1La tradition statutaire de Bologne constitue un cas exemplaire dans le contexte de la production normative des communes italiennes, d’une part pour sa richesse et d’autre part pour l’excellent état de conservation, puisque tous les statuts produits par la commune bolognaise, à l’exception de celui de 13321, nous sont parvenus.

2À côtés de quelques normes anciennes2, promulguées par les autorités politiques et jamais organisées en formes cohérentes, nous avons une connaissance directe de onze rédactions statutaires pour le xiii^e siècle, de quatre rédactions du xiv^e siècle et d’une rédaction pour le xv^e siècle3.

3Cet état de conservation remarquable a valu aux statuts bolognais un intérêt jamais démenti de la part des historiens, ce qui a déjà favorisé la production de travaux d’édition entre le xviii^e et le xix^e siècles4. Cet effort pour l’édition des sources statutaires bolognaises a été réactualisé pendant les vingt dernières années, avec pour résultat la mise au point d’outils de travail précieux5, qui pourtant, jusqu’à présent, se sont peu préoccupés des statuts du xiv^e siècle tardif et du xv^e siècle6.

4Les mises à jour les plus tardives des textes statutaires bolognais sont réalisées lors d’événements significatifs de l’évolution politique et institutionnelle locale. Ces statuts sont ainsi interprétés, à juste titre, comme des moyens soulignant les changements qui suivent les mutations du cadre politique communal plutôt que comme des formes de réactualisation et de modification effective des normes législatives7. Ainsi, le statut de 1454 ne comporte pas de livre dédié aux institutions communales, les statutarii s’étant limités à écrire dans le dernier article de loi que le premier livre du statut de 1389 resterait en vigueur pour tout ce qui concerne les fonctions des institutions gouvernementales. Par conséquent, la rédaction du milieu du xv^e siècle ne mentionne jamais ouvertement le nouveau système de gouvernement, partagé entre les représentants pontificaux et un nouveau conseil oligarchique, qui avait pourtant transformé radicalement le cadre institutionnel bolognais pendant cette période. Néanmoins, malgré l’absence de toute référence à ce « gouvernement mixte8 », la promulgation du statut de 1454 visait à marquer solennellement le moment d’introduction de ce nouveau système politique9. De cette manière, même dans le cas bolognais le statut plus tardif devient un moyen pour exprimer, à travers sa seule existence et indépendamment de son contenu10, l’autodétermination politique et la légitimité juridique des institutions qui le produisent11.

5Tout en soulignant ces caractéristiques, cet essai entend approfondir la connaissance de l’évolution des statuts bolognais à travers la comparaison de la structure des rédactions statutaires, pour comprendre comment, au fil du temps, l’aspect symbolique du statut comme moyen de concrétisation des changements institutionnels prévaut sur la réactualisation normative. Nous nous intéresserons d’abord à l’organisation par livres des différents textes pour ensuite étudier en détail l’exemple des normes définissant les modalités d’administration de la justice criminelle, toujours présentes dans les différentes rédactions.

Vers une structure de plus en plus cohérente

6Il convient d’établir une corrélation entre la consolidation d’une structuration cohérente par matières et le changement de la nature des commissions chargées de la rédaction du statut en prenant en considération la production statutaire bolognaise dans son ensemble.

7Avant le milieu du xiii^e siècle, les normes produites par les autorités politiques ne sont pas regroupées dans des textes statutaires structurés12. C’est à cette époque que la commune commence à se doter d’une commission de statutarii, renouvelée chaque année, qui se compose des délégués de tous les groupes ayant droit à la représentation politique13. Les statuts produits pendant cette phase présentent une structure certes organisée mais qui manque encore de réelle cohérence, puisqu’on rencontre des thèmes identiques répétés dans des livres différents14.

8Les normes relatives aux officiers de la commune et celles portant sur la justice criminelle se retrouvent ainsi dans deux livres différents, alors que dans deux autres livres les normes sont associées sans aucune relation thématique15.

9La rédaction statutaire de 1288 est confiée à des iuris periti externes au Studium bolognais16.

10Leur travail transforme radicalement l’organisation du texte, qui a désormais une structure rigoureusement disposée par thèmes. Ainsi, pour faciliter la consultation, ce statut se compose de douze livres à l’intérieur desquels les articles de loi sont parfois organisés en traités (tractatus) thématiquement cohérents17. La fonction politique du statut devient évidente précisément au travers de l’organisation des livres : le premier est dédié à la définition des magistratures les plus importantes de la commune, le dernier concerne les sociétés du Popolo et leur fonctionnement, alors que les normes anti-magnatices, qui garantissaient la sauvegarde de l’identité du Popolo détenteur du pouvoir, constituent un livre autonome situé au centre de la rédaction.

11La rédaction du statut suivant, celui de 1335, est la première dans laquelle interviennent des membres du Studium bolognais18. Ces derniers affinent et perfectionnent la structure du statut précédent, en modifiant l’organisation des thèmes19. Avec la production de ce nouveau texte, le gouvernement bolognais visait à officialiser le retour à la structure institutionnelle de la commune populaire, qui avait été supprimée pendant la domination ecclésiastique entre 1327 et 1334. Malgré cette exigence de souligner « symboliquement » le lien avec le passé communal, le but principal de cette nouvelle rédaction demeure la mise à jour des normes législatives. La structure du statut est donc simplifiée en éliminant le livre sur les sociétés du Popolo et celui relatif aux normes antimagnatices.

12Plusieurs membres du Studium bolognais participent à la rédaction de presque tous les statuts postérieurs dans lesquels les variations de la structure de celui de 1335 sont réduites et toujours causées par des mutations institutionnelles. Le texte rédigé sous la domination de Giovanni Visconti en 1352, par exemple, se borne à éliminer les normes portant sur le capitaine du peuple et celles concernant la gestion financière de la commune20. Le deuxième texte viscontien de 1357 reprend la même structure et les mêmes thèmes de la rédaction précédente, à une seule exception puisqu’il transforme le tractatus concernant les damna data et celui relatif à l’officium super stratarum (qui faisaient partie auparavant du liber sur les normes criminelles) en livres autonomes21. La seule modification structurelle significative des statuts de 1376 et de 1389 est la réintroduction d’un livre portant sur la définition des principaux conseils communaux qui, supprimés pendant la période de domination viscontienne et ecclésiastique, se voyaient rétablis, du moins de manière formelle22. Enfin, en confirmant la validité du premier livre de la rédaction de 1389, le statut de 1454 reprend ces mêmes normes sur les conseils urbains alors que la fonction et les prérogatives de ceux-ci sont désormais radicalement changées. Même les normes relatives au capitaine du peuple, reprises depuis le statut de 1376, sont encore conservées dans le texte de 1454, alors que cette charge a été supprimée en 137723. Ainsi la seule variation de la structure dans le statut du milieu du xv^e siècle est la création d’un nouveau livre dans lequel sont réunies les normes sur l’élection des officiers subalternes24.

13En définitive, la transformation de la structure des statuts est non seulement liée à la composition des commissions d’élaboration textuelle, mais est également associée à la progressive mutation du concept de statut lui-même. Au milieu du xiii^e siècle, le droit statutaire doit simplement regrouper les normes législatives dans le but d’en faciliter la consultation et de rendre plus simple la correction des normes obsolètes. L’importance politique des statuts ne réside pas encore dans leurs textes, mais dans la nature de la commission qui les rédige, formée, entre autres, par des membres des couches sociales émergentes qui garantissent la participation du Popolo. Cette attitude change avec les statuts de 1288. L’aspect technique des statuts prend de l’importance : les statutarii sont désormais des techniciens du droit qui confèrent au nouveau texte un caractère « définitif ». Le statut cesse d’être une simple collection de textes normatifs pour devenir la manifestation de la puissance politique du sujet législateur. Cette dernière fonction apparaît clairement si on considère l’ordre dans lequel les thèmes sont abordés. L’évolution conceptuelle qui lie le statut à sa valeur symbolique s’accroît avec la rédaction du texte de 1335. Néanmoins, le but principal de cette rédaction reste la mise à jour normative, qui entraîne une nouvelle réorganisation de la structure du statut. Par contre, dans les rédactions postérieures, cette mise à jour devient secondaire. L’organisation du texte établie en 1335 est donc conservée, avec des changements mineurs, dans tous les statuts qui suivent puisque le caractère politique prévaut désormais sur les nécessités normatives.

Les normes en matière criminelle

14Nous allons désormais prendre en compte un livre spécifique parmi ceux qui sont contenus dans les différentes rédactions pour analyser plus en détail le processus de structuration du statut : le livre contenant les normes en matière criminelle.

15L’administration de la justice criminelle constitue un domaine d’une importance capitale dans la société civile et les normes statutaires sur cet aspect semblent avoir eu une grande efficacité dans la pratique concrète et quotidienne25. Elles assument en outre une valeur politique plus évidente que celle des autres normes réglant différents aspects « administratifs », puisque « les formes du procès », qui sont définies par ces articles de loi, « reflètent le contexte politique dans lequel elles opèrent26 ». La comparaison des livres des normes criminelles se limitera aux statuts rédigés de 1288 à 1454. Le premier, celui de la fin du xiii^e siècle, est élaboré à partir de la réorganisation des textes des rédactions statutaires précédents qui, en l’absence d’une organisation rigoureuse par matières, sont difficilement comparables aux statuts postérieurs. Un premier regard sur les différentes rédactions nous permet d’observer un parallèle entre la continuité des formes structurelles des statuts et celle de l’organisation des rubricae à l’intérieur des livres. Dans ce sens aussi, le texte de 1335 constitue un passage clé entre les statuts précédents et ceux qui leur succèdent. Ainsi, les rubricae du livre de la législation criminelle de 1288 sont moins nombreuses et moins développées que celles du texte de 1335.

16Les différences les plus flagrantes entre les statuts de 1288 et les rédactions postérieures apparaissent dans les rubricae portant sur les modalités d’institution et de déroulement des procès. Le statut de 1288 présente deux rubricae distinctes, l’une pour définir l’institution des procès inquisitoires27 et l’autre pour celle des procès accusatoires28. Cette dernière est en outre complétée par des normes qui déterminent les modalités de la présentation des témoins29. Ces deux rubricae indiquent, en les différenciant selon les deux typologies processuelles, les circonstances du déroulement des poursuites judiciaires, les temps d’institution des procès, les délais fixés pour leur conclusion et les rôles des parties en cause. La rubrica relative aux procès inquisitoires présente également la liste des crimes pour lesquels cette procédure est autorisée. Dans toutes les rédactions statutaires postérieures à celle de 1288, ces deux rubricae ont disparu. Deux nouveaux articles de loi définissent bien les personnes ayant le droit de présenter des accusations30 et le serment que celles-ci doivent prêter avant de les présenter31, mais il n’existe aucune rubrica qui préciserait la manière dont se déroule un procès accusatoire. Les informations contenues dans la rubrica de 1288 portant sur les procès inquisitoires se trouvent maintenant dans d’autres articles de loi qui approfondissent les conditions d’institution des procès qui suivent cette procédure. Les statuts du xiv^e et du xv^e siècle nous proposent donc deux rubricae fixant les cas dans desquels le podestat doit32 et peut33 procéder par inquisition, alors que les modalités d’institution restent clairement décrites par une rubrica autonome34.

17Ces modifications concernant les articles de loi relatifs aux procédures judiciaires ne sont pas étonnantes, compte tenu de la progressive diminution de l’utilisation du procès accusatoire dans le contexte judiciaire bolognais. Dans les statuts de 1288, les poursuites judiciaires accusatoires, constituant un des éléments fondamentaux du système judiciaire, occupent une grande place. Les données issues de l’étude de la documentation judiciaire montrent un rapport de huit procès accusatoires pour une inquisition. Pendant les siècles suivants, l’utilisation de la procédure accusatoire subit un déclin quantitatif : entre la fin du xiii^e et le début du xiv^e siècle, on compte trois accusations pour une inquisition, puis, pendant la première moitié du xiv^e siècle, le rapport s’inverse et, lors de la période de domination de Taddeo Pepoli, entre 1337 et 1347, on dénombre cinq inquisitions pour une accusation35. Ainsi, le statut de 1335 est le premier à présenter des normes approfondies sur le procès inquisitoire, car l’utilisation de plus en plus fréquente de cette procédure judiciaire, concomitante à la rédaction de ce statut, avait rendu nécessaire l’exigence de définir, au niveau législatif, ce type de procès. Le déclin quantitatif du procès accusatoire s’accentue encore par la suite : les accusations ne représentent plus qu’entre 8 % et 12 % des procès conservés au début du xv^e siècle36. Cette évolution37 entraîne une autre modification dans le statut : les deux rubricae portant sur les témoignages38 et la rubrica qui décrivait les différences entre la procédure accusatoire et celle inquisitoire39 disparaissent de la matière statutaire à partir de 1376. Ainsi, ces variations révèlent les modifications progressives de la pratique judiciaire. Le statut conserve exactement la même organisation structurelle fixée en 1335 mais s’adapte. À travers l’analyse du seul aspect structurel, on peut donc clairement percevoir la coexistence d’un caractère « immuable » du statut et des exigences d’actualisation de la norme.

18Dans les rubricae portant sur les crimes et les peines du texte statutaire de 1335, on note l’introduction de nouvelles définitions de délits, absentes dans le statut de 1288. Environ trente-deux articles de loi sont ajoutés au Tractatus de penis dans sa rédaction de 1335, parmi lesquels de nombreuses rubricae relatives à la sanction des malversations des officiers40, un article de loi sur la complicité lors des actions criminelles41 et un texte définissant les peines pour les vols42, pour ne mentionner que quelques exemples.

19Les ajouts effectués après 1335 sont, par contre, rares : seulement quatre rubricae sont insérées à partir de 1352, comme celle concernant le crime contra statum43 ou celle sur l’interdiction de faire appel à des cours externes à la juridiction bolognaise44. Une sur la nomination des ministrales45 – officiers chargés de notifier à la cour les crimes dont la fama se répand dans leur territoire de compétence – et une sur les sanctions à l’encontre des empoisonnements46 sont incluses dans la rédaction de 1376, tandis qu’une seule rubrica, qui s’intègre ex novo au texte statutaire de 1454, porte sur les dommages graves causés aux productions agricoles47. En outre, il est intéressant d’observer le destin de la rubrica portant sur les peines imposées à ceux et à celles qui entreraient ou sortiraient de la ville sans passer par les portes48. Celle-ci, déjà présente dans le statut de 1288, est supprimée dans les rédactions de 1335, 1352 et 1357, puis réapparaît dans le statut de 1376 et les suivants, en reprenant une partie du texte de 128849.

20De la même manière, si de nombreux textes présents en 1288 sont supprimés dans le statut de 1335, l’élimination d’articles de loi devient sporadique après cette date. Par exemple, les normes antimagnatices, qui en 1288 constituent un livre autonome et sont transformées en rubrica dans le livre criminel de 1335, sont supprimées pendant la période viscontienne pour des raisons clairement politiques et ne furent jamais réintégrées dans les statuts postérieurs50, même pas dans la rédaction, de 1376 qui avait pour but la réactualisation, symbolique plus que réelle, des institutions du gouvernement populaire. Lors de cette dernière rédaction cinq articles de loi sont en outre éliminés51, alors qu’une seule rubrica disparaît du statut en 145452. Ainsi, les ajouts, les suppressions et les récupérations nous révèlent un processus d’élaboration des statuts les plus tardifs qui se base encore sur la compilation de toutes les rédactions statutaires précédentes, et nous montrent que la reprise de l’organisation structurelle du tractatus prend néanmoins en compte les besoins et les circonstances contingentes du contexte des compositions.

Deux rubriques en pleine évolution : la torture et les blessures faites à autrui

21Nous allons désormais comparer les différentes versions de deux articles de loi afin de comprendre si le caractère de stabilité montré par l’organisation des livres et par la distribution des rubricae à l’intérieur de ceux-ci est aussi présent au niveau de la composition textuelle. Notre premier exemple sera constitué par la rubrica portant sur l’utilisation de la torture : De tondolo et tormento. La rédaction statutaire de 1288 réservait la possibilité d’utiliser les supplices sur des personnes incriminées pour de graves délits dont on dressait la liste53. Des limitations à la torture étaient en outre établies en fonction de l’appartenance des inculpés aux sociétés du Popolo. Les statuts de 133554 changent radicalement la configuration de la rubrica, introduisant de nouvelles dispositions à travers un bref préambule. Désormais, la torture peut être appliquée pour tous les crimes qui peuvent ou doivent être poursuivis par inquisition, si la peine prévue est corporelle ou pécuniaire pour un montant d’au moins cinquante livres. Des conditions spécifiques sont définies pour les étrangers, pour les personnes appartenant au Popolo, pour certaines catégories professionnelles ou sur la base de l’âge des accusés. Le texte de 1335 est repris en 135255 puis en 135756, en supprimant la mention du Popolo et en ajoutant des références à l’action des représentants viscontiens. Les statuts de 1376, 1389 et 1454 reprennent seulement le préambule, le début des dispositions de 1335 et les limitations relatives à la condition professionnelle et à l’âge des personnes incriminées et introduisent, à côté de ces parties reprises littéralement, des éléments complètement nouveaux. Le montant de la peine pécuniaire des crimes pour lesquels les supplices sont autorisés est élevé à cent livres. La torture ne peut plus être appliquée sans la présence de notaires étrangers, introduits en 1376 avec fonction de contrôle sur l’action des autorités judiciaires57. La possibilité d’application des supplices est en outre étendue aux témoins suspectés d’avoir fait de fausses déclarations, même quand le crime, objet du procès, n’a pas permis en première instance de les torturer. La torture peut être en outre appliquée, en toutes circonstances, contre les personnes de mala fama ou de condition servile. Tout en admettant un plus ample recours aux supplices, les rubricae de 1376, 1389 et 1454 définissent les modalités par lesquelles les inculpés pouvaient dénoncer les autorités judiciaires qui utilisaient la torture sans respecter les normes statutaires. En même temps, ces statuts plus tardifs diminuent sensiblement le montant des amendes dont les autorités pourraient être redevables. L’amende qui était de mille livres en 1335, 1352 et 1357, passe à cinq cents livres en 137658 et 138959, puis à cent livres en 1454. On assiste donc à l’essor de la possibilité d’utiliser la torture. Malgré une définition plus précise des dispositions contre les autorités judiciaires appliquant la torture sans respecter les normes statutaires, la diminution de l’amende attribuée à celles-ci nous indique, peut-être, une plus grande fréquence et une certaine tolérance des abus du gouvernement urbain lors de l’utilisation des supplices. Ces changements sont donc révélateurs d’une tendance, déjà soulignée lors de l’analyse de l’organisation statutaire, à renforcer les normes relatives à la procédure inquisitoire, dont la torture était un élément central60. Le texte de la rubrica conserve pourtant une structure identique depuis 1335 : le préambule est toujours présent, les sujets sont abordés en suivant le même ordre textuel et quand les dispositions normatives ne sont pas modifiées, le texte originel est repris littéralement.

22Un phénomène similaire peut être mis en évidence en examinant notre deuxième thème : le texte relatif aux coups provoquant des blessures. En 1288, pour ce délit, les sanctions font l’objet de trois rubricae différentes61 très concises. La première porte sur les peines à attribuer à ceux qui commettent un insultum dans la maison de la victime, se limitant à les distinguer en fonction de la présence ou non de séquelles physiques. Les deux autres rubricae fixent les peines, respectivement, pour les blessures avec perte de sang et pour celles sans perte de sang, en différenciant, dans les deux cas, les attaques perpétrées avec ou sans armes. La rubrica du statut de 1335 présente une complexité remarquable par rapport aux normes du statut précédent62. Les trois articles de loi de 1288 sont condensés en un seul, intitulé De pena vulnerantis, seu percutientis vel insultantis aliquem. Rubrica, qui s’ouvre par un bref prologue évoquant les raisons pour lesquelles les normes sont mises à jour. De nombreux détails concernant la typologie des armes utilisées, le type de blessures infligées et les parties du corps atteintes sont ajoutés. Le texte introduit une différenciation des peines en fonction des conséquences physiques, des conditions et des lieux du crime. En outre, il intègre des peines sanctionnant les injures verbales et la simple manifestation de la volonté d’infliger des blessures. Les rubricae de 135263 et de 135764 reprennent la même structure et les mêmes dispositions que celles de 1335, mais diminuent de manière significative certaines des peines pécuniaires (ainsi, la sanction pour ceux qui provoquent la perte de fonction d’un membre passe de trois cents à deux cents livres). Ces articles, en outre, proposent, pour la première fois, des peines pour certaines typologies de blessures – l’arrachement de cheveux ou de barbe, les blessures provoquées par des morsures, les égratignures, etc. – ou pour des actions spécifiques – comme le fait de provoquer la chute de la victime, ou de perpétrer un insultum sans conséquences physiques avec des armes. De plus, le législateur établit, pour les injures verbales, une distinction des peines en fonction de la condition des victimes, alors qu’un doublement des peines est établi pour les étrangers qui blessent des citoyens, des habitants du contado ou des distictuales bolognais, obligeant ainsi le juge à prendre également en compte la condition des coupables. Les statuts postérieurs présentent de nouveaux éléments encore plus nombreux, insérés dans le texte existant suivant un critère thématique. En 1376, le préambule, qui reprend celui de 1335 et des rédactions postérieures, est ainsi suivi de la définition des peines contre les personnes qui endommagent des effigies religieuses65. On insère également des sanctions pour de nouvelles typologies de blessures, comme l’éborgnement. On précise la gradation des sanctions en ajoutant des éléments relatifs aux armes utilisées et aux dommages physiques consécutifs aux délits. Le texte de 138966, en particulier, autorise les peines corporelles en cas de retard de paiement des amendes. Le doublement des sanctions pour les habitants du contado et du district qui agissent contre des citoyens est introduit. Par contre, les peines pour les femmes sont réduites de moitié par rapport à celles attribuées aux hommes. En outre cette rubrica augmente à nouveau les peines pécuniaires pour ceux qui abîmeraient des effigies religieuses et quadruple celles concernant les crimes perpétrés sur la place de la commune et à proximité des bâtiments qui abritaient les institutions gouvernementales de la ville : une définition de la position spatiale de ces lieux est donc ajoutée au texte. Des sanctions supplémentaires sont enfin insérées en 145467, par exemple, celles pour les injures contre les officiers de la commune ou celles pour les outrages non-verbaux. Dans cette dernière rubrica, la différenciation des sanctions selon la condition du coupable est étendue aux coloni résidant dans le contado, si ceux-ci sont en rapport de subordination avec la victime de leur action criminelle. Le texte portant sur les blessures est donc mis à jour progressivement, afin de mieux déterminer la gravité des actions criminelles et d’adapter de manière plus efficace les sanctions correspondantes, favorisant une proportionnalité entre peines et gravités des actes criminels.

23Contrairement à ce qui est écrit traditionnellement, les normes des statuts des xiv^e-xv^e siècles bolognais ne sont pas toutes anachroniques. Ces deux exemples nous montrent, en effet, que le contenu des différentes rubricae des statuts les plus tardifs, au moins celles qui sont relatives à la justice criminelle, sont très souvent mises à jour en fonction des exigences de règlementation de la vie communautaire de la ville. Dans le cas bolognais, les modifications de l’organisation des thèmes dans les livres des différentes rédactions statutaires, bien que réduites, répondent de manière très nette à l’affirmation graduelle de la procédure inquisitoire. La progressive définition des conditions d’application de la torture, par exemple, est parallèle à ce processus d’affirmation. De la même manière, la mise en place d’une typologie plus fine des actions criminelles, la consolidation graduelle du principe de proportionnalité entre peine et crime et la diversification des sanctions selon la condition des accusés (remarquable dans l’exemple de la rubrica sur les blessures) visent à favoriser la réintégration des condamnés dans la société civique, nous montrant ainsi l’affermissement progressif de la « logique de négociation du système pénal » qui se développe au cours du Moyen Âge tardif68.

24L’étude de la tradition statutaire bolognaise nous montre donc que le statut de 1288 présente une structure plus rigoureuse et un souci de précision remarquable par rapport à ceux rédigés au milieu du xiii^e siècle. Le statut de 1335 le modifie pourtant de manière radicale en offrant la base de toutes les réformes statutaires suivantes. La reprise évidente du texte de 1335 par les statuts postérieurs est moins visible quand on prend en considération le contenu des rubricae qui composent les livres portant sur les aspects plus proprement administratifs. Tandis que les rubricae qui définissent les institutions urbaines tendent à récupérer des normes désormais anachroniques pour marquer la continuité des organismes politiques avec la tradition institutionnelle qui les précède, les articles de loi qui définissent des aspects plus proprement administratifs subissent une mise à jour constante en fonction d’exigences normatives concrètes. En relation avec ces derniers articles de loi, la fonction politico-symbolique, caractéristique des statuts plus tardifs, est assumée complètement par l’organisation des matières dans les livres et par la structure textuelle des normes que ceux-ci contiennent. La conservation de la place des livres « administratifs » à l’intérieur du statut, la préservation sans variation de l’ordre des rubricae à l’intérieur de ceux-ci, la reprise littérale de préambules et la réplique de l’ordre des thèmes abordés dans les différents articles de loi permettent de maintenir la continuité avec la tradition communale des périodes précédentes. L’organisation structurelle et textuelle du statut prend donc en charge le caractère symbolique, devenant effectivement une ossature « rigide » qui soutient des normes encore perméables aux exigences normatives contingentes.