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Le port de New York et le commerce extérieur américain

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Jean Heffer

Deuxième partie. Sur les quais

Sur les quais

Texte intégral

1Les parts de marché détenues par New York dans le commerce extérieur des Etats-Unis dépendent de la structure des échanges du port et de l’ensemble du pays. Comme, dans le temps, les proportions de chaque catégorie de marchandises évoluent, New York sera d’autant plus fort qu’il consolidera ses positions dans les secteurs où la demande est la plus dynamique. Il sera d’autant plus faible qu’il progressera moins rapidement que les autres ports dans les exportations et les importations de marchandises dont les marchés croissent le plus vite.

Les transformations structurelles des échanges Américains

  • 1 Thèse, p. 907.

2Entre 1860 et 1900, les transformations structurelles de l’économie américaine modifient la nature des échanges extérieurs. En moyenne, sur l’ensemble de la période, les Etats-Unis exportent en valeur une majorité de marchandises brutes, matières premières et denrées non élaborées (53 % du total), mais importent surtout des produits ayant déjà subi une certaine transformation (64 %). Ils répondent à la définition d’un pays neuf en voie de peuplement et d’équipement. Mais il est plus intéressant de cerner les tendances1.

3Aux exportations, seules les matières premières, essentiellement le coton et le tabac, voient leur part diminuer. Les Etats-Unis s’émancipent de la domination du Roi-coton. Ces matières premières qui avaient retrouvé dès 1866 une position comparable à celles qu’elles détenaient avant le conflit, avec près de 68 % du total, déclinent brutalement dans les années 1870 ; dès 1871/2, elles représentent moins de la moitié des exportations et n’en font plus que 29 % en 1878/9. Leur part s’améliore dans la décennie suivante, mais la chute rapide reprend à la fin du siècle, si bien qu’en 1900 le quart seulement des exportations américaines en valeur consiste en matières premières.

  • 2 Frank A. Vanderlip, "The American "Commercial Invasion "of Europe", Srnilnen’A Magazine, XXXI, Janu (...)

4En contrepartie, tous les autres trends sont positifs. Le seul qui ne soit pas significatif est celui des denrées brutes, c’est-à-dire des céréales. En effet, la courbe atteint son sommet au milieu de la période en 1880 et les deux pics ultérieurs de 1891/2 et de 1897/8 ne peuvent infléchir suffisamment à eux seuls la tendance. Il importe toutefois de remarquer que ces accidents conjoncturels jouent un rôle capital dans les fluctuations à court terme du trafic en volume à New York. C’est pourquoi cette période peut être légitimement définie comme l’ère des céréales. Les autres catégories, denrées transformées, produits semi-manufacturés et manufacturés, présentent tous des trends significatifs. La part des premières croît surtout jusqu’en 1876/7, après quoi elle fluctue autour du niveau de 25 %, avec deux maxima en 1883/5 et en 1892/4. Les produits semi-manufactures sont la catégorie la moins importante et leur poussée se manifeste tout à la fin du siècle, où leur pourcentage double presque en quelques années. On constate un scénario quasi identique pour les articles manufacturés. Avant 1895, par un effet de miroir, leur part évolue en sens inverse de celle des denrées brutes ; les Etats-Unis en exportent relativement peu lors des grandes pointes d’expédition de céréales. A partir de 1895/6, les produits manufacturés franchissent le seuil de 20 % et atteignent le quart du total en 1899/1900, justifiant le titre d’un célèbre article de Frank A. Vanderlip : ”L’invasion commerciale de l’Europe par les Etats-Unis " 2

5A la fin du XIXème siècle, les Etats-Unis remplacent de plus en plus aux exportations les matières premières par des produits semi-manufacturés et manufacturés. Ils atteignent désormais une maturité comparable à celle des principales puissances industrielles de l’Europe. Leur caractère de pays neuf tend à s’estomper. Cependant il ne convient pas d’exagérer l’intensité de la transformation. Certes, les industries autres qu’agro – alimentaires fournissent 35,4 % des exportations totales en 1899/1900, au lieu de 15,5 % en 1859/60 et de 14,8 % en 1879/80, mais les matières premières et les denrées brutes représentent une part encore plus forte, bien que déclinante. Les cinq dernières années du XIXème siècle méritent donc d’être considérées comme une phase de transition dans la structure du commerce extérieur des Etats-Unis.

  • 3 Tarifs d’inspiration protectionniste : McKinley (1890), Dingley (1897) ; tarif de velléité libérale (...)

6Aux importations, l’évolution est bien différente. Le contraste majeur concerne les matières premières. Leur part ne cesse de croître fortement et régulièrement, passant approximativement d’un dixième à un tiers du total, avec des maxima relatifs les années de brillante conjoncture, où la production nationale ne peut répondre aux besoins de l’industrie (1871/3, 1879/80, 1897/1900), et des minima, comme celui de 1893/4 qui est d’autant plus marqué qu’à la crise économique se superpose la discussion d’un nouveau tarif douanier. Deux catégories présentent un trend positif : les denrées brutes dont l’évolution dépend des cours du café, et les produits semi-manufacturés dont la tendance n’est pas significativement différente de zéro à cause des alternances de pics situés au moment des sommets de l’expansion ferroviaire (années 1873, 1880, 1887) et de creux marqués pendant les phases de dépression. Les deux dernières catégories voient leur part décroître de manière significative : les denrées transformées, où le poids du sucre est prédominant, les produits maufacturés qui subissent les effets de la politique protectionniste. Ces derniers qui formaient près de la moitié des importations en 1859/60 n’en représentent plus que le quart à la fin du siècle. C’est le résultat de la stratégie de substitution d’importation à l’abri de barrières douanières généralement élevées, qui a pu être menée à bien grâce à l’avance technique que les Etats-Unis possédaient sur l’Europe dans certains domaines. Le déclin, toutefois, ne suit pas une pente rectiligne. A une chute brutale pendant la décennie qui va de 1866/7 à 1876/7, où le pourcentage tombe de 46 % à 28 %, succède une reprise qui correspond aux années prospères autour de 1880. Un palier voisin de 30 % se maintient jusqu’en 1889/90, suivi de violentes fluctuations à la baisse dans la dernière décennie qu’expliquent partiellement les modifications successives du tarif douanier, tantôt d’inspiration protectionniste, tantôt de velléité libérale3.

  • 4 Thèse, p. 1062.

7Chaque catégorie de produits évolue d’une manière qui lui est propre4. Cependant les taux de croissance annuels du commerce total sont mieux corrélés avec ceux des importations qu’avec ceux des exportations. En effet, quelle que soit la catégorie de marchandises, les importations sont soumises à des influences similaires et homogènes, la demande américaine dépendant de la conjoncture propre aux Etats-Unis et de la législation douanièr re nationale. Aux exportations, au contraire, les influences varient beaucoup d’une catégorie à l’autre ; elles agissent d’une manière dispersée, hétérogène à cause de la complexité des conjonctures particulières dans le monde entier à un moment donné. Importations et exportations relèvent donc de deux types d’analyse différents.

Les mutations New-Yorkaises

8Par rapport à l’ensemble du commerce américain, la structure des échanges à New York présente des traits originaux (cf. tableau 5, p. 93). La responsabilité en incombe aux articles manufacturés aux importations et aux matières premières aux exportations. Les fortes disparités notées dans ces deux branches retentissent automatiquement sur les parts des autres catégories de marchandises. Néanmoins les contrastes sont moins accusés aux importations où New York disposait déjà avant la guerre de Sécession d’une suprématie incontestée. Pendant les quatre décennies qui suivent, les évolutions structurelles sont presque parallèles : recul des arti- clés manufacturés, progrès des matières premières et des produits semi-manufactures. Seules les denrées brutes et transformées augmentent leur part aux importations à New York, alors qu’elles cèdent du terrain dans les autres ports américains. Aux exportations, la comparaison est moins favorable à New York. Le secteur en déclin relatif, les matières premières, y baisse dans des proportions semblables à celles qu’on trouve pour l’ensemble des Etats-Unis. Comme c’était le point fort du commerce extérieur américain à la veille de la guerre de Sécession, il en résulte une percée plus lente des autres catégories à New York, voire même un recul relatif pour les denrées transformées.

  • 5 Nai-Ching Sun et Michael C. Bunamo, " Competition for Handling U.S. Foreign Trade Cargoes : the Por (...)
  • 6 August Lösch, The. Economics of Location, New Haven et Londres, Yale University Press, 1954 ; Marti (...)

9Pour expliquer les changements de position de New York, il est tentant d’utiliser un modèle général comparable à celui qu’ont employé, pour une période récente, Nai-Ching Sun et Michael C. Bunamo ; les parts de marché sont fonction de trois facteurs exogènes : l’effet de la structure des marchandises, l’effet de la géographie de l’avant-pays, l’effet de la base exportatrice et du marché de l’arrière-pays5. Malheureusement pour estimer un tel modèle, il faut disposer de séries chronologiques plus nombreuses que celles que nous fournissent les sources du XIXème siècle. Aussi serons-nous conduits à étudier les effets de manière séparée et souvent indirecte. Sur le plan théorique, les travaux concernant la localisation des activités économiques ouvrent à première vue des perspectives séduisantes, mais ils soulèvent deux types de difficultés. Le commerce extérieur est une forme du commerce de gros ; or celui-ci se prête moins bien que le commerce de détail à une formalisation et à une réduction géométrique, comme l’affirme la théorie des lieux centraux. On peut trouver plus riche de promesses le modèle ’’mercantile” du géographe James E. Vance, Jr. qui introduit une dimension historique et assigne un rôle prépondérant aux marchands, mais une telle conception convient mieux aux évolutions séculaires qu’à l’analyse d’une période relativement cpurte de quarante ans, où le poids du passé et les facteurs d’inertie exercent une influence considérable. Le principal handicap de toutes ces théories est qu’on manque de données pour les tester. En effet, il n’existe pas au XIXème siècle de recensements du commerce de gros. Plus difficile encore est de suivre les flux de produits importés ou exportés à l’intérieur des Etats-Unis. Il faut donc se contenter souvent d’analyser les jugements impressionnistes des contemporains à défaut de pouvoir construire des aires de marché, comme l’a fait Michael P. Conzen pour les réseaux spatiaux bancaires à partir des annuaires de la profession6.

Tableau 5.

Sources : HS, Part 2, séries U 21 3-224,p. 890 ; C & N ; Thèse, p. 907. Signification des sigles : NY=New York ; EU=Etats-Unis ; MP=matières premières ; DB=denrées brutes ; DT=denrées transformées ; SM=produits semi-manufacturés ; AM = articles manufacturés

10Néanmoins la théorie de la localisation fournit des cadres conceptuels indispensables. Dans la concurrence entre ports les coûts de transfert, c’est-à-dire la somme des coûts d’acquisition et des coûts de distribution, jouent un rôle très important. Les différences peuvent toutefois être partiellement neutralisées par les économies d’échelle. Ainsi New York peut compenser des coûts de transport plus élevés par les économies réalisées sur l’ampleur des opérations de commerce avec l’étranger qui y sont réalisées. Cela dépend de la nature des marchandises, du rapport existant entre leur poids et leur valeur. Or le trafic des pondéreux croît beaucoup plus rapidement aux exportations qu’aux importations. Aux entrées, les économies d’échelle ont donc plus de chances de compenser les frais de transport qu’aux sorties.

Notes

1 Thèse, p. 907.

2 Frank A. Vanderlip, "The American "Commercial Invasion "of Europe", Srnilnen’A Magazine, XXXI, January-March 1902, p. 3-22, 194-213, 287-306 ; Matthew Simon et David E. Novack, "Some Dimensions of the Commercial Invasion of Europe, 1871-1914 : An Introductory Essay ", The journal of Economic History, XXIV, 4, December 1964, p. 591-605, et les remarques de Morton Rothstein, p. 606-608.

3 Tarifs d’inspiration protectionniste : McKinley (1890), Dingley (1897) ; tarif de velléité libérale : Wilson-Gorman (1894).cf. Thèse, p. 1005-1006.

4 Thèse, p. 1062.

5 Nai-Ching Sun et Michael C. Bunamo, " Competition for Handling U.S. Foreign Trade Cargoes : the Port of New York Expérience", Economic Geography, vol. 49,April 1973, p. 156-162.

6 August Lösch, The. Economics of Location, New Haven et Londres, Yale University Press, 1954 ; Martin Beckmann, Location Theory, New York, Random House, 1968 ; Walter Isard, Location and. Space-Economy. A General Theory Relating to Industrial Location, Market Areas, Land Use, Trade, and Urban Structure, New York, The Technology Press of M.I.T. and John Wiley, 1 956 ; Edgar M. Hoover, The Location of Economie Activity, New York, McGraw – Hill, 1948 ; James E. Vance, Jr., The Merchant’s World : the Geography of Wholesaling, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1970 (cf. le chapitre 7) ; Michael P. Conzen, "The Maturing Urban System in the United States, 1840-1910", Annals of the Association of American geographers, vol. 67, 1, March 1977, p. 88-108.

Table des illustrations

Légende Tableau 5.
Crédits Sources : HS, Part 2, séries U 21 3-224,p. 890 ; C & N ; Thèse, p. 907. Signification des sigles : NY=New York ; EU=Etats-Unis ; MP=matières premières ; DB=denrées brutes ; DT=denrées transformées ; SM=produits semi-manufacturés ; AM = articles manufacturés
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