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1Les New-Yorkais n’auraient dû avoir aucune crainte du côté des importations, tant la position du port semble stable pendant les quatre décennies qui vont de la guerre de Sécession à la fin du siècle. La moyenne annuelle pour toute la période se situe à 66,3 % et si on décèle une tendance négative significative, celle-ci est très faible, inférieure à 0,1 point de pourcentage par an. Si la part de New York dans les importations américaines avait évolué de façon linéaire, elle serait passée de 68,2 % à 64,4 % du total entre 1859/60 et 1899/1900 – un recul, somme toute, négligeable. Certes, la courbe réelle présente des fluctuations avec un sommet en 1883/4 pour la période d’après-guerre, mais leur amplitude est atténuée (cf. graphique 2b, p. 13). Plus important pour New York, la légère tendance négative n’est pas imputable aux ports concurrents de l’Atlantique et du Golfe qui ne réussissent pas à lui reprendre des parts de marché, mais à l’essor du commerce de la côte pacifique et au développement de relations directes entre les grands centres urbains de l’intérieur et l’étranger, les ports ne servant plus que de lieux de transit conformément à la législation adoptée en 1870 et en 1880.

2Il n’est malheureusement pas possible de délimiter les aires de marché avec précision. De nos jours on ne peut le faire qu’à partir d’enquêtes sur le terrain. Au XIXème siècle il n’existe pas de recherches systématiques de ce type. Cependant les questionnaires adressés aux chambres de commerce locales permettent d’apporter parfois des éléments de réponse partiels. Il serait néanmoins chimérique d’espérer dessiner une carte de la consommation et de la distribution des produits importés. La carte 1 (p. 97) fournit un succédané : les Etats y sont représentés non pas en fonction de leur taille, mais de leur revenu total, d’après les données de Richard A. Easterlin. Comme le revenu est, avec le prix, un des éléments fondamentaux qui déterminent les quantités consommées, on peut penser que, d’une manière approximative, les surfaces sont proportionnelles à la demande. New York apparaît très favorisé. Son arrière-pays le plus proche constitué par l’Etat de New York, la plus grande partie du New Jersey et une bonne moitié du Connecticut représente à lui seul près d’un cinquième du revenu total des Etats-Unis. Boston ne peut compter que sur un hinterland deux fois moins important. Philadelphie pourrait s’assigner comme but le contrôle des importations à destination de la Pennsylvanie – ce qui représente environ un dixième du total en 1880, soit l’équivalent de la Nouvelle-Angleterre, mais la proximité de New York est telle que les aires de marché sont appelées à se chevaucher et que Philadelphie ne puisse pas compenser les économies d’échelle new-yorkaises par des frais de transfert infé rieurs. L’aire de marché de Baltimore est encore plus restreinte. Quant à La Nouvelle-Orléans, il faudrait que le port confisque à son profit toute la clientèle des deux régions du Centre-Sud-est et du Centre-Sud-ouest pour atteindre un dixième du revenu total des Etats-Unis. La suprématie commerciale, on le voit, appartient à qui absorbe dans son arrière-pays les cinq Etats de la région des Grands Lacs auxquels on peut ajouter les trois Etats situés immédiatement à l’Ouest du Mississippi : à eux huit, ils représentent 31,5 % du revenu américain en 1880, soit l’équivalent des trois Etats du Mid-Atlantique. La taille de l’agglomération new-yorkaise peut expliquer que le port occupe le premier rang aux importations ; elle ne rend pas compte de sa suprématie, de cette part voisine des deux-tiers. La théorie des lieux centraux, avec son caractère géométrique rigide, ne peut servir, là où le poids du passé, l’inertie des comportements jouent un rôle prépondérant, tout comme le dynamisme des négociants et leur capacité à répondre aux défis qui leur sont lancés1.

CARTE 1 REPARTITION DU REVENU TOTAL PAR ETAT EN 1880

3Ces aires de marché sont d’autant plus stables que la géographie du revenu n’évolue guère entre 1880 et 1900 . Sur une carte en 1900, la seule différence apparente serait l’augmentation du revenu de 75 % en dollars courants. Certes l’Ouest améliore très sensiblement sa part, mais comme elle était initialement faible, la structure des marchés n’en est pas fondamentalement modifiée. Et cela d’autant plus que sa progression s’effectue surtout relativement au détriment du Sud-est. En vingt ans, malgré la conquête de l’Ouest au-delà du Mississippi, la part du coeur des Etats-Unis – les trois régions de la Nouvelle-Angleterre, du Mid-Atlantique et du Centre-Nord-est-ne baisse que de 64,5 % à 61,3 % du revenu total. L’industrialisation de la fin du XIXème siècle permet aux grands Etats du Nord-est de n’abandonner qu’une faible partie de leur part de marché dans le cas du Massachusetts, de New York, de la Pennsylvanie et de l’Ohio, et même parfois.de l’améliorer dans le cas du New Jersey et de l’Illinois. Si San Francisco bénéficie du développement de la région des Montagnes Rocheuses et, dans une certaine mesure, des Grandes Plaines du Centre-Nord-ouest, le revenu de ces régions n’est pas tel qu’il permette de créer d’importantes économies d’échelle. Quant à La Nouvelle-Orléans, théoriquement bien située pour capter la clientèle des Grandes Plaines, elle souffre du fait que son arrière-pays immédiat, la Louisiane, voit sa part du revenu total chuter beaucoup plus entre 1880 et 1900 que celle du Maryland, l’hinterland de Baltimore, ou a fortiori celle de la Pennsylvanie, de l’Etat de New York ou du Massachusetts. Aux importations, la menace, pour les négociants new-yorkais semble souvent venir plus de l’intérieur que des ports rivaux. Pour parvenir à Chicago ou à Saint Louis, les marchandises doivent passer physique-menv sur les quais des ports du Nord-est, mais si elles ne font qu’y transiter elles n’y laissent guère de valeur ajoutée. Derrière les chiffres, il faut étudier la réalité du pouvoir économique.

4Vu l’état des sources, il est difficile de proposer aux importations un modèle qui rendrait compte de la variation des parts de marché de New York. En effet, les prix qu’on peut tirer des statistiques de la douane sont des prix FAB au lieu d’embarquement. Comme ni le fret maritime, ni les assurances ne sont inclus, il est impossible de savoir, pour les quantités offertes aux clients américains, quels sont les prix demandés par les importateurs dans les ports d’entrée. Les rapports des diverses chambres de commerce constituent un maigre palliatif dans la mesure où ils manquent d’homogénéité. Or les variations des parts de marché sont sensibles à de faibles modifications des coûts. C’est pourquoi il faut se contenter des jugements impressionnistes des contemporains – jugements parfois chargés de préjugés ou pleins de mauvaise foi, mais émis par des spécialistes et des connaisseurs dont l’avis mérite d’être pris en compte. En conséquence, il convient d’analyser les principaux marchés dans leur spécificité. D’abord, les produits dont l’évolution à New York est différente de celle des Etats-Unis : café, thé et sucre, puis les autres articles essentiels du trafic portuaire, enfin les cargaisons que sont les passagers qui, pour n’être pas des marchandises, n’en constituent pas moins un pilier capital de l’économie maritime et de la force des ports.