1L’industrialisation des Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXème siècle s’est faite avec la volonté explicite de remplacer les importations par des produits nationaux. Cette stratégie de substitution ne doit pas son succès aux seules barrières douanières ; elle le doit surtout aux efforts constants des entrepreneurs américains désireux d’investir dans les procédés techniques les plus modernes. La conjonction de ces deux causes, tarif protectionniste et innovation systématique, a changé profondément la structure des importations aux Etats-Unis et à New York. En même temps, la localisation des activités industrielles a été affectée par de multiples facteurs : proximité des matières premières ou des marchés de consommation, disponibilité d’énergie, de main d’oeuvre ou de capital, caractère favorable du climat ou bien inertie jouant au profit des lieux qui ont pris un départ précoce. Dans la concurrence qui l’oppose aux autres ports, New York dispose de la base de sa région urbaine qui ne représente cependant qu’une petite portion de la population américaine : 5,3 % en 1860, 5,6 % en 1880 et 5,9 % en 1890. Dans la dernière décennie l’accélération de la croissance relative lui permet d’atteindre 6,6 % du total, encore loin du maximum de 1940 (8,9 %)1. Certes, l’aire naturelle du port s’étend bien au-delà ; elle englobe une partie du Connecticut et presque tout l’Etat de New York. Le reste du territoire est à protéger des incursions des rivaux ou à conquérir. Selon la nature des marchandises : matières premières, biens intermédiaires ou d’équipement, biens de consommation ou denrées, les positions new-yorkaises sont plus ou moins solides.

6.1 Au service de l’industrie : New York, port industriel et importateur de matières premières

6.1.1 Les industries de la région New-Yorkaise, 1860-1900

2Première agglomération urbaine des Etats-Unis par l’importance de sa population, la région new-yorkaise est aussi le premier centre industriel du pays, avant Philadelphie ou Boston. En 1860, le district urbain emploie 141 000 salariés de l’industrie, métiers artisanaux inclus, alors qu’on en dénombre 115 000 à Philadelphie et 102 000 à Boston. Malgré le déplacement progressif des industries vers les rives des Grands Lacs, la région new-yorkaise maintient très bien ses positions entre 1860 et 1900, conservant environ 12,5 % de la main, d’oeuvre industrielle américaine et accroissant sa part dans la répartition de la valeur ajoutée du secteur manufacturier (cf. tableaux 2 et 3, pages 30-31). En 1900, elle distance de plus en plus ses rivaux immédiats. Le district emploie alors deux fois plus de salariés (625 000) que Philadelphie (305 000) ou Boston (245 000) et même Chicago (295000) Les 17 comtés de la zone urbaine new-yorkaise emploient à eux seuls une main d’oeuvre dont la masse équivaut à 71 % de l’ensemble des ouvriers de toute la Nouvelle-Angleterre. Cette force industrielle paraît encore plus grande si on choisit comme critère la valeur ajoutée, car les travailleurs new-yorkais ont une productivité sensiblement supérieure à la moyenne nationale2.

3Le maintien des positions relatives est en soi une performance. Ni la Nouvelle-Angleterre, ni Philadelphie, les deux autres bastions industriels avant la guerre de Sécession, ne peuvent en faire autant. Et pourtant entre 1860 et 1900, la structure industrielle des Etats-Unis subit de nombreux changements. Du point de vue de l’emploi, les branches qui reculent relativement le plus sont celles qui fabriquent des biens de consommation, avec de fortes disparités internes : si les industries du cuir, des textiles et de la confection sont caractérisées par une croissance ralentie, les industries alimentaires et polygraphiques, celle du tabac progressent sensiblement plus que la moyenne. Inversement, toutes les industries des biens intermédiaires et d’équipement voient leur part s’améliorer, surtout la construction des machines et du matériel de transport, la chimie et le caoutchouc3.

4Par rapport à cette évolution de la structure industrielle nationale, la stabilité new-yorkaise est la résultante de changements complexes qu’on peut classer à partir des indices de, spécialisation. Dans les trois secteurs en déclin relatif, la région new-yorkaise tend à améliorer ses positions : les indices augmentent entre 1860 et 1900, le mouvement n’étant toutefois net que dans la branche des textiles, particulièrement dans la fabrication des soieries. Seule la confection masculine et féminine peut être considérée comme une activité spécifique de la région urbaine ; c’est d’ailleurs elle qui possède l’indice le plus élevé en 1900. Les industries polygraphiques augmentent leur poids à New York, à un rythme cependant plus faible qu’au niveau national, ce qui représente un élément de faiblesse renforçant l’effet des trois branches précédentes. Ces tendances négatives sont partiellement compensées par un essor rapide des industries alimentaires et de la manufacture du tabac. Dans le secteur des biens intermédiaires et d’équipement, les indices new-yorkais fléchissent dans la plupart des cas, parfois très fortement comme dans le cas du caoutchouc, de la métallurgie primaire et de la fabrication du matériel de transport. Les positions sont mieux maintenues dans la chimie, le pétrole, la construction électrique et la métallurgie de transformation. La stabilité n’est donc qu’une apparence ; elle résulte du jeu d’évolutions particulières affectées d’une pondération plus ou moins grande.

5Il ressort que la région new-yorkaise est plutôt spécialisée dans les industries légères et qu’elle le devient de plus en plus. Ses points forts, ce sont la confection, les industries polygraphiques, les industries diverses, la métallurgie de transformation, la papeterie, les instruments scientifiques ainsi que quelques branches de l’industrie lourde telles que le raffinage du pétrole et la construction électrique. Cette cohorte permanente est renforcée après la guerre de Sécession par la manufacture du tabac. Les points faibles constants sont le textile, le travail du bois et du cuir et la métallurgie primaire auxquels viennent s’adjoindre des activités en déclin relatif, telles que le travail des pierres et des terres, la fabrication des machines et du matériel de transport. Entre ces deux types extrêmes, quelques branches restent en permanence proches de la moyenne nationale : les industries alimentaires et la chimie. La région new-yorkaise ne se distingue donc pas particulièrement par sa place dans la transformation primaire des matières premières ; sa force réside surtout dans l’élaboration de produits ayant déjà subi un travail industriel. Ceci n’implique pas nécessairement que le port joue un rôle limité dans l’industrialisation de la zone urbaine, mais on peut penser que par rapport à l’ensemble de l’industrie américaine, cette fonction n’a pas une ampleur exceptionnelle.

6.1.2 Les importations de matières premières

6Les importations de matières premières représentent une part croissante de la valeur totale des entrées à New York : 9 % en 1860, 27 % en 1900. Malgré leurs immenses ressources naturelles, les Etats-Unis ne peuvent pourvoir à tous leurs besoins, à la fois pour des raisons climatiques et de distance séparant les gisements des centres industriels de la côte Est. Après la guerre de Sécession, dans la plupart des cas, la politique douanière tend à alléger l’imposition des matières premières ou à les admettre en franchise, de façon à ne pas désavantager les entrepreneurs américains face à la concurrence étrangère. Ces tendances apparaissent clairement dans l’analyse des principaux produits : les fibres textiles, les peaux et le caoutchouc.

6.1.2.1 Les fibres textiles : soie et laine

7L’agriculture américaine ne peut pas fournir tous les approvisionnements en fibres textiles que réclament les industriels. Le climat ne s’y prête pas dans le cas du jute, du sisal ou de certaines variétés de chanvre. Le coût de la main d’oeuvre constitue un obstacle insurmontable à la production de soie ou de laines à tapis de basse qualité. Même le coton fait l’objet d’importations. Les Etats-Unis, en effet, ont beau dominer le marché mondial de ce produit, ils doivent s’adresser à l’Egypte pour obtenir les 20 à 30 000 tonnes de la variété à longue fibre dont ils ont besoin à la fin du siècle.

8A New York, les importations de fibres textiles décuplent entre 1860 et 1900 (cf. graphique 16, p. 135). Dans les années qui suivent immédiatement la guerre, les fortes fluctuations reflètent les rythmes conjoncturels de l’économie, ainsi que les vicissitudes particulières des entrées de laine. La hausse rapide qui suit s’achève vers 1885, les importations se maintenant entre 150 000 et 200 000 tonnes jusqu’à la fin du siècle.

9Parmi les fibres, la soie joue un rôle plus important par sa valeur que par son poids. Les Etats-Unis sont dans l’impossibilité de la produire chez eux, car les salaires y sont trop élevés par rapport à ceux qu’on verse en Chine, en France ou en Italie. En important la matière première, il est permis d’espérer concurrencer les industriels européens. La politique protectionniste suivie à partir de la guerre de Sécession permet aux entrepreneurs américains de s’affirmer grâce à la modernisation de leur outillage. En quelques décennies se développe un rival sérieux qui entame la suprématie lyonnaise. La région new-yorkaise figure au premier rang dans cette branche. Le moulinage s’opère principalement dans le Connecticut et le Massachusetts, puis le matériau ainsi préparé est expédié à Paterson, à West Hoboken ou à New York City pour y être transformé en rubans et en étoffes. Comme il s’agit d’articles très légers et de haute valeur, les usines se localisent près du marché le plus riche des Etats-Unis ; les mouvements de déplacement correspondent simplement à une volonté de minimiser les coûts de production.

Source du graphique 16 : C & N.

GRAPHIQUES 16 graphique 16 (a) : IMPORTTIONS DE FIBRES TEXTILES ET DE LAINE A NEW YORK (en milliers de tonnes)

10Les usines traitant la soie quittent New York City pour s’installer à Paterson où les impôts locaux sont moins lourds, le terrain moins cher et la main d’oeuvre composée de femmes et d’enfants d’ouvriers métallurgistes, bon marché, ou, pour les mêmes raisons à la fin du siècle, dans la région des mines d’anthracite de Pennsylvanie – au maximum à 200 kilomètres de Manhattan, où résident les principaux importateurs de soie grège. On en compte une trentaine vers 1880 opérant pour leur propre compte ou à titre d’agents de firmes de Yokohama, de Shanghai, de Hong Kong ou de Lyon.

11Jusqu’à l’ouverture du chemin de fer transcontinental en 1869, la soie de Chine arrivait directement à New York par voiliers. Le monopole est brutalement entamé par l’établissement de la liaison terrestre entre San Francisco et la côte Est. La soie grège a une telle valeur unitaire qu’elle peut supporter des frais de transport relativement élevés. Les voiliers, trop lents, perdent ce trafic. Les steamers eux-mêmes qui devraient profiter de l’ouverture du canal de Suez, la même année, ne peuvent rivaliser avec la route plus rapide du Pacifique. Aussi en 1872/3, New York n’importe-t-il plus que 27 % de la soie entrée aux Etats-Unis au lieu de 99 % quatre ans plus tôt. San Francisco est désormais le port d’entrée naturel de ce produit quand il vient directement d’Extrême-Orient. Heureusement une partie de l’approvisionnement continue à transiter par Londres et Marseille – ce qui permet aux industriels d’échapper aux malversations de certains commerçants chinois4.

12Les pratiques frauduleuses nuisent à la réputation des soies chinoises et poussent les Américains à acheter une part croissante de leurs besoins au Japon où la production est sérieusement contrôlée. Comme San Francisco bénéficie d’incontestables avantages de localisation par rapport à New York dans les relations avec Yokohama, le port de l’East River voit son pourcentage des importations décliner et atteindre son nadir au début des années 1880. Suit un remarquable rétablissement qui se poursuit jusqu’en 1892/3, avec un record de 1614 tonnes. Deux explications rendent compte de ce retournement. La première réside dans le changement qui intervient dans les zones d’approvisionnement : de plus en plus, les industriels américains achètent des soies européennes, principalement italiennes, qui viennent directement de Naples. Elles coûtent plus cher que les soies extrême-orientales mais leur qualité est jugée meilleure pour la fabrication d’étoffes unies où il faut éviter tout défaut visible. Dans ce cas, la remontée de New York est liée à la fréquence de ses liaisons maritimes avec la Méditerranée. La seconde explication tient aux transformations de la législation douanière : une partie de la soie dédouanée à New York est en fait entrée via San Francisco où elle n’a pas été enregistrée avant d’être expédiée par voie ferrée vers la côte Est. A la fin du siècle cependant, la géographie semble imposer sa loi : seules, les routes de la soie italienne et française aboutissent à New York, soit 25 % des quantités et 30 % de la valeur des importations.

13Toute autre est l’évolution du commerce de la laine. Non seulement il met en jeu des quantités beaucoup plus considérables pouvant atteindre 50 000 tonnes, mais il est marqué par une histoire tarifaire complexe et une localisation industrielle différente. Alors que la soie grège entre en franchise, la laine est constamment au coeur des controverses douanières, tout comme le sucre. Avant la guerre de Sécession, elle entrait libre de droits sauf pour les qualités les plus chères. Le tarif Morrill (2 mars 1861) lui fait perdre ce statut privilégié ; trois ans plus tard, on passe d’une protection très modérée à l’établissement de barrières rigoureuses qui sont renforcées, une fois la paix revenue. En effet, la famine de coton a augmenté sensiblement la demande, mais l’offre n’a pas tardé à répondre, aussi bien aux Etats-Unis que dans les pays neufs de l’hémisphère Sud. Les éleveurs de moutons américains exigent d’être protégés contre ces concurrents ; ils le font savoir lors de la convention de Syracuse, dans l’Etat de New York, en 1865. Leurs revendications se heurtent à celles des industriels de la Nouvelle-Angleterre qui désirent travailler une manière première bon marché pour résister à la concurrence de leurs rivaux anglais, français et allemands. Les deux groupes de pression sont donc amenés à passer un compromis par lequel tous les droits seront relevés, aussi bien ceux qui concernent la laine brute que les lainages ; le consommateur américain fera les frais de la conciliation des intérêts contradictoires. Le Congrès ratifie l’arrangement le 2 mars 1867. Les laines sont classées en trois catégories : à carder, à peigner et à tapis, avec chacune deux sous-classes ; les droits spécifiques atteignent des niveaux très élevés et pour renforcer leur poids, on y ajoute, pour les deux premières classes, des droits ad valorem. En dépit de quelques petits allègements en 1883 et 1890, cette structure tarifaire reste stable jusqu’au vote du tarif Wilson-Gorman (27 août 1894), qui admet la laine en franchise, alors que le sucre est réimposé. Cette brève expérience libérale ne dure pas plus de trois ans et s’achève avec le tarif Dingley (24 juillet 1897) qui revient en partie à la situation antérieure5.

14Dans le dernier tiers du XIXème siècle, la laine est généralement un produit lourdement taxé pour défendre les intérêts des éleveurs du Middle West. Sans qu’ils en tirent d’ailleurs tout le profit escompté, car le développement de l’élevage dans le Far West leur fait une vive concurrence. Des barrières douanières élevées ne sont pas nécessairement une garantie du maintien des prix car l’offre mondiale excédentaire, privée d’une partie du marché américain, entraîne une baisse des cours qui se répercute inévitablement sur le marché intérieur. Enfin, les éleveurs américains ne peuvent pas produire toutes les qualités désirées. Les races locales ne sont pas adaptées à la fourniture de laine à tapis ; un tel élevage, qui procure un faible rendement, ne serait pas rentable dans les conditions économiques de l’agriculture américaine. A l’opposé, le climat interdirait de produire des laines à peigner de qualité supérieure – celles qui servent de matériau aux beaux tissus anglais et français. Les importations restent donc inévitables6.

15En poids, entre 1883/4 et 1899/1900, les laines à tapis représentent 66 % des importations américaines, les laines à carder 28$ et les laines à peigner 6 %. A New York, les pourcentages respectifs sont 83 %, 16 % et 1 % . La différence s’explique par la localisation des industries lainières. Les filatures et les tissages sont installés en Nouvelle-Angleterre et à Philadelphie. La région new-yorkaise n’emploie guère plus de 2 % des effectifs de la branche. En 1900, on ne compte de grands établissements qu’à Passaic. Dans la fabrication des tapis, au contraire, sa position est beaucoup plus favorable : elle occupe un peu plus de 20 % des salariés de la branche. A Yonkers, dans la banlieue Nord, est installée une des plus grandes usines des Etats-Unis. Cependant le port de New York dans sa fonction d’importateur de laine travaille pour un marché plus vaste que les industries de sa région. Il prive Boston d’une partie du trafic de sa zone d’influence naturelle et capte à son profit la demande qui émane de Philadelphie. Jusqu’à la seconde moitié des années 1880, il maintient, bon an mal an, des parts de marché voisines de la moitié des importations (cf. graphique 16 b, p. 135). Par la suite, Philadelphie accroît son pourcentage, tandis que Boston tend à conquérir à partir de 1889/90 le premier rang et à s’affirmer comme le premier marché de la laine aux Etats-Unis, à l’exception des années où s’écroulent les entrées enregistrées.

16Les quantités de laine importées à New York augmentent en moyenne de 3 % par an (cf. graphique 16 a, p. 135). Les fluctuations sont pratiquement les mêmes que celles qu’on enregistre pour les Etats-Unis, à l’exception de la fin du siècle, où elles présentent un profil plus atténué, à cause de la plus grande régularité de la demande de laine à tapis. Pendant la guerre de Sécession, en dépit d’une augmentation des droits et d’un doublement de la production nationale, les importations bondissent prodigieusement car il faut équiper les armées nordistes et trouver un substitut au coton. En 1863 et 1864, un peu plus de 40 % de la laine consommée aux Etats-Unis provient de l’étranger. La hausse du tarif et l’arrêt progressif des fabrications de guerre mettent un terme à cette période euphorique pour les importateurs. Le sursaut de 1866 traduit simplement le désir de devancer l’adoption de la législation protectionniste réclamée par les éleveurs depuis la convention de Syracuse. Les stocks accumulés provoquent un effondrement des prix contraire aux anticipations des promoteurs du tarif et une série d’années désastreuse pour cette branche des affaires. Avec un certain délai, les éleveurs du monde entier ajustent les effectifs de leurs troupeaux à cette situation de crise et, quand la demande retrouve un tonus vigoureux en 1870, les cours de la laine s’envolent jusqu’au printemps 1872. Comme le produit de la tonte américaine stagne, il faut importer à New York des dizaines de milliers de balles d’Angleterre, de Russie, du Cap et du Rio de la Plata, un peu même directement d’Australie, alors que d’ordinaire ce type de laine transite par les ports du Royaume-Uni7.

17Le boom produit une dynamique économique comparable au précédent. L’offre de laine croît, les prix baissent. Les importations, soumises à des droits spécifiques, sont découragées. En outre, la longue dépression qui affecte alors l’économie américaine réduit fortement la demande intérieure. Cette longue pénitence s’achève en 1879/80 , une brillante année d’expansion industrielle. Cette fois encore, la production nationale ne suffit pas ; les filatures doivent acheter de la laine importée principalement d’Angleterre et de France, mais dès l’année suivante, les entrées tombent de 25 000 à 15 000 tonnes. En effet, les éleveurs américains accroissent les effectifs de leurs troupeaux, surtout dans l’Ouest, et atteignent en 1885 un record de production avec une tonte évaluée à 140 000 tonnes, ce qui réduit la part des laines étrangères à moins de 20 % de la consommation. Ensuite, la tendance se renverse. La demande augmentant avec l’expansion démographique, les importations deviennent de plus en plus nécessaires. L’industrie du tapis, grâce aux nombreux perfectionnements apportés depuis les inventions de Bigelou, conquiert un vaste marché populaire. Comme elle ne peut trouver sa matière première en quantités suffisantes aux Etats-Unis, elle doit s’approvisionner dans le Royaume-Uni, en Russie, en Argentine, en Chine et en Turquie, épisodiquement en France. Pour les laines à carder, la réforme tarifaire de 1883 a quelque peu atténué le poids de la taxation douanière ; à cela s’ajoute l’effet incitatif de la baisse du prix mondial encouragée par l’expansion de l’offre dans les pays neufs de l’hémisphère Sud. Les industriels américains peuvent désormais se lancer dans la production de tissus de qualité qui exigeaient auparavant l’emploi de laine peignée (worsted), alors que les progrès techniques permettent désormais d’utiliser la laine cardée à fibre courte. Aussi, dans la dernière décennie, la laine étrangère entre-t-elle environ pour un tiers de la consommation américaine. La très forte irrégularité des fluctuations est imputable aux anticipations concernant la législation douanière. S’attend-on à ce que les démocrates réalisent enfin leurs promesses libérales, et les importations s’effondrent en 1893/4, dans l’attente de l’institution de la franchise douanière. Au contraire, que les républicains triomphent à l’élection de 1896 et l’on est assuré d’un retour au tarif McKinley. D’énormes quantités sont importées avant la mise en application du tarif Dingley – surtout de laine cardée et peignée, ce qui explique la chute de la part de marché de New York. Inversement, celle-ci remonte, les années suivantes, quand la laine à tapis, qui est son point fort, retrouve sa prééminence dans les échanges8.

18En tonnage, ce sont les autres fibres textiles qui dominent le trafic pendant les deux dernières décennies du siècle. Non pas le lin et le chanvre que l’industrie américaine travaille peu, mais essentiellement des fibres tropicales : chanvre de Manille, sisal et ixtle du Mexique, jute du Bengale. A partir du tarif McKinley elles entrent en franchise, car elles ne font pas de concurrence à des matières premières nationales. Les Etats-Unis en ont besoin pour leur industrie des sacs d’emballage, de la chapellerie ou des cordages. Cette dernière est particulièrement bien représentée à New York où elle emploie un quart de la maind’oeuvre américaine de la branche. Grâce à l’importance de ses liaisons maritimes avec l’Inde, les Philippines et le Yucatan, le port de l’Hudson domine ces courants de trafic, sauf dans la dernière décennie où Boston lui fait une vive concurrence qui explique la stagnation des importations de fibres à la fin du siècle9.

6.1.2.2 Les peaux

19Par son poids comme par sa valeur, le commerce des peaux joue un rôle important dans le trafic de New York. Malgré le développement de l’élevage dans les plaines de l’Ouest, les industriels américains du cuir doivent compléter leurs approvisionnements à l’étranger, non seulement en peaux de boeuf, mais aussi de veau, d’agneau et de chevreau. New York n’est pas à cette époque un centre prépondérant de l’industrie de la tannerie : en 1860, la région urbaine emploie 6,8 % de la main d’oeuvre de la branche, en 1900, 8,2 %, principalement à Newark. En effet, les tanneurs s’installent de préférence près des sources de matières premières, peaux et produits tanins. Or celles-ci ont tendance à glisser vers l’Ouest. Pour les peaux, par exemple, Chicago et Miwaukee bénéficient de la proximité des grands abattoirs ; quant à l’écorce de chêne ou de hemlock qui fournit l’essentiel des agents tanins utilisés aux Etats-Unis, l’épuisement des forêts proches de la côte atlantique contraint à installer des tanneries plus à l’intérieur de la Pennsylvanie, dans le Nord-ouest de l’Etat de New York et en Ohio. Défavorisée par ces mouvements intérieurs, la région new-yorkaise trouve des remèdes à l’extérieur. Elle importe des tanins tropicaux : cachou du Bengale, gambir de Malaisie, sumac de Sicile. D’autre part, elle redistribue les peaux achetées à l’étranger vers les centres industriels de la Pennsylvanie et de la Nouvelle-Angleterre10.

GRAPHIQUES 17 graphique 17 (a) : IMPORTATIONS DE PEAUX ET DE FOURRURES A NEW YORK, en millions de dollars (années fiscales) graphique 17 (b) : IMPORTATIONS DE PEAUX DE GROS BETAIL A NEW YORK, en millions (années civiles) graphique 17 (c) : PART DE NEW YORK DANS LES IMPORTATIONS DE PEAUX ET DE FOURRURES (en %)

20A la différence de la laine, les peaux ne font guère l’objet de controverses douanières. Avant la guerre de Sécession, elles étaient frappées d’un droit de 5 % ad valorem, augmenté à 10 % en août 1861. La loi de 1872 les admet en franchise. En 1897, désireux d’apaiser le mécontentement des éleveurs de l’Ouest, le Congrès impose une taxe de 15 % sur les grandes peaux, mais refuse de changer le régime des peaux de chevreau et de mouton indispensables pour la fabrication des dessus de chaussures que les troupeaux américains sont loin de pouvoir approvisionner en quantités suffisantes.

21Malgré la concurrence de Boston et, à un moindre degré, de Philadelphie, plus proches des centres de transformation, New York reste en permanence le principal marché d’importation des peaux aux Etats-Unis (cf. graphique 17 c, p. 141). D’une année sur l’autre, sa part représente en moyenne 70 % de la valeur des entrées. Sa spécialité, ce sont les cuirs pour semelles de chaussures tannés à l’écorce de kemlock, travaillés dans le quartier du Marais (Swamp). Dans ce domaine il est considéré comme le plus grand marché du monde, bien avant Liverpool, Londres, Anvers ou Le Havre. En valeur, les importations progressent constamment avec deux accélérations marquées en 1879/80 et à la fin du siècle, en dépit du tarif Dingley (cf. graphique 17 a, p. 141). La première hausse, liée au boom d’une année exceptionnelle, est imputable aux difficultés que rencontrent les tanneurs de la côte atlantique à se procurer assez de matières premières d’origine nationale. Les expéditions de bétail vivant vers le Royaume-Uni diminuent l’offre américaine et les grands abattoirs de Chicago cherchent de plus en plus à valoriser eux-mêmes sur place ce sous-produit. C’est pourquoi les importateurs new-yorkais doivent se tourner vers les pays où le bétail n’est pas élevé pour sa viande avant l’invention des navires frogorifiques, c’est-à-dire vers le Rio de la Plata (Argentine et Uruguay), le Sud du Brésil, le Venezuela, le Mexique, la côte pacifique de l’Amérique du Sud qui expédie ses marchandises par l’isthme de Panama, plus accessoirement vers l’Afrique du Sud et la Chine, sans oublier l’Europe qui réexporte souvent vers le marché de New York les grandes peaux que ses commerçants achètent en Amérique Latine et qu’ils se font livrer plus facilement grâce à des liaisons maritimes à vapeur plus fréquentes, ou les peaux dites "anglo-américaines" du bétail expédié vivant des Etats-Unis. De l’Inde britannique viennent les peaux de buffles et de chevreaux, d’Australie celles de kangourous11.

22Dans le commerce des peaux, comme dans d’autres branches, les importateurs voient leur rôle décliner, au point qu’en 1892 le trafic est concentré dans les mains d’une poignée de firmes. L’année suivante, le trust du cuir, la United States Leather C°, réunit les utilisateurs de grandes peaux pour semelles de chaussures. On lui impute, à tort semble-t-il, la baisse dès prix dans les mois qui suivent. En fait, il n’est guère possible de contrôler les cours d’une marchandise qui n’est elle-même qu’un sous-produit. Les délais d’élaboration que nécessité l’opération du tannage rendent toute spéculation risquée. Le tanneur qui a acheté quand les cours étaient élevés se retrouve ruiné si les prix s’effondrent trois mois plus tard ; au contraire, il fait de superbes profits s’il a acheté sa matière première quand elle était bon marché et peut la revendre, élaborée, quand le cuir fait l’objet d’une demande active. Tel est le cas en 1895 où la crainte de la rareté fait s’envoler les cours d’avril à juillet avec une hausse correspondante des importations, tandis que l’année suivante est marquée par une sombre dépression (cf. graphique 17 b, p. 141). Si la U, S. Leather C° ne peut imposer sa loi en matière de prix, elle élimine les importateurs et les intermédiaires, elle possède ses propres agents à Buenos Aires, Montevideo, Calcutta, au Brésil, en Chine et même en Europe, chargés d’acheter pour son compte des peaux qu’ils lui expédient directement. A la fin du siècle, le port de New York est toujours le point d’entrée principal des marchandises de la Plata, mais elles n’y font plus l’objet de transactions. Bref, New York a cessé d’être un point de distribution des peaux. La tendance s’accentue en 1899 quand se constitue dans l’industrie des cuirs légers une concentration comparable à celle qui s’est effectuée six ans auparavant pour les cuirs lourds, avec la formation de l’American Hide and. Leather C° 12.

6.1.2.3 Le caoutchouc

23On retrouve une évolution presque semblable dans les importations de caoutchouc : une croissance relativement régulière avec une accélération à la fin du siècle, une concentration en deux grandes entreprises en 1892, la United States Rubber C” qui contrôle la production des chaussures et des bottes de caoutchouc, et la Mechanical Rubber C° qui domine le secteur des tuyaux et des courroies ; cependant la matière première qui vient principalement des forêts de l’Amazone où on l’exploite selon des techniques de cueillette primitives, ne peut pas être intégrée dans l’organisation des firmes industrielles13.

6.2 Les importations de biens intermédiaires et d’équipement

24Comme certaines matières premières, les biens intermédiaires et d’équipement sont plus remarquables dans le trafic portuaire par leur poids que par leur valeur. Leur masse volumique constitue un lest précieux. Ils jouent un rôle important dans deux domaines : la métallurgie et la chimie.

6.2.1 la métallurgie des métaux ferreux et non-ferreux

25Après la guerre de Sécession, les traits dominants du commerce d’importation des produits sidérurgiques à New York et aux Etats-Unis sont d’une part l’ampleur des fluctuations jusqu’aux années 1880, de l’autre, l’écroulement du trafic dans la dernière décennie du XIXème siècle (cf. graphique 12 a, p. 80). En effet, les importations ne sont qu’un résidu. Elles suppléent les défaillances momentanées de la sidérurgie américaine. Dans le secteur des biens d’équipement, les investissements ont une longue période de gestation, les brusques sursauts de la demande ne peuvent donc pas être satisfaits immédiatement par l’offre nationale, aussi longtemps que les capacités de production ne disposent pas d’excédents permanents. Or jusque vers 1890, les Etats-Unis construisent leur infrastructure de transports ferroviaires. Les besoins en fer et en acier sont immenses en période d’activité fébrile, quand toutes les compagnies, au même moment, font des investissements nouveaux ou changent le matériel usé. Par rapport à cette cause première, les variations du tarif douanier jouent un rôle mineur, sauf pour le fer blanc.

26Pendant la guerre civile, l’activité sidérurgique, déprimée au début des activités, n’avait pas tardé à connaître une brillante reprise. En 1864, par exemple, la production de fonte dépassait de 25 % le niveau atteint en 1860. La paix revenue, l’expansion se poursuit, stimulée par la construction ferroviaire qui avait stagné pendant les hostilités. Or pendant trois ans, de 1869 à 1871, la production américaine de fonte stagne. Une partie des rails a beau être fabriquée à partir de rails usés envoyés à la ferraille, il n’en reste pas moins que les usines ne réussissent pas à satisfaire une forte demande passée de 500 000 à 1 200 000 tonnes entre 1867 et 1872. Aussi, à New York, les importations de rails atteignent-elles leur record pour le tonnage en 1870/72 et en 1872/3 pour la valeur, du fait d’une hausse des prix FAB de 31 % en un an14.

27Dès que le boom ferroviaire s’arrête et que la crise financière de septembre 1873 marque le début d’une longue récession, les importations s’effondrent. On construit de moins en moins de voies nouvelles et, comme en 1873 la production américaine de fonte a connu un bond prodigieux qui porte ses capacités autour de 2,5 millions de tonnes, il n’y a bientôt plus de place pour les produits anglais et écossais, sinon dans des emplois marginaux. Les articles américains les égalent en qualité et l’effondrement des cours, de 64 % entre 1872 et 1878, interdit toute perspective de rentabilité sur le marché des Etats-Unis. Seules les tôles de fer blanc échappent au marasme car l ’industrie sidérurgique américaine n’en fabrique pas, alors que les besoins des conserveurs continuent à progresser.

28Après avoir duré cinq ans et demi, la récession s’achève brutalement au printemps 1879. Les compagnies ferroviaires ont négligé l’entretien de leur matériel pour économiser sur les dépenses ; il est urgent de remplacer les rails de fer usés, si possible avec des rails d’acier, mais comme ce produit souffre temporairement d’une pénurie, force est de se rabattre en 1879/80 sur les rails de fer importés. En outre, l’expansion économique suscite de nouveaux projets dans l’Ouest et le Sud ; la vague de constructions nouvelles atteint son sommet en 1882. Entre temps, la sidérurgie américaine a fait de tels progrès que la demande intérieure a absolument et relativement moins besoin des fournitures européennes pour équiper le réseau. Les importations de rails restent donc pendant ce boom inférieures à ce qu’elles avaient été lors du précédent, principalement à New York qui est de plus en plus éloigné des principaux chantiers de construction. En fait, la hausse soudaine du tonnage en 1879/ 80 – il dépasse un million de tonnes cette année-là, soit 30 % du volume des importations totales – est imputable surtout à deux produits : la ferraille et la fonte en gueuse. Les maîtres de forges américains s’étant laissé surprendre par la vivacité de la reprise économique, il leur faut faire appel aux fontes britanniques qui ne sont pas l’objet d’une demande aussi dynamique dans leur pays. La ferraille, en général des rails usés, est nécessaire pour alimenter les nouveaux équipements sidérurgiques ; elle a l’avantage de constituer un excellent lest pour les nombreux voiliers affrétés pour le transport des céréales qui ne trouvent guère d’autre produit à apporter d’Europe15.

29La prospérité des importations de produits sidérurgiques ne dure guère plus de quatre ans. Le sommet qui couvre les années fiscales 1880-1883 précède la chute définitive. Sans doute, pendant le reste de la décennie, n’enregistre-t-on pas d’effondrement comparable à celui des années 1870, car il s’agit d’une période d’expansion économique et la sidérurgie américaine, en dépit de ses progrès considérables, n’est pas en mesure de satisfaire l’intégralité de la demande interne. Le pays doit importer du spiegel, des ferro-manganèses, parfois même lors du boom de 1886/7, de l’acier et de la ferraille, mais très peu de rails. La preuve que les Etats-Unis ont atteint désormais leur indépendance économique, c’est qu’en 1887, année record de construction ferroviaire avec plus de 20 000 kilomètres de voies, les importations de rails sont relativement faibles par rapport aux autres sommets de 1871 et de 188216.

30Dans la dernière décennie du XIXème siècle, les importations de produits sidérurgiques jouent un rôle de plus en plus mineur dans le trafic du port de New York . Le fer blanc qui était resté jusqu’alors l’élément le plus stable des échanges dépérit à son tour sous le coup de la législation douanière. Celle-ci, on l’a dit, n’explique pas les variations conjoncturelles des entrées d’articles sidérurgiques déterminées essentiellement par l’état de la demande et des capacités de production intérieures. A long terme, néanmoins, on ne peut exclure l’hypothèse que le tarif douanier a découragé les importations. L’adoption de droits spécifiques à partir de 1861 représente un handicap de plus en plus lourd pour les maîtres de forges étrangers à partir du moment où, sous l’effet de progrès techniques incessants, les prix mondiaux ne cessent de baisser. L’équivalent ad valorem tend à croître en phase de récession, à diminuer en période de boom. C’est une des raisons de l’augmentation des importations en 1879/80, mais par la suite le rôle semble faible car les entrées ne réagissent pas par exemple à d’amples fluctuations de l’équivalent ad valorem pour la fonte (46 % en 1893, 20 % en 1900). Pour le fer blanc, il en va tout autrement. Avant 1890, les Américains devaient s’approvisionner au Pays de Galles. A New York, les importations qui s’élevaient à 50 000 tonnes dans les années 1870 avaient plus que doublé la décennie suivante. Pour pallier cette lacune, le tarif McKinley, en application de la doctrine de la protection d’une branche naissante, augmente le droit de un à 2,2 cents par livre à compter du 1er juillet 1891. Un délai de six ans est accordé aux industriels américains pour couvrir au moins le quart des besoins nationaux, à défaut de quoi le fer blanc sera admis en franchise. La législation est couronnée de succès, les sidérurgistes gallois préférant installer de nouveaux établissements aux Etats-Unis que perdre leur principal marché. En 1899/1900, les importations ne représentent plus que 22 % de la consommation du pays. Pour New York, le coup est sévère et les entrées de produits sidérurgiques atteignent leur nadir à la fin du siècle17.

31Les variations de la part de New York dépendent des changements structurels de la consommation de marchandises étrangères (cf. graphique 12 b, p. 80). Si on exclut les années de la guerre de Sécession, elles semblent relativement limitées puisqu’elles oscillent entre 45 % et 60 %. Les mouvements enregistrés entre 1883/4 et la fin du siècle ne sont en fait que le reflet des positions new-yorkaises dans les entrées de fer blanc. Au début des années 1880, New York importait près de 60 % du total des tôles achetées au Pays de Galles ; à partir de 1884/5 sa part s’effrite et se maintient autour de 40 % entre 1887/8 et 1895/6. Les autres ports s’approprient à leur tour une partie de ce commerce, le seul qui reste fructueux dans la branche sidérurgique avant le vote du tarif McKinley. Ainsi, en 1889/90, Philadelphie en importe 16 %, Baltimore 14 %, San Francisco 6 %, Boston 4 %, sans oublier les districts de l’intérieur Chicago (7 %) et St Louis . Dans d’autres lignes de produits, la concurrence est vive, comme dans le cas des importations de fer en barres où Boston dispose d’excellentes positions grâce à ses relations maritimes avec la Grande-Bretagne et la Suède. Au total, New York est bien le premier marché d’importation d’articles sidérurgiques et métallurgiques mais, comme il s’agit d’un marché en fort déclin, ce n’est pas un point à son avantage. A la fin du siècle, d’ailleurs, c’est plutôt un marché d’exportation – signe irrécusable de la maturité atteinte par les Etats-Unis et de leur accession au rang de première puissance industrielle du monde.

32Par comparaison avec les produits sidérurgiques, les métaux non-ferreux jouent un rôle réduit dans le trafic portuaire. Les Etats-Unis bénéficient de ressources naturelles suffisantes, sauf pour l’étain nécessaire à la fabrication du bronze, de la soudure et du fer blanc. Les mines de cassitérite s’avérant insuffisantes, il faut augmenter, surtout après le tarif McKinley, les importations de Malaisie, directes ou en transit par l’Angleterre. Ces dernières atteignent 28 000 tonnes en 1899/1900. Quant au plomb dont les entrées du Mexique varient de 30 000 à 50 000 tonnes au début des années 1870 ou dans la dernière décennie, presque tout est réexporté vers l’Europe.

6.2.2 Les produits chimiques

33Si la sidérurgie américaine devient la première du monde à la fin du siècle, il n’en va pas de même de l’industrie chimique. Celle-ci reste en retard sur ses rivales anglaise et allemande. Elle doit importer de l’étranger nombre de ses matières premières et des produits semi-transformés. La courbe des importations ne présente ni les mêmes fluctuations, ni le ralentissement de la croissance caractéristiques de la branche sidérurgique. Au contraire, la dernière décennie est celle où les entrées atteignent leur sommet et la hausse de 1879/80 crée un nouveau palier à partir duquel s’effectuent les progrès ultérieurs, au lieu de représenter un moment exceptionnel dans une évolution très agitée. L’ensemble des produits chimiques représente à New York un volume de 300 000 tonnes en 1879/80 et de 400 000 tonnes à la fin du siècle, la moitié consistant en soude et en soufre18.

34Comme la plupart des produits chimiques importés ne font pas de concurrence à l’industrie américaine, le tarif douanier devient de plus en plus libéral. A la fin de la guerre de Sécession, seuls les bois tinctoriaux, l’indigo, la garance et la cochenille entraient en franchise. Ils sont rejoints en 1870 par les gommes, le cachou, le tartre, le nitrate de soude et le soufre, en 1872 par le camphre et le chlorure de chaux, en 1883 par le shellac, la réglisse et le chlorure de potasse. Pour les produits qui restent soumis en permanence à des droits les barêmes qui n’avaient guère été modifiés dans le tarif McKinley sont abaissés dans la loi de 1894, mais le tarif Dingley revient sur certaines de ces concessions19

35Pour le port de New York, les produits chimiques représentent, par leur volume mais aussi par leur valeur, de précieux éléments de cargaison pour les armateurs inquiets du déséquilibre aux entrées et aux sorties. L’Allemagne expédie ses colorants et le chlorure de potasse, la Grande-Bretagne la soude et le chlorure de chaux, sans compter toutes les marchandises qui transitent par ses ports, la France de la glycérine, du tartre et des extraits de bois tinctoriaux. En Méditerranée, les Etats-Unis trouvent une source d’approvisionnement essentielle : en Sicile pour le soufre, le sumac et le tartre, en Turquie pour la réglisse et l’opium. Les Antilles et le Mexique envoient des billes de bois de Campêche, le Chili du nitrate de soude, le Japon du camphre et un peu de soufre, l’Australie et la Nouvelle-Zélande des gommes, mais celles-ci viennent surtout de l’Inde britannique, en compagnie de l’indigo, du salpêtre, du cachou, du gambir et du shellac. Pour nombre de ces produits, New York est de loin le premier port d’importation des Etats-Unis ; il reçoit environ la moitié de la soude et du soufre, mais il doit céder ce rang à Boston pour les entrées de sumac destiné à la tannerie ou de chlorure de chaux, matière première de l’eau de Javel. Par la diversité de leurs origines géographiques, les produits chimiques contribuent au rayonnement mondial du port. A la différence des articles manufacturés qui viennent presque uniquement d’Europe20.

6.3 Les importations de biens de consommation

36L’industrialisation des Etats-Unis a pour effet de réduire l’importance des biens de consommation importés dans la consommation américaine. C’est pourquoi les articles manufacturés sont la catégorie qui décline relativement le plus. En même temps, la hausse du niveau de vie encourage la diversification des besoins ; la liste des marchandises importées s’allonge, mais l’essentiel concerne les textiles et les denrées.

6.3.1 Les articles textiles

37Les importations de textiles qui constituaient le fleuron du commerce international new-yorkais avant la guerre perdent peu à peu ce statut éminent, victimes de la stratégie de substitution. Harold G. Vatter a calculé qu’entre 1860 et 1900 un cinquième de l’accroissement de la production industrielle américaine à usage interne est dû au remplacement des importations par des articles fabriqués en Amérique. Pour les textiles, le pourcentage est certainement plus élevé, la courbe de leurs entrées ne présentant aucune tendance significative (cf. graphiques 10, p. 78). En dépit de fortes fluctuations, la moyenne à New York reste proche de 100 millions de dollars : 102 millions en 1859/60, 92 en 1899/1900. Les années de guerre exclues, le maximum est enregistré en 1871/2 (131 millions de dollars), le minimum en 1893/4 et 1897/8 (68 millions). Entre les dates extrêmes, la variation ne va même pas du simple au double et elle serait encore plus faible si on mesurait en dollars constants. Les importations de textiles représentent donc une part de moins en moins grande des entrées à New York. De 44 % de la valeur totale à la veille de .la guerre, elles tombent à 39,7 % en 1865/6, puis à 37,1 % l’année suivante et à 30 % immédiatement après – un seuil qui n’est plus dépassé à partir de 1871/2. Dans les années 1870 et 1880, elles se stabilisent autour du quart du total, la dernière décennie du siècle étant marquée par une rechute, irrégulière à cause des changements de tarifs, jusqu’à un minimum de 16 à 17 %. Elles ne jouent plus alors ce rôle de pôle d’attraction qui avait fait la grandeur du port avant la guerre. Cela n’empêche pas New York de rester le grand marché des dry goods, mais on y traite surtout des articles fabriqués dans le pays, dans les usines de la région, de la Nouvelle-Angleterre ou du Sud. Son prestige repose de plus en plus sur son industrie de la confection masculine et féminine, les importations prenant progressivement un caractère résiduel dans les créneaux que les industriels américains ne peuvent encore occuper, pour des raisons de savoir-faire ou de coûts de production

38Les différents types de textiles connaissent une évolution grossièrement semblable. Lainages, cotonnades, soieries, tissus de chanvre, de lin et de jute obéissent aux mêmes rythmes conjoncturels, avec des amplitudes plus ou moins fortes. Partout le marasme sévit au début de la guerre de Sécession ; seule les lainages tirent rapidement leur épingle du jeu à cause de la famine du coton. L’année 1865/6 qui suit le retour à la paix semble annoncer une reprise des habitudes de consommation antérieures, quoique la pointe soit exacerbée d’une manière un peu artificielle par les discussions sur le tarif concernant les laines. En fait, ce sommet ne sera pas souvent dépassé. La dépression qui débute en 1866 et s’approfondit en 1867, fait immédiatement sentir ses effets ; en deux ans les importations totales de textiles tombent de 119 à 72 millions de dollars. Il faut attendre l’amorce du boom qui commence en janvier 1871 et se prolonge jusqu’à l’automne 1873 pour assister à une vigoureuse reprise du commerce qui atteint son apogée en 1871/2 (131 millions de dollars). Continuant à épouser les pulsations de l’économie, le négoce des tissus est ensuite frappé par la longue dépression qui affecte les Etats-Unis jusqu’au début du printemps 1879. Le point le plus bas est atteint en 1877/8 avec 69 millions de dollars, un an avant la reprise grâce à un redémarrage précoce des entrées de soieries. Le boom d’avril 1879-mars 1882 se traduit par des effets comparables au précédent. Les importations augmentent à nouveau ; on enregistre des entrées de 116 millions de dollars en 1881/2, de 124 l’année suivante ; cette fois, les soieries connaissent un arrêt plus précoce que les lainages et les cotonnades. Cette période de prospérité n’est pas suivie, comme la précédente, par une profonde prostration des affaires. Seules, les années 1885/6 sont marquées par une dépression. Aussi les transactions dans cette branche conservent-elles une relative régularité qui contraste avec les oscillations des trois autres décennies. En effet, dans les années 1890, l’influence de la conjoncture est troublée par les modifications des tarifs douaniers. A trois reprises, en 1890, 1894 et 1897, les importateurs doivent anticiper des changements de législation. En 1893/4, l’attente d’une baisse des droits coincide avec une profonde dépression économique : les importations de textiles s’effondrent. Au contraire, pendant la récession qui s’étend sur toute l’année 1896 et sur le premier semestre de 1897, les entrées ne fléchissent pas par rapport à l’année de reprise qu’est 1895 ; il faut y voir l’effet des baisses de tarifs et des anticipations concernant le tarif Dingley, après la victoire républicaine aux élections de novembre 189621.

39Si les effets conjoncturels du tarif sont surtout visibles dans la dernière décennie, cela ne signifie pas que la politique protectionniste adoptée à partir de 1861 n’a pas exercé un frein à long terme sur le mouvement des importations de textiles. Pendant un quart de siècle, de la fin de la guerre à 1890, le poids du prélèvement douanier reste à peu près stable. Seuls, les lainages en 1867 et les soieries en 1883 connaissent un changement • En outre, la légère baisse de 10 % votée en 1872 est annulée trois ans plus tard. Ce calme contraste avec le profil agité de la dernière décennie, mais il s’agit toujours de la même politique protectionniste rigoureuse où l’utilisation de droits spécifiques et mixtes (à la fois spécifiques et ad valorem) dresse une barrière très efficace contre les produits européens. Barrière parfois jugée inutile car l’industrie américaine, très moderne, est capable de résister à ses concurrents étrangers. A l’exception des toiles de jute importées d’Ecosse et d’Inde qui jouissent de la franchise pendant la brève période où s’applique le tarif Wilson-Gorman, les autres articles pâtissent de droits en moyenne élevés : 40 % pour les cotonnades, 60 et 50 % pour les soieries, 70 % pour les lainages. Les possibilités d’importation sur le marché américain sont sérieusement plafonnées22.

40Le port de New York continue à dominer le commerce d’importation des textiles, comme avant la guerre de Sécession (cf. graphiques 11, p. 79). Il accapare au moins 90 % du trafic des soieries qui viennent principalement de France, d’Allemagne, de Suisse et de Grande-Bretagne. Pour les lainages que fournissent dans l’ordre l’Angleterre, la France et l’Allemagne, il doit abandonner un peu de terrain à ses rivaux, Boston et Philadelphie, ainsi qu’à Chicago dont certains négociants importent directement d’Europe à partir du milieu des années 1880. Dans la branche des cotonnades ses positions sont meilleures qu’avant guerre. On n’enregistre de déclin régulier que pour les articles manufacturés de lin, de chanvre et de jute. En effet, San Francisco importe directement de l’Inde les sacs dont ont besoin les expéditeurs de blé de Californie et Boston garde des relations étroites avec Calcutta. Cette relative stabilité des parts de marché détenues par New York montre l’échec des tentatives effectuées par les ports rivaux ou par les grandes villes de l’intérieur d’établir des relations directes avec l’Europe industrielle, comme le permettaient les lois de 1870 et de 1880. Rendant compte de la situation dans sa ville de résidence, le Consul de France à Chicago, Edmond Bruwaerts souligne que la préoccupation constante des commerçants y est d’échapper aux commissionnaires de New York chaque fois que c’est possible et de s’adresser directement aux industriels étrangers. Chaque année, les grandes maisons d’importation de la place envoient des commis en Europe pour comparer les prix et passer des commandes. Le service des douanes de Chicago présente en outre l’avantage d’être moins surchargé de travail que celui de New York. Cependant en 1883, sur 700 millions de francs d’articles étrangers réputés vendus à Chicago, il n’en arrive en ligne directe qu’un peu plus de 52 millions. C’est peu par rapport au trafic qui passe par les négociants new-yorkais23.

41Typique de cette dépendance est le commerce des soieries. Pour réduire le poids des droits de douane ad valorem qui se montent à 50 %, les industriels européens établissent une vingtaine d’agences à New York, succursales auxquelles ils consignent leurs articles manufacturés spécialement pour le marché américain. Le consul local des Etats-Unis ne peut donc se référer à des prix disponibles au lieu de sa résidence pour signaler que les valeurs indiquées sur les factures sont sous-évaluées et frauduleuses. L’astuce consiste à fabriquer une marchandise pour laquelle il est impossible d’établir le véritable coût de production. L’industriel étranger peut alors fixer un prix arbitraire très bas sur lequel sera perçu le droit ad valorem. La barrière protectionniste est ainsi tournée ; on peut de ce fait être un peu sceptique sur la véracité des montants absolus déclarés à la douane. Dans cette affaire, le Trésor américain est lésé, ainsi que le négociant qui cherche à importer directement ; quant à l’industriel américain de la soierie, il n’est pas aussi bien protégé qu’il pouvait l’espérer. De là, de nombreuses plaintes et des enquêtes où l’on se demande si la douane de New York est dupée ou complice des fraudeurs. Marshall Field, le dirigeant du grand magasin de Chicago, incrimine le” Syndicat new-yorkais” ; ”riche à millions, ce Syndicat résiste à tout et autant chercher à se briser la tête contre un mur que d’essayer de le renverser”. Il est impossible de court-circuiter ces commissionnaires. Field a bien essayé d’acheter des soieries pour modes directement en France ; elles lui sont revenues 30 % plus cher que s’il les avait achetées aux agents de New York24.

42Pour mettre un terme à ce genre de fraude, il faudrait passer d’un système de droits ad valorem à des droits spécifiques, mais à cause de la grande diversité des tissus de soie, la tâche s’avère très difficile ; on risque d’obtenir des effets pervers, tant il est illusoire de chercher à établir un "tarif scientifique". C’est pourquoi on retrouve le même type de remarques en 1898 sous la plume du consul H. Mérou. Enumérant les raisons pour lesquelles les marchandises importées à Chicago sont dédouanées à New York, il relève d’abord " l’habitude prise et l’organisation d’ancienne, date” ; ensuite, le choix de la voie la plus économique, par eau ou par chemin de fer, tandis que les marchandises dédouanées à Chicago doivent obligatoirement emprunter le train qui coûte plus cher ; enfin le mécanisme décrit précédemment qu’un grand importateur résumait ainsi : ” Les maisons de Crefeld refusent de nous livrer leurs marchandises autrement que par l’intermédiaire de leurs agents de New York, et il y une question de douane au tond de tour cela” 25.

43Si New York garde sa suprématie dans les importations de textiles, son triomphe est dû à une convergence de causes : ancienneté des maisons locales qui disposent de relations bien établies avec l’Europe et de contacts étroits avec les compagnies de chemin de fer prêtes à leur offrir des concessions de tarifs favorables ; abondance des capitaux qui permettent aux banques d’avancer aisément des fonds pour aider au dédouanement des marchandises ; avantages pour les négociants de l’intérieur qui peuvent faire grouper leurs petites commandes dans une seule caisse – ce qui réduit les frais de transport. L’argument même de l’encombrement de la douane de New York joue au profit du port : les opérations y sont peut-être plus lentes qu’à Chicago, mais comme il faut faire vite, elles sont aussi moins méticuleuses – ce qui permet de frauder plus aisément26. La supériorité new-yorkaise est la même vis-à-vis de Philadelphie. En 1894, une enquête de la Ligue Commerciale de cette ville montre que 81 % des marchandises européennes qui y sont consommées viennent via New York. En 1891, le consul Louis Vossion estimait que plus des sept dixièmes des articles français vendus dans sa résidence passaient par le port de l’Hudson – impression confirmée par des interviews des grands magasins locaux. De l’avis général, il manque à Philadelphie de bonnes liaisons maritimes régulières avec l’Europe pour conquérir son autonomie d’approvisionnement vis-à-vis de la Ville-Empire27.

6.3.2 Les denrées : fruits, vins et alcools

44Ce sont les lignes de navigation qui assurent la domination new-yorkaise dans le commerce d’importation des fruits. Ce trafic met en jeu des tonnages importants : 63 340 tonnes de citrons et d’oranges sont débarqués sur les quais en 1899/1900, plus du double certaines années précédentes ; 40 000 tonnes de pruneaux en 1886/7. Relativement marginale avant guerre à cause de la lenteur des voiliers, cette branche du négoce prend de l’ampleur à partir du moment où, au début des années 1870, des lignes anglaises de navigation à vapeur, telles l’Anchor line, trouvent rentable de s’équiper pour ce commerce très spécialisé. Le niveau de vie croissant des Américains garantit la régularité de la demande, tant que les marges méditerranéennes et subtropicales du pays ne sont pas mises en valeur sous forme de vergers. C’est pourquoi le trafic progresse sans grands à-coups pendant les années 1870 et reçoit une impulsion définitive lors du boom du début es années 1880. Il stagne aux Etats-Unis et fléchit à New York dans la dernière décennie, quand les importations doivent affronter la concurrence des productions de la Californie et de la Floride.

45Les fruits viennent de deux régions : la Méditerranée et le golfe du Mexique. La première fournit les plus grosses quantités : citrons et oranges de Sicile, figues de Turquie, raisins secs d’Espagne et de Grèce, pruneaux de Serbie et de France, amandes et noix d’Espagne et de France. Du Golfe on importe les bananes des Antilles britanniques, de Cuba et de l’Amérique centrale, ainsi que des noix de coco et des oranges. A la fin du siècle, certains de ces fruits sont de moins en moins importés, tels les pruneaux et les raisins secs incapables de résister à la concurrence des vergers californiens protégés par des droits de douane élevés. D’autres se maintiennent grâce aux bas frets maritimes dont ils bénéficient ; d’autres enfin progressent, telles les bananes. Ces changements dans la composition des importations expliquent l’évolution des parts de marché détenues par New York. Pendant les années 1870 et 1880, il enregistre près des trois quarts des entrées. Le recul final est lié au développement du commerce des bananes : New York en importait 50 % en 1883/4, 40 % en 1889/90, mais seulement 19 % en 1899/ 1900. Fruits fragiles, elles sont de plus en plus débarquées dans tous les grands ports, La Nouvelle-Orléans, Boston, Philadelphie, qui desservent leur aire naturelle. Comme, au même moment, certains produits méditerranéens que contrôlait New York sont moins demandés, il est normal que les positions à la fin du siècle soient comparables à ce qu’elles étaient avant 186028.

46Si New York garde la maîtrise du commerce des fruits méditerranéens, c’est à l’évolution des structures du négoce qu’il le doit. Jusqu’à la guerre civile, de grandes maisons d’importation dominaient le marché, achetant directement en Italie ; après le conflit, elles sont progressivement supplantées par des commissionnaires qui se font expédier en consignation les agrumes récoltés par les agriculteurs siciliens soucieux d’éviter les intermédiaires italiens. Enfin, à partir de 1880, ce sont les grandes maisons italiennes elles-mêmes qui établissent leurs propres représentants à New York ; la solidité des liens ethniques leur permet de contrôler la branche29.

47Avant la guerre, le commerce d’importation des vins et des alcools était une des branches les plus prestigieuses du négoce local. Cette prospérité ne devait pas survivre à l’instauration d’un régime ultra-protectionniste. Quelques chiffres en témoignent : en 1859/60, New York importait 187 DOD hectolitres de vins et 131 000 d’alcools ; en 1899/1900, 119 000 hectolitres de vins et 36 000 d’alcools. Et encore sa part de marché s’est accrue de 53 % à 69 % pour les vins ! Le déclin des quantités s’explique par le maintien, voire le renforcement des droits de douane après la guerre de Sécession. La consommation de vin par tête stagne, car les Américains préfèrent de plus en plus la bière ; la production californienne restreint la demande de boissons étrangères. Quant à l’alcool, le whisky et le Bourbon nationaux satisfont les besoins des particuliers et ceux du Trésor fédéral qui prélève des droits d’accise assez élevés pour se dispenser d’éventuelles entrées de cognacs ou de gin30.

48Le tableau des importations à New York laisse une impression de dispersion – et de dispersion croissante, de surcroît. En effet, dans la seconde moitié du XIXème siècle, le commerce international devient de plus en plus complexe ; il porte sur un nombre croissant de produits. Or chaque marchandise, si elle obéit à la conjoncture globale, dépend des relations qui s’établissent entre son offre et sa demande. Quantités, prix, tarifs douaniers, goûts interviennent sans cesse pour façonner les traits de chaque marché particulier. Cependant, de la poussière des observations ressortent quelques fils conducteurs. Le protectionnisme domine sans partage à partir de la guerre de Sécession. Les droits parfois prohibitifs adopté de 1861 à 1864 servent de référence par la suite. Quand le Congrès accepte d’allonger la liste des matières entrant en franchise, c’est généralement parce que les Etats-Unis ne produisent pas ou fournissent en quantités insuffisantes ce que réclament les consommateurs. Et encore n’est-ce pas toujours le cas, comme on l’a vu pour le sucre et la laine. D’autre part, il est certain que, même si le Congrès’avait adopté une politique plus libérale, certains marchés américains se seraient fermés devant les producteurs étrangers. Les Etats-Unis en effet, disposent d’avantages comparatifs en matière de ressources naturelles, mais leurs équipements sont souvent plus productifs que ceux de leurs rivaux européens, leur main d’oeuvre est généralement aussi qualifiée, sinon plus. Dans le dernirequart du XIXème siècle, ni les cotonnades, ni les soieries, ni les lainages, ni la sidérurgie n’avaient besoin d’une protection aussi draconienne. Pour le port de New York, cette politique aurait pu être néfaste à l’équilibre du trafic avec l’Europe occidentale, si la libre entrée des personnes n’avait pallié les obstacles apportés à l’échange des marchandises.