1Depuis le début du XIXème siècle, le port de New York domine le commerce extérieur américain. Il occupe en permanence la première place dans les échanges internationaux des Etats-Unis. Avant la guerre de Sécession, on ne saurait toutefois parler de son hégémonie, car le pays exporte principalement du coton et cette matière première part directement des ports du Sud pour l’Europe. Le conflit civil coïncide avec l’établissement d’une suprématie new-yorkaise aussi bien aux entrées qu’aux sorties. Non seulement à cause du blocus imposé aux ports de la Confédération, car le triomphe n’aurait été qu’éphémère et on serait revenu au statu quo, peu de temps après la fin des hostilités, mais parce que la période de la guerre marque aussi un profond changement dans la structure des échanges extérieurs – un changement durable qui façonne une nouvelle géographie portuaire. Le coton n’est plus le seul roi ; il doit partager sa couronne avec les céréales et les produits d’origine animale qui en dérivent, ainsi qu’avec le pétrole. L’excellente récolte de blé de 1860 et la forte demande qui vient simultanément du Royaume-Uni et de France ne sont pas de simples accidents aléatoires liés aux caprices de la météorologie ; elles annoncent une mutation capitale du trafic sur l’Atlantique-Nord. Les Britanniques ont désormais besoin presqu’en permanence des grains et des viandes américains, tout comme les Français lors des années de mauvaises récoltes ou éventuellement les autres peuples de l’Europe du Nord-ouest. On entre dans l’ère des céréales. Une ère qui dure quatre décennies et s’achève au tournant du siècle, aux environs de 1900, quand les Etats-Unis se retirent partiellement du marché international des grains et prennent place parmi les grands exportateurs d’articles manufacturés. Certes, dans le dernier tiers du XIXème siècle, l’histoire du port de New York ne se résume pas uniquement au commerce du blé et du maïs et aux difficultés qui en résultent, mais, par l’importance des quantités et des valeurs en jeu, c’est dans ce secteur que se concentrent les principaux intérêts et que semble se jouer le destin des ports américains.

2 Si, à New York, l’ère du coton a trouvé son historien émérite en la personne de Robert G. Albion, il est étonnant que l’hégémonie des céréales n’ait pas tenté fortement les chercheurs. A l’exception de brefs survols, la champ est resté presque vierge. Et pourtant la période correspond à l’apogée du port dans le commerce extérieur américain. Un vaste sujet qui ne peut se réduire, vu la taille et la place de l’organisme portuaire, à une simple histoire locale. Constamment les forces qui émanent de l’économie nationale et internationale viennent faire sentir le poids de leur influence sur les quais de l’Hudson, de l’East River et de Brooklyn. Pour New York, il s’agit de défendre ses positions face à des rivaux bien décidés à contester sa suprématie ! des adversaires proches, tels que les ports du Nord-est (Boston, Philadelphie, Baltimore, Newport News), ou lointains et moins dangereux, tels que La Nouvelle-Orléans et Galveston . Pouvait-il, à l’ère des céréales, conserver ses parts de marché ? ou devait-il s’attendre à connaître le déclin, comme l’annonçaient certains prophètes, une déchéance dont l’histoire laissait maints témoignages, de Tyr à Amsterdam ?

18.1 Les données et les faits

3Pour analyser ces questions, il faut disposer de bonnes données afin de construire les faits qu’il s’agit d ’ interpréter .

18.1.1 Les données

4L’information statistique dont on dispose est à la fois bonne et incomplète. Bonne dans la mesure où on peut établir des séries annuelles de la valeur et du volume du commerce, ainsi que du tonnage des navires, après avoir opéré quelques corrections portant sur le montant des exportations en 1860/1, des importations en provenance du Brésil en 1890/2, ou sur le changement de la législation en 1882 en matière de jauge. Incomplète dans la mesure où les sources sont muettes sur les arrière-pays des ports. Seul l’avant-pays peut être décrit avec précision. Il y a là un handicap sérieux par rapport aux analyses des géographes et des spécialistes actuels de l’activité portuaire. Néanmoins on peut étudier le trafic par produits et par région de l’avant-pays.

5L’étude doit comporter deux niveaux ! celui des grandeurs absolues et celui des parts relatives de marché. Dans la mesure où l’on s’intéresse principalement à la position de New York dans le commerce extérieur américain, le dernier est le plus important, mais il est inséparable en fait du premier. En effet, s’il peut toujours paraître inquiétant d’abandonner des parts de marché à des concurrents, les conséquences en semblent moins graves en phase de croissance qu’en période de stagnation ou de dépression. Il est normal que les négociants et les associations commerciales de New York évoquent le spectre du déclin chaque fois que leur port recule de quelques points de pourcentage aux importations ou aux exportations de tel ou tel produit, mais avant de les suivre dans leurs raisonnements, il importe de mesurer le montant absolu du trafic afin de déterminer le climat économique dans lequel se déroule l’évolution. D’autre part, les positions elles-mêmes sont relatives à certains ensembles géographiques. Il est intéressant de suivre le mouvement des parts détenues par New York dans l’ensemble des Etats-Unis, mais dans certains secteurs, comme les exportations de grains, cela ne correspond pas à une réalité économique, car la côte pacifique constitue une zone isolée. L’analyse des positions est plus fructueuse, si elle se réduit à l’étude des positions parmi les grands ports du Nord-est ou parmi ceux de l’Atlantique et du Golfe du Mexique.

18.1.2 Les faits

6Les données brutes ne contiennent en elles-mêmes aucune question. Elles forment une poussière de détails sur lesquels il est tentant de se pencher, mais où l’historien a vite fait de perdre tout fil conducteur. Il est donc nécessaire de construire les faits. C’est là qu’intervient le rôle irremplaçable du traitement statistique. Il permet de décrire d’une manière volontairement schématique l’état statique et l’évolution dynamique. Dans le premier cas, par exemple, des moyennes précisent les hiérarchies sur l’ensemble de la période ; dans le second, le calcul des trends détermine les changements qui interviennent dans la dimension temporelle : le taux de croissance ou de décroissance à long terme qui correspond à la vitesse, les fluctuations à court terme qui s’apparentent aux successions d’accélération et de ralentissement. Bref, la structure et la conjoncture. Encore faut-il être attentif au degré de signification des résultats statistiques. Une tendance apparemment forte peut n’être pas significativement différente de zéro et inversement une tendance faible peut l’être beaucoup. Ainsi de l’analyse des séries chronologiques se dégagent les faits.

18.1.2.1 Les grandeurs absolues

7Si l’on s’attache à l’évolution des grandeurs absolues, le fait dominant, pour le port de New York, entre 1860 et 1900, est la croissance. En valeur, exprimée en dollars-or, les échanges totaux augmentent de 3 % par an, l’expansion étant nettement plus rapide aux exportations (3,7 %) qu’aux importations (2,6 %). Comme, entre temps, les prix baissent en moyenne de 1,1 % par an, les tendances en dollars constants doivent être majorées de ce montant. On obtient ainsi approximativement les résultats donnés par une estimation indépendante des volumes physiques, à savoir 4,1 % par an pour l’ensemble du trafic, 5 % aux exportations et 3,3 % aux importations. Plus soutenue encore est la progression du tonnage net enregistré aux entrées et aux sorties : 4,6 % par an. Ces. chiffres prennent tout leur sens par rapport à la croissance américaine de la même époque : 2,2 % pour la population, 4,9 % pour la production industrielle. Croissance donc, mais dépourvue de caractère exceptionnel, si on élimine l’effet de la poussée démographique, qui résulte elle-même du croît naturel et de l’immigration. Aux exportations, la tendance est nettement croissante pour les principaux produits : les céréales, les viandes, le pétrole, le coton et les articles manufacturés, ces derniers jouant un rôle majeur surtout à partir de 1895. Aux importations, le tableau est plus nuancé : progrès sensibles pour les marchandises tropicales que les Etats-Unis ne produisent pas sur leur territoire, tels que le café et le sucre, stagnation, voire déclin des achats d’articles textiles et sidérurgiques.

8Un autre fait dominant est la prépondérance de l’Europe occidentale dans les échanges new-yorkais, prépondérance plus forte aux exportations qu’aux importations. En moyenne, entre 1868/9 et 1899/1900, les ports qui desservent le coeur industriel du monde, du Golfe de Gascogne à la Baltique, reçoivent 74 % des marchandises (en valeur) expédiées de New York et y envoient 56 % de celles qui sont débarquées sur les quais. Dans l’ensemble des autres ports américains, au contraire, la part de l’Europe occidentale est plus faible qu’à New York aux importations (43 %), mais plus élevée aux exportations (85 %). VU la tendance des Etats-Unis à accumuler dans cette période des surplus commerciaux et à présenter des taux de couverture favorables, New York apparaît comme un port moins spécialisé que ses rivaux, bénéficiant d’un avant-pays plus vaste qui s’étend à toutes les mers du globe, aux Caraibes, au continent sud-américain, à la Méditerranée et au Pacifique. Néanmoins il reste que les trois principales puissances industrielles européennes, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, possèdent un poids tel dans les échanges extérieurs des Etats-Unis que le destin new-yorkais est étroitement lié aux parts de marché qu’il détient dans les relations avec elles.

9Enfin, un troisième fait s’impose à la lecture des courbes : la croissance n’est pas linéaire. Elle subit des fluctuations. Deux accidents majeurs indentent le mouvement des volumes : la guerre de Sécession, marquée par une forte poussée des exportations jusqu’en 1864, et les années qui se situent autour de 1880, sommet cyclique de la période. Dans les deux dernières décennies du siècle, l’élan est brisé, la croissance se poursuit à un rythme nettement ralenti, aussi bien aux achats qu’aux ventes . Du point de vue des valeurs en dollars-or, seuls les pics de 1880 aux exportations et de 1873 aux importations se détachent nettement sur la courbe des écarts relatifs par rapport au trend. Toutefois il ne faut pas perdre de vue que, par leur volume, les exportations l’emportent considérablement, compensées, il est vrai, aux entrées, par les immigrants qui occupent une grande partie de l’espace des cales.

18.1.2.2 L’évolution des parts de marché

10Cette trame chronologique à long et à court terme doit être confrontée avec l’évolution des parts de marché détenues par New York dans les échanges extérieurs des Etats-Unis. La période de la guerre de Sécession représente une coupure majeure avec les décennies antérieures. New York accroît encore son hégémonie aux importations, allant jusqu’à accaparer 72 % des entrées dans le pays, alors qu’il n’atteignait que 65 % immédiatement avant les hostilités. Ce n’est rien à côté du saut énorme aux exportations : de 20 à 30 % avant-guerre, les positions s’élèvent brutalement à 70 % pendant le conflit civil, à la suite de l’arrêt des ventes de coton et du blocus des ports du Sud. New York est bien un des grands profiteurs de la guerre, qui lui assure une position qu’il n’avait jamais détenue auparavant. On aurait pu croire qu’il s’agissait d’un détournement temporaire de trafic, mais ce n’est pas le cas. Les parts de marché ne pouvaient certes pas être maintenues au même niveau, une fois réouverts les ports du Sud, mais il est significatif que, jusqu’en 1895, New York exporte entre 40 et 50 % du montant vendu à l’étranger et qu’à l’extrême fin du siècle, il conserve environ 37 % de ce courant d’échanges. Il y ; a bien un effritement sensible des positions new-yorkaises, mais à un niveau très supérieur à celui de l ’ avant-guerre. Quant aux parts détenues aux importations, on n’y trouve aucune tendance significative. Là où le bât blesse, c’est quand on calcule les positions non pas par rapport à l’ensemble des Etats-Unis, mais par rapport au trafic qui passe par les quatre grands ports du Nord-est (New York, Boston, Philadelphie et Baltimore) – et cela uniquement aux exportations. New York ne peut conserver ses acquis. Dès 1875, il est ramené à ses positions d ’ avant-guerre et, par la suite, il continue à reculer, principalement au profit de Boston et de Baltimore.

11Une analyse plus fine montre que ces tendances globales cachent des évolutions divergentes selon les produits. Ainsi observe-t-on une amélioration des positions new-yorkaises dans le trafic du tabac, du coton ou du pétrole, tandis qu’on constate une dégradation dans le secteur des exportations de céréales, de produits d’origine animale ou d’articles résineux. De même, aux importations, le contraste est vif entre la branche du café où New York ne cesse de renforcer sa domination, tandis que le déclin est prononcé pour le thé, la soie ou la laine. C’est pourquoi une étude spécifique à chacun des principaux articles est nécessaire. Ce souci de désagrégation doit s’étendre à l’avant-pays. Dans le dernier tiers du XIXème siècle, New York recule aux exportations en Europe occidentale, en Méditerranée et au Canada ; partout ailleurs, il progresse, sauf dans les Caraïbes où on ne note aucune tendance significative. Aux importations, le repli n’est significatif qu’en Asie-Océanie et en Europe occidentale. C’est donc principalement du côté du bastion industriel du Vieux-Monde qu’il cède du terrain, alors qu’ailleurs le bilan est positif ou mitigé. Bref, le point faible se situe aux exportations de grains à destination de l’Europe occidentale, l’élément le plus important des cargaisons sur l’Atlantique – Nord, tant en volume qu’en valeur, pour les ports du Nord-est. C’est de là que naissent les crises qui donnent à deux reprises, en 1874-1882, puis à partir de 1895, l’impression que la suprématie new-yorkaise est menacée. Sur ce point, il y a concordance entre l’analyse statistique et les plaintes qui émanent des associations commerciales ou de la presse.

18.2 L’intérpretation des faits

12Les faits établis, reste à les interpréter, à les expliquer. On chercherait en vain un modèle unique susceptible de rendre compte de la diversité du réel observé, d’une part parce que les données sont trop souvent insuffisantes, de l’autre, parce que, comme le dit Hamlet,

”Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, Que n.’ en rêve votre philosophie”
(Hamlet, I, 5,v.166-167)

Aussi faut-il recourir à la fois aux schémas explicatifs et à des méthodes plus impressionnistes.

18.2.1 Des schémas explicatifs

13L’idéal aurait été de pouvoir soumettre tous les secteurs à des tests économétriques, afin de vérifier la validité des conclusions avancées. Pour cela, il faut avoir un modèle et des données. Cependant il n’a pas été possible de formuler, pour toutes les branches du commerce, un modèle rendant compte de l’évolution des parts de marché détenues par New York. Ainsi, aux importations, on ne dispose que de prix FAB dans les ports de départ. Ce n’est d’aucune utilité pour analyser la concurrence entre les ports américains du Nord-est. Les différences de prix unitaires enregistrées par la douane reflètent simplement des différences de qualité ou d’intensité de la fraude. Aussi, pour le café, le thé et le sucre, me suis-je contenté de tester une fonction de demande, afin de déterminer quelles sont les forces qui s’exercent sur la croissance des importations aux Etats-Unis et par conséquent à New York. En dehors de la poussée démographique qui, par elle-même, toutes choses étant égales par ailleurs, devrait expliquer une augmentation de la consommation globale de 2,2 % par an, les estimations fournissent des résultats généralement conformes à ce qu’on en attend : une élasticité-prix négative et faible, une elasticitérevenu positive relativement plus élevée, sauf pour le thé. Situation caractéristique d’un pays dont la population bénéficie d’une amélioration sensible de son revenu réel qui lui permet de transformer des articles de luxe en produits de première nécessité.

14Aux exportations, au contraire, du fait que les prix déclarés à la douane sont des prix FAB, on peut penser qu’ils représentent les conditions de concurrence entre les ports. En conséquence, le modèle suivant paraît s’imposer : la variation de ta part de New York dans les exportations d’un, produit donné est fonction de la variation du prix retatif de ce produit dans un pont qualconque par. nappant à New York. La fonction est croissante. En effet, quand le prix relatif croît, donc quand New York devient un port relativement moins cher que le concurrent en question, on peut s’attendre à ce que sa position s’améliore, toutes choses étant égales par ailleurs. Les estimations économétriques ne permettent pas de rejeter complètement cette hypothèse, mais son pouvoir explicatif varie sensiblement d’une équation à l’autre. Pour les exportations de blé, de farine, de mais, de coton, de tabac, de saindoux, elle rend compte de 20 à 40 % de la variation des positions new-yorkaises. Les résultats sont encore meilleurs pour le boeuf en conserve et le bétail sur pied, mais ils sont aussi franchement mauvais pour le suif, le bacon et les jambons, le porc salé, le beurre, le fromage et le pétrole raffiné. Il semble bien qu’il y ait une relation entre le fonctionnement efficace du modèle et la structure du marché. Quand le marché se rapproche du type de la concurrence parfaite, les différences de prix sont un élément important dans la détermination de la voie par laquelle s’écoule le trafic. Quand, au contraire, le marché présente une structure monopolistique, comme dans le cas du pétrole, où il est dominé, dès la fin des années 1870, par la Standard Oil C°, ou oligopolistique, comme dans le cas des conserves de viande que se partagent quelques grands entrepreneurs de Chicago, les différences de prix déclarés à la douane ne jouent guère de rôle. Quoi qu’il en soit, le modèle laisse un important résidu inexpliqué qui tient soit à l’absence de variables exogènes dotées d’un même caractère de généralité, soit à la médiocre qualité des statistiques de prix à l’exportation, le gouvernement fédéral n’accordant pas une place de choix à la collecte de ces données qui ne fournissent aucune rentrée fiscale.

15A défaut d’un modèle général, on peut élaborer des schémas d’explication propres à chaque marché. Par exemple, pour les exportations de céréales, on fait intervenir l’état des récoltes, la part de New York diminuant quand les moissons sont abondantes, ou le rôle du canal Erié dans les approvisionnements en grains, la part de New York devant diminuer quand celle de la voie d’eau décline. Or les tests, s’ils confirment la première hypothèse, rejettent la seconde. De toute façon, il ne faut pas accorder trop d’importance à des arguments ad hoc. taillés sur mesure ; on ne vérifie, dans ce cas, que des liaisons statistiques et non des hypothèses fondées sur une théorie cohérente. C’est ainsi qu’on établit une relation positive entre l’immigration aux Etats-Unis et la production industrielle dans ce pays, ou bien qu’on repère une liaison plus forte entre le vote en faveur des canaux et la localisation des comtés qu’entre le même vote et les choix partisans. Vu l’insuffisance des données, il aurait été vain de se lancer dans des expériences conditionnelles irréelles, du type : s’il n’y avait pas eu de différentiels ferroviaires, donc si le prix à l’exportation avait été le même à New York qu’à Boston, à Philadelphie ou à Baltimore, quelle aurait été la part de New York dans les exportations de grains ? Cela aurait été vain parce qu’on ne sait pas quelle portion de la différence de prix FAB correspond au différentiel. En conséquence, on ne peut pas établir une hiérarchie scientifiquement fondée des causes du déclin de New York aux exportations de blé, de maïs ou de farine. Force est de se contenter de conclusions plus précaires.

16A défaut de fournir un schéma explicatif aussi structuré, l’analyse des corrélations permet de déceler les liaisons statistiques entre les variables. Pour rendre compte des importations et de l’immigration à New York, les matrices de corrélation des résidus mettent en valeur les phénomènes de simultanéité – ce qui n’implique en soi aucune relation de cause à effet. Il apparaît cependant que le facteur prédominant qui préside aux fluctuations cycliques et aléatoires est la conjoncture économique intérieure. Les importations de marchandises sont étroitement liées aux variations de l’activité industrielle aux Etats-Unis : elles progressent en phase d’expansion, elles souffrent en période de dépression. De même, l’immigration, quelle que soit la nationalité des nouveaux arrivants (à de rares exceptions près), est beaucoup plus sensible à l’effet d’attraction des Etats-Unis qu ’à la force de répulsion émanant des pays d’origine. Aux importations, la politique protectionniste établie à la faveur de la guerre de Sécession et amendée par la suite seulement dans les détails, joue un rôle moindre que la conjoncture. Certes, elle réduit les quantités d’articles imposés achetées à l’étranger, en favorisant une stratégie de substitution, elle-même couronnée de succès grâce à l’avance technique des Américains dans de nombreux secteurs, mais elle détermine rarement les fluctuations. Aux entrées, à New York, ce sont donc les facteurs endogènes qui priment. Aux exportations, au contraire, du fait de la dispersion géographique des expéditions, on ne trouve pas la même cohérence, ne serait-ce que parce que les principales puissances industrielles de l’Europe occidentale ont chacune une activité autonome qui n’obéit pas aux même rythmes conjoncturels.

17Afin de déceler les points forts et faibles de New York par rapport à ses concurrents dans l’espace géographique de l’avant-pays, le schéma explicatif suivant est proposé : New York améliore sa position globale quand le taux de croissance de ses échange avec, une région donnée est supérieur au taux de croissance des échanges de cette région avec l’ ensemble des Etats-Unis, si ce taux est lui-même supérieur au taux moyen national, ou lui est inférieur, si ce taux est lui-même inférieur au taux moyen national. Il suffit d’inverser les termes pour obtenir les conditions dans lesquelles la position se détériore. En conséquence, la force de New York résulte de ses positions solides dans les zones géographiques dynamiques et de ses faibles parts de marché dans les régions léthargiques. Inversement, sa faiblesse résulte de ses fortes positions dans les zones dynamiques et de ses fortes parts de marché dans les régions léthargiques. Dynamisme et léthargie sont définis à partir des différences des taux de croissance des exportations et des importations par rapport au taux moyen national. Les résultats indiquent qu’on ne saurait parler de crise générale à New York. Points forts et faibles s’équilibrent, les premiers plus nombreux aux importations. D’un côté, New York confisque à son profit presque tout le trafic entre les Etats-Unis et le Brésil. Inversement il s’affaiblit dans les relations avec l’Allemagne, le partenaire le plus dynamique du monde industriel européen. Le Royaume-Uni reste toujours au premier rang, quoique son poids décroisse, du fait du développement de pôle concurrents, de la réduction de sa fonction d’entrepôt et de la mondialisation de l’économie. En relâchant relativement ses relations avec ce partenaire moins dynamique, à l’inverse de Boston, New York conserve ses chances d’expansion à l’avenir, une fois passée l’ère des céréales.

18.2.2 À la recherche des responsabilités

18Ni le traitement économétrique, ni l’étude des corrélations, ni le schéma précédent n’épuisent l’interprétation des faits. Il convient d’accorder une place aux arguments impressionnistes employés par les contemporains. A maintes reprises, les associations commerciales, les professionnels de l’activité portuaire, la presse, les administrations politiques et judiciaires du gouvernement fédéral, de l’Etat et des municipalités concernées sont amenés à se pencher sur les forces et les faiblesses du port de New York face à la concurrence de ses voisins immédiats du Nord-est ou de ses rivaux du Golfe du Mexique, voire de la côte pacifique. Articles, enquêtes, mémorandums cherchent à diagnostiquer le mal quand la situation paraît critique, et a proposer des remèdes plus ou moins bien adaptés. Malheureusement il est difficile de tester ces arguments, faute de données adéquates et, quand on en trouve, aucune conclusion ne s’impose avec la force d’une vérité irréversible, c’est-à-dire avec un degré de généralité suffisant pour être considéré comme solidement étayé et résistant au doute.

19Personne ne conteste qu’un des éléments décisifs de la suprématie new-yorkaise réside dans ses nombreuses lignes de navigation à vapeur. Ni à Boston, ni à Philadelphie, ni à Baltimore, ni a fortiori à La Nouvelle-Orléans, on ne compte autant de départs réguliers hebdomadaires ou mensuels pour un aussi grand nombre de ports européens, latino-américains ou asiatiques. Pour embarquer des grains, les tramps à vapeur ou les voiliers se rendent volontiers à Baltimore ou à Philadelphie, pour le coton, ils fréquentent les ports du Sud, mais ces relations irrégulières ne conviennent pas pour fonder le rayonnement d’un organisme portuaire à une époque où, grâce à la révolution technique de la vapeur et du télégraphe, les négociants accordent de plus en plus d’importance à la rapidité et à la sécurité des livraisons. Seuls les navires de ligne satisfont ces exigences du commerce. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, New York est seul en mesure de répondre pleinement, sous ce rapport, aux besoins des marchands américains et d’outre-mer. Boston, par exemple, ne lui fait de concurrence que pour les liaisons régulières avec Liverpool et Londres. C’est pourquoi, aux importations, rien ne change – ou si peu. Pour les articles manufacturés européens, la vitesse prime sur les faibles différences de fret maritime. Aux exportations, au contraire, les cargaisons de marchandises en vrac et pondéreuses sont beaucoup plus sensibles à de minimes différences de coûts. Ceux-ci déterminent la voie par laquelle transitent les produits à destination de l’étranger. Aussi les difficultés new-yorkaises résident-elles principalement dans cette branche, à savoir les exportations de céréales à destination de l’Europe occidentale et méditerranéenne. Et pour une raison simple : New York est un port cher.

20Les raisons de cette cherté relative sont-elles endogènes ou exogènes ? telle est la substance des débats de l’époque. Le port de New York doit-il imputer ses déboires à ses propres insuffisances ou à l’action perverse de forces extérieures, à moins que les deux ne conjuguent leurs effets ? telles sont les propositions qui s’affrontent dans les polémiques du temps. Trois éléments figurent au banc des accusés : les chemins de fer, le canal Erié, les installations portuaires. Le premier échappe en grande partie à l’action directe de New York, tandis que les deux autres relèvent de son autorité ? L’ennui, c’est que, pour maîtriser la situation, il faudrait dominer les trois instruments à la fois.

18.2.2.1 Les tarifs ferroviaires différentiels

21Les compagnies ferroviaires, qui appartiennent toutes à des entreprises privées, et surtout les lignes-troncs sur lesquelles passe l’essentiel des échanges entre l’Ouest et l’Est (le New York Central, l’Erie, le Pennsylvania, le B & O, et accessoirement le Grand Trunk) renoncent progressivement à défendre des intérêts purement locaux. Après le début des années 1880, le New York Central tient compte tout autant de ses intérêts bostoniens que new-yorkais ; le Pennsylvania cesse d’être le paladin de la cause de Philadelphie pour se soucier de ses positions à New York et à Baltimore. Dans cette dernière ville, le B & O abandonne la promotion agressive du commerce de sa ville d’origine. Au fur et à mesure que se développe ce processus de multilocalisation, les compagnies ferroviaires deviennent en partie indifférentes au destin des ports auxquels elles étaient initialement intimement liées. C’est pourquoi New York ne peut pas compter sur l’aide permanente du New York Central dans sa lutte contre les ports rivaux. La famille Vanderbilt qui en détient les leviers de commande conduit sa stratégie en fonction de ses intérêts propres. Quand ceux-ci lui suggèrent de se faire le défenseur du port, elle n’hésite pas à déclencher une longue guerre de tarifs contre ses adversaires, en 1876 et en 1881. Dès que l’entente lui paraît préférable à la confrontation, les arguments qui justifiaient hier la lutte ouverte perdent toute valeur et les positions contraires prennent soudain plus de poids. Question d’opportunité et non de logique. En outre, même si le New York Central avait choisi de lier en permanence ses intérêts à ceux du port de New York, il n’est pas certain que celui-ci aurait pu maintenir sa suprématie aux exportations de céréales, car les New-Yorkais ont une tendance à surestimer la puissance relative de la famille Vanderbilt. En fait, le climat de concurrence dans lequel baigne le monde ferroviaire et qui empêche les pools de survivre longtemps interdit toute hégémonie prolongée. Des profits excessifs assurent de nouvelles entrées dans la branche, ruinant les intérêts acquis et les rentes de situation. Déjà avant 1880, New York ne peut pas compter sur l’aide bienveillante de ses chemins de fer. Dans les deux dernières décennies du siècle, il est exclu que le salut puisse venir de là.

22Les New-Yorkais n’avaient pas besoin d’un appui actif des compagnies ferroviaires. Ce qu’ils demandaient, c’est qu’elles ne leur imposassent pas des handicaps difficiles à surmonter qui annuleraient les avantages naturels du port. Ces handicaps, ce sont les tarifs différentiels : toute marchandise passant par Philadelphie et Baltimore paye pour le transport un montant moindre que lorsqu’elle transite par New York. Par Boston, elle acquitte une somme égale ou supérieure. Etablies dès avant la guerre de Sécession, ces discriminations ne font réellement sentir leurs effets qu’à partir de 1869 et ne cessent dès lors de figurer au premier rang des responsables des malheurs du port. Initialement élevées, elles sont réduites par des accords, jusqu’à ce que celui du 5 avril 1877 fixe définitivement la structure : pour les articles pondéreux, 3 cents de moins pour 100 livres via Baltimore, 2 cents de moins via Philadelphie, ces chiffres étant réduits de moitié pour les seuls grains à l’exportation en février 1899.

23Les différentiels forment donc un carcan permanent qui s’impose au trafic du port. Les antagonistes cherchent à les justifier par des arguments contradictoires rarement bien étayés : la distance, le coût, la concurrence. En fait, ils ont été établis à l’origine pour compenser les immenses avantages de New York en matière de fret maritime. Puis, une fois que les différents ports et les compagnies ferroviaires qui les desservent se sont assurés une certaine proportion du trafic, ils visent à consolider les acquis dans un climat qui ne soit pas marqué par la guerre permanente. Du fait de leur stabilité théorique entre 1877 et 1899, leur poids relatif s’alourdit au fur et à mesure que les prix baissent, aussi bien ceux des marchandises que ceux du fret ferroviaire et maritime, A la fin du siècle, leur charge, si elle avait été appliquée, aurait pu contribuer à détourner le trafic des exportations de céréales, en particulier des cargaisons complètes, vers les baies Delaware et Chesapeake au détriment de l’estuaire de l’Hudson. Il est donc tentant d’expliquer le déclin de New York dans cette branche par la politique discriminatoire des chemins de fer coalisés contre ses intérêts. L’ennui, c’est qu’une telle proposition ne peut être vérifiée empiriquement avec un degré suffisant de généralité, car on ne sait pas dans quelle mesure les différentiels ont été réellement appliqués ; le non-respect des tarifs officiellement affichés est trop connu pour qu’on n’ait pas de doutes sérieux en ce qui concerne ces différentiels. Il est certain que, lorsque la discrimination est rigoureusement mise en oeuvre, comme en 1896, lors de la fondation, de la Joint Traffic Association, les exportations de grains new-yorkaises reculent fortement par rapport aux concurrents, mais il est vrai aussi que la chute se poursuit quand l’entente ferroviaire perd le contrôle de la situation et que, d’autre part, Boston, grevé des mêmes différentiels que New York, résiste très bien. Les déboires de New York ne sauraient être imputés à un responsable extérieur unique.

18.2.2.2 Le canal Erié

24Les New-Yorkais auraient pu compter sur leurs propres forces. Or, dans la mise en oeuvre des moyens dont ils disposent directement, on relève beaucoup de négligence et d’incurie. L’Etat de New York était proprietaire du canal Erié ; il aurait pu moderniser cet instrument qui avait assuré sa suprématie dans la première moitié du XIXème siècle, en le portant à un gabarit qui aurait suffisamment abaissé les coûts de la batellerie pour résister victorieusement aux progrès techniques des chemins de fer, comme cela s’est fait sur les Grands Lacs dans les deux dernières décennies du siècle. L’Etat avait les moyens de cette politique, au moins à partir de 1880, quand la dette publique est presque éteinte. Or il refuse d’engager des travaux importants pour élargir et approfondir le canal, qui reste dans le même état, à peu de choses près, en 1900 qu’en 1862. Les crédits votés en 1895 ne suffisent pas à mener à bien le programme de modernisation. Les New-Yorkais ont donc laissé dépérir un atout majeur. Ils ne manquent pas de. bonnes raisons pour justifier leur attitude. La gestion politique des canaux profite à des cliques de politiciens corrompus et d’entrepreneurs malhonnêtes. Investir dans les canaux revient à alimenter les prévaricateurs et à gaspiller les deniers publics. D’autre part, la voie d’eau, bloquée pendant cinq mois d’hiver, ne répond pas aux besoins de vitesse et de régularité du nouvel âge commercial. Le peuple de New York est trop divisé pour mener une politique unanime en faveur de ses canaux ; l’esprit de clocher – le localisme – préside aux choix plus que les intérêts généraux de l’ensemble de la communauté. Est-ce à dire qu’avec un canal Erié plus profond, New York aurait conservé ses positions aux exportations de grains ? Les tests économétriques ne confirment pas une telle hypothèse, dans la mesure où les positions new-yorkaises ne semblent guère dépendre de la proportion des céréales apportée par voie d’eau. Peut-être les New-Yorkais ont-ils bien fait de ne pas gaspiller d’investissements dans un projet qui en appelait à l’imagination, mais qui ne répondait pas aux critères d’une saine gestion économique et d’une allocation optimale de ressources rares !

18.2.2.3 Les installations portuaires

25Pour certains observateurs, la véritable bataille aurait dû se livrer sur les quais du port. Du fait des contraintes physiques imposées par le site, la coordination de la "triple alliance" du navire, du wagon et de l’entrepôt, si décisive pour minimiser les coûts portuaires, est plus difficile à New York qu’à Boston, à Philadelphie ou à Baltimore. En 1900, la barrière de l’Hudson n’est toujours pas franchie par les chemins de fer . A l’exception du New York Central, toutes les lignes-troncs ont leur terminus dans le New Jersey, de l’autre côté du fleuve. Si Manhattan est relié au continent par le réseau de Vanderbilt, Brooklyn, où s’aligne le plus grand ensemble d’entrepôts du port, reste isolé dans son île. La manutention des marchandises implique donc de multiples transferts qui grèvent les coûts. En fait, le handicap joue surtout pour les produits pondéreux qui transitent rapidement des wagons ou des péniches aux cales des navires, telles les céréales. A cause des frais inévitables de transport par allèges ou des dépenses imposées par les compagnies ferroviaires, comme le cent New York est un port cher. Les tramps ne le fréquentent pas volontiers. Les navires de ligne, au contraire, y sont attirés, en dépit des loyers onéreux que perçoit la municipalité à Manhattan. La lenteur de la modernisation des quais, conformément au programme adopté en 1870-71 ne décourage pas les armateurs de se presser le long de l’Hudson. Il n’est donc pas certain que l’endettement énorme légué à New York City par les malhonnêtetés de la bande a Tweed ait constitué un handicap sérieux dans la croissance du port. Dans l’ensemble du site, des solutions auraient pu être aisément trouvées, mais il faut tenir compte du poids de l’inertie et de la relative immobilité du capital, une fois qu’il est incorporé dans des équipements matériels. Dans le périmètre où se concentraient les activités portuaires dans le dernier tiers du XIXème siècle, le port de New York ne pouvait espérer maintenir sa suprématie sur des rivaux où les chemins de fer arrivaient directement sur les quais et au pied des élévateurs. Inversement, le recours aux allèges lui assurait une souplesse qui explique le maintien, voire le renforcement des positions dans certaines branches du négoce.

18.2.2.4 Port actif ou passif ?

26Ni les différentiels ferroviaires, ni les insuffisances du canal Erié, ni les lenteurs de l’aménagement portuaire n’expliquent, pris isolément, une bonne partie des reculs new-yorkais. Il se peut que leur effet cumulé soit amplifié, mais on ne voit pas comment vérifier cette assertion. Il convient, en outre, de nuancer la notion de position statistique, car elle ne dit rien sur la fonction active ou passive du port. Un trafic important peut passer sur les quais, mais en ne faisant que transiter un court instant, il laisse dans la ville une faible valeur ajoutée, correspondant aux salaires des travailleurs de la manutention et aux revenus des intermédiaires concernés. Dans ce cas, le port est un organe passif. Si, au contraire, les entrepreneurs locaux dirigent eux-mêmes le mouvement des marchandises, il en résulte un effet multiplicateur qui contribue à l’enrichissement de la région urbaine. En créant des Bourses, où s’achètent et se vendent les produits les plus divers, ils font du port une force active qui attire à elle les approvisionnements ; les entrepôts conservent des stocks en permanence. Le trafic s’organise en flux réguliers au lieu d’obéir aux spasmes de la demande. Il en va de même quand le port joue une fonction industrielle, important les matières premières qui alimentent les manufactures de la région. Ce rôle actif est d’autant mieux assuré que les compagnies de navigation sont contrôlées par des armateurs locaux, prêts à faire coïncider leurs intérêts avec ceux de la cité. Une telle symbiose est une garantie pour l’avenir.

27De ce point de vue, le bilan new-yorkais est mitigé. Dans certaines branches, le port devient de plus en plus passif. Les importateurs qui en constituaient l’aristocratie naturelle à l’époque des princes-marchands, avant la guerre, perdent presque tout leur lustre à la suite de la révolution des communications par vapeur et par télégraphe. Ils sont plus ou moins court-circuités par les grossistes de l’intérieur qui passent directement leurs commandes à l’étranger. S’ils ne parviennent pas à reprendre le contrôle du marché en instituant une Bourse où doivent s’effectuer obligatoirement la plupart des transactions, dès qu’on veut se couvrir contre les risques de fluctuations des cours, New York se transforme en simple lieu de passage, comme on le constate dans le commerce des peaux. Pour le café, au contraire, l’institution d’une Bourse en 1882 renforce l’emprise des négociants new-yorkais. Par d’autres procédés, le port conserve son monopole des importations de soieries.

28La structure, industrielle new-yorkaise répond davantage aux besoins de l ’.agglomération qu’aux impulsions émanant du port. A l’actif de ce dernier, il faut mettre deux branches comme le raffinage du sucre et du pétrole. Quant au déclin de l’armement local, ce n’est pas une caractéristique spécifique de New York. La marine américaine, la seconde du monde en 1860, ne cesse de perdre du terrain sur toutes les mers du globe à partir de la guerre de Sécession. Ce sont les armateurs étrangers qui dominent l’activité des ports des Etats-Unis, tout particulièrement les Britanniques et les Allemands. Dans sa lutte contre ses rivaux, New York ne peut donc pas se reposer sur la fidélité et l’esprit civique de ses armateurs. Il doit songer à les garder ou à les attirer uniquement avec ses avantages naturels et les facilités qu’il leur offre. Dans les polémiques du temps, les branches où le port joue un rôle passif ne suscitent pas de longues controverses, sauf au moment où s’effectue le passage d’une fonction à l’autre. Dans le cas des céréales, au contraire, les ports de la côte Est gardent la mainmise sur le mouvement des produits, les expéditions par connaissement direct n’ayant pas réussi a devenir la forme prépondérante . La Bourse des denrées de New York reste un centre actif des échanges dans le commerce mondial du blé et du maïs. Les armateurs européens, de leur côté, n’ont aucune raison de préférer la Ville-Empire, si leurs profits y sont moindres que dans les ports rivaux. C’est pourquoi les débats se cristallisent sur ce secteur. Les négociants new-yorkais participent d’ailleurs eux-mêmes au déclin de leur port en choisissant les voies les moins chères. Les plaintes ne sont pas dépourvues d’une certaine part d’hypocrisie.

29Au moment de la guerre de Sécession, New York a acquis une suprématie sur le commerce extérieur américain, comme il n’en avait jamais disposé auparavant. L’histoire du dernier tiers du XIXème siècle est celle d’un maintien des positions aux importations et d’un déclin aux exportations, principalement dans le trafic des céréales. Le spectre de la chute qui hantait, certains milieux économiques new-yorkais autour de 1900 ne devait jamais prendre corps, pour la simple raison que les grains cessent brusquement, au début du XXème siècle, de figurer au premier rang des ventes américaines. Le passage d’une situation d’exportateur de matières premières et de denrées alimentaires à une position marquée par l’importance des expéditions d’articles manufacturés change complètement les données du problème et relève d’une autre période qui s’annonce à partir de 1895. L’ère des céréales achevée, New York retrouvait une partie de ses atouts et pouvait maintenir, voire consolider, ses parts de marché.