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L’aide publique de la France au développement du Gabon depuis l’indépendance (1960-1978)

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Pierre-Claver Maganga-Moussavou

Préface

Jacques Thobie

Texte intégral

1 Cette étude représente une contribution solide à la connaissance des mécanismes fondamentaux qui perpétuent le sous-développement, singulièrement dans un pays comme le Gabon, dont les richesses naturelles exploitées sont déjà considérables. Elle constitue un apport de qualité à la compréhension des redoutables problèmes posés aux jeunes Etats de l’Afrique noire contemporaine et notamment aux pays qui furent colonisés par la France. Elle implique une conception nouvelle de la coopération.

  • 1 L’expression est de C. Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaire (...)

2 P. C. Maganga-Moussavou dresse d’abord, sur la base d’un copieux appareil statistique, un constat clair et lucide : l’aide publique de la France au Gabon, à travers les accords de coopération dont les premiers furent signés comme condition même de l’indépendance politique, reste très contraignante et se situe dans le droit fil de la colonisation. Colonisation elle-même évolutive. S’est installée au début une colonisation de type mercantiliste, où la foire d’empoigne des grandes sociétés concessionnaires a entraîné, dégradation des hommes, dépradation des ressources, et, en définitive, un véritable « vide gabonais »1 ; lui succède une colonisation de type impérialiste où le capital financier français, laissant aux autres une mince place, fait son apparition et sous-tend l’action de groupes oligopolistiques intéressés à l’exploitation des richesses naturelles du pays : bois et grand commerce dans l’entre-deux guerres, puis, après la Deuxième Guerre mondiale, pétrole, manganèse, uranium. De telle sorte qu’au moment où s’accélère le processus d’une décolonisation du reste fort partielle, l’impérialisme français renforce son emprise économico-financière sur le pays, pérennisée précisément par les mécanismes de la coopération : la contrepartie de l’aide française se traduit par la suprématie du capital français, la dépendance de l’économie gabonaise, avec toutes les conséquences qui en découlent.

3 Et ici, l’historien économiste ne se contente pas d’affirmer, il prouve. Je choisirai dans cet ouvrage fort riche en analyses pertinentes deux exemples significatifs. Et d’abord, le système de l’aide-liée, qui pousse à la caricature le processus de l’emprunt-lié mis au point par les pays exportateurs de capitaux dès le tournant de ce siècle, fait que toute participation, si minime soit-elle, de capitaux publics français, à un projet économique au Gabon, implique que la totalité des commandes revienne à des entreprises françaises ; et le système est lui-même encore conforté par un statut monétaire et un code des investissements qui favorisent la venue de capitaux privés français, et le départ, hors du pays, de l’essentiel des profits réalisés grâce aux richesses et au travail gabonais. P. C. Maganga-Moussavou insiste par ailleurs, avec raison, sur le problème de l’ assistance technique, rendue nécessaire par l’héritage d’un système colonial où l’administration directe était implantée jusqu’aux postes les plus modestes. En progression sensible dans l’enseignement – grâce du reste à une participation spéciale du budget gabonais – ce type d’aide consolide des liens culturels, scientifiques et techniques, non criticables en eux-mêmes, mais qui, en intime relation avec le processus économico-financier évoqué plus haut, contribue à approfondir la dépendance gabonaise et rappelle étrangement parfois la période coloniale. De telle sorte qu’on arrive à un apparent paradoxe : globalement l’aide publique de la France a considérablement baissé dans la dernière période sans que les contraintes qu’elle implique ne se relâchent le moins du monde ; le Gabon, malgré des ressources financières prospères, n’arrive pas à sortir de son sous-développement. A travers et au-delà des simples rapports franco-gabonais, le Gabon, victime de la division capitaliste internationale du travail, demeure un fournisseur, aux prix les plus bas possibles, de matières premières, avant tout à l’ancienne métropole, qui lui vend biens de consommation et d’équipement à forte valeur ajoutée.

4 C’est alors que notre auteur, sur la base d’un diagnostic particulièrement bien étayé, essaie de proposer une médication appropriée. Conscient des contraintes externes, il fait aussi un courageux effort pour analyser les obstacles internes majeurs au développement de son pays. Dans d’ excellentes pages, il démonte les dramatiques contradictions nées de l’irruption de la civilisation industrielle dans la société traditionnelle, et dénonce avec vigueur la « dolce vita » dans laquelle s’enfonce, avec une rapacité coupable, une partie des élites gabonaises. Sans nier l’importance de l’éthique, ni renier Montesquieu, il est pourtant ici permis de penser qu’il y a quelque généreux idéalisme dans l’espoir de changer les comportements des hommes tant que les mécanismes fondamentaux du système économique – la recherche du profit maximum – qui, précisément, favorisent les aberrations dénoncées, demeurent. Je suis plus volontiers P. C. Maganga-Moussavou quand il apprécie le « libéralisme planifié et dirigé » du discours officiel comme une collusion de certains responsables gabonais avec les détenteurs étrangers du capital pour accélérer l’exploitation des différentes ressources naturelles du Gabon ; ou quand il recherche, avec un sens aigu du concret, les moyens objectifs qui permettraient au Gabon d’aller vers plus d’indépendance et plus de développement : renforcer la participation des populations entières, à travers une pratique démocratique, sur la base du dialogue et de la tolérance à la promotion d’une politique nataliste, à la reconstitution et au développement d’une agriculture intégrée et efficace, à la poursuite de l’ effort d’installation des infrastructures de communications, notamment routières ; favoriser l’accumulation et l’investissement gabonais par la création d’entreprises industrielles nationales rendue possible grâce à un protectionnisme modulé ; donner à l’Etat, devenu celui de tous les citoyens, le rôle de redistributeur des revenus à travers une plus juste fiscalité, et le rôle d’entrepreneur et de promoteur dans le but de développer des entreprises nationales et de renforcer toujours davantage le pouvoir économique des nationaux ; trouver enfin les chemins difficiles mais exaltants d’une culture proprement africaine, issue de sa longue et riche histoire.

5 Quelles que soient les limites que peut présenter, dans le cadre du système dominant, tout programme de ce type, il n’implique nullement un quelconque rejet d’une véritable aide extérieure considérée comme absolument indispensable, et notamment l’aide de la France. Il appelle, bien plutôt, la mise en place contractuelle d’une coopération franco-gabonaise expurgée de tout dessein de domination. En ces temps de crise économique, l’arrivée au pouvoir, en France, d’un gouvernement de gauche, fortifie l’espoir, en France et en Afrique, de l’établissement de nouveaux rapports excluant tout esprit néo-colonialiste et fondés sur le respect de l’indépendance, de l’égalité des droits, de la non-ingérence dans les affaires intérieures et proscrivant tout recours à des interventions militaires. Mais cette marche commune vers de nouveaux accords de coopération exige des deux partenaires, tant de la France que des pays africains concernés, et en l’occurrence du Gabon, d’importantes réformes tendant au renforcement de la démocratie et destinées à modifier les processus fort bien évoqués dans la première moitié de l’ouvrage, à travers des actions nationales et internationales, et à mettre en place des structures d’échanges mutuellement enrichissants, car voulus et entretenus par des nations bien décidées, dans le cadre de la communauté internationale et d’organismes régionaux, à promouvoir une réglementation plus favorable aux productions des pays en voie de développement.

6 Ce livre d’une grande qualité scientifique et humaine a l’insigne mérite de se situer au cœur de ce problème capital de notre temps.

Notes de fin

1 L’expression est de C. Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires 1898-1930, Mouton, Paris, 1972, p. 313.

© Éditions de la Sorbonne, 1984

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