Algérie : qui gouverne quelle communauté politique ?

Mohammed Hachemaoui

p. 471-501

Dédicace

Pensez à la nuit et au froid de tombeau
Qui règnent dans cet univers de damnés.
Bertolt Brecht, L’Opéra de Quat’sous

Tout se perdait dans le brouillard. Le passé était raturé, la rature oubliée et le mensonge devenait vérité.
George Orwell, 1984

L’Histoire est l’objet d’une construction dont le lieu n’est pas constitué par le temps homogène et vide, mais par le temps empli d’instantanéités.
Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire


Texte intégral

1L’étude de l’autoritarisme, éclipsée depuis le milieu des années 1980 par le paradigme voyageur de la « transitologie », connaît depuis quelques années un indéniable regain d’intérêt – le reflux de la « troisième vague » de démocratisation amorçant il est vrai la redécouverte de ce continent1. Le problème du changement institutionnel qui s’opère dans le cadre de la durabilité autoritaire demeure toutefois une énigme peu ou pas explorée2. Or, si une importante continuité est à même de perdurer à travers et malgré les points de rupture historique, des reconfigurations institutionnelles majeures peuvent tout autant s’opérer sous la surface d’une stabilité, au moyen d’une accumulation, dans le temps, de changements incrémentiels subtils3. Or, pour capturer ce type de changement, il faut : (i) rompre avec l’acception classique de l’institution qui appréhende celle-ci à l’aune de la stabilité ; (ii) introduire, dans la définition même des institutions, l’élément dynamique en mesure de saisir le changement graduel. Saisir les institutions comme des « instruments distributionnels » charriant des implications inégales en termes d’accumulation de ressources et d’autorité permet justement de cerner ce « lien inextricable » entre le changement et la stabilité4.

Le puzzle

2Si les institutions sont importantes, toutes ne renferment pas en elles le même degré d’importance. Voilà qui plaide en faveur de la désagrégation conceptuelle de l’autoritarisme, ce dernier n’étant pas une totalité indifférenciée. Pour y parvenir, je propose de définir la formule autoritaire comme l’articulation du régime et de l’État, de l’économie (politique) et de la société. Curieusement, bien que voisins, les grands agrégats d’État et de régime ne sont que trop rarement appréhendés ensemble. En effet, alors que les spécialistes de l’État s’intéressent moins à la forme qu’à l’étendue du gouvernement, leurs confrères travaillant sur les régimes font le choix inverse, portant leur intérêt sur les contraintes limitant l’expansion des pouvoirs d’État. Tandis que le premier débat porte sur l’exercice – effectif ou pas – du gouvernement, le second s’ordonne autour de la nature – démocratique ou non – des régimes5. Rares sont encore les travaux qui lient les deux objets sans les confondre pour autant6. Cette entreprise requiert une opération intellectuelle consistant à construire un pont théorique pour faire se lier État et régime. Si l’État constitue le « lieu géométrique du pouvoir politique », le régime, lui, peut être saisi comme cette « partie du système politique qui détermine comment et sous quelles conditions s’exerce le pouvoir d’État7 ». Partant, nous pouvons considérer le pouvoir d’État comme la passerelle conceptuelle qui relie les agrégats de l’État et du régime8.

3Michael Mann a opéré une désagrégation théorique bien connue du pouvoir de l’État, décomposant celui-ci en deux dimensions : le « pouvoir despotique » et le « pouvoir infrastructurel9 ». Le pouvoir despotique ou hiérarchique renvoie, en tant que type de « pouvoir distributif », à l’aptitude des élites étatiques à prendre des décisions sans consulter les représentants des principaux groupes de la société. Cette dimension de l’État renvoie au « pouvoir sur » la société. Le pouvoir infrastructurel renvoie, en tant que « pouvoir collectif », à la capacité institutionnelle de l’État à pénétrer la société et à déployer la logistique nécessaire à la réalisation des objectifs politiques sur le terrain10. Le pouvoir infrastructurel fait référence à la capacité de l’administration, qu’elle soit professionnelle ou non, à pénétrer les territoires que l’État prétend gouverner, à contrôler et à réguler les relations sociales. Ainsi le poids (budget, effectif, champ d’intervention, etc.) des institutions de coercition, d’imposition fiscale et de régulation renseigne-t-il sur la nature du « pouvoir infrastructurel » que l’État central est en mesure de déployer. Le pouvoir infrastructurel est en somme un « pouvoir à travers » la société11. Ainsi appréhendé, le pouvoir infrastructurel façonne la durabilité autoritaire – celle-ci étant le « vecteur de la durée et de la stabilité12 ».

4Le système de gouvernement, en place en Algérie depuis la conjoncture critique de la guerre d’indépendance (1954-1962), paraît sous cette perspective comme étant l’un des plus résistants à l’analyse. En effet, depuis la révolte d’octobre 1988, qui a révélé, pour reprendre Gramsci, la « crise organique13 » du système, la formule autoritaire a connu de multiples métamorphoses : du « parti unique » au « multipartisme », de l’« économie socialiste » à l’« économie de marché », de la « révolution institutionnalisée » à la « guerre civile », la cadence et l’ampleur des changements a achevé de brouiller l’intelligibilité de la communauté politique (polity). Or ce brouillage s’est accentué avec les changements que semble connaître la formule autoritaire algérienne depuis les révoltes populaires qui ont provoqué la chute historique des autocrates Ben Ali et Moubarak en janvier et février 2011 : en l’occurrence, l’intrigante élection, en 2014, du très diminué et vieillissant Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième quinquennat consécutif et la « dissolution », qui s’est ensuivie, du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le redoutable appareil de la police politique qui constituait, jusque-là, un « État dans l’État14 ». Ce processus invite à repenser à nouveaux frais la formule autoritaire algérienne. Le quatrième mandat présidentiel de Bouteflika consacre-t-il le déclin ou la résilience du régime autoritaire ? Quels types de changements institutionnels sont opérés, suivant quels processus et sous quelles configurations ? Qui gouverne quelle communauté politique ?

5Une narration orthodoxe domine l’interprétation de la trajectoire de l’Algérie contemporaine. Son récit est d’autant plus hégémonique et se coule aussi bien dans l’historiographie que dans le discours médiatique, façonne l’expertise politique autant que les œuvres de fiction. Par-delà les multiples variations qu’elle englobe, la doxa décrit la trajectoire historique du pays comme étant celle d’une « révolution » (1954-1962) ayant permis la construction du « Parti-État » et du « socialisme », et dont la crise aurait provoqué le « péril intégriste », la « guérilla islamiste » et la « guerre civile » avant de déboucher sur un autoritarisme « démilitarisé15 ».

6La narration orthodoxe accuse, comme le montrera ce texte, de multiples lacunes théoriques. La première d’entre elles se rapporte à la mésinterprétation d’un tournant historique : la crise qui, entre-déchirant le mouvement indépendantiste (1951-1954), oppose le courant révolutionnaire incarné par le leader Messali Hadj à la bureaucratie du parti (PPA-MTLD) qui adopte depuis 1951 une voie « contre-révolutionnaire » de type « réformiste16 » ; la guerre d’indépendance (1954-1962) qui s’est ensuivie. Reprenant la doxa imposée par les vainqueurs, le « discours historique » orthodoxe parle de « révolution », là où il s’agit, comme le montrera ce texte, davantage plutôt d’une « contre-révolution17 ». Ce faisant, l’historiographie orthodoxe néglige l’une des thèses qui structurent le « concept d’histoire » : « Les dominants du moment sont les héritiers de tous ceux qui ont vaincu un jour. Le fait de se mettre dans la peau du vainqueur profite par conséquent toujours au dominant du moment18. » La deuxième erreur, qui découle de la première, concerne la mauvaise compréhension de la formule autoritaire postindépendance : celle-ci, au plus loin de relever du « Parti-État », s’articule a contrario sur un « régime prétorien » et un « État garnison ». La mésinterprétation de la formation historique de la domination autoritaire est à la source de la troisième aporie : celle relative à l’intelligibilité de la violence politique des années 1990. Or celle-ci est moins une « guerre civile » opposant, au sein d’une communauté politique, des « territoires continus et stables19 » que le redéploiement de « l’État comme crime organisé » (Charles Tilly). Une quatrième lacune greffe la narration dominante : reposant sur une conception appauvrie de l’« exercice du pouvoir », elle ne mobilise guère les acquis théoriques du fameux « Power Debate20 ». Aussi échoue-t-elle à capturer les ressorts du redéploiement et de la concentration du pouvoir d’État. Un dernier travers fragilise la politologie standard : le « présentisme21 ».

7Ce texte, « caressant l’histoire à rebrousse-poil », entend établir la pertinence de la thèse qui suit. Depuis Samuel Huntington, une théorie hégémonique affirme que les régimes autoritaires issus des révolutions sont plus résilients que d’autres22. Prenant le contre-pied de ce paradigme, je montrerai que la résilience du régime autoritaire algérien repose sur les ressorts de la contre-révolution23. Or, la contre-révolution n’est pas l’apanage des réactionnaires, pas plus que la démocratisation n’est l’œuvre des seuls démocrates.

L’énigme

8La détérioration manifeste de l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika, à la suite de l’accident cardiovasculaire qui l’a foudroyé et soumis à une hospitalisation de quelque quatre-vingts jours en France entre avril et juillet 2013, a littéralement mis à nu le régime politique algérien. En empêchant, depuis, ledit « président civil » de s’adresser à son peuple et de participer à des sommets internationaux – exercices qu’il affectionnait tout particulièrement –, l’impotence présidentielle ramène à la surface la question décisive bien que trop souvent éludée : qui gouverne quelle communauté politique ?

9C’est dans ce contexte de vacance structurelle de la Présidence de la République qu’un récit hégémonique, tournant en boucle par médias, experts et « think tanks » interposés, est parvenu à graver ses codes narratifs. Sa trame rectrice se décline comme suit : l’« élection » en avril 2014 d’Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième quinquennat consacre, sinon la « déstructuration », du moins la « perte du leadership » du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, la police politique), au profit, qui de la « Présidence », qui de « l’état-major de l’armée », qui des « oligarques » – l’annonce formelle, le 13 septembre 2015, du « départ à la retraite » du général de corps d’armée Mohamed Mediene alias Toufik, aux commandes du tout-puissant DRS depuis un quart de siècle24, constituant le point d’orgue de ce processus. Cultivant ordinairement sa bigarrure, ladite « presse indépendante » algérienne affirme en chœur que le « départ à la retraite » du puissant Mediene consacre la « chute d’un mythe », la « fin d’une époque25 » ! Un article publié dans Le Monde quelques heures après l’annonce de ce « départ forcé » (sic), restitue fort bien la texture de ce récit : « L’opération “d’effeuillage” des prérogatives des services algériens [le DRS] en œuvre depuis deux ans en Algérie, a connu son aboutissement avec le départ à la retraite de son chef, le général Mohamed Mediene26. » L’entreprise aurait atteint son couronnement avec la prétendue officialisation, par le directeur de cabinet de la Présidence, le revenant Ahmed Ouyahia, de la « dissolution du DRS27 ». Les épisodes de ce feuilleton apparaissent d’autant plus retentissants qu’ils sont factices.

10La « fausse nouvelle » de presse est, pour reprendre l’analyse séminale de Marc Bloch, le plus souvent « un objet fabriqué » destiné à « agir sur l’opinion », à « obéir à un mot d’ordre » ou à « orner la narration28 ». Et l’historien de soulever le problème de méthode inhérent à cet objet : « Que dirait-on de recherches sur la légende napoléonienne qui laisseraient de côté le colportage […] ? Sans doute qu’elles négligent les problèmes essentiels29. » En reprenant le mantra de la narration hégémonique, les analyses conventionnelles portant sur le régime autoritaire algérien n’échappent pas à ces biais, au premier rang desquels l’oubli de la critique des sources30. La démonstration qui suit s’appuie sur l’exploitation d’un matériau comprenant les corpus suivants : l’observation participante en tant que journaliste ayant exercé, à partir d’Alger, dans différents journaux algériens au cours des années 1990 et 2000 ; une enquête ethnographique sur les ressorts sociaux du clientélisme politique, l’autoritarisme électoral et la corruption politique (2001-2012)31 ; des entretiens qualitatifs avec des figures clés de la politique algérienne32 ; le Journal officiel de la République algérienne de mars 1962 à janvier 2018 ; les multiples titres de la presse algérienne et étrangère entre 1994 et 2017.

Anamnèse

[Ce] qu’on appelle contre-révolution ne sera point une révolution contraire, mais le contraire de la révolution.
Joseph de Maistre, Écrits sur la révolution

Rien de ce qui s’est passé un jour ne doit être considéré comme perdu pour l’Histoire […] Chacun de ces instants vécus devient une citation à l’ordre du jour.
Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire

11Le récit célébré accuse des lacunes aussi fâcheuses les unes que les autres. La première d’entre elles réside dans son insoutenable légèreté. Par quel miracle en effet, un homme déjà gravement malade depuis l’automne 2005 et éprouvant, à partir du 27 avril 2013, les plus grandes peines à se mouvoir et à s’exprimer, parviendrait-il à « dissoudre » ou à « neutraliser » l’omnipotent DRS, qui fait et défait le processus politique dans le pays dès avant le coup d’État de janvier 1992, et à qui Bouteflika doit non seulement sa cooptation en 1999 et sa reconduction continue depuis, mais aussi l’impunité judiciaire de ses proches33 ? La narration de la « mise au pas du DRS », propulsée après le surgissement de l’AVC d’avril 2013, élude crânement cette réalité.

12Mais le récit orthodoxe accuse une lacune analytique autrement problématique : l’évitement ou la mésinterprétation des fondamentaux de la politique qui gouverne le pays. Comment s’est construit le régime autoritaire et quels legs laissent ces arrangements institutionnels ? L’atrophie présidentielle, avant d’être physique ou même contingente, est d’abord, sinon surtout, institutionnelle, tant elle est gravée dans la structure même du jeu politique algérien. Ne s’encombrant ni d’une constitution ni d’une idéologie, les institutions structurant la politique réelle depuis ses fondations (1954-1962) sont informelles. Aboutissement inattendu de conflits entre factions se disputant le pouvoir durant la conjoncture critique de la guerre d’indépendance, la structure de la real politics se décline comme suit : concentration et exercice non imputable du pouvoir par le « collège des prétoriens » ; affaiblissement des institutions civiles de l’État ; « compromis social » (au nom duquel le gouvernement prend en charge les besoins socio-économiques de base de la population en contrepartie de la démobilisation de celle-ci) ; clientélisme et corruption politique comme mécanismes de contrôle et de régulation des conflits ; politique des « sales coups » (le répertoire allant des purges aux disparitions forcées en passant par les noyautages et les homicides politiques)34. Qui gouverne dans un régime prétorien ? La réponse paraît évidente, elle ne l’est pourtant pas, le prétorianisme prenant de multiples figures35. Le pouvoir despotique est occupé dans l’État algérien par le collège des prétoriens dont la fondation institutionnelle remonte aux triumvirs du Front de libération nationale, les fameux « 3 B » (Abdelhafid Boussouf, Krim Belkacem, Lakhdar Ben Tobbal). Les fondateurs du FLN, en tuant symboliquement la figure du père qu’incarnait Messali Hadj36 qu’ils accusaient bien à tort de trahison, ont consacré, durant cette conjoncture critique de l’histoire contemporaine du pays, le rejet du leadership personnalisé comme « règle de jeu normative37 ». Messali Hadj, qui a forgé son ancrage politique en France au sein de la gauche anticapitaliste, antistalinienne et antifasciste des années 1920-193038, érige son projet pionnier d’indépendance de la nation algérienne sur une fondation démocratique entre toutes : « l’élection au suffrage universel d’une Constituante souveraine par un collège unique sans distinction de race ou de religion39 ». La voie préconisée par les dirigeants du FLN se situe, elle, à l’opposé de cette tradition révolutionnaire. Alors que Messali Hadj milite en faveur d’une révolution politique (abolition du régime colonial et élection d’une Constituante souveraine) et d’une révolution sociale (lutte anticapitaliste et antiféodale), le FLN prend des accents thermidoriens : à l’invention de la communauté politique, il préconise la « restauration de l’État algérien » de l’époque ottomane « dans le cadre des valeurs islamiques40 » ; à la révolution sociale, il oppose un refus catégorique. Écoutons Ramdane Abbane, idéologue et dirigeant du FLN, situer le sillage dans lequel s’inscrit le front nationaliste : « Les Chinois menaient à la fois la résistance nationale et la révolution sociale. Nous nous arrêtons à mi-chemin par rapport à eux. Pour nous, le deuxième problème ne se pose pas41. » S’agissant des fondations institutionnelles, Lakhder Ben Tobbal, membre du collège des prétoriens, est tout aussi explicite : à la Constituante élue par le collège unique du démos, il préconise de façon prémonitoire la prévalence de l’institution de facto sur l’institution de jure (Gouvernement provisoire de la République algérienne). Verbatim : il fallait désigner un président mais garder entre nos mains le pouvoir réel42. Depuis, le collège des prétoriens fait et défait les présidents, de Ferhat Abbas en 1958 à Abdelaziz Bouteflika en 2014.

13Les chefs du FLN consacrent une autre institution : l’assassinat politique comme mode de règlement des conflits. Si le père de l’indépendance algérienne Messali Hadj échappe in extremis à une tentative d’assassinat fomentée par le FLN en 1959, ses compagnons prolétaires de l’Union syndicale des travailleurs algériens43, eux, n’ont pas eu cette chance : les dirigeants du premier syndicat algérien ont fait l’objet d’un assassinat politique exécuté par les hommes de main de la « Fédération de France » du FLN au cours de cette année charnière de 1957. Pas davantage n’ont réussi à échapper les quelque trois cents civils de Beni Ilmen – un village près de Mellouza dont les habitants ont refusé d’abjurer leur loyauté à Messali Hadj – au massacre exécuté par le FLN au cours de cette sanglante année 1957. « Seconde moitié de la révolution », la contre-révolution prétorienne, que favorise la férocité de la répression coloniale44, s’affirme désormais avec l’assassinat politique fin 1957 de Ramdane Abbane, lors même que l’idéologue du FLN était un fervent partisan de l’éradication des messalistes45.

14Le pouvoir infrastructurel comprend, jusqu’à la révolte d’octobre 1988, l’armée et les différents appareils de coercition, l’administration, la compagnie nationale des hydrocarbures Sonatrach, l’appareil diplomatique, les intermédiaires institutionnels (qui prélèvent des dessous-de-table dans l’octroi des marchés publics), les banques et les entreprises du capitalisme d’État, la centrale syndicale, le parti unique, les organisations de masse, et enfin, les « intellectuels organiques ». Le colonel Houari Boumediene, bien qu’artisan du putsch46 de 1962 et du coup d’État de 1965, n’est pas parvenu à échapper au fameux « dilemme politique des régimes militaires47 » : restreindre l’assise sociale du régime à l’armée au risque de se faire éjecter par une faction militaire rivale ou asseoir le système sur des forces civiles en risquant de perdre le pouvoir. Craignant, à l’instar du colonel Nasser, les coups d’État autant que la mobilisation populaire, Boumediene appréhende ce cercle carré comme suit : en construisant non plus un Parti-État – formule communiste qui requiert la mobilisation dont la force prétorienne ne veut pas, si tant est qu’elle dispose d’un tel pouvoir infrastructurel – mais, pour reprendre la catégorie classique de Harold Lasswell, un « État garnison », tant il est vrai que les « spécialistes de la violence » y représentent « le groupe social le plus puissant48 ». Boumediene, pour se prémunir contre tout coup d’État militaire, prend prétexte du putsch manqué qu’entreprend le chef d’état-major Tahar Zbiri en décembre 1967 pour opérer une décision radicale : ne voulant pas subir comme Nasser la montée en puissance du maréchal ’Amer, Boumediene dissout l’état-major de l’armée, le commandement centralisé n’ayant été réinstitué qu’en décembre 1984. Dans le sillage de ce « coup-proofing49 », le colonel Boumediene octroie aux chefs de région militaire des fiefs. Dans cet État garnison, la police politique ne surveille pas seulement les civils, elle garde aussi les gardiens. Écoutons l’ancien chef d’état-major et ministre de la Défense Khaled Nezzar : « On haïssait les hommes de Kasdi Merbah [le patron de la Sécurité Militaire, l’appareil de la police politique, tout au long du règne de Boumediene]. On les considérait comme des mouchards50 ! » La succession post-Boumediene reflète bien cette sourde méfiance : bien que névralgique, l’appareil de la police secrète est contraint, au cours du fameux conclave du collège des prétoriens51 qui s’est tenu à La Pérouse, à l’est d’Alger, entre fin décembre 1978 et début janvier 1979, de favoriser, comme l’ont fait les chefs de l’« État mukhâbarât » égyptien au lendemain de la mort de Nasser, une solution par défaut qu’incarnait alors le colonel Chadli Benjedid, ci-devant chef de la IIe région militaire. La coalition prétorienne formée par les chefs de régions militaires autour de Chadli, qui occupe, pour reprendre une catégorie qu’affectionne Omar Carlier, la figure du primus inter pares, réussit très vite cependant à déloger le patron de la police secrète, victime de son propre pouvoir – comme Beria à la mort de Staline52 ou les détenteurs de ce qui a été alors appelé en Égypte les « centres du pouvoir » (Aly Sabri, Sha’ rawi Gomaa et Samy Sharaf) au tout début de l’ère Sadate53.

15Œuvrant derrière une façade institutionnelle (tantôt du Gouvernement provisoire de la République algérienne présidé tour à tour par les civils Ferhat Abbas et Youcef Benkhedda, tantôt des raïs Ahmed Ben Bella et Abdelaziz Bouteflika), les prétoriens ont développé une institution perdue de vue par les politologues et les historiens : la pseudo-politique. J’appelle comme telle toute politique de dissimulation travaillant à rendre invisible la politique réelle. En tant que solution politique au dilemme prétorien, la pseudo-politique fabrique et orchestre une « classe politique » et une « société civile » de substitution en lieu et place de la représentation (réelle) des groupes et des intérêts en conflit dans la société. La pseudo-politique cherche moins à dépolitiser la société qu’à prévenir la politisation de la population contre le régime. Aussi, la pseudo-politique peut-elle organiser des élections, instituer un « Parlement » et même orchestrer de vrais-faux « mouvements protestataires » ; elle n’en affectera cependant « ni la composition de l’élite dirigeante ni le processus de décision54 ». Performatif, le langage consacré par les médias, les « think tanks » et les experts pour raconter la politique algérienne (« les centres du pouvoir », « le conseil des ministres », « la lutte des clans », « les partis de l’opposition », « l’opinion publique », les « enquêtes anticorruption », les « oligarques »…) fait advenir la pseudo-politique autant qu’il empêche le repérage de la politique réelle. De la « lutte contre le terrorisme et la subversion islamistes » à la « décapitation du DRS » en passant par le poncif néolibéral de l’« autonomie des nouvelles élites économiques », la politique algérienne est saturée de ces récits. En ne déconstruisant pas ce dispositif de gouvernement, les analyses conventionnelles prennent la pseudo-politique pour de la politique réelle.

16Pour exercer son contrôle disciplinaire sur la polité, l’État garnison développe ce que Michel Foucault appelle un « régime de vérité55 ». La police politique algérienne, formée à l’école du KGB et de la Stasi, contrôle d’entrée ce champ de pouvoir immensément stratégique qui va de l’historiographie à la littérature en passant par le cinéma et les sciences sociales56. L’information relève de ce champ. Avant l’ouverture politique de 1989 que le collège des prétoriens a concédé en guise de « guerre de siège57 » (Gramsci), le dispositif de propagande comprenait, outre la nomination des directeurs de médias (l’agence de presse gouvernementale, radio et télévision, journaux), l’installation de correspondants de presse dans les principales capitales étrangères – la plupart d’entre eux devenant dans les années 1990 les patrons de ladite « presse indépendante58 ». Depuis la « libéralisation politique », une direction entière de la police secrète – rebaptisée DRS depuis 1990 – est dédiée à l’information : le Centre de la communication et de la diffusion. Dirigé par un colonel, celui-ci coifferait quatre services, allant du recrutement des agents à l’élaboration des stratégies médiatiques59. Aussi les enquêtes consacrées au contrôle disciplinaire qu’exerce la police politique sur les médias algériens brillent-elles par leur absence60

17Antérieur à l’avènement de l’ère pétrolière qui ne s’ouvre, elle, qu’à partir du début des années 1970, ce système de gouvernement – que l’économisme de la théorie de la « malédiction du pétrole » s’interdit de capturer61 – s’est avéré bien endurant, survivant à des épreuves aussi périlleuses les unes que les autres : la guerre civile opposant le FLN au Mouvement national algérien se réclamant de Messali Hadj durant la guerre d’indépendance ; la prise sanglante d’Alger à l’été 1962 et les rébellions qui l’ont suivi ; le coup d’État de 1965 ; le putsch manqué entrepris par le chef d’État-major de l’armée en 1967 ; la succession subséquente à la mort de Houari Boumediene en 1978 ; la crise fiscale de l’État (1986-2002) ; la révolte d’octobre 1988 dont la répression manu militari a fait quelque 500 morts en moins d’une semaine ; la libéralisation politique des années 1989-1991 ; la violente contre-révolution prétorienne qui s’est ensuivie – celle-ci ayant causé quelque 150 000 morts et près de 10 000 disparitions forcées en moins de dix ans62 – a précipité l’affaissement des institutions civiles de l’État, engouffré le pays dans la trappe de la corruption généralisée, accéléré l’érosion de la confiance sociale et creusé les lignes de fragmentation de la polité.

De quoi le DRS est-il le nom ?

La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés.
Antonio Gramsci, Cahiers de prison

18La narration hégémonique de la « perte du leadership » du DRS accuse une autre défaillance non moins importante : l’absence de prise en compte du changement institutionnel graduel qui a travaillé le système autoritaire algérien durant la conjoncture critique des années 1990. Le coup d’État militaire de 1992 inaugure en vérité une « contre-révolution prétorienne63 » ; en modifiant l’environnement politique par militarisation du conflit et contre-insurrection armée interposées, celle-ci ouvre une brèche entre la règle et sa mise en vigueur. En autorisant une nouvelle accumulation des ressources et de l’autorité, elle favorise un changement graduel à l’intérieur du régime. Souterrain et indicible, le processus qui s’affirme à l’ombre d’une vraie-fausse « guerre civile64 » favorise, grâce à cette nouvelle distribution des ressources et de l’autorité, l’émergence d’un nouvel équilibre à l’intérieur des arrangements institutionnels sous-tendant le système autoritaire. Cette transformation, que les analyses convenues peinent précisément à repérer, est induite par la métamorphose de la police secrète, celle-ci passant – dans cette séquence superbement capturée par Charles Tilly au moyen de la catégorie théorique de la « construction de l’État comme crime organisé65 » – de la configuration d’un appareil à celle d’un État profond. Je définis comme tel ce dispositif de gouvernement diffus se logeant au cœur des arrangements institutionnels du régime qui, en siphonnant le pouvoir d’État, parvient à neutraliser les segments concurrents du bloc dirigeant, à préempter la prise de décision et à s’autonomiser par rapport aux autres composantes du système66.

19Le processus de formation de l’État profond algérien procède moins du registre du complot que du mécanisme de la « conversion ». James Mahoney et Kathleen Thelen définissent comme tel tout changement dans lequel des acteurs, exploitant activement les ambiguïtés inhérentes aux institutions, mettent en œuvre une promulgation nouvelle des règles, tout en maintenant ces dernières formellement inchangées67. Le changement institutionnel par conversion, en s’opérant dans cet espace séparant la règle de sa mise en vigueur, repose sur un ressort capital : le pouvoir d’État.

20L’agent qui, en Algérie, conduit ce changement incrémentiel est le Département du renseignement et de la sécurité, héritier de la Sécurité militaire. Comment le DRS, institué par le collège des prétoriens pour faire oublier le symbole de la répression impunie d’octobre 1988, justifier les purges et se mettre au diapason de la fin de l’ère du prétendu Parti-État, a-t-il conduit ce changement ? L’ouverture politique concédée en guise de « guerre de position » échappe peu à peu au contrôle du collège des prétoriens. Les institutions introduites par le gouvernement du réformateur Mouloud Hamrouche (9 septembre 1989-4 juin 1991) se révèlent en effet éminemment subversives : la suppression des tribunaux d’exception et des « enquêtes d’habilitation » menées par la police politique en préalable aux nominations aux postes clés de l’administration publique ; l’abandon des ministères de l’Information et des Anciens moudjahidines pour signifier la fin de la censure et de la « légitimité historique » ; la transparence des urnes et le contournement des réseaux de grande corruption qui coiffent le commerce extérieur du pays68.

La seconde contre-révolution

Il a les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les ailes déployées. L’Ange de l’Histoire doit avoir cet aspect-là. Il a tourné le visage vers le passé. Là où une chaîne apparaît devant nous, il voit une unique catastrophe dont le résultat constant est d’accumuler les ruines sur les ruines et de les lui lancer devant les pieds. Il aimerait sans doute rester, réveiller les morts et rassembler ce qui a été brisé. Mais une tempête se lève depuis le Paradis […] Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos tandis que le tas de ruines devant lui grandit jusqu’au ciel.
Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire

21Un document officiel69 élaboré par le commandement militaire dès l’automne 1990 donne un aperçu du redéploiement stratégique opéré par le DRS. Laissé dans l’oubli par les spécialistes malgré son extrême importance, le rapport intitulé « Démarche politique de type État-major » montre bien que le coup d’État de janvier 1992 procède d’un « processus », la victoire du Front islamique du salut aux premières (et dernières) législatives démocratiques n’en constituant que l’« opportunité ». Bien engagé après l’imposition de l’état de siège qui a précipité la sortie des réformateurs le 4 juin 1991, le processus prétorien atteint une étape ultime un mois avant la démission contrainte de Chadli : celle consistant, en violation de la lettre et de l’esprit de la Constitution du 23 février 1989, à déposséder le président de la République, « chef suprême des armées », de la prérogative d’ordonner le mouvement des troupes au profit du ministre de l’Intérieur (le général-major Larbi Belkheir) et du chef du gouvernement (Sid Ahmed Ghozali, protégé de l’oligarchie militaire). L’arsenal du 6 décembre 1991, passé tout aussi inaperçu par les spécialistes en dépit de sa portée, trahissait non plus seulement la « propension », mais la « disposition » (Samuel Finer) de l’« armée comme gouvernement » à renverser le processus constitutionnel70. Remis aux autorités civiles en décembre 1990, le document, qui décline sans fard le modus operandi de la réaction prétorienne, donne congé à ce récit, marqué par le « présentisme », selon lequel la prétendue « professionnalisation-dépolitisation » menée par le général-major Khaled Nezzar aurait présidé, au lendemain d’octobre 1988, à « la décision historique de désengager l’armée du pouvoir politique71 »…

22Écoutons plutôt les concepteurs de la « doctrine » de la réaction prétorienne : au chapitre de la pseudo-politique, dérouler « l’emploi judicieux et savamment orchestré des médias avec l’assistance de professionnels mettant à profit les activités culturelles, théâtrales, musicales et autres, en les orientant vers un but électoral », propager la « dépréciation de l’image du FIS », assurer « l’allocation matérielle directe ou indirecte » aux « formations démocratiques » et un « meilleur accès aux médias » à celles-ci ; au chapitre de la politique des « sales coups », œuvrer à la « division des courants religieux en provoquant, en exploitant et en avivant leurs antagonismes72 ».

23Or la libéralisation de l’espace public et des élections (de 1990 et 1991) révèle, en dépit de ce sabordage, les forces politiques réelles qui travaillent la société. Abdelkader Hachani, le dirigeant modéré du Front islamique du salut qui a réussi à écarter en juillet 1991 aussi bien les radicaux que les dirigeants proches du DRS, envoie au président Chadli, le 4 janvier 1992, une offre politique dont la modération tord le cou à la propagande « anti-intégriste » : primo, bien que majoritaire au premier tour des élections parlementaires tenu le 26 décembre 1991, le FIS appelle ses militants à voter au second tour – devant se tenir le 16 janvier 1992 – pour les candidats FLN ; secundo, le FIS s’engage à concéder la présidence du gouvernement et du Parlement ainsi que les portefeuilles clés de la Défense, de l’Intérieur et de l’Économie aux candidats du FLN des réformateurs (Mehri et Hamrouche) et du Front des forces socialistes de l’opposant historique Hocine Aït Ahmed73.

24Très lourdement impliquée dans la durabilité autoritaire, l’oligarchie prétorienne (qui se coalise autour des généraux Larbi Belkheir, Mohamed Mediene et Khaled Nezzar) appréhende ce compromis procédural comme la plus grande menace pesant sur sa survie et celle de l’État garnison qu’elle gouverne. Bertolt Brecht ne s’y est pas trompé ; le dramaturge a subsumé ce problème politique classique en des termes entrés depuis dans la postérité :

Ne serait-il pas / Plus simple alors pour le gouvernement / De dissoudre le peuple / Et d’en élire un autre74 ?

25Quid du sujet de la souveraineté ? « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle », affirme Carl Schmitt dans Théologie politique (1922)75. La solution prétorienne pour saper – outre le compromis procédural esquissé par les représentants des forces révélées par la représentation politique – les conditions de possibilité de la mobilisation politique de la société engage, sous couvert de « guerre civile », une contre-révolution prétorienne à coups de militarisation du conflit et de contre-insurrection armée. Alors que la survie de l’État autoritaire repose sur la cohésion et l’efficacité des appareils de coercition76 – eux-mêmes dépendants du savoir-faire de la police secrète –, le redéploiement stratégique que mène le DRS exige, au préalable, la reprise en main prétorienne sur l’ensemble du dispositif du pouvoir d’État : de la technostructure aux municipalités, des institutions de coercition à l’appareil judiciaire, de l’intelligentsia organique à l’appareil diplomatique, des publications officielles à la « presse indépendante », du « capitalisme des copains77 » aux « scandales » de corruption. La « situation exceptionnelle » instaurée par l’oligarchie prétorienne comprend, entre autres, l’arsenal qui suit : le rétablissement, subséquent à la sortie des réformateurs, le 4 juin 1991, du dispositif conditionnant toute nomination aux postes clés de la machine étatique aux fameuses « enquêtes d’habilitation » du DRS ; le décret dit présidentiel du 9 février 1992 portant instauration de l’état d’urgence ; ledit décret législatif relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme du 30 septembre 1992 ; l’arrêté interministériel du 25 juillet 1993 qui consacre le glissement de l’état d’urgence à l’état de siège78.

26La contre-révolution menée par l’oligarchie du DRS n’est pas seulement prétorienne, elle est aussi néolibérale. Particulièrement violente, celle-ci s’est perpétrée sous la forme d’une « destruction créatrice » : alors que la militarisation du conflit requiert le contrôle derechef de la polité, la « sale guerre » permet au gouvernement de l’oligarchique prétorienne d’entreprendre ce qui est en souffrance depuis l’infitah (l’ouverture économique) du début des années 1980 et que les réformateurs, bien qu’acquis à l’économie de marché, vont compromettre entre 1989 et 1991 : la néolibéralisation du système autoritaire-populiste. Alors que les conditionnalités du FMI servent de prétexte bien commode à la greffe du « capitalisme des copains », le climat de terreur imposé par la militarisation du conflit rend exorbitant le coût de toute opposition individuelle ou collective à la « thérapie de choc79 ». En effet, le gouvernement justifie la conclusion, en avril 1994, du programme d’ajustement structurel du FMI par l’argument de la « cessation de paiements ». Or Abdesselam Belaïd, chef du gouvernement de juillet 1992 à août 1993, a laissé une balance des paiements excédentaire de quelque 2 milliards de dollars, avant d’être remercié à la suite de son refus de recourir à l’« ajustement structurel » du FMI. Le surnommé « père de l’industrialisation de l’Algérie » aurait-il été coopté dans le dessin caché d’assumer la « thérapie de choc » ?

27Le DRS, confronté au dilemme prétorien depuis le coup d’État réactionnaire de janvier 1992, intensifie la pseudo-politique. Alors qu’un régime d’exception qui ne dit pas son nom s’institutionnalise à partir de février 1992 à coups de rafles et de « camps d’internement », la police politique redouble d’efforts pour vendre, à l’heure du « clash des civilisations », une narration de type « républicains contre fascislamistes », le dispositif mobilisant presse, intellectuels organiques et écrivains à succès. Est-ce un hasard si le parti de l’ordre est celui qui a, tel le « républicain » Saïd Saadi80, appelé tour à tour au coup d’État militaire de janvier 1992, vendu la thèse de la « guerre civile », appelé à la création des milices81 et plaidé avec ferveur la nécessité d’une « thérapie de choc » avant de soutenir la politique d’impunité et d’oubli engagée par le régime prétorien en 1999 ? Est-ce un hasard si les professionnels de la pseudo-politique, allant du « berbériste » Ferhat M’henni aux « NATO’s islamists82 » Merani et Nahnah en passant par les « technocrates » Ouyahia et Benbitour aient défendu la « thérapie de choc » ?

28Implacable, la rationalité de la contre-révolution néo-prétorienne néolibérale conduit ses protagonistes – allant de la prétendue « trotskyste » bien que farouchement anti-internationaliste Louisa Hanoune aux contre-révolutionnaires religieux Ali Djeddi, Madani Mezrag et Rabah Kebir – à s’inscrire dans le processus préempté par l’oligarchie prétorienne qui gouverne l’Algérie : l’incorporation dans les institutions de la pseudo-politique, la défense des politiques de l’impunité et de l’oubli, le cautionnement de la stratégie d’intégration dans le dispositif sécuritaire de l’OTAN, etc. L’ampleur et la sophistication de la stratégie prétorienne lancée après la première élection démocratique du pays de 1990 donne congé au discours historique conventionnel qui dénie crânement toute rationalité à ce processus historique – dont le paradigme est pourtant bien connu depuis le précédent chilien83.

29Le commandement de l’État garnison, percevant le danger – subséquent au mandat d’arrêt international lancé en 1998 contre Augusto Pinochet – que fait désormais peser la Cour pénale internationale sur la « communauté sécuritaire », hâte le renouvellement de la formule autoritaire. Spécialement depuis que le DRS, qui contrôle la grande politique de l’État garnison, a orchestré la visite historique effectuée, pour la première fois depuis l’indépendance de l’Algérie, par un très haut responsable de l’OTAN – le « Commander-in-Chief of the United States Naval Forces in Europe and Commander-in-Chief of NATO’s Southern Command » – le 10 août 199884. Or cette visite inaugurale et immensément stratégique qui scelle l’intégration de l’État algérien dans l’empire étatsunien a lieu un mois avant la démission du président-général Liamine Zeroual qui n’a pas reçu ce très haut responsable de l’OTAN. En dépit de son extrême importance, cette conjoncture a échappé aux spécialistes de la politique algérienne, ces derniers croyant remonter le rapprochement de l’État algérien avec l’OTAN à 2001, c’est-à-dire au « président civil » Abdelaziz Bouteflika.

30Le lien entre le mouvement géopolitique clé accompli par l’ex-« État révolutionnaire » et le lancement de la vraie-fausse « démilitarisation » du régime prétorien n’est guère fortuit. Alors que Liamine Zeroual n’avait pas encore fini sa troisième année de quinquennat, la « presse indépendante », plus que jamais sous le contrôle du DRS, lance, quelques jours à peine après la visite historique du haut responsable de l’OTAN, le thème de la « succession85 » et enclenche une campagne féroce contre le bras droit du président, l’ancien général Mohamed Betchine. L’UGTA, la très contrôlée centrale syndicale, n’est pas en reste : elle menace de recourir à la « grève générale » ! Une menace que cet appareil de la pseudo-politique a très vite abandonnée après l’annonce, le 11 septembre 1998, de la démission du président Zeroual.

Une démilitarisation ?

« Réaction », nuit où tous les chats sont gris et qui leur permet de psalmodier leur rengaine de veilleurs de nuit.
Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte

31C’est dans ce contexte qu’apparaît à Washington, le livre de William Quandt : Between Ballots and Ballets. L’ancien membre du National Security Council conclut son expertise par ces lignes :

For the moment, Algeria should be thought of as a country in the early stages of a difficult transition away from its authoritarian past. But it will not be surprising if Algeria reaches the goal of accountable, representative government in advance of many others in the region86.

32Bien qu’acclamée par les intellectuels organiques, les faits ont démenti cette prophétie. En effet, l’État profond édifié par le DRS durant la seconde contre-révolution prétorienne s’attelle à présent à peaufiner la « version 3.0 » du prétorianisme : la longévité du raïs en lieu et place des formules usées du « turnover des présidents » (1958-1965 ; 1992-1998) et du primus inter pares (1965-1988), la parenthèse de la « libéralisation politique » (1989-1991) étant refermée. Le pouvoir despotique, au centre duquel se trouve le général-major Mohamed Mediene, coopte Abdelaziz Bouteflika, le ministre des Affaires étrangères du régime Boumediene réputé acquis au néolibéralisme, sur la base d’un agenda quasi public : blanchir l’image internationale de l’État garnison, ternie par les massacres de la seconde contre-révolution prétorienne ; exécuter la politique de l’impunité et de l’amnésie ; ne pas remettre en cause l’insubordination de l’armée aux autorités civiles ; raffermir le « capitalisme des copains » et la néolibéralisation du système autoritaire-populiste ; donner une traduction diplomatique à l’intégration de l’État algérien dans l’« Empire étatsunien87 », celle-ci devant couvrir le rapprochement des services algériens avec leurs homologues américains dans le contre-terrorisme et l’intégration du dispositif sécuritaire de l’OTAN88. Le raïs pourrait, en contrepartie de la mise en œuvre de cet agenda de politique réelle, bénéficier de quelque marge de manœuvre et surtout de la longévité. Sans appareil ni base électorale, pas même de troupes, Bouteflika – écarté des affaires au début des années 1980 à la suite d’un « scandale de corruption » opportunément remonté à la surface lors de l’élection présidentielle de 1999 – ne risquait guère d’ébranler les assises de ce système prétorien, plus que jamais consolidé par les succès de sa stratégie de contre-révolution néolibérale. Certainement pas en tout cas après que l’État profond, qui exécute l’« élection-démonstration » de novembre 1995 – au cours de laquelle la violence s’est miraculeusement tue pour laisser place nette au déploiement, sur l’immensité du territoire algérien, de l’autoritarisme électoral –, ait précautionneusement fait mal élire le « président civil » en suscitant habilement la défection de tous ses rivaux – ces derniers, piégés par leur participation à une « élection sans la démocratie », n’ayant d’autre choix, pour préserver leur crédibilité et invalider un scrutin joué d’avance, que de se retirer en bloc la veille du jour du vote, laissant le candidat des prétoriens seul en lice89. Ce faisant, ils permettaient au patron du DRS d’accomplir pour ainsi le « crime parfait ».

33Le « président civil » n’a pas tardé à s’atteler à la tâche90. À une question sur la « torture pratiquée dans les sous-sols du DRS » posée au cours de la conférence de presse internationale tenue au lendemain de son « élection pas comme les autres » en avril 1999, le « président civil », adoptant une posture martiale, tonne : « Quels sous-sols, il n’y a pas de sous-sol… Notre maison est de verre91 ! » Quelques semaines plus tard, l’avocat de l’État garnison algérien salue longuement le Premier ministre israélien lors des très médiatisées funérailles du roi Hassan II, vendant ainsi de lui l’image d’un « président civil, libéral et ingénieux92 ».

34L’expert Hugh Roberts, reprenant à son tour la narration de la « démilitarisation » du régime sous Abdelaziz Bouteflika, affirme : « His success in outmanoeuvring this element of the army command (headed by Lt. General Lamari) and getting himself re-elected has entailed a dramatic strengthening of the presidency and has accelerated the army’s retreat from the political stage93. » Il n’en est rien. L’oligarchie de l’État profond, qui ambitionne d’accomplir sa domination sur l’ensemble du système, affecte à la formule de la « longévité du raïs » un objectif stratégique ancillaire : couvrir la purge de rivaux encombrants. La presse n’a-t-elle pas, pour relayer d’emblée ce récit, fait porter la paternité du remaniement militaire de février 2001 à Bouteflika, alors même que le mouvement, engagé au lendemain de la démission du président Liamine Zeroual en septembre 1998, consacre à l’évidence l’ascendant du collège des prétoriens ? Il en est de même de l’éviction du chef d’État-major et de ses alliés lors de la purge orchestrée dans le sillage de la présidentielle d’avril 2004 : le plébiscite de Bouteflika qu’orchestre la police politique – qui contrôle les arcanes de l’autoritarisme électoral94 –permettant la sortie des généraux-majors Mohamed Laamari et Larbi Belkheir, respectivement chef d’état-major de l’armée et directeur du cabinet de la Présidence. Ces derniers, s’apercevant, au sortir de la séquence de « construction de l’État comme crime organisé », de l’étendue du champ de pouvoir couvert par le patron du DRS, lançaient, en avril 2001, une opération politico-médiatique visant à déboulonner le général-major Mohamed Mediene. Au cours de cette entreprise, dont l’ampleur est restée sans équivalent à ce jour, l’implication du redoutable patron de la police secrète dans l’homicide politique du dirigeant modéré du FIS, Abdelkader Hachani, avait été avancée par plusieurs titres de la presse95

35C’est dire que Bouteflika, reconduit pour un troisième mandat en dépit de sa maladie, est l’otage de l’État profond, au même titre que le successeur de Mohamed Laamari à la tête de l’état-major de l’armée, le DRS achevant, avec le coup électoral de 2004, le contrôle sur la chaîne de commandement de l’armée, devenant ainsi une Armée au-dessus de l’armée96. Révélateur pertinent, le remaniement ministériel imposé en mai 2010 traduit bien la subordination institutionnelle de la présidence à l’État profond. Le DRS, qui a fait des « enquêtes » afférentes à la grande corruption un domaine réservé, orchestre derechef le déballage, par presse interposée, d’une série de « scandales » visant l’entourage immédiat du raïs Bouteflika. Dans ce système de gouvernement où la corruption participe d’un mécanisme institutionnel de contrôle politique et de régulation des conflits, le déballage médiatique de ces affaires provoque l’effet escompté par ses instigateurs : non plus seulement la chute, en mai 2010, des deux pièces maîtresses du président, les ministres de l’Intérieur et de l’Énergie, Noureddine Zerhouni et Chakib Khelil, mais aussi et surtout l’impotence institutionnelle terminale de la présidence. L’opération politico-médiatique orchestrée par le commandement de l’État profond atteint deux autres objectifs stratégiques : redorer l’image du DRS, ternie par la contre-insurrection armée, en le présentant sous le jour d’un service d’« enquêteurs » (sic) dévoués à la « lutte anticorruption », et imposer Athmane Tartag, protégé du puissant Mohamed Mediene, à la tête du contre-espionnage – en lieu et place du candidat défendu par ledit « clan présidentiel ».

36Les soulèvements populaires arabes précipitent l’élaboration de l’après-Bouteflika. Le DRS, qui détient le monopole sur l’ingénierie politique du régime depuis l’éviction des réformateurs tire trois principaux enseignements du séisme politique arabe. Primo, le ressentiment et la colère des laissés-pour-compte de l’autoritarisme néolibéral sont canalisés à travers le rejet du raïs et de son « clan », qui incarnent dans les représentations populaires l’autoritarisme et la corruption97 ; la puissance symbolique de la chute du « Pharaon » Moubarak permet à l’élite prétorienne de préserver l’armée qui constitue en Égypte tout à la fois un État dans l’État et un empire économique. D’où l’intérêt stratégique, pour le commandement de l’État profond, de jouer, à l’heure où le coup d’État de Sissi est plutôt bien accueilli par les grandes puissances occidentales, la carte Bouteflika IV, celle-ci permettant, grâce à la pseudo-politique, de renforcer l’illusion de la « dérive sultanienne98 » du régime et de radicaliser l’« opposition » et la « société civile » à moindres frais ; de sacrifier, dans l’éventualité d’un soulèvement populaire, le « clan présidentiel » afin de mieux préserver les secteurs clés de la formule autoritaire. Le troisième enseignement autoritaire concerne l’appel, lancé au cours des révoltes de Tunisie et d’Égypte, pour dissoudre les mukhâbarât. Au moment où le gouvernement tunisien annonce la dissolution officielle de la police politique, le DRS est contraint d’annoncer, pour graver dans le marbre autoritaire la thèse réactionnaire de la « futilité de la révolution99 », la fausse nouvelle de la « décapitation » et de l’« effeuillage » du DRS. D’autant que cette narration lui permet d’éviter d’endosser la responsabilité morale et politique du quatrième mandat ; de façonner l’après-Bouteflika derrière l’écran commode du « départ à la retraite » du « général Toufik » et de la « mise au pas du DRS ».

Dispositif narratif

Tout comme le Curieux de la fable de Krylov, Bélinsky n’a pas remarqué l’éléphant qui se trouvait dans le musée, n’ayant d’yeux que pour les insectes sociaux venus de France ; il n’est pas allé plus loin.
Fiodor Dostoïevski, Les démons

Political Language is designed to make lies sound truthful and murder respectable, and to give an appearance of solidity to pure wind.
George Orwell, Shooting an Elephant and other Essays

37Parvenu au faîte de sa puissance, le commandement de l’État profond est contraint, pour éviter coûte que coûte d’apparaître comme le gouvernement réel du pays, d’écrire la narration de cette soi-disant « restructuration-déstructuration » qui fait du DRS le « grand perdant de la présidence Bouteflika ». Les faits, que la machine de la pseudo-politique s’emploie à brouiller systématiquement, infirment ce récit : la « dissolution » de la police judiciaire de l’armée n’ampute en rien l’appareil de l’État profond spécialisé dans les affaires de grande corruption, les services secrets jouissant, depuis 1966, de la prérogative de désigner des officiers de police judiciaire parmi son effectif ; le « rattachement » supposé de la Direction centrale de la sécurité de l’armée et du service de presse à l’état-major – dont fait partie au demeurant le DRS – ne signifie en rien la capture de ces appareils stratégiques par le chef nominal des forces armées, la réalité du pouvoir se dérobant aux institutions formelles, comme l’a bien révélé l’isolement du général de corps d’armée Mohamed Laamari au lendemain du coup électoral du 8 avril 2004 ; les généraux-majors Tartag et Djebbar n’ont pas été « admis à la retraite » en septembre 2013 comme l’ont ressassé la presse et la pseudoscience de la « kremlinologie algérienne », aucune trace de ce limogeage ne figurant au Journal officiel à ce jour.

38Tirant enseignement de l’erreur fatale commise par Beria au lendemain de la mort de Staline100, le « général Toufik », qui a fait ses classes au KGB101, s’est employé méthodiquement à masquer son pouvoir derrière tantôt l’« homme fort de l’armée » (tour à tour Khaled Nezzar, Liamine Zeroual, Mohamed Laamari, Ahmed Gaïd Salah), tantôt la Présidence. Aussi, grâce à l’« opération quatrième mandat », le DRS consolide-t-il en réalité plus que jamais son emprise sur les pouvoirs de décision et d’exécution de l’État. Il peut ainsi, au terme d’un feuilleton de pseudo-politique, reprendre de plus belle le contrôle sur cette redoutable arme politique que constitue le levier des « investigations judiciaires ». En effet, le décret présidentiel no 14-183 du 11 juin 2014 portant « création, missions et organisation du service d’investigation judiciaire de la direction de la sécurité intérieure du département du renseignement et de la sécurité102 » formalise de jure le champ d’action de cet appareil du DRS, ce dernier embrassant un spectre extensible à souhait, allant de la « sécurité du territoire » à la « subversion ». La machine d’investigation judiciaire du DRS, qui récupère, sous le chapeau du « crime organisé », le contrôle sur les enquêtes relatives à la grande corruption, dispose désormais de quatre prérogatives décisoires entre toutes : la mise en place de brigades mobiles, la mise en œuvre de l’action de police judiciaire, la réquisition des juridictions et le traitement des dossiers de l’entraide judiciaire. Pour mieux renforcer l’imperméabilité et l’autonomie d’action de ce dispositif, ledit décret présidentiel qui inaugure la « présidence Bouteflika IV » précise désormais que « l’organisation du service d’investigation judiciaire de la direction de la sécurité intérieure, ainsi que les attributions de ses composantes sont fixées par le chef du département du renseignement et de la sécurité103 », et non plus, comme dans le texte de 2008, par décret du ministre de la Défense104. Cet arsenal, qui phagocyte l’appareil judiciaire à l’heure où la grande corruption n’épargne pas le haut commandement de l’armée105, achève, s’il en était encore besoin, de faire voler en éclats la thèse de la « perte du leadership » du DRS. D’autant plus que la loi du 5 août 2009 formalise par ailleurs l’arsenal de surveillance dont dispose déjà l’État profond. En effet, le texte que le « Parlement » a adopté discrètement et que les médias et les experts ont passé sous silence, stipule ce qui suit :

[…] il peut être procédé, pour des impératifs de protection de l’ordre public […] à la mise en place de dispositifs techniques pour effectuer des opérations de surveillance des communications électroniques, de collecte et d’enregistrement en temps réel de leur contenu ainsi qu’à des perquisitions et des saisies dans un système informatique106.

39Face à la faiblesse argumentative patente du récit hégémonique, l’annonce, le 13 septembre 2015, du « départ à la retraite » du général de corps d’armée Mohamed Mediene se veut la preuve, ultima ratio, de la véracité du récit : « Seize ans après son élection, Bouteflika enfin seul au pouvoir », s’exclame Le Figaro107 ! Si tel est vraiment le cas, pourquoi la présidence, dont les affaires sont dirigées officiellement depuis mars 2014 par le protégé du DRS, le revenant Ahmed Ouyahia108, n’a-t-elle pas publié à ce jour le décret de ce « départ à la retraite », comme cela a été dûment le cas du chef d’état-major de l’armée, le général de corps d’armée Mohamed Laamari109 ? Pourquoi le Journal officiel n’officialise-t-il pas la nomination du général-major Athmane Tartag à la tête du DRS, comme ce fut dûment le cas lors de l’intronisation de Mohamed Liamine Mediene à la tête de cet appareil en 1990 ou l’installation, dix ans plus tôt, de Larbi Belkheir aux commandes du Haut Conseil de sécurité ? Pourquoi le Journal officiel, qui authentifie la nomination du nouveau commandant de la gendarmerie110, ne confirme-t-il pas la prétendue chute du chef de l’État profond Mohamed Mediene et son remplacement par son protégé Athmane Tartag ? Cette manœuvre vise-t-elle à préempter, d’ores et déjà, la succession de Mohamed Mediene ou à vendre la nomination à venir du successeur de Tartag comme étant celle d’un « jeune professionnel n’appartenant pas à la génération des putschistes » ?

40Par-delà même la fragilité d’une narration tout entière ornée de fausses nouvelles, ces multiples angles morts révèlent une structure totalement éclipsée par les analyses convenues : l’État profond, qui a siphonné le pouvoir infrastructurel, contrôle une ressource politique stratégique entre toutes, celle de l’information. Le DRS, qui a su s’adapter au Zeitgeist de la postmodernité, a en effet fait du storytelling, l’art de raconter des histoires, un mode d’exercice du pouvoir et de résolution des conflits111. Aussi parvient-il à vendre, par journalistes, écrivains et intellectuels organiques interposés, les récits du « totalitarisme islamique », le « sacre du raïs », l’« automne des généraux », la légende dorée des « oligarques » Khelifa et Rebrab… Dans ce nouveau dispositif de gouvernement, les arguments rationnels qui établissent la pertinence d’une démonstration comptent moins que les codes narratifs qui racontent une histoire et assoient sa capacité à emporter l’adhésion.

41Cet épisode de pseudo-politique pourrait s’intituler : « Much Ado for Nothing ». Car le storytelling du « départ du général Toufik et de la dissolution du DRS », loin de provoquer une « révolution », procède bien plutôt d’une politique de l’illusion : celle qui s’emploie à rendre invisible « l’éléphant dans le musée », la célèbre métaphore de Dostoïevski restituant fort bien la place qu’occupe le DRS dans la polité algérienne. Aussi, la narration hégémonique de l’affaiblissement de cette institution procède-t-elle in fine du registre du mythe : soit, pour reprendre Roland Barthes, une « parole dépolitisée » qui œuvre à « évacuer le réel112 ».

En guise de conclusion

Il se peut que l’histoire soit faite par les vainqueurs mais, à long terme, les gains historiques de connaissance proviennent des vaincus.
Reinhart Koselleck, « Mutation de l’expérience et changement de méthode », L’expérience de l’histoire

42L’accident cardiovasculaire de Bouteflika a exposé au grand jour l’État profond, qui préfère gouverner derrière un écran institutionnel (le raïs, l’homme fort de l’armée, les oligarques). Or l’impotence de la présidence intervient au moment même où le DRS est engagé dans la mise en œuvre de la « version 4.0 » du prétorianisme algérien, les trois précédentes versions, celles du primus inter pares, du turnover des chefs d’État et de la longévité du président étant usées. Aussi le DRS se retrouve-t-il contraint, pour la pérennité même de son système de gouvernement, de déployer un dispositif narratif de diversion, seul en mesure de dresser des nappes de brouillard empêchant, à l’heure de l’infirmité présidentielle, le repérage de la mécanique de gouvernement. La rationalité de ce storytelling est implacable : renforcer l’illusion de la dérive autocratique de l’État ; projeter, par fausses nouvelles, le simulacre de l’« effeuillage » de la police secrète pour éviter d’endosser la responsabilité morale et politique du « quatrième mandat » ; façonner l’après-Bouteflika derrière l’écran de la « décapitation et de la mise au pas du DRS ». Mobilisant un appareil de propagande qui a fait ses preuves durant les années du « fascislamisme », l’establishment de l’État profond, qui va de la « presse indépendante » à l’autoritarisme électoral et judiciaire en passant par le « capitalisme de copinage », parvient à imposer son ordre narratif : celui-ci devant rendre invisible le régime institutionnel que la police politique a forgé durant un quart de siècle.

43Schattschneider ne s’y est pas trompé : « All forms of political organization have a bias in favor of the exploitation of some kinds of conflict and the suppression of others because organization is the mobilization of bias. Some issues are organized into politics while others are organized out113. » L’efficace de la stratégie menée par la police politique pour assurer la durabilité de la domination prétorienne transparaît au travers d’une institution structurante entre toutes : le consensus de l’ensemble de l’establishment-militaro-civil sur les termes qui définissent la communauté politique autour de ses deux contre-révolutions. La dictature du consensus renferme dans ses plis l’impensé de l’ordre autoritaire, le point aveugle de l’historiographie dominante : le refus fondateur de la Constituante. En effet, alors que Messali Hadj portait le programme de la fondation démocratique d’une communauté politique séculaire à partir de l’« élection d’une Constituante souveraine par un collège unique sans distinction de race ou de religion », les dirigeants du FLN, qui ont rompu avec la tradition révolutionnaire, préconisaient, eux, la « restauration de l’État algérien souverain… dans le cadre des valeurs islamiques ». Aussi la dictature du consensus se déploie-t-elle à travers une spirale de silences, celle-ci couvrant aussi bien les crimes commis – de Melouza à Bentalha – par les deux contre-révolutions que les choix géopolitiques adoptés par l’État garnison.

44La durabilité de la formule autoritaire algérienne est toutefois trompeuse, tant il est vrai que le coût de la domination prétorienne y est exorbitant ; il se traduit nolens volens par le processus de fragmentation de la communauté politique qui court depuis la première contre-révolution ; l’affaiblissement prononcé – par-delà la défection électorale – des institutions civiles non plus seulement de l’« État garnison 2.0 », mais de la communauté politique dans son ensemble.

Notes de bas de page

1 Ce texte, qui entend repenser le problème de la communauté politique algérienne dans une perspective institutionnelle historique, est une version augmentée et approfondie de mon article « Qui gouverne (réellement) l’Algérie ? » publié dans Politique africaine (no 142, 2016/2). Je voudrais remercier ici PolAf de m’avoir aimablement autorisé à le reprendre pour en faire l’ossature du présent texte. Sur la « troisième vague », lire Samuel Huntington, The Third Wave. Democratization in the Late Twentieth Century, Norman, University of Oklahoma Press, 1991.

2 Dan Slater, « Altering Authoritarianism : Institutional Complexity and Autocratic Agency in Indonesia », dans James Mahoney, Kathleen Thelen (dir.), Explaining Institutional Change. Ambiguity, Agency, and Power, New York, Cambridge University Press, 2010, p. 132-167 ; Mohammed Hachemaoui, « Changement institutionnel vs durabilité autoritaire. La trajectoire algérienne en perspective comparée », Cahiers d’études africaines, no 220, 2015/4, p. 649-685.

3 Wolfgang Streeck, Kathleen Thelen (dir.), Beyond Continuity, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 5.

4 James Mahoney, Kathleen Thelen, « A Theory of Gradual Change », dans Explaining Institutional Change, op. cit., p. 8.

5 Dan Slater, Sonia Fenner, « State Power and Staying Power: Infrastructural Mechanisms and Authoritarian Durability », Journal of International Affairs, vol. 65, no 1, automne-hiver 2011, p. 15-29.

6 Parmi ces heureuses exceptions, citons : Brian M. Downing, The Military Revolution and Political Change. Origins of Democracy and Autocracy in Early Modern Europe, Princeton, Princeton University Press, 1992 ; Thomas Ertman, Birth of the Leviathan. Building States and Regimes in Medieval and Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1997 ; Michael Mann, States, War, and Capitalism. Studies in Political Sociology, Cambridge, Basil Blackwell, 1988 ; Dan Slater, Ordering Power, New York, Cambridge University Press, 2010.

7 Stephanie Lawson, « Conceptual Issues in the Comparative Study of Regime Change and Democratization », Comparative Politics, 25, 1993, p. 187.

8 Hachemaoui, « Changement institutionnel vs durabilité autoritaire… », art. cité, p. 652.

9 Michael Mann, « The Autonomous Power of the State: Its Origins, Mechanisms and Results », European Journal of Sociology, 25, 1984, p. 185-213.

10 Id., The Sources of Social Power, vol. 2 : The Rise of Classes and Nation-States, 1760-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 55 ; Id., The Sources of Social Power, vol. 3 : Global Empires and Revolution 1890-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 13.

11 Id., The Sources of Social Power, vol. 2 : The Rise of Classes and Nation-States, op. cit., p. 59.

12 Anna Grzymala-Busse, « Time Will Tell? Temporality and the Analysis of Causal Mechanisms and Processes », Comparative Political Studies, 44, 2011, p. 1279.

13 Antonio Gramsci, Cahiers de prison, vol. III, Paris, Gallimard, 1978. Dans son cahier 13, Gramsci écrit : « […] Les phénomènes organiques donnent lieu à la critique historico-sociale qui s’en prend aux grands groupements, au-delà des personnes immédiatement responsables et au-delà du personnel dirigeant » (ibid., p. 376).

14 Mohammed Hachemaoui, « La corruption politique en Algérie : l’envers de l’autoritarisme », Esprit, 6, 2011, p. 122.

15 Parmi les ouvrages représentatifs de l’interprétation orthodoxe, citons : Lahouari Addi, L’Algérie et la démocratie, Paris, La Découverte, 1994 ; Mahfoud Bennoune, The Making of Contemporary Algeria 1830-1987. Colonial Upheavals and Post-Independance Development, New York, Cambridge University Press, 1990 ; Ali El Kenz (dir.), L’Algérie et la modernité, Dakar, Codesria, 1989 ; Gilles Kepel, Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard, 2000 ; Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Alger, Marsa, 2003 [1998] ; William Quandt, Revolution and Political Leadership : Algeria Between 1954 and 1968, Harvard, MIT Press, 1969 ; Id., Between Ballots and Ballots. Algeria’s Transition From Authoritarianism, Washington, Brookings Institution Press, 1998 ; James McDougall, A History of Algeria, New York, Cambridge University Press, 2017 ; Hugh Roberts The Battlefield, Algeria 1988-2002, Studies in A Broken Politiy, Londres, Verso, 2003 ; Benjamin Stora, La guerre invisible, Paris, Presses de Sciences Po, 2001.

16 Voir Mohammed Harbi, Le FLN mirage et réalités, Paris, Jeune Afrique, 1980.

17 Sur la dialectique entre révolution et contre-révolution, lire Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte dans Id., Les luttes de classes de France, Paris, Gallimard, 2002 ; Id., La guerre civile en France, dans Karl Marx et Friedrich Engels, Inventer l’inconnu, Paris, La Fabrique, 2008 ; Karl Marx, « Révolution et contre-révolution en Europe », dans Id., Œuvres (tome IV), Politique, 1, Paris, Gallimard, 1994 ; Arno Mayer, Les Furies 1789-1917, Paris, Fayard, 2002, chapitre 2 ; Charles Tilly, « The Analysis of a Counter-Revolution », History and Theory, 1, 1963, p. 30-58.

18 Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2013, p. 62.

19 Omar Carlier a tôt avancé cette critique dans Entre nation et jihad. Histoire sociale des radicalismes algériens, Paris, Presses de Sciences Po, 1995.

20 La question du pouvoir a fait l’objet, dans le champ de la sociologie politique, d’un intense débat depuis la publication par Charles Wright Mills de son célèbre Power Elite (New York, Oxford University Press, 1956). Cependant, depuis la fin des années 1970, l’hégémonie du paradigme « pluraliste » a peu à peu relégué la question du pouvoir politique à la marge de la science politique – particulièrement aux États-Unis. Voir Paul Pierson, « Power in Historical Institutionalism », dans Orfeo Fioretos, Tulia G. Falleti, Adam Sheingate (dir.), The Oxford Handbook of Historical Institutionalism, Oxford, Oxford University Press, 2016. S’agissant de la critique dévastatrice de l’école « pluraliste » du pouvoir, lire l’incontournable Steven Lukes, Power. A Radical View, Londres, Macmillan, 1974.

21 François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003.

22 Voir Samuel Huntington, Political Order in Changing Societies, Yale, Yale University Press, 1968.

23 J’ai mis au jour quelques-uns des « répertoires performatifs » de la contre-révolution – tels « l’invention de la tradition » de la zawiya (loge confrérique) et du ‘arsh (tribu), la corruption politique et les rapports de patrons à clients – dans Clientélisme et patronage dans l’Algérie contemporaine, op. cit.

24 Sur le parcours documenté de Mohamed Liamine Mediene, voir Hachemaoui, « La corruption politique en Algérie… », art. cité.

25 Pour reprendre les titres des unes des deux plus influents quotidiens algériens, El Watan et El Khabar, du 14 septembre 2015.

26 Amir Akef, « En Algérie, départ forcé pour le général Toufik, puissant chef du renseignement », LeMonde.fr, 13 septembre 2015. L’auteur de l’article est l’un des pseudonymes du correspondant du Monde en Algérie.

27 Mohand Aziri, « Ouyahia l’a confirmé hier. Bouteflika a dissous le DRS », El Watan, 31 janvier 2016. Sexagénaire, Ahmed Ouyahia, qui a été tour à tour ambassadeur au Mali en 1993, directeur de cabinet de la Présidence en 1994, chef du gouvernement de 1995 à 1998, ministre de la Justice puis ministre d’État de 1999 à 2003, chef du gouvernement de 2003 à 2006 et de 2008 à 2012, est notoirement connu par sa forte proximité avec le DRS. Imposé à Bouteflika comme à son prédécesseur, le protégé du DRS est nommé, depuis mars 2014, directeur de cabinet de la Présidence avec rang de ministre d’État.

28 Marc Bloch, Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre, Paris, Allia, 1999 [1921], p. 24-25.

29 Ibid., p. 28.

30 Inter alia Luis Martinez dans El Watan du 1er octobre 2015 (p. 2). Hugh Roberts, affirme, dans un entretien à Liberté (du 11 octobre 2015), le quotidien de Rebrab, le milliardaire étroitement lié au DRS, ce qui suit : « Avec le départ du général Mediène, c’est la victoire d’une faction, la victoire provisoire de la présidence […]. L’hypothèse la plus plausible est que Bouteflika et son clan puissent vouloir jouer l’arbitre de la succession… ». Dans A History of Algeria (op. cit.), une synthèse historique allant de 1512 à 2016, James McDougall n’échappe pas davantage à cet écueil.

31 Le lecteur voudra bien, s’agissant de cette ethnographie, se référer à Mohammed Hachemaoui, Clientélisme et patronage dans l’Algérie contemporaine, Paris, Karthala-Iremam, 2013.

32 Telles l’ancien chef d’état-major et ministre de la Défense Khaled Nezzar, l’ex-général Rachid Benyelles, l’ex-secrétaire général du FLN Abdelhamid Mehri, les anciens chefs du gouvernement Mouloud Hamrouche, Sid Ahmed Ghozali et Abdesselam Belaïd ou encore l’ex-gouverneur de la Banque d’Algérie Abdelouahab Keramane et l’ancien ministre de l’Économie Ghazi Hidouci.

33 Hachemaoui, « La corruption politique en Algérie… », art. cité.

34 Les homicides politiques et les complots scandent l’histoire contemporaine de l’Algérie. Lire inter alia, Hocine Aït Ahmed, L’affaire Mécili. Autopsie d’un crime d’État, Paris, La Découverte, 2007 [1989] ; Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN. 1954-1962, Paris, Fayard, 2002 ; Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalités. Des origines à la prise du pouvoir (1945-1962), Paris, Jeune Afrique, 1980 ; Mohammed Samraoui, Chroniques des années de sang, Paris, Denoël, 2003.

35 Voir Samuel Finer, The Man on Horseback. The Role of the Military in Politics, Boulder, Westview Press, 1988 [1962] ; Eric Nordlinger, Soldiers in Politics. Military Coups and Governments, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1977. Inscrit dans le sillage de Samuel Finer, le sociologue Eric Nordlinger construit trois sous-types : les prétoriens qui assument le gouvernement, ceux qui « arbitrent » le jeu et ceux qui jouent les « modérateurs » du conflit politique.

36 Carlier, Entre nation et djihad. Histoire sociale des radicalismes algériens, op. cit.

37 Frederik G. Bailey, Les règles du jeu politique. Étude anthropologique, Paris, PUF, 1971 [1969]. C’est le « collège des prétoriens » et non le « parti-État » ou la « présidence », qui a coopté le successeur de Houari Boumediene. Le collège des prétoriens décide, d’emblée, de réduire le périmètre du nouveau président par la création du poste de Premier ministre, la nomination de deux vice-ministres de la Défense et l’installation d’un Haut Conseil de sécurité.

38 Les Mémoires de Messali Hadj, Paris, Jean-Claude Lattès, 1982 ; Benjamin Stora, Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien (1898-1974), Paris, Le Sycomore, 1982 ; Jacques Simon, Messali Hadj. La passion de l’Algérie libre, Paris, Tirésias, 1998.

39 Pour reprendre les termes de la « résolution de politique générale » rédigée par Messali Hadj et adoptée par le premier conseil national du MTLD (4 septembre 1947). Voir Jacques Simon (dir.), Messali Hadj par les textes, Saint-Denis, Bouchène, 2000, « document 18 ».

40 Le thème central de la « restauration de l’État » figure dans les textes fondateurs du FLN, à commencer par la « Proclamation du 1er novembre 1954 » (qui parle de « restauration de l’État algérien souverain démocratique et populaire dans le cadre des valeurs islamiques ») ou celui de la formation, en septembre 1958, du Gouvernement provisoire de la République algérienne (qui inscrit la création du GPRA dans le cadre de « l’État restauré »). Voir Mohammed Harbi, Les archives de la révolution algérienne, Paris, Jeune Afrique, 1981, p. 102, p. 210.

41 Voir Colette et Francis Jeanson, L’Algérie hors la loi, Alger, Alger, ANEP, 2006 (1955), p. 302. Nous soulignons. Pour bien mesurer la rupture droitière du FLN, écoutons Messali Hadj développer sa conception du nationalisme et de l’indépendance : « notre nationalisme », précise-t-il en août 1937, est un « nationalisme libérateur qui ressemble à celui des révolutionnaires de 1789 », qui « lutte contre l’impérialisme » et « contre le féodalisme qui ravage notre pays ». Voir Messali dans les textes, op. cit., document 11.

42 Mémoires de Lakhder Ben Tobbal. Manuscrit.

43 Voir Jacques Simon, La Fédération de France de l’Union syndicale des Travailleurs algériens, Paris, L’Harmattan, 2002.

44 Inter alia Henri Alleg, La question, Paris, Minuit, 1958 ; Djamila Amrane, Les femmes algériennes dans la guerre d’Algérie, Paris, Plon, 1991 ; Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001 ; Pierre Vidal-Naquet, La torture dans la République. Essai d’histoire et de politique contemporaine, Paris, Minuit, 1972.

45 L’historiographie orthodoxe, qui qualifie Ramdane Abbane de « Jean Moulin algérien », passe sous silence cette politique d’éradication des nationalistes indépendantistes du MNA de Messali Hadj. Dans ses mémoires, Lakhder Ben Tobbal affirme que Ramdane Abbane avait pris la décision de recourir au « terrorisme urbain » de façon unilatérale.

46 Sur les catégories de « putsch », « coup d’État » et « pronunciamiento », lire Edward Luttwak, Coup d’Etat: A Practical Handbook, New York, Alfred A. Knopf, 1969.

47 Voir Christopher Clapham, Philip George David Edge (dir.), The Political Dilemmas of Military Regimes, Londres, Croom Helm, 1985.

48 Harold D. Lasswell, « The Garrison State », American Journal of Sociology, 46, 1941, p. 455.

49 Le concept subsume l’ensemble des actions – telle la création de forces armées parallèles à l’armée régulière – qu’un régime met en place afin de se prémunir contre les coups d’État. Voir James T. Quinlivan, « Coup-Proofing. Its Practices and Consequences in the Middle East », International Security, 2, 1999, p. 133-165.

50 Entretiens avec l’auteur, Alger, novembre 2010.

51 Entretien avec Rachid Benyelles (alors commandant de la base navale de Mars el Kebir et proche du colonel Chadli), Alger, juin 2002.

52 Amy Knight, Beria, trad., Paris, Aubier, 1994.

53 Hazem Kandil, Soldiers, Spies, and Statemen. Egypt’s Road to Revolt, Londres, Verso, 2012 ; John Waterbury, The Egypt of Nasser and Sadat. The Political Economy of Two Regimes, New York, Princeton, Princeton University Press, 1983. Il est significatif de relever l’emprunt, par un ex-officier supérieur de la police politique converti en politologue, de cette notion pour vendre la thèse de la perte de leadership du DRS. La presse et les politologues ont repris depuis cet « élément de langage ». Voir Hachemaoui, « Changement institutionnel vs. durabilité autoritaire… », art. cité.

54 Gregory J. Kasza, The Conscription Society. Administered Mass Organizations, New Haven, Yale University Press, 1995, p. 59.

55 Michel Foucault, Power/Knowledge. Selected Interviews and other Writings (1972-1977), New York, Harvester, 1980 ; on lira avec profit Andreas Glaeser, Political Epistemics. The Secret Police, the Opposition, and the End of the East German Socialism, Chicago, Chicago University Press, 2011 ; Marguerite Feitlowitz, A Lexicon of Terror. Argentina and the Legacies of Torture, Oxford, Oxford University Press, 1998.

56 Depuis l’indépendance, plusieurs intellectuels organiques ont occupé de hautes fonctions gouvernementales, tels l’idéologue Rédha Malek, le juriste Mohammed Bedjaoui, l’économiste Abdellatif Benachenhou ou les sociologues Nadji Safir (conseiller à la Présidence dans les années 1980) et Abdelkader Djeghloul (conseiller à la Présidence dans les années 2000).

57 Dans son Cahier 6, Antonio Gramsci écrit : « En politique, la guerre de mouvement dure tant qu’il s’agit de conquérir des positions non décisives et que toutes les ressources de l’hégémonie et de l’État ne sont donc pas mobilisées ; mais quand, pour une raison ou pour une autre, ces positions ont perdu leur valeur et que seuls comptent les positions décisives, alors on passe à la guerre de siège, serrée, difficile, qui requiert des qualités exceptionnelles de patience et d’esprit inventif » (Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position. Textes choisis et présentés par Razmig Keusheyan, Paris, La Fabrique, 2011).

58 Sur la police politique algérienne, voir Aït Ahmed, L’affaire Mécili. Autopsie d’un crime d’État, op. cit. ; Mohammed Harbi, « Au cœur du système : la sécurité militaire », dans Reporters sans Frontières (dir.), Le drame algérien. Un peuple en otage, Paris, La Découverte, 1996, p. 86-90 ; Catherine Simon, « La torture », dans Reporters sans Frontières (dir.), Le drame algérien…, op. cit., p. 61-62 ; Ghazi Hidouci, Algérie. La libération inachevée, Paris, La Découverte, 1995 ; Samraoui, Chroniques des années de sang, op. cit.

59 Plusieurs patrons de presse, éditorialistes et journalistes sont des officiers dont l’identité relève, pour certains d’entre eux, du secret de Polichinelle. Parmi d’autres citons : Abderrahmane Mahmoudi, Aïssa Khelladi, « O. Ber… », « Mo… B ». Entretiens anonymes avec trois patrons de presse et deux officiers supérieurs. Bien que bigarrés, les titres de la presse martèlent à l’unisson la propagande prétorienne relative au « terrorisme des groupes islamiques armés », tout en calomniant avec constance les travaux qui documentent les contre-vérités et zones d’ombre de cette construction étatique du discours historique. L’université et les « centres de recherche » – dont les responsables sont désignés par le gouvernement et non plus élus par leurs pairs – ne dérogent pas à ce dispositif disciplinaire. Il en est de même des maisons d’édition.

60 La manne publicitaire, qu’elle soit « publique » ou « privée », participe de ce dispositif. Sur l’inanité de la distinction public/privé, lire David Stark, « Recombinant Propriety in East European Capitalism », American Journal of Sociology, 4, 1996, p. 993-1027.

61 Mohammed Hachemaoui, « La rente entrave-t-elle vraiment la démocratie ? Réexamen critique des théories de “l’État rentier” et de la “malédiction des ressources” », Revue française de science politique, 2, 2012, p. 207-230.

62 Lounis Aggoune et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie. Crimes et mensonges d’États, Paris, La Découverte, 2004.

63 J’ai développé cette thèse dans Hachemaoui, « Changement institutionnel vs durabilité autoritaire… », art. cité ; Id., « Qui gouverne (réellement) l’Algérie ? », art. cité.

64 Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Alger, Marsa, 2003 [1998]. Aïssa Khelladi, le patron de cette maison d’édition, est un officier bien connu de la police politique. Intellectuel organique, il a été l’un des tout premiers à formuler, dans le champ des sciences sociales, la thèse de la « guerre civile » (Aïssa Khelladi, « Esquisse d’une géographie des groupes islamistes en Algérie », 77, Hérodote, 1995, p. 28-42). Récompensé, A. Khelladi est coopté comme conseiller à la Présidence après l’élection autoritaire qu’orchestre le DRS en 2004. Entretiens anonymes avec trois officiers supérieurs. Entretien avec Mohammed Harbi, Paris, février 2018.

65 Charles Tilly, « War Making and State Making as an Organized Crime », dans Peter Evans, Dietrich Rueschemeyer, Theda Skocpol (dir.), Bringing the State Back In, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 169-191.

66 Hachemaoui, « Changement institutionnel vs durabilité autoritaire… », art. cité, p. 661.

67 Mahoney, Thelen, « A Theory of Gradual Institutional Change », op. cit., p. 1-37.

68 Voir Mohammed Hachemaoui, « Permanences du jeu politique en Algérie », Politique étrangère, no 2, 2009, p. 309-321 ; Id., « La corruption politique en Algérie… », art. cité ; Clement M. Henry, Robert Springborg, Globalization and the Politics of Development in the Middle East, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

69 Le document est publié par le ministre de la Défense Khaled Nezzar d’alors dans ses Mémoires du général (Alger, Chihab, 2000, p. 228-231).

70 Journal officiel de la République algérienne, 63, 7 décembre 1991, p. 1961-1962.

71 Myriam Aït Aoudia, L’expérience démocratique en Algérie (1988-1992), Alger, Koukou éditions, 2016, p. 123.

72 Nezzar, Mémoires du général, op. cit., p. 228-231.

73 Abdelkader Hachani a transmis cette offre politique majeure au président Chadli par le biais d’Ahmed Taleb, fils du cheikh al Ibrahimi, et ancien ministre des Affaires étrangères. Ce dernier a fait cette révélation sur Al Jazeera : https://www.youtube.com/watch?v=swK2Fep8QUQ (Mai 2008). Abdelkader Hachani avait au préalable engagé des discussions avec les réformateurs Mehri et Hidouci ainsi qu’avec le démocrate Hocine Aït Ahmed. Entretiens avec Abdelhamid Mehri et Ghazi Hidouci, respectivement novembre 2010 à Alger et février 2011 à Paris. Abdelkader Hachani est emprisonné au lendemain du coup d’État réactionnaire du 11 janvier 1992 et maintenu dans une prison militaire en détention provisoire cinq années durant. Opposé à la politique prétorienne de l’impunité et de l’oubli, le très populaire Abdelkader Hachani est victime d’un assassinat politique le 22 novembre 1999 au cœur d’Alger. Avec ce régicide politique, l’État profond s’est désormais débarrassé de son plus dangereux opposant.

74 Bertolt Brecht, La solution dans Poèmes. Tome 7 (1948-1956), Paris, L’Arche, 2000.

75 Carl Schmitt, Théologie politique, trad. Jean-Louis Schlegel, Paris, Gallimard, 1988, p. 16.

76 Stanislaw Andrzejewski, Military Organization and Society, Londres, Routledge/Kegan Paul, 1954, p. 71 ; Theda Skocpol, États et révolutions sociales, Paris, Fayard, 1985, p. 85.

77 Voir Hachemaoui, « La corruption politique en Algérie… », art. cité ; Clement M. Henry, « Political Economies of the Maghrib », dans David S. Sorenson (dir.), Interpreting the Middle East, Boulder, Westview, 2010, p. 185-213.

78 Hachemaoui, « La corruption politique en Algérie… », art. cité, p. 125.

79 Entretiens avec Abdesselam Belaïd, Alger, octobre 2000. Le gouverneur de la Banque d’Algérie de l’époque a confirmé à l’auteur la véracité du chiffre avancé par Abdesselam Belaïd. Entretiens avec Abdelouahab Keramane, Paris, février 2012.

80 Selon la sociologue Fanny Colonna, qui a participé au congrès de lancement du RCD qui s’est tenu en février 1989 à Alger, il y avait parmi les membres fondateurs de la formation du « démocrate Saïd Saadi », des figures de proue de la première contre-révolution prétorienne à l’instar de Lakhder Ben Tobbal. Entretien avec l’auteur, Alger, 2010. Saïd Saadi a promu au cours de la seconde contre-révolution des figures majeures de la première contre-révolution prétorienne à l’instar de celle du colonel Amirouche, lequel s’est illustré par l’éradication des anti-Messalistes en Kabylie. Saïd Saadi, Amirouche, Alger, 2010. Le fils du colonel Amirouche, Norredine Aït Hamouda, qui a constitué une milice en Kabylie durant la contre-insurrection armée des années 1990, a longtemps été député et bras droit du président du RCD Saïd Saadi. Voir Mohammed Hachemaoui, « La représentation politique en Algérie. Entre médiation clientélaire et prédation », Revue française de science politique, 1, 2003, p. 53-72.

81 Le Monde, 27 septembre 1994. À la question « Seriez-vous prêt, pour éviter l’irréparable, à appeler la population à la lutte armée avec l’appui d’une partie des militaires ? », Saïd Saadi, qui se définit dans le même entretien comme « allié » de l’armée, répond : « Disons que je ne souhaiterais pas, dans ce cas de figure, être pris au dépourvu. » Ce disant, il affiche sa sympathie pour le « modèle tunisien » de Ben Ali : « S’il est possible de trouver un parti islamiste preneur de ce “cahier des charges” qui interdirait l’immixtion du religieux dans le champ politique comme en Tunisie, alors pourquoi pas ? »

82 Islamistes atlantistes.

83 Inter alia Pamela Constable, Arturo Valenzuela, A Nation of Enemies: Chile Under Pinochet, New York, Norton, 1992.

84 Tayeb Belghiche, « L’OTAN se rapproche des Algériens », El Watan, 11 août 1998, p. 1 et 3.

85 El Watan, 19 août 1998, p. 2.

86 Quandt, Between Ballots and Ballets…, op. cit., p. 164. Préparant l’« élection » d’Abdelaziz Bouteflika en avril 1999, une narration hégémonique vendait la thèse de la « division du haut commandement militaire quant au choix du successeur de Zeroual ». Lahouari Addi reprend le mantra de ce récit dans son article « L’armée algérienne se divise », Le Monde diplomatique, mars 1999, p. 1, 8, 9.

87 Chalmers Jonhson, The Sorrows of Empire. Militarism, Secrecy, and the End of the Republic, Londres, Verso, 2004 ; Rashid Khalidi, Resurrecting Empire, Boston, Beacon, 2004.

88 Sur la coopération très étroite entre le DRS et les services secrets étasuniens, lire les deux ouvrages documentés de l’anthropologue britannique, Jeremy Keenan : The Dark Sahara. America’s War on Terror in Africa, Londres, Pluto, 2009 ; Id., The Dying Sahara. US Imperialism and Terror in Africa, Londres, Pluto, 2013.

89 La contestation des résultats d’un « scrutin sans la démocratie » n’a de rationalité que dans la pseudo-politique, celle consistant, en l’occurrence, à participer à une élection autoritaire pour en dénoncer après coup les résultats.

90 Ce « storytelling » est lancé dès la démission du président Zeroual. L’ancien ministre de la Défense Nezzar accuse publiquement (dans Le Matin du 13 septembre 1998) le « présidentiable » Abdelaziz Bouteflika d’avoir refusé l’offre de cooptation à la tête de l’État qui lui aurait été faite par le haut commandement de l’armée en 1994. Sous l’apparence de l’attaque ad hominem, l’allié du patron du DRS venait à la vérité de vendre le mythe du « raïs Bouteflika qui a dit non à l’armée »…

91 Observation participante. Le journaliste ayant posé la question, épargné par l’appareil judiciaire de l’État garnison, animera quelque temps plus tard une émission à la radio officielle.

92 Dans ses Mémoires, le général-major Khaled Nezzar critique violemment le mouvement national palestinien et plaide en faveur de la reconnaissance, par le gouvernement algérien, de l’État israélien. Nezzar, Mémoires du général, op. cit., p. 115. Nous retrouvons une structure discursive similaire dans les écrits des intellectuels organiques les plus en vue. Inter alia Kamel Daoud, « Ce pourquoi je ne suis pas “solidaire” de la Palestine », Le Quotidien d’Oran, 12 juillet 2014, p. 3.

93 https://publications.parliament.uk/pa/cm200405/cmselect/cmfaff/36/5020105.htm. Lahouari Addi esquisse au début des années 2000 une analyse similaire. Dans un article publié dans Le Monde diplomatique d’avril 2001 (p. 1, 12-13), l’influent expert souligne « les formidables espoirs suscités, en avril 1999, par l’élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République » et conclut : « Les conditions (d’une solution négociée à la crise algérienne) sont désormais plus favorables, sous les auspices de M. Bouteflika, dont il faut espérer qu’il saura renvoyer les militaires dans leurs casernes. »

94 Sur l’autoritarisme électoral, lire Hachemaoui, Clientélisme et patronage dans l’Algérie, op. cit.

95 Voir El Watan et L’Authentique des 13 et 14 avril 2001. El Watan du 15 avril 2001, publiant pour la première fois la photo du tout-puissant patron du DRS, titre en une : « Toufik partant ? ».

96 Hachemaoui, « Changement institutionnel vs durabilité autoritaire… », art. cité.

97 Ibid.

98 Sur les « sultanistic regimes », lire Houchang Chehabi, Juan Linz (dir.), Sultanistic Regimes, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1998. Pour accréditer en amont l’élection autoritaire de 2004, l’ancien chef d’état-major et ministre de la Défense Khaled Nezzar publie un pamphlet intitulé Le sultanat de Bouteflika (Marseille, Transbordeur, 2013).

99 Albert O. Hirschman, Deux siècles de rhétoriques réactionnaires, Paris, Fayard, 1992. Les thèses réactionnaires de l’« effet pervers » et de l’« inanité du changement » constituent l’alpha et l’omega de la vulgate véhiculée par les médias et les intellectuels organiques de la polité prétorienne. Au lendemain de la chute du despote Ben Ali, le célèbre romancier Rachid Boudjedra affirme, dans Le Monde (11 avril 2011), l’entrée de la Tunisie dans la guerre ! Et l’intellectuel organique, qui a plaidé en faveur du général-major Khaled Nezzar – dans le procès que l’ancien ministre de la Défense a intenté contre le sous-officier déserteur Habib Souadia (voir Le procès de la sale guerre, op. cit.) – d’expliquer l’énigme de la démobilisation de la population algérienne durant les soulèvements populaires de 2011 par l’argument réactionnaire de l’inanité du changement : l’Algérie aurait effectué déjà sa révolution… Son confrère Kamel Daoud affirme urbi et orbi dans Le Point (no 2204, 11 décembre 2014, p. 162), le magazine néolibéral du magnat de l’industrie du luxe, cette sentence : « À quoi servent les révolutions chez les “Arabes” ? À faire un long détour pour revenir au point de départ. Ou presque. » Aucun reportage n’a été consacré à ce jour (27 février 2018) par la « presse indépendante » algérienne aux travaux de l’« Instance Vérité et Dignité » au cours desquels de poignants témoignages de victimes de la torture pratiquée par le régime autoritaire tunisien depuis l’indépendance sont retransmis en direct à la télévision.

100 Beria, grisé par son pouvoir, a exhibé sa puissance dès avant l’enterrement de Staline, provoquant ainsi une coalition qui a vite eu raison de lui. Voir Knight, Beria, op. cit.

101 Hachemaoui, « La corruption politique en Algérie… », art. cité.

102 Journal officiel de la République algérienne, 32, 12 juin 2014, p. 4-5.

103 Ibid., article 11, p. 5.

104 « Décret présidentiel no 08-52 du 9 février 2008 portant création et missions du service central de police judiciaire des services militaires de sécurité du ministère de la Défense nationale », Journal officiel de la République algérienne, 8, 13 février 2008, p. 5-6.

105 Salima Tlemçani, « Mystère autour des crashs d’avions militaires », El Watan, 2 décembre 2014 ; Kamel Daoud, « De la grande muette à la grande bavarde », Le quotidien d’Oran, 3 décembre 2014 ; Abed Charef, « Une affaire de corruption éclabousse l’armée, Gaïd Salah paraît visé », Maghreb Émergent, 2 décembre 2014. Aucun des trois journalistes n’a été poursuivi en justice par le chef d’état-major de l’État garnison – tous les trois ayant véhiculé la narration de l’affaiblissement du DRS et de la dérive « monarchique » du régime sous l’emprise de la « maison des Bouteflika ».

106 Journal officiel de la République algérienne, 47, 16 août 2009, p. 4-7. Ledit décret présidentiel du 8 octobre 2015 renforce considérablement la « direction de la surveillance préventive et de la veille électronique ». Les titres de la « presse indépendante » algérienne, qui ont évoqué partiellement le contenu de ce décret afin d’appuyer la narration de « l’affaiblissement du DRS et l’omnipotence du président Bouteflika », ont omis, à l’unanimité, de rappeler la « loi du 5 août 2009 » à laquelle se rattache pourtant le texte du 8 octobre 2015. Un documentaire de la BBC révèle l’acquisition par le gouvernement algérien d’un arsenal de surveillance de masse : http://www.bbc.com/news/av/world-middle-east-40281963/how-bae-sold-cyber-surveillance-tools-to-arab-states Cette enquête documentée n’a pas intéressé outre mesure la « presse libre » algérienne.

107 Le Figaro, « Seize ans après son élection, Bouteflika enfin seul au pouvoir », 5 septembre 2015, p. 9. Le correspondant en Algérie du journal de Serge Dassault était alors responsable éditorial à El Watan ayant diffusé, depuis l’AVC du chef de l’État, le récit de la « dérive monarchique » du régime et de la « décapitation du DRS » sous Saïd, le frère du raïs, le « vice-roi ».

108 Journal officiel de la République algérienne, 15, 19 mars 2014, p. 10. Les pouvoirs d’Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet de la présidence, se sont par surcroît largement étendus durant l’été 2015, le protégé du DRS contrôlant aussi la direction générale du protocole et la direction de la presse et de la communication. Lire le Journal officiel de la République algérienne du 5 août 2015, p. 18.

109 « Décret présidentiel du 3 août 2004 mettant fin aux fonctions de chef d’état-major de l’armée populaire nationale exercées par le général de corps d’armée Mohamed Laamari », Journal officiel de la République algérienne, 49, 8 août 2004, p. 24.

110 Ibid., p. 19.

111 Francesca Polletta, It Was a Fever. Storytelling in Protest and Politics, Chicago, Chicago University Press, 2005.

112 Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1970 [1957], p. 230.

113 Elmer Eric Schattschneider, The Semisovereign People, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1960, p. 69.


Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.