Aux sorties : L’ère des céréales

1Si les importations donnent l’impression d’une relative stabilité, il n’en va pas de même des exportations à New York. Pour les premières, la guerre de Sécession ne constitue pas une coupure ; il n’y a pas de solution de continuité entre l’avant et l’après-guerre. Aux exportations, le blocus du Sud et les difficultés de la reconstruction économique de cette section après l’abolition de l’esclavage mettent un terme à la royauté du coton. La fibre textile doit partager sa couronne avec les céréales et les produits qui en sont dérivés – ceux de l’élevage. Il en résulte de profondes modifications dans la géographie des ports qui exportent. New York, on l’a vu, a tiré de grands bénéfices de la guerre et de la réorientation des échanges des Etats-Unis, mais cette domination artificielle ne peut durer longtemps. Entre 1865/6 et 1899/1900, sa part moyenne des exportations américaines s’élève à 43,2 % – à comparer avec 66 % aux importations – et la tendance indique un recul de 0,23 point de pourcentage par an. Si la part de New York dans les exportations américaines avait évolué d’une façon linéaire, elle serait passée de 47 en 1865/6 à 39,3 % en 1899/1900, un recul d’environ 8 points, alors qu’aux importations on n’enregistrait que 4 points de perte pour un niveau moyen bien supérieur. En fait, New York abandonne un terrain comparable et tombe de 44 % pendant le quinquennat 1865/71 à 37,6 % pendant le dernier quinquennat du siècle.

2Dans le dernier tiers du XIXème siècle, le schéma général est bien celui d’un déclin, mais dans le détail, que de nuances ! En effet, seule la dernière décennie détermine d’une façon significative la tendance (cf. graphiques 2a, p. 13 et 3a, p. 15). Entre 1865/6 et 1888/9, il faudrait plutôt parler de stabilité autour d’un niveau moyen de 45 %. A l’exception de l’année 1869/70, New York représente alors au minimum 43 % des exportations des Etats-Unis et 47,3 % au maximum. Il faut garder présente à l’esprit cette marge de variation, qu’on peut qualifier de faible, pour apprécier à leur juste valeur les controverses des contemporains. Il est vrai qu’il y a des années où New York semble céder du terrain par rapport aux autres ports, tout particulièrement en 1869/70, où le recul paraît sérieux, et en 1875/7, où une vive émotion s’empare de la communauté face aux progrès de Philadelphie et de Baltimore, mais ces situations jugées critiques ne durent pas. A chaque fois, le port rebondit vers de nouveaux sommets cycliques qui jalonnent la prospérité des exportations au début des années 1870 (1871/5) et à la fin de la même décennie (1877/80) . Le maximum est atteint en 1877/8 : 47,3 % du total, mais par rapport à la tendance générale orientée à la baisse, le sommet se situe en 1884/6. Les années 1880 laissent globalement une impression d’euphorie, non seulement du point de vue des grandeurs absolues qui font l’objet de transactions, mais aussi de la position relative de New York. Glorieuse apothéose, serait-on porté à croire, avant la chute inexorable qui débute en 1889/90 et se poursuit jusqu’à la fin du siècle, à l’exception d’un rétablissement momentané et partiel vers le milieu de la décennie.

3Pour expliquer ces divers mouvements indicatifs des forces et des faiblesses de New York dans la rivalité que se livrent les ports pour l’exportation des produits américains, il convient, comme pour les importations, d’analyser les marchés des principaux produits que les Etats-Unis expédient à l’étranger. La gamme en est réduite. Les céréales, les viandes et les produits laitiers, le pétrole et le coton forment l’essentiel des cargaisons jusque vers 1895 ; dans le dernier quinquennat, au contraire, la puissance industrielle américaine se sent capable de rivaliser avec ses concurrents européens dans le monde entier et d’exporter ses surplus. Les Etats-Unis commencent à échanger leur statut de fournisseur de matières premières et de denrées alimentaires contre celui de vendeur d’articles diversifiés, bruts ou élaborés, reflétant le développement multisectoriel de leur économie devenue désormais la première du monde dans tous les domaines.

4Dans les Etats industrialisés du dernier tiers du XIXème siècle, ce ne sont pas les gouvernements qui régissent les échanges extérieurs ; ils ne signent pas entre eux des contrats commerciaux. Les décisions d’importer et d’exporter sont prises par des individus ou des entreprises qui cherchent à maximiser leurs profits ou à minimiser leurs coûts. L’exportateur américain qui vend un produit à l’étranger fait face à la concurrence de ses compatriotes et des négociants des autres pays qui offrent la même marchandise. Comme il ne peut imposer son prix au marché, car il en détient, sauf cas exceptionnel, une fraction beaucoup trop faible, il lui faut pour survivre bénéficier des coûts de transport les plus bas. Dans ces conditions, il choisira comme point de sortie des Etats-Unis le port qui lui offrira les tarifs les plus avantageux et les meilleurs services en matière de fréquence et de dessertes. On peut penser que le prix du transport global par terre et par mer sera un des éléments décisifs dans sa prise de décision. New York passe, à cette époque, pour offrir généralement les frets maritimes les plus bas – une assertion qui est au centre de nombreuses controverses, mais qu’on peut admettre en première approximation. Reste la question des tarifs de transport intérieurs par voie d’eau ou par chemin de fer. Les prix à l’exportation que fournissent les statistiques douanières sont des prix FAB, fret maritime et assurance exclus ; il s’agit des prix déclarés au port d’embarquement, sans qu’il soit aisé de savoir si les frais de mise à bord sont inclus. Il est évident que ce n’est pas parce que le prix indiqué dans un port quelconque est plus bas qu’à New York que l’expéditeur décidera d’éviter d’expédier sa marchandise par les quais de l’Hudson ou de l’East River. L’acheteur étranger, lui, ne tient compte que du prix CIF, fret et assurance inclus, rendu à destination. Malheureusement on ne dispose pas de statistiques comptabilisées CIF du même ordre que les données FAB de l’administration des douanes.

5On peut tourner la difficulté en étudiant les variations des prix relatifs FAB. Le modèle est le suivant : la variation de la part de New York dans les exportations d’un produit donné est fonction de la variation du prix relatif de ce produit dans un port quelconque et à New York. Dans sa formulation générale, il s’écrit :

ΔNYT_t = f(ΔP_ijyt)

6Le tableau ci-dessous donne la signification de ces symboles .

7La figure 1 de la page 183 indique que la variation de la part de New York est une fonction croissante du prix relatif. En effet, quand le prix relatif augmente, c’est-à-dire quand la marchandise i coûte relativement plus cher dans un port j qu’à New York, les négociants seront tentés d’acheter à New York et d’expédier par des navires chargeant sur l’Hudson ou l’East River. Au contraire, quand le prix relatif baisse, c’est-à-dire quand la marchandise i coûte relativement moins cher dans le port j qu’à New York, la part de New York dans les exportations de i chutera, toutes choses étant égales par ailleurs.

8Si le modèle paraît cohérent, les données nécessaires pour l’estimer posent problème. Les statistiques de la douane enregistrent des transactions effectuées, donc des grandeurs ex. post, alors que le choix de tel ou tel port se fait à partir des informations recueillies par les exportateurs. Si le prix proposé dans tel port ne leur convient pas, car trop élevé, ils n’effectueront pas la transaction. Les statistiques officielles sont donc biaisées en faveur des affaires réussies. Néanmoins on peut penser qu’en étudiant les variations, on pallie en partie ce défaut. Pour répondre à la question : les variations des différentiels de pnix exptiquent-elles tes variationé des panta de marché que détient New York face à ses principaux concurrents ?, j’estimerai le modèle ߡ NYT_t =f ( ߡ P_ijyt) avec les données annuelles fournies par les rapports sur le commerce et la navigation des Etats-Unis et, à partir de 1892, avec des données mensuelles1.