Appendice III. La Pologne de toujours. Le Bienheureux Père Kolbe
p. 273-275
Texte intégral
1Dès le début de ma mission, j’avais eu le souci d’entretenir des contacts personnels avec les milieux catholiques polonais – ecclésiastiques et laïques, bien qu’ils fussent tenus en méfiance par les dirigeants pilsudskistes et eussent, de leur côté, le souci de ne point se compromettre avec eux. L’Eglise gardait sur les masses son emprise traditionnelle. Il importait, en outre, au représentant de la France de montrer que l’orientation de la IIIe République et l’avènement au pouvoir du Front populaire ne le détournaient, en aucune mesure, de témoigner considération, intérêt et sympathie au catholicisme.
2J’avais été heureux, en particulier, d’entrer en rapport avec les Franciscains conventuels établis près de Sochaczew, non loin de Varsovie, où ils avaient créé un établissement appelé Niepokalanow (la « Cité de l’immaculée Conception »). Son fondateur, le P. Maximilien Kolbe, en avait fait une entreprise analogue à la Bonne Presse, mais infiniment plus importante, mieux organisée, pourvue d’un outillage perfectionné et, me semblait-il, animé d’un esprit plus ouvert. De là partaient un journal quotidien, à très grand tirage, le Maly Dziennik (« Le Petit Journal »), et plusieurs autres publications, dont un organe mensuel « Le Chevalier de l’immaculée ». Depuis 1938, l’établissement possédait, de plus, un poste émetteur de radio. Je recevais, de temps en temps, le rédacteur en chef du Maly Dziennik, le père Wojcik, auquel je facilitai un voyage d’étude et d’information en France. Niepokalanow comprenait également le noviciat des Frères conventuels, précédemment installé à Lwów (Leopol) et un petit séminaire destiné à former de futurs missionnaires.
3Peu de mois avant la guerre, au début de l’été de 1939, j’allai visiter Niepokalanow. L’accueil du P. Kolbe, supérieur de cet imposant ensemble, et de ses collaborateurs, avait été chaleureux : dans une salle de cours, une vibrante Marseillaise, chantée par de jeunes séminaristes déjà revêtus de la robe franciscaine, avait accueilli l’ambassadeur de la République française1.
***
4Le dimanche 17 octobre 1971, nous trouvant à Rome ma femme et moi, il nous a été donné d’assister à la Béatification, par Paul VI, du R.P. Maximilien Kolbe. Nous nous trouvions, au premier rang de la tribune de Saint-Longin, auprès des représentants du gouvernement communiste de Varsovie : le secrétaire d’Etat chargé des cultes et l’ambassadeur auprès du Quirinal. Cérémonie grandiose entre toutes, du fait de la présence de nombreux cardinaux et évêques participants au synode qui se tenait alors, et de milliers de Polonais, venus les uns de leur pays, les autres de la diaspora qui, d’une seule voix, chantèrent, comme ils savent le faire, des cantiques dans leur langue. La vie et la mort du nouveau Bienheureux justifiait l’éclat de l’hommage qui lui était rendu.
5Raymond Kolbe était né à Zdunska Wola (Pologne centrale) en 1894, d’un pauvre ménage d’ouvriers tisserands. Elevé chez les franciscains de Lwów, il acheva ses études à Rome et conquit, à la Grégorienne, les deux doctorats de philosophie et de théologie. Revenu dans son pays en 1919, le P. Maximilien Kolbe enseigna d’abord l’histoire au séminaire franciscain de Cracovie. En dépit d’une santé défectueuse qui, à deux reprises, l’obligea à soigner ses poumons en montagne, à Zakopane, il fonda, en 1927, le Centre culturel qu’il devait me faire connaître. Il s’en était éloigné, de 1930 à 1936, pour créer, au Japon, une institution analogue, placée également sous le vocable de l’immaculée Conception à laquelle il ne cessa de consacrer le culte le plus fervent.
6A son retour en Pologne, il avait repris la direction de Niepokalanow et avait achevé de lui donner l’ampleur et le rayonnement que j’avais admirés.
7Survint la guerre et l’invasion allemande. Dès le 19 septembre 1939, le P. Kolbe fut arrêté une première fois. Relâché le 9 novembre, il devait, de nouveau, tomber entre les mains de la Gestapo et, cette fois, définitivement, le 17 février 1941. D’abord gardé en prison, il fut, le 28 mai suivant, transféré dans l’enfer d’Auschwitz (Oswiecim). Quelques semaines plus tard, dans les derniers jours de juillet, un détenu étant parvenu à s’en évader, dix autres furent choisis au hasard, dans le même bloc, pour mourir – et mourir de faim et de soif –, dans un bunker sans air ni lumière. Le P. Kolbe n’en était pas, mais au moment où un officier S.S. désignait ces malheureux, l’un d’eux, un ancien sous-officier polonais François Gajowniczek, s’écria : « Que vont devenir ma femme et mes enfants ? ». Le P. Kolbe n’hésita pas : il s’offrit à le remplacer en se présentant comme un « prêtre catholique romain ». C’était choisir le martyre. Le S.S. accepta la substitution.
8Empilés dans l’atroce bunker, les infortunés moururent l’un après l’autre. – Le 14 août 1941, il en restait encore quatre, dont le P. Kolbe. Une piqûre intra-veineuse d’acide phénique permit à leurs bourreaux de faire de la place. Des témoins survivants ont proclamé leur admiration pour le comportement du P. Kolbe durant sa captivité et jusqu’au terme de son calvaire, donnant des détails sur son courage héroïque, son abnégation, son inlassable charité.2
9En le béatifiant, il semble que l’Eglise ait, en quelque façon, béatifié la Pologne elle-même. Sa tragique histoire paraît – toute considération d’ordre spirituel mise à part – se résumer dans le destin du P. Kolbe. Le propre père de celui-ci, entré en Pologne « russe » dès le début d’août 1914, avec la Légion de Pilsudski, fait prisonnier par les soldats du Tsar, fut fusillé comme traître et les deux fils de ce François Gajowniczek, qu’il sauva de la plus cruelle des morts, ont été tués tous deux, à 18 et à 15 ans, en 1944, lors du dernier siège de Varsovie.
10François Gajowniczek était à Saint-Pierre de Rome, le 17 octobre 1971. Il fut le premier à communier de la main du Pape. Sa présence ne contribua pas peu à rendre émouvant et exceptionnellement pathétique le déroulement du rite, imposant déjà par lui-même, de la Béatification de celui auquel il devait d’en être un des témoins.
Notes de bas de page
1 Des photographies, prises pendant ma visite, ont été, l’une, lors de la Béatification du P. Kolbe, exposée à l’église polonaise de Rome, d’autres, publiées dans des journaux catholiques. L’une d’elles est reproduite dans le présent ouvrage.
2 Le père Kolbe a été canonisé par Jean-Paul II, le 10 octobre 1982, sous le nom de saint Maximilien Kolbe.
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