La politique de la France à l’égard de l’Ukraine
|Chapitre III. L’Ukraine au moment de la Révolution
Texte intégral
- 1 Edouard Cornély, Ed., Paris, 1907.
1La division administrative de l’Empire russe ne correspondait pas à la délimitation ethnique des peuples qui le composaient. De ce fait, aucune délimitation officielle de l’Ukraine n’a jamais été établie. La seule indication pouvant déterminer ses limites était en premier lieu l’usage de la langue maternelle qui correspondait d’une manière générale à l’appartenance ethnique de la population. Ce sont donc les données des recensements, notamment du recensement russe de 1897, qui ont servi à établir une « carte de l’extension du peuple ukrainien » qui se trouve, par exemple, en annexe dans le livre de R. Sembratovytch Le tsarisme et l’Ukraine1. Cette carte englobe également les territoires ethnographiques situés dans l’Empire austro-hongrois.
- 2 Ibid., p. 1.
2Le territoire ethnographique ukrainien comprenait donc les neuf gouvernements russes à majorité ukrainienne absolue (Volhynie, Kiev, Podolie, Kherson, Katerynoslav, Kharkiv, Poltava, Tchernyhiv et Tauride sans la Crimée) et les trois régions de l’Autriche-Hongrie (Galicie orientale, Boukovine du Nord et Transcarpathie). A ce vaste territoire s’ajoutaient différentes régions avoisinantes, où les Ukrainiens étaient en majorité partiellement absolue ou relative (Kouban, Koursk, etc.). Au total, le territoire ethnographique ukrainien – et que les Ukrainiens réclamaient – avait une superficie de 850.000 km2 répartis comme suit : 775.000 km2 dans l’Empire russe et 75.000 km2 dans l’Empire austro-hongrois2.
- 3 Ibid., p. 38. Il est à noter qu’après la fin de la guerre soviéto-ukrainienne, Moscou n’a pas permi (...)
3En ce qui concerne le nombre d’habitants, les auteurs ukrainiens de l’époque ont calculé que le « territoire national central de la nation ukrainienne, d’une superficie de 850.000 km2 », était habité (en 1910) « par 45 millions d’âmes », dont 32.700.000 Ukrainiens3.
4Il est difficile de faire des estimations pour l’année 1917 et les chiffres de 30 millions d’Ukrainiens en Ukraine « russe » et 5 millions en Ukraine « autrichienne » sont approximatifs ; ils aident surtout à saisir l’ordre de grandeur. Il ne faut pas oublier non plus qu’en 1917, certaines régions occidentales de l’Ukraine « russe » (Volhynie, Pidlachie, Polissia) étaient occupées par les troupes austro-allemandes.
5Les Ukrainiens étaient conscients de l’importance de leur pays, surtout en 1917, ainsi que nous le verrons plus loin. Plus tard, un bolchevik ukrainien notoire, V. Chakhraï, espérant infléchir l’attitude de Lénine à l’égard de l’idée de l’indépendance tant de l’Ukraine que du parti communiste ukrainien, a utilisé en vain l’argument de l’importance de ce pays. Le passage de son livre, paru à Saratov, en Russie soviétique, mérite d’être cité :
- 4 Serhiy Mazlakh, Vassyl Chakhraï, Do khvyli (Sur la situation actuelle), Saratov, 1919, p. 146-147 ; (...)
6« La nation ukrainienne occupe un territoire compact s’étendant des Carpathes à l’ouest jusqu’au Don à l’est, et de la mer Noire au sud à la rivière Prypiat (Pripet) au nord. Sa superficie atteint près de 850.000 km2. Même en considérant que ce chiffre est exagéré, il n’en reste pas moins clair que par son territoire, l’Ukraine n’est pas un petit pays. Voici le territoire des plus grandes puissances du monde, sans leurs colonies : U.S.A. (1897) : 7.972.000 km2, 63 millions d’habitants ; Turquie (1897) : 1.63p000 km2, 22,8 millions ; Autriche-Hongrie (1890) : 602.000 km2, 42,9 millions ; Allemagne (1895) : 47.000 km2, 52,3 millions ; France (1886) : 465.000 km2, 38,5 millions ; Espagne (1887) : 450.000 km2, 17,6 millions ; Grande-Bretagne (avec Irlande) (1891) : 275.000 km2, 38,1 millions. Suivent les États ayant moins de 400.000 km2 de superficie. Ainsi, même diminuée de moitié, réduite aux huit gouvernements de l’ancienne Ukraine russe..., l’Ukraine occupera par son territoire une place égale à celle de la France, de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie, de l’Espagne ; elle sera plus importante que n’importe quel autre État européen (hormis la Russie). On ne peut pas dire avec exactitude le nombre des habitants de ce territoire. Quoi qu’il en soit, le chiffre de 35 millions ne doit pas être considéré comme exagéré » (75 % d’entre eux sont Ukrainiens)4.
- 5 Ibid., p. 147-148.
- 1 Selon d’autres estimations, la composition nationale de la population de l’Ukraine était la suivant (...)
7En ce qui concerne la composition nationale, on estime, d’après le recensement de 1897, qu’elle était, dans les huit gouvernements ukrainiens, la suivante : Ukrainiens, 74,6 % ; Russes, 10,7 % ; Juifs, 8,5 % ; Allemands, 1,9 % ; Polonais, 1,7 %5. On peut donc supposer qu’en 1914, sur le territoire de ces huit gouvernements, il y avait approximativement 3,5 millions de Russes, 2,6 millions de Juifs, 800.000 d’Allemands et 600.000 de Polonais. Là encore, ces chiffres n’ont de valeur qu’à titre d’indication1. D’autant plus qu’en 1917, non seulement un certain nombre d’Ukrainiens (au moins 2 millions) servaient dans l’armée en dehors de l’Ukraine, mais également parce que des millions de soldats russes et un certain nombre de soldats d’autres nationalités se trouvaient sur le territoire ukrainien, dans des garnisons aussi bien que sur le front. Or, lors des élections à l’Assemblée constituante, ainsi qu’aux élections municipales, tous ces non-Ukrainiens voteront en Ukraine au même titre que la population ukrainienne.
- 6 M. Stakhiv, Tretiy Ouniversal..., op. cit., p. 13.
8La grande majorité des Ukrainiens – plus de 85 % – étaient des paysans. La campagne était donc ukrainienne. Mais la plupart des villes, notamment les villes importantes, étaient par contre en grande partie russifiées. Dans beaucoup d’entre elles, l’élément ukrainien n’atteignait même pas 50 %. Les Juifs prédominaient à Berdytchiv, Tcherkassy, Ouman, Kamianets, Bratslav, Proskouriv. Un nombre important de Russes habitaient à Kharkiv, où les Ukrainiens ne représentaient que quelque 25 % de la population, à Katerynoslav (actuellement Dnipropetrovsk), à Kiev, ainsi que dans le centre industriel de Donbass. A Kiev, les Ukrainiens ne représentaient que 16,4 %6
- 7 Cf. Weronika Gostyhska, Stosunki polsko-radzieckie, 1918-1919 (Les relations polono-soviétiques, 19 (...)
9Les classes moyennes du pays (commerçants, artisans, etc.) étaient composés en majorité de non-Ukrainiens. La plupart des grands propriétaires terriens étaient également des non-Ukrainiens. Par exemple, 46 % des terres arables à l’ouest du Dniepr appartenaient aux grands propriétaires polonais7. A l’est, les grands propriétaires étaient Russes ou russifiés. Ainsi l’avait décidé l’histoire. Car à la dénationalisation des classes élevées et moyennes, dont il a été question précédemment, est venue s’ajouter, au cours des siècles, l’immigration des éléments polonais et russes, ainsi que l’immigration massive de Juifs (xve-xvie siècles), qui ont tenu à rester une entité nationale et ethnique distincte.
10Pendant l’industrialisation (1860-1913), des centaines de milliers de Russes en quête du travail arrivent en Ukraine chaque année. Ils seront sans doute quelque 3,5 millions à la veille de la guerre de 1914. L’historien ukrainien, M. Hrouchevskyi, décrit ainsi la situation en 1917 :
11« La grande propriété rurale se trouvait, à part de rares exceptions, dans des mains étrangères, surtout russes et polonaises : des Russes et des Polonais qui l’étaient d’ailleurs moins par la naissance que par l’éducation et les sentiments anti-ukrainiens.
12La grande indutrie était monopolisée par des capitalistes étrangers ou locaux, en tout cas non ukrainiens – Russes, Polonais, Juifs, etc...
13De même la bureaucratie était russe ou dénationalisée ; le haut clergé russe ; le bas clergé terrorisé par la politique anti-ukrainienne des gouvernements s’était détaché du peuple.
14Dans les classes éduquées prédominait fortement l’élément non ukrainien immigré ou dénationalisé par suite de la politique prohibitive du pouvoir central en ce qui concernait l’éducation, l’instruction, la langue, etc.
15La petite bourgeoisie, en majeure partie, était aussi étrangère – russe ou juive, par suite des circonstances historiques...
16De même les ouvriers et le prolétariat des villes étaient fortement mêlés d’éléments non ukrainiens – résultat de la dénationalisation et de l’immigration ouvrière venant des autres contrées de la Russie.
- 8 M. Hrouchevski, La lutte sociale et politique en Ukraine, 1917-1919, Prague, 1920, p. 4-5.
17Seuls les paysans conservatifs et passifs, placés dans des conditions défavorables au développement et à l’instruction, avaient gardé dans toute leur fraîcheur les formes nationales. C’est pourquoi les paysans forment aujourd’hui 85 % de la population ukrainienne dans le pays... Ainsi donc actuellement la population ukrainienne compte 75 % de la population totale habitant le territoire de la République ukrainienne. C’est une classe de paysans, pour la plupart pauvres, puisque les propriétaires ayant plus de 10 ha par ménage, ne font qu’un dixième de la population... »8
18La comparaison de la structure sociale avec la structure nationale de la population de l’Ukraine aide à comprendre à quel point l’appartenance sociale correspondait à l’appartenance nationale. D’une part, il y avait la masse du peuple ukrainien, presque tous paysans, au point que l’on considérait que l’Ukrainien ne peut être qu’un paysan inculte, et d’autre part, la petite minorité des classes moyennes et élevées, composées de non-Ukrainiens en majorité écrasante. Cette structure sociale et nationale de l’Ukraine jouera un rôle très important dans la suite des événements.
- 9 P.A. Khromov, Ekonomitcheskoyé razvitié Rossii (Le développement économique de la Russie), Moscou, (...)
19L’Empire russe, notamment sa partie européenne, contrairement à ce que l’on croit généralement, n’était pas un pays sous-développé économiquement. L’industrialisation, commencée vers 1860 et dont l’apogée se situe dans les années 1890-1900, a donné d’excellents résultats. A titre de comparaison, la production industrielle dans la période entre 1860 et 1900 a augmenté 7 fois en Russie, 5 fois en Allemagne, 2,5 fois en France et 2 fois en Angleterre9.
- 10 Ibid., p. 404-405.
20Après une accalmie et parfois une légère régression, les années 1910 marquent une nette reprise de l’expansion. Au cours des années 1911-1913, l’accroissement annuel de la production a été plus important en Russie (4,8 %) qu’en France (3,5 %), en Angleterre (1,6 %) et en Allemagne (4 %)10.
- 11 Pobieda sovietskoy vlasti..., op. cit., p. 14.
21Les richesses naturelles de l’Ukraine ont naturellement conduit le pouvoir à développer dans ce pays l’industrie d’extraction (minerais, charbon) et la métallurgie, au détriment de l’industrie de transformation et de la fabrication des produits manufacturés. Néanmoins, le nombre d’entreprises importantes croissait chaque année (281 entreprises employant 383.000 ouvriers en 1914, dont 157 entreprises employant chacune plus de 1.000 ouvrier)11. L’industrie sucrière et l’agriculture étaient également très développées.
- 12 Istoria Oukraïnskoï RSR (Histoire de la R.S.S. d’Ukraine), vol. 5, Kiev, 1977, p. 10 ; S. Mazlakh e (...)
22Au début de 1915, la part de l’Ukraine dans la production industrielle de l’Empire russe était très importante : 78,2 % de charbon, 69,5 % de minerai de fer, 68,6 % de fonte, 82,2 % de sucre, 55 % de machines agricoles, 41,3 % de locomotives, 78 % de rails, 96,7 % de fil de fer, etc., étaient produits en Ukraine12.
Les intérêts français en Ukraine.
23L’extraordinaire effort d’industrialisation de l’Empire russe – et par conséquent de l’Ukraine – n’aurait pas été possible sans l’investissement d’énormes capitaux. Le gouvernement russe est allé chercher ces capitaux à l’étranger, d’abord en Allemagne, puis en France, en Belgique, en Grande-Bretagne.
- 13 P. V. Ohl, Inostrannyé kapitaly v Rossii (Les capitaux étrangers en Russie), Pétrograd, 1922, p. 9, (...)
24A la veille de la guerre, les capitaux étrangers dans l’Empire russe, selon les sources soviétiques, s’élevaient à 2.242.974.600 roubles-or et leur origine était la suivante13 :
France.............................. |
731.746.600roubles |
Angleterre......................... |
507.479.800 – |
Allemagne......................... |
441.293.200 – |
Belgique........................... |
341.602.500 – |
États-Unis......................... |
117.750.000 – |
Pays-Bas............................ |
35.456.700 – |
Suisse................................ |
32.479.100 – |
Danemark......................... |
14.737.700 – |
25Quelques autres pays avaient investi la somme de 20.429.000 roubles.
26Ces capitaux étaient investis surtout dans l’industrie, mais également dans le réseau ferroviaire, le commerce, les banques, etc.
- 14 Ce tableau a été publié dans l’ouvrage Pobiéda sovietskoy vlasti na Oukraïnié, op. cit., p. 20 ; vo (...)
27Un quart des capitaux étrangers destinés à l’industrie de l’Empire russe ont été investis en Ukraine, soit près de 420 millions de roubles. Le tableau ci-dessous rend compte de la répartition de ces capitaux en 1917 (en millions de roubles)14
28Ce tableau montre que plus de la moitié des capitaux étrangers investis en Ukraine étaient des capitaux français, ce qui donne la dimension des intérêts français dans ce pays, et un tiers des capitaux belges. Ces capitaux arrivaient par l’entremise de 83 sociétés d’actionnaires. Une grande partie des richesses de l’Ukraine – la presque totalité de la métallurgie, plus de la moitié du charbonnage et trois quarts de l’industrie minière – étaient contrôlés par des compagnies françaises, belges, partiellement allemandes et britanniques.
29Sur trente-six sociétés d’actionnaires, propriétaires de mines de charbon du Donbass, vingt-cinq étaient étrangères ; dix-neuf d’entre elles avaient leur siège en France ou en Belgique. Les usines appartenant aux sociétés étrangères produisaient 89 % de la fonte, 60 % du charbon, 81 % du cock ukrainiens. Des capitaux étrangers ont été investis également dans le réseau ferroviaire, qui était assez bien développé : six voies ferrées d’une longueur totale de 12.500 km.
- 15 Pour toutes les données utilisées ici, voir les mêmes ouvrages : Pobiéda..., op. cit., p. 17-21 ; P (...)
30Le capital investi en Russie rapportait 12,9 % de bénéfices. De 1898 à 1913, les investisseurs étrangers ont reçu la somme de 5,4 milliards de roubles de bénéfices. Cette somme dépasse le capital investi15.
La Révolution.
31Le régime social et politique de l’Empire tsariste était extrêmement arriéré et ne répondait pas aux conditions de l’époque. L’uniformité du régime dans un Empire englobant des pays qui différaient sensiblement les uns des autres, l’absence de réformes d’un ordre social moyenâgeux, ne pouvaient qu’aggraver les complications nées d’un mécontentement général.
32La guerre de 1914 compliqua sensiblement la situation intérieure, accélérant la détérioration du pouvoir. Les premiers élans de patriotisme s’estompèrent très vite au milieu des revers militaires, de la désorganisation très grave de l’économie, et de l’impuissance du haut commandement et du gouvernement à s’adapter à des situations nouvelles.
33La désorganisation de l’approvisionnement des grandes villes, surtout de Pétrograd, provoqua une grave pénurie de produits alimentaires. La population de la capitale de l’Empire était, à la veille de la Révolution, fatiguée de la guerre, affamée. Le slogan « paix » lancé par les pacifistes, les socialistes et les bolchéviks a trouvé un terrain propice. On en avait assez de la guerre, qui durait trop longtemps, et de la misère.
34La mobilisation de quinze millions d’hommes n’était pas de nature à améliorer les choses. Les gares et les garnisons se remplirent de soldats, de jeunes paysans et, dans une proportion moins importante, d’ouvriers en uniformes, tous plus ou moins réceptifs à l’agitation révolutionnaire socialiste et communiste.
- 16 Serge de Chessin, Au pays de la démence rouge. La Révolution russe, Paris, 1919, p. 54.
35A côté de l’ouvrier et du paysan, le soldat est devenu le troisième élément de fermentation révolutionnaire. Non sans raison, d’ailleurs. Un observateur note, en effet, que le soldat était souvent maltraité, ses chefs pouvaient le tutoyer, le rudoyer, on lui interdisait l’accès à certains restaurants, cafés, jardins publics16.
- 17 Pierre Renouvin, La première guerre mondiale, Paris, 1976, p. 64.
36Le peuple ne comprenait pas les buts de la guerre, ou plutôt il se refusait à comprendre du moment où c’était lui qui en assumait les frais. « A tout moment, écrivait l’ambassadeur anglais, les flammes peuvent jaillir du feu qui couve »17. La déflagration s’est produite le 8 mars (23 février) 1917 : le point de départ de la révolution est une émeute de ravitaillement. Les soldats ayant refusé de tirer sur les émeutiers, l’émeute se transforme en révolution et au bout de quatre jours, le 12 mars (27 février), le régime s’écroule définitivement.
- 18 Cf. W. Stojko, Ukrainien National Aspirations and the Russian Provisionnai Government, in The Ukrai (...)
37Il est intéressant de noter que le régiment qui a refusé de tirer sur la foule, donnant ainsi l’exemple aux autres unités, était composé principalement d’Ukrainiens (le régiment de Volhynie)18.
38La révolution, appelée souvent « révolution de février » (compte tenu de l’ancien calendrier russe), fut un événement de première importance. Elle amena l’écroulement d’un système politique, d’un ordre social et, surtout, d’un Empire. Ce qui s’est passé après, y compris la révolution dite d’octobre, ne fut que la conséquence de cet écroulement brusque et rapide, qui fut le point de départ d’un processus entièrement nouveau.
39Parmi les multiples aspects de ce processus, il convient de mentionner en premier lieu l’apparition d’un mouvement centrifuge des peuples non russes de l’Empire qui, mettant à profit l’éclatement de l’autorité centrale et du système policier, pensaient pouvoir enfin réaliser leurs aspirations nationales étouffées jusqu’alors.
40Ainsi apparaît une double tendance dans la suite des événements : en Russie elle-même, cette tendance ira dans le sens de la recherche des solutions pour les aspirations strictement sociales (mais avec l’agitation socialiste et communiste, cette tendance débordera ensuite les frontières de la Russie), tandis que dans les pays non russes de la périphérie, on s’attachera surtout à satisfaire les aspirations nationales, à construire une vie nationale indépendante, et on cherchera – assez confusément, d’ailleurs – à transformer l’ancien Empire en une confédération ou une fédération des États autonomes, ou à former des États indépendants. L’Ukraine est un exemple type du processus de libération nationale et de la lutte pour l’indépendance.
La renaissance ukrainienne.
41Dès que la nouvelle de la révolution et de la chute du régime est parvenue à Kiev, la vie nationale commença immédiatement à s’organiser sous les yeux incrédules et le plus souvent hostiles des adversaires du mouvement national ukrainien.
- 2 En ukrainien : Oukraïnska Tsentralna Rada (Conseil central ukrainien). « Rada » veut dire « conseil (...)
42Le 17 mars 1917, cinq jours à peine après la révolution un parlement provisoire, la Rada centrale ukrainienne2, fut constitué à Kiev. Les affaires du pays furent ensuite confiées à un gouvernement provisoire désigné par la Rada. Mais dès le 22 mars, la Rada s’adressa à la population en ces termes :
Peuple ukrainien ! Voici venue la liberté pour tout le peuple asservi, pour toutes les nations opprimées de la Russie. Après un sommeil de plus de deux cents ans, voici arrivé le moment également de ta propre liberté et du réveil pour une vie nouvelle, libre, créatrice.
Pour la première fois, tu auras l’occasion, peuple de 30 millions d’Ukrainiens, de dire par toi-même ce que tu es et comment tu veux vivre en tant que nation distincte. A partir de maintenant, dans une famille amicale de peuples libres, tu commenceras à te forger toi-même, avec tes propres mains puissantes, un sort meilleur.
43Le gouvernement tsariste est tombé. Le gouvernement provisoire a fait connaître qu’il convoquera bientôt une Assemblée constituante, élue au suffrage universel, égal et direct. De cette tribune va retentir pour la première fois dans le monde entier, dans toute sa force, ta véritable voix et ta volonté. En attendant ce moment, nous t’appelons à exiger dans le calme mais fermement du nouveau gouvernement (de Pétrograd) tous les droits qui t’appartiennent tout naturellement et dont tu dois jouir en tant que grand peuple, seul maître sur le sol ukrainien.
44Demande d’introduire dans le temps le plus proche ta propre langue dans toutes les écoles, des primaires aux supérieures, dans les tribunaux et dans les institutions d’État.
- 3 Administration autogestionnaire locale et provinciale.
45Avec le même calme, mais avec fermeté, exige les mêmes droits pour la langue ukrainienne de la part des prêtres, des zemstvos3 et de toutes les institutions non gouvernementales d’Ukraine.
46Peuple d’Ukraine ! Paysans, ouvriers, soldats, citadins, clergé et toute l’intelligentsia ukrainienne ! Gardez le calme ! ne permettez pas les actions qui ruineraient l’ordre. Mettez-vous au travail, ensemble, avec sincérité et détermination, adhérez aux associations politiques, culturelles, aux sociétés économiques, souscrivez au Fonds national ukrainien et élisez vos propres compatriotes à tous les postes. Organisez-vous ! Ce n’est qu’en étant organisés que vous allez pouvoir bien connaître vos besoins, les défendre et créer un meilleur destin sur cette terre.
- 19 D. Dorochenko, Istoria Oukràiny (Histoire de l’Ukraine), vol. 1, Oujhorod, 1932. 2e édition, New Yo (...)
47Peuple ukrainien ! Une vie nouvelle s’ouvre devant toi. Prends cette grande voie, avec courage et dans l’union et au nom de ton bonheur, du bonheur des générations futures de notre Mère Patrie, entreprends avec tes mains puissantes la formation de ta vie nouvelle et libre19.
- 4 Cette formation des socialistes modérés et d’intellectuels prit, en été 1917, le nom de Parti des s (...)
48Au même moment réagirent aussi les colonies ukrainiennes de Pétrograd et de Moscou, où se trouvaient un certain nombre d’intellectuels et d’étudiants. Une déclaration de la section de Pétrograd de l’Union des progressistes ukrainiens4 demandant l’autonomie politique pour l’Ukraine et l’introduction de la langue ukrainienne dans les écoles et les administrations de ce pays fut publiée dès le 22 mars 1917 dans le journal russe Dien. Le 25 mars, la colonie et plus de vingt mille soldats ukrainiens de la garnison appartenant à ces mêmes régiments qui, quelques jours auparavant, avaient refusé de tirer sur les manifestants de Pétrograd et qui prirent part à la Révolution, manifestèrent dans les rues de la capitale de l’Empire mourant. En tête de chaque unité, on put voir, pour la première fois, les drapeaux aux couleurs nationales de l’Ukraine, azur et or. Par cette démonstration de caractère manifestement national, en faveur des droits politiques de l’Ukraine, la question nationale ukrainienne se retrouva subitement à la une des journaux de Pétrograd.
49Le 25 mars, parut à Kiev le premier numéro du premier quotidien en langue ukrainienne Nova Rada, qui succéda à la Rada, interdite par le gouvernement russe au début de la guerre. D’autres journaux en ukrainien parurent quelques jours plus tard : Robitnytcha Hazeta, Narodna Vola, Borotba, etc.
- 20 D. Dorochenko, Istoria Oukraïny, op. cit., p. 46.
50Le 29 mars, Kiev connut sa première manifestation publique nationale. Ce jour fut proclamé Fête de la Liberté. Les manifestants portaient des drapeaux aux couleurs nationales ukrainiennes et des inscriptions « Vive l’Ukraine libre ! »20.
51La Rada centrale appela les Ukrainiens à manifester le 1er avril. Ils vinrent en masse : plus de cent mille personnes, soldats, ouvriers, étudiants, écoliers, et plus de trois cent vingt drapeaux aux couleurs nationales. Des manifestations semblables de déroulèrent dans les principales villes de province.
- 5 M. Mikhnovskyi (1873-1924), juriste, homme politique, auteur de la brochure Samos-tiyna Oukraïna (U (...)
52Dès le 19 mars, une réunion de deux cent onze militaires ukrainiens de Kiev, convoquée à l’initiative de l’officier M. Mikhnovskyi5, s’était prononcée en faveur de l’organisation d’une armée nationale. Trois jours plus tard, le 22 mars, les résolutions prises à l’issue de cette réunion reçurent l’approbation de quatre mille participants de la première assemblée des soldats et officiers de la garnison de Kiev. Le 29 mars eut lieu une autre réunion des militaires ukrainiens, à l’issue de laquelle fut adoptée une résolution demandant de commencer immédiatement l’organisation de l’armée nationale, d’une puissance militaire nécessaire pour acquérir et défendre la liberté totale de l’Ukraine.
La situation internationale.
53Au moment où éclata la Révolution russe, la situation internationale était complexe et dangereuse pour l’Entente. La guerre continuait. Malgré des succès importants remportés par celle-ci, les Puissances centrales ne se sentaient pas battues.
- 21 P. Renouvin, op. cit., p. 16-19.
54Pour imposer sa volonté à l’adversaire, chacune des coalitions avait besoin non seulement d’effectifs et d’armement afin de surpasser l’adversaire en nombre et en puissance, mais également d’une forte cohésion nationale. Or cette cohésion pouvait être mise en danger, dans certains cas, par deux « forces morales », selon l’expression de P. Renouvin : les mouvements nationaux qui, pour l’État concerné, représentent une cause de faiblesse que son adversaire peut chercher à exploiter et la doctrine socialiste internationale. Certes, d’une manière générale, celle-ci se trouva reléguée au deuxième plan par le sentiment national21 Toutefois, une fraction des socialistes internationalistes (dont Lénine, alors en émigration), réunie à Zimmerwald, en Suisse (1915), prône la solidarité internationale du prolétariat, la lutte des classes, la lutte pour la paix « sans annexions, ni indemnités de guerre » et le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Même si cette propagande n’a eu pratiquement aucun retentissement, l’idée de mettre fin à la guerre, de faire la paix « sans annexions, ni indemnités » trouvera un terrain extrêmement favorable dans la Russie ébranlée par la Révolution.
- 22 Cf. Pobiéda sovietskoy vlasti na Oukraïnié, op. cit., p. 29.
55En 1917, les complications issues de la guerre s’accentuaient chaque mois dans tous les pays belligérants. Les difficultés du ravitaillement et l’inflation monétaire ont provoqué une hausse des prix, qui ont plus que doublé en Allemagne et fortement augmenté en Grande-Bretagne et en France. En Russie, la situation était encore plus difficile, le prix du pain a triplé, celui de la viande a doublé22.
- 23 P. Renouvin, op. cit., p. 61.
56Les tentatives de paix faites de part et d’autre à la fin de 1916 et au début de 1917 n’ont rien donné. Au contraire, il apparut clairement que les buts de guerre des deux coalitions étaient inconciliables. Il fallait donc continuer la guerre pour obtenir la « décision » par la force. Comme l’Entente disposait à ce moment d’une supériorité numérique incontestable (cent quatre-vingts divisions alliées contre cent cinquante-deux allemandes sur le front occidental)23 l’Allemagne décide, au début de 1917, d’entreprendre une guerre sous-marine à outrance à partir du 1er février.
- 24 Ibid., p. 67.
57La Révolution russe et l’effondrement du régime tsariste semblent ouvrir une brèche dans le système militaire et politique de l’Entente. Cependant, le 17 mars, jour où la Russie est devenue une République, Milioukov, qui est ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire, affirme dans une note aux Alliés le dessin de « respecter d’une façon inébranlable les obligations internationales contractées par le régime déchu », y compris les accords secrets, et de « combattre l’ennemi commun jusqu’au bout et sans hésitations ».24
58Le front oriental s’était stabilisé depuis décembre 1915 sur la ligne allant de la mer Noire, c’est-à-dire de l’embouchure sud du Danube, vers les Carpathes, dans la région de Tchernivtsi (Czernowitz), montant ensuite vers le nord, en passant par Loutsk (repris par les Russes lors de l’offensive de juin 1916) et plus au nord, à quelque cinquante kilomètres à l’est de Vilnius, et par Dunabourg pour rejoindre la mer Baltique au sud-ouest de Riga. La Courlande, la Lithuanie, la Biélorussie, une partie de l’Ukraine occidentale et la majeure partie de la Roumanie étaient occupées par les troupes allemandes ou autrichiennes.
59L’issue de la guerre ne semblait pas du tout certaine. Pour battre l’impérialisme allemand, l’Entente avait intérêt à continuer la guerre, à redoubler d’efforts et surtout à maintenir la puissance et la combativité de l’allié russe, pour empêcher les Allemands de décrocher ses divisions du front est et de les transférer sur le front ouest, notamment sur le front français.
60En Russie, les choses ne s’arrangent pas. A côté du gouvernement provisoire apparaît un pouvoir parallèle, celui des Soviets (conseils). Dès le 24 mars, le Soviet de Pétrograd vote une motion demandant l’ouverture immédiate de négociations de paix et l’abandon de tout programme d’annexions. L’armée est ébranlée, la conception nouvelle des « droits du soldat » est mise en application, des comités (soviets) de soldats sont créés. L’armée russe cesse d’être une force à laquelle on puisse faire confiance.
- 25 Ibid., p. 76.
61Le plan de campagne prévu par l’Entente pour 1917 est compromis. Un nouvel espoir renaît avec la décision des États-Unis d’entrer en guerre (2 avril 1917), mais la perspective d’amener la décision en faveur de l’Entente par la rupture de l’équilibre des forces en Europe, grâce à l’arrivée massive des troupes américaines, est à échéance d’un an ou quinze mois25. Pour le moment, et jusqu’au printemps 1918, il faut tenir à tout prix, il faut surtout maintenir le front à l’est.
- 6 En février 1917, Pétrograd ne recevait que 49 wagons de produits alimentaires par jour au lieu de 8 (...)
62Or, une situation tout à fait nouvelle et inattendue était en train de s’installer dans l’Empire russe. D’une part, du point de vue étatique, l’Empire cessa d’être un État centralisé ; il se désagrégea en unités nationales. En ce qui concerne la Russie elle-même, l’épuisement consécutif à une guerre jugée trop longue, les défaites sur le front, la faillite complète de l’économie et des finances russes, la crise alimentaire aiguë dont souffraient en premier lieu les populations de Pétrograd et de Moscou6, ainsi que la propagande pacifiste menée par les communistes (bolcheviks), ne manquèrent pas de créer, chez le peuple russe, un grave malaise fait de désarroi, de colère et de volonté d’en finir.
63Le peuple ne voyait plus aucune raison de prolonger la guerre. Les conseils des soldats et des ouvriers, que la Révolution avait fait naître dans l’armée et dans les villes, devinrent très vite l’instrument principal de la propagande pacifiste des bolcheviks. A l’aide des soviets – dont ils prendront au fur et à mesure le contrôle – et profitant de la carence du gouvernement provisoire, les bolcheviks vont développer le travail de démoralisation de la population et de l’armée en vue de créer des conditions propices à la prise du pouvoir par eux.
64Le pouvoir, en Russie, ne sera bientôt plus aux mains des autorités militaires et civiles. Mais il ne sera pas encore celui des Soviets, bien que ces derniers aient acquis de plus en plus d’autorité. Très vite, la Russie sombrera dans un chaos quasi total. L’armée, désorganisée, devint une proie facile pour l’agitation communiste.
65Un diplomate français, Louis de Robien, attaché d’ambassade à Pétrograd, a noté dans son journal, le 24 mars 1917, que la promesse du gouvernement provisoire russe de ne pas envoyer au front les unités de la garnison de Pétrograd, « en dit long sur la véritable signification des événements de ces derniers jours et sur l’héroïsme du peuple qui, si l’on croit les extraits de la presse française qui nous sont parvenus par le télégraphe, s’est soulevé contre le régime du czar pour pouvoir mieux faire la guerre jusqu’à la victoire des Alliés ! » Et il ajoute : « Ceux qui écrivent cela et ceux qui le croient sont naïfs et se préparent d’amères déceptions ! »
66Deux jours plus tard, il notera que les décisions prises par le comité (soviet) des députés ouvriers et soldats confirment ses craintes en ce qui concerne la participation de la Russie à la guerre.
- 26 Louis de Robien, Journal d’un diplomate en Russeie (1917-1918), Paris, 1967, p. 27.
67« Le soviet exige, en effet, note-t-il, l’ouverture immédiate de négociations avec les prolétaires des pays ennemis et la renonciation à tout programme de conquête ou d’annexion. Il proclame la nécessité de « démocratiser » l’armée, ce qui revient à supprimer toute discipline. Enfin, il enjoint les soldats de la révolution de préparer la paix générale en fraternisant sur le front avec les soldats ennemis »26.
Les Ukrainiens s’organisent.
- 27 D. Dorochenko, Istoria..., op. cit., p. 59.
68Un Congrès national ukrainien composé de neuf cents délégués représentant les différentes organisations politiques, économiques et sociales de l’Ukraine et des communautés ukrainiennes hors frontières, siégea à Kiev du 17 au 21 avril 1917. Il élit les membres permanents de la Rada centrale, donnant à cette assemblée le caractère d’une véritable représentation nationale. Confirmant la volonté du peuple ukrainien d’obtenir l’autonomie politique, le Congrès demanda, en évoquant le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, l’admission de l’Ukraine à la future conférence de la paix27.
69Rien que dans la deuxième quinzaine d’avril, plus de dix congrès nationaux eurent lieu à Kiev : celui des sociaux-démocrates (16-18 avril), des socialistes révolutionnaires (17-18 avril), de la Prosvita, qui était une association culturelle populaire (17 avril), des pédagogues (18 avril), de l’union paysanne (19 avril), des coopératives (19-21 avril), des organisations militaires (27 avril), des étudiants (29 avril), etc. Des congrès et conférences semblables se déroulèrent ensuite dans les principales villes de province.
- 28 Ibid.., p. 46 ; Peremoha velykoï..., op. cit., p. 99.
70Les délégués se limitaient généralement à demander une large autonomie, conformément au programme poursuivi par les partis socialistes, qui considéraient que l’Ukraine pourrait obtenir ses droits progressivement, par la voie pacifique, dans la légalité, conformément au droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Mais certains délégués se prononcèrent ouvertement et clairement pour l’indépendance28.
- 29 A.V. Lykholate, Zdiysnennia leninskoï natsionalnoi polityky na Oukraïni (1917-1920), (La réalisatio (...)
- 30 Cf. Peremoha velykoï..., op. cit., p. 28.
71Les milieux politiques ukrainiens connaissaient la situation, ils savaient que les villes d’Ukraine étaient en majorité russes ou russifiées et que les Ukrainiens n’y représentaient qu’environ 32 % de la population29. Les classes moyennes et aisées étaient composées en majorité de Russes, de Polonais, de Juifs et d’autres nationalités. Le prolétariat des villes était également russe ou russifié. Les Ukrainiens ne constituaient qu’environ 41 % du total des ouvriers industriels d’Ukraine30. Jean Pélissier, un agent diplomatique français, signale cette situation au Quai d’Orsay :
- 31 AMAE, vol. 694, Ukraine II, f. 4, 5-6.
« La grande masse des paysans ukrainiens, qui forment la majorité des habitants de l’Ukraine, n’a pas encore la conscience nationale très développée... Quant aux grandes villes..., elles sont dénationalisées... Kieff, la capitale de l’Ukraine..., est une ville internationale, où l’on ne parle généralement ukrainien que dans le bas peuple et où la majorité des gens de la rue et des bourgeois que j’ai pu interroger, m’ont paru se désintéresser complètement de la question ukrainienne »31
72Si les bourgeois et la population non ukrainienne des villes se désintéressaient de la question ukrainienne, il n’en était pas de même des Ukrainiens, même à la campagne. Sans avoir une conscience nationale très développée, ils se sentaient concernés. Ils étaient nombreux lors de toutes les démonstrations et manifestations à Kiev et en province. Ils étaient nombreux même à Odessa, ville cosmopolite, comme en témoigne le télégramme du consul français G.-A. Vautier, envoyé au Quai d’Orsay le 2 mai 1917 :
- 32 Ibid., vol. 693, f. 53.
« La manifestation du 1er mai a été très imposante. Soldats, marins, ouvriers, paysans, jeunesse des écoles, etc., ont défilé pendant plus de sept heures devant un monument improvisé.
« A côté du drapeau rouge beaucoup de bannières aux couleurs de l’Ukraine, du Sionisme, pas une seule tricolore russe. Les inscriptions demandaient principalement la République démocratique, la terre et les droits, l’Assemblée constituante ; quelques-unes une paix sans annexion ni contribution, très peu la paix par la victoire... »32
73L’apparition des mouvements centrifuges annonçant la désintégration définitive de l’Empire, qui dès la Révolution a cessé d’être un État centralisé, n’échappa nullement à l’attention des observateurs étrangers. Louis de Robien note le 20 avril (cinq semaines à peine après la Révolution !) :
- 33 Louis de Robien, Journal..., op. cit., p. 27.
« ... Tout s’éparpille : les terres qui ont été ramassées par les Romanov se dispersent. Après la Pologne et la Finlande, la Sibérie veut se séparer, avoir une Assemblée constituante pour elle et établir un gouvernement entièrement indépendant à Irkoutsk. La Lithuanie, le pays des Lettons, la Petite-Russie, le Caucase, veulent aussi leur indépendance. Quelqu’un de Kiev m’a dit que c’est tout juste si l’on peut encore y parler russe... »33
- 7 Au sujet de Paléologue, un auteur soviétique écrit : « Les représentants alliés en Russie, en premi (...)
74L’Entente avait prévue une offensive pour le mois d’avril, mais son plan a été conpromis par la chute du gouvernement tsariste et l’offensive engagée le 9 avril se termina le 19 par un échec. On espérait néanmoins reprendre l’offensive générale au mois de juillet. Afin de stimuler et d’organiser les efforts de l’allié russe, le gouvernement français envoie en Russie le ministre socialiste Albert Thomas, qui y restera du 22 avril au 14 juin. Louis de Robien note dans son journal, le vendredi 27 avril, qu’un conflit a éclaté entre l’ambassadeur Paléologue7 et Albert Thomas :
- 34 Ibid., p. 41.
« L’ambassadeur a pris ses responsabilités et a envoyé hier au gouvernement français un télégramme pour exposer la situation et le danger que serait, pour l’issue de la guerre, le triomphe de Kerenski et des soviets. Albert Thomas, à qui il a loyalement montré son télégramme, télégraphie aujourd’hui tout le contraire, prétend que la situation s’améliore, qu’il faut avoir foi dans la révolution... »34
Attitude « libérale » et méfiante de la France.
75Le réveil national et les événements en Ukraine ayant pris une importance majeure au cours des mois qui suivirent la Révolution, les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères se trouvèrent embarassés. On préféra avoir l’avis du chef de la Direction politique et commerciale, Pierre de Margerie, comme en témoigne la note suivante du 5 mai 1917 :
« Monsieur Laroche, voulez-vous demander au Directeur ce qu’il en pense ? Faut-il encourager, même indirectement, les tendances séparatistes des Ukrainiens ? »
76La réponse fut :
- 35 AMAE, vol. 693, f. 58.
- 36 Ibid., f. 63.
« Le Directeur estime que nous devons nous montrer actuellement très libéraux à cet égard »35.
Le 10 mai, la Sous-Direction Europe du Quai d’Orsay faisait enfin savoir qu’« en raison des événements actuels l’interdiction qui frappait jusqu’ici le journal « L’Ukraine » paraît pouvoir être levée jusqu’à nouvel ordre »36.
77Le 18 mai 1917, l’ambassadeur Beau expédiait au Quai d’Orsay une brochure éditée par l’Office central de l’Union des nationalités, intitulée La Nation ukrainienne et ses revendications. Il s’agissait en fait d’un mémoire présenté par la délégation ukrainienne à la 3e Conférence des nationalités qui s’était tenue en Suisse. Comme le mémoire communiqué au Quai d’Orsay en novembre 1915, le nouveau mémoire rappelait une fois de plus que « les droits de la Russie sur l’Ukraine sont les mêmes que ceux de l’Empire germanique sur la Belgique ou la Hollande » ou même ceux de la France sur la Franconie, des Saxons sur les Anglo-Saxons, etc. Le mémorandum poursuivait :
- 37 Ibid., f. 78.
« La nation ukrainienne a droit à l’existence comme toutes les autres et elle croit fermement aux nobles paroles de Lord Winston Churchill : « Nous voulons que cette guerre remanie la carte de l’Europe selon le principe des Nationalités, selon le vrai désir des peuples qui habitent ces territoires tant disputés. Nous voulons une paix durable qui rétablisse l’harmonie, libère les races, retrouve l’intégrité des nations. » L’Ukraine croit fermement que cette parole donnée aux peuples de l’Europe ne sera pas un vain mot »37.
78Dans la lettre qui accompagnait le fascicule, l’ambassadeur français écrivait à son ministre :
- 38 Ibid., f. 76.
« Il faut espérer que la propagande ukrainienne n’a pas de racines profondes en Russie et que le gouvernement provisoire prendra les mesures nécessaires pour empêcher l’extension d’un mouvement qui pourrait être extrêmement dangereux s’il se propageait dans les vastes et riches régions du sud de la Russie »38.
79Les événements d’avril, qui se sont déroulés en Ukraine, ne sont pas passés inaperçus en France. Le gouvernement fut informé, d’une part, par les communiqués du Bureau ukrainien en Suisse, interceptés en cours d’acheminement aux destinataires et copiés pour les intéressés par les services du 2e Bureau. Mais on ne semble pas y attacher une trop grande importance.
80Quant à la presse, les rares articles qui traitaient de la question ukrainienne laissent l’impression que certains journaux français adoptèrent une attitude défavorable à la cause de l’Ukraine, influençant dans ce sens l’opinion publique et le gouvernement.
« Il s’agit avant tout, écrivait par exemple l’Action Française du 5 mai 1917 dans un article signé J.B., pour la nouvelle Russie, de conserver son unité nationale. Il s’agit pour elle de ne pas s’émietter, de rester « une et indivisible ». Le pire danger qui menace la révolution russe, ce sont les séparatismes... En outre, il est significatif que des mouvements particularistes se dessinent en Ukraine. Le séparatisme ukrainien est depuis longtemps une des espérances de l’Allemagne. Il existe tout un dossier allemand de la question ukrainienne que nous pourrons feuilleter un jour ».
81En raison sans doute de la censure, les informations en provenance du Bureau ukrainien en Suisse ne furent généralement pas publiées. Malgré la levée de l’interdiction du 10 mai, la diffusion en France du journal L’Ukraine de Lausanne et des autres publications ukrainiennes rencontra toujours de grandes difficultés.
Lénine commence son grand jeu.
- 39 Ivan Bakalo, Natsionalna polityka..., op. cit., p. 17-18.
82Rentré de l’émigration à Pétrograd le 16 avril, Lénine prit part à la VIIe Conférence du parti bolchevique russe (7-12 mai 1917), au cours de laquelle Youry Piatakov, leader bolchevique de Kiev, proposa de remplacer le slogan « Droit des nations à disposer d’elles-mêmes », par le slogan « A bas les frontières entre les nations et les États ! », conformément à l’idée de l’internationalisme prolétarien. Un autre orateur, F. Dzerjinski, futur chef de la terrible Tchéka (police politique créée par Lénine), était d’avis que le droit des nations à disposer d’elles-mêmes était un principe nationaliste et réactionnaire. Bien que d’origine polonaise, il se déclara contre l’indépendance de la Pologne, de l’Ukraine et des autres nations opprimées. Par contre, Staline prit une position proche de celle de Lénine39.
83Imperturbable, Lénine développa son point de vue. Le slogan « A bas les frontières ! » sera juste quand « la révolution socialiste deviendra une réalité et non pas une méthode ». Quand ce sera nécessaire, les bolcheviks feront une guerre révolutionnaire : « Nous ne sommes pas pacifistes... », assura-t-il.
84En ce qui concerne la question nationale et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Lénine déclara à la conférence, le 12 mai :
- 40 V.I. Lénine, Œuvres, 5e éd. russe, vol. 31, p. 432-437.
« Pourquoi nous, Grands-Russes, qui opprimons un nombre plus grand de nations que n’importe quel autre peuple, devons-nous refuser de reconnaître à la Pologne, à l’Ukraine, à la Finlande, le droit à la séparation ?... »
« Nous sommes indifférents et neutres à l’égard du mouvement séparatiste. Si la Finlande, si la Pologne et l’Ukraine se séparent de la Russie, il n’y a aucun mal à cela. Quel mal est-ce ? Celui qui le dira est un chauviniste. Il faut être fou pour continuer la politique du tsar Nicolas... »40
85Son avis, qui d’ailleurs relevait plus de la tactique que de la conviction sincère, ne sera pas partagé par de nombreux bolcheviks russes, notamment par ceux qui se trouvaient en Ukraine, en particulier Piatakov, leur leader à Kiev.
Des efforts dans un environnement international difficile.
86Cependant, s’appuyant sur les masses ukrainiennes, la Rada centrale poursuivit ses efforts en vue de réaliser l’autonomie avant la convocation de l’Assemblée constituante de l’ancien Empire.
87Mais ces efforts rencontraient d’énormes difficultés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La guerre, bien qu’elle fût un des facteurs direct de la Révolution qui a permis la renaissance ukrainienne, s’est avérée en même temps être son plus redoutable ennemi.
88A l’intérieur, l’Ukraine disposait d’une élite peu nombreuse. Sa masse paysanne, fatiguée par la guerre, était désorientée, son sentiment national manquait de fermeté, tandis que dans les villes prédominaient les éléments minoritaires hostiles au mouvement national.
89A l’extérieur, parce que les aspirations ukrainiennes représentaient une menace pour l’unité et l’intégrité de l’Empire, le mouvement ukrainien se heurtait naturellement à la méfiance des alliés occidentaux de la Russie. Ils pensaient d’ailleurs en termes étatiques : pour eux, l’Ukraine « russe » était la Russie, et l’Ukraine « autrichienne était l’Autriche. Or, les Ukrainiens d’Autriche, conscients de leur unité ethnique avec les Ukrainiens de Russie et de ne former qu’un seul peuple, considéraient la Russie comme le principal ennemi de la liberté de l’Ukraine.
90Bien que cette conviction et les sentiments antirusses relevassent uniquement des considérations historiques ukrainiennes, donc inhérentes à la politique ukrainienne de libération nationale et à la volonté de libérer la totalité de l’Ukraine, il était très facile de les présenter comme étant d’inspiration autrichienne, puisque ces idées étaient propagées en « Autriche » ! Certes, étant en guerre avec la Russie, la véritable Autriche n’avait aucune raison de combattre un mouvement antirusse sur son territoire. Au contraire, elle se montrait bienveillante à son égard, mais sans aller jusqu’à inclure le principe de la formation d’une Ukraine indépendante dans son programme officiel et ses buts de guerre.
- 8 Le général F. Gambiez remarque que depuis 1915, dans le cabinet d’Ernest Denis, qui était en contac (...)
91L’Entente avait encore moins de raisons d’inclure la question ukrainienne dans ses buts de guerre. En France, au moment de la Révolution russe, on ignorait tout de l’Ukraine et de ses aspirations. Certains peuples de l’Europe centrale étaient à cet égard dans une meilleure position. Grâce à l’action des émigrés influents, les hommes politiques français étaient favorables à la restauration de la Pologne. Nombre d’entre eux étaient également favorables à la création de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie8.
92Les émigrés ukrainiens à Paris n’avaient pas cette influence, ils étaient trop peu nombreux et manquaient, de toute évidence, d’hommes de l’importance de Benès, Masaryk, Paderewski. En outre, en raison de la guerre, ils n’osaient sans doute pas défendre la liberté pour l’Ukraine, de telles idées pouvant facilement être taxées de proallemandes. Car défendre la cause tchèque ou yougoslave signifiait travailler contre l’Autriche, ennemie de la France, tandis que dans le cas de l’Ukraine, il aurait fallu travailler contre un allié de la France. La guerre ne le permettait pas.
Notes
1 Edouard Cornély, Ed., Paris, 1907.
2 Ibid., p. 1.
3 Ibid., p. 38. Il est à noter qu’après la fin de la guerre soviéto-ukrainienne, Moscou n’a pas permis de réunir dans les limites de l’Ukraine soviétique tous les territoires ethnographiques ukrainiens. Aussi l’Ukraine fut-elle amputée d’importantes régions, de sorte que la R.S.S. d’Ukraine comprenait, avant 1939, 476.000 km2 seulement. Actuellement, le territoire de la République socialiste soviétique d’Ukraine, auquel sont venues s’ajouter les régions de l’Ukraine occidentale et la Crimée, s’étend sur 603.700 km2. Selon les estimations officielles, ce territoire avait 35 millions d’habitants en 1913. Cf. Narodnoyé khoziaystvo..., 1978, op. cit., p. 5, 7.
4 Serhiy Mazlakh, Vassyl Chakhraï, Do khvyli (Sur la situation actuelle), Saratov, 1919, p. 146-147 ; cf. deuxième édition, New York, 1967.
5 Ibid., p. 147-148.
6 M. Stakhiv, Tretiy Ouniversal..., op. cit., p. 13.
7 Cf. Weronika Gostyhska, Stosunki polsko-radzieckie, 1918-1919 (Les relations polono-soviétiques, 1918-1919), Warszawa, 1972, p. 17.
8 M. Hrouchevski, La lutte sociale et politique en Ukraine, 1917-1919, Prague, 1920, p. 4-5.
9 P.A. Khromov, Ekonomitcheskoyé razvitié Rossii (Le développement économique de la Russie), Moscou, 1967, p. 283.
10 Ibid., p. 404-405.
11 Pobieda sovietskoy vlasti..., op. cit., p. 14.
12 Istoria Oukraïnskoï RSR (Histoire de la R.S.S. d’Ukraine), vol. 5, Kiev, 1977, p. 10 ; S. Mazlakh et V. Chakhraï, op. cit., p. 112.
13 P. V. Ohl, Inostrannyé kapitaly v Rossii (Les capitaux étrangers en Russie), Pétrograd, 1922, p. 9, 10 et suiv.
14 Ce tableau a été publié dans l’ouvrage Pobiéda sovietskoy vlasti na Oukraïnié, op. cit., p. 20 ; voir aussi Peremoha velykoï Jovtnevoï révoloutsii na Oukraïni (La victoire de la grande révolution d’Octobre en Ukraine), vol. 1, Kiev, 1967, p. 15.
15 Pour toutes les données utilisées ici, voir les mêmes ouvrages : Pobiéda..., op. cit., p. 17-21 ; Peremoha..., op. cit., p. 11-17.
16 Serge de Chessin, Au pays de la démence rouge. La Révolution russe, Paris, 1919, p. 54.
17 Pierre Renouvin, La première guerre mondiale, Paris, 1976, p. 64.
18 Cf. W. Stojko, Ukrainien National Aspirations and the Russian Provisionnai Government, in The Ukraine, 1917-192p Recueil publié sous la rédaction de T. Hunczak. Harvard, 1977, p. 4.
19 D. Dorochenko, Istoria Oukràiny (Histoire de l’Ukraine), vol. 1, Oujhorod, 1932. 2e édition, New York, 1954, p. 43. Au sujet de la Révolution ukrainienne et des événements de 1917-1918, voir : The Ukraine, 1917-1921, op. cit. ; John S. Rechetar, The Ukrainian Revolution, 1917-1920, Princeton, 1952.
20 D. Dorochenko, Istoria Oukraïny, op. cit., p. 46.
21 P. Renouvin, op. cit., p. 16-19.
22 Cf. Pobiéda sovietskoy vlasti na Oukraïnié, op. cit., p. 29.
23 P. Renouvin, op. cit., p. 61.
24 Ibid., p. 67.
25 Ibid., p. 76.
26 Louis de Robien, Journal d’un diplomate en Russeie (1917-1918), Paris, 1967, p. 27.
27 D. Dorochenko, Istoria..., op. cit., p. 59.
28 Ibid.., p. 46 ; Peremoha velykoï..., op. cit., p. 99.
29 A.V. Lykholate, Zdiysnennia leninskoï natsionalnoi polityky na Oukraïni (1917-1920), (La réalisation de la politique nationale léniniste en Ukraine, 1917-1920), Kiev, 1967, p. 31.
30 Cf. Peremoha velykoï..., op. cit., p. 28.
31 AMAE, vol. 694, Ukraine II, f. 4, 5-6.
32 Ibid., vol. 693, f. 53.
33 Louis de Robien, Journal..., op. cit., p. 27.
34 Ibid., p. 41.
35 AMAE, vol. 693, f. 58.
36 Ibid., f. 63.
37 Ibid., f. 78.
38 Ibid., f. 76.
39 Ivan Bakalo, Natsionalna polityka..., op. cit., p. 17-18.
40 V.I. Lénine, Œuvres, 5e éd. russe, vol. 31, p. 432-437.
Notes de fin
1 Selon d’autres estimations, la composition nationale de la population de l’Ukraine était la suivante : 28,5 millions d’Ukrainiens, 5,3 millions de Russes, 2,9 millions de Juifs, 816.000 Allemands et 753.000 Polonais. Cf. M. Stakhiv, Tretiy Ouniversal z pohladou derjavnoho i mijnarodnoho prava (Le 3e Universal du point de vue du droit public et du droit international), in Mémoires scientifiques de l’Institut technique et économique ukrainien, Munich, 1967, p. 12.
2 En ukrainien : Oukraïnska Tsentralna Rada (Conseil central ukrainien). « Rada » veut dire « conseil » (soviet, en russe). La rada était également une institution de délibération en Ukraine, aux xviie-xviiie siècles.
3 Administration autogestionnaire locale et provinciale.
4 Cette formation des socialistes modérés et d’intellectuels prit, en été 1917, le nom de Parti des socialistes-fédéralistes ukrainiens.
5 M. Mikhnovskyi (1873-1924), juriste, homme politique, auteur de la brochure Samos-tiyna Oukraïna (Ukraine indépendante), parue en 1900.
6 En février 1917, Pétrograd ne recevait que 49 wagons de produits alimentaires par jour au lieu de 89, et Moscou 39 wagons au lieu de 70. Cf. V.I. Lénine i peremoha jovtnevoï revoloutsii na Oukraïni (V.I. Lénine et la victoire de la révolution d’octobre en Ukraine), Kiev, 1967, p. 15.
7 Au sujet de Paléologue, un auteur soviétique écrit : « Les représentants alliés en Russie, en premier lieu M. Paléologue et M. Janin, ont à leur juste valeur apprécié la force et l’autorité du Soviet des députés ouvriers et soldats... Paléologue penchait vers Vidée qu’il serait plus réel d’exercer une influence sur lui (le Soviet) de l’intérieur. » Afin d’assainir la situation, Paris décida d’évincer un ambassadeur incapable d’influencer dans le sens favorable aux Alliés les « éléments socialistes » de Pétrograd, en le rappelant à Paris (cf. V.V. Lebediev, Mejdounarodnoyé polojenié..., op. cit., p. 64-65).
8 Le général F. Gambiez remarque que depuis 1915, dans le cabinet d’Ernest Denis, qui était en contact étroit avec Benès et Masaryk, il y avait une carte sur laquelle les futures frontières de la Tchécoslovaquie étaient tracées au crayon rouge (cf. Général F. Gambiez et Colonel M. Suire, Histoire de la première guerre mondiale, vol. II, Paris 1968, p. 56).
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