Chapitre 14. Un handicap :. Les tarifs ferroviaires différentiels
p. 355-383
Texte intégral
1S’il fallait désigner un coupable responsable des difficultés de New York, les négociants en avaient immédiatement un sous la main : les tarifs ferroviaires différentiels (differentials) . Le différentiel est un rabais systématique offert au chargeur par une compagnie de chemin de fer pour transporter n’importe quel type de marchandise vers un autre port que New York. Il ne concerne que le trafic à longue distance, celui qui prend sa source à l’Ouest des Appalaches, au-delà d’une ligne qui passerait par Buffalo et Pittsburgh ; dans le derniers tiers du XIXème siècle, cela signifie que presque toutes les exportations de céréales et de produits d’origine animale sont touchés par cette réglementation. Les différentiels représentent donc un handicap constant imposé à New York par rapport à ses concurrents, particulièrement Baltimore et Philadelphie. Bien qu’ils soient apparus dans une situation particulière pour répondre à un certain état des rapports de force, ils prolongent leur existence, tout en se transformant, preuve, s’il en est, du rôle de l’inertie en histoire et du poids des droits considérés comme acquis. Sur ces rabais, deux catégories d’acteurs s’affrontent : les compagnies ferroviaires et les ports1.
14.1 Les compagnies ferroviaires et les ports
2Les discussions sur les différentiels mettent en jeu à la fois des intérêts et des sentiments. Il faut tenir compte de la forte tradition localiste, version américaine de l’esprit de clocher, qui privilégie les solidarités dans le cadre de la ville, du comté ou de l’Etat, et s’oppose à une vision régionale, voire nationale, des problèmes économiques. Deux logiques contradictoires dont le conflit est inéluctable en temps de crise .
14.1.1 La compagnie ferroviaire au service d’un port
3Le chauvinisme local voudrait qu’une compagnie qui a son centre dans un port, soit exclusivement à son service, paladin prêt à prendre les armes et à faire la guerre aux rivaux, dès que ses intérêts paraissent menacés. A Baltimore et à Philadelphie, cette tradition est fortement ancrée. Les négociants y ont joué un rôle décisif dans la naissance et le développement des deux grandes compagnies qui les représentent, le B & O et le Pennsylvania Railroad. A Philadelphie, il existe une symbiose entre la ville et la compagnie ; en 1859, quand les trunk-lines new-yorkaises lancent une guerre de tarifs pour mettre un terme à une discrimination jugée injustifiée, le Pennsylvania de J. Edgar Thomson soutient la cause de Philadelphie jusqu’à ce que les New-Yorkais, finacièrement épuisés, cessent la lutte. Son but, en effet, est de promouvoir les intérêts de la Ville des Quakers. En 1871, elle participe à l ’ organisation de l’American Steamship C°, souscrivant 400 000 des 704 000 dollars du capital ; deux de ses vice-présidents deviennent respectivement président et secrétaire-trésorier de la nouvelle entreprise d’armement qui lance quatre steamers entre Philadelphie et Liverpool. Sans grand succès, il est vrai. Au point qu’à plusieurs reprises, le président George B. Roberts se demande s’il est bien sage de continuer à investir dans ce secteur2.
4A Baltimore, la symbiose est encore plus étroite entre les milieux d’affaires locaux, les institutions politiques du Maryland et de la cité, et le B & 0. Le port et la compagnie ferroviaire s’épaulent mutuellement. Le président John W. Garrett (1858-1884) joue à merveille de ce patriotisme de clocher qui fait l’envie des New-Yorkais. Son agressivité semble toute tendue vers la promotion de Baltimore, qui a davantage besoin du commerce que Philadelphie, puissant centre industriel. Dès la fin de la guerre de Sécession, Garrett appuie la création d’une compagnie maritime. L’essai d’une ligne vers Liverpool ayant tourné à l’échec, il s’adresse au Norddeutscher Lloyd de Brême, l’aidant à construire les deux premiers steamers. Cette fois, c’est un succès, mais le B & O a la sagesse de laisser la gestion aux armateurs germaniques. Après la mort de Garrett, la compagnie de Baltimore ne fait plus figure d’adversaire aussi redoutable ; elle perd son indépendance financière et fait faillite en 1896 – ce qui permet à des résidents new-yorkais d’obtenir la majorité au conseil d’administration3.
5Plus au sud, Newport News est une création de la compagnie ferroviaire, Chesapeake & Ohio. C’est seulement quand celle-ci finit par assurer ses liaisons avec l’Ouest que le principal débouché maritime de la Virginie commence à rivaliser, à la fin des années 1880, avec les grandes cités commerciales du Nord-est, sans accéder cependant à la dignité d’un centre de négoce à cause de ce caractère exclusif de terminus ferroviaire.
6Dans la lutte pour la conquête des marchés de l’Ouest, Boston se trouve dans une situation bien différente de celle de Philadelphie ou de Baltimore. Le "moyeu" ne dispose en effet d’aucune route directe pratique vers les régions situées au-delà des Appalaches. Tout le trafic de la Nouvelle-Angleterre doit passer par l’Etat de New York, sur les voies des compagnies qui desservent le port de New York, ou par le Canada, long détour coûteux. Aussi Boston ne peut-il envisager de concurrencer la Ville-Empire avec autant de pugnacité que Philadelphie ou Baltimore. Ses moyens de transport terrestre ne le lui permettent pas, mais il peut obtenir du New York Central, qui contrôle le Boston & Albany Railroad, qu’il défende ses intérêts tout autant que ceux de New York. C’est vraisemblablement pour cette raison qu’il y a peu d’antagonisme entre Boston et New York, alors que le port du Massachusetts empiète souvent sur les parts de marché de la Ville-Empire dans les exportations de produits d’origine animale ou de bestiaux, mais aussi dans les expéditions de céréales. Au contraire, toutes les marchandises qui passent par Philadelphie et Baltimore ne laissent aucune valeur ajoutée dans l’Etat de New York4.
7Sur les bords de l’Hudson, il est de bon ton de se plaindre de l’absence d’un civisme local comparable à celui qui se manifeste sur les rives des baies Delaware et Chesapeake. Aux yeux de certains, il ne faudrait pas chercher plus loin la cause des malheurs new-yorkais. Et les deux grandes compagnies de l’Etat, l’Erie Railroad et le New York Central figurent au banc des accusés. Surtout le dernier, car il incarne la puissance à partir du moment où il tombe sous le contrôle de la famille Vanderbilt, tandis que l’Erie, handicapé par une succession de mauvaises gestions, connaît quatre fois la faillite (en 1842, 1859, 1875 et 1893). Dans les relations entre le New York Central et les marchands new-yorkais, les remarques acides alternent avec les grandes réconciliations. En période de crise, la compagnie ferroviaire est tenue pour une ingrate. L’Etat et les municipalités lui ont conféré de multiples avantages, sans être payés de retour. Elle seule a reçu le droit d’avoir une gare à Manhattan ; et en récompense, s’indigne la commission du commerce de 1900, elle " a violé ses devoirs envers l’Etat quand ses dirigeants ont conclu un accord de discrimination contre l’Etat et ses ports lacustres et maritimes "5.
8De son côté, le New York Central renvoie la balle aux New-Yorkais. En 1879, devant la commission spéciale d’enquête sur les chemins de fer présidée par Alonzo Barton Hepburn, Chauncey Depew se plaint de ce que New York traite moins bien ses compagnies ferroviaires que les ports rivaux ; ceux-ci fournissent toutes facilités en matière d’installations terminales, alors que la Ville-Empire loue ses appontements fort cher et repousse les gares loin du centre. Quand la paix règne entre les trunk-lines, les dirigeants du New York Central et de l’Erie, trouvent que les négociants formulent des exigences déraisonnables, qu’ils veulent” tout accaparer et tout gander pour eux”. Mais que revienne la guerre, deux ans plus tard, en 1881, et William Vanderbilt se redécouvre patriote new-yorkais ; le commerce devrait être réservé, selon lui, aux seules compagnies qui ont reçu une charte de l’ Etat. Il renverse ainsi la proposition : c’est le port qui est au service de la compagnie ferroviaire. Mais, à l’époque déjà, ces idées paraissent démodées et ne correspondent plus au développement de grands réseaux régionaux imbriqués les uns dans les autres. Au moment où l’organisation de l’espace se fait à l’échelle de vastes ensembles, l’horizon d’une entreprise ferroviaire ne peut plus se limiter aux frontières d’une ville ou d’un Etat6.
14.1.2 La victoire du multilocalisme
9De même qu’on parle de firmes multinationales pour désigner celles qui possèdent des établissements dans plusieurs pays différents, on peut qualifier de multilocales les compagnies de chemin de fer qui desservent plusieurs ports. Sur la côte du Nord-est, celles-ci s’affranchissent peu à peu de leur base urbaine d’origine pour constituer de vastes systèmes. Les trains circulent sur des voies que les entreprises ferroviaires contrôlent directement ou sur lesquelles elles ont acquis des droits de passage par accord négocié. L’évolution est clairement perçue par les trois arbitres de la commission d’enquête sur les différentiels en 1882. Ils remarquent que les lignes-troncs ont perdu presque tout le caractère local qu’elles possédaient auparavant, en dépit de la persistance d’une rhétorique mettant l’accent sur les obligations à l’égard de la ville d’origine.
" Une fois construites, écrivent-ils, elles appartiennent à un public qui se soucie peu, en matière commerciale, des frontières d’Ɛtat, et ce sont les motifs économiques dont la force et l’influence sont génénafes, qui priment, en dépit des sympathies locales” 7.
10Le New York Central ne refuse pas d’expédier des marchandises à Philadelphie et à Baltimore s’il y trouve son intérêt. Depuis qu’il en a pris le contrôle en 1867, le commodore Vanderbilt a bâti un immense empire ferroviaire. Il a acquis plusieurs lignes dans la région des Grands Lacs (le Lake Shore & Michigan Southern, le Michigan Central, le Canadien Southern) qui tissent un réseau complexe entre New York et Chicago. Dans les années 1880, ses successeurs y ajoutent les lignes parallèles que d’audacieux entrepreneurs ou maîtres-chanteurs construisent pour participer aux profits ou pour se faire racheter à bon prix : le New York, Chicago & St Louis (le Nickel Plate) en octobre 1882, le West Shore loué en 1885, l’année où est acquis le contrôle du Cleveland, Cincinnati, Chicago & St Louis, qui procure des accès directs à presque tous les grands centres commerciaux du Midwest jusqu’au Mississippi. Dans le réseau Vanderbilt ainsi constitué, le New York Central, avec ses quatre voies de Buffalo à New York, est, certes, une pièce maîtresse, mais il est lié étroitement avec de nombreuses compagnies qui n’ont pas nécessairement intérêt à promouvoir le port de New York au détriment de ses rivaux. La maximisation des profits, la minimisation des coûts lui importent davantage que les parts new-yorkaises aux exportations de céréales. Ce que les marchands appellent son egoisme n’est en fait que l’indice du changement de sa fonction dans l’économie américaine : les solidarités locales s’estompent au profit d’intérêts régionaux, eux-mêmes de plus en plus englobés dans un système d’échanges à l’échelle nationale. Cependant le New York Central participe peu à l’activité de Philadelphie et de Baltimore. Le trafic à destination et en provenance de New York est suffisant pour qu’il ne lui soit pas nécessaire de courtiser les deux ports du Sud. Inversement, il est assuré de contrôler la plus grande partie du commerce extérieur de Boston, grâce aux accords très étroits qu’il a depuis 1880 avec le Boston & Albany ; la fusion qui intervient en 1900 ne fait que régulariser une situation de fait. En conséquence, aux yeux des dirigeants du New York Central, le port de New York n’est pas un rival de Boston ; ils n’ont aucune raison de le privilégier par rapport au débouché du Massachusetts.
11Si les chemins de fer new-yorkais peuvent éventuellement dédaigner Philadelphie et Baltimore, les compagnies ferroviaires attachées à ces ports, le Pennsylvania et le B & O, ne peuvent pas se permettre d’éviter New York. D’une part, parce que c’est le plus grand marché des Etats-Unis et qu’il y a toujours quelque chose à y transporter, de l’autre parce que c’est de loin le principal point par où passe le commerce extérieur des Etats-Unis. Aux exportations, nombre de produits ne peuvent partir que de New York, car il n’y a que là où les départs de navires pour toutes les mers du globe soient fréquents et réguliers ; ainsi les locomotives Baldwin fabriquées à Philadelphie sont fréquemment expédiées à l’étranger par l’Hudson, Même dans le domaine des envois de grains, secteur réputé critique, certaines destinations sont accessibles seulement à partir de New York. Un débouché y est donc absolument nécessaire pour toute compagnie qui aspire au premier rang. L’argument prend encore davantage de force aux importations, puisque les deux tiers d’entre elles passent par Sandy Hook. Pour participer avec profit à leur diffusion dans l’intérieur du continent, il faut aller les chercher soi-même au lieu de débarquement. Un accès à New York est donc vital pour le Pennsylvania et le B & O, mais il est évident qu’en se mettant à son service, ils perdent une partie de leur spécificité locale. L’esprit de clocher ne coïncide plus avec leurs intérêts.
12Le premier, le Pennsylvania éprouve le besoin d’accéder à New York sur ses propres voies. En effet, le trafic en provenance de l’Ouest via Pittsburgh est tenté de quitter ses rails à Harrisburg pour gagner Jersey City en suivant l’itinéraire du Philadelphia & Reading et du Central Railroad of New Jersey ; il en résulte un manque à gagner et une faiblesse en cas de guerre de tarifs. C’est pourquoi J. Edgar Thomson conclut en février 1863 un accord avec plusieurs compagnies ferroviaires du New Jersey qui lui assurent un débouché sur la baie de New York ; la ligne devient opérationnelle quatre ans plus tard. Dès lors, il existe une route directe de New York vers l’Ouest via Philadelphie et Pittsburgh. Cependant l’association montre vite ses limites. Les compagnies du New Jersey devraient effectuer de lourds investissements à Jersey City pour attirer le commerce, alors que leurs revenus, proportionnels à la distance, sont trop faibles pour les y inciter. Il ne reste qu’une solution : louer ces United Railroad Companies of New Jersey et prendre en charge les intérêts des obligations qu’elles ont émises. Après des péripéties, le Pennsylvania entre en possession de ces lignes le 1er décembre 1871 ; en dépit du caractère onéreux du bail, ses dirigeants estiment que la dépense est pleinement justifiée par l’urgente nécessité d’acquérir un débouché sur l’Hudson, où on pourra transporter et entreposer les marchandises expédiées de l’Ouest. Nécessité d’autant plus urgente que l’année précédente, la compagnie vient d’achever un vaste programme de fusion dans l’Ouest qui lui permet de drainer en toute sécurité vers la côte atlantique les produits agricoles8.
13Dans l’histoire ferroviaire des Etats-Unis, l’année 1869 compte parmi les plus célèbres à cause de l’inauguration du chemin de fer transcontinental ; en fait, si l’on s’attache à l’importance économique et non à l’épopée, les événements de poids se passent à l’Est, non dans les coins reculés et déserts des Montagnes Rocheuses. C’est en 1869 que se créent les premiers grands réseaux intégrés entre la côte et Chicago. Vanderbilt réunit le Lake Shore & Michigan Southern au New York Central ; J. Edgar Thomson, pour contrer les manigances de Gould, alors à la tête de l’Erie, rattache définitivement au Pennsylvania le Pittsburgh, Fort Wayne & Chicago, il acquiert par ailleurs un accès à Cincinnati et à St Louis. Le système du Pennsylvania, un des mieux structurés des Etats-Unis, dessert tous les marchés primaires de l’Ohio, de l’Indiana et de l’Illinois. Sur le lac Erié, le port d’Erie, relié à la branche principale par le Philadelphia & Erie, lui assure une petite part des marchandises transportées par la navigation intérieure. Il ne lui manque qu’un accès indépendant à Buffalo, le véritable terminus des Lacs ; il l’acquiert finalement en 1900, en achetant le Western New York & Pennsylvania. Sur la côte, le système s’étend de même à Baltimore qu’il atteint, soit par le Northern Central, soit par le Philadelphia, Wilmington & Baltimore acquis en 1881. Grâce à sa position centrale, le Pennsylvania relie directement l’Ouest aux trois ports de New York, de Philadelphie et de Baltimore ; les marchandises qui traversent les Appalaches sur ses voies, ont le choix entre les trois destinations. Seul, Boston n’offre pas d’accès indépendant, mais le cabotage côtier permet partiellement de suppléer cette lacune et d’empêcher que les chemins de fer new-yorkais n’y fassent la loi. La commission d’arbitrage de 1882 reconnaît cette situation privilégiée en signalant que la compagnie de Philadelphie a transporté en 1880 26 % du fret expédié de New York vers l’Ouest et 20 % du tonnage reçu de l’Ouest dans cette ville. Entreprise multilocale, le Pennsylvania ne peut pas exercer, par principe, une politique systématiquement hostile à New York, mais sa solidité financière, la qualité de son réseau lui permettent de choisir les solutions les plus propices à ses intérêts, dussent Philadelphie en profiter et New York en pâtir.
14Le B & O ne dispose pas d’une gamme d’options aussi large. Sa percée commence en 1871, quand il acquiert un accès à Pittsburgh et construit des ponts sur l’Ohio à Wheeling et à Parkersburg. De là son réseau s’étend dans deux directions : dans le sud du Corn Belt, draîné par le Baltimore & Ohio Southwestern, et, plus au nord, la voie directe qui atteint Chicago en novembre 1874. A partir de cette date, le B & O fait partie des grands, de ceux qui bénéficient d’une entrée indépendante dans la capitale de l’Ouest. De féroces guerres de prix ne tardent pas à éclater avec le nouveau venu. Sur le lac Erié, la situation est moins favorable : Fairport ne peut concurrencer efficacement Buffalo. Sur la côte Est, Garrett essaye d’obtenir un accès direct à New York, car Baltimore reçoit trop peu d’importations pour emplir les wagons expédiés vers l’Ouest. La liaison maritime par cabotage n’est qu’un pis-aller. Malheureusement, dans le couloir qui relie les estuaires, les bons emplacements sont déjà pris. Garrett aurait bien voulu contrôler le Philadelphia, Wilmington & Baltimore, mais en mars 1881, il perd la bataille contre le Pennsylvania. Il lui faut donc construire une nouvelle ligne parallèle entre les ports de la Chesapeake et de la Delaware, inaugurée en juillet 1886, deux ans après sa mort. De Philadelphie, des accords avec le Philadelphia & Reading et le Central Rairoad of New Jersey remplacent ceux qui avaient été conclus avec les chemins de fer du New Jersey, avant qu’ils ne tombent dans le giron du Pennsylvania. Ils permettent au B & O de se soustraire aux pressions éventuelles de son rival et de déboucher sur la baie de New York. Malheureusement, à Jersey City, tous les sites intéressants au bord de l’eau sont occupés. Pour édifier des installations terminales qui lui soient propres, les dirigeants de la compagnie baltimorienne se rallient au projet présenté par Erastus Wiman : utiliser les espaces libres de Staten Island ; ils acquièrent la Staten Island Rapid Transit C°, lancent un pont sur l’Arthur Kill (1888). Désormais, le B & O dispose, comme le Pennsylvania, de trois débouchés sur la côte ; il cesse de promouvoir agressivement les intérêts de sa ville d’origine, d’autant plus que la faillite de 1896 ouvre les portes du conseil d’administration à des capitalistes new-yorkais, avant que le Pennsylvania n’en prenne le contrôle en 1901. Mais, dès 1880, le B & O effectuait plus de 8 % des envois de New York, plus de 9 % de ceux de Philadelphie et environ 5 % de ceux de Boston9.
15Les trois mutilocales – le New York Central, le Pennsylvania et le B & O – n’accaparent pas tout le trafic entre l’Ouest et la côte atlantique. Il reste de la place pour des entreprises de moindre envergure. La plus importante, l’Erie, qui change plusieurs fois de noms à la suite de ses faillites, présente des faiblesses : changements fréquents d’administration, mauvais choix techniques initiaux, malversations de dirigeants tels que Drew, Fisk et Gould, insuffisance de bonnes liaisons avec l’Ouest. Avant 1883, seule la ligne à grand écartement de l’Atlantic & Great Western garantit un écoulement du trafic à l’ouest de Salamanca ; cette année-là, Hugh J. Jewett acquiert un accès indépendant à Chicago sur les voies du New York, Pennsylvania & Ohio (le successeur de l’Atlantic & Great Western) et du Chicago & Atlantic. Sur le lac Erié, la compagnie new-yorkaise avait abandonné dès 1862 son terminus initial de Dunkirk pour Buffalo. Dans les années 1880, deux autres entreprises ferroviaires viennent à l’ aide du port de New York : le Delaware, Lackawanna & Western, dirigé par Samuel Sloan, jusqu’alors spécialisé dans le transport du charbon (automne 1882), qui se lance dans le trafic des grains à partir de Buffalo, et le Lehigh Valley10.
16Dans la dernière décennie du siècle, New York dispose d’au moins six lignes-troncs indépendantes pour assurer ses communications avec l’Ouest : le système Vanderbilt, le Pennsylvania, le B & O, l’Erie, le Delaware, Lackawanna & Western et le Lehigh Valley. Seules les quatre premières ont construit des voies sous leur propre contrôle jusqu’à Chicago, mais désormais, le point central d’où se fait la répartition des grains n’est plus situé sur le lac Michigan ; il est reporté à Buffalo, grâce à la baisse des prix du transport sur les Grands Lacs, consécutive à la généralisation de la vapeur et de l’acier dans la construction navale. Soit qu’elles desservent elles-mêmes plusieurs ports ou qu’elles leur soient rattachées par des connections, les anciennes compagnies unilocales sont devenues multilocales. Elles ne font plus dépendre leur succès financier d’une seule ville. La formation d’une véritable économie nationale les oblige à élargir leur horizon. Alors que vers 1880, les différentiels étaient encore au coeur des guerres de tarifs opposant les entreprises ferroviaires, ils ne semblent plus les concerner à la fin du siècle. Pour elles, il s’agit d’une affaire entre ports, touchant principalement un produit, les grains, dont l’importance relative diminue dans l’ensemble des recettes . Dès lors, les marchands new-yorkais ne peuvent plus guère compter sur l’appui de leurs chemins de fer11.
14.2 L’histoire des différentiels
17Avant la guerre de Sécession, il existait déjà des différentiels qui permettaient d’expédier les marchandises à un tarif plus bas de Philadelphie et de Baltimore que de New York. En 1859, le refus des chemins de fer new-yorkais avait entraîné une guerre de prix qui n’avait cessé qu’avec le retour au statu quo. Pendant le conflit civil, la question avait disparu de l’actualité ; le réseau de transport était saturé par la demande et le canal Erié jouait encore un rôle prépondérant dans les expéditions de produits pondéreux tels que les grains de l’Ouest, à l’exception de la farine qui exigeait pendant le trajet et les manutentions, des soins plus attentifs et des livraisons plus rapides. Le problème des différentiels prend toute son importance à partir de la fin des années 1860, quand les progrès techniques permettent à la voie ferrée de livrer une concurrence efficace à la navigation intérieure dans le domaine du transport des marchandises en vrac. Désormais les rabais accordés aux articles aussi bien en provenance qu’à destination de l’Ouest retiennent l’attention constante des négociants établis dans les ports de la côte atlantique.
14.2.1 Les différentiels vers l’Ouest
18Il convient de distinguer les deux directions opposées, ne serait-ce que parce qu’il ne s’agit pas des mêmes produits. Vers l’Ouest, les différentiels mettent en jeu les intérêts des importateurs et des grossistes spécialisés dans les articles tropicaux, les textiles et les objets métalliques. Les négociants new-yorkais craignent que leurs confrères des ports voisins ne leur volent leur clientèle grâce à ces tarifs discriminatoires. En fait, ce n’est pas la que résidé le mal principal. Une autre forme de discrimination menace davantage la stabilité de leurs affaires – celle qui permet aux grossistes de l’intérieur de les court-cuiter en important directement de l’étranger à des tarifs ferroviaires plus bas que ceux qu’ils doivent eux-mêmes acquitter quand ils expédient la même marchandise sur la même route à partir d’un port du Nord-est.
19Les différentiels varient en fonction de la classe des marchandises transportées ; plus elles sont chères, plus ils sont élevés. Dans l’accord de 1869, les rabais suivants exprimés en cents par 100 livres (soit 45,36 kg) par rapport à New York étaient admis

Ainsi, au début de 1870, pour transporter des articles textiles ou du thé de New York à Chicago, il en coûtait, si on empruntait la voie ferrée, 140 cents pour 100 livres ; le même envoi de Philadelphie aurait coûté 130 cents, et de Baltimore seulement 115 cents. Le différentiel relatif s’élève, dans ce cas, à 7,1 % en faveur de Philadelphie et à 17,9 % en faveur de Baltimore. Pour le café et le sucre placés dans la 5ème classe, dont le tarif atteint 50 cents, les différentiels relatifs sont respectivement de 10 % et de 20 %. Les parts de trafic en étaient d’autant plus affectées que le B & O ne les respectait guère, offrant jusqu’à 50 cents de réduction sur les articles textiles. La pratique courante consistait à attendre d’avoir le tarif de New York et de fixer le sien en fonction des besoins de fret. Après des guerres de tarifs, les différentiels sont un peu réduits en valeur absolue ; en novembre 1875, ils atteignent les niveaux suivants :

A cette date, le tarif de transport entre New York et Chicago est tombé à 75 cents pour les articles textiles et à 35 cents pour le café et le sucre. De Baltimore, il n’est donc officiellement que de 65 et de 30 cents. Les différentiels relatifs en sont un peu effrités ; pour la première et la dernière classe, ils atteignent respectivement 13,3 % et 14,3 % à Baltimore, 9,3 % et 8,6 % à Philadelphie, qui réussit à maintenir la différence. Après quelques péripéties, le barême définitif appelé à durer jusqu’à la fin du siècle est établi en avril 1877 :
classe | 1 ère | 2ème | 3ème | 4ème |
de Philadelphie | 6 | 6 | 2 | 2 |
de Baltimore | 8 | 8 | 3 | 3 |
En 19.00, il en coûte 6,7 % de moins de transporter du café et du sucre par wagons entiers de Philadelphie à Chicago que de New York ; de Baltimore, la différence est de 10 %. Pour les textiles et le thé, les écarts sont respectivement de 8 % et de 10,7 % Le poids des différentiels varie en fonction des niveaux des tarifs. Plus ceux-ci croissent, plus le handicap de New York diminue, et inversement en période de baisse des prix12.
20Comme Philadelphie et Baltimore ne réussissent pas à devenir de grands ports d’importation, les différentiels qui leur sont accordés n’inquiètent pas outre mesure les négociants new-yorkais. Plus sérieuse est la menace de Boston qui bénéficie de bonnes liaisons à vapeur avec Liverpool et peut compter sur une compagnie ferroviaire volontiers considérée comme perturbatrice : le Grand Trunk canadien. Cette cinquième ligne-tronc perd pendant l’hiver son débouché maritime de Montréal bloqué par les glaces. Elle le remplace par Portland (Maine) et par Boston. Le port du Massachusetts dispose donc vers l’Ouest d’une autre voie que le New York Central, par le Central Vermont et le Grand Trunk – un itinéraire beaucoup plus long, mais pouvant présenter des tarifs avantageux, car la compagnie canadienne, soutenue par des capitaux britanniques, est prête à accorder des réductions substantielles, pourvu qu’elle couvre ses coûts variables. La concurrence prend un aspect parfois sauvage, comme en 1867, où les tarifs au départ de Boston sont plus bas que de New York, ou en 1877, quand " des marchandises expédiées de N eu York à Boston ont même été ramenées à N eu York et de là envoyées dans l’Ouest avec des contrats de Boston pour. une somme moindre que cette qu’il aurait fallu acquitter, si l’envoi s’était effectué directement de N eu york” 13.
21Le risque de perturbation durable des circuits commerciaux à cause de pratiques de ce genre n’est cependant pas une véritable menace, car tous les commerçants installés dans les ports du Nord-est sont à la même enseigne, face au développement des connaissements directs délivrés en Europe. Ces instruments édifient la puissance des grossistes de l’intérieur ; ils leur permettent de ne plus se déplacer jusqu’à la côte pour effectuer leurs achats auprès des importateurs. Si le taux de fret par connaissement direct était la somme du fret maritime .jusqu’au port américain et du fret ferroviaire du port a la ville située dans l’intérieur du continent, les marchands de Boston, de New York, de Philadelphie et de Baltimore ne pourraient pas se plaindre d’une discrimination contraire à leurs intérêts. Or ce n’est pas toujours le cas. Il arrive que le tarif par connaissement direct soit plus faible que la somme de ses deux composantes. Les grossistes de Chicago et de St Louis semblent alors se livrer à une concurrence déloyale.
22Avant le vote de la loi de 1887 sur le commerce entre les Etats, aucune action n’était possible contre de telles formes de discrimination. La section 3 de la nouvelle législation prohibe les seules discriminations indues et déraisonnables contre une localité, la commission fédérale et éventuellement les juges étant chargés d’apprécier si les plaintes sont fondées14.
23Le 23 mars 1889, la Commission du commerce entre les Etats publie de son propre chef un décret stipulant que les marchandises importées à partir d’un port des Etats-Unis ou d’un pays étranger adjacent doivent payer le même tarif intérieur que les produits nationaux. Comme certaines compagnies ferroviaires ne respectent pas l’ordonnance, le New York Board of Trade and Transportation, bientôt suivi par le Commercial’Exchange de Philadelphie et la Chambre de commerce de San Francisco, dépose une plainte contre des cas patents de discrimination, alors que le transport semble s’effectuer dans des conditions substantiellement semblables. La Commission donne raison aux plaignants, en s’appuyant sur la lettre de la loi, qui réglemente les seuls transports intérieurs et ne concerne pas les trajets océaniques. Il est donc illégal de transporter des marchandises importées à des tarifs plus bas que les marchandises américaines. La décision favorise les entrepreneurs nationaux victimes d’une concurrence étrangère déloyale soutenue par les compagnies ferroviaires ; elle permet aussi aux grossistes de la côte de résister à leurs rivaux de l’intérieur du continent.
24Si la plupart des compagnies se plient aux injonctions de la Commission, la Texas & Pacific Railway C° refuse obstinément d’y obéir. Il s’ensuit une série de procès qui aboutit à la Cour Suprême en octobre 1895. Le 30 mars 1896, dans l’affaire des tarifs à l’importation, la majorité de la haute instance judiciaire, suivant l’avis du juge George Shiras, renverse les arrêts antérieurs et donne raison au Texas & Pacific. La compagnie prétendait que les conditions ne sont pas substantiellement semblables selon que les articles viennent de l’étranger ou sont fabriqués dans le pays. Pour les premiers, le chemin de fer doit tenir compte de la concurrence de la voie d’eau ou abandonner le trafic. Selon le juge Shiras, la Commission aurait dû considérer toutes les conditions qui s’appliquent raisonnablement à la situation et se préoccuper du bien-être non seulement des négociants du port de départ aux Etats-Unis, mais aussi des localités où s’effectue la consommation, et des transporteurs. En faisant bénéficier de sa protection une partie seulement des parties concernées, elle détruit des branches du commerce qui existent depuis longtemps15.
25Pour le transport vers l’Ouest à partir des ports de la côte du Nord-est, les différentiels au sens strict ne jouent pas de rôle majeur, sauf pendant de brèves périodes où la disparité des tarifs est telle qu’elle entraîne des détournements de trafic. Au contraire, le fait qu’il soit permis, à l’exception des années 1 889- 1896, d’expédier des marchandises importées à un tarif plus faible, si l’opération s’effectue sous connaissement direct que si l’expédition se fait à partir du port de débarquement, peut être assimilé à un différentiel, plus instable que le premier, qui ne concerne pas les mêmes acteurs. Le différentiel au sens strict oppose des ports ; l’autre sape les intérêts des grossistes des ports à l’avantage de leurs rivaux de l’intérieur ; il tend à transformer les ports en organismes passifs, simples lieux de rupture de charge.
14.2.2 Les différentiels vers l’Est
26En fait, les différentiels qui font problème, ce sont ceux qui concernent le transport des marchandises de l’Ouest vers l’Est, de l’intérieur vers la côte, et tout particulièrement les grains, qui sont au centre des controverses.
27En 1869, Baltimore bénéficie d’un rabais de 10 cents pour 100 livres par rapport à New York. Jugeant cet avantage trop élevé, les chemins de fer de New York déclenchent, l’année suivante, une guerre de prix et obtiennent que le différentiel soit réduit de moitié, à 5 cents. En revanche, le différentiel de Boston est supérieur de 5 cents au tarif de New York, mais on tolère qu’il soit nul. Quand les prix se mettent à baisser après la crise financière de l’automne de 1873, l’avantage de 5 cents concédé à Philadelphie et à Baltimore commence à paraître intolérable aux négociants de la Bourse des grains. En janvier 1873, il en coûte 65 cents pour expédier 100 livres de grains de Chicago à New York par rail ; un an plus tard, le tarif est encore à 60 cents, mais au 1er janvier 1875, il tombe à 40 cents (cf. graphique 36, p. 369). Le maintien d’un écart constant de 5 cents désavantage de plus en plus le commerce d’exportation de New York, car le handicap augmente de moitié. C’est pourquoi les compagnies ferroviaires new-yorkaises, soucieuses de leur intérêt et de celui de leurs clients, demandent et obtiennent d’asseoir les différences de tarifs sur une base moins instable : la distance. Elles espèrent que le port pourra récupérer ainsi ses parts perdues précédemment au profit des rivaux des baies Delaware et Chesapeake. Les tarifs maritimes plus bas à New York permettront de compenser les coûts plus élevés du transport terrestre. L’accord du 2 mars 1876 entérine le nouveau principe, mais le New York Central fait savoir qu’il ne l’accepte qu’à titre temporaire, sous bénéfice d’inventaire. En effet, le différentiel relatif varie beaucoup selon le point d’expédition. Si l’envoi s’effectue de Chicago, il en coûte 13 % de moins d’acheminer les grains vers Baltimore que vers New York ; de St Louis, 14 % de moins, mais de Louisville et de Cincinnati, 21 % et 24 % de moins. Si New York peut espérer maintenir ses positions dans le commerce avec Chicago, il risque d’être exclu de la vallée de l’Ohio. Aussi le changement de principe n’améliore-t-il pas la situation. En mars et en avril 1876, le différentiel est de 4 cents en faveur de Philadelphie et de 5 cents en faveur de Baltimore sur l’axe de Chicago, tout comme en 1874. Dans ces conditions, William H. Vanderbilt ne se considère plus lié par l’accord du 2 mars qu’il dénonce dès le 18 avril, après une brève expérience de six semaines.
28Commence alors une guerre de tarifs entre les lignes-troncs, que le New York Times surnomme la guerre de tarif de la tonne – kilomètre . Elle se prolonge jusqu’en décembre. Le Pennsylvania et le B & O trouvent trop d’avantages au principe de la distance pour y renoncer. Le New York Central, au contraire, n’en veut plus, car dans la réalité, les chargeurs ne se préoccupent pas du prix de la tonne-kilomètre, mais de la somme totalequ’il leur faut acquitter pour expédier leur marchandise d’un point à un autre. Une économie de 4 ou 5 cents pour 100 livres les incite fortement à passer par Baltimore et à délaisser les quais de New York. L’obstination des antagonistes se traduit par un effondrement des tarifs officiels : 22,5 cents de Chicago à New York à partir du 26 avril 1876, puis 20 cents à compter du 5 mai – un niveau encore jamais vu et qui se maintient jusqu’au 18 décembre. A cette date, l’harmonie se rétablit entre les belligérants16.
29L’accord du 16 décembre 1876 établit une nette distinction entre le fret concurrentiel, destiné à l’exportation, et le fret local consommé dans la ville portuaire et ses environs. Alors que les lignes-trones de l ’ Est fixent les tarifs pour les marchandises expédiées vers l’Ouest, ce sont les compagnies de l’Ouest qui leur sont liées qui décident des tarifs pour les envois vers l’Est. Tout fret concurrentiel voyageant sur connaissement direct à destination de l’Europe et de l’Amérique du Nord britannique acquittera le même tarif, quel que soit le port par lequel il transitera. Sera assimilé à cette catégorie tout fret expédié d’abord pour être consommé localement, puis exporté. Ceci pour éviter les tricheries, car il est admis que le fret local paye 13 % de moins à destination de Baltimore et 10 % de moins à destination de Philadelphie que de New York, au départ de Chicago. Les tarifs pour Boston ne devront jamais être inférieurs à ceux de la Ville-Empire. Le but visé est d’égaliser les coûts de transport globaux par rail et par mer entre les marchés primaires de l’Ouest et les ports européens, quelle que soit la localité américaine d’où partent les navires. L’uniformité devrait supprimer les antagonismes entre New York et ses rivaux. Malheureusement il y a un élément d’incertitude que les chemins de fer ne peuvent pas contrôler : les frets maritimes qui fluctuent sans cesse, de jour en jour, parfois d’heure en heure, à cause de la situation de concurrence dans laquelle se trouvent tous les armements du monde (cf. graphique 37, p. 371). Quand un tarif direct de Chicago à Liverpool est coté, l’exportateur ne peut plus bénéficier d’une baisse soudaine du fret maritime ; en conséquence, il essuie des pertes sur le marché européen. A l’inverse, si le fret monte, la compagnie ferroviaire qui a fourni un prix fixe au client doit prendre à sa charge la différence. Il est chimérique de prétendre imposer un tarif uniforme, alors que ni les chemins de fer américains, ni les steamers ou les voiliers européens n’exercent d’influence notable sur le prix du blé ou du maïs à Liverpool17.
GRAPHIQUES 36 TARIFS DE TRANSPORT DE 100 LIVRES (45,36 KG) DE GRAIN PAR RAIL DE CHICAGO A NEW YORK, en cents N.B. : il s’agit de tarifs officiels

Source : Interstate Commerce Commission, Annual Report, 1902 : Railways in the. United States in 1902, p. 79.
30Plein d’ambiguïtés, l’accord du 16 décembre 1876 se révèle rapidement inapplicable. Il faut le renégocier sur des bases plus réalistes. Ainsi aboutit-on, entre le New York Central, l’Erie, le Pennsylvania et le B & O à l’accord sur les différentiels du 5 avril 1877 qui reste la charte de base jusqu’à la fin du siècle. Le point fondamental du nouveau pacte est l’institution d’un différentiel 3 cents de moins pour Baltimore, 2 de moins pour Philadelphie pour 100 livres, les tarifs à destination de Boston ne devant jamais être inférieurs à ceux de New York18. Ces chiffres n’ont pas une valeur sacrée. Ils sont supposés correspondre approximativement à l’avantage de New York en matière de fret maritime. Ainsi est atteint l’objectif d’égalisation des tarifs directs de l’intérieur aux ports européens. Ces tarifs se composent d’un tarif terrestre fixe jusqu’au port américain et d’un tarif maritime qui varie sans cesse sans que les handicaps de Philadelphie et de Baltimore puissent être, semble-t-il à cette date, comblés. C’est là où réside la faiblesse de l’accord. Que les différences de fret maritime à l’avantage de New York s’estompent et les différentiels perdent toute légitimité ; ils deviennent alors un redoutable instrument capable de nuire aux exportations de céréales. Mais on ne dispose pas de statistiques assez sûres pour décrire avec précision l’évolution. Aussi, pour les marchands new-yorkais, l’accord du 5 avril 1877 est-il un carcan imposé arbitrairement sur leur activité ; il établit un système qu’ils qualifient d’injuste, indéfendable et préjudiciable aussi bien à la ville qu’à Etat”, et de plus permanent19.
GRAPHIQUES 37 TAUX DE FRET HEBDOMADAIRES POUR LE TRANSPORT D’UN BOISSEAU DE BLE PAR STEAMER DE NEW YORK A LIVERPOOL EN 1879, 1880, 1881 ET 1882 (en cents)

Source : SC. L, 1 879-1 882
31Tous les efforts de New York pour se débarrasser de ce handicap n’aboutissent guère. La grande guerre de tarifs que mène le New York Central en 1881 se termine par le retour au statu quo. Les plaintes déposées devant la Commission du commerce entre les Etats par la Bourse des denrées en 1898 et par la Chambre de commerce en 1905 aboutissent à la consolidation de ces différentiels ; l’institution fédérale, tout comme la commission d’arbitrage de 1882, estime qu’il est préférable de ne pas y toucher. Néanmoins le handicap semble si fort qu’en février 1899, le différentiel sur les grains, et sur eux seuls, est réduit de moitié. L’avantage de Baltimore n’est plus que de 1,5 cent pour cent livres, celui de Philadelphie d’un cent. Le Pennsylvania et le B & O acceptent de tenter l’expérience qui n’est pas remise en question pendant les premières années du XXème siècle.
32A cette date, il est vrai, du fait des progrès de la navigation sur les Grands Lacs, le tarif Chicago-New York ne joue plus, dans le domaine ferroviaire, le même rôle qu’auparavant. Le centre de gravité se déplace à Buffalo, port situé hors du territoire "différentiel", donc dans la zone de trafic local de New York. Avant la dernière décennie du siècle, la majorité des céréales passant par Buffalo empruntait le canal Erié ; les principaux adversaires de la voie d’eau étaient les deux chemins de fer de New York, le New York Central et l’Erie. Ni le Pennsylvania, ni le B & O ne se souciaient de ce point d’expédition. Le déplacement de la production de blé vers le Nord-ouest, vers les Dakotas, renforce la position de Duluth, ou, pour la farine, celle de Minneapolis par rapport à Chicago. La voie des Grands Lacs redevient très compétitive au détriment du chemin de fer. Aussi les compagnies ferroviaires sont-elles incitées à détourner le maximum de grains du canal Erié à partir des ports du lac Erié : Buffalo et, à un moindre degré, Erie et Fairport. La mutation des courants d’échanges oblige le Pennsylvania et le B & O à réclamer un différentiel particulier afin de compenser les handicaps présumés des ports des baies Delaware et Chesapeake. Telle est l’origine de ce qu’on appelle l’ex-lake differential, le différentiel qui s’applique aux expéditions effectuées à partir d’un des trois ports du lac Erié.
33La chronologie en est un peu confuse. Les témoignages de John B. Thayer, du Pennsylvania, et de Nathan Guilford, du New York Central, devant la Commission du commerce entre les Etats en 1898 et en 1905, ne concordent pas parfaitement. Selon le premier, un différentiel aurait été établi dès 1889 ; le second date le début de 1891. Le New York Central, l’Erie et le Lehigh Valley acceptent que les tarifs concernant les grains lourds soient inférieurs de 0,5 cent et de 0,75 cent par rapport à ceux de New York, quand le transport s’effectue de Buffalo à Philadelphie et à Baltimore. En 1894, l’écart entre ces deux ports aurait été supprimé ; il n’y aurait plus qu’un seul différentiel : 0,5 cent par. (boisseau équivalent de 0,83 cent pour 100 livres. Pas pour longtemps, car l’année suivante, les prix s’effondrent et le différentiel disparaît pour resurgir en 1896 au moment de la formation de la Joint Traffic Association . Le cartel ferroviaire impose un rabais de 1 cent par boisseau, égal à 1,67 cent pour 100 livres, à destination de Philadelphie et de Baltimore, comblant ainsi un des voeux les plus chers de la Cité des Quakers, à savoir la conquête de l’égalité avec sa rivale du sud. Il semble que la discrimination contre New York ait fonctionné jusqu’en 1898, date à laquelle la Cour Suprême déclare le cartel illégal. Avant de sombrer, celui-ci avait supprimé le différentiel à partir du lac Erié, d’abord temporairement, au moins pour les cargaisons complètes de grains (il y a discussion en ce qui concerne les cargaisons de complément jusqu’en 1900) . Apparemment, l’expérience se poursuit jusqu’en 1903. L’exlake differential ne représente donc une grave menace pour New York que de 1896 à 1898, lors de la deuxième crise qui affecte les exportations de céréales. Pour les New-Yorkais, il était d’autant plus scandaleux qu’il était institué à partir d’un port de leur Etat, lui-même situé hors de la zone traditionnellement considérée comme sujette à des différentiels. Aucun principe objectif ne semblait légitimer une pareille discrimination20.
14.3 Les principes des différentiels
34Quand on recherche les fondements théoriques des différentiels, on s’aperçoit que les arguments varient d’un adversaire à l’autre et que les mêmes personnes n’hésitent pas à changer de position de temps à autre . Les partisans de la discrimination formulent une revendication assez vague : tout port a droit à un "certain" trafic ou à une part "équitable". Qu’est-ce qu’une part équitable ? L’un répond : " celle qui est attribuée par des arbitres désintéressés", l’autre en fait un jugement subjectif. Quel est le pourcentage d’exportations de céréales qui devrait légitimement passer par New York ou par Baltimore ? Existe-t-il des critères objectifs qui permettent de répondre à cette question ? Les trois arbitres désignés pour mettre un terme aux guerres de tarifs, Allen G. Thurman, Elihu B. Washburne et Thomas M. Cooley, essayent de clarifier le problème en 1882, mais leur avis déçoit21.
14.3.1 Les trois principes des différentiels
35Selon les arbitres, trois principes sont susceptibles de fonder la légitimité des différentiels : la distance, le coût et la concurrence.
36La distance a l’avantage d’être facile à mesurer. Si les tarifs sont proportionnels au kilométrage parcouru par les marchandises, la route la plus courte mérite d’être moins chère que ses concurrentes. Du fait de l’orientation Nord-est-Sud-ouest de la côte atlantique entre la frontière canadienne et le cap Hatteras, l’application stricte du principe de la distance avantagerait toujours New York par rapport à Boston ; ce port devrait donc se contenter d’un rôle marginal dans les exportations de céréales vers l’Europe, toutes choses égales par ailleurs. Inversement, face à Baltimore et, à un degré moindre, à Philadelphie, c’est New York qui est désavantagé, son principal handicap se situant dans la vallée de l’Ohio et dans la zone méridionale du Corn Belt. Au fur et à mesure qu’on s’éloigne vers l’Ouest, l’infériorité s’atténue avec l’allongement des distances. Reste que sur l’axe majeur qui relie Chicago à la côte, les différentiels relatifs permanents s’élèveraient à 8,6 % et à 10,9 % en faveur respectivement de Philadelphie et de Baltimore. Aussi les compagnies ferroviaires qui desservent ces ports mettent-ils l’accent sur ce critère objectif qui a le tort de négliger les conditions de la demande et de réduire la concurrence. On peut encore objecter que les frais aux terminus sont les mêmes, quelle que soit la distance parcourue. D’ailleurs, les New-Yorkais n’invoquent pas la distance contre Boston ; ils se contentent de l’égalité des tarifs à l’exportation. De leur côté, le Pennsylvania et le B & O affaiblissent leur cause quand ils accordent à Newport News et à Norflok le même différentiel qu’à Baltimore, alors que ces villes de Virginie sont plus éloignées que New York de 155 kilomètres par rapport à Chicago. Il n’y a pas de relation nécessaire entre la distance et la valeur du service de transport, alors qu’il en existe une avec le coût du service22.
37Pourquoi, en effet, privilégier la distance, alors que le tarif est déterminé aussi par d’autres coûts ? Les New-Yorkais observent que le New York Central bénéficie de conditions géographiques et commerciales plus avantageuses que le Pennsylvania et le B & O et que cela lui permet de compenser le handicap de la distance. En effet, la ligne n’a pas à franchir de barrière montagneuse et la dépression Mohawk-Erié d’Albany à Buffalo lui offre un parcours relativement plat. Ses rivaux du sud, au contraire, doivent escalader la crête des Appalaches en suivant des tracés sinueux. Les ingénieurs peuvent calculer l’économie de combustible et la moindre usure du matériel roulant. D’autre part, le coût moyen kilométrique dans une direction donnée dépend du volume du trafic dans la direction inverse. Il ne suffit pàs de transporter de l’Quest vers l’Est des marchandises pondéreuses à prix plus bas ; encore faut-il que les convois ne repartent pas vers l’Ouest vides ou peu chargés. C’est donc le coût de l ’ aller-et-retour qui doit être pris en compte . De ce point de vue, New York paraît avantagé à cause de sa suprématie dans le domaine des importations, mais sa supériorité n’est pas aussi décisive que le prétendent ses thuriféraires, car la majorité des wagons repartent à vide. En réponse à ces arguments, le Pennsylvania et le B & O font valoir qu’ils disposent de charbon à meilleur marché, car leurs lignes traversent le bassin houiller des Appalaches, alors que le New York Central en est éloigné et paye plus cher son combustible. Au total, il est impossible d’établir un bilan des coûts comparés du transport sur l’axe qui relie Chicago à la côte, les rapports annuels des compagnies ne dressant pas une comptabilité analytique assez détaillée. D’ailleurs les experts de l’époque y renoncent et tirent généralement d’audacieuses conclusions du coût moyen par tonne-kilomètre, seule donnée aisément accessible. Selon la date choisie, on peut démontrer que les tarifs moyens sont plus élevés ou plus faibles sur telle ou telle ligne, mais aucune conclusion solide ne peut se fonder sur de tels calculs, car il n’y a pas d’uniformité dans les méthodes comptables et on ne tient pas compte de la distinction entre fret local et trafic à longue distance. En fait, les coûts sont plus fonction des tarifs que les tarifs ne sont fonction des coûts, car les coûts dépendent du volume du trafic, lui-même fonction du tarif. Il faut tenir compte des conditions de la demande23.
38Si on appliquait le principe du coût dans toute sa rigueur et s’il était prouvé que le New York Central a les coûts les plus bas, il n’est pas certain que cette situation conviendrait aux négociants new-yorkais, car la compagnie ferroviaire ne tarderait pas à conquérir un monopole avec les deux inconvénients majeurs qui en résultent : réduction de la quantité de service fournie aux consommateurs, et hausse des prix. Il est préférable pour les utilisateurs de transport d’avoir le choix entre plusieurs entreprises concurrentes. Dr c’est le cas à New York autour de 1880, où le B & O et le Pennsylvania participent aux échanges avec l’Ouest à côté du New York Central et de l’Erie. Les négociants new-yorkais ont tout intérêt à bénéficier de leurs services qui font contrepoids à la puissance de la famille Vanderbilt. Mais en contrepartie, il faut bien dédommager ces transporteurs dont les principaux terminus se trouvent à Philadelphie et à Baltimore. En venant à New York, ils effectuent des kilomètres supplémentaires. De ce point de vue, les différentiels sont le prix à acquitter pour le maintien de la concurrence sur les quais de l’Hudson et de l’East River24.
39En 1802, comme en 1898, l’examen de la situation amène à rejeter comme fondement unique des différentiels la distance ou le coût. Reste la troisième hypothèse : le jeu des forces concurrentielles. C’est lui fixe les tarifs entre un maximum correspondant à la valeur du service et un minimum déterminé par les coûts variables – ce que résume la formule "faire payer ce que le trafic peut supporter", souvent mal interprétée à l’époque comme justifiant une politique d’extorsion. Etant donnés le prix mondial du blé fixé à Liverpool et le prix intérieur américain déterminé à Chicago, tous deux situés à l’intersection de courbes d’offre et de demande, le transport entre ces deux centres commerciaux, composé de deux éléments, terrestre et maritime, doit s’effectuer pour un montant égal à la différence des deux prix. En économie concurrentielle, cette différence correspond au prix exigé par la voie la moins chère. Si la route passant par l’un des ports du Nord-est était constamment meilleur marché que les autres, elle attirerait à elle tout le trafic et monopoliserait les exportations de blé, à supposer qu’il n’y ait pas de déséconomies d’échelle. Aux yeux des négociants de Philadelphie et de Baltimore, New York a de tels avantages en matière de fret maritime que l’égalité des tarifs ferroviaires entre Chicago et les divers ports de la côte Est réduirait leur commerce à néant. Le différentiel leur permet d’avoir droit à une certaine part.
40Pourquoi le New York Central l’accepte-t-il ? Pourquoi concède-t-il à ses rivaux un tel handicap, si ses coûts ne sont pas supérieurs aux leurs ? La réponse tient à la nature particulière des compagnies ferroviaires et à l’état réel des forces en présence. Une entreprise de chemin de fer est différente d’une petite firme industrielle : les coûts fixes représentent une part élevée des coûts totaux. Une fois établie, la voie ferrée ne peut être déplacée. Tant qu’elle couvre ses coûts variables, elle peut fonctionner. La mettre en faillite ne fait que la rendre plus dangereuse, car elle n’est plus tenue de verser des dividendes, ni de payer les intérêts des obligations, alors qu’une compagnie saine doit continuer à distribuer des bénéfices aux actionnaires et à faire face à ses frais financiers. En conséquence, si le New York Central voulait monopoliser le trafic d’exportation des céréales en ruinant ses concurrents, il risquerait de se retrouver dans une situation très inconfortable. Mieux vaut lâcher du lest en octroyant un différentiel à Philadelphie et à Baltimore, comme l’exigent le Pennsylvania et le B & O au titre de dédommagement de la distance supplémentaire qu’ils doivent couvrir, quand ils envoient leurs wagons à New York. Dans ces conditions, pour les négociants new-yorkais, le principe de concurrence ressemble fort à une collusion organisée précisément pour éviter toute concurrence. En fait, non seulement le New York Central n’a pas intérêt à ruiner ses rivaux, mais il semble bien qu’il n’en ait pas les moyens, sans se ruiner lui-même. Le Pennsylvania est une entreprise remarquablement gérée ; il dispose d’un trafic local suffisant pour résister longtemps. Il en va de même du B & O jusqu’à la mort de Garrett. Les New-Yorkais se font des illusions sur la puissance du groupe Vanderbilt. C’est pourquoi, dans les guerres de tarifs, le New York Central ne parvient pas à atteindre l’égalisation revendiquée25.
14.3.2 Le rôle de la navigation intérieure et du fret maritime
41Dans la détermination des tarifs, il faut tenir compte de deux autres éléments : la navigation intérieure et le fret maritime. En dépit de leur efficacité croissante, les chemins de fer ne sont pas, jusqu’à la dernière décennie du XIXème siècle, les seuls maîtres du transport des grains à la côte. Ils doivent surveiller le canal Erié qui les contraint (de moins en moins après 1885) à baisser les tarifs pendant l’été (cf. graphique36, p. 369). Même pendant l’hiver, l’influence de la voie d’eau se fait sentir, car les chargeurs ne sont pas prêts à payer des tarifs excessifs ; ils préféreront entreposer la marchandise jusqu’à la réouverture de la navigation intérieure. La commission de 1882 note que
"l’ influence de ta voie. d‘eau est sensible jusqu’ à l’ Ohio et au Potomac ; le tarif maximum est fixé pour. toutes tes routes ferroviaires par celles de New York qui entrent en concurrence avec ta voie d’eau te plus directement et te plus immédiatement" 26.
42C’est la voie d’eau qui détermine le niveau des tarifs de transport terrestre, les chemins de fer devant s’aligner sur elle, une fois mis à part leurs avantages spécifiques en matière de vitesse et de souplesse.
43Pour les frets maritimes, la question suscite davantage de controverses. L’opinion la plus répandue, c’est que New York bénéficie, grâce à ses conditions naturelles et à son organisation, d’une supériorité sur ses rivaux du sud. Les tarifs de transport entre la côte Est et l’Europe y sont moins élevés. A prix égal, un navire choisira toujours New York au détriment de Philadelphie ou de Baltimore. Aussi ces ports doivent-ils offrir des frets maritimes supérieurs pour attirer vers leurs baies les armateurs réticents. Boston, au contraire, plus proche de l’Europe, est moins cher que New York. Sans différentiels ferroviaires, les ports situés au sud seraient donc exclus du commerce d’exportation des grains. Les rabais constituent une compensation vitale. Ainsi ce sont les tarifs maritimes qui sont la cause, et les différentiels la conséquence. En 1898, Abel Blackmar, le défenseur de la cause new-yorkaise, soutient la thèse inverse : les frets maritimes sont plus élevés dans les autres ports qu’à New York parce qu’à cause du différentiel les navires peuvent exiger des prix supérieurs. Les tarifs maritimes seraient donc l’effet, et non la cause. Faute de bonnes statistiques, il n’est guère possible de départager les deux thèses antagonistes concernant le schéma de causalité. Les meilleurs experts du temps reconnaissaient volontiers l’extrême complexité de la question et George R. Blanchard, commissaire de la Joint Traffic Association, avouait :
" toute base sur laquelle neposent les différentiels doit cependant être dans une centaine mesure arbitraire et hypothétique pance que les frets nanitimes... diffèrent souvent pan suite de conditions différentes, telles que le tonnage disponible, les quantité s et la proximité des récoltes pan rapport aux. ports d‘exportation, les saisons, les frais portuaires, etc. En raison de ces conditions changeantes, il faut bien arriver à une base générale ou moyenne. C’est une question complexe à laquelle il est difficile de trouver une sOlution" 27.
44Comment le pourrait-on d’ailleurs, alors que la qualité des statistiques est plus que douteuse ? Les adversaires se jettent à la tête des moyennes annuelles calculées, semble-t-il, comme une moyenne non pondérée des moyennes hebdomadaires. Dans son enquête de 1898, la Commission du commerce entre les Etats ne pense pas que les données présentées soient totalement au-dessus de tout soupçon, "quoique ce soient les meilleures qui puissent être fournies" ; il s’agit de tarifs déclarés, parfois différents de ceux qui sont réellement perçus. Si les frets recensés pour New York correspondent bien à cette dernière catégorie, la série de Baltimore n’inspire guère confiance et celle de Philadelphie comporte de nombreuses lacunes28.
45Il est certain que les frets maritimes sont très instables (cf. graphique 37, p. 371). Ils ne présentent pas de composante saisonnière marquée. A la différence de ce qui se passe dans le trafic des passagers, il n’existe pas de conférence ou d’entente entre les compagnies, car les tramps et les voiliers peuvent à tout moment concurrencer les navires de ligne à vapeur. Presque chaque semaine, et parfois chaque jour, les tarifs évoluent en fonction de l’offre et de la demande de tonnage. Du côté de la demande, on compte au nombre des facteurs l’état des récoltes aux Etats-Unis et dans le reste du monde, les besoins de l’étranger, la tactique des grands négociants américains qui pratiquent souvent des corners pour faire monter les prix par raréfaction des ventes de grains, etc. Du côté de l’offre, tout dépend du nombre de navires à quai ou en route vers les ports de l’Atlantique, de leur spécialité (le comportement des voiliers et des tramps différant de celui des liners), des événements qui affectent le transport sur mer dans le monde entier, etc.
46En 1879, pendant l’été, les frets maritimes se tendent dès que la nouvelle des récoltes catastrophiques en Europe occidentale est confirmée. Une armada de voiliers se précipite vers les portsaméricains qui atteignent alors leur maximum d’encombrement. Les spéculateurs ne tardent pas à profiter du gonflement énorme de la demande pour exiger des prix très élevés, quitte à conserver leurs stocks au lieu de les vendre. Résultat, à l’automne 1879 et pendant l’hiver 1880, l’énorme flotte qui a convergé vers New York ne trouve guère à s’employer et les frets s’effondrent. A partir de mars, la situation s’améliore, car des voiliers sont repartis pour d’autres directions et l’approche de l’ouverture du canal incite les spéculateurs à vendre à des prix en baisse. Mais dès le mois suivant, la remontée des frets attire à nouveau les navires. Pendant le printemps 1880, l’offre de tonnage est telle que les cours chutent à nouveau, malgré la poursuite des achats de la part des Britanniques et des Français. Et les fluctuations continuent : hausse des frets à la fin juillet-début août, baisse en septembre, l’automne s’achevant sur une note ferme, soutenue par la forte demande émanant d’Europe. Au début janvier 1881, les milieux maritimes affichent une grande satisfaction, car l’offre de tonnage reste inférieure à la demande. Les voiliers et les steamers trouvent un emploi rentable. Pas pour longtemps, car les navires affluent à nouveau vers les ports du Nord-est, déclenchant une baisse qui se poursuit jusqu’au mois de mai. On enregistre alors des frets pour Liverpool de 2 pence par boisseau et même de 1 , 5, alors qu’en janvier 7 pence étaient courants. Cette situation est dûe au fait que les prix des céréales sont temporairement plus élevés aux Etats-Unis qu’en Europe. Bientôt on note une amélioration, car les Européens doivent reconstituer leurs stocks de grains, mais, comme l’année précédente, les spéculateurs américains brisent net, dès le mois de septembre, la reprise. Les prix du blé s’envolent, dès qu’est connue la nouvelle de la mauvaise récolte dans l’Ouest, par suite de conditions climatiques défavorables. Les Européens arrêtent leurs achats et les principales compagnies de navigation à vapeur préfèrent payer du lest plutôt qu’accepter des tarifs dérisoires. Malgré la réduction de l’offre de tonnage, la baisse encore plus accentuée de la demande entraîne un effritement des cours à l’automne 1881. Le marché mondial du blé, favorable aux vendeurs pendant deux ans, sourit à nouveau aux acheteurs qui ont moins besoin de la production américaine qu’auparavant. Aussi, après un hiver 1882 assez satisfaisant, les frets à destination de l’Europe sombrent-ils à des niveaux jamais encore atteints, heureusement compensés, pour les steamers, par des tarifs rentables pour les marchandises et les immigrants. A la fin mai et au début juin, les steamers préfèrent transporter le grain gratuitement plutôt qu’acheter du lest. Cette situation critique et exceptionnelle ne dure pas. En trois semaines, la tendance se renverse, car la récolte de blé américaine de 1882 s’annonce bonne, alors qu’elle est insuffisante en Europe. Là-dessus viennent se greffer les événements d’Egypte qui obligent le Royaume-Uni, pour mater le soulèvement nationaliste du colonel Arabi, à réquisitionner de nombreux steamers. L’offre de tonnage est encore réduite du fait que les voiliers et les tramps, échaudés par la crise du printemps précédent, se sont dispersés sur d’autres routes lointaines à la recherche d’activités plus rentables. La rareté ainsi créée pousse les frets pour les grains à 8 pence au début décembre 1882, en dépit d’une demande européenne beaucoup moins ferme qu’en 1879 et en 188029.
47Cette extrême instabilité des tarifs de transport par mer explique que les comparaisons des moyennes entre ports sont certainement entachées d’erreurs. Or les négociants soulignent souvent qu’il suffit d’un huitième ou d’un quart de cent de différence pour détourner le trafic d’un port vers l’autre. La prudence de la Commission du commerce entre les Etats semble donc justifiée. Néanmoins quelques généralisations semblent solidement assises. De Boston, les frets pour les grains sont souvent moins chers que de New York ; l’inverse s’observe à Philadelphie et à Baltimore. Il est vrai que les différences absolues et relatives varient sensiblement d’une année sur l’autre. En 1882, par exemple, les frets sont supérieurs à Baltimore de 2,125 cents par boisseau ou de 27 % par rapport à New York ; en 1895 et en 1897, New York est en moyenne plus cher que son rival. D’autre part, si on compare ces différences avec les différentiels qui sont supposés les compenser et qui s’élèvent à 1,8 cent par boisseau à Baltimore et à 1,2 cent à Philadelphie, on constate qu’à partir de 1879, à l’exception des années 1881 et 1882 et des deux dernières années du siècle où le différentiel est réduit de moitié, le rabais accordé à Baltimore est toujours supérieur à la différence des frets moyens. Si le différentiel pouvait paraître légitime au début, il semble bien que son montant soit de moins en moins fondé sur l’argument des avantages maritimes de New York. De ce point de vue, les New-Yorkais sont en droit de se plaindre des discriminations dont ils sont victimes, tout particulièrement à partir de 1895. Si la situation pouvait paraître ambiguë à la commission d’arbitrage de 1882, seize ans plus tard, ce n’est plus le cas. Néanmoins il est évident que les remarques précédentes supposent que les différentiels ont toujours été respectés. Or c’est un point très discutable30.
14.4 Le bilan des différentiels
48Les différentiels ont beau avoir donné lieu à d’innombrables articles de presse, témoignages devant différentes commissions d’enquête, on est finalement bien en peine de quantifier leur rôle dans le déclin du port de New York aux exportations. Quand les New-Yorkais en parlent, c’est toujours pour leur attribuer un rôle néfaste, alors que les Philadelphiens et les Baltimoriens ont tendance à les trouver insuffisants pour protéger leur commerce face à la suprématie de la Ville-Empire. Il est difficile de conclure parce qu’on ne connaît que les différentiels officiels, les fameux 3 cents en faveur de Baltimore et les 2 en faveur de Philadelphie, mais on ne sait pas s’ils sont réellement appliqués et, quand ils ne le sont pas, on ignore à combien se monte le rabais. C’est le même problème que les tarifs ferroviaires où, certaines années, les barêmes officiels n’ont guère de rapport avec les prix réellement perçus.
49Les travaux de Paul W. MacAvoy éclairent cette discordance en matière de tarifs sur l’itinéraire Chicago-New York. Comparant les tarifs officiellement publiés et ceux que recueille le Daily Commercial Bulletin. du Board of Trade de Chicago, l’auteur montre que, certaines saisons, le rapport entre les deux tarifs est inférieur à l’unité. L’été 1875, l’hiver 1877/78, puis celui de l’année suivante, l’été 1881 sont les premiers exemples du non-respect des accords conclus entre compagnies ferroviaires. Dans ces cas-là, généralement, la variation des tarifs officiels explique une part réduite de la variation totale des tarifs réellement perçus. Inversement, il existe des saisons où l’égalité des deux tarifs est patente, celles où leur rapport est égal à l’unité : ainsi l’hiver 1872/73, l’hiver 1873/74, l’été 1874, etc. Il est permis de penser qu’il n’y a pas indépendance entre le respect des tarifs et celui des différentiels. Si les tarifs officiels et réels coincident, c’est parce que les compagnies ferroviaires vivent relativement en paix et en harmonie, donc qu’elles acceptent les accords passés censés compenser les avantages ou les désavantages des uns ou des autres. Quand, au contraire, les tarifs divergent, c’est parce que les hostilités sont engagées, guerre froide ou chaude, selon l’intensité de la lutte. Cela ne signifie pas que les tarifs officiels restent fixes -ils varient plus ou moins selon les années- mais qu’ils s’adaptent au durcissement de la concurrence avec plus ou moins de retard. Il est probable que, pour les grains, le non-respect des différentiels est un des moyens les plus efficaces de violer les contrats signés précédemment. Pour les autres produits, il existe d’autres techniques, telles que les changements de classification, mais même dans le cas des céréales, le fraudeur peut jouer sur d’autres composantes du prix : l’assurance, le poids réel, etc. On ne peut donc pas certifier que la non-concordance des deux tarifs est imputable intégralement aux différentiels, mais il est certain qu’ils jouent un rôle non négligeable. Paul MacAvoy a réussi à identifier à plusieurs reprises le nom de l’initiateur probable et à calculer ses gains hypothétiques, à partir d’une théorie de la fraude dans les cartels. Tantôt la tricherie profite à New York quand le New York Central ou l’Erie ne respectent pas les contrats ; inversement, Philadelphie et Baltimore tirent les marrons du feu, quand le Pennsylvania et le B & O cherchent à augmenter sans prévenir leur part des envois de céréales de Chicago31.
50Des tableaux de Paul MacAvoy on peut tirer une certaine présomption de non-respect des différentiels, mais on ne sait pas sur quelles quantités il porte exactement. Dans les sources, on ne trouve que de vagues allusions à cette question. Devant la Commission du commerce entre les Etats, en 1898, les parties adverses n’avancent que des témoignages fragmentaires qui ne se réfèrent à aucune date précise et ne fournissent pas de chiffres exacts – de simples impressions. Les avocats de New York font beaucoup de cas des propos de George Blanchard selon lesquels, depuis le 1er janvier 1896, date où débute le cartel de la Joint Traffic Association, les tarifs ont été mieux respectés qu’auparavant, à l’exception de la période de 18 mois qui a suivi l’entrée en fonction de la Commission du commerce entre les Etats en 1887-1888. Mieux observés, font remarquer les rivaux, ce qui ne signifie pas bien observés. Il serait donc impossible d’en conclure que c’est le respect des différentiels qui explique la chute brutale des exportations de céréales de New York en 1896. Comme le remarque la Commission, aucun témoignage n’a été capable d’éclairer la question des différentiels réels depuis 1882. Pour les uns, les rabais acceptés en 1877 ont été largement ignorés ; pour les autres, ils ne l’ont été que dans une certaine mesure. Dans tout cela, rien de quantifié, de prouvé. Même en 1896 et en 1897, les témoignages contradictoires ne manquent pas. D’un côté, on affirme que le prix FAB du maïs est plus bas à Philadelphie et à Baltimore de 3 à 4 cents qu’à New York ; de l’autre, on signale des cas où, malgré le différentiel, on peut acheter FAB du maïs moins cher à New York. Pour la Commission, la différence de prix ne s’explique pas par le différentiel, mais par les tarifs maritimes32.
51Le point faible de toutes ces démonstrations, c’est que, comme on ne connaît pas les différentiels réellement appliqués, on infère de la baisse des parts de marché de New York au respect des différentiels. Les positions new-yorkaises reculeraient parce que les différentiels sont appliqués rigoureusement et la meilleure preuve qu’ils sont appliques, c’est que New York recule. Confusion classique entre corrélation et causalité. Dans le modèle des pages 182-183, qui relie les variations des parts de marché détenues par New York aux variations des prix relatifs entre les autres ports et New York, les différentiels sont inclus dans les différences de prix. La relation positive indique que les rabais en faveur des ports concurrents jouent un certain rôle, mais les résultats économétriques n’autorisent pas à affirmer qu’ils expliquent à eux seuls le déclin new-yorkais dans les exportations de céréales.
52Néanmoins, même si les différentiels n’ont pas été appliqués rigoureusement – ce qui est tout à l’avantage de New York – le fait même qu’ils soient fixes, alors que les prix ont tendance à baisser entre 1873 et 1897, alourdit leur poids relatif. La chute des cours du blé et du maïs handicape de plus en plus New York par rapport à ses rivaux situés plus au sud. La baisse des tarifs ferroviaires qui réduit les différences de prix des céréales à Chicago et à New York aboutit au même résultat. Quand le tarif s’élevait à 30 cents, Baltimore qui ne faisait payer que 27 cents bénéficiait d’un avantage de 10 % ; quand il tombe à 18,5 cents, le port de la Chesapeake demande officiellement 15,5 cents, soit un avantage de 16,2 %. Cela devrait inciter à réviser le barême de 1877 – ce qui est fait en 1899, pour les seuls grains à l’exportation. Néanmoins, l’année précédente, la Commission du commerce entre les Etats avait considéré que les différentiels existants n’étaient pas une forme de discrimination indue et déraisonnable.
53A la fin du siècle, deux positions antagonistes subsistent. D’un côté, les New-Yorkais, pour qui les différentiels sont un acte de guerre arbitraire contre leur prospérité ; de l’autre, leurs rivaux qui partagent l’avis de la Commission ; selon eux, New York n’a pas droit à un pourcentage particulier du commerce extérieur américain. Il ne peut revendiquer en prenant comme référence ses parts antérieures. Le centre de gravité des Etats-Unis s’étant déplacé, la Ville-Empire ne peut espérer dominer comme jadis. L’attaque contre les différentiels présente d’ailleurs une faiblesse : Boston est aussi désavantagé que New York et pourtant il améliore ses positions aux exportations. Le déclin n’est-il pas dû, en fait, à l’effondrement du trafic sur le canal Erié, qui assurait auparavant la suprématie new-yorkaise ? Pourquoi avoir négligé un tel atout33 ?
Notes de bas de page
1 Il y a de nombreuses allusions à la question des différentiels dans CCSNy et NyPE, Les principaux textes ont été réunis par un avocat au service de Baltimore, John B. Daish, The Atlantic Pont Differentials. The Important and Official Documents pertaining to the Adjustment of Freight Rates between the west and the North Atlantic Ports, 1877-1917, Washington, 1918, 524 p. Le Repont of the Advisory Commission upon Differentials Rates est aussi publié dans Railroad Gazette, 28 juillet 1882. A la fin du siècle, la source de documentation la plus complète se trouve dans Interstate Commence Reports (ICR), vol. IV, L. K. Strouse & C° Law Publishers, 1891, p. 447-534, et vol. VII, Rochester, The Lawyers Cooperative Publishing C°, 1898 p. 612-685, et dans les archives des enquêtes conservées aux National Archives à Suitland, Rg 134, Interstate Commence Commission, formal Dockets : 469/1- 469/4, Box N’78, 3 volumes (1181 pages) et 1 volume de correspondance, 1898 ; Rocket N’746, Box N‘161-162, 7 volumes de témoignages (3217 pages) et 2 volumes de documents, 1905 (NACC). John Franklin Crowell a consacré plusieurs études à cette question : Department of Commerce and Labor, U.S. Bureau of Statistics, "Trunk Line Traffic and Differential Rates. Including Tables of Traffic Receipts and Shipments, and Freight Rates on Grain, Flour, Provisions, and Live Stock from Interior Cities to Seaboard”, Summary of Commence and Tinan ce fon April 1904, Washington, GPO, 1904, 50 p. ; Trunk Line Differentials, Railway World Publishing C°, Philadelphie, 1904,20 p. ; Repont of the Industrial Commission, vol. VI : on the Distribution of Farm Products, 1901, p. 11, 36-142, vol. IV : on Transpontation : 1900, p. 62-63, 173, 185-186, 224-226, 235, 397, 673. Abel B. Blackmar, "Railroad Discrimination against New York and the Remedy", Amenican Society of Civil Engineers, Transactions, vol. XLVI, N° 904, December 1901 . Roland Laird Kramer, The History of Export and Impont Railroad Rates and their Effect upon the foreign Trade of the United States, Ph. D., Philadelphie, University of Pennsylvania, 1923, 120 p. ; George H. Weiss, Port Differential Rates. History of their Inception and Devetopment since 1857, 1936, 64 p.
2 Annual Report of the Directors of the P ennsylvania Railroad C° to the Stockholders, 1859, p. 14 ; 1865, p. 23-25 ; 1869, p. 19-20 ; 1871, p. 27-28 ; 1881, p. 30 ; 1891, p. 17-18 ; George H. Burgess et Miles C. Kennedy, Centenniat History of the P ennsylvania Railroad C’, 1846-1946, Philadelphie, 1949, parts 2-6 ; Alfred D. Chandler, The Visible Hand. The Managerial Revolution in Amenican Business, Cambridge, The Harvard University Press, Part II, ch. 3 à 5 ; AMRE, CC, Ny, 28 décembre 1872, p. 99.
3 LLOYD, Jahresberichte ; Edward Hungerford, The Story of the Baltimore & Ohio Railroad, 1827-1927, New York, G.P. Putnam’s Sons, 1928, 372+365 p., ch. IX ; AMRE, CC, BA, 21 juin, 18 septembre, 2 octobre, 1er décembre 1865, 27 mars, 2 mai 1868, 15 novembre 1874 ; InCo, 1879, Appendix, p. 162, 1876, p. 108, 1884/5, p. 342.
4 InCo, 1876 ; NYCC, 1900, p. 1758.
5 NYCC, 1900, p. 65 ; Edward Harold Mott, Retween the Océan and the Lakes. The Story of Erie, New York, J. S. Collins, 1899, 511+157 p. ; Edward Hungerford, 21 en and Iron, The History of the New York Central, New York, Thomas Crowell, 1938, 424 p. et Men of Erie : a Story of Hunan Effort, New York, Random House, 1946, 346 p.
6 NYCC, 1900, p. 67 ; Repont of the Special Committee on Railroads appointed under a Resolution of the Assembly, February 28, 1879, to investigate the alleged abuses in the management of railroads chartered by the State of New york, Albany, 1880, p. 72-73, 768-769 (le rapport de 78 p. est complété par 5 volumes de Pro ceedingz) ; Reply of John Ganrett to William H. Vanderbilt, September 30, 1881.
7 Railroad Gazette, 28 juillet 1882, p. 454.
8 Pennsylvania Railroad, Annual Repont, op. cité, 1870, p. 27 ; Burgess et Kennedy, op. cité, p. 233-240 ; Carl Condit, The Pont of New York : a history of the Rail and Tenminl System from the Beginningz to P ennsylvania Station, Chicago, The Chicago University Press, 1980, p. 46-53.
9 Railroad Gazette, 28 juillet 1882, p. 454.
10 Mott, op. cité ; Charles Francis Adams, Jr. et Henry Adams, Chapters of Erie (articles parus entre 1868 et 1871) ; C7C, 22 janvier, 10 février 1887, 21 novembre 1891, 23 janvier, 13 février, 9 avril, 4 juin, 27 août 1892, 25 février, 10 mars, 30 septembre 1893, 10 mars 1894.
11 Samuel H. Williamson, "The Growth of the Great Lakes as a Major Transportation Resource, 1870-1911 ", dans Paul Uselding, ed., Research in Economie History, vol. 2, Greenwich, JAI Press, 1977, p. 173-248 ; voir aussi les écrits de George G. Tunell dans le journal of Political Economy, vol. IV, June 1896, p. 332-351 , vol. V, June 1897, p. 340-375, 413-420 et dans House of Representatives, 55th Gong., 2nd Sess., Doc. N° 277, Transportation on the Great Lakes of North America,
12 Daish, op. cité, p. XIV ; CCSNY, Proceeding, 1867/8, p. 73-80 ; ICR, VII, 1898, p. 617, 618 ; Interstate Commerce. Commission, Railways in the United States in 1908, vol. 2 : A forty-year review of changes in freight tariffs, p. 44, 46 ; Repont of the Spécial Committee on Railroad, op. cité, p. 3040-3041.
13 CCSNY, 1877/8, p. 100, 105 ; voir aussi p. 116-129 ; 18 67/8, p. 78 ; InCo, 1879, Appendix. N’ 1, p. 1-4.
14 Henry Steele Commager, Documents of American History, 7th ed., vol. 1, New York, Appleton-Century-Crofts 1 963, p. 580 ; D. Philip Locklin, Economics of Transportation, 6th ed., Homewood, Richard O. Irwin, p. 490-511.
15 ICR p. 451, 466, 512-513 ; United States Reports, vol. 162, Cases adjudged in the Supreme Court at October Term, 1895, New York, The Banks Law Publishing C° (Texas & Pacific Railway C° Interstate Commence Commission), p. 197-255.
16 Le New York Time est une excellente source pour suivre toutes les péripéties : 11 mars, 19 avril, 5 mai, 13 novembre, 17 décembre 1876 ; selon NyPE, les différentiels seraient les suivants :
17 NYT, 27 décembre 1876 ; Kramer, op. cité, p. 14-15.
18 Thèse, p. 597-598.
19 Repont o/ the Committee on Internal Trade and Improvements of the Chamber of Commence of the State of New york, in regard to Treight Riscnimination against the City of New York as compared with other S eaboard Cities, New York, Press of the Chamber of Commerce, 1906, p. 8-9.
20 ICR, 1903, p. 57 ; NACC, Rocket N° 746/1, 1905, p. 72, 73, 78 ; Daish, op. cité, p. 320-321 .
21 Railroad Gazette, 28 juillet 1882, p. 454 ; NYCC.1900, p. 56, 59.
22 Daish, op. cité, p. 79 ; Locklin, op. cité, p. 147, 183 ; Thèse, p. 603 ; NACC, Rocket 469/3, 1898, p. 28, 462-463.
23 Locklin, op. cité, p. 1 52-1 53 ; C.C. McCain, Repont ou Appendix. K : Repont upon Changes in Railway Transpontation Rates on Freight Traffic throughout the United States, 1832. to 1893, dans 52th Cong., 2nd Sess., Senate Report 1394, part 1, Wholesale prices, Wages, and Transportation, Repont by Mr. Aldrich from the Committee on Tinance, March 3, 1893, Washington, GPO, 1893, p. 615-616.
24 Daish, op. cité, p. 444.
25 NYCC, 1900, p. 46, 1951 ; NACC, Rocket N’ 469/3,1898, p. 978-979, 1034
26 Railroad Gazette, 28 juillet 1882, p. 456.
27 NACC, Rocket 469/3, 1898, p. 467-468, 1022 ; Thèse, p. 966-967.
28 ICR, 1898, p. 630 et tableaux des p. 628-629 ; Thèse, p. 966-967, pour une série plus longue.
29 Tous ces paragraphes sont fondés sur une analyse des chroniques bihebdomadaires du SCL.
30 ICR, 1898, p. 630, 666 ; Thèse, p. 1175, note 88.
31 Paul W. MacAvoy, The Economic Effects of Regulation. The Trunk-line Railroad Cartels and the Interstate Commence Commission before 1900, Cambridge., The M.I.T. Press, 1965, 275 p. ; Thèse, tableau 57, p. 968-970.
32 ICR, 1898, p. 649, 650.
33 Ibid., p. 660, 670, 679 ; NYCC, 1900, p. 54-55.
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