68 et qui ont refusé de s’engager dans une refondation de l’enseignement supérieur en partenariat avec les étudiants. La loi d’orientation vient consacrer ce qu’ils ont déploré en mai et ruine les espoirs de « restauration » : le pouvoir professoral est partagé avec les assistants et les étudiants, la politique fait son entrée à l’université, le travail des instances « révolutionnaires » est légitimé. Les réticences sont d’autant plus fortes que, n’ayant pas participé à la reconstruction de l’université, les conservateurs n’ont vu du mouvement que les excès. D’autres appréhensions peuvent s’ajouter : « Ils craignent que les tâches harassantes de la reconstruction et le poids accu de l’enseignement ne détournent définitivement les universitaires de leur autre fonction : la recherche21. » La tendance conservatrice hostile à la loi Faure regroupe aussi des mouvements étudiants comme le Mouvement universitaire pour la réforme (MUR), lié au Syndicat autonome, et la Fédération nationale des étudiants de France (Fnef).
10De l’autre côté de l’échiquier universitaire, le refus de la loi Faure a été tout aussi vigoureux chez les « gauchistes insurrectionnels » qui, à la mi-juin, ont refusé de retourner dans les facultés et ont préféré le combat dans la rue. Ils se sont rapprochés des groupes maoïstes et trotskistes. Leur but est de provoquer un renversement global des structures économiques et sociales sur lesquelles s’appuie le régime. Dans leur perspective, la loi Faure n’est qu’une tentative destinée à prolonger le système gaulliste et capitaliste. Les étudiants maoïstes de la toute récente Gauche prolétarienne (GP) l’expriment avec vigueur dans leur journal La Cause du peuple :
Étudiants et lycéens refusent de participer à la manœuvre gaulliste : ils s’apprêtent à mener la bataille contre la participation gaulliste. Ils se sont battus contre l’université bourgeoise et l’État policier qui en constitue le pilier. Les bourgeois devront se faire à cette idée que les étudiants progressistes dont ils voulaient faire les continuateurs de leur besogne d’exploitation du peuple ONT QUITTÉ LEUR CAMP […]. Nous saboterons la participation comme, avant nous, les révolutionnaires ont saboté l’association Capital-Travail de Vichy. À l’égard des fascistes et des CDR, notre principe est celui de Vaillant-Couturier, communiste d’avant la guerre : « Pour un œil, les deux yeux. Pour une dent, toute la gueule. » Sans relâche, nous maintiendrons vivantes les traditions révolutionnaires de mai-juin […]. À l’égard des complices du pouvoir gaulliste […], à l’égard des capitulards de mai, des révisionnistes, notre position est simple, nous les démasquerons partout, impitoyablement. Faits à l’appui, nous ouvrirons le dossier de leur trahison devant chaque ouvrier22.
11L’Unef, dont la direction a été soumise depuis Mai 68 aux critiques et aux pressions des ultragauchistes23, s’est alignée sur cette position insurrectionnelle privilégiant le combat global contre le capitalisme à la transformation universitaire tout en ayant une attitude louvoyante concernant sa participation aux élections. Fin septembre 1968, la direction a donné des consignes alambiquées aux associations de province. Le syndicat en tant que tel ne participerait pas aux élections, mais des militants pourraient s’y investir à condition qu’ils soient contrôlés par la base24. Mi-octobre, la stratégie s’est radicalisée. Jacques Sauvageot, le vice-président, a déclaré que « l’UNEF combattra[it] la nouvelle réforme et ne participera[it] pas aux élections25 » . Le PSU a connu les mêmes tiraillements et a exprimé à l’automne 1968 des positions assez similaires.
… mais qui a néanmoins permis un début de reconstruction
12Ce positionnement des gauchistes intransigeants, hostile à la mise en œuvre de la réforme, a produit, dans un contexte où la dynamique contestataire engendrée en Mai 68 était toujours à l’œuvre, une agitation chronique dans les facultés. Sous la période Faure, de nombreux incidents ont nourri la chronique universitaire et ont conforté les enseignants et les étudiants conservateurs dans leur idée que la loi d’orientation ne résolvait pas les problèmes mais les aggravait.
13Pourtant, malgré la défiance, le nouveau dispositif institutionnel a commencé à se déployer. Le 31 décembre 1968, la liste des UER a été arrêtée. En février 1969, les premières élections universitaires ouvertes aux étudiants s’y sont déroulé avec succès. Malgré l’opposition des gauchistes insurrectionnels, la participation des étudiants, qui constituait un test important pour la loi d’orientation, a atteint des niveaux élevés : 77,3 % dans les IUT, 65,3 % en médecine et pharmacie, presque 60 % en droit et en sciences économiques, 46 % et 42 % en lettres26. L’Unef-Renouveau, proche du PCF et animée par des étudiants favorables à la loi d’orientation et ayant quitté l’Unef en raison de son positionnement gauchiste, réalise de bons scores tout comme le Cleru, de tendance modérée.
Les acteurs gouvernementaux
14Georges Pompidou, élu à la présidence de la République le 15 juin 1969, hérite de cette situation qu’il cherche à infléchir, tout en restant fidèle aux orientations posées à la fin du mandat de son illustre prédécesseur.
L’Élysée
15En tant que président de la République, Pompidou est le décideur ultime de la politique universitaire. Cette situation, propre à la Ve République, prend un relief particulier sous son mandat. Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres, diplômé de Sciences Po, professeur de lycée à Marseille puis à Henri-IV à Paris, le successeur de de Gaulle est sentimentalement très attaché aux questions d’éducation et d’enseignement supérieur27 auxquelles il s’est intéressé politiquement d’abord dans le cabinet de de Gaulle à la Libération en 1944, puis comme Premier ministre. Lors de son premier message au Parlement en tant que président le 25 juin 1969, il se présente comme le « premier universitaire à accéder à la plus haute charge de la République28 » .
16Les opinions personnelles de Pompidou sur l’enseignement supérieur sont traditionnelles. Sa trajectoire brillante l’incite à penser que le système est juste et doit être conservé. Son expérience professionnelle est celle d’un professeur de classe préparatoire « s’adressant aux élèves de la bourgeoisie locale avec lesquels il s’efforçait de partager sa brillante culture29 » . Il tient au respect des hiérarchies et à la discipline. Pour son conseiller aux questions d’éducation, Jean-François Saglio, Pompidou avait par ailleurs une sympathie « naturelle » pour les « mandarins » :
Au fond de Pompidou, il y avait quand même un profond respect du professeur de l’enseignement supérieur et du mandarin, du professeur d’université qu’il n’avait jamais été. Pompidou n’était pas docteur, il n’était qu’agrégé. Au fond de cela, je suis sûr qu’il y avait un énorme respect du professeur à la Sorbonne ou du mandarin30.
17L’entourage renforce ce penchant traditionnel, à commencer par son fils Alain, alors étudiant en médecine, qui selon Olivier Guichard était « très très à droite31 » . Pompidou avait aussi des relations avec Guy Bayet, le président très conservateur de la Société des agrégés (de 1960 à 1990), qui avait été son ancien élève à Henri-IV32. Si Pompidou devenu président ne semble pas le recevoir, il écoute indirectement les observations qu’il lui fait parvenir33. Il lui fait aussi obtenir une décharge complète de service pour pouvoir animer à plein temps la Société des agrégés34.
18C’est donc assez logiquement que Pompidou a été plus que réservé par rapport à l’entreprise d’Edgar Faure pour adapter l’université à la secousse de 1968. Il a voté à contrecœur la loi d’orientation, par solidarité majoritaire35. Au cours de la campagne présidentielle, il a peu abordé la question universitaire mais a implicitement critiqué le bilan de la loi Faure, insistant sur le désordre dans les facultés, la baisse de l’autorité, le temps perdu en discussions. Il n’est pas allé néanmoins jusqu’à proposer de la remettre en cause. Il a déclaré l’accepter et vouloir l’améliorer en instaurant une sélection à l’entrée de l’université36.
19Pour l’informer sur l’état de l’enseignement supérieur, le représenter auprès du ministre de l’Éducation nationale et s’assurer que la politique menée correspond aux grandes lignes directrices qu’il a définies, Georges Pompidou nomme comme conseiller à l’Éducation Jean-François Saglio. Né en 1935, polytechnicien, ingénieur au corps des mines, il est sans expérience particulière dans le domaine qui lui est confié. Selon l’intéressé, sa désignation s’expliquerait par ses capacités présumées, en tant qu’ingénieur, d’organisation : « C’est Michel Jobert [secrétaire général de l’Élysée] qui m’a confié l’Éducation nationale en me disant qu’étant ingénieur, j’étais donc organisateur, et que l’Éducation avait besoin d’organisation37… » En fait, des raisons personnelles ont également joué. Selon Samy Cohen, Saglio aurait été recruté via Alain Pompidou avec qui il était ami38. Selon Saglio, sa nomination tiendrait au fait que Guichard en tant que ministre ne voulait pas qu’Henri Domerg, qui était le beau-frère de Pompidou et qui fut son conseiller à l’éducation à Matignon, occupe le poste39.
Matignon
20Parmi les acteurs gouvernementaux potentiels de la politique universitaire figure aussi le Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas. Il connaît surtout l’université de par ses études : diplômé de l’École libre des sciences politiques, il est aussi licencié en droit et titulaire d’un diplôme d’études supérieures (DES) d’économie politique et de droit public. Son parcours dans la Résistance puis en politique l’ont amené à s’intéresser à d’autres questions, principalement militaires et économiques : sous la IVe République, il a successivement été ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme, ministre du Logement et de la Reconstruction et ministre de la Défense.
21Dans l’entourage du Premier ministre, c’est Jacques Delors, son conseiller aux affaires sociales, qui suit les questions liées à l’enseignement supérieur. Homme de gauche dans un cabinet marqué à droite, il est partisan de la loi Faure. En tant que chef du service des affaires sociales du commissariat général au Plan entre 1962 à 1969, il a eu l’occasion de s’intéresser aux questions universitaires en juin 1968 quand François-Xavier Ortoli, alors ministre de l’Éducation nationale, lui a confié une mission d’enquête sur l’avenir de l’université40.
Rue de Grenelle
22Le dernier pôle regroupant les acteurs gouvernementaux de la politique universitaire se localise rue de Grenelle. À cette époque, toutes les directions, y compris celles de l’enseignement supérieur, sont en effet regroupées sur ce site41.
23Le ministre de l’Éducation nationale choisi par Pompidou, Olivier Guichard, n’est absolument pas spécialiste des questions d’éducation pour lesquelles il conçoit peu d’intérêt, comme il l’avoue dans un entretien en 1992 : « Ce n’est pas un sujet qui m’intéressait vraiment, la question de l’Éducation. J’avais des petites idées sur la faculté comme ça, j’avais des petites idées sur l’enseignement public que je n’ai fréquenté qu’un an à Condorcet [en classe préparatoire]42. » Son parcours ne l’a pas prédisposé à se pencher sur la question. Après des études dans l’enseignement libre puis à Sciences Po, Olivier Guichard est devenu chef du cabinet de de Gaulle en 1951, en remplacement de Pompidou. Après le retour aux affaires du général, il a travaillé à ses côtés à l’Élysée avant d’être nommé délégué interministériel à l’Aménagement du territoire. Il est devenu ministre de l’Industrie en 1967 dans le dernier gouvernement Pompidou puis, dans le gouvernement Couve de Murville, ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire.
24Sa nomination en 1969 rue de Grenelle constitue une surprise, y compris pour l’intéressé. Les commentateurs pensent que sa mission sera très difficile dans la mesure où il doit succéder au flamboyant Edgar Faure, dont le « limogeage » par le nouveau président rehausse le prestige43. Le choix de Pompidou semble s’être porté sur ce gaulliste historique pour plusieurs raisons : le fait que, extérieur au « sérail universitaire » , il puisse apporter un « regard neuf » et soit neutre par rapport aux différentes factions44 ; ses qualités de calme et de sang-froid45 jugées indispensables pour résister à la mission et tempérer les ébullitions des années Faure46 ; la confiance enfin qu’il place en lui47.
25Le cabinet que compose Guichard est à son image. Il comporte peu de spécialistes des questions d’éducation, ce qui constitue un choix délibéré du ministre pour qui « il faut qu’un cabinet soit un peu à l’écart48 » . Ses deux directeurs successifs de cabinet, André Giraud49 et Maurice Ulrich50, sont peu familiarisés avec l’enseignement. Le premier, polytechnicien, ancien directeur des carburants au ministère de l’Industrie et ancien vice-président de la régie Renault, a peu de connaissances sur le monde universitaire :
C’était un pur produit des grandes écoles, rapporte Guichard, un produit classique […]. Pour lui cela a été également une découverte et un sacrifice formidables. André Giraud m’avait inspiré confiance quand j’étais ministre de l’Industrie […]. J’aurais pensé à lui dans n’importe quel ministère51.
26Selon Jean Sirinelli, alors directeur des enseignements supérieurs, c’était un homme « remarquablement intelligent » , qui « adorait structurer » . Diplômé de l’Institut des hautes études internationales, le second a fait une carrière au sein du ministère des Affaires étrangères52. Selon Sirinelli, il avait de grandes qualités de diplomatie dont il a su faire usage. Parmi les huit conseillers techniques et chargés de mission53, en nombre restreint par rapport à l’époque Faure54, peu d’universitaires ou de spécialistes des questions d’éducation si ce n’est Georges Amestoy, inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale, auteur d’une réfléxion sur les universités françaises parue en 196855, Guy Palmade, ancien élève de l’École normale supérieure, maître-assistant d’histoire à l’École normale supérieure56, et Philippe Moret, lui aussi ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’anglais, ancien membre du cabinet d’Alain Peyrefitte quand il était ministre de l’Éducation nationale57. Les autres ont été repérés par Guichard à la Datar58.
27Sur le plan des orientations politiques, le cabinet est selon Sirinelli « extrêmement modéré » voire « œcuménique » avec la présence d’un socialiste militant. Si Giraud et Ulrich appartiennent tous les deux à l’UDR et sont très engagés politiquement, ils n’en sont pas moins « des personnalités très indépendantes » .
28Du côté de l’administration, le directeur délégué aux enseignements supérieurs est, en ce début d’année 1971, Jean Sirinelli. Dans le champ de la politique universitaire, le poste est des plus importants. En effet, la tâche dépasse de loin la gestion administrative et le contrôle des services et des ressources. Le directeur dans un ministère participe à l’élaboration de la politique du ministre en créant différents scénarios d’action entre lesquels le ministre tranche59. Il influe donc sur les politiques au niveau de leur création, mais aussi, quand cette phase lui échappe, dans leur mise en œuvre en adaptant la volonté du décideur à la réalité des moyens : « présenter clairement les voies et les moyens de la politique adoptée par le gouvernement, en ne négligeant pas ses incidences politiques et humaines60 » . En tant que spécialiste du sujet, il peut s’arroger le pouvoir en développant des arguments que le ministre, généralement non spécialiste, se trouve incapable de contester. Il sort alors de son rôle pour devenir un « technocrate » .
29Né en Corse en 1921, fils d’instituteurs, Jean Sirinelli a intégré l’École normale supérieure d’Ulm en 1941 et a obtenu l’agrégation de lettres en 194661. Alternant postes à l’Université et postes au ministère des Affaires étrangères, il est nommé, bien qu’étant de gauche62, recteur de l’académie de Limoges en 1967 avant d’être appelé par Edgar Faure à la direction générale des enseignements supérieurs à l’été 1968. Sa nomination, à laquelle il ne s’attendait pas et qu’il a d’abord refusée du fait du caractère explosif de la situation, s’explique sans doute par sa proximité avec Maurice Couve de Murville, qu’il a connu au ministère des Affaires étrangères. On peut faire l’hypothèse que le Premier ministre a placé un homme en qui il avait confiance et qu’il considérait comme ayant le sens du service public auprès de son imprévisible ministre de l’Éducation63. De par son parcours de recteur et de haut fonctionnaire, Jean Sirinelli représente au sein du ministère une force de tempérance par rapport aux ardeurs rénovatrices de Faure et de son cabinet. Il est réservé par rapport aux idées de l’AEERS et du colloque de Caen qui nourrissent la réflexion de l’équipe Faure64. Quand Guichard a succédé à Faure, il lui a proposé un poste de secrétaire d’État en charge des universités. Ne souhaitant pas devenir un politique, Sirinelli a refusé et est resté directeur des enseignements supérieurs. En mars 1970, à l’occasion d’une réorganisation du ministère, il est devenu directeur délégué aux enseignements supérieurs et à la recherche. Sa mission a été resserrée sur l’élaboration d’objectifs65, tandis que la question de la gestion des moyens financiers et humains a été confiée à Marcel Pinet, conseiller d’État, ancien conseiller du général de Gaulle sur les questions d’éducation.
La politique suivie entre juin 1969 et début 1971
30La politique universitaire menée entre 1969 et 1971 n’a pas traduit, paradoxalement, de rééquilibrage conservateur après les avancées progressistes des années 1968-1969.
Les orientations présidentielles
31En effet, les préférences et les inclinations personnelles du nouveau président sont contrebalancées par son sens politique (dans les deux sens du terme, sens des rapports de force et sens du bien commun). Il décide de mettre en application la loi d’orientation d’Edgar Faure qui lui semble le seul socle envisageable pour une reconstruction de l’enseignement supérieur, malgré les répugnances qu’elle lui inspire :
Dieu sait qu’il n’était pas favorable à la loi d’orientation universitaire, se rappelle Jean-François Saglio, mais il était le premier à reconnaître qu’elle avait eu l’immense mérite de calmer le jeu et de faire en sorte que le dialogue puisse se rétablir entre l’État, les responsables syndicaux, les universitaires, les professeurs et les étudiants, et que sans dialogue on ne peut rien faire du tout. Donc elle avait au moins ce mérite. Et puis après, on avait cette réforme, on avait cette loi d’orientation, il fallait bien reconstruire sur ces bases-là. Cela a été sa position, comme la position de Guichard : nous avons une loi, on doit tâcher de l’appliquer le moins bêtement possible66.
32Dans son message au Parlement de juin 1969, le nouveau président annonce sa volonté de poursuivre la réforme tout en la recadrant :
La nécessité du renouveau, la poursuite et même l’accentuation d’une réforme sont évidentes. Non moins évidente la nécessité de progresser dans le respect de la loi, de la liberté de chacun, de l’autorité des maîtres. Non moins évidente la constatation que l’université est au service des hommes et de la Nation et que les charges considérables que la collectivité accepte pour la formation des élèves et des étudiants créent à tous les bénéficiaires un devoir, celui de travailler afin d’être demain en mesure de fournir dans tous les domaines les cadres dont la France aura besoin67.
33Apparaissent ici en filigrane les grandes impulsions présidentielles : le développement de l’autonomie des universités et des universitaires avec toutes les responsabilités et les prises de risque que cela engendre, le retour à l’ordre et à l’autorité, et l’adaptation de l’université aux besoins de l’économie (dans le prolongement de la création des instituts universitaires de technologie opérée quand Pompidou était Premier ministre68). Cette vision présidentielle n’était pas exempte de contradictions, notamment entre la volonté d’accroître l’autonomie et celle de maintenir l’ordre :
Pompidou, note Jean-François Saglio, ne supportait pas le désordre dans les universités. Quand on lui en parlait, il était véritablement à cran, donc prêt à engueuler Guichard, à engueuler tous les gens sur lesquels il pouvait tomber […], ce qui était contradictoire avec l’autonomie et la responsabilité69.
34Une autre raison pour laquelle les conceptions de Pompidou ne se traduisent pas forcément dans la politique menée, c’est que, malgré l’intérêt qu’il porte à la question, il ne fait pas de l’université un domaine réservé. Il trace des lignes directrices générales mais laisse au ministre compétent le soin de mettre en œuvre une politique70 : « Il tenait à ce que je fus le vrai ministre de l’Éducation nationale : il y sacrifia son avis personnel », se rappelle Olivier Guichard71.
La politique de Guichard
35Compte tenu de ces dispositions de l’Élysée, Guichard a donc eu une certaine latitude pour mettre en œuvre la politique universitaire à l’intérieur des directives présidentielles. Cette marge de liberté a été d’autant plus grande que Matignon a joué un rôle peu important dans ce domaine sur la période. Jacques Chaban-Delmas et son principal conseiller Jacques Delors sont peu intervenus dans les questions d’éducation en général et d’enseignement supérieur en particulier, si ce n’est pour ce qui concerne la formation permanente72 ou pour les questions de maintien de l’ordre qui nécessitent d’arbitrer entre ministères de l’Éducation et de l’Intérieur.
36Dans cette configuration ouverte, Guichard a choisi une gestion libérale de l’enseignement supérieur.
Apaisement
37Conscient du caractère agité de la situation, il se donne pour premier objectif de calmer les esprits :
La situation, écrit-il dans Un chemin tranquille, était bien confuse. Toute l’attention se portait sur les universités […]. Les professeurs vivaient dans la perplexité, les étudiants dans l’exaltation. J’ai donc adopté une attitude qui me paraissait, du moins au début, la seule possible : essayer d’étendre par ondes concentriques la réserve de calme que la nature m’a donnée. Lorsque tel ou tel faisait une crise de nerfs, je le rassurais ; lorsque tel syndicat m’annonçait qu’il allait occuper le lycée ou l’université, je lui demandais simplement d’attendre quarante-huit heures […]. De temps en temps, le feu reprenait ici et là. Dans certains cas, j’envoyais quelques pompiers, dans d’autres, je me bornais à circonscrire le sinistre et à attendre que le vent soit tombé73.
38C’est avec flegme et prudence qu’il a mis en œuvre les orientations présidentielles, notamment concernant le retour à l’ordre et à la discipline. Face à la persistance des troubles universitaires, perçus négativement par l’opinion publique74, et qui menaçaient de décrédibiliser la loi d’orientation75, Guichard a privilégié des solutions modérées apportant son « libéralisme flegmatique aux questions de maintien de l’ordre76 » .
Constitution des universités
39Outre le retour au calme, Guichard s’est employé à mettre en œuvre la loi Faure qu’il fallait concrétiser par des décrets. Il s’est notamment attelé au regroupement des UER, nécessaire à la formation des universités : « Cela a été l’enfer, confiait-il en 1992. Cela a nécessité des heures et des heures de palabre, notamment avec les médecins77. » Pour mener à bien la transformation, Guichard a dégagé des objectifs, validés par l’Élysée, puis a laissé une grande marge de manœuvre à son directeur de l’enseignement supérieur et à l’administration78, tout en suivant attentivement les dossiers dès qu’ils présentaient des enjeux importants79.
40Pour Sirinelli, Guichard a eu le mérite de ne pas prendre ses décisions uniquement en fonction des rapports de force du moment au sein de son parti mais en fonction de ce qu’il considérait comme souhaitable pour le bien commun :
Il a une intelligence politique qui est incontestable mais au bon sens du mot, c’est-à-dire une intelligence qui n’est pas dupe, une intelligence qui est celle des rouages politiques, du fonctionnement politique […]. Il n’a pas un esprit politicien. Ça, j’ai toujours été très admiratif. Il collait au parti qui était le sien mais avec une distance de réflexion, d’humanisme, de personnalité qui était totale […]. Une partie de son objectivité venait de ce qu’il avait de gaulliste. Il était d’une tradition proche du général. Le général lui-même ne faisait jamais de réponses politiques, au sens politicien du terme […]. Edgar était politique au sens non pas d’un homme de parti, mais politique au sens d’un homme qui ne considère une chose que par son assise politique80.
41Jean Sirinelli, de par sa fonction et peut être de par son tempérament, a été amené à contrebalancer le principe d’autonomie par une approche centralisatrice, soucieuse d’un pilotage par le haut afin d’optimiser l’emploi des ressources et de rationaliser le découpage des universités :
Moi, j’étais partisan d’une manière assez ferme, c’est-à-dire que c’était quand même le personnel de l’État, les bâtiments de l’État. Je suis un peu jacobin, mais quand même, j’estimais qu’on ne pouvait pas laisser à la merci d’une assemblée, d’une réunion, si éminente soit-elle, la capacité de disposer de tout un matériel extraordinairement coûteux et difficilement remplaçable. Je pensais qu’il fallait que nous intervenions de temps à autre pour donner des conseils de rationalité81.
42Malgré la difficulté de la tâche, au début de 1970, le processus de regroupement des UER en universités est achevé. Des assemblées constitutives ont été élues et ont élaboré les statuts des nouveaux établissements, qui ont vu le jour à la fin de l’année 1970 et au début de l’année 1971, ce qui a entraîné d’une part la disparition juridique des facultés, et d’autre part l’élection des premiers présidents d’université.
Association des acteurs aux décisions : développement de la participation
43La large confiance accordée au directeur de l’enseignement supérieur par Guichard, notamment par rapport au pilotage de la constitution des universités, est la marque d’un esprit que beaucoup s’accordent à décrire comme profondément libéral. Cette volonté d’associer des acteurs non politiques à la définition de sa politique, Guichard a décidé de l’étendre aux présidents d’université par la création de la Conférence des présidents d’université au début de février 1971.
44La loi d’orientation a prévu que la participation du monde universitaire à la définition de la politique le concernant serait assurée par un Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) composé pour les deux tiers de représentants élus des universités (enseignants, personnels n’enseignant pas, étudiants) et pour un tiers de personnalités extérieures82. Cet organisme doit donner son avis sur tous les problèmes de la vie universitaire83. La création d’un organe consultatif supplémentaire, non prévu par la loi, composé des présidents d’université, est le résultat, selon René Rémond, d’une « création continue, qui doit plus à l’initiative et au pragmatisme de l’expérience qu’à la décision de principe84 » .
45L’impulsion originelle vient de plusieurs présidents d’universités : Michel Alliot, qui, selon Jean-Louis Quermonne, a joué un rôle décisif85, mais aussi Louis Lareng86 et Michel Devèze. Ce dernier présente ainsi ce que furent les prolégomènes de la CPU :
Les présidents, même les présidents d’assemblées constitutives, non encore élus, avaient senti très vite le besoin de se grouper pour mieux résister aux nouvelles pressions, nées d’habitudes très anciennes du ministère. C’est ce qui s’est passé dès le printemps 1970 : une double initiative naquit alors, l’une émanant du docteur Lareng, président de l’université Paul-Sabatier à Toulouse, l’autre émanant de moi-même pour que, à l’imitation des réunions des anciens doyens, il y ait des réunions, même informelles, des présidents. Ces deux initiatives se rejoignirent, et c’est d’un commun accord que le docteur Lareng et moi-même avons convié les présidents d’assemblées constitutives, puis, au fur et à mesure de leur élection, les présidents élus à se retrouver ensemble87.
46C’est dans un deuxième temps qu’Olivier Guichard, sans doute sur les conseils du directeur des enseignements supérieurs, Jean Sirinelli88, et du directeur adjoint, André Casadevall, décide d’officialiser les choses et d’instituer une Conférence des présidents d’université par un décret. Les raisons pour lesquelles Guichard reconnaît l’association sont de plusieurs ordres. Il s’agit d’éviter que ne se constitue un contre-pouvoir de fait des présidents, soudés contre le ministère. Guichard mentionne cette motivation lors de la première réunion officielle de la CPU, le 17 mai 1971 :
Que vous vous réunissiez pour confronter vos aspirations et vos problèmes répond à un besoin évident ; il eût été fâcheux que ce besoin ne soit pas officiellement reconnu et que l’opinion publique assimile vos délibérations à celles d’un organisme corporatif, voire même d’un groupe de pression89.
47Plus positivement, si Guichard avalise et même amplifie l’initiative des présidents, c’est aussi, selon René Rémond, parce qu’elle rencontre ses convictions profondes :
J’ai toujours présumé que le rôle qu’il avait joué à la tête de la DATAR, dont il a été le créateur et le premier titulaire, pour décentraliser la décision, l’avait directement préparé à être le ministre à qui il appartiendrait de procéder à la décentralisation du système dans lequel l’enseignement français étouffait. Tant par tempérament que par son expérience, il croyait à la vertu de l’initiative et à la supériorité sur un système rigide et concentré d’un système où la décision est démultipliée90.
48Tel est aussi l’avis de Philippe Moret pour qui « la réunion des présidents d’université, c’est du Guichard typique » . Il a créé la structure « pour gérer ce magma, se mettre d’accord, avoir une culture commune avec des gens nouveaux, avec un ministère qui avait de nouveaux problèmes91 » .
49Plus tard, certains responsables de la CPU ont eu tendance à rationaliser cette genèse, peut-être pour accroître la légitimité de l’association face au Cneser. La part de contingence est gommée au profit d’une nécessité présentée comme évidente. Dans un document interne de 1973, la CPU justifie son institution par le ministre en se présentant comme le pendant nécessaire du Cneser : ce dernier représente les différentes catégories du monde universitaire, mais ses effectifs étant limités à quatre-vingt-dix sièges (dont soixante pour les universitaires), il ne peut y avoir d’élus pour toutes les universités : « La solution s’imposait donc d’instituer un organe distinct rassemblant les représentants les plus qualifiés de chaque établissement, c’est-à-dire l’ensemble des présidents92. »
50Le décret signé le 24 février 197193 fixe une double mission à la nouvelle structure. La première est d’ordre consultatif. La CPU présente des avis motivés aux questions que lui pose le ministre, au cours de séances présidées par lui-même ou par son représentant. La seconde mission consiste à permettre aux présidents de se concerter et d’étudier toutes les questions intéressant l’ensemble des universités. La conférence peut soumettre des vœux et des projets au ministre. Sur le plan institutionnel, le ministre est le président de droit mais la conférence élit chaque année des vice-présidents parmi ses membres. Le règlement de la conférence précise le cadre en fixant le nombre des vice-présidents à trois et en créant un premier vice-président. Il institue aussi des commissions thématiques (Pédagogie et formation permanente, Recherche, Moyens et personnels, Questions sociales de la vie de l’étudiant, Relations extérieures, Règlement et législation94) dans lesquelles se répartissent les membres. Chaque commission élit son président qui fait partie (avec les trois vice-présidents et les sept autres présidents élus) de la « commission permanente » , qui représente la conférence en dehors de ses réunions mensuelles.
Adaptation des filières de formation universitaire aux besoins (1) : réformer la formation des maîtres
51Un troisième axe fort de la politique de Guichard a consisté à adapter les filières des formations universitaires aux besoins de la société, notamment dans le domaine des métiers de l’enseignement primaire et secondaire.
52Le dispositif de formation des maîtres qui était en place quand Guichard est arrivé rue de Grenelle était éclaté entre des institutions qui ne communiquaient pas les unes avec les autres et qui « fabriquaient » des enseignants aux statuts très différents. Les maîtres de l’enseignement primaire, les instituteurs, étaient formés dans les écoles normales, les maîtres de l’enseignement technique dans les CFPTA (centres de formation des professeurs techniques adjoints) ou dans les Enna (écoles normales nationales d’apprentissage)95 et les maîtres de l’enseignement secondaire, certifiés et agrégés, à l’Université. Pour les réformateurs de l’AEERS, ce système générait « la division du corps enseignant en corporations distinctes proches de celles du Moyen Âge96 » et rendait difficile la coopération sur le terrain.
53Le système était donc accusé de susciter les cloisonnements. Il était aussi accusé de délivrer une formation qui ne permettait pas à ses bénéficiaires de faire face à toutes les réalités du métier. La formation des instituteurs comportait une formation professionnelle97mais ne comportait aucune initiation à la recherche. Les cours n’étaient pas assurés par des universitaires mais par des professeurs d’école normale, qui venaient de l’enseignement secondaire ou primaire98. Pour l’AEERS, c’était très dommageable dans la mesure où les enseignants devaient être capables d’innover et de mettre à jour de plus en plus régulièrement leurs connaissances dans un monde de plus en plus mobile. La résolution finale du colloque d’Amiens de mars 1968, consacré à la question de la formation des enseignants, demandait à ce que les instituteurs soient formés à l’université, pour pouvoir se confronter avec la recherche qui s’y pratiquait.
54Pour la formation des certifiés et des agrégés, c’est la critique inverse qui était formulée. La formation universitaire était de qualité mais la formation professionnelle était gravement lacunaire. Pour les certifiés, elle n’intervenait qu’après la réussite du Capes99 théorique, à bac + 4, pendant un an ( « l’année de stage pratique » ). Elle prenait la forme de stages, sous la conduite d’enseignants chevronnés, et de conférences sur quelques grands thèmes pédagogiques et didactiques. Ce qui rendait insuffisante cette formation professionnelle n’était pas tant la courte durée qui lui était allouée que le peu d’enjeux qui lui étaient associés : la vraie sélection s’était déjà faite au Capes théorique sur les connaissances disciplinaires100. Le Capes pratique101, passé à la fin de l’année de stage, n’était donc bien souvent qu’une formalité102. Cela ne poussait pas les étudiants à s’investir dans leur professionnalisation d’autant que, pour beaucoup d’entre eux, la réussite à l’agrégation constituait l’objectif prioritaire103. Ce concours, vu comme le sommet de la hiérarchie enseignante, était tellement valorisé que ses lauréats étaient dispensés de toute année de stage pratique et commençaient directement à enseigner en lycée104. Pour remédier à cet état de fait, les réformistes de l’AEERS ont proposé une nouvelle formation professionnelle sur deux ans, pour les certifiés comme pour les agrégés, avec interdiction de suivre des études parallèles. Au lieu des trois stages, le contact avec le terrain serait assuré par un demi-service d’enseignement, vu comme davantage responsabilisant. L’autre moitié du service serait utilisée pour recevoir des enseignements pédagogiques et didactiques sous forme de séminaire (soit un volume bien plus important que les quelques conférences dispensées jusqu’alors).
55Un quatrième défaut du dispositif, c’est que la formation continue y était absente alors même qu’elle était en passe de devenir obligatoire dans les autres champs du monde professionnel. C’était d’autant plus dommageable qu’une partie importante des enseignants en exercice (près d’un enseignant du primaire sur trois et d’un enseignant du secondaire sur quatre105) avait été recrutée dans l’urgence sans recevoir aucune formation spécifique. Pour ces maîtres, la formation s’est souvent arrêtée en terminale, le bac étant le niveau minimum exigé106.
56Guichard, comme son prédécesseur (qui avait tenté sans succès une réforme de la formation des maîtres107), a été sensible aux arguments des réformateurs de l’AEERS108. Il a été encore plus sensible à une inadéquation entre le dispositif de formation et la réalité du terrain professionnel, qui n’avait pas été formulée au colloque d’Amiens : le décalage entre le nombre d’étudiants engagés dans des filières dont le seul débouché est l’enseignement et les besoins réels en enseignants.
57Le rapport entre les chiffres des étudiants littéraires et scientifiques et ceux des postes à pourvoir était déséquilibré en faveur des premiers dans les années 1950- 1960. Les étudiants qui passaient les concours étaient alors issus des classes d’âge creuses de la guerre, tandis que les classes nombreuses d’après-guerre arrivaient dans le secondaire. Parallèlement, la scolarité obligatoire était prolongée jusqu’à seize ans en 1959 et l’enseignement secondaire absorbait les anciennes écoles primaires supérieures109. Tous ces facteurs nécessitaient des recrutements massifs d’enseignants. On avait même créé, en 1957, les Ipes (instituts de préparation aux enseignements du second degré) pour encourager les vocations d’enseignants, notamment dans les matières scientifiques110. Ils offraient aux bons étudiants qui décidaient de s’engager vers le professorat une forme de présalaire. Dans ce contexte, les filières littéraires et scientifiques de l’Université pouvaient fonctionner en vase clos. Tout étudiant qui effectuait correctement le parcours de formation était presque assuré de devenir à son tour enseignant.
58À la fin des années 1960 et au début des années 1970, la situation s’est retournée : les classes d’âge nombreuses sont arrivées au niveau de la licence et ont passé les concours d’enseignement alors que la population scolaire a cessé d’augmenter. Les recrutements massifs venant d’avoir lieu, il y avait en outre peu de départs à la retraite111. Le rapport est donc devenu défavorable aux étudiants et beaucoup d’entre eux se sont retrouvés sans débouchés après trois, quatre, cinq, voire six ans d’études112.
59Pour tenter de remédier à cette situation jugée insatisfaisante, Guichard a agi en deux temps, disjoignant formation des maîtres du premier et du second degré. Pour la formation dans le premier degré, il a pris la décision à l’automne 1969 de diminuer les horaires d’enseignement pour que les instituteurs puissent consacrer trois heures hebdomadaires au travail en équipe et à la formation permanente conçue de manière décentralisée à l’échelle de l’établissement ou d’un groupement d’établissements113. Pour la formation des certifiés, il a dévoilé un projet de réforme beaucoup plus ambitieux devant les députés en avril 1970 :
À la suite des nombreuses consultations auxquelles j’ai procédé, la solution qui concilierait le plus d’exigences me semble finalement résider dans un régime de formation tout différent où la sélection des futurs enseignants interviendrait beaucoup plus tôt, à l’issue du premier cycle universitaire, immédiatement après le DUEL ou le DUES114. Les futurs enseignants entreraient alors sur concours dans des instituts spécialisés où ils resteraient trois ans et qui se substitueraient aux Ipes. Ils poursuivraient parallèlement leurs études universitaires dans les UER. Au terme de cette formation, le CAPES, réservé aux seuls stagiaires de l’institut, perdrait son caractère sélectif pour devenir la sanction adaptée d’un véritable apprentissage de l’art d’enseigner115.
60Guichard s’est par ailleurs prononcé pour le maintien de l’agrégation afin de former les enseignants appelés à enseigner dans les classes supérieures des lycées116. Elle serait accessible pour les certifiés par promotion interne au cours de leur carrière et pour les meilleurs éléments des nouveaux centres : « Des épreuves de sélection nationales donneront donc accès à une année de qualification qui se situera au niveau du 3e cycle universitaire117. »
61Dans la perspective de rééquilibrage entre nombre d’étudiants engagés dans la formation et besoins en postes, le prérecrutement des enseignants à bac + 2 est fondamental, comme l’a expliqué Guichard en juin 1970 devant les sénateurs :
Au fond, le problème est psychologique. Mais le système actuel étant complètement bloqué, il n’y avait qu’une solution : lever l’hypothèque des débouchés dans l’enseignement en plaçant les concours de recrutement à l’articulation du premier et du second cycle et non plus au terme du second cycle. Ainsi les étudiants scientifiques et littéraires qui auront échoué ou ne se seront pas présentés à ces concours aborderont-ils la licence et la maîtrise en sachant que l’enseignement ne peut plus être leur but unique : ainsi auront-ils le temps de se préparer psychologiquement et intellectuellement à leur entrée dans le monde professionnel118.
62Cette mesure a supposé de développer de nouvelles formations en second cycle, qui ouvrent sur d’autres débouchés, pour tous ceux qui ne réussiraient pas le concours de l’enseignement à bac + 2. C’est l’autre versant de la politique d’adaptation des filières de formation de Guichard, qui est d’ailleurs aussi défendu par l’AEERS. L’association a en effet publié un rapport en novembre 1970 plaidant pour une professionnalisation plus rapide des parcours littéraires et scientifiques à l’université et pour la multiplication à l’issue du premier cycle de nouveaux cursus mieux adaptés aux besoins de l’économie119.
Adaptation des filières de formation universitaire aux besoins (2) : créer de nouvelles filières
63Le constat de la possibilité de débouchés alternatifs à l’enseignement concernait particulièrement les filières scientifiques dans lesquelles existaient des besoins en cadres que l’enseignement universitaire ne satisfaisait pas120. Les formations scientifiques traditionnelles étaient en effet trop théoriques pour que leurs bénéficiaires puissent obtenir un emploi dans les nouveaux secteurs techniques en croissance comme l’informatique ou les nouvelles technologies.
64Quand Guichard est arrivé au ministère, des initiatives avaient déjà été prises pour débloquer les choses. Depuis les années 1960, des enseignants et des représentants de l’industrie avaient cherché à développer des formations technologiques à Clermont-Ferrand, Montpellier et Lille. Début 1969, Edgar Faure avait décidé de tester à titre expérimental dans ces trois villes les maîtrises d’informatique appliquées à la gestion des entreprises (Miage) et de sciences et techniques (MST)121. Olivier Guichard a décidé d’officialiser et de généraliser ces deux diplômes, en septembre 1970 pour les Miage122 et en janvier 1971 pour les MST123.
65Parallèlement à la création de ces nouveaux diplômes, qui sanctionnent une formation pluridisciplinaire adaptée aux nouveaux gisements d’emploi, Guichard a mis sur pied en décembre 1969 quatorze groupes de travail pour étudier les filières de formation correspondant aux principaux secteurs économiques124. Ces groupes de travail comportent à la fois des universitaires – Henri Mendras (rapporteur du groupe agriculture), Pierre Bourdieu (rapporteur du groupe Affaires culturelles125)… –, des fonctionnaires des différents ministères concernés126 et des acteurs de l’économie. Leur but n’est pas d’aboutir à une « professionnalisation » de l’université mais de lui permettre « de prendre en compte les principales tendances qui se dégagent d’une analyse prospective des structures d’emploi127 » .
La position de René Rémond
66En février 1971, le champ de la politique universitaire est donc dans une dynamique d’adaptation aux évolutions de la société. C’est dans ce contexte que René Rémond s’y insère en tant que président d’université, un poste auquel il a été élu en raison d’un engagement qui a débuté à la mi-mai 1968.
Un « enfant de 68 »
67Jusqu’à la « commune étudiante » , le parcours académique de René Rémond a été, comme il le confesse lui-même, éloigné des responsabilités administratives128. Reçu à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1942, classé deuxième à l’agrégation d’histoire en 1945, il a brillamment soutenu une thèse, consacrée à l’image des États-Unis dans l’opinion publique française durant le premier xixe siècle, en 1959. En 1965, il est parvenu, à quarante-sept ans, au sommet de la hiérarchie enseignante universitaire par son élection comme professeur d’histoire contemporaine à la faculté des lettres de Nanterre. Il est devenu cette même année membre du Comité des programmes de la télévision, un organisme chargé d’émettre des avis sur les émissions de l’ORTF, et le président très investi du Centre catholique des intellectuels français (CCIF)129. Son implication à Nanterre a donc été modérée, d’autant que son temps était également accaparé par un enseignement parallèle à Sciences Po, qui constitue son véritable ancrage institutionnel, et par les nombreuses sollicitations médiatiques dont il est l’objet depuis la parution en 1954 de son livre La Droite en France.
681968 a marqué un tournant dans cet itinéraire professionnel130 si bien que René Rémond a écrit sous forme de boutade qu’il était un « enfant de 68131 » . La faculté des lettres de Nanterre est devenue cette année-là la matrice de la contestation étudiante en France. Le 22 mars, cent-quarante-deux étudiants conduits par Daniel Cohn-Bendit ont envahi la salle du conseil des professeurs. Après les vacances de Pâques, anarchistes, situationnistes, maoïstes et trotskistes ont multiplié les actions (occupation des bureaux des responsables, perturbations de cours) pour détruire le pouvoir universitaire, en tant que parcelle du système capitaliste d’une part, en tant que moyen pour réprimer la parole libre d’autre part. Le 2 mai, la multiplication des incidents a conduit le ministre de l’Éducation nationale à fermer la faculté, ce qui a entraîné le déplacement de la contestation dans le Quartier latin et, partant, le début de Mai 68. Dans un premier temps, Rémond est resté assez extérieur aux événements : se contentant de remettre en perspective les événements à la radio132, il est parti en Italie faire une tournée de conférences, programmée de longue date, du 5 au 17 mai. Ce n’est que dans un deuxième temps, après son retour de mission, qu’il est sorti de sa réserve et s’est investi résolument dans la marche des événements, dans un contexte qui avait considérablement évolué pendant la dizaine de jours où il avait été absent. La montée en puissance du mouvement avait poussé le gouvernement à rouvrir les facultés et à avaliser, voire à encourager, une réforme profonde de l’université. Contrairement à certains de ses collègues de rang magistral, Rémond a choisi de s’impliquer dans ce processus, alimenté par les assistants et les maîtres-assistants, et s’est affirmé progressivement comme le pilote d’un département d’histoire renouvelé et désormais gouverné par des structures associant de manière paritaire des enseignants de différents statuts et des étudiants. Il est parvenu à synthétiser l’esprit de Mai (revendications égalitaires et démocratiques) avec les principes et les procédures du libéralisme politique auquel il est attaché (reconnaissance de la liberté d’opinion et du pluralisme, vote à bulletin secret et non à main levé…).
69Le rôle qu’il a joué dans la reconstitution du département d’histoire ainsi que ses compétences en matière électorale ont conduit ses collègues à le désigner, en janvier 1969, à la coprésidence de la commission chargée d’organiser la première consultation universitaire ouverte aux étudiants. La réussite des opérations dans cette faculté symboliquement associée à la contestation étudiante a renforcé son crédit et l’a amené à franchir un nouveau cran dans l’engrenage des responsabilités133. En avril 1969, Paul Ricœur, qui a été élu président du conseil chargé d’administrer temporairement la faculté en attendant la constitution de l’université, l’a choisi comme premier assesseur. Dans une période extrêmement troublée, marquée par l’investissement du campus nanterrois par les maoïstes de la Gauche prolétarienne, Rémond a épaulé puis relayé Paul Ricœur, qui n’a pas nerveusement résisté aux divisions du corps enseignant et aux affrontements entre étudiants et policiers. Quand le philosophe a démissionné, en mars 1970, Rémond est devenu de facto le doyen par intérim. Avant d’accepter de remplir pleinement cette fonction que personne ne souhaitait, il a posé des conditions très strictes aux représentants des personnels et des étudiants, leur demandant notamment de cesser les grèves et les attaques personnelles. En quelques mois, il est parvenu, en s’appuyant sur une équipe de collaborateurs particulièrement dévoués, en améliorant la communication interne et externe et en modifiant la stratégie de riposte aux attaques violentes, à rétablir la situation au sein de la faculté. Parallèlement à sa fonction de doyen, il s’est engagé à partir de mai 1970 dans l’assemblée constitutive chargée d’élaborer les statuts de la future université Paris X-Nanterre, qui devait unir à la faculté des lettres et sciences humaines la faculté de droit et de sciences économiques. Poussé par ceux qui l’ont vu à l’œuvre, il s’est déclaré candidat à la présidence du nouvel établissement le 27 février 1971. Après cinq tours de scrutin, il a été élu victorieusement à cette fonction par une coalition allant des communistes aux modérés.
Une proximité avec les décideurs gouvernementaux de la politique universitaire
70Comme ses autres collègues présidents, René Rémond inaugure une charge qui consiste à administrer un grand établissement d’enseignement supérieur, mais aussi, du fait de l’existence de la Conférence des présidents d’université, à participer à l’élaboration nationale de la politique universitaire. Pour influer dans ce domaine, Rémond dispose, dès février 1971, d’un certain nombre d’atouts parmi lesquels sa proximité avec les décideurs gouvernementaux de la politique universitaire n’est pas le moindre.
71Cette proximité est liée pour partie à la manière dont il s’est acquitté de sa charge de doyen à Nanterre. En tant que responsable du principal « volcan universitaire » de l’époque, Rémond a construit, en 1969 et en 1970, des relations privilégiées avec les hommes forts du ministère de l’Éducation nationale.
Je suis, je peux dire, au cœur [de la décision politique en matière d’éducation] parce que Nanterre est évidemment un point sensible. Cela a une portée symbolique. Tous les regards, et de l’opinion publique et des pouvoirs publics, sont concentrés sur Nanterre dont j’ai la charge et la responsabilité […]. J’avais normalement l’accès libre au ministre, chaque fois que j’avais un problème. J’avais un accès direct à ses directeurs de cabinet, André Giraud et Maurice Ulrich avec qui j’ai eu de bons rapports, aux directeurs, Marcel Pinet et autres134.
72En mars et en novembre 1970, Rémond a eu des contacts réguliers avec Olivier Guichard afin de trouver une solution politique à la stratégie « provocation, répression, solidarité » mise en œuvre par les maoïstes de la Gauche prolétarienne. Le ministre et ses collaborateurs ont apprécié la manière dont Rémond est parvenu à ramener le calme. Ils lui savent gré de ne pas s’être dérobé à la charge du décanat après la démission de Paul Ricœur. De son côté, Rémond apprécie Guichard, qui est pratiquement son contemporain (Rémond est né en 1918, Guichard en 1920). Dans La Règle et le Consentement, l’historien dresse un portrait très positif du député-maire de la Baule :
Rien ne préparait le nouveau ministre à son rôle : c’était son premier contact avec les problèmes de l’enseignement. Il devint pourtant très vite évident pour ceux qui l’approchaient ou travaillaient avec lui qu’il était l’homme de la situation : aucun autre n’aurait sans doute mieux convenu en pareille conjoncture. Au sortir d’une phase d’effervescence flamboyante, l’enseignement supérieur avait besoin d’une autorité tranquille et d’une direction à la fois ferme sur l’essentiel et libérale dans son esprit […]. Venant de l’extérieur, Olivier Guichard n’avait aucune part aux querelles qui déchiraient les enseignants : il n’avait ni idées préconçues ni préventions : il ne demandait pas mieux que de réviser ses positions pourvu qu’on lui en donnât de bonnes et convaincantes raisons. Il arrivait sans connaître les problèmes mais il s’assimila très vite les dossiers au point d’être en mesure d’exposer avec compétence les questions les plus délicates. L’interlocuteur pouvait le quitter parfois avec le sentiment de n’avoir pas été compris : il avait la surprise, quinze jours plus tard, de constater que ses remarques avaient fait leur chemin et même que la question avait été étudiée, voire réglée135.
73La proximité de Rémond avec les décideurs de la rue de Grenelle est aussi à mettre en lien avec son parcours académique. Il est en effet ami136 avec Jean Sirinelli, qui a intégré la rue d’Ulm une année avant lui et avec qui il a été maître de conférence à Sciences Po à la fin des années 1940. Ils ont un très bon ami en commun : Jean Touchard137.
74Le tout nouveau président de Nanterre a aussi des contacts à Matignon. Dans son entretien de 2000, il déclare : « Je n’ai pas eu de problèmes du temps de Chaban. C’est Delors qui avait en charge ces problèmes. Je me rappelle avoir rencontré Delors, qui était acquis à [la loi d’orientation]. » Concernant l’Élysée, il considère que les choses étaient plus compliquées : « C’était plus facile d’établir une harmonie avec le ministre qu’avec le président de la République138. » D’autres témoignages confirment que, sur cet acteur « suprême » de la politique universitaire, l’influence directe de René Rémond était assez faible. Jean-Louis Quermonne rapporte à ce sujet une anecdote révélatrice :
À cette époque-là, dès que nous avons été élus René Rémond et moi présidents d’université, Pompidou nous avait invités à déjeuner avec le président de l’université d’Orsay, et j’entends encore René Rémond à table. On était tous les quatre seulement. René Rémond, avec la clarté de son expression, explique, plaide devant Pompidou en faveur de la pluridisciplinarité […]. Pompidou écoute puis après un moment de silence conclut : « Vous savez, les littéraires seront toujours des littéraires, les scientifiques des scientifiques, les juristes des juristes. » À ce moment-là, le garçon de service apporte le café et il ajoute : « Et les universitaires renverseront toujours leur tasse de café sur la nappe. » Alors je vous assure que René Rémond et moi on a pris notre tasse de café à deux mains139.
75Pompidou et Rémond ont en commun un passage par l’ENS mais ils ne sont pas de la même génération normalienne140. Pompidou, né en 1911, est de sept ans l’aîné de René Rémond. Par ailleurs, il intègre Normale plus jeune, à vingt ans, en 1931141, alors que René Rémond intègre à vingt-quatre ans en 1942. Onze promotions les séparent. Les solidarités normaliennes de Pompidou sont donc orientées vers d’autres condisciples, René Étiemble142 et Jean Bousquet143 notamment, qu’il reçoit une fois par an à l’Élysée144.
76Outre le décalage générationnel, les deux hommes n’ont pas le même « tempérament » politique et peut-être personnel. Le pessimisme conservateur du chef de l’État n’est pas en harmonie avec l’optimisme raisonné de l’historien comme en témoignent ces mots que ce dernier prononce en octobre 1973, au cours de l’ultime séance du Conseil du développement culturel :
Que le chef de l’État soit sceptique à notre égard, cela ne doit pas nous préoccuper, c’est l’inverse qui devrait nous inspirer du souci, s’il s’intéressait de trop près à nos activités. Son scepticisme est général. Le président de la République se caractérise par la conviction qu’il n’y a rien à faire, que l’on ne peut rien faire. Qu’il le pense pour nous ne paraît pas surprenant145.
77René Rémond a néanmoins une influence indirecte sur la présidence de la République par l’intermédiaire de Jean-François Saglio, qui l’apprécie. Interrogé en 1998 sur les personnalités sur lesquelles il s’appuyait, le conseiller technique en charge des questions d’éducation auprès de Pompidou répond :
René Rémond, beaucoup ; le doyen Meyniel de Clermont-Ferrand […], Dupront, qui était le patron de la Sorbonne, un chic type, discret et de bon conseil. […] Ourisson, qui est académicien des sciences maintenant. Du côté des littéraires, Étiemble, qui était un ami de Pompidou. Lichnerowicz. Avec qui je pensais que je pouvais parler le plus librement ? Peut-être le plus avec Rémond146.
78Rémond semble apprécié par Saglio du fait qu’il peut s’entretenir avec lui sans lui dissimuler ses intentions profondes, mais aussi du fait de sa gestion de Nanterre, considérée comme « le » point chaud : « Heureusement qu’il y avait un homme comme René Rémond qui était extraordinaire, qui arrivait malgré tout à faire tourner la baraque » , considère-t-il. Il le consulte tant sur les principaux projets de réforme que sur la question du maintien de l’ordre. Rémond semble avoir contribué à convaincre Saglio que la situation était moins dramatique dans les universités que ce que l’opinion publique pensait147. Au moment des troubles qui agitent Nanterre en novembre 1970, ce dernier, sans doute informé par Rémond, rédige cette note plutôt apaisante au président de la République :
Les trublions représentent au mieux une centaine d’individus […]. Il existe en Lettres une masse d’étudiants de 2 ou 300 qui feraient facilement cause commune avec les agités du Droit. Ils sont coupés de la masse des étudiants et des professeurs et ont subi une défaite nette au restaurant universitaire. Les professeurs de droit hésitent entre la surexcitation et l’abattement. Leur grève est très inégalement suivie, il semble que les enseignants (y compris les assistants) chargés de T.P. et même de cours continuent d’exercer en sciences économiques. En Lettres, pas de grève nette. Une prise de conscience, même timide, des responsabilités se fait : les professeurs et les étudiants pourraient bientôt ne plus juger indigne d’eux de porter plainte ou de coopérer avec la police148.
79En privilégiant Rémond, Saglio accorde moins d’importance aux universitaires les plus conservateurs, qu’il exècre à titre personnel, sa femme, professeur de médecine à l’université, ayant fait les frais du mandarinat149.
J’essayais de tenir à distance les « réacs » qui s’imaginaient en voyant arriver Pompidou qu’on allait pouvoir revenir au temps béni d’avant Mai 68 et alors bon… […], finalement ils ont compris que ce n’était pas trop la peine, qu’ils m’embêtaient150.
80Du coup, le conseiller technique contrebalance l’influence de l’entourage du président de la République : « Comme c’était des amis de longue date, Pompidou les écoutait, mais de là à dire qu’ils ont inspiré sa politique, c’est complètement idiot151. »
Notes de bas de page
1 B. Yvert (dir.), Dictionnaire des ministres de 1789 à 1989, Paris, Perrin, 1990, p. 788.
2 L’AEERS a notamment préconisé, au cours du second colloque de Caen de novembre 1966, un complet bouleversement des structures universitaires : création d’universités autonomes, suppression des chaires, pluridisciplinarité (voir Le Monde‚ 15 novembre 1966, p. 1 et 8-9).
3 J. Minot, Histoire des universités françaises, Paris, Puf (Que sais-je ?), 1991, p. 61.
4 Loi no 68-978 d’orientation de l’enseignement supérieur, 12 novembre 1968, titre II, article 12 (legifrance.gouv.fr, consulté le 13 octobre2014).
5 Ibid., titre IV, article 19.
6 Ibid., titre V, article27.
7 Ibid., titre V, article27.
8 J. Minot, Histoire des universités françaises, op. cit., p. 63.
9 Loi no 68-978, citée supra, titre V, article29.
10 J. Minot, Histoire des universités françaises, op. cit., p. 61-62.
11 Loi no 68-978, citée supra, titre III, article 13.
12 Ibid., titre II, article 6.
13 J. Minot, Histoire des universités françaises, op. cit., p. 62.
14 Ibid., p. 65.
15 Loi no 68-978, citée supra, titre II, article 6.
16 Ibid., titre III, article 17.
17 Ibid., titre II, article 10.
18 Ibid., titre VII, article 36
19 Monod, biologiste et biochimiste de grande renommée, honoré d’un prix Nobel, est une figure importante du courant réformateur universitaire. Il est lié à l’AEERS et joue un rôle important dans la rédaction de la loi Faure.
20 J. Monod, « L’étrange alliance », Le Monde, 8 octobre 1968.
21 J. Monod, « L’étrange alliance », art. cité.
22 La Cause du peuple, 1, novembre 1968, p. 1-2.
23 Le Monde, 19 octobre 1968, p. 10.
24 Le Monde, 24 septembre 1968, p. 7.
25 Le Monde, 19 octobre 1968, p. 10.
26 J. de Chalendar, Une loi pour l’université avec le manuscrit inédit d’Edgar Faure, Paris, Desclée d Brouwer, 1970, p. 139.
27 O. Guichard, témoignage, dans J.-F. Sirinelli et J.-C. Groshens (dir.), Culture et action chez Georges Pompidou, Paris, Puf, 2000, p. 363.
28 V. Léonard, Georges Pompidou et l’éducation nationale (1962-1974)‚ mémoire de maîtrise dirigé par Bernard Lachaise, université Bordeaux III, 1997.
29 C. Lelièvre et C. Nique, L’École des présidents…‚ op. cit., p. 68.
30 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard et N. Castagnez-Ruggiu, 22 janvier 1998, Archives nationales (AN), AGP, 1 AV 261.
31 O. Guichard, entretien avec M. Allaire et M.-T. Frank, 17 novembre 1992, INRP/SHE.
32 Y. Verneuil, « Valeurs et combats de la Société des agrégés depuis 1914 » , Vingtième Siècle‚ revue d’histoire, 77, 2003, p. 82 (note).
33 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard et N. Castagnez-Ruggiu, cité supra.
34 Y. Verneuil, « Valeurs et combats de la Société des agrégés depuis 1914 » , art. cité.
35 É. Roussel, Georges Pompidou‚ 1971-1974, Paris, Jean-Claude Lattès, 1994, p. 258.
36 C. Lelièvre et C. Nique, L’École des présidents… ‚ op. cit., p. 124.
37 J.-F. Saglio, cité par V. Léonard, op. cit., p. 135.
38 S. Cohen, Les Conseillers du Président‚ de Charles de Gaulle à Valéry Giscard d’Estaing, Paris, Puf, 1980, p. 58 et 80.
39 J.-F. Saglio, cité par V. Léonard, Georges Pompidou… ‚ op. cit., p. 135.
40 R. Rémond et A. Savard, Aimé Savard interroge René Rémond : vivre notre histoire, Paris, Le Centurion, 1976, p. 274.
41 J. Sirinelli, entretien avec M.-T. Frank et P. Mignaval, 9 février 1999, INRP/SHE.
42 O. Guichard, entretien avec M. Allaire et M.-T. Frank, 1er décembre 1992, cité supra.
43 Le Monde, 25 juin 1969, p. 1 et 6.
44 G. Pompidou, transcription de la conférence de presse du président de la République à l’Élysée le 10 août 1969, citée dans V. Léonard, Georges Pompidou…‚ op. cit., annexes, p. 72.
45 J. Chaban-Delmas, L’Ardeur, Paris, Stock, 1975, p. 342.
46 G. Pompidou, transcription de la conférence de presse, citée supra. Voir aussi O. Guichard, lettre à V. Léonard, Georges Pompidou…‚ op. cit., annexes, p. 106-107.
47 Ibid.
48 O. Guichard, entretien avec M. Allaire et M.-T. Frank, 1er décembre 1992, cité supra.
49 Giraud (1925-1997) fut ministre de l’Industrie dans le troisième gouvernement Barre et ministre de la Défense dans le gouvernement Chirac entre 1986 et 1988.
50 Né en 1925.
51 O. Guichard, entretien avec M. Allaire et M.-T. Frank, 1er décembre 1992, cité supra.
52 Notice Who’s who in France. Dictionnaire biographique, Levallois-Perret, Laffite, 2008.
53 Les Cabinets ministériels‚ premier gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, Paris, Les cabinets ministériels, 5 mars 1971, p. 17.
54 J. Sirinelli rapporte que sous le ministère Faure, le cabinet était devenu pléthorique, atteignant jusqu’à une centaine de personnes.
55 Éducation et gestion, 1968, numéro spécial Les Universités françaises.
56 Information donnée par P. Fridenson, lettre à l’auteur, 13 août 2011.
57 Voir sa notice dans M. Allaire et M.-T. Frank (dir.), Témoins et acteurs des politiques de l’Éducation depuis la Libération, t. 1, Inventaire de cinquante entretiens, Paris, INRP/SHE, 1995, p. 144.
58 O. Guichard, entretien avec M. Allaire et M.-T. Frank, 1er décembre 1992, cité supra. Datar est, à l’époque, l’acronyme de Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale.
59 F. de Baecque, L’Administration centrale de la France, Paris, Armand Colin, 1973, p. 18.
60 Ibid., p. 18.
61 Il aurait pu passer l’agrégation en 1945 mais il a fait le choix, dans le prolongement de la Résistance, de s’engager comme simple soldat (J.-F. Sirinelli, entretien avec l’auteur, 3 février 2011).
62 Ibid.
63 J. Sirinelli, entretien avec M.-T. Frank et P. Mignaval, 9 février 1999, cité supra.
64 Id., entretien avec M.-T. Frank et P. Mignaval, 16 mars 1999, INRP/SHE.
65 J. Minas, L’Organisation du ministère de l’Éducation, Paris, Inas (Les Cahiers de l’Inas), 1975, p. 23.
66 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard, transcrit dans V. Léonard, Georges Pompidou… ‚ op. cit., annexes, p. 38.
67 G. Pompidou, message au Parlement,25 juin 1969, cité dans ibid., p. 149.
68 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard, cité dans V. Léonard, Georges Pompidou… ‚ op. cit., annexes, p. 34.
69 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard et N. Castagnez-Ruggiu,22 janvier 1998, cité supra.
70 Lors de sa première conférence de presse, le 10 juillet 1969, Pompidou déclare : « L’Éducation nationale est d’abord le fait du ministre de l’Éducation nationale, ensuite du gouvernement. Quant au chef de l’État, là comme ailleurs, il peut avoir des lignes directrices générales, mais il n’a pas à intervenir pour imposer une politique. »
71 O. Guichard, lettre à V. Léonard, citée dans V. Léonard, Georges Pompidou… ‚ op. cit., p. 143.
72 O. Guichard, réponse aux questions de V. Léonard, citée dans ibid., p. 106.
73 O. Guichard, Un chemin tranquille‚ Paris, Flammarion, 1975, p. 133-134. Pour calmer la situation, O. Guichard bénéficie, outre son tempérament placide, de moyens financiers qui ne sont pas négligeables, du moins en ce qui concerne les moyens humains. Voir A. Prost, L’École et la famille dans une société en mutation, op. cit., p. 343.
74 Un sondage réalisé par France Soir, publié le 7 avril 1970, a révélé la condamnation massive des manifestations par les Français. À la question : « Dans l’ensemble, êtes-vous plutôt favorable ou plutôt hostile aux manifestations d’étudiants qui se déroulent en ce moment en France ? », les réponses sont très largement « plutôt hostiles » (80 % chez les adultes et 69 % chez les jeunes de 15 à 19 ans).
75 Un sondage effectué par l’Ifop pour l’hebdomadaire L’Actualité en mars 1970 a montré que le regard porté par la population française sur la loi d’orientation était devenu largement négatif. Seulement 19 % des adultes et 20 % des jeunes (15 à 19 ans) trouvaient le bilan de la loi d’orientation « plutôt satisfaisant » alors que 27 % des adultes et 40 % des jeunes le trouvaient « plutôt pas satisfaisant ». En septembre 1968, un sondage similaire indiquait que 41 % des adultes et 42 % des jeunes étaient plutôt favorables à la loi d’orientation (Paris Presse, 20 mars 1970).
76 A. Prost, L’École et la famille dans une société en mutation, op. cit., p. 341.
77 O. Guichard, entretien avec M. Allaire et M.-T. Frank, 17 novembre 1992, cité supra.
78 Voir notamment : O. Guichard, note à l’attention de Jean Sirinelli, AN, 5AG2 267, dossier « Réorganisation du ministère ».
79 Jean Sirinelli, entretien avec M.-T. Frank et P. Mignaval, 13 avril 1999, INRP/SHE.
80 Ibid.
81 J. Sirinelli, entretien avec M.-T. Frank et P. Mignaval, 16 mars 1999, cité supra.
82 Le Cneser compte aussi à cette époque des membres du ministère.
83 Article 9 de la loi d’orientation.
84 R. Rémond, « Préface », La Conférence des présidents d’université, Paris, Inas (Les Cahiers de l’Inas), 1975.
85 J.-L. Quermonne, entretien avec l’auteur, 27 septembre 2008.
86 Au cours de la séance du 19 février 1973, L. Lareng dit être à l’origine avec M. Alliot et M. Devèze « de l’association qui a formé cette Conférence des Présidents » (PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, AN, 19810110, 9, p. 9).
87 M. Devèze, Les Institutions universitaires françaises, Paris, La Documentation française (Notes et études documentaires, 4424-4427), 1977.
88 L’hypothèse est formulée par M. Devèze, dans ibid. J. Sirinelli revendique effectivement un rôle (J. Sirinelli, entretien avec M.-T. Frank et P. Mignaval, 16 mars 1999, cité supra).
89 PV de la séance plénière de la CPU, AN, 20080235, 9. Voir également l’analyse de M. Devèze, Les Institutions universitaires françaises‚ op. cit.
90 R. Rémond, La Règle et le Consentement. Gouverner une société, Paris, Fayard, 1979, p. 435.
91 P. Moret, entretien avec M. Allaire et M.-T. Frank, 26 mars 1993, cité supra.
92 Document interne de la CPU, daté d’octobre 1973, conservé à la BnF, Manuscrits, NAF 28390, boîte 9, dossier 1.
93 Décret no 71-147 du 24 février 1971, publié au JORF le 25 février 1971 et au BOEN le 4 mars 1971 (p. 624-625).
94 Les intitulés des commissions les rapprochent de ceux du Cneser, eux-mêmes très proches de ceux des directions du ministère de l’Éducation nationale. Voir X. Auclair, La Conférence des présidents d’université, DEA de sciences administratives dirigé par J.-M. Lemoyne de Forges, université Panthéon-Assas, 1994, p. 19.
95 J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants en France‚ xixe-xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 268-270.
96 Prérapport sur la formation initiale pour le colloque organisé par l’AEERS à Amiens en mars 1968, rédigé par B. Girod de l’Ain, L. Legrand et R. Chapuis (Le Monde, 16 mars 1968, p. 10).
97 J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants en France…‚ op. cit., p. 216.
98 Il faut néanmoins signaler une timide évolution en juin 1969. La prise de fonction de Guichard coïncide avec la signature d’une circulaire élaborée sous son prédécesseur selon laquelle une partie des cours des écoles normales doit être assurée par des universitaires et non par des professeurs d’école normale. Voir J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants en France…‚ op. cit., p. 234-235.
99 Capes signifie « certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire » . Il a été créé en 1950 et profondément réformé en 1952.
100 J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants en France…‚ op. cit., p. 250-251 et 254.
101 Les épreuves du Capes pratique sont en fait très théoriques, ce qui affaiblit encore la dimension professionnalisante. Voir É. Héry, Les Pratiques pédagogiques dans l’enseignement secondaire au xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 217.
102 J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants en France…‚ op. cit., p. 255 et 261.
103 H. Terral, Profession : professeur. Des écoles normales maintenues aux instituts universitaires de formation des maîtres (1945-1990), Paris, Puf, 1997, p. 38.
104 Il faut attendre l’arrêté du 16 juillet 1971 pour que les agrégés soient soumis à une formation pédagogique et professionnelle pendant l’année qui suit le concours. Voir J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants en France…‚ op. cit., p. 254.
105 J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants en France…‚ op. cit., p. 219 et 250.
106 Le Monde, 9 mai 1969, p. 13.
107 H. Terral, Profession : professeur…‚ op. cit., p. 167.
108 Le Monde, 12 septembre 1969, p. 14.
109 J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants en France…‚ op. cit., p. 247.
110 Voir B. Compagnon et A. Thévenin, Histoire des instituteurs et des professeurs de 1880 à nos jours, Paris, Perrin (Terre d’histoire), 2001, p. 204- 205.
111 R. Rémond développe cette analyse dans le Journal des étudiants chrétiens de Nanterre Université, no 13, mai 1972 (BnF, Manuscrits, NAF 28390, boîte 5).
112 R.-F. Le Bris, Les Universités à la loupe, Paris, Economica, 1985, p. 227.
113 Le Monde, 8 octobre 1969, p. 13. Cette demande émanait des syndicats.
114 DUEL est l’acronyme de « diplôme universitaire d’études littéraires » ; DUES est l’acronyme de « diplôme universitaire d’études scientifiques ». Ces deux diplômes de premier cycle ont été mis en place par la réforme Fouchet de 1966 et seront remplacés en 1973 par le Deug.
115 Le Monde, 16 avril 1970, p. 8.
116 Selon B. Girod de l’Ain, O. Guichard était personnellement hostile au maintien de l’agrégation mais y aurait été contraint par G. Pompidou, lui-même agrégé (Le Monde, 17 février 1972).
117 Ibid.
118 Le Monde, 18 juin 1970, p. 8.
119 Le Monde, 11 novembre 1970, p. 21.
120 Note de présentation du service des enseignements supérieurs et de la recherche, DISUP, ministère de l’Éducation nationale, 30 décembre 1970, AN, 5 AG 2 266, dossier « Maîtrise sciences et techniques ».
121 P. Fridenson, « La politique universitaire depuis 1968 » , art. cité, p. 63.
122 Décret paru au JORF le 26 septembre 1970, p. 8985.
123 « Note pour Monsieur Saglio, de J.-F. Théry, conseiller technique au cabinet de Guichard » , 5 février 1971, AN, 5 AG2 266.
124 Note de J.-F. Saglio à l’attention de É. Balladur, 18 décembre 1969, AN, 5 AG 2 266, dossier « Filières de formation » .
125 Sa nomination suscite de fortes réserves chez H. Domerg, qui écrit une note à J.-F. Saglio, le 20 décembre 1969 : « Je ne puis être que très réservé sur la personnalité de M. Bourdieu que l’on envisage pour les fonctions de rapporteur. »
126 Guichard écrit à ses collègues ministres pour leur demander de désigner un fonctionnaire compétent. Voir AN, 5 AG2 266, dossier « Filières de formation ».
127 Fiche no 1 à destination des groupes de travail, Paris, 28 janvier 1970, AN, 5 AG2 266, dossier « Filières de formation ».
128 R. Rémond, entretien avec D. Bernard et F. Lépagnot-Leca, 29 février 2000, cité supra.
129 Voir C. Toupin-Guyot, Les Intellectuels catholiques dans la société française : le Centre catholique des intellectuels français (1941-1976), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.
130 Voir C. Mercier, « René Rémond à Nanterre en 68 » , Vingtième Siècle‚ revue d’histoire, 104, 2009, p. 141-152.
131 R. Rémond, La Règle et le Consentement…‚ op. cit., p. 102.
132 Archives Ina, Y. Mourousi interroge R. Rémond, « Le problème des étudiants enragés » , France Inter, 6 mai 1968, 8 heures 30.
133 Sur ce sujet, voir C. Mercier, René Rémond‚ Nanterre et l’université‚ les enfantements de 68 (1968-1976), thèse dirigée par P. Boutry, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,2011, p. 112-263.
134 R. Rémond, entretien avec D. Bernard et F. Lépagnot-Leca, 29 février 2000, cité supra.
135 R. Rémond, La Règle et le Consentement…‚ op. cit., p. 434.
136 R. Rémond utilise ce terme dans La Règle et le Consentement pour parler de J. Sirinelli, notamment à la page 436. Pour J.-F. Sirinelli (entretien avec l’auteur, 3 février 2011), son père et R. Rémond étaient amis sans être des intimes. Ils ne se recevaient pas à domicile.
137 Pour J.-F. Sirinelli (entretien avec l’auteur, 3 février 2011), c’est le facteur déterminant.
138 R. Rémond, entretien avec D. Bernard et F. Lépagnot-Leca, 29 février 2000, cité supra.
139 J.-L. Quermonne, entretien avec l’auteur, 27 septembre 2008.
140 J.-F. Sirinelli (Génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 1988) rattache Pompidou à ce qu’il appelle la « génération de 1905 » marquée par les enseignements d’Alain et imprégnée de pacifisme.
141 Voir ibid., p. 711.
142 Étiemble (1909-2002) avait intégré l’ENS en 1929 et était agrégé de grammaire comme Pompidou.
143 Bousquet (1912-1996) avait intégré l’ENS en 1931 comme Pompidou. Ce dernier le fait nommer directeur en 1971.
144 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard et N. Castagnez-Ruggiu, 22 janvier 1998, cité supra, 1 AV 260.
145 Sténotype de la séance du Conseil du développement culturel du 4 octobre 1973, BnF, Manuscrits, NAF 28390, boîte 30-2.
146 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard et N. Castagnez-Ruggiu, 22 janvier 1998, cité supra, 1 AV 259.
147 Ibid.
148 J.-F. Saglio, Note à l’attention de Monsieur le président de la République, sous couvert de M. Balladur, à propos de l’audience de M. Guichard avec le Président le 17 novembre 1970, 17 novembre 1970, AN, 5AG2 , 1967, dossier « Rapports avec le cabinet » .
149 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard et N. Castagnez-Ruggiu, 22 janvier 1998, cité supra, 1 AV 261.
150 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard et N. Castagnez-Ruggiu, 22 janvier 1998, cité supra, 1 AV 259. À noter que Guichard développe néanmoins un autre point de vue : « Saglio venait me voir toutes les semaines. Il suivait les choses de très près et intervenait sur beaucoup de choses. Il était le porte-parole d’une tendance UNI-Société des agrégés. Je me débrouillais de temps en temps pour traiter directement avec Georges Pompidou » (entretien avec M. Allaire et M.-T. Frank, 19 janvier 1993, INRP/SHE).
151 J.-F. Saglio, entretien avec V. Léonard et N. Castagnez-Ruggiu, 22 janvier 1998, cité supra, 1 AV 260.
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