Les marqueurs archéologiques du pouvoir
| ,I. Les pratiques funéraires : indices du statut des défunts
L’armement, marqueur du pouvoir dans les pratiques funéraires des élites barbares de l’armée romaine tardive et protobyzantine (ive-vie siècle)
Résumé
Many publications attribute the fall of the late Roman Empire to the « barbarization » of the army. This paper questions this schematic and restrictive point of view with the balkanic archaeological data, in an area less studied than some others. Starting from markers of power, Empire’s influence on the barbarian chiefs with prestigious weapons allow to confirm their integration within the elite of the Empire. From one burial excavated in Durostorum necropolis, this paper analyzes late roman and early byzantine prestigious weapons as markers of power.
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Texte intégral
1Dans la continuité des propos de Végèce à la fin du ive siècle apr. J.-C., nombreux furent les chercheurs qui attribuèrent la chute de l’Empire romain tardif à la « barbarisation » des effectifs. Cette analyse ne correspond aucunement à l’image qui ressort des données archéologiques pour la partie orientale de l’Empire romain à l’époque romaine tardive et protobyzantine. Les recherches effectuées depuis une trentaine d’années sur l’armement romain, byzantin et barbare ont davantage mis en évidence l’influence de l’Empire sur les élites barbares prêtes à combattre pour l’Empire.
2Quels sont les marqueurs de la prédominance des élites barbares au sein de la hiérarchie militaire impériale ? Peut-on considérer ces élites barbares comme un groupe dominant tant dans la sphère politique que militaire au sein de l’Empire ? Quelles furent les influences réciproques entre Romains et Barbares dans le domaine de l’armement et de l’armée ? Pour répondre à l’ensemble de ces problématiques, nous commencerons par l’étude d’une inhumation de prestige découverte dans la nécropole de Durostorum, petite cité portuaire située au Nord-Est de la Bulgarie sur un coude du Danube.
- 1 Notitia Dignitatum, Or. XL : « Milites quarti Constantiani, Durostoro ; Praefectus legionis undecim (...)
3Cette sépulture, découverte en 1968 à Durostorum (Silistra, Bulgarie), illustre l’influence de l’Empire sur l’élite barbare par l’utilisation d’armes de prestige comme marqueur de pouvoir. Dès 105-106 apr. J.-C., la xie légion claudienne s’y installe, elle y sera encore mentionnée au ive siècle en compagnie des fantassins du ive Constantinien dans la Notitia Dignitatum1. Durostorum est l’une des forteresses les plus importantes du dispositif défensif du Bas-Danube. À ce titre, deux Empereurs du ive siècle s’y rendront : Dioclétien (284-305), à deux reprises, et Valens (364-378). Le patrice généralissime Aetius, qui battit Attila à la bataille des champs catalauniques, né à Durostorum vers 395, était le fils de Gaudentius, barbare à la solde des Romains à Durostorum. Bien avant la naissance d’Aetius, Romains et barbares fédérés, Sarmates dans un premier temps et Germains dans un second temps, se côtoient à Durostorum et plus généralement dans les provinces de Scythie et de Mésie seconde dès l’époque tétrarchique.
Une sépulture à char à Durostorum
4Les fouilles effectuées à Silistra à partir des années 1940 ont permis de mettre au jour un ensemble de sépultures. Outre des caveaux maçonnés et un martyrium du ive siècle, une sépulture particulière a été mise au jour lors de fouilles de sauvetage menées par P. Donevski en 1968, lors de la construction d’une école. Cette inhumation se situe à seulement 2 km au sud du Danube. Elle s’intègre dans le cadre d’une vaste nécropole et se trouvait entre un caveau funéraire présentant un somptueux décor mural et un mausolée-martyrium. Il est néanmoins important de préciser que le contexte exact de découverte n’est pas certain car la couche archéologique fut en partie détruite par les terrassiers avant l’arrivée des archéologues (fig. 1).
- 2 D’après la nomenclature usuelle réactualisée par C. Miks. Voir Miks, 2007 et Dumanov, 2005.
- 3 Il ne nous est pas possible d’apporter de plus amples informations sur le mobilier d’accompagnement (...)
- 4 Supra, note 2.
5Le défunt fut déposé sur le dos dans un sarcophage de bois présentant une longueur de 2,80 mètres, clos par une plaque de plomb à l’aide de rivets de fer. Le mobilier, d’excellente qualité, se compose d’appliques d’un ceinturon en argent niellé, d’une fibule cruciforme en or niellé à décors géométriques, d’un anneau en or muni d’une gemme représentant Fortuna et la corne d’abondance et de deux épées dont une de type Straubing/Nydam2 datable de la fin du iiie et du début du ive siècle3. La seconde épée présente un pommeau et un fourreau dont le décor est caractéristique du type Silistra/Kertch4, à savoir un décor polychrome, composé de feuilles d’argent doré repoussées et de cabochons de pierres semi-précieuses sertis.
6À l’extérieur du sarcophage se trouvait un char en bois décoré de garnitures en alliage cuivreux. Cette sépulture à char contenait 305 objets dont la grande majorité était déposée à l’intérieur du char. Parmi tout ce mobilier, il faut noter la présence d’une monnaie de Probus (276-282 apr. J.-C.) et de six bustes en alliage cuivreux incrustés d’or et de platine. Cette monnaie confirme la datation des épées et de la sépulture entre la fin du iiie et le début du ive siècle, c’est-à-dire à l’époque tétrarchique.
7La pratique d’inhumer le défunt avec un char ainsi que le dépôt d’armes et de très nombreux objets prouvent que le défunt était un chef barbare au service de l’Empire. L’ensemble du mobilier ainsi que le sarcophage en plomb attestent en revanche d’une influence romaine. Le dépôt d’armes, bien que romaines, et d’un char sont des pratiques étrangères (Atanasov, 2001) (fig. 1).
Armes et matériaux : richesse et pouvoir
8Pour mieux appréhender la question des marqueurs de pouvoir et afin de déterminer si l’armement peut réellement être considéré comme un de ces marqueurs, il apparaît important de s’arrêter sur la nature des matériaux.
9L’épée portant le décor de type Silistra/Kertch présente un pommeau et une garde en argent massif. Ce pommeau est recouvert d’une feuille d’or ornée de cornalines rouges et orangées. Si le fourreau est en bois, de même que la fusée, celui-ci est également orné de pierres semi-précieuses. Le fourreau présente une chape en argent dorée décorée de deux agates incrustées dans des bâtes en argent doré filigrané et une bouterolle également en argent doré ornée d’une agate incrustée dans une bâte filigranée. Deux tiges latérales en argent enserrent le bois du fourreau et unissent la chape à la bouterolle, le tout maintenu par des rivets d’argent. Le fourreau est ensuite décoré de grenats incrustés dans des bâtes en argent doré filigrané de formes diverses. Ces pierres semi-précieuses sont également variées : agate, améthyste, grenat. Cette arme est bien évidemment une arme de parade (fig. 2).
- 5 Edictum Diocletiani, 7, 39 d’après Laufer (1971, p. 120-121) : samiatori vagina spat<h>ae ж cen[tum] (...)
- 6 Jean le Lydien, 72, 18. Jean le Lydien était un fonctionnaire byzantin qui vécut au vie siècle apr. (...)
10La qualité technique de la fabrication et plus particulièrement l’usage de la technique du filigrane, qui consiste à souder des fils fins dans l’orfèvrerie ajourée, la richesse des matériaux, le temps de travail nécessaire à une telle œuvre d’art, en font un objet exceptionnel dont le coût de fabrication n’a pu être assumé que par un riche propriétaire, un haut représentant de l’aristocratie militaire. Tenter d’estimer le coût d’une telle arme est bien évidemment une gageure, néanmoins, l’édit des prix de Dioclétien, dont la rédaction date de la même époque que la sépulture, permet de confirmer notre propos. Ainsi dans l’Edictum Diocletiani, dans la gamme des salaires, le prix d’un fourreau simple qu’un particulier doit payer au forgeron est estimé à 100 deniers5. Jean le Lydien nous indique, par ailleurs, que l’on confiait au vie siècle la production de fourreau à des artisans spécialisés nommés vaginarii6. Ainsi, au prix du fourreau, il faut ajouter celui des appliques en argent doré, le prix de la réalisation du filigrane, celui de l’importation et de la pose des pierres semi-précieuses sans compter le prix de la lame. Le coût total de l’ensemble du mobilier déposé dans la tombe dont la richesse s’évalue par le nombre (305 objets) et par les matériaux utilisés (or, argent, platine, alliage cuivreux, pierres semi-précieuses, etc.) est d’autant plus élevé. Compte tenu du prix d’une seule épée, la présence d’une seconde épée confirme que le défunt appartenait à l’élite aristocratique de la cité. La seconde épée, plus frustre et plus fonctionnelle a certainement pu servir au combat. Le dépôt de deux épées au sein d’une même sépulture, une de cérémonie et une de combat, est un gage de luxe et un marqueur de pouvoir du défunt.
Une sépulture privilégiée dans une zone funéraire réservée
11La carte de répartition des sépultures au sein de la nécropole montre très clairement que cette sépulture à char se trouvait dans une zone bien spécifique, la zone réservée à l’élite de la cité. Outre cette sépulture particulière, plusieurs caveaux familiaux ainsi qu’un martyrium de plan octogonal à trois arcosolia ont été bâtis au ive siècle dans le même secteur de la nécropole situé à environ deux kilomètres du castrum et à un kilomètre de la basilique et de la résidence de l’archevêque. L’un des caveaux les plus représentatifs, daté du milieu du ive siècle, présente une fresque murale remarquable qui rend compte de la position sociale privilégiée du défunt. Ce caveau se situe quasiment au centre de la nécropole, à environ 500 m au sud du camp militaire.
12L’étude iconographique de la fresque murale a permis d’identifier la fonction du défunt. Celui-ci, représenté au centre en face de l’entrée, tient dans sa main un codicille, témoin de sa charge, et porte une tunique blanche richement ornée sur laquelle est posé un manteau de couleur rouge maintenu par une fibule cruciforme dorée réservée à l’administration impériale et aux militaires. D’après G. Atanasov (2005), qui a réalisé l’étude iconographique de cette fresque, celle-ci représente le défunt, un noble citoyen de la classe des illustres, le jour où il reçut des mains de l’Empereur les charges de sa haute dignité, son costume spécifique et son diplôme, en tant qu’administrateur de la cité et certainement de l’ensemble de la province de Scythie. Le sagum rouge, la fibule cruciforme et surtout la présence d’une ceinture indique également qu’il s’agissait d’un militaire (fig. 3).
13La présence d’une sépulture d’un barbare membre de l’élite citadine, d’un aristocrate romain et de plusieurs martyrs chrétiens inhumés entre la fin du iiie et la seconde moitié du ive siècle, dans un même secteur, indique que la position géographique des sépultures constitue ici un marqueur de pouvoir tout à fait interprétable par le monde des vivants. La concentration des sépultures privilégiées dans une zone précise se poursuivra jusqu’au vie siècle. Néanmoins, si la pratique demeure, le lieu d’implantation se déplace davantage en périphérie. Trois caveaux familiaux, séparés les uns des autres sur une distance de 5-6 mètres, ont été découverts au sud-est de la nécropole à 500 mètres à l’est de la zone précédente.
14Pour les inhumations du ive siècle, on peut distinguer trois types de sépultures différentes dans cette zone circonscrite : les caveaux maçonnés à une chambre, les caveaux maçonnés à deux chambres et la sépulture individuelle de l’officier barbare fédéré. La distinction, reposant sur le nombre de chambres, témoigne certainement d’une hiérarchie entre les défunts qui peut avoir été le reflet de la hiérarchie militaire ou civile.
- 7 Général d’origine germanique qui assura la régence de la partie occidentale de l’Empire à la mort d (...)
15La concentration géographique, l’architecture et les matériaux ainsi qu’une pratique funéraire particulière témoignent de l’existence, au sein de la nécropole, d’une zone réservée à l’inhumation de l’élite de la cité : la distinction entre les individus ne repose pas sur l’origine ethnique, romaine ou barbare, mais sur la position hiérarchique dans l’échelle sociale de la cité. Si la diversité des origines est perceptible à travers le rite funéraire pratiqué, l’étude des marqueurs de pouvoirs indique que l’élite barbare, du moins certains représentants isolés, est déjà parfaitement intégrée dans la hiérarchie sociale de certaines cités frontalières, carrefours culturels, dès l’époque tétrarchique. Avant la bataille d’Andrinople, en 378, plus que des liens conflictuels ou même économiques, les découvertes archéologiques tendent à montrer l’intégration de certains barbares privilégiés dans la hiérarchie, essentiellement militaire, de la cité au même titre que les administrateurs civils. Phénomène qui n’ira qu’en s’accentuant durant les grandes migrations jusqu’à la chute du limes danubien au début du ive siècle avec la nomination de barbares aux plus hautes fonctions de l’Empire comme Stilicon7 (Dumanov, 2005).
Les sépultures à armes : l’armement comme marqueur de pouvoir
16Effectivement, les sépultures à armes de fédérés barbares de l’armée romano-byzantine ne sont pas rares bien que celle de Durostorum revête un caractère exceptionnel lié à la présence d’un sarcophage en bois et en plomb et d’un char. Il est important d’étudier ici l’influence qu’exerce l’Empire sur l’élite barbare par la dotation d’armes de prestige qui accompagnent ces individus jusque dans la mort et ce bien au-delà des limites territoriales de l’Empire.
- 8 Sculpture en porphyre exposée sur la place Saint-Marc à Venise représentant les quatre empereurs de (...)
17Le décor d’armes de prestige à l’aide de pierres précieuses serties dans des bâtes en argent doré n’est pas spécifique à Durostorum. La même technique se retrouve sur le casque à crête découvert à Berkasovo (Serbie, Vojvodine). Ce casque est très similaire à celui porté par Constantin sur certaines pièces de monnaie, casque qui fut offert à l’Empereur alors qu’il n’était encore qu’un enfant à la fin du iiie siècle. Le casque de Berkasovo, qui est un casque romain, est daté du premier quart du ive siècle (Klumbach, 1973). Un second casque présente le même type d’ornement et provient d’une sépulture de guerrier mise au jour à Kišpek (Russie, Kabardino-Balkarie) (Bóna, 2002 ; Kazanski, 1995). Ce casque est d’un type différent, il présente un caractère oriental d’influence romaine comme en témoigne le reste du mobilier de la sépulture. Celui-ci permet de dater le casque à lamelles de Kišpek de la fin du iiie ou du début du ive siècle. D’autre part, les fourreaux des épées du groupe des tétrarques8 de Venise (fig. 4.1), tout comme le fourreau de Stilicon (fig. 4.2) sur le diptyque de Monza (Italie), présentent ce décor de pierres précieuses serties dans des cabochons. Ainsi, l’épée de Durostorum, les épées des tétrarques, les casques de Berkasovo (fig. 4.4) et de Kišpek (fig. 4.5) sont contemporains et témoignent de la production d’armes de prestige ornées de cabochons de pierres précieuses à destination des plus hauts représentants de l’Empire. Cette pratique se maintient au cours du ive siècle jusqu’au début du ve siècle, comme l’attestent le casque de Budapest (fig. 4.3) (Thomas, 1973), daté du milieu du ive siècle et l’épée figurant sur le diptyque de Monza représentant Stilicon vers 395 (Dumanov, 2005).
- 9 Du terme foedus signifiant traité d’alliance et de foederatus : un allié.
18L’exemple le plus frappant est certainement la découverte fortuite, en 1812, d’une chambre funéraire voûtée à Conceşti (Moldavie) dont le mobilier se composait d’un casque à crête romain tardif, d’appliques de ceinturons, d’une fibule zoomorphe, d’un châssis de siège et surtout de vaisselles en argent portant les estampilles des ateliers de Constantinople (Skalon, 1973). Nous ne sommes pas en présence d’un simple butin, le dépôt du casque indique qu’il s’agissait très certainement d’un officier barbare fédéré9 de l’armée romaine inhumé après son service dans sa contrée d’origine au début du ve siècle.
- 10 Vogt, 2006.
19Le dépôt d’armes romaines dans des sépultures barbares se maintiendra jusqu’au début du viie siècle. Cette pratique sera très courante chez les élites germaniques qui se feront inhumer avec des casques byzantins après leur service dans l’armée byzantine sur les frontières du Rhin (Glad, 2009). Les fameux casques de type « Spangenhelm », le plus souvent attribués aux germains, ont été découverts dans des contextes byzantins plus anciens, comme à Heraclea Lynkestis en Macédoine (Maneva, 1987), ou de la même époque à Iustiniana Prima (Caričin Grad, Serbie) (Bavant et al., 1990) où la garnison byzantine disposait d’un atelier de production de casques alors même que les Germains n’ont jamais été présents à Iustiniana Prima. En ce qui concerne les contextes strictement germaniques, ces casques se retrouvent uniquement comme biens de prestige en contexte funéraire de Batajnica, en Serbie (Vinski, 1954), aux sépultures du Rhin10 bien qu’il ne faille pas exclure la production d’imitations par des ateliers occidentaux notamment à Ravenne, en Italie. Cette influence byzantine sur l’élite germanique est également marquée par la diffusion d’épées à fusée à tôle d’or et d’épées à garde cloisonnée à la fin du ve et au début du vie siècle.
20L’empire byzantin exerce une réelle influence culturelle sur l’élite germanique via la production et la diffusion d’armes de luxe comme les casques, les armures et les épées. Cet armement de parade byzantin est acquis par l’élite barbare selon trois vecteurs possibles : le service dans l’armée byzantine, le cadeau diplomatique et le butin. Néanmoins, c’est le dépôt funéraire de ces armes de prestiges qui rend compte de leur valeur comme marqueur de pouvoir. (fig. 4).
21La large diffusion d’armes byzantines dans les sépultures barbares, plus particulièrement germaniques, trouve son explication dans l’influence culturelle de l’empire romano-byzantin, liée à son prestige sur l’élite barbare. La diffusion d’armes d’apparat auprès de cette élite, qui en est amatrice, sert les intérêts de l’empire qui utilise cette force militaire à ses propres fins à une époque de problèmes démographiques et économiques alors même que l’armée byzantine tentera ultérieurement de reconquérir l’Afrique du Nord et l’Italie.
- 11 Voir notamment les travaux de P. Brun et de P. Ruby. Voir Brun et Ruby, 2008 : une bibliographie de (...)
22Par le dépôt d’objets précieux d’origine romaine, le défunt exprime son appartenance communautaire à l’élite de la cité. Néanmoins, le dépôt d’armes et la présence d’un char distinguent le défunt de cette même élite et affirment son origine barbare. Cette pratique funéraire, destinée à afficher le prestige militaire du défunt et son rang élevé dans la hiérarchie militaire, témoigne de son statut social élevé et de son intégration parmi les hommes de pouvoir de la cité. Ce statut de dominant est effectivement marqué par la détention de biens de prestige tels que des armes, de la vaisselle de luxe, d’un char et de son harnachement équestre qui n’est pas sans nous rappeler certaines pratiques funéraires protohistoriques, notamment celtiques11. Occupant une position dans un secteur privilégié de la nécropole, la sépulture témoigne de la volonté du défunt de marquer, au-delà de la mort, et de manière ostentatoire, sa réussite et son statut social.
23Cette étude permet donc de distinguer trois marqueurs de pouvoirs distincts : le rite funéraire, le mobilier de prestige et l’implantation de la sépulture dans un secteur réservé et identifié comme tel par le monde des vivants. Il est néanmoins fondamental de demeurer prudent et conscient des limites d’une telle étude. Le monde des morts n’est pas l’exacte réplique du monde des vivants. C’est d’autant plus vrai que l’archéologie ne peut rendre compte que d’une infime partie de ce monde des morts qui ne nous parvient que très partiellement. Il serait d’autant plus dangereux d’en tirer des conclusions sur le monde des vivants. Il apparaît cependant que l’archéologie et l’étude des marqueurs du pouvoir témoignent de l’émergence d’une élite étrangère dans l’empire romain bien avant la défaite d’Andrinople. L’historiographie a insisté sur la « barbarisation » des effectifs qu’il ne s’agit pas de nier ici. Celle-ci aurait été à l’origine de la chute de l’empire à partir du seul propos conservateur de Végèce alors que les sources témoignent de la défense de l’empire par ces « barbares ». Du guerrier de Durostorum à Stilicon et Aetius, généraux romains d’origine germanique, ces représentants de l’élite barbare constituèrent le dernier rempart de l’Empire contre les migrants.
Bibliographie
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Bavant B., Kondić V. et Spieser J.-M. (1990) – Caričin Grad II : Le quartier sud-ouest de la ville haute, École Française de Rome, Belgrade-Rome.
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Brun P. et Ruby P. (2008) – L’âge du Fer en France. Premières villes, premiers États celtiques, Éditions La Découverte, Paris.
Dumanov B. (2005) – The encrusted spatha from Durostorum, Studia Archaelogica Universitatis Serdicensis. Stephanos Archaeologicos in honorem Professoris Ludmili Getov, Supplementum IV, p. 310-323.
Glad D. (2009) – Origine et diffusion de l’équipement défensif corporel en Méditerranée orientale : contribution à l’étude historique et archéologique des armées antiques et médiévales, British Archaeological Report, S1921, Oxford.
Kazanski M. (1995) – Les tombes des chefs alano-sarmates au ive siècles dans les steppes pontiques, dans La noblesse romaine et les chefs barbares du iiie au viie siècle, AFAM, Paris, p. 189-205.
Klumbach H. (1973) – Spätrömische Gardehelme, Beck, Munich.
Laufer S. (1971) – Diokletians Preisedikt, Walter de Gruyter, Berlin.
Lydien J. (2006) – Des magistratures de l’État romain, M. Dubuisson (trad.), J. Schamp (éd.), Les Belles Lettres, t. 1-3, Paris.
Maneva E. (1987) – Casque à fermoir d’Héraclée, Archeologia Iugoslavica, 24, p. 101-111.
Miks C. (2008) – Prunkstück zum Altmetall. Ein Depot spätrömischer Helmteile aus Koblenz, Mainz.
Skalon K.M. (1973) – Der Helm von Conceşti, Rumanien, dans H. Klumbach (éd.), Spätrömische Gardenhelme, Beck, Munich, p. 91-94.
Thomas E.B. (1973) – Der Helm von Budapest, Ungarn, dans H. Klumbach (éd.), Spätrömische Gardenhelme, Beck, Munich, p. 39-50.
Vinski Z. (1954) – Ein Spangenhelmfund aus dem östlichen, Sirmium Germania, 32/2, p. 176-182.
Vogt M. (2006) – Spangenhelme, Baldenheim und verwandte Typen, Verlag des Römisch-Germanischen Zentralmuseums, Mayence.
Notes
1 Notitia Dignitatum, Or. XL : « Milites quarti Constantiani, Durostoro ; Praefectus legionis undecimae Claudiae, Durostoro ».
2 D’après la nomenclature usuelle réactualisée par C. Miks. Voir Miks, 2007 et Dumanov, 2005.
3 Il ne nous est pas possible d’apporter de plus amples informations sur le mobilier d’accompagnement puisque seules les épées ont fait l’objet d’une publication détaillée.
4 Supra, note 2.
5 Edictum Diocletiani, 7, 39 d’après Laufer (1971, p. 120-121) : samiatori vagina spat<h>ae ж cen[tum]. Dans cet édit, le prix le plus bas est de 2 deniers ; 100 deniers correspondent à un mois de salaire pour un maître architecte.
6 Jean le Lydien, 72, 18. Jean le Lydien était un fonctionnaire byzantin qui vécut au vie siècle apr. J.-C.
7 Général d’origine germanique qui assura la régence de la partie occidentale de l’Empire à la mort de l’Empereur Théodose avant de marier sa fille à l’Empereur Honorius.
8 Sculpture en porphyre exposée sur la place Saint-Marc à Venise représentant les quatre empereurs de la tétrarchie (Dioclétien, Maximien, Galère et Constance Chlore), chaque Empereur ayant en charge une partie de l’Empire (Tétrarchie : quatre gouvernants).
9 Du terme foedus signifiant traité d’alliance et de foederatus : un allié.
10 Vogt, 2006.
11 Voir notamment les travaux de P. Brun et de P. Ruby. Voir Brun et Ruby, 2008 : une bibliographie de qualité est proposée par les auteurs dans cet ouvrage.
Table des illustrations
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Titre | Fig.1. Nécropole de Durostorum et mobilier de la tombe à char |
Crédits | © D. Glad. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/5499/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 760k |
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Titre | Fig.2. L’épée de type « Straubing-Nydam » de Durostorum/Silistra |
Crédits | Atanasov, 2001. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/5499/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 508k |
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Titre | Fig.3. Tombeau à fresque murale, détail du décor |
Légende | Échelle, 100cm. |
Crédits | Atanasov, 2005. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/5499/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 732k |
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Titre | Fig.4. L’utilisation du cloisonné dans l’armement au ive-ve siècle |
Crédits | Dumanov, 2005. |
URL | http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/5499/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,8M |
© Éditions de la Sorbonne, 2012