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Au service du château

 | 
Christophe Morin

Conclusion

Texte intégral

1Au travers des bâtiments d’utilité, cette étude a mis en lumière l’ambivalence du château sous l’Ancien Régime. La spécificité de l’habitat noble en tant que siège de la seigneurie s’inscrit dans l’histoire sociale et politique de la France. L’analyse du programme spécifique du château, lié au système monarchique, doit également prendre en compte la dimension d’habitat du logis seigneurial. La recherche nouvelle du confort au xviiie siècle conduit les architectes à adapter le schéma traditionnel du château aux attentes des maîtres d’ouvrage qui souhaitent marquer leur rang et montrer leur fortune grâce à des propriétés à la mode, susceptibles de rivaliser avec les maisons de campagne de la classe montante des financiers. Le château d’Île-de-France, en raison de sa proximité avec la capitale, la cour et les avant-gardes tant intellectuelles qu’artistiques, subit une évolution formelle parallèle à celle de l’architecture des hôtels particuliers, bien qu’il conserve tous ses attributs distinctifs. Les différents organes indispensables au château (séquence d’accès, logis, communs et jardins), dont l’agencement est fixé dans ses grandes lignes par les architectes des règnes de Louis XIII et Louis XIV, permettent une mise en scène du logis des vassaux du roi, lieu de pouvoir qui incarne l’autorité et l’ordre monarchiques. Dans cette mesure, on observe une grande stabilité de l’organisation d’ensemble du château. Mis à part la distribution intérieure du logis, le décor est la seule marque de modernité du château.

2Signe extérieur de la position sociale du propriétaire, le château francilien est également le lieu de villégiature des élites aristocratiques qui, l’été venu, prennent leurs quartiers à la campagne afin d’y mener une vie moins soumise à la stricte étiquette de cour. Le programme du château s’adapte ainsi à un nouveau mode de vie grâce à des logis toujours seigneuriaux, mais à la mode, modernes et confortables, où le maître de maison peut recevoir dignement une société choisie. La vie des châteaux au xviiie siècle — largement décrite par les mémorialistes du xviiie siècle, du prince de Croÿ à la baronne d’Oberkirch — s’organise autour de réceptions qui requièrent une bonne organisation des services. Le département de la bouche, calqué, toutes proportions gardées, sur celui du roi, occupe par conséquent une place importante dans la vie domestique et la distribution des cuisines et offices fait l’objet d’une attention particulière, de la part des architectes comme des théoriciens, afin que l’approvisionnement de la table s’effectue discrètement et sans délais. Pour cela, le seigneur emploie un personnel nombreux composé de serviteurs résidants et de domestiques itinérants qui suivent leur maître dans ses déplacements entre la ville et la campagne. Ils sont logés, selon leurs fonctions, soit dans le corps de logis, soit dans les communs dont l’ampleur marque l’importance de la Maison. Si les sources manquent souvent pour étudier précisément la composition du service d’un seigneur, l’étude des plans du logis et de ses communs permet d’élaborer une sociologie de l’habitat ancillaire. Les plans montrent au travers des circulations que valets et maîtres, pourtant liés par le service que les uns remplissent auprès des autres, sont volontairement séparés, à l’exception de quelques domestiques intimes qui ont le « privilège » d’habiter quelques garde-robes dans les appartements du maître.

3L’attrait de la campagne fondé sur les activités de plein air entraîne la construction d’aménagements spécifiques autour du château, parmi lesquels les orangeries. Le succès de ces bâtiments est assuré par les collections botaniques de Louis XIV et de ses successeurs, grands amateurs de plantes exotiques. La présence de ces bâtiments d’agrément dans les châteaux participe du phénomène d’imitation du mode de vie royal par les courtisans, et à ce titre doit être prise en compte parmi les attributs du château.

4Parmi les activités pratiquées au château, la chasse joue également un rôle important. Loisir noble par excellence, elle entraîne la construction d’écuries, de chenils ou de faisanderies parfois monumentaux qui font partie de l’habitat seigneurial à part entière et le distinguent visiblement de la maison de campagne. Ici encore le modèle versaillais marque profondément la création architecturale jusqu’à la chute de l’Ancien Régime. En dépit des modes, l’architecture royale demeure la référence absolue, elle inscrit le château dans une filiation monarchique et un rapport de vassalité propres à la France prérévolutionnaire.

  • 1 Voir Ph. Grandcoing, Les Demeures de la distinction, Limoges, Pulim, 1999, p. 17-28.

5Le château se caractérise par une association étroite à une famille qui garantit, grâce à sa lignée, la permanence de l’État — au travers de la justice notamment — et du pouvoir seigneurial. Le seigneur grave ses armes sur son portail, les peint sur les murs de l’église paroissiale lors des deuils ; il entretient un rapport individualisé avec ses sujets et la communauté villageoise qu’il accueille lors de réceptions officielles, etc. Par ailleurs, il inscrit ses privilèges traditionnels dans l’architecture même de ses communs. Le pigeonnier, la chapelle, l’auditoire ou la prison ne sont pas précisément des communs mais ils sont le plus souvent implantés dans la basse-cour, à proximité du château, et se confondent avec les bâtiments d’utilité, comme à La Roche-Guyon par exemple. Durant la décennie de 1770, à l’heure de la réaction identitaire de la noblesse, la mise en avant de ces enseignes de la féodalité devient un signe politique : le seigneur met en avant ses prérogatives dans l’architecture du château en même temps qu’il fait valoir auprès de ses sujets des droits surannés ; c’est l’époque de l’apogée des feudistes et des arpenteurs qui confectionnent de nouveaux terriers et restaurent des droits tombés en désuétude. L’architecture parlante trouve là un terrain privilégié pour expérimenter des formes nouvelles ou rendre plus expressifs les éléments traditionnels du château. À la veille de la Révolution, pourtant, le projet néopalladien de Desgranges et Bertrand pour le marquis de Goulets montre l’exemple inverse d’une tentative de réformation du programme du château. Le résultat n’est guère concluant et le logis dépouillé de ses atours, posé sur une pelouse, perd sa dignité et se transforme en simple maison de campagne. L’abolition des privilèges le 4 août 1789 marque la disparition du château au plein sens du terme. Le château postrévolutionnaire, s’il reprend et magnifie parfois les symboles anciens du logis noble, est vidé de sa fonction, il n’est plus un lieu de pouvoir soumis au critère de la convenance. Les architectes peuvent alors laisser libre cours à leur imagination et ajoutent des tours de fantaisie, réinterprétant dans un style troubadour le vocabulaire de l’architecture moyenâgeuse1. Au contraire, le château d’Ancien Régime impose un cadre formel strict.

  • 2 N. Coquery, L’Hôtel aristocratique…, Paris, 1998, p. 213-218.

6L’absence de fonctions symboliques liées au pouvoir dans les maisons de campagne laisse le champ libre à la créativité des architectes. Dégagées des obligations de la bienséance et de la représentation, elles constituent un laboratoire formel pour le château. L’apparition du terme générique de « maison de plaisance » sous la plume de J.-F. Blondel montre néanmoins la grande proximité des deux programmes de la maison de campagne et du château au milieu du xviiie siècle. Ces différences parfois ténues sont le reflet du phénomène nouveau du mélange des classes sociales. La noblesse n’est plus très regardante sur les quartiers des familles avec lesquelles elle s’allie pourvu qu’elles aient de la fortune. Pour autant, la grille de lecture des châteaux, élaborée dans la présente étude, n’est pas applicable à la maison de campagne, pas plus qu’à l’hôtel particulier. En effet, aucun de ces deux programmes ne bénéficie d’une personnalisation semblable à celle du château. La maison de campagne est uniquement vouée à la villégiature et au plaisir, au point qu’elle prend parfois le nom de folie. La surface des terrains qu’elle occupe est plus réduite que celle du château dans la mesure où elle n’a pas à remplir de fonction de pouvoir. Caprices de propriétaires fortunés, les maisons de campagne font l’objet d’un commerce assez important, contrairement au château, considéré comme un élément du patrimoine familial. Dans cette mesure, la maison de campagne peut être assimilée à l’hôtel particulier, lui aussi fréquemment vendu, comme l’a montré Natacha Coquery2. La qualité du propriétaire — ses armes — n’apparaît donc que sur des éléments interchangeables comme l’imposte de bois sculptée du portail de l’hôtel ou un panneau peint au-dessus de l’entrée. Le décor sculpté reprend souvent une iconographie mythologique qui peut aisément correspondre à plusieurs propriétaires : Hercule, Mercure, Diane ou les Saisons sont les grands sujets abordés dans le décor de l’hôtel particulier parisien jusqu’au milieu du xviiie siècle. Ces thèmes iconographiques, sans grande ambition symbolique, cent fois répétés, copiés par les sculpteurs sur des recueils de modèles gravés, s’avèrent peu utilisés dans le décor des extérieurs du château. Les seigneurs leur préfèrent les mâles enseignes de la féodalité, expression d’un pouvoir politique réel. Seuls quelques exemples isolés d’hôtels particuliers de grands seigneurs bénéficient d’une telle personnalisation. Dans ce cas, l’architecte est responsable pour une bonne part de la magnificence du décor. On se souvient particulièrement de l’hôtel d’Uzès réalisé sur les plans de C.-N. Ledoux, où les vertus guerrières du duc sont mises en avant sur les piles du portail ; mais, là encore, il ne s’agit que de fonctions militaires et non civiles, comme celles qui transparaissent dans la séquence d’accès du château.

Notes

1 Voir Ph. Grandcoing, Les Demeures de la distinction, Limoges, Pulim, 1999, p. 17-28.

2 N. Coquery, L’Hôtel aristocratique…, Paris, 1998, p. 213-218.

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