1La géographie du commerce extérieur donne généralement une assez bonne idée des forces économiques respectives des différentes nations. En effet, les pays développés ont tendance à multiplier les échanges mutuels, tandis que les régions sous-développées ne fournissent qu’une part réduite des transactions en valeur. C’est pourquoi les relations commerciales internationales dans le dernier tiers du XIXème siècle sont dominées par les "quatre grands" de l’époque : le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et les Etats-Unis. La situation, toutefois, n’est pas figée ; elle évolue en fonction de la nature des marchandises qui entrent dans la composition des échanges, de la conjoncture propre à chaque pays et des changements qui interviennent dans les avantages comparatifs. En prenant pour cadres les régions et les sous-ensembles définis précédemment, il convient donc de compléter chaque description statique par une vue dynamique des transformations qui s’opèrent dans l’avant-pays des Etats-Unis entre la veille de la guerre de Sécession et la fin du siècle.

10.1 Les huit régions de l’espace maritime

10.1.1 La répartition géographique des échanges en valeur

2Entre 1859/60 et 1899/1900, le commerce extérieur total des Etats-Unis croît en moyenne de 3,5 % par an en dollars courants et de 4,6 % en dollars constants. Le premier taux est déterminé principalement par les échanges avec l’Europe occidentale dont les achats et les ventes représentent en moyenne les deux tiers du commerce avec l’étranger. Loin derrière, on trouve les Caraïbes -un huitième du total-, le cinquième restant étant partagé entre les six autres régions, dans l’ordre l’Asie, l’Amérique du Nord, la Méditerranée, la façade atlantique de l’Amérique du Sud ; la côte pacifique de ce dernier continent et l’Afrique jouent un rôle insignifiant1.

3Néanmoins la structure géographique présente de sensibles différences aux importations et aux exportations (cf. tableau 12). Sans doute, dans les deux cas, la part de l’Europe occidentale reste-t-elle prépondérante, mais alors qu’elle constitue les trois quarts des exportations, elle fait tout juste la moitié aux importations. En ce qui concerne ces dernières, 37,5 % de la valeur des marchandises importées vient des Caraïbes, d’Asie et de la façade atlantique de l’Amérique du Sud. Les Etats-Unis ont donc moins besoin de l’Europe pour leur propre approvisionnement que des régions tropicales dont ils sont un important client. Cette dissymétrie est apparente dans la structure moyenne par région où la part de l’Asie est quatre fois plus forte aux importations qu’aux exportations et celle de la côte atlantique de l’Amérique du Sud cinq fois plus élevée. Si l’on s’attache non plus aux pourcentages, mais aux valeurs, les écarts semblent moins énormes dans la mesure où la balance commerciale des Etats-Unis, d’après les statistiques officielles, devient positive à partir de 1875/6, à l’exception de trois années (1887/8, 1888/9 et 1892/3), et tend à l’être de plus en plus à la fin du siècle. Sur l’ensemble de la période, les Etats-Unis présentent des taux de couverture très faibles avec les trois grandes régions tropicales déjà citées : la façade atlantique de l’Amérique du Sud, l’Asie-Océanie et les Caraïbes. Ces déficits sont plus que compensés par les excédents légers vis-à-vis de l’Amérique du Nord, de la côte pacifique de l’Amérique du Sud ou de la Méditerranée, énormes vis-à-vis de l’Afrique et de l’Europe occidentale. Globalement et en moyenne, la balance commerciale des Etats-Unis est excédentaire parce que les surplus accumulés au détriment des pays industrialisés l’emportent sur les lourds déficits supportés dans les échanges avec les pays tropicaux. Ainsi fonctionne un système de compensation triangulaire : l es excédents vis-à-vis de l’Europe servent à régler les dettes contractées à l’égard des régions tropicales en recourant au service des intermédiaires financiers européens, particulièrement de ceux de la place de Londres. Ce troisième côté du triangle suscite les lamentations continuelles des hommes d’affaires et des consuls américains, mais il est vraisemblable qu’il joue un rôle important dans l’équilibre des échanges et dans le fonctionnement des relations économiques multilatérales.

10.1.2 Les tendances

4La description statique qui précède fixe des ordres de grandeur. Cependant il est peu probable qu’au cours des décennies les proportions restent les mêmes.

5Aux importations, le taux moyen de 2,7 % par an cache de fortes disparités géographiques (cf. tableau 12 , p. 243). A l’exception de l’Afrique, toutes les tendances sont significativement croissantes. Toutefois, on distingue, d’un côté, les fournisseurs dont l’importance régresse parce que le rythme des importations qui en proviennent est inférieur au taux moyen national, et de l’autre, les sources d’approvisionnement qui bénéficient d’un grand dynamisme. Parmi ces dernières, on note, dans l’ordre croissant, les deux façades du continent sud-américain, l’Asie-Océanie et la Méditerranée, où la proportion des achats effectués par les Américains atteint son record sur la période 1860-1900. Parmi les régions dont les importations tendent à s’assoupir, les plus touchées sont l’Afrique et l’Amérique du Nord, puis viennent, à égalité, l’Europe occidentale et les Caraïbes qui occupent les deux premières places. Les Etats-Unis ont donc de plus en plus tendance à s’approvisionner dans les pays non-industrialisés – ce qui est cohérent avec l’accroissement de la part des matières premières dans les importations. Ils satisfont eux-mêmes progressivement leurs besoins en articles manufacturés et s’adressent aux producteurs des régions tropicales ou subtropicales au fur et à mesure que l’amélioration du niveau de vie encourage les achats à l’étranger de denrées et de matières premières qu’ils ne peuvent pas produire à des coûts compétitifs.

6Aux exportations, les écarts entre régions apparaissent plus faibles. Deux d’entre elles présentent des taux de croissance très inférieurs à la moyenne de 4,3 % par an : la façade pacifique du continent sud-américain et les Caraïbes. Avec l’Amérique du Nord et la côte atlantique de l’Amérique du Sud, on se rapproche sensiblement de cette moyenne, tandis que l’Europe occidentale et la Méditerranée lui sont légèrement supérieurs. La palme de l’expansion des ventes revenant à l’Afrique et à l’Asie. Ces deux régions accroissent donc leur part dans les exportations des Etats-Unis d’une manière plus significative que l’Europe occidentale, alors que les cinq autres zones présentent des tendances négatives ou dépourvues de signification.

7De ces observations se dégage une typologie de la géographie du commerce extérieur américain. Entre 1860 et 1900, deux zones ont des taux de croissance supérieurs à la moyenne nationale aussi bien aux importations qu’aux exportations : ce sont l’Asie-Océanie et la Méditerranée. Ces deux régions dynamiques présentent cependant une disparité en ce qui concerne les taux de couverture, ceux-ci étant faibles avec l’Asie et relativement forts avec la Méditerranée, mais les tendances de signe opposé, positive pour la première, négative pour la seconde, amorcent une certaine convergence qui est loin d’être réalisée à la fin du siècle. A l’autre pôle, on trouve les deux régions dont les taux de croissance sont inférieurs à la moyenne nationale aussi bien aux importations qu’aux exportations ; il s’agit de l’Amérique du Nord et des Caraïbes, c’est-à-dire des zones les plus proches des Etats-Unis. Il semble donc que, dans la seconde moitié du XIXème siècle, le pays tend à élargir ses échanges à la planète entière au détriment du poids relatif de ses voisins immédiats. Dans le cas des Caraïbes, il s’agit d’ailleurs d’une perte d’influence dans le commerce international qu’on retrouve aussi dans les statistiques du Royaume-Uni. Après avoir connu une brillante histoire commerciale au XVIIIème et au début du XIXème siècle, les Antilles et l’Amérique centrale voient leur importance relative décliner au profit des zones tropicales plus éloignées du centre développé de l’Atalntique-Nord. Les quatre régions restantes n’enregistrent de taux de croissance supérieurs à la moyenne que dans un seul secteur, aux importations (Amérique du Sud) ou aux exportations (Europe occidentale et Afrique). Parmi elles, la façade pacifique de " l’hémisphère occidental" et l’Afrique au Sud du Sahara ne comptent guère, tandis que l’Europe occidentale, du fait de sa position dominante, et la côte atlantique de l’Amérique du Sud sont généralement proches de la moyennes. Le port de New York est donc d’autant plus fort qu’il améliore ses liaisons avec les pôles dynamiques et qu’il les relâche, toutes choses égales par ailleurs, avec les régions dont le comportement dans le commerce extérieur des Etats-Unis peut être qualifié de léthargique.

10.1.3 Les fluctuations conjoncturelles

8Quoiqu’elles soient généralement très significatives, les tendances à long terme n’éliminent pas les variations conjoncturelles. Ces dernières apparaissent sous la forme de résidus dans les équations d’ajustement exponentiel. Il est nécessaire de les soumettre à une double analyse : d’abord en calculant les matrices de corrélation de ces résidus afin de préciser la force des liaisons statistiques entre les diverses parties de l’espace géographique ; ensuite en se livrant à une étude plus fine année par année, afin de définir les principales séquences temporelles2.

9Les matrices de corrélation des résidus montrent bien qu’il existe une plus grande synchronisation des séquences conjoncturelles aux importations qu’aux exportations (cf. tableau 13, p. 246). En effet, aux importations, presque tous les coefficients sont hautement significatifs3. On n’enregistre qu’une seule exception : la façade pacifique de l’Amérique du Sud dont le maximum relatif se situe en 1870/1, précédant une longue dépression qui se prolonge jusqu’en 1880/1 , à cause de la guerre du Pacifique. Les sept autres régions calquent assez bien leurs mouvements conjoncturels sur l’ensemble des importations. C’est le signe que les principaux déterminants des entrées de marchandises de l’étranger se situent donc aux Etats-Unis du côté de la demande et non de l’offre. Parmi les deux facteurs déjà analysés, à savoir la situation économique interne aux Etats-Unis et le tarif douanier, il semble bien que l’influence du second soit plus réduite que celle de la première, car les matières premières et les articles manufacturés ne sont pas soumis au même régime de droits ni ne proviennent en général du même type de région. Or l’Asie ou la façade atlantique de l’Amérique du Sud présentent des coefficients de corrélation élevés, tout comme l’Europe occidentale. C’est donc bien la demande intérieure américaine qui fait sentir ses effets dans le monde entier.

10Aux exportations, au contraire, rien de tel. La seule liaison statistique très forte unit l’Europe occidentale et la Méditerranée – ce qui permet d’opposer, sur le plan conjoncturel, l’ensemble du continent européen aux autres régions. Un tiers à peine des coefficients est significatif, dont la moitié concerne le Canada. Les exportations des Etats-Unis vers les diverses zones de l’avant-pays n’obéissent dans le détail à aucun rythme commun. Là encore, c’est la demande qui gouverne l’offre, quoique les ventes américaines portent sur un nombre restreint de produits.

11Cette uniformité plus grande de la conjoncture aux importations qu’aux exportations, on la retrouve aussi dans l’analyse plus fine des séquences. Si on utilise comme critère la position par rapport au trend, on peut considérer que sur 41 années, 29 aux importations et 24 aux exportations présentent un mouvement conjoncturel net4. Avec les différences des résidus, la chronologie apparaît encore plus éclatée, mais les exemples de covariation restent plus nombreux aux importations ; on en note 28 sur 40, au lieu de 22 aux exportations5.

12Aux importations, les années 1860 sont marquées dans la plupart des régions par des valeurs très inférieures au trend, surtout à cause de la chute du début de la guerre de Sécession qui est très longue à récupérer. Les Caraïbes enregistrent leur minimum en 1861/2 , l’Amérique du Nord l’année suivante, l’Europe occidentale, la Méditerranée, l’Asie et la façade atlantique de l’Amérique du Sud en 1864/5. La reprise assez générale de 1865/6 est trop brève pour changer l’impression d’ensemble. A partir de 1868/9, au contraire, le climat économique s’éclaircit suffisamment pour que toutes les régions profitent de l’expansion américaine du début des années 1870. Signe que c’est la demande interne qui est le moteur principal, le retournement conjoncturel qui affecte la croissance dans la seconde moitié de cette décennie frappe aussi simultanément presque toutes les régions d’où les Etats-Unis importent des marchandises. Les années 1880 s’individualisent comme une période où les résidus sont presque partout fortement positifs, à l’exception de l’année de récession 1884/5. Les décélérations qui interviennent après les sommets du début de cette décennie sont de faible ampleur. Pendant cette séquence globalement prospère, seule la Méditerranée atteint son maximum, les autres régions, à l’exception de l’Amérique du Nord, ayant culminé relativement entre 1870/1 et 1873/4. Seule, la façade pacifique de l’hémisphère occidental touche son minimum en 1879/80 à cause de la guerre qui oppose le Chili au Pérou et à la Bolivie. Par contraste, les années 1890 présentent surtout des écarts négatifs, qui correspondent à la tonalité déprimée d’une grande partie de cette période, où les chutes sont plus accentuées que les remontées. C’est pourquoi, aux importations, le siècle s’achève sur des minima presque universels, les variations des tarifs douaniers contribuant plus à l’instabilité de la conjoncture qu’à la détermination du climat général des affaires. On retrouve donc pour les régions des conclusions très proches de celles qui s’étaient dégagées de l’analyse des produits6.

13Aux exportations, les maxima et les minima sont beaucoup plus dispersés dans le temps. Néanmoins, pendant la guerre de Sécession et les années qui suivent immédiatement le retour à la paix, les résidus sont généralement très inférieurs au trend, les tendances à l’accélération, notables en 1862/3 et en 1866/7, ne pouvant contrebalancer la forte baisse des exportations de coton. Dans la décennie suivante, à la différence de ce qu’on constate aux importations, les ventes à l’étranger, gonflées par l’essor du commerce des céréales, des viandes et du pétrole prennent leur envol à partir de 1872/3. Curieusement, l’année 1879/80 qui marque souvent un sommet dans les séries de marchandises n’en constitue pas un pour les régions de l’avant-pays. En effet, seules l’Europe occidentale et la Méditerranée sont concernées ; les six autres zones enregistrent une décélération du taux de croissance des exportations suffisamment sensible pour que les résidus soient négatifs dans les ventes aux Caraïbes, à l’Asie, à l’Amérique du Sud et du Nord. Le sommet de la décennie se situe donc entre 1880/1 et 1883/4, après quoi commence une longue période où les écarts sont majoritairement négatifs – ce qui traduit un net ralentissement de la croissance des exportations. En 1894/5 par exemple, les exportations à destination des huit régions se situent toutes en-dessous de la ligne de trend. Heureusement, l’année suivante, débute une accélération ininterrompue et quasi-générale qui permet aux ventes américaines à l’étranger de finir brillamment le siècle. Reste à vérifier que ces conclusions sont valides aussi au niveau des sous-ensembles, qu’elles ne sont pas un produit de l’agrégation de séries contrastées7.

10.2 Les sous-ensembles

14En général, il semble bien qu’il y ait une grande cohérence au niveau régional entre l’ensemble et les parties constituantes. Une forte majorité des résidus sont significativement corrélés – ce qui indique une tendance à l’évolution synchronique, liée en partie à la nature des marchandises échangées8.

15pour les symboles, voir tableau 12, p. 243.

10.2.1 L’Europe du Nord-Ouest

16Schématiquement, on peut considérer qu’entre 1860 et 1900, les trois cinquièmes du commerce extérieur américain s’effectuent avec trois pays européens : le Royaume-Uni, l’Allemagne (et les Pays-Bas), la France (et la Suisse). Avec eux, les Etats-Unis effectuaient 62,4 % de leurs échanges en 1859/60 et 56,1 % en 1899/1900. Un déclin, certes, mais pas très marqué. Plus importante est la redistribution des cartes entre les trois partenaires. En 1859/60, 44,7 % du commerce international américain se faisait avec le Royaume-Uni, 11,9 % avec la France et 5,8 % avec l’Allemagne ; en 1899/1900, les parts respectives étaient devenues 30,9 %, 7,8 % et 17,4 %. Le recul très prononcé du Royaume-Uni, plus léger de la France est compensé partiellement par l’intensification des échanges avec l’Allemagne. Celle-ci, qui pesait près de huit fois moins que le Royaume-Uni avant la guerre de Sécession, en atteint un peu plus de la moitié à la fin du siècle. Dans une structure à peu près stable, la seule transformation notable est ce grignotage inexorable des positions britanniques par le dynamisme allemand. Le déclin tient au recul de la fonction d’entrepôt européenjoué par le Royaume-Uni, au développement rapide de la flotte de commerce des ports de Brême et de Hambourg, ainsi qu’à l’expansion industrielle et agricole du Reich unifié. L’affirmation de la puissance commerciale allemande se fait aussi au détriment de la France. Juste à la veille de la guerre de Sécession, l’Allemagne – en fait, les nombreux Etats allemands – pesait deux fois moins que la France dans les échanges extérieurs des Etats-Unis. Cette dernière, qui importait surtout du coton, est dépassée pendant le conflit civil, puis définitivement sous la Illème République, à l’exception des cinq années 1878/1883, marquées par de mauvaises récoltes de blé en Europe et une grande prospérité aux Etats-Unis.

17Les trois pays européens jouent un rôle plus important aux exportations qu’aux importations : en moyenne, ils font approximativement les deux tiers des premières et la moitié des secondes. Aux exportations, la part totale des trois partenaires ne recule guère : de 67,8 % en 1859/60 à 64,1 % en 1899/1900, les reculs du Royaume-Uni et de la France étant compensés par la forte progression de l’Allemagne. Les ventes américaines à l’étranger, on l’a vu, sont concentrées sur un petit nombre de produits : coton, céréales, viandes, pétrole et tabac qui représentent à eux seuls environ 80 % du trafic. Or les trois grandes puissances industrielles européennes en sont les meilleurs consommateurs, tout particulièrement le Royaume-Uni qui reste encore à la fin du XIXème siècle un client deux fois plus important que l’Allemagne en valeur absolue. Aux importations, au contraire, le déclin des trois nations européennes est net, leur part tombant de 57,4 % à 42,7 %. Quoique l’Allemagne double sa part du marché américain et que la France se maintienne assez bien, rien ne peut compenser l’écroulement britannique. Ce recul spectaculaire des importations en provenance du Royaume-Uni est le fait majeur de l’histoire commerciale de la période. Les Etats-Unis relâchent leurs liens économiques avec l’ancienne métropole ; la tendance, bien que positive, n’est pas significativement différente de zéro. Il s’agit donc bien d’une stagnation, alors que partout ailleurs, sauf avec les Antilles espagnoles, on enregistre des trends croissants nettement dessinés. Les importations de textiles et de produits sidérurgiques britanniques sont plus durement frappées par l’essor industriel et la politique douanière des Etats-Unis que les soieries, les lainages et les vins de Champagne français dont la qualité est inimitable, ou que les textiles, les colorants, la potasse, le sucre de betterave, les jouets fabriqués en Allemagne à des coûts défiant toute concurrence.

18A côté des trois Grands, les autres pays de l’Europe occidentale jouent un rôle limité, entre autres la Belgique qui vend essentiellement du verre et du sucre, les Pays-Bas qui continuent d’exercer leur fonction d’entrepôt des produits des Indes néerlandaises, la Suisse dont les cotonnades et les soieries sont appréciées, la Scandinavie qui n’expédie guère que du fer en barres et de la pulpe de bois, et la Russie qui offre de faibles quantités de laine, de lin ou de peaux. Avec tous les pays d’Europe, les Etats-Unis enregistrent en moyenne des excédents, et des excédents croissants ; la seule exception est constituée par la France avec laquelle ils ont tendance à être de plus en plus déficitaires. D’autre part, la région présente une forte homogénéité conjoncturelle, à l’exception des importations en provenance des pays de la Baltique dont le poids est très faible . Les fluctuations du commerce avec l’Europe occidentale sont très étroitement liées à celles des relations avec le Royaume-Uni, qui, malgré son déclin, reste de loin le partenaire le plus important et le plus influent9.

10.2.2 Le reste du monde

19Derrière les trois grandes puissances industrielles européennes, se détachent deux sous-ensembles tropicaux : les Antilles espagnoles et le Brésil. Tous deux occupent une part notable aux importations, faible aux exportations, ce qui leur permet d’accumuler de gros surplus commerciaux vis-à-vis des Etats-Unis auxquels ils vendent, en ce qui concerne le Brésil, du café, du caoutchouc, du sucre et des peaux, et pour ce qui est de Cuba et de Porto Rico du sucre, du tabac, des bananes en contrepartie d’achats de farine, de viande de porc, de cotonnades, d’articles en fer et en acier ou en bois. Tous deux voient aussi leur part décroître dans les exportations américaines. Aux importations, au contraire, le Brésil améliore ses positions, à cause de sa prépondérance dans les approvisionnements en café et en caoutchouc, tandis que les Antilles espagnoles, comme le Royaume-Uni, tendent à perdre du terrain, surtout à cause de l’effondrement de leurs ventes de sucre lors de la seconde révolution cubaine, à la fin du XIXème siècle, qui aboutit à l’intervention militaire des Etats-Unis et à la disparition de la domination coloniale espagnole en 1898.

20Parmi les autres sous-ensembles qui ne dépassent pas généralement 3 % du commerce extérieur américain, deux ont aux importations des rythmes de croissance inférieurs à la moyenne : les pays de la Plata qui vendent des peaux et de la laine, et la Colombie et le Venezuela où les Etats-Unis s’approvisionnent en café, en bananes, en caoutchouc, en ivoire végétal, ainsi qu’en peaux. Aux exportations, dans les Caraïbes, seuls le Mexique et l’Amérique centrale échappent à la léthargie générale, tandis qu’en Méditerranée le bassin oriental représente une zone de ventes beaucoup moins dynamique que la partie occidentale. Comme il s’agit de pays sous-développés, la structure des échanges est comparable à celle qu’on a notée à propos de Cuba : aux exportations, des denrées transformées (farine, viande, saindoux) et des articles manufacturés en fer, en coton, en bois, en cuir, ou du kérosène ; aux importations : café d’Amérique centrale et de Haïti, cacao de la Guyane hollandaise, sucre cultivé dans toutes les îles, fruits tropicaux des Antilles britanniques, du Nicaragua, du Honduras et du Guatemala, plantes textiles (sisal, ixtle) et minerais non-ferreux du Mexique. A destination de la Méditerranée, les exportations consistent en pétrole raffiné, en tabac, en coton pour les pays qui se sont dotés d’une industrie textile (Italie, Espagne, Autriche-Hongrie), en bois pour la tonnellerie, en blé, les années où les récoltes sont catastrophiques, très peu en objets manufacturés (à l’exception du commerce des armes dans les années 1870). Aux importations vient en tête l’Italie qui expédie de la soie naturelle, des agrumes, du soufre, du tartre brut, du marbre, du sumac et de l’huile d’olive. Les autres pays méditerranéens sont plus spécialisés : fruits et vins d’Espagne, liège du Portugal, sucre, verrerie, porcelaine et boutons d’Autriche-Hongrie, pruneaux de Serbie, raisins de Corinthe, coton d’Egypte, laine et racine de réglisse de la Mer Noire, opium brut de l’Empire Ottoman. Néanmoins, si sur le plan conjoncturel, la Méditerranée présente une assez grande homogénéité, à l’exception du bassin oriental aux importations, la zone des Caraïbes est marquée par une forte hétérogénéité, tout particulièrement aux exportations où, quels que soient les sous-ensembles, on note peu de synchronismes •

21A l’opposé, l’Extrême-Orient, l’Inde et les îles du Pacifique offrent de nombreux traits communs : une croissance supérieure à la moyenne, aussi bien aux importations qu’aux exportations, des taux de couverture toujours défavorables aux Etats-Unis. Dans ses trois composantes, la région Asie-Océanie accumule les surplus. Les Américains y exportent peu de marchandises : surtout du kérosène, des cotonnades, un peu de farine ; seule, l’Australie est une bonne cliente des industries à cause de son niveau de développement. De la Chine et du Japon, les Etats-Unis importent principalement de la soie et du thé, de l’Inde britannique du jute brut et manufacturé, des peaux, de l’étain, des graines de lin, des épices, du graphite et de nombreuses matières premières de l’industrie chimique (indigo, salpêtre, shellac, gambir). Par comparaison, les archipels de l’Océan Pacifique offrent une gamme de produits moins diversifiée : sucre et café des Indes néerlandaises, sucre et riz de Hawaii, chanvre et sucre des Philippines, laine, gommes et peaux d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

22Au total, entre 1860 et 1900, les Etats-Unis accumulent leurs excédents commerciaux en Europe occidentale, à l’exception de la France et de la Suisse, dans le bassin méditerranéen, à l’exception de l’Italie, en Amérique centrale et dans les Antilles autres qu’espagnoles. En contrepartie, ils enregistrent des déficits avec, outre les deux sous-ensembles déjà indiqués, le Brésil, les pays de la Plata, Cuba, la Colombie et le Venezuela, et toute l’Asie-Océanie. Comme les exportations croissent beaucoup plus vite que les importations, le taux de couverture global tend à s’améliorer et à devenir supérieur à l’équilibre après 1875 en dépit d’une ouverture de plus en plus large sur le monde entier. Le déclin du Royaume-Uni dans les échanges internationaux des Etats-Unis, pour être de loin le fait le plus significatif, ne doit pas faire oublier que ce pays jouissait, à la veille de la guerre de Sécession, d’une telle prépondérance qu’à la fin du siècle il reste nettement à la fois le meilleur client et le premier fournisseur. Telles sont les tendances fondamentales ; c’est par rapport à elles qu’on peut juger de la qualité des performances new-yorkaises et du dynamisme du port.