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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Des rebelles ordinaires : Albert Pope et ses complices De la rébellion : quelques remarques préliminaires Rébellion et société politique Grammaire de la rébellion Se défaire du concept de révolte Notes de bas de page Auteur

    Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Dialogue ou contestation ?

    La rébellion comme langage et culture politique en Europe à la fin du Moyen Âge

    Dialogue or protest? Rebellion as language and political culture in Europe at the end of the Middle Ages

    Vincent Challet

    p. 94-107

    Résumés

    Les historiens médiévistes ont parfois peiné à appréhender le phénomène de la rébellion dans sa globalité et à le percevoir, non plus seulement comme un débordement de violences, mais aussi comme un procédé permettant de renouer un dialogue avec le pouvoir. C’est donc le concept même de révolte qui reste à déconstruire en parvenant à se départir de la notion d’absolu que nous lui attachons. Si le terme de révolte n’existe pas avant 1501, c’est aussi parce que le « révolté », loin de se considérer comme un révolté, voit dans sa rébellion l’outil nécessaire d’ouverture d’un espace public. Une telle analyse permet de reconsidérer la fonction de la rébellion en même temps que sa finalité : elle constitue un mode accepté, structurel de communication politique entre populaires et élites et joue, mutatis mutandis, le rôle dévolu aux manifestations dans nos sociétés démocratiques. De ce fait, elle participe, non d’un mouvement de refus, mais d’une contribution active au processus d’édification et d’adaptation de la monarchie et des gouvernements urbains.

    Medievalist historians have sometimes struggled to understand the phenomenon of rebellion as a whole and to consider it not only as an outbreak of violence but also as a process to re-enter into dialogue with the power. It is therefore the concept itself of revolt that still has to be deconstructed by getting rid of the notion of “absolute” that we attach to it. If the term “revolt” does not exist before 1501, it is also because the “rebel”, far from considering himself a rebel, sees in his rebellion the necessary tool for opening a public space. Such an analysis makes it possible to reconsider the function of the rebellion and its purpose as well: it constitutes an accepted, structural mode of political communication between the people and the elites and plays mutatis mutandis the role conferred to demonstrations in our democratic societies. As a result, it does not relate to a movement of rejection, but to an active contribution to the process of building and adapting the monarchy and the urban governments.

    Texte intégral Des rebelles ordinaires : Albert Pope et ses complices De la rébellion : quelques remarques préliminaires Rébellion et société politique Grammaire de la rébellion Se défaire du concept de révolte Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    « Ils iraient croire la révolte aussi absolue que la guerre, pour la traiter par des moyens analogues. Quelles balivernes que les analogies dans les affaires humaines ! User des procédés de la guerre contre une révolte, c’est aussi sale et aussi long que manger de la soupe avec un couteau1. »

    Des rebelles ordinaires : Albert Pope et ses complices

    1Le 7 août 1357, en réponse à une requête des consuls de Montpellier, le roi de France, Jean le Bon, ordonne au bayle de la ville ou à son lieutenant de procéder à l’encontre d’Albert Pope, cultor et laborator, et de ses complices, de se saisir d’eux et de leurs biens où qu’ils puissent se trouver – à l’exception des lieux sacrés protégés par le droit d’asile –, d’ouvrir une enquête et, si leur culpabilité est avérée, de leur appliquer un châtiment qui puisse servir d’exemple. Il est également prévu qu’au cas où le bayle ne pourrait se saisir d’eux et qu’ils refusent de s’expliquer devant la justice, une peine de bannissement soit prononcée à leur encontre. Le parchemin qui nous a conservé cette décision porte même au dos un petit dessin à l’encre noire qui ressemble furieusement à celui de fourches patibulaires sans que l’on puisse pour autant déterminer avec précision à quel moment ce dessin a été rajouté2. Mais de quel crime Albert Pope et ses complices ont-ils bien pu se rendre coupables pour être ainsi livrés à la vindicte consulaire et au bras armé de la justice royale, soucieuse d’éviter un grave péril pour la ville et les lieux circonvoisins et souhaitant éviter qu’un magnum scandalum puisse en découler3 ? En réalité, ils n’ont rien fait d’autre que se réunir entre eux – se rendant ainsi coupables de congrégation et de monopole illicite – et d’inciter le peuple à désobéir aux consuls en refusant de contribuer au paiement des tailles et autres collectes que les magistrats urbains venaient de mettre en place pour, entre autres choses, contribuer au renforcement des fortifications urbaines4. Une telle attitude, pourtant, suffit à les faire qualifier de rebelles par le pouvoir consulaire et royal. Quelques années auparavant, en mai 1349, les magistrats s’étaient déjà adressés au roi de France pour faire réprimer un mouvement de vignerons et d’autres ouvriers agricoles qui n’avaient pas hésité à transgresser les ordonnances édictées par les consuls tant en matière de salaires qu’à propos du prix de vente des vivres5. Il est loisible de reconnaître dans un tel mouvement une tentative des ouvriers agricoles de s’opposer à la limitation des salaires décidée par nombre de gouvernements urbains pour freiner leur augmentation consécutive à la saignée démographique occasionnée par la grande peste de 1348 et ceci bien avant la grande ordonnance promulguée à ce sujet par Jean II, le 30 janvier 13516. Noyées entre le grand mouvement des populares des années 1323-13257 et la sanglante révolte qui embrasa la ville en 13798, ni les assemblées conduites par Albert Pope et par ses complices, ni l’agitation de ses prédécesseurs pour exiger des salaires plus élevés n’ont véritablement laissé d’autres traces dans le corpus documentaire montpelliérain que ce léger frémissement archivistique. Elles n’en constituent pas moins, aux yeux des pouvoirs consulaire et royal, de véritables rébellions susceptibles d’entraîner un magnum scandalum, expression dont on observera qu’elle est précisément celle employée par les lettres de rémission délivrées par Louis d’Anjou à la suite de la sédition de 1379 qui avait vu le massacre de ses officiers.

    De la rébellion : quelques remarques préliminaires

    2Un tel exemple – qui ne constitue pas, loin de là, un hapax dans la documentation conservée – témoigne admirablement du caractère éminemment englobant et surplombant de la notion juridique de rebellio pour les autorités qui la manient9, mais n’éclaire pas pour autant beaucoup plus l’historien sur ce qui constitue une rébellion et ce qu’elle signifie réellement pour ceux qui la pratiquent et s’en saisissent comme d’un outil à part entière du politique. On remarquera d’ailleurs que tous ceux qui se sont risqués à donner une définition de la rébellion pour les époques médiévale et moderne se sont heurtés aux pires difficultés conceptuelles. Et ceci depuis Yves-Marie Bercé proposant, en son temps, d’appeler « révolte populaire la formation d’une troupe populaire armée, qui réunisse dans son sein des participants venus de plusieurs communautés d’habitat distinctes et qui se maintienne sur pied pendant plus d’un jour10 », à Jean Nicolas lui substituant la notion de « mouvement populaire » en établissant un seuil de violence collective dès lors qu’un groupe d’au moins quatre individus n’appartenant pas à la même famille s’en prend directement à un ou plusieurs représentants d’un pouvoir ou aux biens et symboles de ce pouvoir, ce qui permet de « descendre jusqu’au niveau d’écoute de l’à peine perceptible, celui des prises de conscience élémentaires11 ». Critères plus matériels en définitive que véritablement conceptuels et qui ont pour inconvénient de niveler les amplitudes observées dans la rébellion et de présupposer une continuité absolue entre le moindre frémissement contestataire et la prise d’armes de communautés entières, ce qui n’a, a priori, rien d’évident12. L’un des problèmes que ne peut manquer de rencontrer l’historien médiéviste, contraint de travailler sur un phénomène que ne désigne pleinement pour sa période aucun mot – celui de révolte au sens « d’action de se révolter contre l’autorité établie » n’apparaissant en français pour la toute première fois qu’en 1501 sous la plume de Jean d’Auton, auteur de Chroniques de Louis XII13 –, est précisément l’obscurcissement volontaire que provoque l’emploi tout autant rhétorique que pléthorique de la notion de rebellio par les autorités royales et/ou communales. Un tel usage jette un voile juridique tant sur les prises d’armes paysannes de grande ampleur que sur les moindres frémissements à connotation sociale ou la contestation de l’utilisation du montant de l’impôt – trop rapidement et trop abusivement qualifiée de révolte fiscale14. Tout ceci ne facilite guère une fine appréhension du phénomène rébellionnaire d’autant qu’il convient de se départir de l’image léguée à la fois par les chroniqueurs médiévaux et par les sources judiciaires, qui voient dans tout mouvement de contestation une irruption aussi violente qu’inacceptable des « populaires15 » dans le champ ordinaire de la vie politique et un renversement des normes en usage au sein de la société politique.

    3Pourtant, en estimant qu’aux « yeux de l’historien qui n’a qu’à noter et à expliquer les liaisons des phénomènes, la révolte agraire apparaît aussi inséparable du régime seigneurial que, par exemple, de la grande entreprise capitaliste, la grève16 », Marc Bloch avait, voici longtemps, ouvert une voie qui méritait tout à la fois d’être explorée et transposée dans le contexte du renforcement des gouvernements urbains et de la formation des États monarchiques à la fin du Moyen Âge en s’interrogeant sur le caractère consubstantiel de la révolte et de la genèse de l’État moderne en Europe à compter du xiiie siècle. C’est d’ailleurs à cet aspect particulier que s’attachèrent, dans un volume intitulé Résistance, représentation et communauté, Peter Blickle et, pour le domaine français, Hugues Neveux ou Jean Nicolas, notant l’attitude très ambivalente de la royauté française vis-à-vis des mouvements de résistance attestés durant l’époque moderne : « D’un côté, certes, la répression, très souvent brutale et sanglante, mais de l’autre le dialogue plus ou moins tensif, le conflit-négociation qui a donné au pouvoir le moyen de perdurer17. » Si bien qu’aujourd’hui, dépassant même ce simple point de vue, nombre d’historiens ne manquent pas de considérer que la rébellion a non seulement constitué le corollaire quasi indissoluble de la formation des États monarchiques à partir de la fin du Moyen Âge, mais qu’elle a joué un rôle fondamental dans le processus même de la construction de l’État18. Cependant, un tel renversement de positions qui incite à voir dans la rébellion non plus un simple mouvement de résistance à l’instauration de l’appareil monarchique – « la révolte n’est jamais pour, elle est contre par son essence même », écrivait encore Guy Fourquin en 197219 –, mais un rouage essentiel et indispensable à la construction de cet État ne peut que nous inciter à reconsidérer la notion même de rébellion et à n’y voir rien d’autre qu’un instrument du politique, le seul qui demeurait à la disposition de ceux qui ne bénéficiaient pas d’une voix institutionnelle ou officielle, mais qu’il serait pourtant injuste d’exclure sans autre forme de procès de la « société politique » du bas Moyen Âge20.

    Rébellion et société politique

    4Dans un article co-écrit avec Ian Forrest21, nous avions pu montrer que, dans les royaumes de France et d’Angleterre à la fin du Moyen Âge, la rébellion constituait, en cas de blocage institutionnel et aux côtés d’une voix prophétique et d’une voix émotionnelle22 toujours possibles, un procédé presque ordinaire et reconnu de nouer ou de renouer un dialogue avec le pouvoir royal ou, dans le cas de conflits internes à des communautés urbaines, avec les élites des consulats ou des communes. Une attention soutenue au langage adopté par ceux que nous avons tendance à considérer aujourd’hui comme des rebelles suffit à comprendre que jamais ceux qui prennent les armes ne tiennent le langage de la rébellion mais que, bien au contraire, ils se cantonnent à employer un vocabulaire strictement inclusif qui vise bien à les faire apparaître comme des acteurs à part entière de la société politique dans laquelle ils se meuvent. De ce point de vue, les prétentions des rebelles anglais de 1381 à représenter les « true commons of England23 » – sensibles notamment dans leur mot de passe : « With whom haldes you? Wyth kynge Richarde and wythe the trew communes » – de même que les descriptions de la jacquerie comme un mouvement des communes plutôt qu’une rébellion des non-nobles contre les nobles ou encore l’autodésignation des paysans languedociens comme des companhos plutôt que des Tuchins sont autant d’indices de leur volonté propre d’être considérés comme des membres agissants de la communitas regni et non des révoltés en rupture de ban. Sans doute gagnerions-nous en compréhension à prendre de telles assertions au sérieux. De même, l’affirmation constamment répétée par les paysans d’Île-de-France ou du Languedoc de ne prendre les armes que pour obéir à des ordonnances royales les autorisant à se défendre contre les réquisitions abusives et les pillages d’hommes d’armes24, la volonté autoproclamée d’agir au nom de l’utilitas publica ou du common weal ou la légitimation des exécutions – ainsi du chancelier du royaume d’Angleterre, l’archevêque de Canterbury Simon Sudbury, et du trésorier Robert Hales dans le cadre de la révolte anglaise de 1381 – au nom de la lutte contre les traîtres et dans le bien de l’intérêt du royaume attestent le désir des soi-disant rebelles de respecter les formes intrinsèques de la légitimité politique et de ne précisément pas apparaître comme des rebelles à l’ordre établi.

    Grammaire de la rébellion

    5Une telle constatation se lit plus clairement encore en analysant ce que nous avions appelé « la grammaire de la rébellion », c’est-à-dire non seulement les mots et les cris utilisés par les rebelles – et qui constituent non pas d’inaudibles vociférations assimilables à des cris d’animaux, comme le laissent entendre certains chroniqueurs25, mais bien des slogans politiques – mais aussi les lieux d’assemblée, les bannières arborées, l’usage du tocsin ou encore la manière d’élire des capitaines et de prendre contact avec d’autres communautés. Un examen approfondi de cette « grammaire de la rébellion » révèle, en effet, qu’elle faisait partie d’un langage politique commun à toute l’Europe occidentale26 – quoique, pouvant posséder également ses déclinaisons vernaculaires – qui se devait d’être parlé selon un certain nombre de règles et de procédés dont l’articulation seule lui permettait d’être reconnue par les pouvoirs en place en tant qu’action politique et non comme mouvement criminel dénué de signification. En d’autres termes, les rebelles se devaient d’agir conformément à un certain nombre de schémas clairement éprouvés de manière à éviter d’être considérés comme de simples pillards, ce qui n’aurait pas manqué d’advenir s’ils s’étaient par trop écartés de ce que l’on était en droit d’attendre du comportement de rebelles. De très nombreux exemples viennent montrer à quel point les rebelles furent soucieux de se conformer à un tel schéma qui les distinguait clairement, aux yeux de tous, de simples criminels. En 1358, Étienne Marcel confia à l’orfèvre Pierre Des Barres et à Peire Gili, un marchand d’épices originaire de Saint-Guilhem-le-Désert mais installé dans la capitale depuis de nombreuses années27, la direction d’une expédition militaire destinée à procéder à la destruction de manoirs possédés par des conseillers du roi et des membres du parlement de Paris. Cette compagnie militaire se rendit à Pomponne où Jean de Charny possédait l’un de ces manoirs et à Gonesse où Pierre d’Orgemont, premier président du parlement de Paris, avait également une résidence seigneuriale. Pierre Des Barres et Peire Gili ordonnèrent à leurs compagnons de se livrer à un démantèlement en règle de ces manoirs, mobilisant des charpentiers pour enlever les poutres et les tuiles et réquisitionnant les villageois, avant de se partager le butin et le bétail saisi à cette occasion28. Si l’opération se solda bien par une confiscation des biens de Pierre d’Orgemont, elle ne prit pas pour autant le visage d’un simple pillage mais adopta les formes d’un démantèlement en règle qui pouvait s’apparenter à une saisie d’huissier29. Le comportement adopté par les hommes de Wat Tyler à Londres en 1381 est plus éclairant encore. S’ils n’hésitèrent nullement à s’en prendre à la commanderie des Hospitaliers et au Savoy, palais qui était la propriété de Jean de Gand, duc de Lancastre et oncle détesté du roi Richard II, les rebelles se refusèrent néanmoins à y dérober le moindre objet de valeur afin de montrer publiquement qu’ils ne devaient en aucun cas être assimilés à des voleurs et préférèrent l’incendier, quitte à laisser se consumer dans les flammes l’argenterie du duc, l’ensemble de ses vêtements et même une remarquable tête de lit dont un chroniqueur nous précise qu’elle était estimée à pas moins de mille marcs30. S’il faut en croire Thomas Walsingham, qui n’est pourtant guère favorable à la sédition, Wat Tyler aurait même fait proclamer dans les rues de la capitale l’interdiction de voler le moindre objet, sous peine de mort, et ceci afin qu’il soit connu publiquement qu’ils n’étaient pas des larrons mais bien des rebelles31. Dernier exemple enfin, à l’occasion du Tuchinat, lorsque l’un des capitaines Tuchins fit remettre à la justice de Bagnols-sur-Cèze deux de ses hommes qui avaient assassiné et volé un marchand à qui, pourtant, ce même capitaine avait remis un sauf-conduit, et demanda à l’officier royal de les traiter comme larrons et meurtriers et de les envoyer à la potence. Autant de comportements qui attestent l’importance pour les rebelles – ou, du moins, pour leurs chefs – de se démarquer nettement d’une violence ordinaire et de ne pas laisser de prise à une criminalisation de la révolte de manière à entrouvrir la voie de la conciliation et du dialogue politique. Une telle analyse ne revient en aucun cas à minorer l’usage de la force au cours de ces mouvements mais, plus simplement, à interpréter tout recours à la violence comme un procédé tactique destiné à faire pression sur les autorités et donc comme une forme de violence plus calculée qu’irraisonnée et répondant à un agenda politique.

    6Au sein de cette « grammaire de la rébellion », la première des règles consistait précisément à réfuter l’idée même qu’il pouvait s’agir d’une rébellion et à afficher au contraire sa loyauté envers le souverain. En ce sens, la miniature qui figure en couverture de cet ouvrage, si elle constitue un véritable hapax dans le corpus des enluminures consacrées aux révoltes médiévales, n’en est pas moins emblématique de cette constante proclamation d’allégeance au roi. Illustrant, à un siècle de distance32, la fameuse rencontre à Blackheath33, aux portes de Londres que l’on aperçoit en arrière-plan, entre Wat Tyler et le prêtre John Ball qui s’apprête à prononcer son sermon sur le thème de « When Adam dalf, and Eve span, who was thanne a gentilman? », l’image se singularise à la fois par le traitement non dépréciatif de Wat Tyler – représenté ici avec son chaperon noir et sa bourse sur le côté comme un bourgeois en armes –, par le caractère très rangé d’une armée rebelle que rien ou presque ne distingue des représentations de l’armée royale et par l’impression d’apaisement qui se dégage de cette miniature, aux antipodes de la fureur désordonnée qui emplit d’ordinaire toute illustration d’une révolte. Certes, la présence en arrière-plan des croix de bois d’un cimetière peut jeter une note angoissante sur ce paysage et être interprétée comme le signe annonciateur de l’échec final du mouvement et de l’inéluctable répression qui devait s’abattre sur les insurgés. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là de l’une des très rares images mettant en scène une assemblée de rebelles en armes et non des actes criminels commis au cours d’une rébellion. Or, et de manière tout à fait conforme aux informations livrées par les chroniqueurs, cette miniature ne manque pas de rendre apparentes les bannières arborées par les rebelles du Kent et de l’Essex qui portent, d’une part, un écartelé des armes de France et d’Angleterre et, d’autre part, la croix de Saint-Georges. Dans le récit que Jean Froissart, qui ne leur est pourtant guère favorable, donne de la révolte, il ne manque d’ailleurs pas de préciser qu’à leur arrivée à Blackheath, les hommes de Wat Tyler « disoient en venant que ilz estoient au roy et au noble commun d’Angleterre34 » et que Richard II, afin de les apaiser, accompagna la délivrance de la charte d’abolition du statut de villeinage de la remise de bannières royales que les paysans s’engagèrent à suivre pour rentrer dans leur village. La concession de telles bannières et leur acceptation par les rebelles constituent un gage de loyauté en même temps qu’une revendication d’appartenance à la communauté du royaume et un tel échange, si signifiant visuellement, place le souverain et ses sujets dans le champ d’un dialogue de nature politique bien plus que dans celui du cycle rébellion/répression. Les jacques de 1358 n’agirent guère autrement en arborant dans leurs compagnies des étendards fleurdelisés. Et, si nous ne possédons aucune indication de ce type en ce qui concerne les bannières dont se firent précéder les Tuchins lors de leurs entrées dans les principales villes du Languedoc, c’est sans doute parce que la conscience d’appartenir à une communitas regni y était moins vive qu’ailleurs et que le mouvement était porteur de l’idée d’une deffensio patrie réduite à son acceptation de province et non conçue à l’échelle du royaume35. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que le Tuchinat ne témoigne pas, lui aussi, d’un désir d’inclusion des communautés rurales au sein de la société politique, désir que le manque notoire de représentativité des États de Languedoc ne pouvait en aucun cas satisfaire. En d’autres termes, et d’une manière que nous pourrions trouver paradoxale, les rebelles du Moyen Âge tâchent précisément d’éviter d’apparaître comme des rebelles et de tomber sous le coup de la qualification juridique de rebellio, laquelle est aussi et peut-être avant tout une disqualification politique, et le fait est qu’ils ne se revendiquent jamais rebelles, du moins au sens où nous l’entendons actuellement. Comme on le voit, de telles perspectives incitent à reconsidérer ces révoltes sous l’angle du politique et à n’y voir, in fine, que l’une des expressions possibles – ni ordinaire, ni tout à fait exceptionnelle – des revendications politiques des populaires en milieu urbain ou des communautés rurales.

    Se défaire du concept de révolte

    7C’est qu’en effet le concept de révolte reste probablement à déconstruire, à la suite des travaux fondateurs d’Hugues Neveux pour qui « le terme de “révolte paysanne”, si commode soit-il, n’a aucun fondement dans la réalité que l’on s’efforce, à travers lui, de saisir et de comprendre36 », en se départissant, dans la mesure du possible, de la notion d’absolu que nous lui attachons trop souvent. Comme le rappelait Thomas Edward Laurence, qui s’y connaissait en matière de rébellion, cette dernière, contrairement à la guerre, n’a rien d’absolu37 et peut se révéler, selon nos propres critères dont il faudrait discuter s’ils ne sont pas trop imprégnés par une vision marxisante de la révolte, décevante, inachevée et, somme toute, ne remettant guère en cause les structures mêmes de l’ordre établi. Mais n’est-ce pas précisément le caractère, à nos yeux, très relatif des soulèvements médiévaux qui nous laisse ce sentiment d’inachèvement ? Même à propos d’un mouvement qui, sous certains aspects, peut nous paraître aussi radical que celui des Ciompi florentins, nous avons parfois tendance à être déconcertés par la tiédeur de leurs revendications et, en particulier, par leur exigence de création d’un Art des Ciompi qui, de toute évidence, ne pouvait en aucun cas leur permettre de remettre en cause les structures de domination sociale et politique qui étaient en cours à Florence38. De même, l’arrêt soudain des pillages et des meurtres, une fois l’exécution des victimes désignées au préalable par la conjuration biterroise de 138139, ne peut que nous désorienter si nous continuons à penser la rébellion en termes d’absolu. Dans l’un comme dans l’autre cas, de tels mouvements ne visent aucunement à un bouleversement absolu du système politique et économique des villes concernées mais, plus modestement pourrions-nous dire, à un aménagement parfois interstitiel de ces systèmes qui vise à une meilleure prise en compte des aspirations des émeutiers et leur permette d’être reconnus comme des acteurs de leur propre société politique. En d’autres termes, si le mot de révolte n’existe pas pour la période médiévale, c’est aussi parce que le « révolté », loin de se considérer lui-même comme un révolté, voit dans sa rébellion l’outil nécessaire d’ouverture d’un espace public dont on sait qu’il peine à exister de façon pérenne pour la période médiévale40. Et une telle analyse permet aussi de reconsidérer la fonction de la rébellion en même temps que sa finalité : la rébellion médiévale n’échoue, ni ne réussit puisque ce n’est pas là le but qu’elle recherche, ni la mission qu’elle s’assigne. Elle constitue, de ce fait, un mode accepté, structurel de communication politique entre des populaires qui ne se réduisent pas, loin s’en faut, à de simples gouvernés, et des élites qui apprennent à leurs dépens ce qu’il peut en coûter de rester sourds à la vox populi. Pour reprendre l’exemple biterrois, s’il se solde dans un premier temps par une sévère répression des conjurés, il s’accompagne également de la réalisation du premier compoix de la ville qui assure une meilleure répartition de la fiscalité urbaine – compoix, auquel, quelques années auparavant, les plus riches de la ville s’étaient pourtant opposés – et d’une réorganisation des échelles du consulat qui donne une meilleure représentativité à des métiers mineurs au sein du gouvernement urbain. De même, peut-on noter, en ce qui concerne le cas de Montpellier, que la confection du premier compoix urbain date de 1381, soit deux ans seulement après la sanglante révolte qui avait embrasé la ville.

    8Pour, en conclusion, en revenir à mon cas liminaire, il est probablement juste de considérer que, pour Albert Pope et les vignerons montpelliérains qui l’entouraient en 1357, leur propre perception de leur action était très éloignée de ce que nous assignons généralement à la notion de rébellion. Leur refus du paiement des impositions et leur contestation du montant des taxes s’apparentent certes à un mécontentement notoire envers la gestion financière des consuls, mais ne constituent certainement pas les ferments d’une révolte absolue visant à dissoudre dans la violence l’ordre consulaire. Toutefois, au sein d’une société politique qui n’a pas encore su apporter de réponse satisfaisante à la représentation, en milieu urbain, des populaires et des communautés rurales, la rébellion médiévale joue, mutatis mutandis, le rôle dévolu aujourd’hui aux manifestations dans nos sociétés démocratiques et participe de ce fait non d’un mouvement de refus mais, au contraire, d’une contribution active au processus d’édification et d’adaptation de la monarchie et des gouvernements urbains, à moins de considérer que toute manifestation, dès lors qu’elle est émaillée de violence, constitue de facto un acte de rébellion vis-à-vis de l’État. Le débat, d’ailleurs, reste d’une brûlante actualité. Le 14 avril 2018, à Montpellier, une manifestation de la coordination étudiante visant à « la convergence des luttes » a donné lieu à de graves incidents sur le boulevard du Jeu-de-Paume et un certain nombre de devantures ont été vandalisées à cette occasion. Qualifiées de « débordements de casseurs » par la presse locale, les violences commises laissent pourtant apparaître une symbolique claire dans laquelle il est bien difficile de ne pas lire un message politique : agences bancaires et immobilières, organismes de prêt, boutique d’une grande marque de café accusée de pratiquer l’évasion fiscale, les devantures fracassées ne l’ont pas été au hasard mais ont fait l’objet d’un choix prédéterminé par les représentations culturelles et politiques de ceux qui ont commis de tels actes. Et, de la même manière que, pour Alessandro Stella, le discours porté sur les « émeutiers » de la banlieue parisienne en 2005 le renvoyait à celui des élites florentines sur les Ciompi de 137841, de même les relations de la manifestation montpelliéraine de 2018 me rappelaient à l’esprit les descriptions de la sédition de 1379 contenues dans les lettres de rémission royales.

    Notes de bas de page

    1 T. E. Lawrence, Les sept piliers de la sagesse, Paris, 1995, p. 209-210.

    2 Arch. mun. de Montpellier, Fonds Louvet, C, 2, no 1137.

    3 Ibid. : Unde cum ex hoc posset magnum scandalum exoriri non solum in dicta villa sed eciam in locis circumvicinis et hiis temporibus sit maximum periculum talia sustinere, supplicaverunt dicti consules super hoc de opportuno remedio providere.

    4 Ibid. : Ex parte consulum dicte ville nobis fuit expositum, quod Albertus Pope ipsius ville cultor et laborator et quidam alii ejus in hac parte complices et in eadem villa mansionem facientes, plures et diversas congregaciones illicitas et eciam monopolia inter se ad invicem pluries fecerunt et adhuc de die in diem faciunt et populum incitant ad inobediendum consulibus dicte ville et ut sunt eisdem rebelles et en per eos contribuendum in collectis et talliis dicte ville contribuere compellantur.

    5 Arch. mun. de Montpellier, Louvet 3418, Lettres royales données à Nîmes le 16 mai 1349 et adressées au gouverneur de Montpellier pour faire cesser les informations commencées contre ces vignerons jusqu’à la Toussaint prochainement venant.

    6 Voir le texte de cette ordonnance dans Ordonnances des Roys de France de la troisième race, Paris, 1723-1842, vol. II, p. 350-385. Les gouvernements urbains ont été les premiers à légiférer à ce propos, bien avant les monarchies centrales, comme à Orvieto où des mesures de contrôle des salaires furent prises dès le 30 septembre 1348 ; voir E. Carpentier, Une ville devant la peste. Orvieto et la Peste Noire de 1348, Paris, 1962, p. 242.

    7 Sur ce mouvement de contestation par les populares des modes de gestion du consulat, voir J. Combes, « Finances municipales et oppositions sociales à Montpellier au commencement du xive siècle », dans Vivarais et Languedoc, 44e Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1972, p. 99-120 et J. Rogozinski, Power, Caste and Law. Social Conflict in XIVth Century Montpellier, Cambridge, 1982.

    8 V. Challet, « Montpellier 1379 : une communauté au miroir de sa révolte », La comunidad medieval como esfera publica, coord. H. R. Oliva Herrer, V. Challet, J. Dumolyn, M. A. Carmona Ruiz, Séville, 2014, p. 377-397.

    9 Sur le contenu juridique d’une telle notion et ses implications, on se réfèrera aux nombreux travaux de Jacques Chiffoleau et de Claude Gauvard et en particulier à J. Chiffoleau, « Le crime de majesté, la politique et l’extraordinaire ; note sur les collections érudites de procès de lèse-majesté du xviie siècle et leurs exemples médiévaux », Les procès politiques (xive-xviie siècle), dir. Y.-M. Bercé, Rome, 2007, p. 577-662 et, dans le même volume, C. Gauvard, P. Hamon, « Les sujets du roi de France face aux procès politiques (xive-xvie siècles) », p. 479-511.

    10 Y.-M. Bercé, Histoire des Croquants. Étude des soulèvements populaires au xviie siècle dans le sud-ouest de la France, Paris/Genève, 1974, vol. 1, p. 353.

    11 J. Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris, 2002, p. 27.

    12 Il est vrai qu’en sens contraire il est possible d’argumenter que le simple jet de boules de neige constitue en soi une véritable rébellion ; voir C. Judde de la Rivière, La révolte des boules de neige. Murano face à Venise, 1511, Paris, 2014.

    13 http://www.cnrtl.fr/etymologie/r%C3%A9volte. De même, Jean d’Auton est le premier à utiliser le verbe « se révolter » pour lui donner le sens d’une entrée en rébellion et non plus le sens, emprunté à l’italien, de « se tourner », attesté dès 1414 dans la traduction réalisée par Laurent de Premierfait du Décaméron de Boccace. C’est à propos des pillages opérés par les gens d’armes français et espagnols sur le plat pays dans les Pouilles, au cours des guerres d’Italie, que Jean d’Auton note que « ce qu’est une force de tel poison envenimée, que par son attoucher, elle met le peuple en murmure et rebellion, et pays conquis faict revolter » ; Jean d’Auton, Chroniques de Louis XII, éd. R. de Maulde La Clavière, Paris, 1889-1895, t. 2, p. 254.

    14 Pour la réfutation de la notion d’émeute fiscale, voir J. Dumolyn, K. Papin, « Y avait-il des “révoltes fiscales” dans les villes médiévales des Pays-Bas méridionaux ? L’exemple de Saint-Omer (1467) », Revue du Nord, 94 (2012), p. 827-870.

    15 Sur la notion de « populaires », voir Los grupos populares en la ciudad medieval europea, éd. J. A. Solorzano Telechea, B. Arizaga Bolumburu, J. Haemers, Logrono, 2014.

    16 M. Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, 1931, p. 200-201.

    17 J. Nicolas, J. Valdeon Baruque, S. Vilfan, « L’État monarchique face aux résistances en Espagne, en France et dans les vieilles provinces des Habsbourg (xve-xviiie siècles) », Résistance, représentation et communauté, dir. P. Blickle, Paris, 1998, p. 142.

    18 Empowering Interactions. Political Cultures and the Emergence of the State in Europe 1300-1900, dir. W. Blockmans, A. Holenstein, J. Mathieu, Farnham, 2009.

    19 G. Fourquin, Les soulèvements populaires au Moyen Âge, Paris, 1972, p. 36. Les italiques sont de l’auteur.

    20 Contrairement à l’opinion exprimée par R. Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, 1958. Pour un plaidoyer en sens contraire, visant à l’élargissement de la notion de société politique, voir La société politique à la fin du xve siècle dans les royaumes ibériques et en Europe, éd. V. Challet, J.-Ph. Genet, H. R. Oliva Herrer, J. Valdeon Baruque, Paris/Valladolid, 2007.

    21 V. Challet, I. Forrest, « The Masses », Government and Political Life in England and France c. 1300-c. 1500, éd. Chr. Fletcher, J.-Ph. Genet, J. Watts, Cambridge, 2015, p. 279-316.

    22 Ce que nous avions alors qualifié de « voix émotionnelle » recouvre les possibilités offertes aux populaires d’en appeler directement à la pitié et à la miséricorde du souverain, en particulier à l’occasion de ces grands rituels monarchiques que pouvaient constituer les entrées royales et qui reposaient largement sur l’existence supposée d’un lien mystique entre le roi et son peuple. Sur le sujet des émotions médiévales, voir D. Boquet, P. Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval, Paris, 2015.

    23 Watts, « Les communes : le sens changeant d’un mot au cours du xve siècle », La société politique à la fin du xve siècle…, op. cit. n. 20, p. 197-216.

    24 Pour un exemple précis dans le contexte de la jacquerie, voir J. Firnhaber-Baker, « A son de cloche. The Interpretation of Public Order and Legitimate Authority in Northern France 1355-1358 », La comunidad medieval…, op. cit. n. 8, p. 357-376.

    25 Ainsi de Thomas Walsingham assimilant les cris des rebelles anglais lors de leur entrée dans Londres en 1381 à des roucoulements de paons ; voir, à ce propos, S. Justice, Writing and Rebellion. England in 1381, Berkeley, 1994.

    26 J. Watts, The Making of Polities. Europe, 1300-1500, Cambridge, 2009.

    27 Sur ce personnage et son rôle lors des événements de 1358, voir V. Challet, « Les bons, la brute et le truand : le meurtre d’Étienne Marcel vu de Montpellier », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 34/2 (2017), p. 23-38.

    28 La destruction systématique du manoir de Gonesse est bien documentée en raison des poursuites judiciaires intentées par son propriétaire, Pierre d’Orgemont, à l’encontre de plusieurs individus qui y avaient participé ; Arch. nat. de France, X1A 14, fol. 476-477 ; publié par S. Luce, Histoire de la Jacquerie d’après des documents inédits, Paris, 1894, p. 313-320.

    29 Sur le parallèle entre certaines procédures judiciaires et le comportement des rebelles, voir J. Dumolyn, « The Vengeance of the Commune: Sign Systems of Popular Politics in Medieval Bruges », La comunidad medieval…, op. cit. n. 8, p. 251-290 et V. Challet, « Violence as a Political Language: the Uses and Misuses of Violence in Late Medieval French and English Popular Rebellions », The Routledge History Handbook of Medieval Revolt, éd. J. Firnhaber-Baker, D. Schoenaers, Londres, 2017, p. 279-291.

    30 Voir la description de l’incendie du Savoy par l’auteur de l’Anonimalle Chronicle dans R. B. Dobson, The Peasants’ Revolt of 1381, Londres, 1970, p. 157. Le chroniqueur souligne que les rebelles choisirent de brûler l’ensemble des vêtements et une remarquable tête de lit dont la valeur était estimée à mille marcs d’argent.

    31 Thomas Walsingham, Historia Anglicana, éd. H. T. Riley, Londres, 1863-1864, t. 1, p. 457.

    32 British Library, ms. Roy. 18 E.I., fol. 165v. Manuscrit des Chroniques de France et d’Angleterre de Jehan Froissart exécuté à Bruges dans le dernier quart du xve siècle et ayant appartenu à William Hastings, lord-chambellan d’Édouard IV. Les personnages principaux sont clairement identifiés par le nom qu’ils arborent sur leurs vêtements, à savoir respectivement « Waultre le Tieulier » et « Jehan Balle ». Ce manuscrit comporte par ailleurs deux autres miniatures consacrées à la révolte de 1381 : au fol. 172, une image représente l’exécution de Simon Sudbury et de Robert Hales dans la tour de Londres tandis qu’au fol. 175 figure une illustration du meurtre de Wat Tyler. Pour une analyse plus détaillée de l’iconographie des révoltes médiévales, voir V. Challet, J. Haemers, « La révolte médiévale en image », Images et révoltes dans le livre et l’estampe (xive-milieu du xviiie siècle), dir. S. Haffemayer, A. Hugon, Y. Sordet, Paris, 2016, p. 53-77.

    33 Cette « lande noire » ou, comme l’appelle Froissart, cette « noire bruyère » était le lieu de rassemblement ordinaire des hommes de la « hundred » de Blackheath et elle devait jouer par la suite le même rôle lors de la révolte de Jack Cade en 1450, puis à l’occasion du soulèvement des communes du comté de Cornwall en 1497.

    34 Jean Froissart, Chroniques ; voir le texte sur The Online Froissart : https://www.dhi.ac.uk/onlinefroissart/browsey.jsp?AbsDiv=ms.f.transc.Bes-2&AbsPb=Bes-2_72r&terms= ; consulté le 13 août 2018.

    35 V. Challet, « Pro deffensione rei publice et deffensione patrie : les paysans ont-ils une conscience politique ? », La société politique à la fin du xve siècle…, op. cit. n. 20, p. 165-178 et S. Quéré, Le discours politique des États de Languedoc à la fin du Moyen Âge (1346-1484), Montpellier, 2016, p. 262-267.

    36 H. Neveux, Les révoltes paysannes en Europe xive-xviie siècles, Paris, 1997, p. 288.

    37 Voir la citation placée en exergue de cet article.

    38 Sur le mouvement des Ciompi, voir A. Stella, La révolte des Ciompi. Les hommes, les lieux, le travail, Paris, 1993.

    39 L. J. Thomas, « La sédition du 8 septembre 1381 à Béziers et la légende de Bernard Pourquier », Bulletin de la société archéologique de Béziers, 16 (1930), p. 5-40.

    40 L’espace public au Moyen Âge. Débats autour de Jürgen Habermas, dir. P. Boucheron, N. Offenstadt, Paris, 2011.

    41 A. Stella, « Raccioncare la terra : à l’écoute des voix des “Ciompi” de Florence en 1378 », The Voices of the People in Late Medieval Europe. Communication and Popular Politics, éd. V. Challet, J. Dumolyn, J. Haemers, H. R. Oliva Herrer, Turnhout, 2014, p. 139-147.

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    1 T. E. Lawrence, Les sept piliers de la sagesse, Paris, 1995, p. 209-210.

    2 Arch. mun. de Montpellier, Fonds Louvet, C, 2, no 1137.

    3 Ibid. : Unde cum ex hoc posset magnum scandalum exoriri non solum in dicta villa sed eciam in locis circumvicinis et hiis temporibus sit maximum periculum talia sustinere, supplicaverunt dicti consules super hoc de opportuno remedio providere.

    4 Ibid. : Ex parte consulum dicte ville nobis fuit expositum, quod Albertus Pope ipsius ville cultor et laborator et quidam alii ejus in hac parte complices et in eadem villa mansionem facientes, plures et diversas congregaciones illicitas et eciam monopolia inter se ad invicem pluries fecerunt et adhuc de die in diem faciunt et populum incitant ad inobediendum consulibus dicte ville et ut sunt eisdem rebelles et en per eos contribuendum in collectis et talliis dicte ville contribuere compellantur.

    5 Arch. mun. de Montpellier, Louvet 3418, Lettres royales données à Nîmes le 16 mai 1349 et adressées au gouverneur de Montpellier pour faire cesser les informations commencées contre ces vignerons jusqu’à la Toussaint prochainement venant.

    6 Voir le texte de cette ordonnance dans Ordonnances des Roys de France de la troisième race, Paris, 1723-1842, vol. II, p. 350-385. Les gouvernements urbains ont été les premiers à légiférer à ce propos, bien avant les monarchies centrales, comme à Orvieto où des mesures de contrôle des salaires furent prises dès le 30 septembre 1348 ; voir E. Carpentier, Une ville devant la peste. Orvieto et la Peste Noire de 1348, Paris, 1962, p. 242.

    7 Sur ce mouvement de contestation par les populares des modes de gestion du consulat, voir J. Combes, « Finances municipales et oppositions sociales à Montpellier au commencement du xive siècle », dans Vivarais et Languedoc, 44e Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1972, p. 99-120 et J. Rogozinski, Power, Caste and Law. Social Conflict in XIVth Century Montpellier, Cambridge, 1982.

    8 V. Challet, « Montpellier 1379 : une communauté au miroir de sa révolte », La comunidad medieval como esfera publica, coord. H. R. Oliva Herrer, V. Challet, J. Dumolyn, M. A. Carmona Ruiz, Séville, 2014, p. 377-397.

    9 Sur le contenu juridique d’une telle notion et ses implications, on se réfèrera aux nombreux travaux de Jacques Chiffoleau et de Claude Gauvard et en particulier à J. Chiffoleau, « Le crime de majesté, la politique et l’extraordinaire ; note sur les collections érudites de procès de lèse-majesté du xviie siècle et leurs exemples médiévaux », Les procès politiques (xive-xviie siècle), dir. Y.-M. Bercé, Rome, 2007, p. 577-662 et, dans le même volume, C. Gauvard, P. Hamon, « Les sujets du roi de France face aux procès politiques (xive-xvie siècles) », p. 479-511.

    10 Y.-M. Bercé, Histoire des Croquants. Étude des soulèvements populaires au xviie siècle dans le sud-ouest de la France, Paris/Genève, 1974, vol. 1, p. 353.

    11 J. Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris, 2002, p. 27.

    12 Il est vrai qu’en sens contraire il est possible d’argumenter que le simple jet de boules de neige constitue en soi une véritable rébellion ; voir C. Judde de la Rivière, La révolte des boules de neige. Murano face à Venise, 1511, Paris, 2014.

    13 http://www.cnrtl.fr/etymologie/r%C3%A9volte. De même, Jean d’Auton est le premier à utiliser le verbe « se révolter » pour lui donner le sens d’une entrée en rébellion et non plus le sens, emprunté à l’italien, de « se tourner », attesté dès 1414 dans la traduction réalisée par Laurent de Premierfait du Décaméron de Boccace. C’est à propos des pillages opérés par les gens d’armes français et espagnols sur le plat pays dans les Pouilles, au cours des guerres d’Italie, que Jean d’Auton note que « ce qu’est une force de tel poison envenimée, que par son attoucher, elle met le peuple en murmure et rebellion, et pays conquis faict revolter » ; Jean d’Auton, Chroniques de Louis XII, éd. R. de Maulde La Clavière, Paris, 1889-1895, t. 2, p. 254.

    14 Pour la réfutation de la notion d’émeute fiscale, voir J. Dumolyn, K. Papin, « Y avait-il des “révoltes fiscales” dans les villes médiévales des Pays-Bas méridionaux ? L’exemple de Saint-Omer (1467) », Revue du Nord, 94 (2012), p. 827-870.

    15 Sur la notion de « populaires », voir Los grupos populares en la ciudad medieval europea, éd. J. A. Solorzano Telechea, B. Arizaga Bolumburu, J. Haemers, Logrono, 2014.

    16 M. Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, 1931, p. 200-201.

    17 J. Nicolas, J. Valdeon Baruque, S. Vilfan, « L’État monarchique face aux résistances en Espagne, en France et dans les vieilles provinces des Habsbourg (xve-xviiie siècles) », Résistance, représentation et communauté, dir. P. Blickle, Paris, 1998, p. 142.

    18 Empowering Interactions. Political Cultures and the Emergence of the State in Europe 1300-1900, dir. W. Blockmans, A. Holenstein, J. Mathieu, Farnham, 2009.

    19 G. Fourquin, Les soulèvements populaires au Moyen Âge, Paris, 1972, p. 36. Les italiques sont de l’auteur.

    20 Contrairement à l’opinion exprimée par R. Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, 1958. Pour un plaidoyer en sens contraire, visant à l’élargissement de la notion de société politique, voir La société politique à la fin du xve siècle dans les royaumes ibériques et en Europe, éd. V. Challet, J.-Ph. Genet, H. R. Oliva Herrer, J. Valdeon Baruque, Paris/Valladolid, 2007.

    21 V. Challet, I. Forrest, « The Masses », Government and Political Life in England and France c. 1300-c. 1500, éd. Chr. Fletcher, J.-Ph. Genet, J. Watts, Cambridge, 2015, p. 279-316.

    22 Ce que nous avions alors qualifié de « voix émotionnelle » recouvre les possibilités offertes aux populaires d’en appeler directement à la pitié et à la miséricorde du souverain, en particulier à l’occasion de ces grands rituels monarchiques que pouvaient constituer les entrées royales et qui reposaient largement sur l’existence supposée d’un lien mystique entre le roi et son peuple. Sur le sujet des émotions médiévales, voir D. Boquet, P. Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval, Paris, 2015.

    23 Watts, « Les communes : le sens changeant d’un mot au cours du xve siècle », La société politique à la fin du xve siècle…, op. cit. n. 20, p. 197-216.

    24 Pour un exemple précis dans le contexte de la jacquerie, voir J. Firnhaber-Baker, « A son de cloche. The Interpretation of Public Order and Legitimate Authority in Northern France 1355-1358 », La comunidad medieval…, op. cit. n. 8, p. 357-376.

    25 Ainsi de Thomas Walsingham assimilant les cris des rebelles anglais lors de leur entrée dans Londres en 1381 à des roucoulements de paons ; voir, à ce propos, S. Justice, Writing and Rebellion. England in 1381, Berkeley, 1994.

    26 J. Watts, The Making of Polities. Europe, 1300-1500, Cambridge, 2009.

    27 Sur ce personnage et son rôle lors des événements de 1358, voir V. Challet, « Les bons, la brute et le truand : le meurtre d’Étienne Marcel vu de Montpellier », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 34/2 (2017), p. 23-38.

    28 La destruction systématique du manoir de Gonesse est bien documentée en raison des poursuites judiciaires intentées par son propriétaire, Pierre d’Orgemont, à l’encontre de plusieurs individus qui y avaient participé ; Arch. nat. de France, X1A 14, fol. 476-477 ; publié par S. Luce, Histoire de la Jacquerie d’après des documents inédits, Paris, 1894, p. 313-320.

    29 Sur le parallèle entre certaines procédures judiciaires et le comportement des rebelles, voir J. Dumolyn, « The Vengeance of the Commune: Sign Systems of Popular Politics in Medieval Bruges », La comunidad medieval…, op. cit. n. 8, p. 251-290 et V. Challet, « Violence as a Political Language: the Uses and Misuses of Violence in Late Medieval French and English Popular Rebellions », The Routledge History Handbook of Medieval Revolt, éd. J. Firnhaber-Baker, D. Schoenaers, Londres, 2017, p. 279-291.

    30 Voir la description de l’incendie du Savoy par l’auteur de l’Anonimalle Chronicle dans R. B. Dobson, The Peasants’ Revolt of 1381, Londres, 1970, p. 157. Le chroniqueur souligne que les rebelles choisirent de brûler l’ensemble des vêtements et une remarquable tête de lit dont la valeur était estimée à mille marcs d’argent.

    31 Thomas Walsingham, Historia Anglicana, éd. H. T. Riley, Londres, 1863-1864, t. 1, p. 457.

    32 British Library, ms. Roy. 18 E.I., fol. 165v. Manuscrit des Chroniques de France et d’Angleterre de Jehan Froissart exécuté à Bruges dans le dernier quart du xve siècle et ayant appartenu à William Hastings, lord-chambellan d’Édouard IV. Les personnages principaux sont clairement identifiés par le nom qu’ils arborent sur leurs vêtements, à savoir respectivement « Waultre le Tieulier » et « Jehan Balle ». Ce manuscrit comporte par ailleurs deux autres miniatures consacrées à la révolte de 1381 : au fol. 172, une image représente l’exécution de Simon Sudbury et de Robert Hales dans la tour de Londres tandis qu’au fol. 175 figure une illustration du meurtre de Wat Tyler. Pour une analyse plus détaillée de l’iconographie des révoltes médiévales, voir V. Challet, J. Haemers, « La révolte médiévale en image », Images et révoltes dans le livre et l’estampe (xive-milieu du xviiie siècle), dir. S. Haffemayer, A. Hugon, Y. Sordet, Paris, 2016, p. 53-77.

    33 Cette « lande noire » ou, comme l’appelle Froissart, cette « noire bruyère » était le lieu de rassemblement ordinaire des hommes de la « hundred » de Blackheath et elle devait jouer par la suite le même rôle lors de la révolte de Jack Cade en 1450, puis à l’occasion du soulèvement des communes du comté de Cornwall en 1497.

    34 Jean Froissart, Chroniques ; voir le texte sur The Online Froissart : https://www.dhi.ac.uk/onlinefroissart/browsey.jsp?AbsDiv=ms.f.transc.Bes-2&AbsPb=Bes-2_72r&terms= ; consulté le 13 août 2018.

    35 V. Challet, « Pro deffensione rei publice et deffensione patrie : les paysans ont-ils une conscience politique ? », La société politique à la fin du xve siècle…, op. cit. n. 20, p. 165-178 et S. Quéré, Le discours politique des États de Languedoc à la fin du Moyen Âge (1346-1484), Montpellier, 2016, p. 262-267.

    36 H. Neveux, Les révoltes paysannes en Europe xive-xviie siècles, Paris, 1997, p. 288.

    37 Voir la citation placée en exergue de cet article.

    38 Sur le mouvement des Ciompi, voir A. Stella, La révolte des Ciompi. Les hommes, les lieux, le travail, Paris, 1993.

    39 L. J. Thomas, « La sédition du 8 septembre 1381 à Béziers et la légende de Bernard Pourquier », Bulletin de la société archéologique de Béziers, 16 (1930), p. 5-40.

    40 L’espace public au Moyen Âge. Débats autour de Jürgen Habermas, dir. P. Boucheron, N. Offenstadt, Paris, 2011.

    41 A. Stella, « Raccioncare la terra : à l’écoute des voix des “Ciompi” de Florence en 1378 », The Voices of the People in Late Medieval Europe. Communication and Popular Politics, éd. V. Challet, J. Dumolyn, J. Haemers, H. R. Oliva Herrer, Turnhout, 2014, p. 139-147.

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    Challet, V. (2019). Dialogue ou contestation ?. In Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (éd.), Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte (1‑). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.55237
    Challet, Vincent. « Dialogue ou contestation ? ». In Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte, édité par Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2019. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.55237.
    Challet, Vincent. « Dialogue ou contestation ? ». Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte, édité par Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public, Éditions de la Sorbonne, 2019, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.55237.

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    Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (éd.). (2019). Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte (1‑). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.55167
    Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public, éd. Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte. Paris: Éditions de la Sorbonne, 2019. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.55167.
    Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public, éditeur. Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte. Éditions de la Sorbonne, 2019, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.55167.
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