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L’arrière-plan socio-économique de la révolution de 1905-1907
p. 359-381
Texte intégral
Avant-propos
1Permettez-moi tout d’abord d’exprimer ma reconnaissance à nos collègues français qui ont pris l’initiative d’organiser ce colloque. C’est la première fois qu’une conférence consacrée à l’histoire de la révolution de 1905 se tient à l’extérieur des pays qui avaient pris part à cette révolution. Que cette conférence se tienne précisément en France, dont les traditions révolutionnaires ont servi d’exemple aux combattants de la révolution de 1905, est tout particulièrement agréable. Et maintenant permettez-moi de faire ma communication en russe, qui était non seulement la langue nationale d’un grand nombre de participants de cette révolution, mais qui était également devenue le moyen de contact et d’unité des différents peuples de l’Empire russe dans leur lutte révolutionnaire contre le tsarisme.
2Le problème des causes qui sont à l’origine du sursaut révolutionnaire de 1905 en Russie a été traité par les contemporains de manières diverses. Pour les acteurs de la révolution et les hommes qui se trouvaient de l’autre côté des barricades, la réponse à cette question avait une importance capitale dans le choix d’une attitude politique, ainsi que dans la fixation des objectifs, des voies et des moyens de la lutte révolutionnaire ou, à l’inverse, contre-révolutionnaire. De là, l’âpreté des disputes sur les causes de la révolution. Ces discussions font, depuis longtemps déjà, partie intégrante de l’histoire, et appartiennent maintenant au passé. Actuellement, les historiens cherchent à déterminer pourquoi une révolution a eu lieu dans la Russie du début du XXe siècle. Cependant dans les analyses des travaux historiques actuels représentant les différentes tendances idéologiques, on perçoit nettement les échos des vieux débats. Il n’y a certainement rien d’étonnant à cela. Les questions que pose la révolution de 1905-1907 ne sont nullement étrangères à l’actualité.
3Parmi les historiens, il en est peu qui continuent à affirmer que les causes de la première révolution russe se ramènent à la seule stupidité et à la seule maladresse des milieux dirigeants. La majorité de ceux qui ont écrit sur la Russie à la veille de 1905, constatent l’existence d’une profonde crise sociale dans le pays, due aux processus objectifs de son développement. En caractérisant ces processus, les historiens marxistes et non marxistes utilisent souvent une terminologie différente, mais selon moi, les uns et les autres sous-entendent la même chose : une réorganisation capitaliste de l’économie nationale et de la structure sociale. Pourtant, il semblerait que de nombreux historiens non marxistes voient dans la crise qui s’en suivit et dont la révolution de 1905-1907 fut l’expression, une sorte d’anomalie, un phénomène né des particularités de l’évolution capitaliste de la Russie et plus encore des réactions du gouvernement tsariste.
4A peine est-il besoin d’indiquer que toute recherche des causes de la révolution de 1905-1907 est fonction du sens que l’on donne au terme même de « révolution », de l’interprétation historique des révolutions, et de leur rôle dans le développement des sociétés. Parmi les historiens non marxistes il n’existe pas d’accord sur ces positions de départ. L’accord des historiens marxistes sur ces idées tient à leur compréhension commune des principales tendances du processus historique. Ils y voient un processus de développement progressif au cours duquel l’humanité passe par toute une série de formes d’organisation socio-économique qualitativement différentes. La physionomie de chaque étape se définit par les rapports de production dominants qui correspondent à un niveau déterminé dans le développement des forces de production. Ce sont elles que reflètent les rapports de propriété qui sont le cadre où s’opère le développement des forces de production. Les rapports de production dominants définissent la structure de classe de la société et dictent aussi son organisation politique et juridique. Chaque système est pour ainsi dire personnifié par une classe bien définie qui détient, à un stade donné du développement social, le pouvoir étatique et les principaux moyens de production.
5La révolution est la forme normale du passage d’un type de formation sociale à une autre. Son rôle consiste à liquider la domination politique d’une classe dépassée économiquement et à assurer la conquête du pouvoir par la classe porteuse des rapports de production nouveaux et progressistes. En cas de victoire de la révolution, on assiste à l’implantation, plus ou moins complète, de ces nouveaux rapports de production ainsi que de la superstructure politique et juridique correspondante.
6Le mécanisme du mûrissement de la révolution est complexe. Il a pour fondement des processus objectifs. Le développement continu des forces productives finit par aboutir à une contradiction avec les rapports de production dominants. Cela donne naissance à une crise de l’ordre social existant. En même temps se constituent les conditions matérielles du passage à des structures sociales plus avancées, et les forces sociales capables de diriger la lutte pour un tel changement. Dans ces conditions, le résultat final dépend de la présence de certains facteurs subjectifs indispensables : l’organisation de ces forces, la compréhension qu’elles ont de leurs tâches historiques, la capacité de leurs dirigeants à choisir la stratégie et la tactique de lutte appropriées.
7Telles sont quelques-unes des positions théoriques du matérialisme historique qui servent aux historiens marxistes à analyser les problèmes historiques concrets de la révolution de 1905-1907. L’accord sur ces positions de départ a rendu possible une conception marxiste assez homogène des origines de la première révolution russe. Ses fondements ont été posés par Lénine dès le début du XXe siècle. Un rôle particulièrement important fut joué par ses œuvres : « Le développement du capitalisme en Russie », « Le programme agraire de la social-démocratie dans la première révolution de 1905-1907 », « La question agraire en Russie à la fin du XIXe siècle ». Cette théorie a été développée par la suite dans les recherches des historiens soviétiques. La découverte d’un nombre considérable de faits nouveaux leur a permis d’enrichir cette théorie par des observations et des idées de grande importance.
8L’histoire de la formation des prémisses socio-économiques de la première révolution russe n’est autre que l’histoire du développement capitaliste de la Russie. Les résultats des recherches faites à ce sujet par les historiens soviétiques se trouvent exposés dans des dizaines de livres et dans d’innombrables articles. Naturellement, je m’arrêterai dans mon exposé sur les seuls résultats les plus importants.
9On a observé depuis longtemps que les conflits sociaux qui ont engendré la révolution de 1905-1907, ont leur origine dans la période d’avant la réforme. Vers le milieu du XIXe siècle, sur la plus grande partie du territoire de l’Europe située à l’ouest de l’Empire russe, l’ordre féodal avait été plus ou moins complètement balayé par les vagues des révolutions bourgeoises. Mais la Russie restait, semblait-il, la citadelle inexpugnable du féodalisme. A cette date, les rapports de dépendance féodale étaient déjà dépassés dans la plupart des pays européens, mais ils continuaient toujours à exister en Russie sous leur forme la plus extrême : le servage.
10Cependant le régime féodal et servile était miné par un lent mais implacable processus de décomposition et par le développement des rapports capitalistes. Dans la première moitié du XIXe siècle le développement des forces productives était devenu impossible dans le cadre du servage. Et si certains phénomènes de stagnation et de déclin, dus à l’influence négative du servage, ne se sont alors produits que dans quelques secteurs de l’activité économique, sans devenir la tendance dominante, ce fut uniquement parce que les besoins objectifs trouvaient dans une certaine mesure satisfaction grâce au développement souterrain des rapports capitalistes. Ceux-ci s’adaptaient au système dominant des formes féodales, pénétraient de plus en plus l’économie du pays, et en décomposaient le régime. Le paradoxe de cette situation historique consistait en ce que ce régime entravait le développement normal des rapports capitalistes, l’obligeait à prendre des formes dénaturées et « semi-féodales » (embauche des paysans à l’obrok * etc.), mais ne pouvait déjà plus se passer de ce qui était le résultat du développement du capitalisme : commerce, industrie, etc.
11Le signe le plus net de la crise du servage était la dégradation du village seigneurial, qui se manifesta dans la première moitié du XIXe siècle, par les phénomènes suivants : baisse continue des récoltes et de la quantité de grains disponible par habitant dans les principales régions où dominait la corvée (zone des terres noires du centre, ouest et sud-ouest), endettement croissant des paysans envers leurs seigneurs (au titre de l’ obrok) à partir des années 1820, appauvrissement des seigneurs dans le deuxième quart du XIXe siècle et accroissement considérable de leurs dettes auprès des établissements de prêt.
12L’expression politique de la crise du régime féodalo-servile fut l’aggravation des tensions sociales, dont le mouvement paysan en vint à constituer un des facteurs les plus importants. En raison des « émeutes et des autres formes de protestation des serfs » durant la première moitié du XIXe siècle, « le spectre dePougatchev hantait continuellement la noblesse et, rappelait constamment, comme un terrible memento mort, la nécessité d’en finir avec le servage dans l’intérêt des seigneurs eux-mêmes »1.
13L’étude de l’histoire de l’abolition du servage en Russie et des conséquences socio-économiques de cette réforme se poursuit depuis déjà plus de cent ans. Mais les trente dernières années ont été probablement les plus fécondes. Grâce aux travaux de N Al. Droujinine, P.A. Zaiontchkovsky, I.D. Kovaltchenko, A M. Anfimov, P.G. Ryndziounsky, AT. Korelin, et aussi grâce au grand nombre de recherches régionales, le tableau de la transformation capitaliste des structures agraires de la Russie après la réforme nous apparaît dans toute sa complexité et ses contradictions2.
14Les historiens soviétiques considèrent la réforme de 1861 comme un tournant dans le développement socio-économique de la Russie, le moment où le capitalisme a pris pied dans le pays3. Mais ils l’analysent du point de vue d’une alternative révolutionnaire éventuelle pour résoudre le problème du passage du féodalisme au capitalisme. Ces travaux soulignent que cette réforme, effectuée par les seigneurs eux-mêmes, ne mit pas réellement fin au régime féodal mais maintint leurs privilèges économiques et leur domination politique.
15Je ne chercherai pas à porter un jugement d’ensemble sur l’étude de cette question dans les publications occidentales. Elles sont en effet extrêmement diverses. Il y a, me semble-t-il, dans les travaux des historiens occidentaux des appréciations qui concordent avec les conclusions des recherches soviétiques. Mais il existe également des divergences considérables.
* Obrok : redevance féodale acquittée en argent.
16En définissant la réforme de 1861 comme une réforme bâtarde qui maintint de nombreuses survivances du servage dans la vie sociale et économique du pays, les historiens soviétiques estiment que les survivances les plus néfastes pour le développement futur du pays, furent la propriété foncière seigneuriale et l’autocratie tsariste.
17On trouve également des réflexions critiques sur la réforme dans la littérature occidentale. On y souligne que les clauses de l’émancipation entravaient le développement des exploitations paysannes et la production agricole en général. A ce propos, on mentionne à juste titre l’insuffisance des lots concédés aux paysans et la lourdeur excessive des annuités de rachat. Toutefois de nombreux historiens occidentaux, américains en particulier, voient dans la commune la principale entrave au développement. Dans le village d’après la réforme, la commune prit la place de l’ancien seigneur, – tel est, pour l’essentiel leur point de vue.
18Il va de soi que la commune ralentissait le processus de différenciation de la paysannerie et freinait par là-même la transformation capitaliste des campagnes. Mais la commune, tout comme les lots de misère et les remboursements importants imposés aux paysans, ne représentait qu’un phénomène secondaire, car la réforme de 1861 avait d’abord pour fonction de conserver la propriété foncière des seigneurs.
19Placés vers la fin des années 1850 devant l’alternative : ou s’adapter au développement inexorable du capitalisme qui minait de l’intérieur et du dehors le régime féodalo-servile, ou perdre leurs positions économiques et politiques – les milieux dirigeants de la noblesse russe préférèrent la première solution. Tout en sacrifiant le servage, ils cherchèrent à freiner le processus spontané de décomposition des rapports féodaux et de consolidation des rapports capitalistes, et à le canaliser de manière à permettre aux propriétaires fonciers (pomeSiïki) de reconstruire progressivement leurs exploitations sur une base capitaliste, tout en conservant leur propriété foncière et leur position dominante dans la société.
20C’est à résoudre ce problème que tendaient les modalités de l’émancipation en 1861. En abolissant le servage, le Statut du 19 février offrait en même temps aux seigneurs la possibilité de maintenir durablement une exploitation léonine de leurs anciens serfs. En octroyant de force aux paysans émancipés des lots trop petits (compte tenu du niveau de l’agriculture à cette date) pour leur permettre d’accroître leur production et en leur imposant en outre des remboursements disproportionnés, l’autocratie poursuivait un double objectif : garantir à l’exploitation seigneuriale une main-d’œuvre à vil prix, et éviter au seigneur en cours d’embourgeoisement un concurrent en la personne du paysan. Tel était le but assigné à la commune avec sa caution solidaire, son système égalitaire d’exploitation du sol, les contraintes dans la rotation des cultures et les autres limitations de la liberté économique.
21Ainsi, la réorganisation capitaliste des exploitations seigneuriales, à laquelle la réforme de 1861 ouvrait la voie, devait s’effectuer non plus en régime de libre concurrence, mais en maintenant artificiellement le monopole féodal des seigneurs sur une fraction considérable des meilleurs terres, et en assurant aux seigneurs des privilèges spéciaux, au détriment des droits des paysans.
22La réalisation de la réforme s’étala sur de longues années. En fait, le servage ne prenait fin qu’avec le rachat final du lot remis en jouissance aux paysans par le seigneur. Tant que la transaction d’achat n’était pas conclue, les paysans restaient soumis, pour les lots concédés, à des obligations précises sous forme de corvées ou de redevances ; ainsi l’exploitation féodale continuait. Bien que ce type des rapports fût présenté dans le Statut du 19 février comme temporaire (c’est pourquoi, les anciens serfs étaient nommés jusqu’au rachat « paysans soumis aux obligations temporaires »), celui-ci n’était limité par aucun délai. La réalisation de l’opération du rachat dépendait de la décision du seigneur. Cela permit aux seigneurs qui ne désiraient pas renoncer à l’ancien ordre de choses de retarder le rachat de leur lot par ses paysans. Au début de l’année 1870, un tiers environ des anciens serfs de seigneur restait soumis aux obligations temporaires. Onze ans plus tard, plus de 15 % de paysans n’avaient pas encore procédé au rachat.
23Sous l’influence de la situation révolutionnaire des années 1879-1881, le gouvernement tsariste hâta l’achèvement de la réforme. A la fin de l’année 1881, il promulga une loi sur le rachat obligatoire avant le 1er janvier 1883 des paysans soumis aux obligations temporaires. En même temps, il réduisit les annuités de rachat et il abolit la capitation. Mais quelques années plus tard, le pouvoir tsariste prit une série de mesures visant à recréer des moyens de pression extra-économique sur les paysans (loi de 1889 sur les officiers ruraux), à les attacher davantage à la terre et à les empêcher de disposer librement de leur lot (loi de 1889 limitant les migrations paysannes, et loi de 1893 rendant plus difficiles le départ des paysans hors de leur commune et la vente de leur lot).
24La réforme de 1861, en sapant le système d’exploitation féodale des domaines seigneuriaux fondé sur le servage, créait les conditions de leur transformation sur des bases capitalistes. Avec la fin des obligations temporaires, la corvée fut remplacée par le système de « location en travail » (ptrabotočnaja sistemd) qui consistait en ce que le paysan payait le seigneur en travail, mais avec ses propres instruments de travail. C’était un système de transition mi-féodal mi-capitaliste. Il comportait aussi bien des éléments de l’ancienne économie féodale (utilisation de ses propres instruments de travail par le paysan) que des éléments de la nouvelle économie capitaliste (embauche, salaire). Ce système de location en travail tendait à évoluer de telle sorte que le rôle des éléments féodaux y diminuait, tandis que s’accroissait celui des éléments capitalistes, au point que le caractère capitaliste finit par l’emporter complètement. Cependant, cette évolution s’opérait très lentement. Bien que les sommes perçues au titre du rachat permissent aux propriétaires fonciers d’effectuer les dépenses nécessaires pour réorganiser leurs exploitations sur une base capitaliste, ils n’avaient ni la capacité, ni ne ressentaient le besoin de s’en occuper. La présence, au voisinage de leurs latifundia, de paysans attachés à leurs lots et astreints à de lourdes obligations financières, mais disposant encore d’un cheptel et d’instruments agricoles, permettait aux seigneurs d’exploiter leurs terres sans avoir à acheter eux-mêmes le bétail et les instruments agricoles qui leur faisaient défaut.
25En outre, l’évolution des exploitations seigneuriales dans un sens bourgeois fut également freinée par la crise agraire de la fin du XIXe siècle.
26Vers le début des années 1890, le système capitaliste commença à l’emporter dans les exploitations seigneuriales des provinces baltes, dans celles de l’ouest, du sud-ouest et du sud. Mais dans le centre de la Russie européenne, région où la concentration des domaines seigneuriaux était la plus grande, dominait toujours le système de location en travail.
27Simultanément, les conditions auxquelles l’émancipation avait soumis les exploitations paysannes de cette région, s’opposaient au développement de la production commerciale capitaliste. Dans ces conditions, la grande masse des paysans se paupérisait et il ne se formait qu’une toute petite couche d’exploitants aisés. Les restrictions apportées à la libre transaction des lots de terre, empêchait leur concentration entre les mains d’une bourgeoisie villageoise en formation. Néanmoins, on assiste dans le village d’après l’émancipation à un processus continu de formation de deux nouvelles classes particulières à la société capitaliste : celle des agriculteurs produisant pour le marché et celle des travailleurs salariés. La production pour le marché s’accroissait au sein des exploitations paysannes et faisait du développement du capitalisme agraire un facteur de plus en plus perceptible en Russie.
28Une autre forme importante de ce développement fut la mise en culture de nouvelles régions, jusque-là faiblement occupées. L’existence à la périphérie de terres disponibles relativement accessibles à la colonisation paysanne, favorisait le développement « en largeur » du capitalisme russe. En nombre croissant, les migrants-paysans franchissaient de grandes distances, en triomphant des obstacles élevés par le gouvernement tsariste et gagnaient, à partir des vieilles régions agricoles la Nouvelle-Russie, la région du Don, l’avant-pays caucasien, la région d’outre-Volga et la Sibérie. Déjà, dans les années 1890, les territoires périphériques du sud et du sud-est de la Russie d’Europe avaient relégué au deuxième plan les terres noires des provinces du centre qui occupaient avant la première place dans la production des céréales.
29La croissance rapide de la production agricole sur ces territoires périphériques où la propriété foncière seigneuriale ne jouait qu’un rôle minime ou était complètement inexistante, renforça considérablement la part des exploitations paysannes dans la production commerciale. A partir des années 1870 environ elles commencèrent à en fournir la majeure partie. Au début du XXe siècle les exploitations seigneuriales n’avaient plus une position dominante sur le marché que dans les provinces occidentales. Dans toutes les autres régions du pays, c’était les exploitations paysannes qui fournissaient la grosse masse des produits agricoles commercialisés4.
30Cette tendance : diminution du poids spécifique des exploitations seigneuriales dans la production agricole parallèlement à l’évolution capitaliste du régime agraire en Russie se manifesta nettement dans la dynamique de la propriété foncière. Déjà lors des premières années suivant la réforme, les seigneurs terriens commencèrent à perdre leurs terres. Vers l’année 1877, l’ensemble de leurs pertes dans la zone de la Russie d’Europe s’élevait à environ 10 %5. Les données des recensements fonciers de 1877 et de 1905 permettent de se faire une idée suffisamment précise de l’évolution de la propriété foncière pour l’ensemble de cette période dans la Russie d’Europe et par grandes régions économiques6. Le tableau n° I indique en pourcentage, par rapport à 1877, les modifications intervenues dans le volume des propriétés seigneuriales à la date de 1905.
Tableau I
Régions | % |
Nord | 33 |
Préouralie | 98 |
Nord-ouest | 60 |
Balte | 95 |
Lithuanie à Biélorussie | 83 |
Centre industriel | 53 |
Tchernoziom central | 71 |
Moyenne Volga | 62 |
Ukraine (rive gauche) | 60 |
Sud-ouest | 85 |
Steppes du sud | 56 |
Sud-est | 59 |
Russie européenne dans son ensemble | 70 |
31Nous constatons que le recul de la propriété seigneuriale était peu important dans deux régions seulement, celle de Préouralie et celle de la Baltique. Dans les régions du sud-ouest, de Lithuanie-Biélorussie les pertes n’étaient pas inférieures à 15 %, mais sur les terres noires du centre elles atteignaient environ 30 % et dans la majorité des autres presque 40 %.
32Par là, la part de la propriété seigneuriale dans l’ensemble du fonds agraire diminua également, comme en témoignent les données du tableau n° II, qui caractérisent le rapport des principales catégories de domaines fonciers de Russie d’Europe en 1877 et en 1905. Par contre, la part des terres paysannes augmenta sensiblement grâce surtout aux achats de terres privées par les paysans.
Tableau II
Catégories des domaines fonciers | 1877 * en millions de % dessiatines | 1905 en millions de % de dessiatines |
1. d’État, terres d’apanages, ecclésiastiques, etc. | 165,6 42,4 | 154,0 39,0 |
2. Fonds des communes paysannes | 131,4 33,7 | 138,8 35,2 |
3. Propriété privée : | 93,4 23,9 | 101,7 25,8 |
a) nobiliaire | 73,2 18,7 | 53,2 13,5 |
b) paysanne personnelle | 5,0 1,3 | 13,2 33 |
c) communes paysannes | – | 11,3 2,9 |
Total pour la Russie européenne | 390,4 100,0 | 394,5 100,0 |
* Région de l’armée du Don exclue.
33Dans la mesure où l’évolution vers le capitalisme de l’agriculture russe était marquée par des différences régionales considérables, il n’est pas inutile de prendre connaissance des données qui reflètent la situation de la propriété seigneuriale et paysanne de 1877 à 1905, dans chaque région de la Russie d’Europe (voir tableau n° III). Elles montrent que la noblesse renforça ses positions dans une seule région, celle de la Baltique. Dans deux régions, celles de Préouralie et de la moyenne Volga, ses positions restèrent pratiquement inchangées. Dans les autres, on note un affaiblissement plus ou moins important. Celui-ci apparaît plus évident dans les steppes du sud, dans l’Ukraine « de la rive gauche », dans les régions du nord-ouest et du centre industriel.
Tableau III

* Données pour l’année 1877 : la région de l’armée du Don est exclue.
34Le volume de la propriété paysanne n’a diminué que dans la seule région balte. Son accroissement dans les autres régions se faisait de façon relativement régulière. Elle a augmenté plus nettement dans deux régions : celle de la steppe du sud et celle de l’Ukraine (rive gauche) qui se distinguaient, comme nous l’avons déjà noté, par le recul le plus marqué de la propriété seigneuriale. Le lien direct entre ces transformations est ici tout particulièrement évident.
35Il faut pourtant noter que la réduction de la surface globale des domaines de la noblesse ne signifiait pas pour autant son appauvrissement. Bien qu’on ait des raisons de supposer qu’une bonne partie du prix des trente millions de dessiatines vendues par les propriétaires fonciers de 1862 à 1905 fut dilapidée, cette somme dut néanmoins servir au développement de leur esprit d’entreprise7.
36En outre, du fait de l’augmentation rapide du prix des terres, la valeur des domaines seigneuriaux augmenta considérablement, malgré leur réduction en surface. D’après les calculs de N A. Proskuriakova, la valeur d’ensemble des domaines seigneuriaux dans la Russie d’Europe (sans compter les trois provinces baltes, les provinces d’Arkhangelsk et d’Astrakhan ainsi que le territoire de l’armée du Don pour lesquelles on ne dispose pas des informations nécessaires) valait 4,3 millions de roubles en 1905 contre 1,5 million de roubles en 1877.
37Ces calculs démontrent que les seigneurs vendaient leurs moins bonnes terres et se réservaient les meilleures. De 1877 à 1905 et sur le même territoire, la part des domaines seigneuriaux dans l’ensemble du fonds agraire diminua en surface de 23 % à 16 %, soit de 32 %, mais de 26 % seulement en valeur, soit de 29 % à 21 %. En valeur, la part de la propriété seigneuriale était supérieure à son importance en surface de 23 % en 1877, et de 34 % en 19058.
38Récemment, I.D. Kovaltchenko et LJ. Borodkine ont tenté une expérience extrêmement intéressante : établir une typologie sociale des structures agraires de la Russie européenne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle par des méthodes d’analyse quantitative multiple à partir d’une combinaison d’indices. Ils ont dégagé trois types de structure socio-agraire. Premier type, le type seigneurial, se présentait comme une évolution agraire bourgeoise « où dominait l’exploitation seigneuriale ». Il était représenté par les provinces baltes (Estonie, Livonie, Courlande) et par la région Lithuanienne et Biélorusse (provinces de Kovno, Grodno, Vilnius, Vitebsk, Minsk, Podolie). Le type II – type paysan – reflétait une évolution « où dominait l’exploitation paysanne ». Son domaine s’étendait à la zone des steppes du sud moins la Bessarabie (provinces de Kherson, de Tauride, de Ekaterinoslavl et territoire de l’armée du Don), à la région du sud-est sans la province d’Oufa (provinces de Samara, d’Orenbourg, d’Astrakhan) à la région du nord (provinces d’Arkhangelsk, d’Olonetsk, de Vologda) et aussi aux provinces de Viatka et de Kazan. Enfin, le type III – type mixte à la fois seigneurial et paysan – occupait une place intermédiaire entre les deux précédents, reflétant le développement du capitalisme agraire sur la base des exploitations seigneuriales et paysannes. Ce dernier type était caractéristique pour un large territoire, comprenant la région du nord-ouest (provinces de Pskov, de Novgorod et de Pétersbourg), la région industrielle du centre (provinces de Moscou, Vladimir, Jaroslavl, Kostroma, Nijni-Novgorod, Tver, Kalouga et de Smolensk)9, la région du Tchernoziom central (provinces de Toula, de Riazan, d’Orel, de Voronej et de Tambov), la zone de l’Ukraine de rive gauche (provinces de Tchernigov, de Poltava et de Kharkov), la zone de la moyenne Volga moins la province de Kazan (provinces de Simbirsk, de Penza, de Saratov) et aussi les provinces de Perm, d’Oufa et de Bessarabie. « Sous l’action des exploitations seigneuriales c’était la tendance au développement du capitalisme agraire qui prédominait dans cette zone. Cependant une variété paysanne de l’évolution agraire bourgeoise y apparaît très manifestement10 ».
39Ainsi, malgré ces pertes foncières et la perte de son rôle dominant comme fournisseur de la production marchande, l’exploitation seigneuriale continuait à exercer au début du XXe siècle une influence déterminante sur le cours de l’évolution agraire bourgeoise au sein d’une vaste région, habitée par plus des deux-tiers de la population de Russie d’Europe. Et, comme le remarquent les auteurs de cette étude, même la zone où prédominait un type paysan d’évolution capitaliste n’échappait pas à cette influence.
40Le secret de cette situation à première vue paradoxale tient à ce que l’influence de l’exploitation seigneuriale sur la vie économique de la Russie après 1861 et la transformation de ses structures agraires dépendait moins de ses positions économiques que du soutien du pouvoir politique. La propriété foncière de la noblesse et l’autocratie tsariste étaient indissolublement liées. L’autocratie en tant que pouvoir politique exprimant les intérêts des nobles n’aurait pas pu exister sans la propriété seigneuriale. Cette dernière, de son côté, n’avait aucune chance de survivre face au développement capitaliste de la Russie si la noblesse n’avait conservé les leviers du pouvoir politique en la personne de l’absolutisme.
41Les formes de soutien par l’autocratie de la propriété foncière et l’exploitation seigneuriale étaient très diverses.
42Dans la mesure où, malgré les substantielles annuités de rachat et les divers privilèges obtenus par les seigneurs après la réforme de 1861, nombre de leurs exploitations se trouvaient, en raison de la crise agraire, dans une situation critique, le gouvernement tsariste dut leur venir en aide, en créant un vaste système de crédit sous forme de banques foncières d’État : Banque paysanne et Banque nobiliaire. La première avait été fondée pour aider les propriétaires fonciers à vendre leurs terres à un prix assez élevé, la deuxième afin de leur accorder une aide financière directe à des conditions privilégiées. Au 1er janvier 1895 le montant total des prêts accordés par la Banque nobiliaire s’élevait à 523,9 millions de roubles ; et les deux-tiers de cette somme étaient allés aux domaines seigneuriaux situés dans la zone où prédominait le système de location en travail ou le type de location mixte. A la date de 1905, le total des prêts était monté à 801,4 millions de roubles, dont trois-cinquièmes désormais pour la zone en question11.
43Le soutien artificiel de la propriété nobiliaire par le pouvoir tsariste et les obstacles mis à la commercialisation des lots paysans avaient pour résultat, comme l’a montré LD. Kovaltchenko, que la formation d’un marché foncier unifié n’était toujours pas achevée en Russie au début du XXe siècle12.
44Outre le soutien financier direct accordé aux seigneurs fonciers du centre de la Russie d’Europe, le pouvoir tsariste prit, au début des années 1890, des mesures spéciales pour les protéger de la concurrence des provinces périphériques. Le ministre des finances S. Ju. Witte, celui-là même dont la politique est présentée par certains historiens, comme le moteur principal (ou peu s’en faut) du développement capitaliste de la Russie à la fin du XIXe siècle, fit adopter une réforme des tarifs qui réservait les marchés de consommation intérieurs aux produits agricoles des régions du centre et qui orientait avant tout vers l’exportation le flot de céréales en provenance du sud. Quand, vers le milieu des années 1890, l’achèvement de la première section (occidentale) du transsibérien fut en vue, il fit en sorte que le blé de Sibérie ne pût atteindre la région centrale en la dirigeant sur Arkhangelsk pour l’exportation (introduction d’une rupture de tarif à Tcheliabinsk et construction de la voie ferrée Perm-Kotlas)13.
45Nous avons déjà cité plus haut certaines des mesures prises par le tsarisme vers la fin des années 1880 et au début des armées 1890 pour freiner la différenciation en cours de la paysannerie et la croissance de la production capitaliste au sein des exploitations paysannes dans les provinces centrales de la Russie d’Europe, et aussi pour trouver de nouveaux moyens extra-économiques visant à soumettre les paysans aux seigneurs.
46Toutes ces mesures qui freinaient et déformaient le développement capitaliste spontané du village russe, en cherchant à l’adapter aux besoins et au rythme de la reconstruction des exploitations seigneuriales sur des bases bourgeoises, avaient pour résultat d’aggraver les antagonismes sociaux. Elles ne pouvaient satisfaire les nobles russes qui demandaient au gouvernement tsariste de les défendre avec plus d’énergie, de générosité et d’esprit de suite14. Dans le même temps, ces mesures provoquaient l’indignation de larges secteurs de petits producteurs paysans dont témoignait un « mouvement paysan » toujours croissant. Avec le rapide essor industriel des années 1890 et la reprise de la hausse des cours du blé sur le marché mondial, l’absurdité économique et l’injustice sociale, engendrées par la politique tsariste visant à soutenir des exploitations seigneuriales semi-féodales et à freiner la transformation des structures agraires de la Russie dans un sens bourgeois, devinrent tout particulièrement évidentes.
47L’évolution du système agraire vers des formes bourgeoises ne constituait qu’un aspect du développement capitaliste de la Russie, l’autre étant la croissance de la production industrielle.
48On a consacré de nombreuses recherches à l’histoire de l’industrie russe, aussi bien chez nous qu’à l’étranger. De ce fait, nous avons aujourd’hui une idée suffisamment précise des principaux aspects du développement industriel de la Russie dans la période suivant la réforme, de ses rythmes et de ses formes d’organisation.
49La réforme de 1861 constitua un tournant dans l’histoire de l’industrie russe. De son application date la croissance rapide de l’industrie. Vers le début du XXe siècle, la Russie faisait partie, si l’on considère sa production industrielle en chiffres absolus, des cinq premières puissances industrielles. S’agissant d’indices du développement industriel aussi importants que ceux de la production de fonte et d’acier, de la construction mécanique, de la production sucrière ou de la consommation de coton, la Russie occupait la quatrième ou cinquième place dans le monde ; quant à la production de pétrole, elle arriva même, pour un bref moment, en tête. Ce qui frappe est le niveau relativement élevé pour l’époque de l’industrie russe sur le plan des techniques et de l’organisation, lisible en particulier dans la concentration inhabituelle (même pour les pays capitalistes avancés) de la production en grandes ou en très grandes entreprises, et dans la formation de centres industriels énormes pour les critères de ce temps. Des formes très avancées d’organisation capitaliste prirent pied en Russie non seulement dans l’industrie, mais aussi dans le domaine du crédit, des échanges et des communications. C’est sur cette base que les regroupements monopolistiques connurent dès la fin du XIXe siècle un large développement et que s’amorça l’interpénétration des secteurs industriels et bancaires.
50La question de savoir, comment expliquer les taux de croissance étonnamment rapides de l’industrie russe face à la lente évolution dans un sens capitaliste des structures agraires, encore freinée par les survivances féodales, a provoqué, et continue à provoquer des controverses parmi les historiens.
51Dans l’historiographie occidentale la conception, selon laquelle le développement de l’industrie russe résulte de la politique tsariste et, en particulier, de la politique d’industrialisation de S. Ju. Witte, est largement répandue. Le partisan et le défenseur inlassable de cette théorie, A. Gerschenkron, considérait que cette politique était financée grâce aux ressources tirées des campagnes. Ce qui avait conduit, selon lui, à la révolution de 1905, étant donné que « la patience des paysans prit fin » lorsque leur capacité de paiement fut épuisée15.
52T.H. von Laue partage une opinion voisine. Lui aussi voit dans la révolution de 1905 une conséquence de la politique tsariste, incarnée avant tout par Witte, qui tendait à implanter artificiellement une industrie profondément étrangère aux structures économiques et sociales du pays16 .
53Cette opinion est partagée par de nombreux historiens, mais elle a également ses adversaires. Dans le tome IV de la « Cambridge Economic History of Europe » le chapitre de A. Gerschenkron, intitulé « La politique agraire et l’industrialisation de la Russie de 1861 à 1917 » qui s’inspire de cette conception, voisine avec celui de R. Portai « L’industrialisation de la Russie ». Son auteur, à la différence de A. Gerschenkron, n’est pas disposé à considérer le rôle du gouvernement comme un facteur décisif dans le développement économique de la Russie. Pour lui, la poussée d’industrialisation en Russie à la fin du XIXe siècle était organiquement liée à son développement antérieur17.
54A. Kahan remarque à bon droit que les dépenses pour la construction de voies ferrées constituaient le seul poste important dans les dépenses gouvernementales consacrées à l’industrialisation. Il considère également que le gouvernement tsariste n’augmentait pas par son action l’accumulation de capitaux, mais n’influençait que leur emploi, et que d’autre part, l’attrait de capitaux étrangers grâce à l’introduction de l’étalon-or fut payé d’un prix trop élevé. En d’autres termes, l’industrialisation russe aurait pu être aussi rapide, si ce n’est plus, et moins coûteuse pour la société russe, si l’État y avait joué un rôle moins actif et s’en était remis à l’initiative privée et au libre jeu du marché18.
55Cette thèse sur le caractère artificiel du développement industriel en Russie a été critiquée par Y. Barel. « Un tel point de vue, précise-t-il, fait de l’État le facteur principal du développement, et l’histoire de ce développement se ramène alors à une chronique de sa politique industrielle19.
56J.P. McKay a également contesté cette exagération du rôle de l’État dans le développement industriel de la Russie. Selon lui, le rôle de l’État consista essentiellement à créer en Russie des conditions favorables aux entrepreneurs étrangers. Le pays était en effet, estime-t-il, prêt à les accueillir20.
57Il convient de noter que l’idée que sous-tend cette conception n’est pas nouvelle. Déjà les populistes expliquaient la croissance en Russie de la grande industrie par son implantation artificielle, au mépris de l’organisation sociale du pays et des besoins de son développement. Dans son livre Le développement du capitalisme en Russie, Lénine a montré que cette explication ne correspondait pas aux faits, car la croissance de la production industrielle découlait nécessairement de l’évolution bourgeoise de l’agriculture qui constituait la base même du développement capitaliste du pays.
58Pour se convaincre une fois de plus de la justesse de cette déduction, il y a lieu d’examiner la structure par branche de l’industrie russe. Elle témoigne du caractère naturel de la croissance industrielle et de son lien organique avec le développement de toute l’économie du pays. Les branches les plus importantes de l’activité industrielle russe étaient au début du XXe siècle l’industrie alimentaire et le textile, dont la croissance apparaît comme le résultat direct de l’évolution capitaliste de l’agriculture. A elles deux, elles constituaient plus de la moitié en valeur de la production industrielle. La grande industrie alimentaire et en particulier l’industrie meunière ou la production de sucre, de beurre, d’alcool et de tabac prouvait le niveau relativement élevé de l’agriculture commerciale en Russie. Quant à elle, l’existence d’une industrie textile développée où la production cotonnière, à partir essentiellement de coton importé, tenait la première place, au service d’une clientèle avant tout paysanne, attestait que la division sociale du travail avait déjà largement progressé.
59Ces facteurs fondamentaux qui avaient conditionné jusqu’à un certain point les rythmes rapides de croissance industrielle en Russie, tout en s’accommodant de larges survivances serviles dans ses structures économiques et sociales, se ramenaient aux points suivants :
- vu l’échelle du pays, tout processus, même lent, de transformation des structures agraires dans un sens bourgeois rendait nécessaire un agrandissement considérable, en valeur absolue, de la production industrielle.
- les conditions propices au développement du capitalisme « en largeur » entraînaient également une demande accrue de produits manufacturés par création de nouveaux marchés.
- la possibilité d’utiliser « l’exemple et l’aide » des pays plus développés, et de leur emprunter leurs acquis techniques ainsi que leur expérience sur le plan de l’organisation économique, permettait à l’industrie russe de brûler les étapes intermédiaires dans l’édification d’une importante industrie lourde21. Quel rôle a donc joué la politique tsariste ? On peut affirmer sans hésitation que cette politique déformait le processus naturel et spontané du développement industriel. A n’en pas douter, elle a considérablement accru au sein de l’industrie russe la part de l’industrie des biens de production (40 % environ). Mais cette politique a-t-elle réellement accéléré la croissance industrielle ? On peut en douter, car elle freinait tout compte fait le développement du pays. Les chercheurs soviétiques, qui ont beaucoup étudie ces derniers temps les problèmes de la politique économique tsariste dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle, notent son caractère profondément contradictoire. Citons en particulier l’opinion du plus qualifié d’entre eux, IP. Gindin, qui est loin de minimiser l’influence du tsarisme sur le développement capitaliste de la Russie :
« Vu les processus spontanés de « croissance renforcée du capitalisme par en bas », son implantation par en haut n’eut, d’un point de vue historique d’ensemble, qu’une importance secondaire. De par son essence même, l’intervention directe de l’État était limitée à quelques secteurs particuliers et se concentrait sur un petit nombre d’entreprises... Sous l’action des lois économiques spontanées les résultats objectifs de la politique gouvernementale apparaissaient profondément contradictoires. En accélérant sous certains rapports le développement capitaliste de la Russie, ils renforçaient ses contradictions et créaient des obstacles supplémentaires à son développement22 ».
60Le tandem « propriété foncière seigneuriale-autocratie tsariste » reconduit en 1861, a coûté cher à l’économie russe. En détournant, pour sauvegarder son existence, une fraction considérable et toujours grandissante du produit national, en entravant et en déformant par ses interventions dans la vie économique les mécanismes de la production capitaliste, ce système retardait le développement progressif aussi bien de l’agriculture que de l’industrie.
61L’existence simultanée en Russie d’un capitalisme industriel déjà avancé et d’une agriculture médiévale qui assurait la domination de formes de capital primitives dans le village, déterminait également la présence en Russie à la fois des classes d’une société bourgeoise avancée – prolétariat et bourgeoisie, et des classes issues du tréfonds de la société féodale – les « ordres-classes » de la paysannerie et des seigneurs fonciers. Le résultat en était l’existence de deux guerres sociales qui interféraient étroitement l’une l’autre.
62Vers le début du XXe siècle, le développement du capitalisme dans l’agriculture russe continuait à exiger la liquidation des survivances du servage, c’est-à-dire l’achèvement de la révolution bourgeoise. Bien que durant cette évolution la paysannerie se scindât en deux classes antagonistes : le prolétariat agricole et la bourgeoisie agricole, la guerre sociale entre eux commençait à peine. Le devant de la scène dans les campagnes continuait à être occupé par la guerre sociale qui opposait l’ensemble de la paysannerie aux seigneurs fonciers. Liquider la propriété foncière seigneuriale et l’autocratie tsariste, tel était le sens de cette guerre.
63Entre temps, dans l’industrie, l’évolution du capitalisme donnait déjà naissance à la lutte sociale entre le prolétariat et la bourgeoisie.
64Vers le début du XXe siècle, le nombre total des ouvriers salariés dans l’industrie, le commerce et les transports dépassait neuf millions. Le noyau de ce prolétariat russe en rapide croissance était constitué par les ouvriers, les mineurs et les cheminots, dont le nombre dépassait deux millions et demi.
65La guerre sociale qui opposait ouvriers et patrons inscrivait à l’ordre du jour la liquidation du régime capitaliste. Mais, en s’en prenant à la bourgeoisie, le prolétariat était fatalement voué à se heurter à l’autocratie. Hostile par nature à toute forme de mouvement social, l’autocratie condamnait la population tout entière à la privation de tous droits politiques. En protégeant la propriété foncière seigneuriale et d’autres vestiges du servage, le régime retardait l’évolution de tout le pays et perpétuait des méthodes à demi médiévales d’exploitation, tant à la campagne qu’en ville. En outre, dans la mesure où les rapports capitalistes prévalaient l’autocratie ne pouvait exister sans une collaboration étroite avec la bourgeoisie. Et bien que leurs intérêts ne coïncidassent qu’en partie, la bourgeoisie avait de plus en plus souvent recours, dans sa lutte avec un mouvement ouvrier croissant, à l’aide des organes punitifs de l’autocratie. Voilà pourquoi le prolétariat russe, en marche vers son but ultime dans sa lutte contre la bourgeoisie – la révolution socialiste –, devait avant tout parvenir au renversement de l’autocratie et à l’instauration d’une république démocratique.
66L’enchevêtrement de ces deux guerres sociales déterminait aussi bien le contenu de la lutte politique qui s’amplifiait en Russie au début du XXe siècle, que la répartition des forces de classes dans cette lutte.
DISCUSSION
67Valdo ZILLI (Naples)
68Comment évaluez-vous le rôle de l’État dans le développement du capitalisme en Russie ? C’est là une question très controversée sur laquelle je vous serais reconnaissant de répondre aussi précisément que possible.
69Valerian BOVYKIN
70Le rôle de l’État dans le développement économique de la Russie fut ambivalent : il retarda et il accéléra tout à la fois ce développement, et la tâche des chercheurs est justement de comparer le jeu de ces deux facteurs. En quoi consista cette accélération ? En réalisant la réforme de 1861 – que ce fût là ou non une réforme bourgeoise – le gouvernement a ouvert plus largement la voie du développement capitaliste. La réforme abolit en effet le servage, et c’était là une mesure progressiste. Mais de quelle manière progressiste ? Elle engagea la Russie sur la lente voie du réformisme, et la mise en œuvre de la réforme s’étala elle-même sur quelque vingt ans. Rappelez-vous l’œuvre de Nekrassov : Qui vit bien en Russie ?, où le héros, étudiant, rencontre sept moujiks soumis aux obligations temporaires, et leur demande quand cela se passait. Cela aurait pu être de 1861 à 1883, car le passage au rachat prit à lui seul vingt-deux ans, pendant lesquels le servage continua à exister de fait. Après cette première étape, l’évolution resta aussi lente. Nous partons quant à nous d’une autre alternative, à savoir la possibilité réelle de résoudre cette question agraire par la voie révolutionnaire. Et nous pensons – cette analyse alternative est parfaitement légitime en histoire – qu’une autre voie où (comme, par exemple, en France) la propriété foncière des nobles aurait été abolie et les terres remises à ceux qui les cultivent, aurait assuré un développement plus rapide.
71En ce qui concerne l’industrie, le gouvernement a bien implanté diverses branches industrielles, au service essentiellement de la construction ferroviaire. Pour cela, il fallut élever des barrières douanières, afin de créer à l’abri de ces barrières une industrie nationale à même de satisfaire les besoins de la construction ferroviaire naissante. C’est ainsi qu’apparut l’industrie lourde, de manière assez rapide, et sous l’effet de l’intervention gouvernementale.
72C’était là certes un facteur progressiste ; mais les possibilités d’accumulation qui apparurent alors dans l’économie nationale se trouvèrent absorbées par le réseau ramifié des établissements de crédit, le jeu des emprunts, le système des caisses d’épargne, et affectées non pas à des investissements productifs, mais à d’autres besoins, soutien notamment de la propriété nobiliaire, ou encore guerres, ce qui constituait un frein. Ce problème a été également étudié par les historiens étrangers, et on a débattu ces derniers temps dans les revues américaines pour savoir comment apprécier la réforme monétaire de Witte, qui a introduit l’étalon-or. Était-ce là une réforme progressiste ? A-t-elle accéléré le développement économique ? Les opinions divergent, et certains, comme Kagan, estiment que les dépenses entraînées par la réforme et la nécessité d’avoir un stock d’or de couverture, absorbèrent et réduisirent à néant les avantages qui en découlaient. La question est, on le voit, complexe ; mais si on évalue l’ensemble de l’action gouvernementale, elle me paraît au total négative, et elle freina le rythme de développement. C’est pourquoi la révolution était nécessaire, alors que si le gouvernement avait accéléré le développement du pays, ce dernier n’aurait plus ressenti le besoin d’une révolution.
73Avraham YASSOUR (Haifa)
74J’ai deux observations à formuler concernant le développement de l’agriculture et ses conséquences.
751°) Il semblerait, à vous écouter, qu’il existait un potentiel révolutionnaire dans les campagnes ; mais il n’est pas possible de dire, par exemple, que les révoltes paysannes s’enracinent dans l’évolution bien spécifique de l’économie agraire. Car s’il n’y avait pas eu de révolution dans les villes, il n’y aurait pas eu de révolution dans les campagnes. Que la révolution éclate, par contre, dans les villes, et vous avez la révolution dans les campagnes.
762°) Contre qui les paysans se sont-ils révoltés ? Il semblerait qu’ils se sont révoltés contre les rapports féodaux mais aussi contre le capitalisme commercial et ses conséquences sociales. Ne vous semble-t-il pas que – indépendamment du niveau et du type de développement agricole – il y aurait eu de toute façon une révolution dans les campagnes en 1905 ?
77Valerian BOVYKIN
78Il n’est pas nécessaire d’expliquer pourquoi la révolution a éclaté en ville. Cela est clair. Pourquoi, en revanche, alors que travailleurs et patrons s’affrontaient, pourquoi à ce stade la guerre a-t-elle aussi éclaté dans les campagnes ? C’est là une question beaucoup plus difficile à expliquer, et c’est pourquoi je vais concentrer mon argumentation sur ce point.
79Contre qui les paysans se sont-ils révoltés ? Nous estimons que l’on a affaire à deux guerres sociales dans les campagnes. La guerre des paysans fut d’abord la guerre de tous les paysans contre les propriétaires fonciers. C’est là la première guerre sociale dans les campagnes ; et la seconde, qui se déroula à l’arrière-plan, fut la lutte des paysans contre les koulaks. Dans les régions occidentales de Russie d’Europe, en Ukraine, là où le développement capitaliste était plus avancé, cette guerre sociale connut un plus grand développement, et on relève des heurts entre ouvriers agricoles et koulaks. Dans les provinces baltes où les propriétaires fonciers s’étaient déjà reconvertis à une agriculture capitaliste, car ils avaient commencé, comme vous le savez, beaucoup plus tôt, les grèves des salariés agricoles et leur lutte contre les propriétaires fonciers prirent le caractère de cette deuxième guerre sociale. Les deux formes de guerre interféraient, mais celle qui occupa le devant de la scène fut la première : la guerre de tous les paysans contre les nobles en vue d’obtenir la terre.
80J. D. MORISON (Leeds)
81Un fait important dans le développement de la situation révolutionnaire en Russie au début du XXe siècle fut, me semble-t-il, le développement de l’instruction publique et de l’alphabétisation en ville et dans les campagnes. J’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet. Pouvez-vous également nous dire si les historiens soviétiques ont étudié le rôle joué par les progrès de l’instruction dans le développement de la conscience politique ? Et dans quelle mesure ce progrès a-t-il facilité la diffusion des informations durant la période révolutionnaire ?
82Valerian BOVYKIN
83Avant la révolution, le nombre des personnes sachant lire et/ou écrire représentait environ 20 % de la population, pour la plupart en milieu urbain ; le reste de la population était analphabète. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, nous préparons la publication du Journal du conseil des ministres qui eut à discuter si l’on introduirait l’enseignement obligatoire en Russie. Au cours de l’été 1906, le gouvernement tsariste se mit à étudier cette question, pour des raisons non pas réellement culturelles mais avant tout économiques. Comme on le sait, le développement de l’industrie, mais aussi celui des communications, du commerce, etc., demandait que l’ouvrier, le producteur direct sût au moins lire, et la bourgeoisie russe voulait que ce niveau minimum fût atteint. La question ne fut pas, cependant, résolue dans ce sens, et la généralisation de l’enseignement, la liquidation de l’analphabétisme ne furent réalisées en Russie, on le sait, qu’après la révolution d’Octobre. Moi, par exemple, je suis d’origine paysanne ; mon père était paysan, et mon grand-père aussi, paysan de la région du Don ; mais ils n’étaient pas cosaques, et étaient venus de l’extérieur. Mon grand-père était arrivé d’Ukraine, comme travailleur, et il avait loué à une commune des terres de réserve. On louait également à des propriétaires fonciers, et on changeait de place tous les trois ou quatre ans, après expiration du contrat. Mon grand-père était analphabète, et mon père n’était pas allé lui non plus à l’école ; il apprit à écrire en 1918, après son entrée dans l’Armée rouge. Notre région était pourtant une région avancée d’après les critères de l’époque, et l’exploitation de mon grand-père était assez prospère. Il possédait de nombreux chevaux, des têtes de bétail, etc., et il était plutôt aisé ; mais il était absolument analphabète, et aucun des membres de la famille ne savait ni lire ni écrire. Vous avez là un tableau sur le vif des réalités de la Russie de l’époque. Le vrai problème n’était pas un problème de niveau de l’alphabétisation, mais celui de l’analphabétisme.
84François-Xavier COQUIN (Paris I)
85Vous nous dites qu’au lendemain de la réforme et durant les décennies suivantes, les nobles ont cherché à se transformer en exploitants capitalistes. Il existait toutefois une fraction de propriétaires fonciers qui tenaient beaucoup à préserver leurs rapports personnels avec leurs paysans, et qui craignaient de se transformer en usuriers du dol, et en simples exploitants de la classe paysanne. Qu’en était-il réellement de cette catégorie ?
86Comme on le sait, (et c’est là ma seconde question), les nobles se mirent à vendre à partir de 1861 une partie importante de leurs terres, et il existe toute une fraction de la noblesse qui connaît un « déclin » et un déclassement progressifs, – au point qu’il paraît peu légitime de parler de la noblesse dans son ensemble. Alors qu’une partie de la noblesse reste dans la course politique et économique, il en est une autre qui périclite d’un point de vue aussi bien social qu’économique. Est-il possible de déterminer à la veille de 1905 et au cours de la révolution des différences d’attitude au sein de la noblesse qui seraient fonction de cette diversification. Les nobles n’eurent pas en effet de réaction homogène face aux événements révolutionnaires ou vis-à-vis du régime tsariste que certains frondaient ouvertement.
87Dernier point enfin : vous donnez dans votre communication une caractéristique plutôt « bourgeoise » des réformes de 1861 et des années 1860. Dans quelle mesure est-il possible de qualifier de bourgeoise une réforme adoptée non seulement sans consultation de la bourgeoisie, qui n’existe pas – ce qui n’est pas déterminant – mais qui n’engendre pas une véritable bourgeoisie et en freine au contraire, en compromet le développement. Cette épithète de « bourgeoise » vous semble-t-elle réellement défendable pour la réforme de 1861 ?
88Valerian BOVYKIN
89En ce qui concerne les relations patriarcales entre les seigneurs et leurs paysans, je doute qu’elles aient existé. Vous connaissez par exemple les Lettres de la campagne de Engel’gardt. Vous vous rappelez ce professeur de chimie à Saint-Pétersbourg qui avait été élevé dans un esprit populiste. Lorsqu’il fut exilé sur ses terres à cause de ses liens avec les populistes, cet homme à qui l’on envoyait jusque-là l’argent de ses fermages (obrok) fut contraint de se livrer lui-même à l’agriculture. Il chercha alors à se comporter en populiste et à nouer des relations avec ses paysans sur une base patriarcale. Ce fut un échec, de par l’antagonisme entre propriétaires et paysans : ces derniers le rejetèrent lorsqu’il chercha en toute sincérité à aller vers eux. Aussi en vint-il à élaborer une nouvelle forme d’exploitation, qui fut justement capitaliste. De ce point de vue ses douze lettres de la campagne constituent un document remarquable. Comme on le voit, la vie elle-même amenait les seigneurs à se reconvertir ou à s’en aller, car leurs relations avec leurs paysans étaient faites d’antagonisme. Ces contradictions ne pouvaient être résolues à l’amiable. Le capitalisme s’implantait, et c’était une question d’argent, de profit ; bref la vie en décidait autrement.
90Quant à la noblesse, qui était un ordre, elle n’était plus qu’une survivance à la fin du XIXe siècle. A cette date, de nouvelles structures s’étaient imposées dans la société, et la noblesse n’y avait plus sa place ; mais, juridiquement, elle continuait à exister comme survivance, tout comme auparavant en occident. Toutefois, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ce n’était pas seulement une survivance, car l’État lui-même était un État seigneurial, et les privilèges que la noblesse en recevait coûtaient cher. C’étaient non seulement des privilèges honorifiques, mais bien également des privilèges matériels, comme monopole de la propriété foncière ou franchise d’impôt, et bien d’autres avantages tels que avancement au choix dans le service de l’État.
91Or, avec le déclin de la noblesse, une réaction se fait jour en vue de conserver ces structures, et on note dès la fin du XIXe siècle des tentatives pour renforcer l’organisation corporative de la noblesse. Au cours de la révolution de 1905, on recourt même, comme vous savez, à des formes d’organisation politiques – les partis – caractéristiques d’une époque nouvelle. L’Union de la noblesse russe est en effet un véritable parti. Bien entendu, il y eut des nobles qui étaient, comme le prince Mechtchersky, propriétaires d’usines. Il était prince, mais était devenu capitaliste, et il avait fait fortune comme ingénieur, comme capitaliste ; et il y en eut beaucoup d’autres.
Notes de bas de page
1 Traduit par la rédaction.
Notes de fin
1 V.I. Semenevskij, Krest’janskij vopros v Rossii v XVIII i pervoj polovine XIX v. (La question paysanne en Russie au XVIIIe et dans la première moitié du XIXe siècle), t. 2, SPb., 1888, p. 571.
2 On trouvera un aperçu détaillé des travaux des historiens soviétiques consacrés à la réforme de 1861 dans P. Scheibert, Die russische Agrarreform von 1861. Ihre Probleme und der Stand ihrer Erforschung, Köln – Wien, 1973. Voir également le compte rendu de B.G. Litvak dans la revue Istorija SSSR, 1976,1.
On doit aux historiens étrangers T. Emmons, M. Confino, S. Bensidoun, D. Fild et autres, une série d’études consacrées aux problèmes de l’histoire de la réforme de 1861 et du village d’après la réforme.
3 Les titres des deux derniers travaux consacrés à l’analyse des problèmes socio-économiques de la réforme sont à cet égard caractéristiques : N.M. Družinin, Russkaja derevnia na perelome. 1861-1880 gg. (Le village russe à la croisée des chemins. 1861-1880), M., 1978 ; P.G. Ryndzjunskij, UtverZdenie kapitalizma v Rossii. 1850-1880 gg. (La consolidation du capitalisme en Russie. 1850-1880), M., 1978.
4 Bien que les données quantitatives à ce sujet ne soient qu’approximatives, les spécialistes sont unanimes dans leur interprétation. Cf. A.M. Anfimov, Krupnoe pomeščič’e hozjajstvo evropejskoj Rossii (konec XIX – naCalo XX veka) (La grande exploitation seigneuriale de Russie d’Europe [fin du XIXe – début du XXe siècle]), M., 1969, pp. 218-219. LD. Koval’čenko, SootnoSenije krest’janskogo i pomeščič’ego hozjajstva v zemledel’českom proizvodstve kapitalističeskoj Rossii. Problemy social’no-ekonomičeskoj istorii (Rapports entre les exploitations paysannes et seigneuriales et leur production agricole dans la Russie capitaliste), M., 1971, pp. 191-192. Du même : Die Agrarverhältnisse und die Bauembewegung in Russland am Ende des 19. und zu Beginn des 20. Jahrhunderts – Deutschland und Russland im Zeitalter des Kapitalismus : 18.61-1914, Wiesbaden, 1977, pp. 24-25.
5 Materialy po statistike dviženija zemlevladenija v Rossii (Données statistiques sur l’évolution de la propriété foncière en Russie), fasc. 20, SPb., 1911, pp. XXIV-XXV.
6 J’ai eu la chance de pouvoir utiliser les résultats de l’analyse de ces données par N.A. Proskuijakova et de LD. Koval’čenko. Leurs calculs sont à la base des tableaux I-III. Cf. N.A. Proskurjakova, « Razmeščenije i struktura dvorjanskogo zemlevladenija Evropejskoj Rossii v konce XIX – načale XX veka » (Répartition et structure de la propriété nobiliaire de Russie d’Europe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle), Istorija SSSR, 1973, 1. LD. Koval’čenko, L.V. Milov, Vserossijskijagramyj rynok. XVIII- načalo XX veka (Le marché agraire panrusse du XVIIe au début du XXe siècle), M., 1974, p. 251.
7 Les recherches ont démontré qu’elle avait présenté une assez grande ampleur. Voir A.M. Anfimov, Krupnoe pomeiščič’e hozjajstvo Evropejskoj Rossii. (Konec XIX – načalo XX v.) (La grande exploitation seigneuriale de Russie d’Europe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle), M., 1969 ; A.P. Korelin, Dvorjanstvo v poreformennoj Rossii. 1861-1904 gg. (La noblesse dans la Russie d’après la réforme. 1861-1904), M., 1979.
8 Voir N.A. Proskurjakova, art. cit.
9 Suivant le découpage par régions, adopté par LD. Koval’čenko et N.A. Proskurjakova, la province de Smolensk fait, dans les tableaux I-III, partie de la région lithuanienne et biélorusse.
10 LD. Koval’čenko, L.I. Borodkin, « Agramaja tipologija gubernij Evropejskoj Rossii na rubeze XIX – XX vekov (Opyt mnogomernogo koliëestvennogo analiza) » (Typologie agraire des provinces de Russie d’Europe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle [Essai d’analyse quantitative multiple]), Istorija SSSR, 1979,1, pp. 57-95.
11 Cf. N.A. Proskurjakova, éd., Materialy po istorii agrarnyh otnošenij v Rossii v konce XIX – naëale XX vv. Statistika dolgosročnogo kredita v Rossii (Matériaux pour l’histoire des rapports agraires en Russie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Statistique du crédit à long terme en Russie), M., 1980, tabl. 19.
12 LD. Koval’êenko, L.V. Milov, op. cit., chap. 8.
13 Cf. T.M. Kitanina, Hlebnaja torgovlja Rossii v 1875-1914 gg. (Le commerce des céréales en Russie de 1875 à 1914), L., 1978, pp. 183-188.
14 Cf. J.B. Solov’ev, Samoderiavie i dvorjanstvo v konce XIX veka (Autocratie et noblesse à la fin du XIXe siècle), L., 1973.
15 A. Gerschenkron, Economie Backwardness in HistoricalPerspective, Cambridge, Mass., 1962, p. 132. Cet auteur exprime la même idée dans une autre étude, où il écrit : « Il n’y a guère de doute que les secousses de la révolution de 1905 n’aient été organiquement liées à la période de transformation industrielle qui les a précédées. » Cf. Continuity in History and Others Essays, Cambridge, Mass., 1968, p. 211. Le même point de vue est exprimé dans The Cambridge Economie History in Europe, vol. VI, t. 2, London, 1965, p. 767 (chap. intitulé « Agrarian policies and industrialization, Russia 1861-1917 »).
16 Dans l’article publié en 1958 « Le Comte Witte et la révolution russe de 1905 », T. von Laue écrivait : « L’industrialisation rapide et l’occidentalisation qui s’en suivit... avaient engendré un mécontentement, qui contribua pour une bonne part à la révolution de 1905 » (The American Slavic and East European Review, 1958, vol. XVII, n° 1, p. 28). Quelques années après, dans son ouvrage, Sergei Witte and the Industrialization of Russia, New York – London, 1963, il exprime un doute : « il est difficile d’appeler ’révolution’ la crise de 1905 : aucun nouveau souverain ne monta sur le trône, et le pouvoir ne passa pas d’une classe à l’autre » (p. 68). Sur le fond toutefois, son opinion n’a pas changé : « La stabilité de la politique et l’ordre social se trouvèrent menacés du fait de la rapide croissance industrielle ; la politique sociale et l’adaptation intellectuelle ne suivaient pas, et cela constituait un danger non seulement pour l’autocratie, mais aussi pour la société libérale cultivée » (p. 44).
17 The Cambridge Economie History of Europe, vol. VI, t. 2,pp. 801,824.
18 A. Kahan, « Government Policies and Industrialization of Russia », Journal of Economie History, 1967, t. XXVII, pp. 460-477.
19 Y. Barel, Le développement économique de la Russie tsariste, Paris – La Haye, 1968, p. 245.
20 J. Mc Kay, Pioneers for profit. Foreign Entrepreneurship and Russian Industrialization. 1885-1913, Chicago – London, 1973.
21 Pour plus de détails se reporter à mon étude « Problème der industriellen Entwicklung Russlands », in Deutschland und Russland im Zeitalter des Kapitalismus 1861-1914, Wiesbaden, 1977.
22 I.F. Gindin, Gosudarstvennyj bank i ekonomičeskaja politika carskogo pravitel’stva (1861-1892 gody) (La Banque d’Etat et la politique économique du gouvernement tsariste de 1861 à 1892), M., 1960, p. 23.
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Ce livre est cité par
- Reis, Daniel Aarão. (2021) As revoluções russas de 1917. Estudos Ibero-Americanos, 47. DOI: 10.15448/1980-864X.2021.3.41624
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