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Administrer par l’écrit au Moyen Âge

 | 
Harmony Dewez
, 
Lucie Tryoen

Deuxième partie. Outils et acteurs de l'administration par l'écrit

Histoire d’un outil de gestion

Enquête codicologique sur le registre 9H2 de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise (1328-1603)

Anne-Laure Alard-Bonhoure

Texte intégral

  • 1 Description figurant dans l’ancien inventaire imprimé des Archives de Seine-et-Oise, conservé aux A (...)
  • 2  Foliotation d’origine en chiffres romains.

1« Recueil de renseignements de toute nature concernant l’abbaye » : la description archivistique1 du manuscrit coté 9H2 et conservé aux Archives départementales du Val d’Oise, dans le vaste fonds de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise, est pour le moins évasive. A priori, ce carton renferme un document que les archivistes n’ont pu classer dans la typologie traditionnellement usitée : en lieu et place de « terrier » ou « cartulaire », c’est le terme vague de « recueil » qui a été choisi. La première approche laisse, il est vrai, le lecteur perplexe : dans les 500 pages du manuscrit sont inscrites des informations aussi hétérogènes que des comptes de bêtes à laine, des inventaires de chapelles, des contrats avec des artisans, des copies de baux ou de lettres royales, le tout sans ordre ni hiérarchisation apparents. Les feuillets 54 à 642 contiennent dix entrées qui ne sont classées ni par ordre géographique, ni par ordre thématique, puisque deux d’entre elles concernent Paris, deux Pontoise, une L’Isle-Adam, et une dernière mentionne la foire du Lendit, dans la plaine Saint-Denis, tandis qu’elles concernent aussi bien les revenus liés au domaine monastique, les ordonnances du roi de France, les achats d’huile ou les comptes rendus de la foire du Lendit. Enfin, et ce point paraît le plus surprenant, il ne semble y avoir aucun classement chronologique, autrement dit, les entrées n’ont pas été enregistrées à la suite. Les deux premiers enregistrements datés sont de 1329, les deux suivants de 1340 et 1332, et les deux derniers de 1336 et 1339. Ni ordre, ni thème moteur ne se dégagent, alors même que l’on observe une unité matérielle et des traces d’une utilisation répétée du manuscrit, points que nous développerons dans cette analyse. Au premier abord donc, le terme de « recueil » a dû sembler le plus adéquat, et le moins risqué, pour désigner cette source.

  • 3  Le fonds de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise est réuni dans la série 9H et compte 99 cartons.

2L’institution productrice et propriétaire du document, l’abbaye de Saint-Martin, est située à la porte du Vexin français, au confluent des rivières de l’Oise et de la Viosne. Fondée dans la première moitié du xie siècle par un groupe de moines cénobites, la communauté adopte la règle de saint Benoît quelques années plus tard et passe dans le giron de la puissante abbaye de Saint-Denis. Au xiie siècle, l’abbaye prospère et se voit attribuer nombre de donations par les nobles vexinois, briards et beauvaisiens, qui lui assurent une importante assise territoriale, structurée autour de douze prieurés, principalement dans le Vexin français. L’abbaye de Saint-Martin a laissé pour la fin du Moyen Âge un fonds archivistique assez important3, offrant ainsi aux historiens un témoignage sur la vie économique d’une abbaye bénédictine francilienne d’envergure moyenne.

  • 4  Thierry Amalou, Annick Pegeon, Étude économique de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise du xie au (...)
  • 5  Joseph Depoin, Le livre de raison de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise (xive-xve siècles), Pont (...)
  • 6  Au reste, cette monographie avait pour dessein le recensement des informations contenues dans le m (...)
  • 7  Plus précisément, pour les travaux récents s’intéressant à la documentation de gestion domaniale, (...)
  • 8  Natacha Coquery, François Menant, Florence Weber (dir.), Écrire, compter, mesurer. Vers une histoi (...)

3L’abbaye a déjà fait l’objet de plusieurs études, qui ont toutes intégré le registre 9H2 dans leur corpus : celui-ci constitue en effet un recueil de choix pour qui veut mener une étude sur le Bas Moyen Âge, du fait de la rareté de certaines informations qu’il contient. Les contrats avec les artisans – charpentiers, charrons – ou les décomptes de toisons et de « bêtes à laine », sont ainsi uniques au regard du reste de la documentation martinienne. De fait, le manuscrit a été plusieurs fois consulté et étudié, mais uniquement de manière fragmentaire. Sur la demi-douzaine d’études4 portant sur l’abbaye de Saint-Martin à la fin du Moyen Âge, seule celle de Joseph Depoin5 a intégré le manuscrit comme un tout et a posé la question de l’identité du livre, qualifié à l’occasion de « livre de raison ». Les études postérieures mobilisant le manuscrit 9H2 ont d’ailleurs systématiquement repris cette dénomination de « livre de raison », si bien qu’elle est devenue l’usage. Cependant, la question de la finalité de ce codex reste entière6. En effet, jusque-là, le registre 9H2 n’avait fait l’objet que d’analyses de son contenu, et non de sa forme : face à ce désordre ordonné, les études postérieures à celle de Joseph Depoin ont repris sa définition de l’objet sans en interroger la forme. Si le manuscrit a été maintes fois ouvert et cité depuis, la dénomination, pratique, proposée par Joseph Depoin, a sans doute masqué les lacunes dans l’interprétation matérielle de cette source à part entière. Les données économiques ont donc été extraites du manuscrit, les chiffres interprétés, les noms relevés, sans que l’on sache exactement pourquoi une telle somme d’informations avait été réunie et quelle était sa finalité. Le profond renouvellement de l’approche codicologique, et de la question des scripturalités médiévales7 a lancé des pistes de réflexion permettant de remédier à ces lacunes. Cette étude s’intègre ainsi dans un courant historiographique en pleine expansion : celui qui questionne les pratiques de l’écrit, et particulièrement les écrits pragmatiques – comptabilités, outils de gestion8. À l’aide de la codicologie – l’analyse de la matérialité du document, combinée à celle du contenu – le but de la présente étude est de comprendre comment ce registre a été construit, rédigé et utilisé au sein de l’abbaye de Saint-Martin, afin de pouvoir replacer dans leur contexte de rédaction et d’utilisation les centaines d’informations économiques originales qui y sont transcrites.

(Dé)construire le registre 9H2

Un livre vierge9 ?

  • 9  Je remercie Caroline Bourlet et Isabelle Bretthauer pour leurs conseils.
  • 10  La dernière feuille est en effet numérotée 329 (numérotation originelle en chiffre romains).
  • 11  Le sommaire ne continue pas sur la feuille IV. Même s’il nous manque les feuilles V à IX, nous pou (...)
  • 12  Outre le fait que la couture est caractéristique d’une reliure rigide, la dégradation du premier c (...)

4Si l’identité du manuscrit est demeurée opaque, cela est dû en partie à la difficulté de la première lecture qui ne permet de distinguer aucune logique de construction ou d’utilisation. Le registre 9H2 se présente sous la forme d’un épais ouvrage constitué de 38 cahiers de papier reliés entre eux par une couture sur nerfs (figure 1), où les enregistrements sont effectués sans soin de présentation particulier. Il contenait à l’origine environ 329 feuilles, et n’en réunit plus aujourd’hui que 25710. À ces 38 cahiers s’ajoutent trois autres éléments, constituant autant d’unités matérielles. Le premier est le sommaire d’origine, copié sur les trois premières feuilles du manuscrit, dans lequel sont répertoriés une partie des actes par leur titre et leur foliotation. Ce premier sommaire est incomplet11 et en très mauvais état de conservation. Le deuxième élément est le sommaire du manuscrit que Joseph Depoin a constitué durant ses recherches et qu’il a inséré en tout début de volume. Enfin, un commentaire d’une bulle papale d’Innocent VIII, imprimé en 1603, a été relié en fin de volume bien après le dernier enregistrement et constitue donc un élément externe à cette analyse codicologique. Concernant l’aspect extérieur du manuscrit, au moins deux phases de manipulations postérieures au xve siècle sont visibles, mais l’actuelle couture sur nerfs est sans doute d’origine, étant donné l’absence de traces de piqûres supplémentaires. Une première modification partielle de la structure du registre a été effectuée probablement en même temps que l’ajout du document de 1603. Cette première opération semble s’être limitée à l’ajout des matériaux nécessaires à l’insertion du document. Il semblerait également qu’à cette occasion, les plats de reliure d’origine, probablement composés d’ais de bois12, aient été remplacés par des ais en carton (figure 1). Une deuxième restauration a été conduite à la fin du xixe siècle par les archivistes de Seine-et-Oise, durant laquelle un papier marbré vert a été apposé aux ais. Afin de comprendre cette structure composite, il est nécessaire de procéder à une analyse par unités matérielles, à commencer par le papier qui la constitue.

Figure 1 : Vue générale du ms. 9H2 (AD Val d’Oise)

Figure 1 : Vue générale du ms. 9H2 (AD Val d’Oise)
  • 13  Ce type de filigrane, très abondant au xive siècle, marque un papier de provenance italienne : Cha (...)
  • 14  Il s’agit des cahiers 30, 31 et 32, qui regroupent les folios 258 à 281. Ce filigrane marquant un (...)
  • 15 Voir par exemple : Carla Bozzolo, Ezio Ornato, Pour une histoire du livre manuscrit au Moyen Âge, P (...)
  • 16  57 décomptes d’achats – écuelles, pots d’étain, huile… – effectués à la foire du Lendit sont retra (...)
  • 17  Il s’agit du premier cahier, qui comporte entre autres le sommaire des moines et les premières pag (...)

5L’ensemble du papier est a priori d’origine italienne, comme le montrent les deux types de filigranes présents sur les 257 feuillets : un premier représente les « trois monts13 » et le deuxième, qui marque exactement trois cahiers, représente trois cerises sans feuilles14. Cette relative homogénéité traduit certainement une même origine du papier, phénomène singulier au regard des autres manuscrits de l’époque. Il n’est ainsi pas rare de trouver un bien plus grand nombre de filigranes dans un seul manuscrit, témoignant le plus souvent d’une construction par étapes de l’objet ou d’un stock de papier disponible diversifié15. Concernant le manuscrit de Saint-Martin, deux interprétations sont possibles. Il s’agit d’un papier d’origine italienne, acheté très probablement à la foire du Lendit, qui se tenait dans la plaine Saint-Denis à une vingtaine de kilomètres de l’abbaye, et qui était fréquentée par les moines16. Soit les moines se sont approvisionnés régulièrement en papier au même fournisseur pour constituer le livre cahier par cahier, au gré des besoins et au fur et à mesure de la rédaction, soit ils se sont procuré d’emblée les feuilles afin d’assembler en une fois les 38 cahiers et de les relier en un épais livre vierge, c’est-à-dire un codex composé de feuillets vierges assemblés et reliés avant rédaction. La seule analyse du papier ne permet pas de déterminer s’il s’agit d’un livre vierge, car seul le filigrane aux cerises a pu être clairement identifié. Du point de vue des cahiers, l’analyse mène au même constat d’homogénéité matérielle : la plupart des cahiers sont des quaternions, seuls deux d’entre eux sont des quinions, et un dernier reste de type inconnu17. Les feuillets, qui sont donc presque tous issus du même lieu de production, ont été pliés et assemblés de manière quasi identique selon un format in-folio, ce qui donne au livre final un aspect relativement uniforme. Cette relative homogénéité du papier et des cahiers pourrait suggérer qu’il s’agit d’un livre vierge, mais, comme nous le verrons, la temporalité du processus de reliure est plus complexe et est difficile à dater avec précision.

  • 18  Il s’agit des cahiers 21 et 22 (enregistrement de 1412), 27 et 28 (enregistrement de 1404), et 35 (...)
  • 19  Il s’agit des cahiers 3 à 9, 11 à 16 et 22 à 24.

6Trois enregistrements du xve siècle chevauchent deux cahiers18, et l’on peut avancer que le registre était déjà relié à cette époque. La foliotation et la répartition des feuilles vierges apportent des précisions supplémentaires sur le moment de la reliure. Toutes les feuilles ont été numérotées d’une même main en chiffres romains, de 1 à 329, indiquant une prise en compte de l’ensemble du volume à un moment donné. L’encre de foliotation étant similaire à celle des enregistrements les plus anciens et les feuillets vierges présents tout au long du volume étant également foliotés, l’on peut en déduire que le volume devait déjà être relié peu de temps après le début des enregistrements, lorsque la majorité des feuillets étaient encore vierges. La présence de décharges d’encre entre le verso de la dernière feuille d’un cahier et le recto du suivant vient renforcer cette impression et contribue à en préciser la chronologie. En effet, sur 38 cahiers, 16 partagent des décharges – ou transferts – d’encre19 : par exemple, l’enregistrement de 1342 consignant le marché passé entre l’abbaye et Guillaume le Fevre pour ferrer des chevaux, au folio 31v – dernier folio du cahier 3 – a laissé une trace d’écriture très nette sur le folio 32 – premier folio du cahier 4. Ces décharges concernent des enregistrements datant de 1338 à 1391, suggérant qu’à cette époque ces cahiers étaient reliés entre eux. Dans le cas des 22 autres cahiers, l’absence de décharge pourrait s’expliquer par le soin particulier du rédacteur à sécher l’encre avant de refermer l’ouvrage, ce qui paraît vraisemblable pour des pages rédigées avec soin, à l’instar des cahiers 28 à 38. Cependant, le fait qu’une bonne partie des cahiers porte des décharges d’encre pourrait plaider en faveur de l’idée que ces cahiers sans décharge aient constitué des éléments séparés au moment de la rédaction et donc que le volume n’ait pas été un livre vierge dès l’origine.

  • 20  Les cahiers 25 à 33 ont tous été rédigés après les années 1370.

7Pour résumer, si l’ensemble du registre n’a pas été relié avant rédaction, il est en revanche probable qu’une partie au moins des cahiers aient été reliés, et ce à partir de 1338 – date de la première décharge d’encre. L’ouvrage a sans doute été constitué progressivement, mais relié complètement tel qu’il est aujourd’hui au plus tard dans les années 1370 et potentiellement dès la fin des années 1330 : en effet, aux folios 92r et 94r, une mention item require IIcc LVII en bas de page invite le lecteur à se reporter au folio 257 pour voir la suite de la série d’enregistrement commencée sur ces deux pages, à savoir des listes de baux de dîmes, se terminant sur ces pages en 1378. Deux phases sont donc identifiables : dans un premier temps, les cahiers, déjà constitués, ont été remplis sans nécessairement être reliés – aucune preuve formelle ne permet en tout cas de l’affirmer – puis, entre 1338 et 1378, le nombre des cahiers ayant le même usage de gestion s’accroissant, les moines les ont reliés en un seul et même épais volume, en y ajoutant des cahiers vierges20, en prévision de l’usage à venir. Nous aurions donc affaire à un livre vierge partiel.

Un écrit de la pratique

8L’analyse codicologique met en valeur la dimension pragmatique de l’ouvrage. En effet, sur les deux premiers feuillets se trouve le plus ancien des deux sommaires du registre, qui comporte 90 référencements. La structure du sommaire est assez semblable à nos tables des matières modernes, avec, en début de ligne, le numéro de la feuille inscrit en chiffres romains, un espace, puis l’intitulé de l’enregistrement concerné. Au vu des changements d’encres et de mains, ce sont très probablement les rédacteurs des enregistrements eux-mêmes qui, après avoir rempli le registre, revenaient au début de celui-ci pour y répertorier l’acte écrit. Cette hypothèse se trouve validée par la datation de ces actes. Ceux du premier feuillet sont en effet presque tous datés des années 1328-1331, tandis que ceux du troisième sont datés des années 1350-1370. Ces deux feuilles se trouvent aussi être les deux plus abîmées de tout le registre, ce qui en limite quelque peu l’analyse. Outre ces deux feuillets introductifs, le manuscrit est marqué par des biffures, des cancellations et des annotations. Les biffures à proprement parler, autrement dit les lignes barrées, les mots griffonnés, les chiffres corrigés, indiquent seulement une autocorrection du scribe, voire une éventuelle mise à jour des informations – par lui ou par un tiers – et soulignent le caractère pragmatique de l’écrit. Les cancellations, traits obliques qui barrent un paragraphe, constituent un second type de rature. Leur présence est cette fois-ci plus significative, puisque canceller un acte revient à informer les utilisateurs d’un cartulaire ou d’un registre que la charte n’a plus cours, que le compte a été vérifié et recopié ailleurs, que la dette a été remboursée. Enfin, le troisième type de traces d’utilisation est l’annotation, beaucoup plus rare. Quelques entrées ont en marge de la page une mention écrite, comme par exemple le nom de l’abbé ou de la localité concernés par l’acte. Ces annotations témoignent que les actes étaient pleinement utiles une fois enregistrés : on leur attribuait une caractéristique, probablement pour qu’il soit plus rapide de retrouver les informations lors de la consultation de l’ouvrage.

  • 21  C’est par exemple le cas des comptes annuels des myses et despenses de 1475, 1485 et 1491 (AD Val (...)
  • 22  Caroline Bourlet, Enquête sur l’utilisation du papier comme support de l’écrit de gestion en Franc (...)

9À première vue, il s’agit ici d’un outil de travail, ne revêtant pas une valeur particulière. Cependant, la reliure de l’ouvrage et son envergure peuvent intriguer, dans la mesure où ce type de reliure avec des plats rigides est plutôt caractéristique des ouvrages de bibliothèque, tandis que les livres de gestion sont généralement dotés d’une couverture souple faite de matériaux de remploi, tels que du parchemin ou des peaux mégissées, comme en témoignent d’autres manuscrits de l’abbaye21. En outre, l’usage du papier dès les années 1320, alors que le reste du fonds de l’abbaye est à cette époque composé de parchemin, est précoce, quoique l’on retrouve une chronologie analogue à Saint-Martin-des-Champs22.

10Uniformité visuelle, unité matérielle de ses composants, telles sont les caractéristiques codicologiques du manuscrit 9H2, qui contrastent fortement avec l’hétérogénéité de son contenu.

Les modalités de rédaction du registre 9H2

Deux phases de rédaction contrastées

11La principale période d’utilisation du manuscrit se poursuit de 1328 à 1495, date du dernier enregistrement. Laissé de côté dans les archives, le manuscrit est ensuite ressorti en 1603 dans l’unique dessein de conserver la copie de la bulle pontificale dont il était question plus haut, laquelle est insérée dans le volume sous forme d’un texte imprimé. Cette période de près de 170 années de « vie active » du manuscrit se décompose elle-même en deux phases, marquées par des rythmes de rédaction très contrastés, mais également par un changement dans la fonction et dans l’usage du manuscrit.

  • 23  Cette première phase comporte elle-même deux phases rédactionnelles, l’une s’étendant de 1328 aux (...)

12En effet, le tableau de la répartition annuelle des entrées (tableau 1) met clairement en évidence deux phases de rédaction du manuscrit : la première, entre 1328 et les années 139023, est marquée par une forte densité des enregistrements, avec des pics de 30 entrées dans les premières années et des valeurs ne descendant que rarement en-dessous de 10 enregistrements par an. La deuxième phase, qui va des années 1390 aux années 1490, est quant à elle caractérisée par une très faible activité rédactionnelle et des pics ne dépassant pas les 7 enregistrements annuels.

Graphique 1 : Répartition annuelle des enregistrements dans le ms. 9H2

Graphique 1 : Répartition annuelle des enregistrements dans le ms. 9H2

Quelles sont les informations contenues dans le registre ?

  • 24  Chaque nouveau paragraphe distinct par son sujet, et/ou par sa date et/ou sa main d’écriture const (...)

13Le registre comprend 1 280 entrées24. Seulement 7 % des données ne concernent pas la gestion de la rente seigneuriale de l’abbaye. La gestion des affermages et des embauches salariées constitue la majorité des enregistrements, qu’il s’agisse de la copie des contrats conclus avec les fermiers – des dîmes ou des exploitations agricoles – ou les salariés – maréchal-ferrant, cordonnier, avocat-conseil – ou du suivi de la perception des montants de ferme ou du versement des rémunérations à travers des comptes ou des quittances. Dans la grande diversité des informations qui y sont retranscrites, le document est donc essentiellement consacré au contrôle administratif de l’abbaye sur ses droits, ses finances et les personnes qu’elle emploie. La gestion domaniale est au cœur des enjeux du livre, qui revêt clairement les aspects d’un écrit pratique.

Tableau 1 : Répartition des enregistrements du Livre de raison par thématiques

Thématiques

Nombre d’enregistrements

Part du total

Affermage (copie des contrats et quittances)

393

32 %

Contrats et quittances de salariés

210

17 %

Décomptes des cheptels et toisons

126

10 %

Achats de fournitures

112

9 %

Droits divers (dont copies de baux à cens)

99

8 %

Autre : copies de lettres, gestion des cures

81

7 %

Comptabilités (dont receveurs)

79

6 %

Inventaires (pièces et exploitations)

65

5 %

Estimations et états des revenus

42

3 %

Gestion des héritages échus à l’abbaye

28

2 %

Total identifié

1235

100 %

Où écrire dans le registre ?

14Où le rédacteur choisit-il d’enregistrer son acte ? Nous avons vu que les enregistrements semblent se succéder sans hiérarchie apparente. Cette opacité dans la répartition des entrées est due en fait à une pluralité des logiques rédactionnelles, qui produisent des groupements d’entrées structurellement différents.

  • 25  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 10v et 11.

15La première de ces logiques est celle des dossiers thématiques, que l’on pourrait aussi appeler des comptabilités ouvertes, bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement de comptes. Cette logique d’enregistrement consiste à grouper des enregistrements autour d’un sujet commun. Il s’agit de thèmes récurrents, comme les ventes d’un même produit, les baux d’une même terre, les péages d’un même pont, les inventaires d’une même pièce, une suite de nominations aux cures ou de décomptes de bêtes à laine. Par exemple, les enregistrements 15 à 22, au cahier no 3, concernent tous des décomptes de laines produites à La Chapelle, domaine en faire-valoir direct, et à l’abbaye25. Ces enregistrements sont soit réunis sous le même titre, soit comportent tous ou presque un titre. Ainsi, dans le cas des enregistrements 15 à 22, seuls les trois premiers comportent un titre – Lana de abbatie et de capelle – et les suivants n’en portent pas. Ce type de dossier thématique constitue des suites presque complètes sur quelques années, parfois quelques décennies. Au niveau qualitatif, ces actes d’un même dossier ne sont pas tous rédigés avec le même soin et ne sont pas tous aussi complets. De manière générale, le premier est inscrit soigneusement, respecte la réglure et reproduit le contrat, le bail ou le décompte en entier. Les enregistrements qui suivent sont en revanche rédigés avec une écriture cursive et les données sont réduites aux informations principales – années de renouvellement du contrat, montant de la rémunération, nom du bénéficiaire.

  • 26  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 59v.
  • 27  Ibid., fol. 70v à 71v.

16À l’intérieur de ces dossiers, l’enchaînement des enregistrements peut cependant laisser perplexe, ce qui rend leur délimitation difficile à la première lecture. En effet, il n’est pas rare de trouver une entrée concernant un tout autre sujet dans une série. Par exemple, au beau milieu d’une suite de recettes du péage du pont de Pontoise de 1329 à 1340, est enregistré un prêt de dix livres parisis contracté par l’abbaye en 132926. L’absence d’ordre chronologique à l’intérieur de certaines séries constitue un autre phénomène brouillant ces suites thématiques, comme cette suite d’accords passés avec le maréchal de la Barre à Pontoise, qui sont enregistrés des folios 70v à 71v, mais qui concernent, successivement, les années 1343, 1344, 1355, 1343, 1344, 1346, 134727. En réalité, ces incohérences révèlent une deuxième logique plus pragmatique. Au commencement de ces comptabilités, les scribes laissent beaucoup d’espace entre chaque entrée. Puis, arrivés au bout des pages laissées blanches à cet effet, ils reviennent au début de la suite logique, comblant les espaces encore libres. Ce double enregistrement produit donc des suites qui manquent en apparence de cohérence chronologique, où peuvent se succéder des paragraphes ayant plus de cinquante ans d’écart.

17Enfin, une troisième logique consiste à enregistrer un acte isolé dont le rédacteur sait qu’il est sans précédent et qu’il ne sera pas suivi par d’autres actes. Le scribe cherche simplement un espace suffisant, même au sein d’un dossier. Il s’agit donc d’une action d’enregistrement moins préméditée que pour un premier acte de dossier, où le rédacteur doit estimer la place qui lui sera nécessaire pour inscrire tous les actes identiques dans les années à venir. Les suites thématiques constituent tout de même la principale modalité d’enregistrement : sur les 1 274 entrées, seules 123 ne sont pas intégrées dans l’un des 109 dossiers thématiques.

  • 28 Anne-Laure Alard-Bonhoure, Richesses en crises. Techniques de gestion et écritures comptables à l’a (...)

18Enfin, quelques observations d’ordre plus général peuvent être notées, qui témoignent des mutations dans les usages du livre. Au fil des pages, on peut en effet remarquer une raréfaction des entrées et de plus en plus de pages uniquement remplies de quelques lignes, en haut du feuillet, tandis que le reste du papier est laissé vierge. Les rédacteurs utilisent les pages au fur et à mesure qu’elles se présentent : les premiers cahiers sont majoritairement remplis au xive siècle quand les enregistrements du xve siècle se concentrent en fin de registre. Ce phénomène vient renforcer l’hypothèse du livre vierge : les rédacteurs ont rempli le manuscrit au fur et à mesure, en commençant par les premiers cahiers. Puis, le manuscrit étant de moins en moins utilisé, les dernières pages sont restées moins densément rédigées, les rédacteurs ayant à leur disposition davantage d’espace pour écrire. De plus, à mesure que l’on progresse dans le registre, les entrées sont de moins en moins d’ordre économique. Les comptes de bêtes à laine et les relevés de péages se raréfient, tandis qu’apparaissent dans les derniers cahiers des thèmes moins représentés, voire inexistants. C’est le cas des faits de justice, comme la notification des amendes infligées par l’abbaye, ainsi que des nominations aux cures et des nominations d’avocats-conseillers – payés par l’abbaye pour les représenter au Saint-Siège. Là encore, cette variation semble indiquer une modification des usages du livre, qui sert de moins en moins de support à la gestion domaniale au fil du temps. De fait, une étude plus poussée des archives du monastère montre que ces différentes informations trouvent progressivement leur place dans d’autres documents plus spécialisés28.

Quand écrire dans le registre 9H2 ?

19Il est difficile d’évaluer les délais d’enregistrement. En effet, seuls deux éléments nous permettent de faire des suppositions. Le premier est la taille et le poids du registre : un format de 35 × 27 cm et un poids d’environ 2,5 kg. Un tel ouvrage ne peut être déplacé en permanence. Soit d’autres documents doivent être déplacés pour lui, soit l’accord se fait oralement près du registre où il est enregistré par écrit. Dans le premier cas, le manuscrit ne porte donc pas nécessairement les écritures originales, mais des copies transcrites à partir de brouillons ou d’actes notariés, entraînant potentiellement une altération des informations. Dans le second cas, il s’agit bien d’écrits originaux, portant alors des éléments probatoires, comme une signature. Le manuscrit 9H2 relève de ces deux types d’action, et l’on y trouve transcrits des copies explicites de lettres, des censiers, en même temps que des actes originaux, comme cet accord entre Estiennot Germe et l’abbaye (figure 2). Il n’y a donc pas de règle absolue concernant les délais d’enregistrement ou la valeur intrinsèque des écrits portés sur le registre, ce qui opacifie encore davantage sa fonction et ses usages par les moines.

Figure 2 : Exemple d’une entrée signée : l’engagement de l’avocat Estiennot Germe envers l’abbaye en 1409 (fol. 101v, 9H2, ADVal d’Oise)

Figure 2 : Exemple d’une entrée signée : l’engagement de l’avocat Estiennot Germe envers l’abbaye en 1409 (fol. 101v, 9H2, ADVal d’Oise)

20En outre, quelques dates sont complétées par le mot « environ » qui induit que pour une partie des actes – seulement 22 – il existe un délai d’attente avant la mise par écrit des activités sélectionnées. Il apparaît que ce sont les contrats avec les artisans et les baux qui sont les plus touchés par ce report d’enregistrement – respectivement 7 et 8 actes sont concernés. Cela nous indique peut-être que, pour ces 15 accords, l’engagement, probablement oral, n’a pas eu lieu à l’abbaye même, mais à l’extérieur, et aurait donc été enregistré par la suite.

21La rédaction du manuscrit est donc régie par plusieurs logiques d’enregistrement dont il résulte un ensemble composite, hétérogène, mais visiblement utile et utilisé. À quoi le manuscrit pouvait-il servir, et, plus encore, à qui ?

Les utilisations du registre 9H2

L’influence de l’abbé Jehan de Brécourt

  • 29  Voir supra tableau 1.

22Ce registre a été ouvert sous Jehan de Brécourt, en 1328. L’abbé entre en fonction en 1318, période qui succède aux crises frumentaires de 1315 à 1317, et son abbatiat est marqué par les débuts de la guerre de Cent Ans. Or, l’un des deux pics d’enregistrement se situe entre les années 1330 et 1360, c’est-à-dire en partie durant les fonctions de Jehan de Brécourt, dont l’abbatiat se termine en 1343. Il existe donc une très forte corrélation entre l’abbé et le livre, l’un acteur, l’autre objet. Sous son abbatiat, 283 enregistrements sont effectués, soit 22 % du total, et la fréquence d’enregistrement atteint des moyennes jamais plus égalées par la suite29. On observe également que la plupart des logiques rédactionnelles mentionnées plus haut sont déjà à l’œuvre sous son abbatiat. Les dossiers thématiques, tels que les décomptes de bêtes à laine ou les achats à la foire du Lendit, sont ainsi déjà en place.

  • 30  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 54rv.
  • 31  Claudine Dardy, « De la paperasserie à l’archive : l’administration domestique », dans Daniel Fabr (...)
  • 32  Marc Bompaire, « Évaluer les monnaies à la fin du Moyen Âge. Une information imparfaite et inégale (...)
  • 33  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 55.

23Ces premières entrées inscrites sous Jehan de Brécourt forment un livre hybride, constitué pour une part d’un journal, qui consiste en des enregistrements fréquents, et d’autre part de données temporairement valides (décomptes de bêtes à laine, achats au Lendit…), globalement rédigées d’une écriture cursive et moins soignée que les autres, aux lignes moins régulières (figure 3). Cependant, on observe un deuxième type d’écrit, qui s’apparente davantage à un registre, où l’écriture est davantage soignée et les lignes régulières : les informations enregistrées sont toujours temporairement valides, mais elles ont une validité plus longue dans la durée. Aussi ces enregistrements sont-ils notés avec plus de soin. C’est le cas du « Cour des monnoies » de Philippe VI30. Il s’agit presque de « papiers-mémoires31 », que l’on copie tout autant pour leur utilité que pour la signification symbolique qu’ils revêtent. Une lettre royale, expédiée à plusieurs destinataires dans le royaume, conserverait une aura particulière même cent ans plus tard, alors que l’information est devenue obsolète. Mais cette lettre est bien copiée dans un but pratique32, puisqu’elle jouxte dans le registre une sorte de résumé du cours des monnaies pour les années 132033. La copie est alors intégrée dans un dossier et l’on peut considérer que la volonté d’utilité tient une part au moins égale à la volonté de conserver.

24L’utilisation du sommaire en début de registre est également plus régulière durant ce premier abbatiat : 32 % des 90 références du sommaire concernent des enregistrements effectués sous Jehan de Brécourt. Il ne s’agit pas d’un référencement systématique, mais étant donné que ces 32 % correspondent à une période d’utilisation d’une vingtaine d’années, cela témoigne d’une volonté de classement et de clarté de la part des premiers enregistreurs, volonté moins sensible chez leurs successeurs.

  • 34  Ces notes marginales caractérisent souvent l’enregistrement par rapport à une personne, en donnant (...)
  • 35  De nombreux scribes contribuent à la rédaction des quelque 1 280 enregistrements du registre, ce q (...)

25Il semble donc que les premiers utilisateurs du registre 9H2 soient pétris de bonnes intentions et d’une réelle volonté d’élaborer un registre clair et surtout pratique à l’usage ; en témoignent la foliotation continue en chiffres romains, le sommaire d’origine et les codes graphiques, tels que la rubrication des titres d’enregistrements, les traits de séparation horizontaux ou les notes marginales34. Une fois établies, ces modalités de rédaction sont rapidement, et ce presque dès l’ouverture du livre, modifiées par l’utilisation répétée du registre. Il paraît ainsi évident qu’il existe un fossé entre l’intention et la réalisation, assez vite appliquée par la majorité des scribes35 : les entrées qui constituent le début d’une suite thématique sont ainsi généralement beaucoup plus soignées que les suivantes ; les enregistrements dont l’information n’est que temporairement valide sont plus rapidement rédigés que les copies de lettres ou d’inventaires de chapelles.

Figure 3 : Un exemple de dossier thématique : les revenus du péage du pont de Pontoise

Figure 3 : Un exemple de dossier thématique : les revenus du péage du pont de Pontoise

Si la rédaction du premier enregistrement, ouvrant le dossier, est effectuée avec soin, ce n’est plus le cas des suivants (9H2, fol. 82r, AD Val d’Oise).

Quel(s) usage(s) pour le registre 9H2 ?

26Jehan de Brécourt, en ouvrant ce registre, a manifestement voulu améliorer la gestion des biens de Saint-Martin. Mais le manuscrit 9H2 a-t-il réellement été efficient ? Dans cette extrême diversité, où se situe l’intérêt du registre ? Quelles informations ont-elles pu être utilisées ?

  • 36  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 58v à 60 et 78v à 80.

27Assurément, toutes les activités économiques ne sont pas ici représentées. Dans cette fragmentation chronologique et topique, des dossiers très complets sont néanmoins repérables, qui ne dépassent pas une vingtaine d’années – la suite thématique la plus longue concerne les revenus tirés du péage du pont de Pontoise entre 1329 et 135536. Pour de courtes périodes chronologiques seulement, les enregistrements constituent des suites comptables raisonnées, qui établissent un état des lieux de certains sujets, offrant une vue d’ensemble sur une activité économique précise de Saint-Martin. Si ces suites chronologiques se recoupent assez peu, on peut tout de même observer qu’elles sont plus nombreuses sous Jehan de Brécourt. C’est le cas des baux, du vin, des comptes d’officiers, des contrats passés avec les artisans et des états des lieux des droits et redevances qui, tous, sont suivis durant cette première vague d’utilisation.

  • 37  Voir sur ce point les travaux de Sylvie Mouysset pour l’époque moderne : Sylvie Mouysset, Papiers (...)

28Cet ensemble d’apparence désordonnée propose néanmoins un aperçu rationnel, et l’on trouve, à cette accumulation de données, une cohérence logique. Il ne s’agit pas d’un panorama réaliste, qui refléterait les justes proportions des activités, des recettes et des dépenses de l’établissement ; un tel registre serait finalement inutile à qui voudrait en cerner les priorités, car il reviendrait à reporter toutes les archives dans un seul et même ouvrage. Cette vue offerte par le livre est au contraire volontairement déformée, remodelée, au prorata du degré d’investissement et d’engagement de la part de l’abbaye. Le manuscrit est le seul dossier diversifié dans ses informations et un angle d’approche unique pour la vie économique de Saint-Martin. Il constitue un témoin sans pareil de la ratio économique de l’abbé qui l’a créé et c’est bien en cela qu’il est un livre de raison, d’une « raison pratique37 ». La répartition des thématiques abordées sous Jehan de Brécourt laisse entrevoir les priorités :

Tableau 2 : Les thématiques des enregistrements du Livre de raison sous Jehan de Brécourt (1328-1343)

Thématiques

Nombre d’enregistrements

En part du total

Affermage (copie des contrats et quittances)

98

36 %

Contrats et quittances de salariés

45

17 %

Achats de fournitures

35

13 %

Comptabilités

27

10 %

Droits divers (dont copies de baux à cens)

17

6 %

Gestion des héritages échus à l’abbaye

14

5 %

Inventaires (pièces et exploitations)

13

5 %

Décomptes des cheptels et toisons

12

4 %

Autre : copies de lettres, gestion des cures

9

3 %

Estimations et états des revenus

2

1 %

Total

272

100 %

  • 38 ADVO, ms. 9H2, fol. 78v à 80v.
  • 39 Ibid., fol. 67.
  • 40 Ibid., fol. 70.
  • 41 Ibid., fol. 129v et 131.

29La gestion des contrats à ferme concentre plus du tiers des enregistrements. Une longue série de 44 enregistrements concerne ainsi les relevés du produit de la « bouette » – péage – du pont de Pontoise de 1341 à 1355, dont l’abbaye est l’un des seigneurs. Ce péage est levé par un fermier38. La supervision des artisans et d’autres interlocuteurs salariés est également un point central de cette partie rédigée par Jehan de Brécourt et représente 17 % des données. Dès l’ouverture du manuscrit, l’ensemble des achats effectués à la foire du Lendit y est reporté et 35 enregistrements y sont consacrés. Sont ainsi reportés dans le registre les nombreux et fréquents achats de pots et d’écuelles en étain39, d’huile40, et de manière plus générale les « choses achetées à la foire du Lendit41 ». 

  • 42 Sur la gestion du legs de Pierre d’Hérouville, voir J. Depoin, Le livre de raison…, p. 66-69.
  • 43 Sur l’ouverture et les ventes de la taverne de Pontoise, voir ibid., p. 195-202.
  • 44 ADVO, ms. 9H2, fol. 104r à 110v.

30Enfin, deux dossiers spécifiques sont traités par Jehan de Brécourt dès 1328 : le legs de Pierre d’Hérouville échu à l’abbaye en 132842, et l’ouverture d’une taverne à Pontoise en janvier 132943. La gestion de ces deux affaires a dû en partie motiver l’abbé à établir un suivi écrit de sa gestion, plus ou moins centralisé et à l’origine du Livre de raison. Que ce soit pour l’héritage ou la taverne, l’abbé a mandaté des officiers et procureurs qui administrent les recettes et les dépenses et lui rendent des comptes périodiquement. À partir de janvier 1329 Guillot de Montpançon et Jehan d’Ambleville sont ainsi préposés à la gestion de l’ouverture de la taverne et doivent commander le matériel nécessaire, transporter les tonneaux de vin jusqu’à Pontoise et évaluer les stocks et les ventes de l’établissement44. De la même manière, la gestion du legs, nécessitant de régler les dettes et d’attribuer les biens du défunt dont une partie est vendue, occupe plusieurs pages du manuscrit, notamment pour suivre l’acquittement des nombreuses dettes.

31La présence de ces différents types d’entrées prouve la dimension centralisatrice du registre, qui intègre des informations hétérogènes, issues de différents supports, qu’il s’agisse de lettres, contrats, censiers, inventaires, comptes ou actes de justice, pourvu que ces informations concernent certains secteurs. Cette sélection semble avoir été opérée en fonction de la conjoncture déjà fragilisée sous Jehan de Brécourt, avec le début des dévaluations monétaires, et des actualités économiques de l’abbaye : la taverne nouvellement ouverte concentre toute l’attention, tout comme les troupeaux confiés en métayage dans plusieurs domaines de l’abbaye.

32Cet élément est peut-être le seul qui nous permette de supposer qu’à cette époque les outils de ce type, dont la portée est généraliste, devaient être rares. Peu d’éléments de ce registre auraient pu être consignés dans un autre livre. Tout y est, sauf les éléments strictement budgétaires – probablement copiés dans des livres comptables disparus – ainsi que les mentions des possessions foncières de Saint-Martin – qui sont présentes dans les lettres patentes et les terriers et censiers. Il s’agit d’ailleurs d’un caractère particulier du registre sous Jehan de Brécourt, puisque les 38 % d’entrées qui concernent les revenus seigneuriaux ne comprennent aucun bail : soit les vagues de renouvellement des baux n’ont pas eu lieu durant cet abbatiat, soit les baux étaient copiés ailleurs, soit ils étaient conclus à l’oral seulement.

Enjeux et pérennité du système

  • 45  Les décomptes des toisons se poursuivent quasiment sans interruption – excepté pour les années 135 (...)

33Assurément, la première impulsion émane de l’abbé Jehan de Brécourt, mais la vie du livre ne se limite pas à cet abbatiat. Au-delà des personnalités dominantes, entendons par là les abbés, il faut souligner que les enregistrements se poursuivent entre chaque abbatiat. Une habitude d’usage du registre, et plus largement d’enregistrement, a été prise. La plupart des dossiers thématiques ouverts sous le premier abbé sont ainsi maintenus et alimentés les années suivantes, comme celui des toisons45. Le registre 9H2 fait donc partie intégrante du paysage de gestion. Si près d’un quart des actes sont transcrits sous Jehan de Brécourt, 36 % le sont sous Jehan II, dont l’abbatiat s’étend de 1359 à 1390. Loin d’être cantonnée au premier abbatiat, l’utilisation du registre s’accroît manifestement dans la deuxième moitié du xive siècle, plus de trente ans après la création du registre, même si la fréquence annuelle d’enregistrement reste modérée pour toute la durée d’utilisation du registre. Ceci vient confirmer que les informations ont été sélectionnées, et, même si le rythme est régulier, il est loin d’être journalier (graphique 2).

Graphique 2 : Fréquence annuelle d’enregistrement sous chaque abbatiat

Graphique 2 : Fréquence annuelle d’enregistrement sous chaque abbatiat
  • 46  Intitulés Estat des receptes et mises.
  • 47  Sur ces cahiers (AD Val d’Oise, ms. 9H22) sont recensées pour une année toutes les dépenses et ren (...)

34Jehan II Marguerite reste 31 ans en fonction. Étant donné que Jehan de Brécourt et Jehan II bénéficient tous deux de longs abbatiats, ils peuvent élaborer leurs propres systèmes de gestion comptable, et le registre 9H2 en est l’un des supports. L’analyse de la répartition des actes par thématiques permet de comparer les centres d’intérêt développés dans le registre sous les deux abbés et de constater que les grands thèmes restent globalement les mêmes. Mais une catégorie qui avait la part belle sous Jehan de Brécourt disparaît quasiment des thèmes enregistrés sous Jehan II Marguerite. Il s’agit des comptes d’officiers, qui passent de 22 % à 7 %. Ce point est crucial, car il reflète un réel écart entre les deux utilisations du registre. Cette quasi-disparition des comptes d’officiers suggère l’apparition de livres spécialisés, à l’instar de ces « cahiers de comptes46 » existant pour les années 1480 et 1490 et produits bien plus tard par des officiers, appelés « procureurs et receveurs » de l’abbaye47.

Tableau 3 : Les thématiques des enregistrements du Livre de raison sous Jehan II Marguerite (1359-1390)

Thématiques

Nombre d’enregistrements

En part du total

Affermage (copie des contrats et quittances)

135

44 %

Décomptes des cheptels et toisons

85

28 %

Contrats et quittances de salariés

77

25 %

Achats de fournitures

39

13 %

Comptabilités (dont receveurs)

35

11 %

Droits divers (dont copies de baux à cens)

30

10 %

Inventaires (pièces et exploitations)

29

9 %

Autre : copies de lettres, gestion des cures

14

5 %

Estimations et états des revenus

4

1 %

Gestion des héritages échus à l’abbaye

1

0 %

Total

308

100 %

35Jehan de Villeneuve maintient le manuscrit au centre du suivi des affermages, en y consacrant une part beaucoup plus importante que sous son prédécesseur puisque cette thématique passe d’un tiers à 44 %. De la même manière, le suivi des élevages ovins est plus serré, et passe de 4 % à 28 % des entrées du manuscrit. Les achats à la foire du Lendit, annuels, occupent exactement la même part du total des entrées sous Jehan de Brécourt et Jehan de Villeneuve. Les enregistrements concernant des comptabilités avec des procureurs sont sensiblement stables en volume, mais un nouveau type de donnée apparaît : les comptes des receveurs. Ce point est crucial, car il reflète un réel écart entre les deux utilisations du registre. Là où Jehan de Brécourt ne faisait aucune allusion aux tenures à cens, Jehan de Villeneuve en fait un dossier entier. Sur 31 ans d’abbatiat, 28 comptes avec les receveurs sont ainsi enregistrés, soit près d’un par an.

  • 48 ADVO, ms.9H2, fol.92r, 94r et 100r.

36Les seules mentions de procuration octroyées par l’abbé sont jusque-là limitées à des affaires bien spécifiques, comme la taverne de Pontoise ou la gestion d’héritages. Aucune trace dans la documentation domaniale antérieure aux années 1360 ne permet de savoir si la charge de receveur existe avant l’année 1366, où le prêtre Jehan Le Chandelier occupe ces fonctions. À partir de cette date, les receveurs sont toujours présents dans les outils de gestion, que ce soit comme rédacteurs, témoins ou débiteurs. L’hypothèse la plus probable est que la charge, d’ailleurs assez floue sous cet abbatiat – ces procureurs ne sont pas désignés comme receveurs –, soit mise en place par Jehan de Villeneuve qui rend compte à l’issue de chaque exercice des activités du receveur en place. Cette mise par écrit des comptes du receveur s’intègre dans la procédure de reddition, avant ou après, et ne comporte aucun signe de validation. Si l’abbé peut s’en passer, cela signifie que le simple fait d’effectuer la mise par écrit dans ce registre dispense précisément de tout signe de validation : il s’agit de l’outil personnel des abbés, l’autorité des données qui y sont écrites est reconnue par les moines et leurs officiers. Jehan de Villeneuve poursuit les dossiers thématiques ouverts par ses prédécesseurs et, lorsqu’il manque de place, indique en bas de page où le lecteur doit se reporter pour avoir la suite du dossier48

  • 49 Édouard III, partant de Calais en 1359, prend le château de l’Isle-Adam au nord de Pontoise, et de (...)
  • 50 À partir de 1358, les Grandes Compagnies commencent à piller et à rançonner dans la région : en oct (...)
  • 51 ADVO, ms. 9H2, fol. 91.
  • 52 L’élevage ovin est particulièrement sensible à cette contingence économique et militaire défavorabl (...)

37Jehan de Villeneuve conserve ce registre et maintient les mêmes usages et modes de rédaction. Si les thématiques ont sensiblement changé, ce n’est que la conséquence des variations de la conjoncture. De fait, l’abbé subit directement les conséquences de la peste qui a également fortement affaibli la population, et de ses retours. En outre, il doit affronter les dégâts causés par les chevauchées anglaises49, le passage des armées50, les opérations militaires en tout genre, fréquentes dans la région. Cette conjoncture défavorable oblige un seigneur tel que l’abbé de Saint-Martin à une parfaite connaissance de ses lacunes économiques, qui lui permette de tirer le meilleur parti de ses ressources défaillantes. Ainsi, en 1369, face à l’état de ruine de ses prieurés après la première phase de destructions occasionnées par les chevauchées anglaises et les passages des Routiers, l’abbé prend la décision d’affermer les prieurés de Valmondois et du Rosnel. Ceux-ci étaient déclarés « ruinables, inhabitables, déserts51 » et leur exploitation directe n’était probablement plus assez rentable. Le registre 9H2, toujours utilisé depuis sa création, est activement repris pour parer aux crises du moment, et les enregistrements se cristallisent sur les sujets délicats tels que la répartition des terres entre les fermiers, la taille des cheptels d’ovins52 et le mobilier dont dispose l’abbaye. Au reste, Jehan de Villeneuve tient les rênes de Saint-Martin à la période charnière de la première reconstruction, dont le registre 9H2 est un outil privilégié.

  • 53  AD Val d’Oise, ms. 9H22.

38Après l’abbatiat de Jehan II, la fréquence des enregistrements diminue brusquement et ne reprend pas au xve siècle. Durant l’abbatiat de Jehan III le Charon – de 1458 à 1471 – il y a si peu d’actes écrits – seulement deux – qu’ils en deviennent anecdotiques. Dès lors, le terme de registre de gestion n’est plus adapté pour désigner le manuscrit 9H2, la tenue en étant devenue trop irrégulière et occasionnelle. Parallèlement, il apparaît évident que les pratiques scripturales se sont perfectionnées : la présentation est très soignée et l’écriture appliquée. Tous ces éléments témoignent d’une brusque modification de la définition même du registre telle que l’avaient établie Jehan de Brécourt, puis Jehan II Marguerite, au cours du siècle précédent. Le registre passe du domaine pragmatique à celui de la classification. Il n’en demeure pas moins un outil, mais non plus de gestion. Si l’on observe la répartition topique des actes enregistrés à partir du début du xve siècle, il apparaît que l’on n’a plus affaire au même type de document. La majorité revient toujours au domaine seigneurial, mais elle change de visage. On ne trouve aucun bail, mais des listes de tenanciers, avec les parcelles qu’ils gèrent et la date de l’accord, et le nombre de listes de censitaires augmente. Les nominations aux cures, jusque-là rares et éparses, se multiplient et sont accompagnées des formules de serment de présentation aux cures. Ce qui a été enregistré après les années 1390 le fut à des fins de conservation. Cela est d’ailleurs fortement suggéré par la présence dans le fonds de l’abbaye de ces cahiers de recettes et dépenses produits dans les années 1480 et 149053. Nul doute que ces trois cahiers furent à l’origine accompagnés d’autres documents similaires – documents qui, du fait de leur caractère pragmatique, ont probablement été égarés. L’usage de l’écrit s’est finalement imposé à la bonne gestion du domaine, et la somme hétérogène et balbutiante qui émerge au xive siècle ne correspond plus aux nécessités du temps. L’outil de gestion cède la place à des documents plus spécialisés, tandis que lui-même change de fonction : tourné moins vers l’action d’administrer que vers la conservation d’une certaine mémoire administrative, étendue, en plus du domaine, à la gestion des cures et des procurations accordées aux « avocats-conseils ».

Conclusion : Quelle(s) temporalité(s) pour le registre 9H2 ?

39Le registre 9H2, imposant manuscrit à l’apparence désordonnée, permet de suivre, à travers les siècles, les mécanismes complexes de construction d’un outil de gestion, puis sa transformation à travers l’évolution de son utilisation et des fonctions qui lui sont attribuées, et enfin sa transformation en « monument » archivistique, dont l’ultime action est de servir de réceptacle à la copie de la bulle de 1603. La vie du document peut ainsi se comprendre comme un enchâssement de temporalités.

  • 54 Le concept de « vie de l’écrit » est repris par Paul Bertrand qui souligne que la plupart des docum (...)
  • 55 Les « cartulaires-stocks » sont une forme documentaire spécifique à l’espace liégeois, mais dont le (...)

40D’un point de vue archivistique, la vie du manuscrit54 peut être bornée entre 1328 et 1603, dates des premier et dernier enregistrements. Cette délimitation est cependant artificielle, puisqu’aucune activité rédactionnelle n’a lieu entre 1495 et 1603. Le manuscrit a été laissé de côté, et rouvert simplement dans le but d’archiver la copie de la bulle pontificale dont il était question plus haut. Du point de vue de la continuité codicologique, cette première temporalité ne fait donc pas sens. De fait, matériellement, le manuscrit cesse d’être un outil de gestion actif à partir de 1495, puisque les moines ne l’ouvrent plus pour y enregistrer des informations. Enfin, du point de vue des pratiques de gestion, le manuscrit connaît une rupture franche à partir des années 1390, moment qui correspond à la fin de l’abbatiat de Jehan II. Avec lui cesse la mobilisation de cet instrument comme outil personnel des abbés, ce qu’il était jusque-là depuis sa mise en place par Jehan de Brécourt. De support de l’activité d’administration abbatiale, il devient en 1490 un recueil de toutes les données qui ne trouvent pas encore leur place dans les nouveaux instruments mis progressivement en place au cours du xve siècle. Les moines consacrent des cahiers de comptes annuels aux comptes des receveurs notés par Jehan II dans le Livre de raison ; les baux et leur suivi de prélèvement des redevances afférentes sont enregistrés dans des sortes de « cartulaires-stocks » rassemblés ensuite dans des manuscrits composites55.

41La prise en considération de ces trois temporalités est nécessaire pour rendre compte du processus de formalisation de ce manuscrit. Les deux abbés du xive siècle ont l’initiative et la définition des usages du manuscrit. Ce premier moment – 1328-1390 – est donc fondateur, il définit le noyau rédactionnel et donne toute sa cohérence à l’outil. La deuxième temporalité – 1390-1495 – est celle qui brouille les pistes, complexifie un outil que les deux abbés voulaient au départ mobilisable. Il l’est encore sans doute – sinon à quoi bon y retranscrire des informations ? – mais perd la cohérence des comptabilités ouvertes et thématiques. Cette deuxième temporalité est cependant celle qui permet de comprendre la place centrale du manuscrit dans l’administration du domaine et les enjeux du développement des pratiques de l’écrit. La progressive fuite des thématiques vers des outils spécifiques n’est que le reflet de l’élaboration d’un réseau documentaire très complet et structuré. Enfin, la troisième temporalité – 1495-1603 – ne revêt a priori pas le plus grand intérêt aux yeux du médiéviste, étendant artificiellement la vie documentaire jusqu’à l’époque moderne. Pourtant, sans cet ultime ajout, le Livre de raison eût sans doute été victime des tris archivistiques et serait tombé dans l’oubli. Ses caractéristiques matérielles ont certainement intrigué les moines du xviie siècle, qui n’y ont pas vu la somme d’informations depuis longtemps dépassées qu’il contenait alors, mais un imposant manuscrit protégé par une couverture rigide, tranchant dans le paysage des rouleaux et des cahiers souples du chartrier. Cette ambiguïté sauve le manuscrit du rebut, alors que sa nature même d’outil de gestion lui assurait une destruction certaine, sitôt les fonctions qu’il remplissait accomplies.

  • 56 Paul Bertrand définit ainsi le « livre-total », à partir d’un exemple de codex de 1312, comme étant (...)
  • 57 Étienne Anheim, « La normalisation des procédures d’enregistrement comptable sous Jean XXII et Beno (...)
  • 58 Fourquin, Les campagnes de la région parisienne…, op. cit.

42Au final, ce registre, à mi-chemin entre le « livre-total56 » et le « cartulaire-stock », porte l’empreinte de chaque personnalité marquante de Saint-Martin et reflète des conceptions différentes de gestion par ces abbés. Cette évolution témoigne d’une seule et même avancée technique et intellectuelle : l’ancrage du recours à l’écrit dans les pratiques administratives. Le registre témoigne de ces tâtonnements de l’appareil de gestion, en développement dans les États pontificaux à la même période57. Si la procédure est encore hésitante en 1328, elle est affirmée et intégrée à la fin du xve siècle. Cette intégration progressive de la pratique de l’écrit dans la gestion de Saint-Martin, illustrée par notre source, l’est également par le truchement du fonds documentaire de l’abbaye. Les documents, très peu diversifiés et rares au xive siècle, se spécialisent et se multiplient au cours du xve siècle pour devenir au xvie siècle de véritables parangons d’outils comptables. À l’aune des acquis codicologiques, le registre 9H2 peut être considéré comme le pionnier d’une lente et progressive modification de l’usage de l’écrit, en même temps qu’un gradient des cycles économiques des xive et xve siècles, qui donne un éclairage original sur des réalités étudiées depuis longtemps58.

Notes

1 Description figurant dans l’ancien inventaire imprimé des Archives de Seine-et-Oise, conservé aux Archives départementales du Val-d’Oise.

2  Foliotation d’origine en chiffres romains.

3  Le fonds de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise est réuni dans la série 9H et compte 99 cartons.

4  Thierry Amalou, Annick Pegeon, Étude économique de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise du xie au milieu du xive siècle, mémoire de maîtrise dirigé par Robert Fossier, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1988 ; Christopher Manceau, La ville et la guerre : Pontoise et le Vexin français des prémices de la guerre de Cent Ans à la reconstruction (1320-1500), mémoire de DEA dirigé par Simone Roux, université Paris VIII, 1999.

5  Joseph Depoin, Le livre de raison de l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise (xive-xve siècles), Pontoise, Société historique du Vexin, 1900.

6  Au reste, cette monographie avait pour dessein le recensement des informations contenues dans le manuscrit, et non l’étude de sa matérialité, comme le souligne Joseph Depoin dans son introduction, proposant l’emploi du terme de « livre de raison » : « Nous nous proposons, dans les extraits qui vont suivre, et qui se rattachent surtout à des questions d’intérêt historique général, de montrer quelle mine de renseignements précieux est contenue dans ce véritable Livre de raison monastique […] » (ibid., p. 2).

7  Plus précisément, pour les travaux récents s’intéressant à la documentation de gestion domaniale, voir David Glomot, « Héritage de serve condition », une société et son espace. La Haute-Marche à la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat dirigée par Mireille Mousnier, université de Toulouse II Le Mirail, 2009 ; Harmony Dewez, Connaître par les nombres. Cultures et écritures comptables au prieuré cathédral de Norwich (1256-1344), thèse de doctorat dirigée par Laurent Feller et Phillipp Schofield, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2014.

8  Natacha Coquery, François Menant, Florence Weber (dir.), Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2006 ; Dewez, Connaître par les nombres…, op. cit.

9  Je remercie Caroline Bourlet et Isabelle Bretthauer pour leurs conseils.

10  La dernière feuille est en effet numérotée 329 (numérotation originelle en chiffre romains).

11  Le sommaire ne continue pas sur la feuille IV. Même s’il nous manque les feuilles V à IX, nous pouvons donc supposer que le sommaire ne faisait que six pages.

12  Outre le fait que la couture est caractéristique d’une reliure rigide, la dégradation du premier cahier, alors que les plats sont intacts, indique que ces derniers sont plus récents.

13  Ce type de filigrane, très abondant au xive siècle, marque un papier de provenance italienne : Charles-Moïse Briquet, Les filigranes. Dictionnaire historique des marques du papier, dès leur apparition vers 1282 jusqu’en 1600, Genève/Paris, A. Jullien/A. Picard, 1907, vol. 2, p. 283.

14  Il s’agit des cahiers 30, 31 et 32, qui regroupent les folios 258 à 281. Ce filigrane marquant un papier produit à Pise en 1316 correspond dans le catalogue de C.-M. Briquet au no 7415.

15 Voir par exemple : Carla Bozzolo, Ezio Ornato, Pour une histoire du livre manuscrit au Moyen Âge, Paris, CNRS Éditions, 1980.

16  57 décomptes d’achats – écuelles, pots d’étain, huile… – effectués à la foire du Lendit sont retranscrits dans le registre 9H2 et attestent de sa fréquentation régulière par les moines.

17  Il s’agit du premier cahier, qui comporte entre autres le sommaire des moines et les premières pages très dégradées.

18  Il s’agit des cahiers 21 et 22 (enregistrement de 1412), 27 et 28 (enregistrement de 1404), et 35 et 36 (enregistrement non daté).

19  Il s’agit des cahiers 3 à 9, 11 à 16 et 22 à 24.

20  Les cahiers 25 à 33 ont tous été rédigés après les années 1370.

21  C’est par exemple le cas des comptes annuels des myses et despenses de 1475, 1485 et 1491 (AD Val d’Oise, 9H22).

22  Caroline Bourlet, Enquête sur l’utilisation du papier comme support de l’écrit de gestion en France, 2006, IRHT, [en ligne], Ædilis, Actes, 12, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00139756 (consulté le 14 mars 2017).

23  Cette première phase comporte elle-même deux phases rédactionnelles, l’une s’étendant de 1328 aux années 1350, la deuxième courant des années 1360 aux années 1390.

24  Chaque nouveau paragraphe distinct par son sujet, et/ou par sa date et/ou sa main d’écriture constitue un enregistrement, même s’il ne comporte pas de titre. L’objectif de ce dépouillement était de découper le registre en cherchant à comprendre ce qui, pour les rédacteurs, constituait un enregistrement, une unité dans le manuscrit.

25  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 10v et 11.

26  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 59v.

27  Ibid., fol. 70v à 71v.

28 Anne-Laure Alard-Bonhoure, Richesses en crises. Techniques de gestion et écritures comptables à l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise (années 1320-années 1490), thèse de doctorat en cours, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Laurent Feller.

29  Voir supra tableau 1.

30  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 54rv.

31  Claudine Dardy, « De la paperasserie à l’archive : l’administration domestique », dans Daniel Fabre (dir.), Par écrit. Ethnologie des écritures quotidiennes, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997, p. 187-200.

32  Marc Bompaire, « Évaluer les monnaies à la fin du Moyen Âge. Une information imparfaite et inégale », Revue européenne des sciences sociales, 45/137, 2007, La monnaie, personnage historique, mis en ligne le 1er juillet 2010 (http://ress.revues.org/210, consulté le 15 mars 2017).

33  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 55.

34  Ces notes marginales caractérisent souvent l’enregistrement par rapport à une personne, en donnant soit le nom de l’abbé en place lors de l’enregistrement, soit celui du bénéficiaire de l’accord.

35  De nombreux scribes contribuent à la rédaction des quelque 1 280 enregistrements du registre, ce qui a pour résultat un paysage scriptural d’autant plus complexe que la datation des mains est gênée par le désordre chronologique des notices. Une première comparaison paléographique permet cependant d’affirmer que certains scribes voient leur période d’activité se chevaucher et restent parfois en activité sur le registre plusieurs années durant. Durant son abbatiat, l’abbé Jehan de Brécourt rédige ainsi lui-même les contrats d’engagement des artisans (fol. 32r-39r) et une partie des enregistrements, mais au moins une autre personne écrit dans le manuscrit. Par exemple, au fol.44r, un autre rédacteur rajoute un titre et commente un compte que l’abbé a effectué en 1338.

36  AD Val d’Oise, ms. 9H2, fol. 58v à 60 et 78v à 80.

37  Voir sur ce point les travaux de Sylvie Mouysset pour l’époque moderne : Sylvie Mouysset, Papiers de famille. Introduction à l’étude des livres de raison (France, xve-xixe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.

38 ADVO, ms. 9H2, fol. 78v à 80v.

39 Ibid., fol. 67.

40 Ibid., fol. 70.

41 Ibid., fol. 129v et 131.

42 Sur la gestion du legs de Pierre d’Hérouville, voir J. Depoin, Le livre de raison…, p. 66-69.

43 Sur l’ouverture et les ventes de la taverne de Pontoise, voir ibid., p. 195-202.

44 ADVO, ms. 9H2, fol. 104r à 110v.

45  Les décomptes des toisons se poursuivent quasiment sans interruption – excepté pour les années 1350, marquées par les grandes chevauchées et les épizooties, où les troupeaux ont drastiquement diminué – jusqu’en 1414.

46  Intitulés Estat des receptes et mises.

47  Sur ces cahiers (AD Val d’Oise, ms. 9H22) sont recensées pour une année toutes les dépenses et rentrées d’argent effectuées par l’officier en charge. Les cahiers comportent des éléments probatoires, comme la copie du contrat avec l’abbaye et la signature, en fin de cahier, du receveur qui gère la tenue de ces relevés.

48 ADVO, ms.9H2, fol.92r, 94r et 100r.

49 Édouard III, partant de Calais en 1359, prend le château de l’Isle-Adam au nord de Pontoise, et de là lance des razzias jusqu’au confluent de l’Oise et de la Seine.

50 À partir de 1358, les Grandes Compagnies commencent à piller et à rançonner dans la région : en octobre 1358, Cergy, Villeneuve-Saint-Martin, Boissy, paroisses dépendant en partie de l’abbaye, sont ainsi rançonnées. Voir Guy Fourquin, Les campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge, du milieu du xiiie siècle à la fin du xvie siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1964.

51 ADVO, ms. 9H2, fol. 91.

52 L’élevage ovin est particulièrement sensible à cette contingence économique et militaire défavorable – prédation des soldats, épizooties – et les décomptes de cheptels en sont le témoin : en 1338, 281 bêtes sont tondues, contre 35 en 1361 (ADVO, ms. 9H2, fol. 10v).

53  AD Val d’Oise, ms. 9H22.

54 Le concept de « vie de l’écrit » est repris par Paul Bertrand qui souligne que la plupart des documents de gestion sont conçus dès le départ avec un cycle de vie déterminé : P. Bertrand, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (1250-1350), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, p. 30.

55 Les « cartulaires-stocks » sont une forme documentaire spécifique à l’espace liégeois, mais dont les caractéristiques se retrouvent fréquemment dans les chartriers septentrionaux ; P. Bertrand, Les écritures ordinaires…, op. cit., p. 92-94.

56 Paul Bertrand définit ainsi le « livre-total », à partir d’un exemple de codex de 1312, comme étant une sorte de « censier-rentier-terrier [qui] compile donc toutes les informations disponibles dans les archives de l’abbaye [cistercienne de Flines], qu’elles proviennent de listes diverses ou de chartes, voire de données semi-orales, semi-écrites » ; ibid., p. 120.

57 Étienne Anheim, « La normalisation des procédures d’enregistrement comptable sous Jean XXII et Benoît XII (1316-1342) : une approche philologique », Mélanges de L’École française de Rome, Moyen Âge, 118/2, 2006, p. 183-201.

58 Fourquin, Les campagnes de la région parisienne…, op. cit.

Table des illustrations

Titre Figure 1 : Vue générale du ms. 9H2 (AD Val d’Oise)
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/54512/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 384k
Titre Graphique 1 : Répartition annuelle des enregistrements dans le ms. 9H2
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/54512/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 200k
Titre Figure 2 : Exemple d’une entrée signée : l’engagement de l’avocat Estiennot Germe envers l’abbaye en 1409 (fol. 101v, 9H2, ADVal d’Oise)
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/54512/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 264k
Titre Figure 3 : Un exemple de dossier thématique : les revenus du péage du pont de Pontoise
Légende Si la rédaction du premier enregistrement, ouvrant le dossier, est effectuée avec soin, ce n’est plus le cas des suivants (9H2, fol. 82r, AD Val d’Oise).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/54512/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 219k
Titre Graphique 2 : Fréquence annuelle d’enregistrement sous chaque abbatiat
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/54512/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 207k

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