Chapitre 2. L’aide et l’opinion publique
p. 61-84
Texte intégral
1Avant toute expression de différentes opinions publiques, il convient de voir en premier ce que pense le responsable de la politique de coopération qui était alors Robert Galley. En effet, il déclarait à l’été 1977 : « La politique de coopération que mène le gouvernement n’est pas désintéressée. A long terme, c’est de la place de la France qu’il s’agit, c’est-à-dire non seulement de rayonnement intellectuel et culturel mais aussi de sa sécurité politique et économique. Il doit être clair que la coopération n’est pas un luxe mais correspond à une stratégie de développement et doit prouver son efficacité »1.
2.1. LA FRANCE ET SA POLITIQUE DE COOPERATION
2Le ministre de la Coopération est responsable de l’aide apportée par la France aux pays francophones et en particulier au Gabon. Il reste que si l’Afrique francophone sud-saharienne a en face d’elle un ministère, les autres pays du Tiers-Monde reçoivent une coopération culturelle et technique du ministère des Affaires Etrangères et une aide financière réduite, mal définie, dans ses finalités du ministère de l’Economie et des Finances.
3Pour Robert Galley, la coopération doit son acte de naissance à une phase d’histoire : la décolonisation, dont il convient de marquer désormais la place et de tirer les conséquences. Rendus à leur propre destin à partir de 1957 un certain nombre de pays ont dû s’orienter vers une forme de démarche qui, au plan des relations internationales classiques, ne pouvait se référer à aucun précédent. L’objet de cette démarche était, selon Robert Galley, à la fois simple et extraordinairement complexe ; il consistait à dire r « Aidez-nous à donner à notre pays la consistance d’une patrie et les attributs d’une nation ; aidez-nous à bâtir les structures humaines auxquelles on reconnaît un Etat »2.
4En réalité, cette démarche était attendue de la part de l’ancienne puissance coloniale parce qu’elle était la seule issue ; en effet, les responsables africains, peu ou pas conscients de ce qui leur arrivait, avaient cru devoir s’attacher l’ancienne puissance pour soutenir leurs jeunes Etats dans le monde des nations libres. Le Général de Gaulle y avait songé : la France lui doit deux fois sa survie, il a su choisir la liberté pour elle en 1940 d’une part, et a su asservir d’autres peuples pour asseoir la « prospérité de la France » d’autre part. Dans les deux cas il était question de la France, de sa survie et pour Robert Galley, il était question « ... non seulement de rayonnement intellectuel et culturel mais aussi de sa sécurité politique et économique ».
5Née de cette attitude fondamentale, personne n’a, bien entendu, contraint personne ! Aucune indépendance n’a été partiellement octroyée, ou concédée avec réserves ou retenues qu’elles soient issues d’une concertation pacifique ou qu’a fortiori, des affrontements parfois tragiques y aient préludé : « Vingt ans, écrit Robert Galley, l’âge de la majorité, séparent déjà de la période où notamment, la quasi-totalité des pays francophones ont accédé à la souveraineté internationale. Et l’un quelconque d’entre eux n’a été amené à faire savoir que la France à un moment ou à un autre, l’a contraint d’accepter son aide »3. Ainsi pour le responsable français de la coopération, il doit être compris, dans l’esprit de chacun, que les pays francophones d’Afrique et le Gabon en particulier ont adhéré et adhèrent encore aujourd’hui à la coopération avec la France de plein gré. Et, poursuit-il, « c’est bien parce qu’il s’agissait, au départ, d’une attitude délibérée et réfléchie que la coopération a connu les développements que l’on sait. S’il en avait été autrement il va sans dire qu’une telle entreprise aurait très rapidement tourné court et que les relations entre les vieux pays industrialisés et les jeunes Etats en développement ne seraient pas ce qu’elles sont »4.
6Définissant ensuite la coopération, Robert Galley, écrit : « La coopération est donc, d’abord, un moyen d’équilibrer les différents secteurs d’activité, en y adjoignant des éléments que seul le temps permettra de former au plan national ; elle est, de ce fait, créateur et facteur d’efficacité. Dans sa mission de formation, elle répand et diffuse les enseignements exigés par les rouages complexes du monde d’aujourd’hui. Au plan culturel, elle ouvre nos partenaires à une culture qu’ils connaissaient déjà, ce qui n’exclut nullement l’épanouissement de valeurs intellectuelles proprement endogènes. Dans le domaine du développement économique, la coopération participe de près à la conception et à la réalisation d’ouvrages parfois importants. Je pense aux barrages, dont sa rentabilité demeure toutefois étroitement liée à l’apprentissage de nouveaux modes de vie (cultures différentes, habitats déplacés, circuits ancestraux bouleversés, etc.) »5.
7Cependant, l’expérience montre, par exemple, que les conditions d’insertion des nouvelles possibilités de production offertes par une grande retenue d’eau soulèvent une série de phénomènes récurrents financiers techniques (entretien, fonctionnement), sociaux (populations déplacées, façons nouvelles de cultiver), dont les incidences et le coût exigent d’être évalués avec le plus grand soin. La livraison dite « clefs-en-main » ne saurait être admise, comme c’est souvent le cas, dans des pays dont les structures de gestion ne sont pas encore préparées à absorber des équipements de grand modèle.
8Robert Galley lui-même fait un certain nombre d’observations et de réorientations de la politique de coopération : « Une procédure comme celle de la globalisation, qui consiste à accroître la participation de l’Etat bénéficiaire aux dépenses de rémunération des assistants techniques, fonctionne dans quelques pays où elle tend à accroître l’effectif de coopérants. Ce surplus, pour se révéler bénéfique, devrait, c’est du moins mon sentiment, permettre la mise en place de filières supplémentaires de formation ; et non pas un surcroît de personnels de substitution.
9« De même, il apparaît de plus en plus clairement que certains types d’assistance doivent disparaître, afin de hâter la promotion d’éléments locaux qui doivent, sans retard entrer dans les circuits où s’acquièrent les responsabilités »6.
10Et par ailleurs de soulever d’autres questions qui devront être résolues et qui n’ont pas toujours été à l’actif des 20 dernières années de coopération : « Autre problème, humain celui-là, la formation des formateurs. Il nous concerne directement et doit être traité sans tarder, faute de quoi, nous ne serons plus en mesure de fournir à nos amis du Tiers-Monde les spécialistes dont ils continueront à demander les services au cours des prochaines décades. Sur un plan plus général, poursuit-il, il apparaît à la fois souhaitable et fructueux de tendre, de plus en plus, vers des actions capables de s’étendre à l’échelle de la région. Il conviendrait aussi, dans le même esprit de donner aux opérations des dimensions plus propices à la réalisation de projets de haute rentabilité. D’où la nécessité de préconiser une meilleure coordination des aides et de s’affranchir, au fil des années, des cloisonnements, au niveau des donateurs comme à celui des bénéficiaires »7.
11Cherchant cependant à justifier la politique française passée et récente, Robert Galley écrit : « Le devenir de la coopération offre aussi des aspects plus spécifiquement politiques, tant il est vrai que l’engagement politique se greffe naturellement sur les liens qui unissent deux pays, dès lors qu’ils se révèlent nombreux et solides. Or il en est allé de la coopération comme des autres systèmes d’alliances : après une période de transition, notre participation étroite au développement de certains pays n’a pu s’épanouir sur un coup de baguette magique dès lors qu’il s’est agi, dans tel ou tel pays de faire face à des problèmes d’ordre politique. Nous nous sommes efforcés, alors, d’agir en fonction de l’urgence, du bon sens, sans jamais perdre de vue les limites que la conscience internationale assigne à certaines interventions et qu’elle laisse transgresser à certaines autres. Dans ce domaine le bilan que nous sommes en mesure de présenter n’est critiqué que par les facteurs de troubles professionnels et, peut-être aussi, par les adeptes du Terrorisme aveugle.
12« Soucieux d’aider, dans la mesure de nos moyens, au maintien de l’équilibre du continent africain, où se trouvent la plupart des pays avec lesquels nous coopérons, nous préconisons, l’organisation d’une auto-défense de l’Afrique. La France, en plusieurs occasions a prôné la mise en place d’un dispositif défensif capable de fonctionner à l’initiative des hautes instances politiques du continent. Dans notre esprit, la coopération est une participation au développement d’un type de société original, dont il s’agit de faciliter l’avènement et non pas de retarder l’éclosion... Dans le passé, les berceaux des grandes civilisations ont dû faire face à ce que l’on appelait alors des invasions et s’efforcer de défendre leur identité politique et culturelle »8.
13Robert Galley oublie sans doute de dire que l’on ne tient compte que des avis des gouvernements, ignorant les profondes aspirations des populations concernées. Il est vrai que la France assure un climat propice aux investisseurs, mais est-on seulement en droit de se demander pour qui la France le fait vraiment ? Il semble que son action perpétue au pouvoir des gouvernements qui n’ont que très peu conscience de l’intérêt général, s’efforçant sans doute de répondre aux conditions d’une bonne coopération dictées par la France et bénéficier ainsi des encouragements très évocateurs de « gouvernements modérés et sages ».
14Pour conclure, Robert Galley met l’accent sur les dangers qui guettent l’Afrique et sur la nécessité d’établir un équilibre plus rassurant entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest comme pour souhaiter qu’il n’y ait plus d’interférence dans la poursuite des intérêts de la France : « Aujourd’hui, le Tiers-Monde est appelé à son tour à recevoir d’autres formes d’invasions qui prennent parfois des formes insidieuses sous des aspects attrayants. La coopération est devenue un élément nouveau de la politique moderne. Jadis, de grandes politiques ont reposé sur des conquêtes territoriales, la maîtrise des océans, la défense d’une religion. Aujourd’hui la coopération est un engagement national. Une fois décidée, elle doit être menée à bonne fin, chaque fois qu’elle se trouve impliquée. Elle exige en réalité, un travail de tous les jours, des implantations locales capables d’en assurer la bonne marche : des services d’études, des organes d’interventions dûment spécialisés, etc. Or cet engagement pour être pleinement respecté et connaître les développements auxquels il semble être promis, doit être clairement perçu et accepté au niveau de la nation. Faute de bénéficier de cette dynamique, il se révélera incapable de garder son tonus et, surtout, de maintenir et d’amplifier des moyens humains et financiers »9.
15L’engagement national pour les Français doit être synonyme de défense de l’espace vital et le gouvernement n’y faillit pas, qui déploie sa force d’intervention partout où les intérêts de la France sont mis en jeu.
16La coopération, telle qu’elle vient d’être définie par Robert Galley, est-elle capable de répondre aux espoirs mis en elle ; n’est-ce pas trop lui demander que de voir en elle la clef magique du développement ?
17Les responsables des pays africains semblent y croire beaucoup, il convient cependant de leur suggérer que la coopération librement proposée par la France et « librement » acceptée par eux, n’est pas et ne doit pas être, loin s’en faut, la seule voie qui permette le développement des pays dont ils ont la charge. La coopération est une stratégie nouvelle, mise en place très judicieusement par la France, après les indépendances hâtivement octroyées par le Général de Gaulle, pour la meilleure sauvegarde de ses intérêts.
2.2. LES SOCIALISTES FRANÇAIS ET LE TIERS-MONDE
18Le parti socialiste français a publié un livre intitulé : Les socialistes et le Tiers-Monde 10. Ce livre est, semble-t-il, le résultat d’un travail collectif qui se voulait être un instrument public de réflexion.
19La commission nationale de ce parti de la gauche française y a trouvé plusieurs raisons qui l’on conduite à clarifier les positions socialistes sur la politique française officielle de coopération avec le Tiers-Monde et à lui substituer une politique « plus franche basée sur la participation et la concertation entre les socialistes et le Tiers-Monde ».
20Quelles ont donc été ces raisons ? La première était que la crise que traversent les économies occidentales a, paradoxalement, ses conséquences les plus graves, non pas aux Etats-Unis ou en Europe, mais dans cet ensemble de pays dits du Tiers-Monde qui regroupent les trois quarts de l’humanité : « La crise touche la France au terme d’une longue période de croissance économique. Elle frappe les pays les plus pauvres de la planète au sortir d’une série d’années difficiles. La crise entraîne pour les pays occidentaux l’inflation, le chômage, le déséquilibre des comptes extérieurs ; elle affecte durement les travailleurs. Mais, dans les pays où le sous-emploi est massif et chronique, la balance des paiements structurellement déficitaire, les moyens financiers faibles, la corruption et la spéculation fréquentes, la crise signifie souvent, pour des millions d’hommes, famine, misère physiologique, désespoir »11.
21Le problème du sous-développement a donc aujourd’hui une acuité plus grande qu’hier. La hausse du pétrole a affaibli les économies des pays développés. Mais quels ravages ont connu et connaissent les pays du Tiers-Monde qui subissaient à la fois la hausse du coût de l’énergie, des engrais et des céréales. Quelles souffrances ont entraîné pour leur population la hausse du coût des importations et la perte de débouchés à l’exportation dues au ralentissement des économies occidentales. En 1974, le monde a frôlé la catastrophe alimentaire. Depuis, la situation s’est améliorée, sans que la faim ait disparu. De très graves inquiétudes subsistent pour l’avenir. Et puis la crise a accentué la diversité du Tiers-Monde. Certains pays se sont enrichis grâce à la hausse des prix de quelques matières premières. D’autres, au contraire, se sont appauvris. Certains disposent d’un potentiel industriel significatif ou d’une agriculture efficace. D’autres restent dramatiquement sous-équipés.
22La deuxième raison qu’évoquent les socialistes français, est la présence plus sentie de ce Tiers-Monde que les Français côtoient chaque jour, dans leur propre pays. Ce Tiers-Monde se manifeste dans les produits qu’ils achètent (huile d’arachide, café, blouse indienne ou appareil de photo made in Hong Kong) ; il leur fournit le pétrole. Les représentants de ce Tiers-Monde sont parmi eux : maçons nord-africains, balayeurs maliens de la ville de Paris, j’ajouterai les étudiants qui connaissent un brassage peut-être différent de celui des travailleurs immigrés et qui sont en droit de revendiquer un meilleur traitement de la France, une fois chez eux.
23Enfin, la troisième raison réside dans le fait que le Tiers-Monde n’est plus seulement un ensemble de pays réduits, par leur infortune, à demander l’aide de pays mieux dotés : « Il représente une force politique qui compte sur la scène internationale. Il s’efforce de retrouver le contrôle de ses richesses naturelles. Il revendique, et parfois impose, des prix plus rémunérateurs pour ses matières premières. Il veut dire son mot sur les problèmes monétaires. Il réclame l’instauration d’un nouvel ordre économique mondial »12.
24La place croissante qu’occupe le Tiers-Monde dans les affaires des peuples constitue peut-être le fait majeur de ce dernier quart de siècle. La nature des relations que sauront nouer les socialistes avec lui pourrait conditionner le devenir économique et politique de la France : « Aussi, pour les socialistes, la question n’est donc pas de savoir ce qu’ils feront pour le Tiers-Monde, mais ce qu’ils feront avec le Tiers-Monde dans le sens d’un développement plus rapide et plus équitable des différentes nations »13.
2.2.1. Critiques de la politique française de coopération
25Pour les socialistes français, il apparaît tout d’abord que l’aide au Tiers-Monde, dans son montant, est insuffisante. Selon les objectifs fixés par les Nations-Unies, et notamment par la CNUCED, à l’instigation des pays sous-développés, l’aide publique au développement devait représenter 0,70 % du PNB, sans faire ici référence à l’ancien objectif qui devait dépasser 1 % du PNB ; or ces objectifs ne sont atteints que par de très rares pays développés. Ainsi les transferts globaux de ressources, et particulièrement l’aide publique, puisque c’est d’abord de cela qu’il s’agit, à destination du Tiers-Monde, a stagné dans la première période, et a régressé ensuite, en tenant compte de l’inflation. Cette situation résulte sans doute de la crise pétrolière qui a saisi le monde entier, et surtout le monde sous-développé, rendant paradoxalement plus égoïste le monde occidental qui s’est de plus en plus tourné vers lui-même. Les socialistes français semblent être mécontents de ce phénomène qu’ils se refusent à subir de manière passive, aussi le dénoncent-ils.
26S’interrogeant ensuite sur les phénomènes de distribution de l’aide, il semble que le rapport qui existe entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale est un rapport qui défavorise l’aide multilatérale. Les socialistes ne sont pas, et ils le disent eux-mêmes, des zélateurs naïfs de l’aide multilatérale ils sont conscients, semblent-ils se l’avouer, que certaines organisations internationales sont en réalité dominées par certains pays et pratiquent donc un bilatéralisme déguisé. Mais ils pensent qu’un bon nombre d’institutions multilatérales qui représentent davantage l’amorce d’une communauté internationale, pourraient faire œuvre utile et mériteraient d’avoir des dotations plus importantes. Ils pensent aussi que l’aide des principaux pays donateurs est trop concentrée sur un certain nombre de pays qui ne sont pas, nécessairement, ceux que la masse démographique ou les besoins rendent prioritaires mais qui sont souvent préférés pour des raisons politiques visant à leur conserver des espaces vitaux sûrs.
27Sur le plan de l’aide française en particulier, l’aide sous forme de coopération culturelle, l’aide sous forme de la pénétration linguistique est, pour les socialistes français, excessive et le risque est grand de voir s’exercer plus une tutelle qu’un réel apport. Les coopérants, en matière culturelle ou linguistique, ne sont certes pas nuisibles, mais la proportion qui atteint très souvent 50 % de l’aide publique est considérée comme excessive : « un effort suffisamment grand ne semble pas avoir été fait en direction du développement rural. Or il semble à peu près certain que nombre de pays sous-développés bénéficiant de nombreuses ressources minières et pétrolières, c’est une des leçons de la révolution industrielle dans les pays capitalistes au xviiie et au xixe siècles, ne pourront se permettre d’amorcer une révolution dans l’industrie en négligeant, comme ils le font, le développement agricole »14. Pour les socialistes français, il s’agit ici de permettre aux pays sous-développés d’avoir un développement équilibré entre le secteur agricole et le secteur industriel. Et, ainsi, si l’on veut dégager une main-d’œuvre, une épargne, un marché suffisant, un pouvoir d’achat, il faut le faire à partir du développement de l’agriculture ; ce qui ne doit pas signifier le développement de la seule agriculture d’exportation mais aussi des cultures vivrières. Une priorité plus grande devrait être accordée au secteur agricole, ce qui par ailleurs sous-entend le développement d’un certain nombre d’infrastructures.
28Les socialistes français reprochent enfin à l’aide actuelle d’être insuffisamment concertée, c’est-à-dire de résulter bien davantage des besoins des entreprises des pays donateurs et des idées des milieux dirigeants ou des fonctionnaires des pays donateurs plutôt que d’une véritable concertation avec les pays sous-développés : « Ainsi faudrait-il donner un caractère pluriannuel aux aides qui sont accordées et, intégrer davantage ces transferts de ressources aux besoins de planification des pays sous-développés de façon à ce qu’ils puissent savoir quelles sont les ressources sur lesquelles ils pourront compter pendant toute une période pour leur programmation économique. Tout cela devant être débattu bien entendu avec les pays sous-développés. Par ailleurs, il ne doit pas être perdu de vue de faire la distinction entre les transferts de ressources : parlera-t-on d’aide lorsqu’elle est liée, parlera-t-on d’aide lorsqu’on fournit des crédits commerciaux, parlera-t-on d’aide véritablement lorsqu’elle contribue, le plus souvent, sans impact économique toujours évident, à augmenter l’endettement des pays sous-développés ? »15.
29Ce sont là les reproches essentiels que font les socialistes à la politique française de coopération et au-delà à l’aide bilatérale et, ce sont là enfin, les questions sur les vraies ou les fausses aides que se posent les socialistes français à leur tour. Les socialistes ne font pas cependant que des reproches ; ils ont proposé, en tant que force d’opposition, une autre politique que nous tenterons d’examiner.
2.2.2. Les propositions socialistes
30Pour les socialistes français, il n’y a pas de doute que la France pourrait sur le plan bilatéral, traduire ses engagements dans les faits, accroître son aide, en modifier la nature ; cela aurait valeur d’exemple. En outre, la France pourrait essayer d’esquisser avec un certain nombre de pays une coopération d’un caractère novateur et enfin, elle pourrait être une force de proposition dans les enceintes internationales.
31Et les socialistes de préciser un peu mieux leur pensée : « Nous ne pensons pas que la France doive arborer la marque du tiers-mondisme ; le parti socialiste est un parti du monde développé et nous avons à défendre les intérêts des travailleurs dans les pays développés. Nous ne sommes pas tiers-mondistes... Donc, un gouvernement de l’union de la gauche participerait au groupe B, ou groupe des pays occidentaux, mais il pourrait être dans ce groupe une force de proposition, une force de dissociation du monolotisme égoïste de ce groupe et il pourrait très bien se retrouver avec d’autres pays qui nous ont précédés dans cette voie ; nous pensons aux Pays-Bas, à la Suède. Ces pays et d’autres peut-être, pourraient bien esquisser la constitution d’un groupe qui faciliterait le dialogue entre les pays capitalistes développés, les pays développés à l’Est de l’Europe et les pays sous-développés »16. Ainsi les socialistes ont à l’idée la création d’un noyau plus progressiste ou en tout cas plus favorable aux revendications du Tiers-Monde.
32Comment pensent-ils mener à bien ce dessein ? Les socialistes français ne dissocient pas la lutte par un nouvel ordre économique international de celle qu’ils mènent à l’intérieur de leur propre pays pour la justice sociale, c’est-à-dire, qu’ils pensent que la lutte des socialistes contre l’injustice, contre l’exploitation, contre les phénomènes de domination, a un fondement intérieur sur le plan national et un fondement extérieur sur le plan des relations entre nations : « Ce sont là les conceptions socialistes, indispensables pour donner un contenu au nouvel ordre économique international. Les mêmes forces qui s’opposent aux changements sociaux à l’intérieur des pays s’opposeront à de véritables changements dans les relations économiques internationales et dans les rapports de force actuels. Une stratégie multinationale pour un nouvel ordre économique international ne changerait rien à la réalité du mode de vie du plus grand nombre... Les chances d’un véritable nouvel ordre économique international passent par la capacité de concilier les intérêts de la masse de la population dans les pays développés et dans les pays sous-développés ; c’est en montrant aux masses populaires françaises, allemandes, belges ou américaines que leurs intérêts ne sont pas contradictoires avec le développement, avec l’amélioration du niveau de vie de la masse des gens en Inde, au Zaïre, au Gabon ou ailleurs, qu’un grand pas aura été fait. Cela passe non par la renonciation des conceptions socialistes par les socialistes mais par le soutien par eux des revendications des pays sous-développés... Les socialistes devraient se montrer critiques à l’égard de régimes oppressifs qui existent dans le Tiers-Monde, mais aussi à l’égard des politiques économiques, exemple de la politique économique de l’école de Chicago qui fleurit, avec les excès que l’on sait, en Amérique Latine »17.
33Le Tiers-Monde, ce monde tiers parce que d’aucuns trouvent ce partage à leur goût doit cependant connaître des transformations économiques et sociales importantes. Pour que de telles transformations aient lieu, il faut, pensent les socialistes français, qu’il y ait eu au préalable réforme agraire, développement de la démocratie, atténuation des privilèges de l’élite et enfin, développement des possibilités de revendications syndicales et autres : « Ce sont là des facteurs qui conditionnent un véritable développement économique. La non-existence de ces conditions entraîne la création de “kystes” de développement, illusions de développement, de petits pôles de développement enchâssés dans un tissu qui restera sous-développé, c’est le cas du Brésil, car le miracle brésilien n’est pas un miracle pour des dizaines de millions de Brésiliens ; c’est aussi le cas de nombreuses villes côtières d’Afrique à fière allure pendant que l’arrière pays se meurt. Le progrès de la démocratie, le respect des droits de l’homme, la création d’un vaste marché intérieur dans les pays sous-développés sont là, la clé d’une solution débouchant sur un nouvel ordre économique international. Eluder tous ces problèmes qui se posent avec acuité au Tiers-Monde entraînera toujours des implantations industrielles qui se feront dans ces pays sous-développés, non pas pour la masse des populations, mais pour les marchés des pays développés, c’est-à-dire nous enverrons une balle contre un mur »18.
34Pour les socialistes, leur crainte serait par ailleurs de voir se créer immédiatement des problèmes de compétition excessive et des problèmes de tentation protectionniste. Aussi préconiseraient-ils d’aider tant soit peu les pays du Tiers-Monde à exporter sur les marchés occidentaux, c’est-à-dire voir se créer une nouvelle division internationale du travail, sans cette fois déconsidérer leur propre marché intérieur : voilà qui permettrait d’intégrer au développement la masse des pays du Tiers-Monde qui en est actuellement, complètement exclue.
2.3. LA POSITION DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS
35Depuis sa fondation, le parti communiste français a été particulièrement attentif aux problèmes nés de la colonisation puis de la décolonisation : sur la base du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ses militants sont intervenus en maintes occasions, par la plume et par l’action pour soutenir, compte tenu de conjonctures nationales parfois difficiles, les combats émancipateurs des populations colonisées et dominées par la France. Aussi les communistes français ont-ils affirmé, à plusieurs reprises, l’importance qu’ils attachent à la qualité des relations entre la France et les Etats nés de la décomposition de l’ancien Empire colonial.
36Dans l’ouvrage Changer de cap, qui propose, en 1971, un « programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire », dans le cadre des discussions préparatoires à la mise en place du « programme commun » avec les socialistes, il est noté que le futur gouvernement établira « avec tous les Etats en voie de développement dans le monde, particulièrement avec ceux de l’ancien Empire colonial français... des rapports de coopération qui... seront fondés sur le respect de l’indépendance, de la souveraineté, de l’égalité des droits, de la non-ingérence dans les affaires intérieures et sur l’intérêt réciproque »19. Ce document propose une conception nouvelle de l’aide publique française qui jusque-là « constitue pour l’essentiel une aide aux grands monopoles capitalistes qui exploitent l’Afrique, et aux firmes exportatrices ». Le futur gouvernement « proposera l’ouverture de négociations à tous les Etats désirant voir révisés les accords de coopération en vigueur, en vue de définir en commun des formes nouvelles de coopération »20. En outre, le développement des rapports bilatéraux devra être complété par le « renforcement de l’aide multilatérale » à travers les organismes spécialisés de l’ONU, le Fonds européen de développement, les organismes régionaux. Ces propositions sont reprises et précisées dans Le Défi démocratique, où G. Marchais souligne que ces aides diverses ne sauraient suppléer ni s’opposer « à l’action indispensable pour donner à ces peuples les moyens de s’engager eux-mêmes dans la solution de leurs problèmes... L’un de ces moyens essentiels, c’est la garantie de prix stables et rémunérateurs pour leurs productions »21. Une véritable solution au problème du sous-développement ne peut se concevoir que dans la mise en place d’un nouvel ordre économique international qui exige les efforts conjugués et tenaces de toutes les forces anti-impérialistes dans le monde.
37Ces positions, dans leur ensemble, seront ensuite constamment réaffirmées lors des 21e (1974), 22e (1976) et 23e (1979) Congrès du parti communiste français.
2.4. L’AIDE ET LES OPINIONS PUBLIQUES
38Lorsque nous parlons de l’opinion publique, nous entendons exposer les points de vue d’une certaine opinion publique, celle qui, soit par son accès aux médias, soit par sondage, s’est vue exprimer l’opinion des Français.
39En pensant aux médias, il nous revient à l’esprit les thèses les plus classiques exposées lors d’un débat télévisé, en février 1971, de l’émission « A armes égales », qui avait opposé R. Cartier à R. Buron. A côté de ces deux thèses22, nous examinerons trois autres points de vue non moins intéressants parce que très intéressés, ce sont ceux de René Dumont écologiste, 1’« agronome de la faim », de G. de Coster, alors directeur international adjoint de Péchiney Ugine-Kulhmann et membre du Club de Dakar, et de Sally N’Dongo, travailleur immigré.
40Avertis par ces débats, les Français auraient exprimé en 1971, par la SOFRES, et en 1976, par l’IFOP, leur opinion sur l’aide de la France aux pays sous-développés.
2.4.1. De Cartier à Buron
41Deux thèses souvent très opposées qui viennent éclairer on ne peut mieux toute la politique officielle française d’aide au développement : l’aide-gaspillage ou maintien d’un système international fondé sur un « libre-échange » qui a comme résultat le sous-développement : « On ne fait pas boxer dans la même catégorie, sans règles particulières, des boxeurs de poids aussi différents qu’un pays sous-développé et un pays déjà au comble de son développement », dira très justement R. Buron.
2.4.1.1. Les thèses de R. Cartier 23
42« En tout cas, je tiens à dire ceci : je n’ai jamais dit, et je n’ai jamais écrit que nous devions supprimer l’aide au Tiers-Monde, je ne l’ai jamais écrit et jamais dit. Et quand on me le fait dire, on me fait dire une chose inexacte ».
43« Je n’y crois pas beaucoup, pour différentes raisons : d’abord parce que je pense qu’une aide institutionnalisée et permanente n’est pas un bon système, surtout à l’égard de peuples qui sont portés à oublier qu’on n’est jamais aidé que par soi-même ».
44« Deuxièmement, je n’y crois pas beaucoup non plus parce que l’aide consiste surtout en une aide aux gouvernements plus qu’aux populations. Et qu’elle entretient non seulement les fastes pittoresques que vous connaissez, mais qu’elle entretient aussi, ce qui est beaucoup plus grave, des structures politiques, policières, diplomatiques, etc., qui excèdent de loin les ressources des peuples auxquels elles s’appliquent ».
45« Je fais donc sur l’aide elle-même, par son principe et son application, les plus grandes réserves ».
46R. Cartier aura ainsi exposé les raisons de ses réserves ; et selon lui l’aide que la France consent aux pays sous-développés va directement dans les coffres de ceux qui gouvernent avant de poursuivre : « Le coût de la coopération se perd dans un lourd passif historique qu’on doit considérer comme le gaspillage irrémissible des forces vives de la nation. C’est le passé, mais il prend la suite d’une tradition nationale navrante. On dirait que, de génération en génération, une fatalité conduit la France à dilapider sa substance ; quelle floraison de progrès, quelle éclosion de jeunesse, quelles sources de richesses aurait-on pu faire surgir avec ces sommes gigantesques sur le sol français scandaleusement délaissé ».
47Pour R. Cartier, non seulement l’aide est inutile, du moins ne se justifie pas, mais elle nuit à la bonne marche de l’économie française : « L’aide aux pays sous-développés est prélevée... sur la faible tranche du produit national par lequel se finance et s’entretient l’expansion française. L’aide aux pays sous-développés est prise sur le budget de l’avenir, sur le budget d’un avenir français qui est à la fois radieux et lourd ».
48Précisément, au sujet de l’aide privée, c’est-à-dire des investissements effectués par les industriels dans les pays du Tiers-Monde (de la même façon qu’ils investissent aux Etats-Unis d’Amérique), R. Cartier déclare en 1971 : « Elle vient au détriment de la construction française... C’est la part prise sur nos investissements productifs, sur ce qui crée les emplois, sur ce qui crée le bien-être d’une nation ».
49Pour faire mieux comprendre le mécanisme de l’aide, R. Cartier prend un exemple imagé qui illustre plus son incompréhension de la finalité véritable de l’aide consentie par le gouvernement français, qu’il n’éclaire l’opinion française : « Un pâtissier voit dans la rue un petit garçon dont la frimousse lui plaît. Il lui donne une pièce d’un franc. L’enfant entre dans la pâtisserie, achète une tartelette, donne pour la payer la pièce de 1 F. L’argent est revenu, mais le pâtissier a donné la tarte. C’est en raccourci le mécanisme de l’aide aux pays sous-développés... même si l’argent revient, la France transfère sa substance à titre gratuit, puisqu’elle donne à la fois la tarte et le franc pour payer ».
50Et R. Cartier d’affirmer : « 6 millions de français tirent encore l’eau de leurs puits comme en l’an 1000. Est-ce que nous devrons attendre que tous les peuples aient le tout-à-l’égout avant que le paysan français ait le droit d’avoir l’eau à son évier ? Moi, je dis non ».
51Ce que R. Cartier ne sait pas, ou semble ignorer, c’est que ce « non » qu’il oppose à cette forme d’aide est avant tout un « non » au développement de la France qui tire une part de sa substance de ses relations ambiguës avec les gouvernements des pays aidés qui de conditionnement en renforcement favorisent les intérêts de la France par trop ouvertement, devant des peuples réduits au silence par des accords de défense qui lui ont jusqu’ici été opposés, quand il fallait défendre un gouvernement contre le peuple.
52R. Cartier affirme par ailleurs que « déduction faite d’un même minimum vital, l’Américain donne au Tiers-Monde moins de 1 % de ses ressources, la France près de 4 %... D’ailleurs, au moment où la France paraît vouloir accroître encore son aide excessive aux pays sous-développés, l’Amérique se retire du jeu... Elle voyait dans l’aide à l’étranger une arme défensive contre la propagation du communisme, et l’outil constructeur d’un mode moins inégal. Aujourd’hui, après 20 ans de tentatives et de sacrifices, toutes les illusions se sont effondrées. L’Amérique en a sérieusement assez. Des voix de plus en plus puissantes s’élèvent pour demander la fin d’un système qui, partant d’une aide temporaire, est devenu une institution nationale de mendicité et de chantage ».
53Si R. Cartier était bien informé, il aurait su que la fin de l’aide américaine ne traduit pas le refus d’un soutien aux gouvernements et aux seules élites, ce que la France continue de faire et qui n’aurait pas déplu aux Etats-Unis s’ils n’avaient pas le sentiment de soutenir, mieux encore de subventionner, plus les entreprises européennes et françaises en particulier que les entreprises américaines.
2.4.1.2. Les thèses de R. Buron
54R. Buron, directeur à l’époque du centre de développement de l’OCDE répond à R. Cartier en expliquant le gaspillage apparent comme un mal nécessaire pour le développement de la France.
55« C’est un grand débat que nous allons ouvrir R. Cartier. Retenons simplement que l’aide économique en investissements publics, en dons, est de 130 milliards, en 1969, dans les pays étrangers à la France, c’est-à-dire l’équivalent d’un quart de notre consommation de cigarettes, voilà la totalité de l’aide économique fournie par le contribuable aux pays du Tiers-Monde ».
56« Alors, venons-en au problème de l’aide culturelle, et c’est la grande question. 130, 140 milliards correspondent à la coopération culturelle, à ce qu’ on appelle à tort ou à raison la francophonie, ce que j’appelle la défense de la langue française ».
57« Je vous dis tout franc, Raymond Cartier, que je suis partisan, dans l’intérêt de la France, que l’on parle encore français. Je sais qu’il était facile de remplacer le français au Viet-Nam, peut-être demain, avec la nouvelle situation au Cambodge, ce sera l’anglais ».
58« Alors, c’est ma seule question : êtes-vous partisan que nous nous efforcions de défendre la langue française ? Car, contrairement à ce que vous avez dit dans votre film, les exploitations de livres français sont cinq fois plus importantes en volume cette année (1971) qu’en 1961. En 1961, il y avait 700 000 élèves qui apprenaient le français en Algérie ; cette année, il y en a deux millions. Je suis content de ce résultat parce que j’aime la langue française ».
59« Je n’ai jamais cru que Raymond Cartier condamnait toute forme d’aide. Mais sa thèse, il me dira si je la déforme, c’est que la France doit prendre sa place au sein des nations industrielles du monde occidental auquel elle appartient et ne pas chercher à se distinguer du peloton. C’est une comparaison de cyclistes ».
60« Je pense que la France a autre chose à faire et qu’elle doit sortir du peloton de deux façons, d’abord parce qu’elle peut convaincre par son attitude, par ses prises de position, les autres nations occidentales qu’il y a mieux à faire que cette discussion sur l’aide publique ou privée, qu’il y a à changer les règles du commerce international ».
61« Le sous-développement est le résultat des règles du commerce international qui repose sur un libre-échange dont se réclament toutes les nations, sauf lorsqu’il les concerne. Et les grandes nations imposent un faux libre-échange qui a comme résultat de maintenir le sous-développement. On ne fait pas boxer dans la même catégorie, sans règles particulières, des boxeurs de poids aussi différents qu’un pays sous-développé et un pays déjà au comble de son développement ». Mais voilà, c’est qu’en réalité il est difficile à la France de jouer au donneur de leçon quand on sait qu’elle a souvent, trop souvent profité de ces combats trop inégaux, avec son ancien Empire colonial qui lui est resté dépendant et très ouvert. Mais, malgré cette contradiction, R. Buron poursuivant son argumentation face à celle de Cartier aura l’avantage de proposer quelques solutions pour atténuer la distance qui sépare nations riches des nations pauvres : « Si l’on veut que les pays du Tiers-Monde ne continuent pas à voir leurs revenus augmenter, dans le meilleur des cas, de 300 anciens francs par tête et par an, pendant que dans le monde occidental l’augmentation est de 8 000, si l’on ne veut pas que la catastrophe soit au bout d’un fossé qui s’élargit sans cesse, c’est autre chose qu’il faut faire, c’est permettre aux pays sous-développés de se développer ».
62« Cela exige une réelle organisation du marché des matières premières. Il est indispensable qu’on permette à ces pays de vendre plus cher leurs productions. Il me paraît indispensable que nous renoncions au faux libre-échange international qui ne favorise que les Etats-Unis, comme chacun sait, il faut que nous mettions en place une véritable solidarité ».
63« On a ri dans la presse, ou on a fait semblant de rire, parce que je me prétendais socialiste planétaire. Je reviens à ma notion d’utopie de tout à l’heure. Je ne crois pas que le socialisme planétaire soit une utopie, en tout cas je sais ce que ça coûte, le capitalisme nationaliste... Mon choix est fait, et il est fait, je crois, dans l’intérêt des pays du Tiers-Monde, mais plus encore de la France ».
64Doit-on comprendre que ce choix est le bon et celui de tous les Français ? Il est désormais une autre politique française qui consiste à faire des déclarations favorables à plus de justice et d’équilibre dans les échanges internationaux et par ailleurs à renforcer la pression sur les faibles économies du Tiers-Monde francophone : les Etats-Unis tirent leur épingle du jeu mais en sont si peu satisfaits qu’ils se retirent un peu partout et, quoiqu’il arrive, c’est la France qui en sort gagnante. Nous ne pensons pas que la France ait à gagner cependant de façon durable à faire jouer en sa faveur ses relations avec les pays francophones du Tiers-Monde.
65Sans revenir sur le bien-fondé de l’aide, les deux thèses expriment un malaise et la solution n’est pas tant dans la diminution de l’aide, déjà en régression continue en valeur actualisée, que dans la perpétuation de la dépendance qui fait que 20 ans se sont écoulés sans grand espoir pour les pays sous-développés qui s’enlisent chaque jour davantage. C’est au « système » de coopération (car c’est bien un système), qu’il faut s’en prendre résolument et créer des relations égalitaires pour que l’aide ait quelques effets induits dans les économies des pays francophones du Tiers-Monde.
66Après R. Cartier et R. Buron, une autre opinion plus intéressée, semble-t-il, apporte à ce débat un éclairage différent.
2.4.2. Quelques points de vue intéressés
67Les points de vue que nous avons choisi de faire figurer dans notre travail, ceux de René Dumont, de G. de Coster et de Sally N’Dongo sont des points de vue « partiaux ». Celui de R. Dumont parce qu’il se définit comme « l’agronome de la faim », préoccupé par les répercussions sur l’écologie de la planète des types de développement actuellement recherchés ; celui de Gérard de Coster, alors directeur international adjoint de Péchiney-Ugine-Kulhmann et membre du Club de Dakar24, parce qu’il se préoccupe surtout de rentabilité économique, celui enfin de Sally N’Dongo, alors dirigeant et peut-être encore aujourd’hui, de l’Union Générale des Travailleurs Sénégalais en France, parce qu’il voit dans la coopération un élément de son combat syndical et politique. Ce sont là des points de vue reflétant d’autres courants de l’opinion publique.
2.4.2.1. R. Dumont
68Pour René Dumont, la coopération, telle qu’elle a été comprise jusqu’ici, n’a pas évité le pillage du Tiers-Monde : on continue dit-il à sous-payer les matières premières de ces pays-là d’une façon excessive, sauf le pétrole depuis 1973 ; et surtout elle a eu pour but de développer un type de société comparable à la société occidentale : « Ce qu’on entend par développement c’est la réalisation, dans ces pays, d’une société analogue à la société occidentale, la société de consommation, la société de gaspillage. Or, ce type de société est trop coûteux dans ces pays relativement pauvres pour qu’il puisse atteindre, comme les pays développés la majorité de la population. Que se passe-t-il alors ? Il se passe que les minorités privilégiées urbaines abusives prélèvent une part excessive de ces ressources d’une part, et d’autre part, comme ces ressources ne sont pas suffisantes pour qu’elles aient le niveau de vie de l’occident européen ou nord-américain, prélèvent, sur leurs paysans, une part excessive pour jouir de ces villas à piscines, exemple de Cocody près d’Abidjan, et de leurs « Mercedes »25. Ainsi au Togo, en 1974, René Dumont a noté que 60 % des recettes obtenues sur l’exploitation du café, coton, cacao, les trois grandes cultures d’exploitation, sont versées au budget et servent à la minorité urbaine, à l’embellissement de la capitale, 40 % seulement sont versées aux paysans plus nombreux. Ainsi les paysans voient la plus-value de leur travail, plus-value qui leur est nécessaire pour moderniser leur agriculture, profiter à la petite élite de la ville.
69René Dumont estime que les paysans devenus de plus en plus nombreux devraient associer agriculture et élevage et développer plus les cultures vivrières de façon à se nourrir correctement. L’exemple de l’arachide, au Sénégal, qui a ruiné les sols du Sahel et provoqué la sécheresse et les famines de 1972 et 1973, la persistance de la malnutrition devraient conduire à envisager une conception tout à fait différente de la coopération actuelle.
70« Il faut donc envisager non pas seulement une réforme de la coopération, mais une modification totale, un bouleversement, une révolution de la coopération qui permettrait de financer les cultures vivrières et non plus les cultures d’exploitation, qui permettrait à ces pays d’éviter la famine qui sans cela, me paraît inévitable »26.
2.4.2.2. G. de Coster
71Pour l’industriel G. de Coster, la coopération est « quelque chose de très concret ». En effet, fort de son expérience au sein du groupe Péchiney-Kulhmann, et ayant ainsi participé à la mise en place d’industries nouvelles dans la plupart des Etats d’Afrique francophone, G. de Coster affirme que les industries nouvelles implantées par son groupe se sont inscrites aussi bien dans l’industrie de l’aluminium que dans l’industrie chimique ou dans les activités d’extraction de minerais, la bauxite et l’uranium notamment : « Il semble que de cette expérience personnelle je peux tirer quelques conclusions » (25).
72La première des conclusions qu’il tire est que son groupe n’implante d’industries nouvelles que s’il semble que ces entreprises seront rentables à la fois pour le groupe et tous les pays dans lesquels elles s’installent ; mais, pense-t-il, au-delà de ces réalités économiques, il y a des choses plus importantes : « D’abord, pour installer des entreprises nouvelles, il faut former la main-d’œuvre locale. On forme, bien sûr des personnes en plus grand nombre que celles qu’on emploiera, et il en résulte une diffusion de connaissances techniques qui est intéressante pour les pays d’accueil. Mais aussi, nos techniciens reviennent de ces pays avec une expérience plus grande, plus riche, plus variée, qui leur est très utile dans la suite de leur carrière, ce qui est intéressant aussi bien pour leurs entreprises que pour l’économie française. D’autre part, et surtout, je dirai, nos entreprises ont généralement pour objet de mettre en valeur des matières premières : énergies ou minerais divers, qui ne se trouvent le plus souvent qu’en quantité insuffisante sur le territoire national. Ce point est très important car si nos industries n’arrivent pas à établir ou à maintenir avec les pays d’Afrique des relations économiques et techniques convenables, je ne vois pas très bien, étant donné que les ressources de base de l’avenir de l’Europe de demain se trouvent, à mon avis, sur le continent africain, je ne vois pas très bien comment nos enfants ou nos petits enfants pourront se procurer, par des moyens pacifiques, les moyens de base dont ils auront besoin pour produire les biens de consommation qui sont actuellement considérés comme indispensables »27.
73Et G. de Coster d’ajouter : « Pour moi, la coopération c’est cela, c’est la vie de tous les jours et j’y crois »28. L’analyse que fait cet industriel est sans doute l’une des plus réalistes sur la politique de coopération menée par le gouvernement français et est sans doute le meilleur plaidoyer à plus d’adhésion des Français à cette politique.
74Si pour G. de Coster c’est cela la coopération, il va sans dire qu’elle procure plus d’avantages à la France, qu’aux pays d’Afrique francophone avec lesquels elle coopère.
75Et l’opinion exprimée ci-dessous par Sally N’Dongo résume assez bien l’état d’esprit de la majeure partie des Africains sur la coopération qui devrait être autre chose qu’« une aide à la recolonisation »29.
2.4.2.3. Sally N’Dongo
76Pour Sally N’Dongo l’ensemble des rapports entre la France et les pays anciennement colonisés par elle, devenus depuis indépendants, sont inspirés par une éthique politique de type idéaliste qui aboutit à la doctrine de la coopération internationale, à savoir : « L’aide des nations occidentales développées aux pays du Tiers-Monde devrait pouvoir aider des nations dans leur développement et combler progressivement leur retard économique »30. Mais contrairement à cet espoir Sally N’Dongo décèle et dénonce l’écart entre nations riches et nations pauvres.
77« L’on s’aperçoit, dit-il, que la disparité des niveaux économiques augmente ; les taux d’accroissement du produit national brut sont nettement moins élevés dans l’ensemble de ces pays qu’en France. Les statistiques connues sont assez incertaines et généralement optimistes, pour les raisons politiques :
- pour la plupart des pays sous-développés, les indices de production per capita baissent à cause d’un développement plus rapide de la population que de l’économie ;
- la dépendance économique et financière de ces pays augmente également. Si en France, on est assez sensible actuellement à la mainmise progressive des capitaux américains sur l’économie de l’Europe occidentale et à la dépendance économique qui en découle, on est, en revanche, d’une ingénuité délicieuse dans l’analyse des rapports avec les pays d’Afrique et plein d’illusions sur la générosité française »31.
78L’examen des concours français, a entraîné Sally N’Dongo à constater, sur le plan économique, un échec de cette politique de coopération économique, telle qu’elle est actuellement menée. Il y a, du reste, pense-t-il, une analogie surprenante entre les rapports des Français avec les travailleurs étrangers et les rapports de la France avec les pays sous-développés : « générosité apparente – exploitation réelle »32.
79L’aide de la France à ses anciennes colonies, pense-t-il, permet de constituer une classe de fonctionnaires privilégiés, formés plus ou moins dans des Universités françaises, qui économiquement, sont les principaux bénéficiaires de cette aide, ont donc un intérêt direct à la poursuite de la coopération avec la France et sont, par la force des choses, les alliés des intérêts économiques de la France dans leur propre pays.
80Ces structures et l’aide financière dérisoire de la France procurent cependant à celle-ci des avantages économiques et politiques substantiels. Sally N’Dongo cite quelques-uns de ces avantages :
- « importation de matières premières très bon marché et en baisse continue (huile ou arachide du Sénégal, minerai de fer de Mauritanie, café et cacao, etc.) : se rappeler, à ce sujet, l’échec de la Conférence de New Delhi tendant à organiser le marché international des matières premières ;
- marchés d’exportation privilégiés ;
- réservoir de main-d’œuvre ;
- possibilités d’investissement pour les capitaux français, amortis très rapidement ;
- maintien de ces pays dans le clan des occidentaux ou des neutres » (26).
81Que reçoivent les pays bénéficiaires ? Sally N’Dongo donne quelques résultats qu’il résume ainsi :
- « l’appauvrissement relatif progressif ;
- une dépendance économique accrue »33.
82Ainsi, la coopération « politiquement et économiquement liée » affaiblit le pays qui la subit et compromet ses chances de développement.
83Et Sally N’Dongo de conclure : « Cette forme de colonisation (néocolonialisme) assez voisine de celle utilisée par les USA en Amérique du Sud, bien qu’avec des moyens très inférieurs, est la suite logique et la transformation des rapports économiques existant du temps de la colonisation. Pour que cette situation puisse évoluer, il faut un processus de démystification et une prise de conscience progressive des populations des pays concernés et simultanément, un effort, d’intégrité intellectuelle et de réalisme chez les Français préoccupés par ces problèmes »34.
2.4.3. L’aide et le français moyen
84En 1971, la SOFRES a mené une enquête auprès des Français sur l’aide aux pays sous-développés. A partir des réponses à cette enquête, il est apparu que les efforts tentés pour résoudre les problèmes du sous-développement étaient alors marqués à la fois par une « grande générosité » et par une attitude encore trop ethnocentrique.
85L’une des raisons du sous-développement viendrait de ce que l’aide n’est pas dispensée de manière à couvrir les besoins de ces populations ? Aussi, plus de 60 % des personnes interrogées estimeront l’aide insuffisante pour résoudre les problèmes du sous-développement. Parmi ces personnes, on trouve : les politiques, les gens de gauche, les syndiqués, les pratiquants et les ouvriers.
86A la question : « Faut-il envoyer de l’argent aux pays sous-développés ? » 55 % des personnes interrogées sont favorables ; 41 % déclarent qu’il n’est pas utile d’en envoyer. Lorsque les enquêteurs en viennent à demander aux personnes qui se sont déclarées favorables à l’envoi d’argent, ils se heurtent à des refus massifs. 82 % de ces personnes refusent, en effet, les quêtes à domicile et 66 % dans les lieux publics. Elles refusent également, pour 76 % d’entre elles, un impôt supplémentaire levé sur tout le monde voire 64 % qui n’acceptent même pas l’idée que cet impôt soit prélevé seulement sur les riches.
87Le principe de la coopération et de l’aide technique est accepté par 91 % des personnes interrogées. Unanimement, 96 % réclament que soient formés des cadres pris parmi la population des pays sous-développés, cependant que 63 % d’entre eux précisent qu’ils devront être formés dans leur pays.
88Pratiquement, il ressort des personnes interrogées par la SOFRES, que les pays sous-développés devraient en premier développer leur agriculture, en second lieu leur instruction et enfin leur industrie, décrivant ainsi le processus de développement que nombre de pays africains n’ont pas encore compris ou réussi à amorcer jusque-là.
89En 1976, un sondage portant sur la même question de l’aide, réalisé cette fois par l’IFOP35 laisse apparaître une certaine évolution : l’aide moins ressentie comme affaire de charité que comme nécessité économique dans un monde où les « riches » dépendent étroitement des « pauvres ».
90En effet, l’interdépendance des pays du monde est ressentie par la majorité des personnes interrogées :
- 69 % contre 22 % pensent que la crise du pétrole, l’inflation mondiale auront montré que tous les pays du monde étaient interdépendants et devraient être solidaires ;
- 65 % contre 25 % estiment que la coopération est nécessaire puisque les pays riches dépendent du Tiers-Monde pour les matières premières.
91Il reste cependant à apporter une petite nuance, car l’on constate que l’opposition solidarité-cartiérisme est encore bien ancrée puisque 48 % contre 31 % estiment que l’aide donnée par la France aux pays en voie de développement est insuffisante mais 49 % contre 44 % pensent que l’argent de la coopération serait mieux utilisé en France dans les régions les moins développées. Cette aide n’est pas ressentie comme désintéressée puisque 27 % seulement contre 54 % pensent que c’est à cause de la coopération que des pays du Tiers-Monde sont « mal partis » et 30 % contre 51 % affirment que la coopération maintient les pays en voie de développement en situation de pays irresponsables.
92Enfin, 60 % contre 29 % sont persuadés qu’il n’y a pas que la raison qui recommande l’intérêt de la coopération, il y a aussi le sentiment et le désir de justice.
93Ainsi, il semble bien que le principe de l’aide soit admis très largement. Mais ses modalités et surtout son volume resteront l’objet de débats et d’hésitations. La solidarité est, pour tous, une nécessité, mais jusqu’où devrait-on la mener ?
2.4.4. L’opinion européenne et la coopération
94La coopération économique entre la Communauté Européenne et les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, signataires de la Convention de Lomé, est désormais un fait constant. Elle est connue dans le monde, est semble-t-il appréciée et sert de plus en plus de modèle de base pour un véritable partnership entre les pays techniquement avancés et ceux en cours de développement industriel, même si la Convention de Lomé, base juridique de la coopération Europe-ACP, suscite au fur et à mesure de son application des critiques utiles et nécessite par conséquent des améliorations dans ses différentes dispositions, tel le Stabex qui devra être revu afin d’éviter qu’il devienne un instrument « stabilisateur de la pauvreté ».
95Cependant il existe un réel décalage entre l’action des responsables européens de la coopération et l’opinion publique des Etats membres. Excepté les milieux bien informés ou des personnalités qui mesurent le grand intérêt des relations entre l’Europe, les pays ACP et le Tiers-Monde coïncider le développement économique et le progrès social et humain.
96Les raisons de ce véritable fossé entre la politique officielle des Etats membres et leur opinion publique sont à la fois historiques et économiques. Les pays africains n’ont pas eu et n’ont pas très souvent bonne presse en Europe. Les Européens connaissent l’Afrique, ou les pays ACP en général, à partir des médias qui ne rendent compte que de faits à sensation et des faits et gestes des chefs d’Etats dictateurs et extravagants. Ajouter à cela certains courants d’opinion opposés à la coopération comme le cartiérisme36 ou celui du quotidien Die Welt dont l’influence est heureusement fort limitée, qui ne se sont développés que sur la base de l’image médiocre que l’on a eue depuis longtemps de l’Afrique. Ces dernières années, les difficultés économiques mondiales et certains conflits sur le continent africain, dans les Caraïbes et même dans le Pacifique ont détérioré davantage encore cette image des pays ACP en Europe.
97Depuis quelques temps néanmoins, le mouvement d’opinion favorable à la coopération et aux relations économiques privilégiées avec les pays ACP et le Tiers-Monde dans son ensemble se développe et se renforce en Europe, correspondant à l’action des organisations qui ont de meilleurs rapports avec le Tiers-Monde, et aussi à l’action des Etats membres.
98Toutefois, le fait nouveau c’est que si, du côté ACP, on se préoccupe, dans l’état actuel des choses, essentiellement de la valeur, en termes économiques, et de la qualité de la coopération, l’opinion publique européenne de son côté attache de plus en plus d’importance au fond bien sûr, mais aussi et surtout à la finalité humaine de la coopération. Cela s’explique : les revendications économiques (congés payés, semaine de 40 heures, sécurité sociale, etc.) connues en Europe il y a 40 ou 50 ans ont changé de nature. Le développement économique et l’élevation du niveau de vie l’ont été au détriment de « la qualité de la vie » qui est devenue l’une des principales demandes des travailleurs européens. Autrement dit, il s’agit de faire coïncider le développement économique et le progrès social et humain. Or, la coopération constitue, selon le ministre français, Robert Galley, « une cause nationale » pour les Etats membres. Il apparaît dès lors que le poids considérable de l’opinion sur la détermination de certains engagements des Etats membres aura une grande répercussion sur l’évolution et le contenu économique et social des relations entre l’Europe et les pays ACP.
99A cet égard, les élections au suffrage universel du parlement européen constituent un excellent moyen de faire prendre réellement conscience aux peuples d’Europe de leur interdépendance avec les pays non-industrialisés, en particulier ceux du groupe ACP. Dans une conférence tenue à Bruxelles, en juin 1977, sur le thème « les élections européennes et la coopération », Claude Cheysson, commissaire chargé du développement, répondant aux inquiétudes de jeunes stagiaires européennes sur le faible soutien de l’opinion publique à la politique européenne de coopération avec le Tiers-Monde qui apparaît comme une grande réussite communautaire, a déclaré que les relations avec les pays ACP et le Tiers-Monde occuperont inévitablement une place importante dans les programmes et les campagnes des candidats au parlement européen. Claude Cheysson avait alors indiqué que 50 % des importations de matières premières des Neuf provenaient des pays en développement alors que les USA et l’URSS n’achetaient à ces pays que 17 % et 7 % respectivement de leurs matières premières. Les ventes de l’Europe aux pays en voie de développement étant dans le même temps deux fois supérieures à celles destinées aux USA.
100Les exportations des pays en développement vers l’Europe des Neuf s’élevaient, elles, à 40 % contre 25 % et 5 %, respectivement vers les Etats-Unis et l’Union Soviétique.
101Considérant ces données objectives, Claude Cheysson pense que le maintien du progrès économique de l’Europe dépendra essentiellement du développement de l’économie des pays ACP et du Tiers-Monde en général, ainsi que des bonnes relations que la Communauté établira avec ces pays.
102« Aussi faudra-t-il associer profondément l’opinion publique des Etats membres à cette politique de l’avenir, dans l’intérêt de l’Europe et des pays en développement »37. Par ailleurs, concernant les pays ACP, Claude Cheysson croit à leur développement qui devrait trouver ses racines dans « l’identité culturelle des pays concernés »38.
103Cependant, nous pensons que l’opinion publique européenne ne devrait pas soutenir la politique communautaire de coopération si cette politique ne répond pas à certaines considérations morales et humaines auxquelles les peuples d’Europe sont eux-mêmes très attachés.
Notes de bas de page
1 Le Courrier n° 44, juillet-août 1977, Interviews, p. 4.
2 Robert Galley, La France et sa politique de coopération, Eurafrique.
3 Robert Galley, La France et sa politique de coopération, Eurafrique.
4 Robert Galley, La France et sa politique de coopération, Eurafrique.
5 Robert Galley, La France et sa politique de coopération, Eurafrique, p. 21.
6 Robert Galley, La France et sa politique de coopération, Eurafrique, p. 21.
7 Robert Galley, La France et sa politique de coopération, Eurafrique, p. 21.
8 Robert Galley, La France et sa politique de coopération, Eurafrique, p. 22.
9 Robert Galley, La France et sa politique de coopération, Eurafrique, p. 23.
10 Les socialistes et le Tiers-Monde. Eléments pour une politique socialiste de relations avec le Tiers-Monde, Berger-Levrault, Paris, 1977.
11 Extrait de la préface du livre : Les socialistes et le Tiers-Monde, Berger-Levrault, Paris, 1977.
12 Extrait de la préface du livre : Les socialistes et le Tiers-Monde, Berger-Levrault, Paris, 1977.
13 Extrait de la préface du livre : Les socialistes et le Tiers-Monde, Berger-Levrault, Paris, 1977. Position doublée d’une pratique politique depuis que les socialistes sont au pouvoir.
14 Les socialistes et le Tiers-Monde, Berger-Levrault, Paris, 1977.
15 Les socialistes et le Tiers-Monde, Berger-Levrault, Paris, 1977.
16 Le Courrier n° 44, juillet-août 1977, p. 11.
17 Le Courrier n° 44, juillet-août 1977, p. 11. « Aider le Tiers-Monde, c’est s’aider soi-même à sortir de la crise », déclare le président F. Mitterrand à la conférence des P.M.A., Le Monde, 2-9-1981.
18 Le Courrier n° 44, juillet-août 1977, interview de Lionel Jospin.
19 Changer de cap, ouvrage collectif, ES, 1971, p. 227.
20 Changer de cap, ouvrage collectif, ES, 1971, p. 228.
21 Georges Marchais, Le Défi Démocratique, Grasset, 1973, pp. 240-241.
22 Ces thèses exprimées lors du débat télévisé de février 1971 avaient été reprises dans le n° 109 de Croissance des Jeunes Nations de mars 1971 et également dans Paris-Match, n08 777, 778, 779 des 29 février, 7 et 14 mars 1974.
23 Ancien journaliste de Paris-Match, Raymond Cartier s’est illustré par le slogan « La Corrèze ou le Zambèze ».
24 Le Club de Dakar, créé en décembre 1972, réunit les personnalités du monde des lettres et des sciences, des ministres responsables – du côté africain – et des chefs d’entreprises européens. Son objectif est d’élaborer des propositions concrètes et efficaces pour le développement et l’industrialisation de l’Afrique. Il a présenté en novembre 1976, une liste de 10 secteurs industriels qui devraient être transférés, des pays industrialisés, vers les pays africains.
25 Extrait de l’émission télévisée du 24 juin 1976, « 60 minutes pour convaincre ».
26 Extrait de l’émission télévisée du 24 juin 1976, « 60 minutes pour convaincre ».
27 Extrait de l’émission télévisée du 24 juin 1976, « 60 minutes pour convaincre ».
28 Extrait de l’émission télévisée du 24 juin 1976, « 60 minutes pour convaincre ».
29 Tibor Mende, De l’aide à la recolonisation, Edition du Seuil, 315 p., 1972 et 1975.
30 Sally N’Dongo, La coopération Franco-Africaine, Maspéro, 1972, pp. 70-73.
31 Sally N’Dongo, La coopération Franco-Africaine, Maspéro, 1972, pp. 70-73.
32 Sally N’Dongo, La coopération Franco-Africaine, Maspéro, 1972, p. 73.
33 Sally N’Dongo, La coopération Franco-Africaine, Maspéro. 1972, p. 73.
34 Sally N’Dongo, La coopération Franco, Africaine, Maspéro, 1972, p. 73.
35 1 212 interviews ont été réalisées en juin 1976 par l’IFOP en vue d’évaluer l’opinion des Français sur la coopération et l’aide de la France aux pays en voie de développement dans le cadre de l’émission « 60 minutes pour convaincre » du 24 juin 1976.
36 Pour la thèse de Raymond Cartier, voir supra, p. 70.
37 Le Courrier, Communauté Européenne – Afrique – Caraïbes – Pacifique. Bimestriel, n° 45, septembre-octobre 1977.
38 Le Courrier, Communauté Européenne – Afrique – Caraïbes – Pacifique. Bimestriel, n° 45, septembre-octobre 1977.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L’Europe des Français, 1943-1959
La IVe République aux sources de l’Europe communautaire
Gérard Bossuat
1997
Les identités européennes au XXe siècle
Diversités, convergences et solidarités
Robert Frank (dir.)
2004
Autour des morts de guerre
Maghreb - Moyen-Orient
Raphaëlle Branche, Nadine Picaudou et Pierre Vermeren (dir.)
2013
Capitales culturelles, capitales symboliques
Paris et les expériences européennes (XVIIIe-XXe siècles)
Christophe Charle et Daniel Roche (dir.)
2002
Au service de l’Europe
Crises et transformations sociopolitiques de la fonction publique européenne
Didier Georgakakis
2019
Diplomatie et religion
Au cœur de l’action culturelle de la France au XXe siècle
Gilles Ferragu et Florian Michel (dir.)
2016