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    Plan détaillé Texte intégral I. TUGAN BARANOVSKIJ ET SON TEMPSII. SES PROPOSITIONS DE RÉFORME AGRAIREIII. LA RÉVOLUTION DE 1905 ET LES RÉACTIONS AU PROJETIV. LES PROLONGEMENTS DU PROJET : LA DOUMA ET LES PARTISDISCUSSION Notes de bas de page Notes de fin Auteur

    1905

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Tugan Baranovskij et ses propositions de réforme agraire en 1905

    Basile Kerblay

    p. 151-163

    Texte intégral I. TUGAN BARANOVSKIJ ET SON TEMPSII. SES PROPOSITIONS DE RÉFORME AGRAIREStructure de la propriété foncière en Russie d’Europe en 1905 (50 gouvernements)III. LA RÉVOLUTION DE 1905 ET LES RÉACTIONS AU PROJETa) Les réactions du pouvoirb) Les réactions paysannes à la baseIV. LES PROLONGEMENTS DU PROJET : LA DOUMA ET LES PARTISDISCUSSION Notes de bas de page Notes de fin Auteur

    Texte intégral

    1L’objet de ma communication n’est pas de prétendre relever de l’oubli un auteur dont la Russkaja fabrika v prošlom i nastojaščem (1898) est un classique connu de tous, mais d’analyser une de ses œuvres trop ignorée Zemel’naja reforma : oóerk dviienia v pol’zu zemel’noj reformy i praktičeskie vyvody (1905)1. L’intérêt de ce projet est, comme son titre l’indique, de présenter des propositions très concrètes, mais surtout qu’il avait été avalisé par le cabinet de Witte avec son renvoi en avril 19062. Il offrait une alternative réaliste à la politique agraire adoptée par Stolypine. Son adoption aurait comblé l’attente de la paysannerie et, en désamorçant son mécontentement, peut-être modifié le cours des événements qui allaient suivre la première révolution russe.

    I. TUGAN BARANOVSKIJ ET SON TEMPS

    2Dans une telle conjoncture, la personnalité de l’auteur compte autant que ses idées. Il est donc utile de rappeler brièvement quelques traits qui conféraient à l’époque à Mihail Ivanovič Baranovskij (1865-1919) une autorité qui, comme celle de Plehanov, débordait les frontières des partis. Cet intellectuel de la renaissance russe, familiarisé avec la plupart des courants d’idées de son époque, était avant tout un esprit indépendant, difficile à cataloguer. Sans doute, son imprégnation première par le marxisme sera durable, mais pour cet économiste, le respect des faits passe avant les dogmes : il tente une synthèse des théories marxistes et marginalistes de la valeur3, il adhère aux analyses des révisionnistes allemands sur l’évolution de l’agriculture capitaliste4. Cela le conduira à se rapprocher du groupe des marxistes légalistes, puis à s’inscrire en 1906 au parti des K-D. Il termine sa carrière en 1918 comme doyen de la faculté de droit de l’université de Kiev, dans cette république d’Ukraine où il est né et où il exercera pendant une courte période (fin 1917, début 1918) les fonctions de ministre des finances de la Rada nationaliste5.

    3Sa carrière universitaire est entrecoupée d’obstacles : sa thèse sera bloquée par l’historien Ključevskij, ses prises de positions politiques lui feront perdre son poste de privat-docent d’économie à l’université de Saint-Pétersbourg en 1899. Son œuvre est au service d’une préoccupation centrale : sortir la Russie de sa gangue en la dotant d’institutions démocratiques et d’une économie moderne, dans le respect de la justice sociale. C’est plus un moraliste qu’un philosophe : il combat le capitalisme parce qu’il le juge éthiquement inacceptable et non pas en vertu des lois de l’histoire6. Cet intellectuel est aussi un homme d’action – il sera l’un des leaders du mouvement coopératif en Russie – qui a le sens du possible. Les mesures qu’il préconise visent à provoquer des changements qui lui semblent devoir être acceptés par les parties en présence. Pour cet homme ouvert aux débats de la gauche libérale ou marxiste, et averti des orientations de l’administration, le moment paraît propice au dialogue.

    4Depuis les années quatre-vingts, la Russie n’en finit pas de digérer la crise agricole mondiale7 à laquelle s’est ajoutée en 1900-1902 une crise industrielle ; car la prospérité des villes a été affectée par la baisse du pouvoir d’achat de la paysannerie. Une commission d’études est chargée par le gouvernement d’examiner la situation agricole des régions centrales (1901-1903), ses prérogatives seront étendues en 1904 à l’ensemble des besoins de l’agriculture8. Le déclenchement de la guerre russo-japonaise réveille les aspirations paysannes. Elles vont se manifester au cours de l’année 1905 d’une façon dramatique et impriment au problème agraire (souvent lié au problème national dans les régions non russes de l’empire) un caractère d’extrême urgence.

    II. SES PROPOSITIONS DE RÉFORME AGRAIRE

    5« Toutes les parties en présence – depuis les différentes commissions officielles jusqu’aux extrémistes radicaux – sont d’accord sur un point : nos campagnes russes ne peuvent plus attendre. Partout s’allument des foyers d’incendie, les manifestations de désordre paysan se multiplient. Le moujik a fait entendre sa voix et chacun a compris qu’il est enfin temps de passer de la théorie à la pratique »9.

    6Pendant longtemps, l’administration n’avait voulu considérer les difficultés paysannes que comme des manifestations conjoncturelles susceptibles d’un traitement financier par le biais des allégements fiscaux et l’octroi de crédits10. Dans ces mêmes milieux, notamment dans l’entourage de Witte, certains admettaient l’existence de causes structurelles à la crise agricole mais sans pour autant oser remettre en cause le statut de la propriété institué en 1861. On souhaitait le razkre-poščenie de la paysannerie, c’est-à-dire l’abolition des entraves juridiques, notamment quant à l’achat et à la vente des terres, qui en faisaient un état séparé dans la nation. On pensait compenser l’exiguïté des terres paysannes par des mesures techniques d’intensification et des transferts de population du centre de la Russie vers la Sibérie. Tugan Baranovskij critique l’insuffisance de cette politique. Les crédits octroyés sur des bases commerciales par la Banque des paysans ne sont accessibles qu’aux riches, c’est pourquoi en vingt-deux ans, les achats de terre par son entremise n’ont permis d’accroître que de 6 % la superficie des terres communales (nadely). L’émigration en Sibérie n’a porté, si l’on prend la meilleure année enregistrée jusqu’ici (1896) que sur 186.000 colons11, alors que l’accroissement naturel de la population de la Russie est de deux millions d’individus par an12. Quant à la politique d’intensification, fondée sur la révolution fourragère et la coopération agricole préconisée par ceux qui se réfèrent à l’exemple des agricultures occidentales où un agriculteur belge dit-on se contenterait aisément de la superficie du nadel d’un paysan russe, elle n’est pas, assure Tugan Baranovskij, à la portée de ce dernier13. L’alternative n’est pas entre la technique et la propriété pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté : ceux qui ont pu louer des terres ne sont pas incités à moderniser leurs méthodes faute de loyers stables. L’élévation de la productivité exigera du temps et des connaissances. « Quand un affamé vous réclame du pain, vous lui parlez des avantages qu’il obtiendra lorsqu’il sera un homme cultivé. Au lieu d’une bouchée de pain, vous lui fourrez un livre entre les mains » (p. 166). La seule issue rapide est l’accroissement des superficies allouées aux paysans.

    7Les paysans ont cherché à compenser l’amenuisement de leurs parcelles en achetant ou le plus souvent en louant des terres. L’étendue de ces terres en location – que l’on peut estimer à vingt ou vingt-cinq millions de dessiatines – dépasse de beaucoup les superficies acquises en propriété par les paysans. La pression démographique entraîne une hausse régulière du prix des terrains14 et des loyers. Les loyers sont d’autant plus exorbitants qu’ils sont plus indispensables à la subsistance de la famille (prodovol’stvennaja arenda)15. 42 % environ des familles paysannes cultivent des terres louées. Ce sont ces terres en location qui devraient, assure Tugan Baranovskij, être expropriées en priorité. Mais comme elles ne suffiraient pas à contenter tout le monde puisque, dans beaucoup de régions il ne reste plus de terres à louer, il faut aller plus loin et procéder à la nationalisation des grands domaines privés. Les domaines de l’État et de la famille impériale sont généralement situés dans des régions inaccessibles ou sur des terres impropres à l’agriculture, celles qui sont utilisables sont déjà louées par les paysans. Pour éviter de toucher aux propriétés privées des paysans, qui n’excèdent jamais cinquante dessiatines, ce sont les propriétés privées qui excèdent cette norme qui devraient faire l’objet d’une nationalisation.

    Structure de la propriété foncière en Russie d’Europe en 1905 (50 gouvernements)

    millions de dessiatines, par origine de propriété dont à la disposition des paysans

    Terres paysannes en régime communal

    135

    135

    Terres paysannes en propriété privée

    15-20

    15-20

    Terres de l’État, de la famille impériale,
    des municipalités et de l’Église
    Autres terres privées non paysannes

    155
    85,5(b)

    5,8
    en location
    20-25

    175-185

    dont moins de 50 dessiatines

    6,5

    de 51 à 500 dessiatines

    17,3

    de 501 à 1000 dessiatines

    9,6

    plus de 1001 dessiatines

    52,1

    Source : Tugan Baranovskij. Zemel’nyj vopros. op. cit. p. 71. (a) Zemelnaja reforma donne les statistiques de 1878 ; nous avons préféré utiliser les chiffres publiés postérieurement par le même auteur. (b) dont 47,8 millions de dessiatines appartenant à la noblesse.

    8Tugan Baranovskij évalue entre 60 et 70 millions de dessiatines les domaines privés qui feraient l’objet d’une expropriation au profit d’un fonds de réserve de l’État. Ces terres seraient ensuite redistribuées aux paysans au prorata d’une norme basée sur la capacité de travail de la famille pour lui assurer un minimum de subsistance (étape minimale de la réforme agraire) et éventuellement la superficie normale qu’exige une exploitation viable (deuxième étape de la réforme). L’auteur estime qu’à la suite de ce partage, treize millions de familles paysannes disposeraient en moyenne d’un accroissement de cinq dessiatines, soit de 50 % de leurs superficies. Les terres seraient remises non pas en propriété, mais en location de longue durée transmissible aux héritiers.

    9Les loyers perçus par l’État seraient calculés en fonction des revenus réels par des commissions foncières d’ouezd issues des zemstva, démocratiquement élues sur une base paritaire (propriétaires et locataires). Le loyer aurait pour effet d’éponger la rente « différentielle » et serait révisable tous les douze ans par ces mêmes commissions16. Le montant global des fermages permettrait à l’État de couvrir les indemnités d’expropriation à verser aux anciens propriétaires sans alourdir les dépenses publiques. L’administration centrale se bornerait à coordonner les travaux des commissions foncières locales, à répartir les terres excédentaires au bénéfice des ouezds déficitaires, à organiser le remembrement et enfin apporter son aide financière aux travaux d’amélioration foncière.

    10A l’appui de sa thèse, Tugan Baranovskij faisait valoir un précédent historique – le succès de la réforme agraire irlandaise – et la prise en considération des

    11La situation irlandaise, où la question agraire et la prise de conscience nationale étaient intimement liées, offrait avec la Russie du début de ce siècle un certain nombre de similitudes : une masse de petits fermiers subissait la dépendance économique de grands propriétaires. Sous l’influence des doctrines d’Henri George – que Tugan Baranovskij avait étudié de près17 – le mouvement paysan irlandais s’était organisé en 1878 et avait contraint le gouvernement anglais à intervenir par diverses mesures législatives à partir de 1881 dans les relations entre fermiers et landlords. Dans une première étape, les contrats de fermage avaient été uniformisés, leur durée fixée à quinze ans et le niveau des loyers réglementé. Puis, dans une seconde étape, il a fallu permettre aux fermiers d’accéder à la propriété de ces terres en leur accordant des crédits de longue durée18, mais aussi, à partir de 1903, pour inciter les propriétaires à accepter cette cession à des conditions avantageuses pour eux, étant donné la tendance à la baisse des loyers, le Trésor public supportait en fin de compte le déficit de ces opérations. De la sorte, au 31 mars 1902, près de 10 % des terres irlandaises et en 1909, plus de la moitié, avaient pu être rachetés par les paysans19 .

    12Les désordres agraires de 1905 ayant entraîné une baisse sensible des loyers de la terre, le moment paraissait propice pour inciter les propriétaires fonciers à accepter une aliénation de leurs domaines. La position financière de la noblesse n’était nullement entamée, bien au contraire, puisque l’État prenait à sa charge la dette hypothécaire. Tugan Baranovskij souligne que l’indemnisation envisagée sauvegarde également les intérêts des industriels, car, si l’État ne se substituait pas aux titres des hypothèques de la Banque de la noblesse, le crédit bancaire russe risquerait de s’effondrer et il en résulterait une fuite des capitaux vers l’étranger20.

    13En préconisant le transfert des terres en usufruit de longue durée et non pas en propriété, Tugan Baranovskij prétendait se conformer à la tradition égalitaire des communautés paysannes russes. Le paysan, dit-il, considère la terre comme un don de Dieu, il n’en revendique pas la propriété, mais uniquement le droit d’accéder aux terres non-paysannes pour ceux qui les cultivent de leurs mains. Lui conférer la propriété de ces terres, c’est-à-dire le droit de les aliéner à n’importe qui, même à des non-paysans, serait ouvrir la porte à la prolétarisation de la paysannerie, car les catégories les plus pauvres de celle-ci se verraient peu à peu dans la nécessité de céder leurs terres aux plus riches21. Par ailleurs, en barrant la route à la paupérisation, ce sont les intérêts des ouvriers de l’industrie qui sont pris en considération : la prospérité des campagnes réduisant l’afflux de la main-d’œuvre rurale sur le marché du travail.

    14Par conséquent, ce projet, à la différence du programme des partis révolutionnaires, n’impliquait pas de changements politiques radicaux préalables. L’indemnisation sauvegardait les intérêts de la noblesse foncière. La conservation des institutions communautaires, la sauvegarde du mir, rejoignaient les préoccupations traditionnelles du gouvernement. Tugan Baranovskij espérait même pouvoir compter sur l’appui de l’administration pour faire accepter des mesures qui tenaient compte de l’équilibre des forces sociales en présence.

    15Ces espoirs étaient-ils fondés ? Quel accueil les propositions de Tugan Baranovskij ont-elles reçu ?

    III. LA RÉVOLUTION DE 1905 ET LES RÉACTIONS AU PROJET

    16La révolution de 1905 est un révélateur des changements intervenus dans la société russe en l’espace de deux générations. La noblesse a perdu le monopole de la richesse foncière22 ; elle a aussi perdu le monopole de la fonction publique23. Dans l’administration centrale et surtout provinciale, les roturiers forment un vaste tiers-état, qui subit l’influence des doctrines libérales ou radicales occidentales, et va donner une orientation idéologique aux forces sociales nouvelles qui sont nées de l’industrialisation : la classe ouvrière et, depuis peu, l’émergence d’un mouvement paysan dont on ne soupçonnait pas encore le poids politique.

    a) Les réactions du pouvoir

    17On n’avait pas vu encore un tel raz de marée dans les villes et les campagnes depuis la révolte de Pugačevau XVIIIème siècle. Il semble qu’après la publication du manifeste d’octobre 1905, le gouvernement de Witte ait été prêt à payer la sauvegarde du régime et la conquête de libertés publiques par des concessions sur la terre. C’est évidemment de son attitude que dépendait la fortune d’un projet fondé sur une réforme octroyée par en haut.

    18La chance de Tugan Baranovskij avait été l’entrée dans le cabinet de Witte en octobre 1905 d’un de ses amis personnels Nikolaï Kutler (1859-1924) qui sera chargé de la direction de l’administration foncière et de l’agriculture24. Ce fonctionnaire avait fait ses classes au ministère des Finances comme directeur du service des impôts, puis comme administrateur de la Banque de la noblesse. En 1904 il est nommé adjoint (tovarišč) du ministre de l’intérieur Svjatopolk-Mirskij, et restera à ce poste jusqu’en octobre 1905. Cette nomination est dans la logique des événements qui mettent le problème agraire au premier plan. Nul mieux que Kutler ne connaissait dans l’administration ce dossier. C’est lui qui avait représenté les finances dans les différentes commissions sur les besoins de l’agriculture, et il avait présidé la collecte de l’information25. Comme Tugan Baranovskij, il partageait la conviction que l’insuffisance des terres paysannes était « relative »– c’est-à-dire provoquée par des techniques agricoles archaïques, mais il pensait que la modernisation de ces techniques impliquait un changement de statut de la propriété foncière. Comme son ami, il savait que la Banque des paysans était incapable de fournir une aide financière à la grande masse des paysans qui n’avaient aucun moyen d’acquérir la terre. Cet administrateur rigoureux savait évaluer les coûts d’un projet et son incidence sur les finances publiques. Les propositions de Tugan Baranovskij répondent aux mêmes préoccupations : elles sont chiffrées. Lorsque le louage des terres apparaît en 1905 comme la principale cause du mécontentement des paysans, N. Kutler est chargé de préparer le projet de loi qui rendra obligatoire la cession par les propriétaires privés des terres louées aux paysans26. Le 4 mars 1906 sont instituées les commissions foncières (zemleustroitel’nye komissiï) ; mais elles se verront confier sous Stolypine un tout autre rôle. En effet le renvoi de Witte en avril 1906 allait réduire à néant le projet de réforme agraire.

    19Le gouvernement de Stolypine qui succède à I.L. Goremykin en juillet 1906, choisira de s’orienter dans une toute autre voie. Il répudie une politique séculaire de conservation du mir.

    20Ce changement brusque d’orientation a été inspiré comme chacun sait par une appréciation divergente de l’attitude politique de la paysannerie pendant les événements de 1905. Pour cet ancien gouverneur de Saratov qui avait tenté de combattre les désordres par des manifestations de la force armée27, les communautés paysannes cherchent à remettre en cause le statut de la propriété. Le mir devient un danger pour l’ordre social. Il s’agit de favoriser la formation d’exploitations paysannes indépendantes (hutor) pour qu’une solide assise de petits propriétaires puisse servir de rempart à la monarchie contre les « partageux ». Cette thèse avait déjà été ardemment défendue à la Commission sur les besoins de l’agriculture en 1904 par V. Gurko, le représentant du Ministère de l’intérieur. C’est à lui que sera confiée la rédaction de la loi qui sera appliquée sous le nom de réforme de Stolypine28.

    b) Les réactions paysannes à la base

    21Les manifestations paysannes du début de l’année 1905 ne dépassent généralement pas le cadre des infractions habituelles (coupes illégales de bois, pâture du bétail paysan sur les terres du domaine). Elles ne prendront un tour dramatique qu’en juin et surtout en août (incendies, meurtres de nobles ou de leurs intendants) mais dans l’ensemble du pays, les cas de violence restent exceptionnels : 79 % des ouezds de la Russie sur un total de 521 sont restés calmes29.

    22Chacune des parties peut donc trouver des arguments qui confortent son appréciation des aspirations paysannes. Le pouvoir a été attentif au fait qu’aux deux congrès de l’Union panrusse des paysans (août et novembre 1905), la majorité des représentants se prononce pour des solutions pacifiques. Les éléments modérés du congrès, appartenant notamment au mouvement de la libération30 ont réussi à canaliser les revendications, représentées par une majorité de paysans moyens, dans un sens légaliste et dans l’attachement à la monarchie31.

    23Cependant, le statut de la propriété foncière ne pouvait être éludé32. Tous étaient d’accord pour demander que la terre soit transférée à ceux qui la travaillent, en particulier les terres en fermage et celles du domaine public. Par contre, les expropriations de terres en propriété privée soulevaient l’inquiétude des paysans moyens pour leur propre acquis, c’est pourquoi aussi ils donnaient la préférence aux projets qui préconisaient le paiement d’indemnités compensatrices (vykupy) plutôt que de se laisser captiver par les sirènes socialistes-révolutionnaires, hostiles à toutes indemnisations, qui avaient tenté sans succès de noyauter le congrès33.

    24En revanche, les militants du parti social-démocrate pouvaient se féliciter des succès obtenus dans les ouezds avoisinant les grandes villes industrielles – Moscou, Vladimir, Kostroma –34 où les signes d’une alliance possible entre ouvriers et paysans pauvres se manifestent pour la première fois, et vont donner lieu à une révision significative des programmes agraires des partis Social-démocrate et Socialiste-révolutionnaire qui seront représentés aux élections de la seconde Douma35.

    IV. LES PROLONGEMENTS DU PROJET : LA DOUMA ET LES PARTIS

    a) Le programme agraire du parti Cadet 36

    25La démission de Kutler après le rejet de son projet et son adhésion au parti K-D en 1906 allait permettre aux thèses de Tugan Baranovskij de ressurgir dans le programme agraire de ce parti à la première Douma (projet dit « des42 députés ») et à la seconde Douma.

    26Ce programme d’expropriation est moins ambitieux que celui du projet de ce dernier. Il ne touche, outre les terres de l’État, de la famille impériale et de l’Église que les domaines privés pour la partie qui excède 1000 dessiatines, soit pour cette dernière catégorie une superficie d’environ 22 millions de dessiatines à indemniser pour un coût total évalué à 2,5 milliards de roubles. Les similitudes que l’on peut constater entre ce programme et le projet antérieur ne sauraient étonner lorsqu’on sait qu’après l’assassinat de Mihail Jakovlevič Gercenštejn le 18 juillet 1906, c’est-à-dire après l’appel de Vyborg, N. Kutler qui faisait partie de la commission agraire du parti K-D sera appelé à la présider et que Tugan Baranovskij sera présenté par les Cadets comme candidat à la Douma aux élections de 1912.

    27Toutefois, les Cadets dans le projet déposé par 42 députés de la neuvième session de la Douma le 15 mai 1906 ne précisaient pas si les terres ainsi transférées aux paysans seraient leur propriété ou simplement remises en location. Car on ne pouvait plus susciter l’enthousiasme de la paysannerie en lui proposant la continuation de versements – au titre des fermages des terres qui seraient redistribuées – depuis que le Manifeste impérial du 3 novembre 1905 avait promis la fin du paiement des redevances de rachat des terres communales à partir de 1907.

    28On sait que, face aux revendications agraires des Cadets et des Trudoviki37 à la première Douma, le gouvernement a cru pouvoir se dérober en décidant le 9 juillet 1906 la dissolution de cette Douma convoquée soixante-treize jours plus tôt. Toutefois il en retient une leçon, puisque les décrets des 12 et 17 août 1906 stipulent que les terres louées sur les réserves de l’État et de la famille impériale seraient remises aux paysans à l’expiration des contrats de location.

    b) L’attitude des sociaux-démocrates à l’égard des projets de Tugan Baranovskij a été formulée très tôt, après leur publication dans une brochure de la même année 1905, sous la plume du spécialiste des questions agraires de ce parti, P.P. Maslov38.

    29La démocratisation des institutions préconisée par les libéraux dit-il ne remet en cause ni le statut de « soslovie » de la paysannerie puisque leur programme de nationalisation écarte les terres paysannes ni la structure capitaliste du pays. Pour cette raison, l’égalisation de la répartition des terres rêvée par Tugan Baranovskij est irréalisable. En économie de marché, les mutations de propriété conduisent inexorablement à une polarisation de la richesse, les paysans riches vont s’agrandir aux dépens des pauvres. En outre, la nationalisation des terres envisagée par le projet va aviver le problème national à la périphérie de l’Empire, où déjà de violents désordres se sont manifestés en Géorgie, Arménie, Pologne et dans les pays baltes. C’est pourquoi Maslov se déclare partisan d’une solution moins provocante que la remise des terres à l’État russe : la municipalisation, qui laisse la propriété aux organes locaux du pouvoir39.

    30Les critiques ne venaient pas que de l’extrême-gauche. A la droite des libéraux, certains s’inquiétaient des contraintes politiques nécessaires pour inspirer un projet égalitaire. Le prince Lvov déclarait « stremitsja vse urovnjat’... dlja tovc ëtoby takoj šag provesti v žizri nužna strašnaja vlast’ »140. A cela, Tugan Baranovskij répondait que, sans doute, le socialisme exige une administration complète de l’économie, qui ne se réalisera pas sans difficultés, mais pour lui, ce régime est encore très lointain (odtalennogo buduščago) alors que la remise des terres aux paysans peut se faire immédiatement, sans secousse pour l’économie41. Par contre, il pensait que « le temps approche où la terre passera au peuple ». Il verra le triomphe des bolchéviks, mais gardera l’espoir que, grâce à la coopération, l’économie paysanne pourra trouver sa voie vers le socialisme42. Il ne verra pas l’échec de cet idéal lorsqu’à la fin de la NEP l’agriculture paysanne sera remodelée conformément aux idéaux marxistes de la grande exploitation collective. Il meurt en 1919, entre Kiev et Odessa, dans le train qui le ramène d’une visite de délégation à Paris.

    DISCUSSION

    31Samuel BARON (North Carolina)

    32(résumé)

    33Aimerait connaître : d’une part les réactions du pouvoir et des partis politiques aux prises de position paysannes qui n’ont pas été abordées ; d’autre part quelles furent les réactions paysannes au projet de Tugan Baranovsky ?

    34Basile KERBLAY

    35Je n’ai pas abordé le premier thème puisque la communication de M. Coquin traitait de la situation dans les campagnes. Quant au second je n’ai pas d’information sur l’impact des propositions de Tugan Baranovskij sur les paysans. Je ne sais même pas s’ils en ont entendu parler. Si on tient compte des discussions qui ont eu lieu au cours des deux congrès de l’Union paysanne, il apparaît que les motions paysannes et la paysannerie (laquelle n’était pas toujours représentée à ces congrès par les éléments les plus pauvres) étaient surtout sous l’influence des S-R ; c’est probablement vrai, comme l’a démontré M. Coquin. Mais il y avait aussi au sein de ces congrès des éléments appartenant à la « bourgeoisie moyenne » (pour reprendre la terminologie soviétique) qu’alarmait toute allusion à une redistribution de la propriété, qui risquerait de porter atteinte aux terres achetées par les paysans. A en juger par ces réactions, certains éléments de la paysannerie ne durent donc pas être favorables aux propositions de Tugan Baranovskij bien qu’il ait pris soin de préciser que son programme ne touchait que les exploitations de plus de cinquante dessiatines. Or, disait-il, très peu de propriétés paysannes dépassaient ce chiffre, ce qui devait donner certaines assurances aux paysans.

    36Mais, en général, d’après les études que j’ai lues sur ces congrès paysans, le problème de la redistribution des terres, agité au sein des congrès des mois d’août et de novembre 1905, faisait peur à certains éléments de la paysannerie.

    37Terence EMMONS (Stanford)

    38Deux questions :

    1. En quoi consistait la différence, si différence il y avait, entre le projet de Tugan Baranovskij et le programme des K-D ?

    2. Pourquoi le gouvernement a-t-il abandonné l’idée d’exproprier les terres des grands propriétaires fonciers après la démission de Witte et de Kutler ? Comme vous l’avez bien remarqué, le gouvernement a été près de sacrifier les intérêts des pomiechtchiki aux intérêts de l’État au cours de la révolution de 1905, comme il l’avait fait antérieurement, lors de l’abolition du servage.

    39Basile KERBLAY

    401°) Le programme des K-D, dans la formulation du « projet des 42 », présenté à la première Douma, ne prévoyait d’expropriation que pour les propriétés supérieures à mille dessiatines. Il était donc prudent ; tandis que le projet de Tugan Baranovsky commençait l’expropriation à partir de cinquante dessiatines. Deuxième différence : le projet des K-D ne précisait pas, et cela intentionnellement, si les terres ainsi transférées à l’État et nationalisées seraient ensuite redistribuées aux paysans à titre de propriété ou en location : ce silence était destiné justement à permettre de recueillir, au sein de la Douma, un plus grand nombre de voix de gauche sur ce projet.

    412°) Quant au revirement de l’administration, vous savez sans doute qu’au sein de la commission agraire de 1901, puis de 1904, se sont affrontées deux politiques de l’administration tsariste. L’une préconisée par le ministère de l’intérieur et par son représentant direct, Gurko, envisageait le problème agraire surtout du point de vue de l’ordre public et de la stabilité du régime. Ce Gurko sera d’ailleurs l’artisan de la réforme de Stolypine, puisqu’il sera maintenu dans ce poste durant tout le ministère de Stolypine et sous son successeur. A partir du moment où la commune paysanne était devenue perméable, comme l’a montré M. Coquin, aux motions politiques de type revendicatif, le ministère de l’intérieur s’était prononcé pour la dissolution du mir et la dislocation de la communauté paysanne. Au contraire, le représentant des milieux financiers Kutler (qui était sous l’autorité directe de Witte en tant que ministre des Finances) préconisait une politique visant à redonner du nerf à l’industrie russe et reposant sur la prospérité de la paysannerie, par une politique de crédit et d’allègements fiscaux. Cette politique était probablement destinée aussi à donner une sécurité aux paysans, pour leur permettre de moderniser leur système agricole, d’adopter des méthodes plus intensives. Ce qui était en somme la politique proposée par Witte au sein de la commission et qu’il n’a plus eu le temps d’appliquer. Il n’y avait donc pas une politique de l’administration tsariste, mais deux politiques qui l’ont alternativement emporté l’une sur l’autre.

    Notes de bas de page

    1 « Vouloir tout égaliser... exige un pouvoir redoutable ».

    Notes de fin

    1 SPb., Mir Božij, 1905, 204 p.

    2 Le projet de loi de Witte a été publié en 1924 par S. Dubrovskij, Agrarnyj vopros v Sovete ministrov 1906 god, M., 1924.

    3 Tugan Baranovskij, « Učenie o predel’noj poleznosti », in Juridičeskij vestnik 1890 ; OCerki iz novejšej istorii političskoj ékonomii, SPb., 1903 ; Osnovy politiieskoj ékonomii, M., 1911.

    4 Tugan Baranovskij, « Zemel’nyj vopros », in Ènciklopedičeskijslovar’, Granat, 13e éd., 1913, t. 21, pp. 51-148 ; l’ouvrage de E. David, Socializm i sel’skoe hozjajstvo paraît en Russie en 1906, Die Agrarfrage (Stuttgart, 1902) de Karl Kautzky en russe à Saint-Pétersbourg en 1900, la même année que S.N. Bulgakov, Kapitalizm i zemledelie (SPb., 1900).

    5 Bol ’šaja sovetska]a énciklopedija, 1re éd., t. 15, p. 515 ; Alec Nove, « M.I. Tugan Baranovskij, 1865-1919 », in the History of Political Economy, vol. 2, n • 2, fall 1970, pp. 246- 262 ; A. PaSkov, Istorija russkoj ékonomiieskoj mysli, t. 3, M., Mysl’, 1966, pp. 256-257.

    6 A. Mendel, Dilemna ofProgress in Tsarist Aussia, Cambridge, 1961, p. 305.

    7 Le prix du blé sur le marché de Londres est tombé par rapport à 1871-1875 = 100 à l’indice 73 en 1881-1885, l’indice 51 en 1891-1895. (Tugan Baranovskij, « Zemel’nyj vopros, art. cit.)

    8 Osoboe sovefàmie o nuždah sel’skohozjajstvennoj promyšllennosti. Cf. M.S. Simone va, « Problema oskudenija centra i ee roi’ v formirovanii agrarnoj politiki samoderzavija v godah naèala XX v. », in Problemy social’no-ékonomičeskoj istorii Rossii, Nauka, 1971, pp. 236-260.

    9 Zemel’naja reforma, op. cit., pp. 138-139.

    10 Une loi de 1895 avait mis en place le crédit mutuel coopératif à la paysannerie (complétée en 1904 par la création au sein de la Banque d’État d’une direction po delam melkogo kredita, Tugan Baranovskij, Social’nye osnovy kooperacii, M., 1916). Un décret du 12 mars 1903 avait aboli la solidarité fiscale qui liait les membres du mir. Enfin, le 3 novembre 1905, le gouvernement décide de mettre fin à dater du 1er janvier 1907 au paiement des redevances dues au titre des partages de 1861 et de réduire de moitié le montant des annuités à verser en 1906.

    11 Dans « Zemel’nyj vopros », Tugan Baranovskij donne des chiffres plus récents : 604 000 transferts en 1908.

    12 Ailleurs qu’en Sibérie précise-t-il, on se heurte soit au fait que les paysans du centre et du sud de la Russie ne sont pas préparés à s’installer dans les régions forestières, soit à la nécessité de sauvegarder les droits des populations locales dans les steppes de Kirghizie (Kazakhstan actuel) et du Turkestan.

    13 Zemel’naja reforma, op. cit., p. 164. La pression démographique a entraîné la mise en culture de la jachère, ce qui a réduit la fertilité des sols et les possibilités de l’élevage en recul de 1 % par an en Russie. Les rendements moyens du blé (1899-1904) ne dépassent pas 39 puds par decjatin en Russie contre 124 puds en Allemagne.

    14 Le prix des terres est monté sur la base des mutations réalisées par l’intermédiaire de la Banque des paysans de 39 roubles par decjatin en 1901 à 108 roubles en 1902. Zemel’naja reforma, op. cit., p. 142.

    15 Le loyer « alimentaire » dans le gouvernement de Poltava est passé de 9 roubles par decjatin en 1895 à 12,60 roubles en 1900, soit un niveau de loyer de 45 % plus élevé que celui qui est pratiqué pour les locations de terres à titre commercial (predprinimatel’skaja arenda), Zemel’naja reforma, op. cit., p. 147. D’après les données statistiques des zemstva de Poltava pour la période 1886-1900. A la suite des désordres aggravés de 1905, les loyers ont eu tendance à baisser temporairement tandis que le prix des terres est passé dans ce gouvernement de 194 roubles le decjatin en 1901 à 304 roubles en 1910 (« Zemel ‘nyj vopros » art. cit.). Le niveau moyen des loyers de la terre en Russie d’Europe a été estimé à 13,72 roubles, ce qui représente l’équivalent du tiers de la récolte (A. Maljavskij, Istoričeskie zapiski, n ° 102, Nauka, 1978, pp. 62 et 94).

    16 La nationalisation des terres ayant pour effet de faire disparaître la rente « absolue » de la théorie marxiste.

    17 M.I. Tugan Baranovskij, Propovednik nacionalizacii zemli, M., Trud i volja, 1906, 30 p.

    18 Remboursement sur 42 ans à raison d’annuités représentant 4 % de la valeur des terres.

    19 Le dernier chiffre, 7 , 2 millions d’acres s’ajoutant aux 2 millions d’acres acquis en 1902 (pour la période 1901-1903), est précisé par Tugan Baranovskij dans « Zemel’nyj vopros », art. cit.

    20 Paškov, op. cit., p. 265.

    21 A.V. Pešehonov, Zemel’nyja nuždy derevni i osnovnyja zadači agramoj reformy, M., Russkoe Bogatstvo, 1905,appuie une thèse similaire à celle de Tugan Baranovskij.

    22 En 1905, la noblesse avait aliéné 48 % des terres qui lui appartenaient au partage de 1861.

    23 Roberta Thompson Manning (« Zemstvo and révolution : the onset of the gentry », in Léopold Haimson, The politics of rural Russia 1905-1914, Indiana University Press, 1974, p. 34) précise qu’en 1897, 30 % seulement des fonctionnaires de l’administration sont des nobles de naissance.

    24 Bol’śaja sovetskaja énciklopedija, 1re éd., 1.15, p. 515.

    25 M.S. Simonova, op. cit. (Materialy vysočašče učreždennoj 16 nojabrja 1901, Kommissii po issledovanija voprosa o dviienii c 1861 po 1900 g. blagosostojanija sel’skogo naselenija srednezemledel’českih gubemij sravnitel’no s drugimi mestnostjami Evropejskoj Rossii, razrabotano departamentom okladnyh sborov, čast’ I-III, SPb., 1903).

    26 Tugan Baranovskij, « Zemel’nyj vopros », art. cit.

    27 E. Kirjuhina, « Vserossiiskij krest’janskij sojuz v 1905 g. », Istorileskie zapiski, n° 50, 1955,pp. 96-102.

    28 A partir d’août 1906, les paysans vont obtenir un passeport sans obligation d’obtenir au préalable l’autorisation du chef de famille. Les décrets du 22 novembre 1906 accordent le droit d’acquérir les terres paysannes en propriété, le droit de se détacher de la communauté et de demander le remembrement des lots en un même terroir. V. Gurko, Otryvočnyja mysli po agramomu voprosu, SPb., 1906 et Features and Figures of the Past, Stanford, 1939.

    29 Dans le gouvernement de Poltava particulièrement sensible pour les observateurs du problème agraire, 21 % des ouezds ont été gagnés par des désordres en 1905 (P.E. Kotlov, « Krestjanskoe dviienie na Poltavščine v 1905-1907 godah », Voprosy istorii, n° 3, 1959, p. 103).

    30 Shmuel Galai, The Liberation Movement in Russia 7900-2905, Cambridge University Press, 1973, p. 245.

    31 L’évolution de la social-démocratie allemande qui avait gagné 81 sièges aux élections au Reichstag en 1903 avec 31,7 % des voix, a peut-être servi de modèle bien que ces succès n’aient nullement démobilisé le mouvement revendicatif (1904 grèves du textile, 1905 grèves des mineurs) ce qui conforte Rosa Luxemburg (Massenstreik, Partei und Gewerkschaften, 1906).

    32 Quelque trente délégués au congrès se sont inscrits pour traiter du problème agraire (E. Kirjuhina, op. cit., p. 102).

    33 Maureen Perrie, The Agrarian Policy of S.R. party 1905-1907 Cambridge University Press, 1976. Ce programme rédigé par Cernov aura pour effet de mettre en veilleuse la position initiale du parti sur la socialisation totale des terres. Il précise que les terres achetées par les paysans seraient épargnées lorsque leur superficie n’excède pas la norme de travail. Comme Tugan Baranovskij, il envisage de maintenir le paiement des loyers sous forme d’un impôt foncier ; mais à la différence de ce dernier, Cernov refuse le versement d’indemnités compensatoires aux anciens propriétaires sauf cas exceptionnels.

    34 E. Kirjabrina, op. cit., p. 128.

    35 V. Ilin (Lenin), Nuidy derevni. K derevenskoj bednote (1903), SPb., Molot, 1905 ; VI. Lenin, « Peresmotr agrarnoj programmy raboëej partii », Polnoe sobranie soéinenij, 3e éd., t. IX ; « Agrarnaja programma social’democracii v pervoj russkoj revoljucii », Polnoe sobranie sočinenij, t. XVI, p. 408.

    36 Ingeborg Fleischhauer, « The agrarian program of the Russian Constitutional Democrats », Cahiers du monde russe et soviétique, XX(2), avril-juin 1979, pp. 173-201 ; et plus particulièrement in I. Petrunkeviè i Kn. P. Dolgorukij, éd., Agramyj vopros, vyp. II, M., Beseda, 1907 (N. Kutler, « Ob”jasnitel’naja zapiska k proektu zakona o merah k rasšireniju i ulučšeniju krest’janskago zemlevladenija. Proekt glavnyh osnovanij dopolnitel’nogo nadelenija krest’jan »).

    37 Le projet des Trudoviki (dit des 104, déposé le 23 mai 1906, puis celui des 33 députés le 8 juin 1906) reflétait d’assez près le programme des S.-R., non représentés à la Douma.

    38 P. Maslov, Kritika agramyh programm i proekt programmy, M., Kolokol, 1905 ; N. Rozkov, K agramomu voprosu, M., Kolokol, 1905.

    39 Au 4e Congrès du Parti social-démocrate (avril 1906) les deux fractions s’unissent sur le programme agraire de municipalisation des terres présenté par P. Maslov. Par la suite, son auteur – qui avait par ailleurs critiqué la première version du programme agraire du Parti élaboré par Lenin en 1903 – sera passé sous silence par l’historiographie soviétique (Bol’šaja sovetskaja éncihopedija, 1re éd., t. 28, p. 326) Le rôle de P. Maslov est par contre souligné par N. Rubakin dans sa remarquable synthèse de la littérature agraire avant la Révolution, Sredi knig, M., 1913, vol. II, p. 686.

    40 Cité par Ingeborg Fleischhauer, op. cit., p. 193.

    41 Tugan Baranovskij, Propovednik..., op. cit.

    42 Zemel’naja reforma i kooperacija, Tver’, 1918, cité par A. Nove, op. cit.

    Auteur

    • Basile Kerblay

      (Université de Paris IV)

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    1 « Vouloir tout égaliser... exige un pouvoir redoutable ».

    1 SPb., Mir Božij, 1905, 204 p.

    2 Le projet de loi de Witte a été publié en 1924 par S. Dubrovskij, Agrarnyj vopros v Sovete ministrov 1906 god, M., 1924.

    3 Tugan Baranovskij, « Učenie o predel’noj poleznosti », in Juridičeskij vestnik 1890 ; OCerki iz novejšej istorii političskoj ékonomii, SPb., 1903 ; Osnovy politiieskoj ékonomii, M., 1911.

    4 Tugan Baranovskij, « Zemel’nyj vopros », in Ènciklopedičeskijslovar’, Granat, 13e éd., 1913, t. 21, pp. 51-148 ; l’ouvrage de E. David, Socializm i sel’skoe hozjajstvo paraît en Russie en 1906, Die Agrarfrage (Stuttgart, 1902) de Karl Kautzky en russe à Saint-Pétersbourg en 1900, la même année que S.N. Bulgakov, Kapitalizm i zemledelie (SPb., 1900).

    5 Bol ’šaja sovetska]a énciklopedija, 1re éd., t. 15, p. 515 ; Alec Nove, « M.I. Tugan Baranovskij, 1865-1919 », in the History of Political Economy, vol. 2, n • 2, fall 1970, pp. 246- 262 ; A. PaSkov, Istorija russkoj ékonomiieskoj mysli, t. 3, M., Mysl’, 1966, pp. 256-257.

    6 A. Mendel, Dilemna ofProgress in Tsarist Aussia, Cambridge, 1961, p. 305.

    7 Le prix du blé sur le marché de Londres est tombé par rapport à 1871-1875 = 100 à l’indice 73 en 1881-1885, l’indice 51 en 1891-1895. (Tugan Baranovskij, « Zemel’nyj vopros, art. cit.)

    8 Osoboe sovefàmie o nuždah sel’skohozjajstvennoj promyšllennosti. Cf. M.S. Simone va, « Problema oskudenija centra i ee roi’ v formirovanii agrarnoj politiki samoderzavija v godah naèala XX v. », in Problemy social’no-ékonomičeskoj istorii Rossii, Nauka, 1971, pp. 236-260.

    9 Zemel’naja reforma, op. cit., pp. 138-139.

    10 Une loi de 1895 avait mis en place le crédit mutuel coopératif à la paysannerie (complétée en 1904 par la création au sein de la Banque d’État d’une direction po delam melkogo kredita, Tugan Baranovskij, Social’nye osnovy kooperacii, M., 1916). Un décret du 12 mars 1903 avait aboli la solidarité fiscale qui liait les membres du mir. Enfin, le 3 novembre 1905, le gouvernement décide de mettre fin à dater du 1er janvier 1907 au paiement des redevances dues au titre des partages de 1861 et de réduire de moitié le montant des annuités à verser en 1906.

    11 Dans « Zemel’nyj vopros », Tugan Baranovskij donne des chiffres plus récents : 604 000 transferts en 1908.

    12 Ailleurs qu’en Sibérie précise-t-il, on se heurte soit au fait que les paysans du centre et du sud de la Russie ne sont pas préparés à s’installer dans les régions forestières, soit à la nécessité de sauvegarder les droits des populations locales dans les steppes de Kirghizie (Kazakhstan actuel) et du Turkestan.

    13 Zemel’naja reforma, op. cit., p. 164. La pression démographique a entraîné la mise en culture de la jachère, ce qui a réduit la fertilité des sols et les possibilités de l’élevage en recul de 1 % par an en Russie. Les rendements moyens du blé (1899-1904) ne dépassent pas 39 puds par decjatin en Russie contre 124 puds en Allemagne.

    14 Le prix des terres est monté sur la base des mutations réalisées par l’intermédiaire de la Banque des paysans de 39 roubles par decjatin en 1901 à 108 roubles en 1902. Zemel’naja reforma, op. cit., p. 142.

    15 Le loyer « alimentaire » dans le gouvernement de Poltava est passé de 9 roubles par decjatin en 1895 à 12,60 roubles en 1900, soit un niveau de loyer de 45 % plus élevé que celui qui est pratiqué pour les locations de terres à titre commercial (predprinimatel’skaja arenda), Zemel’naja reforma, op. cit., p. 147. D’après les données statistiques des zemstva de Poltava pour la période 1886-1900. A la suite des désordres aggravés de 1905, les loyers ont eu tendance à baisser temporairement tandis que le prix des terres est passé dans ce gouvernement de 194 roubles le decjatin en 1901 à 304 roubles en 1910 (« Zemel ‘nyj vopros » art. cit.). Le niveau moyen des loyers de la terre en Russie d’Europe a été estimé à 13,72 roubles, ce qui représente l’équivalent du tiers de la récolte (A. Maljavskij, Istoričeskie zapiski, n ° 102, Nauka, 1978, pp. 62 et 94).

    16 La nationalisation des terres ayant pour effet de faire disparaître la rente « absolue » de la théorie marxiste.

    17 M.I. Tugan Baranovskij, Propovednik nacionalizacii zemli, M., Trud i volja, 1906, 30 p.

    18 Remboursement sur 42 ans à raison d’annuités représentant 4 % de la valeur des terres.

    19 Le dernier chiffre, 7 , 2 millions d’acres s’ajoutant aux 2 millions d’acres acquis en 1902 (pour la période 1901-1903), est précisé par Tugan Baranovskij dans « Zemel’nyj vopros », art. cit.

    20 Paškov, op. cit., p. 265.

    21 A.V. Pešehonov, Zemel’nyja nuždy derevni i osnovnyja zadači agramoj reformy, M., Russkoe Bogatstvo, 1905,appuie une thèse similaire à celle de Tugan Baranovskij.

    22 En 1905, la noblesse avait aliéné 48 % des terres qui lui appartenaient au partage de 1861.

    23 Roberta Thompson Manning (« Zemstvo and révolution : the onset of the gentry », in Léopold Haimson, The politics of rural Russia 1905-1914, Indiana University Press, 1974, p. 34) précise qu’en 1897, 30 % seulement des fonctionnaires de l’administration sont des nobles de naissance.

    24 Bol’śaja sovetskaja énciklopedija, 1re éd., 1.15, p. 515.

    25 M.S. Simonova, op. cit. (Materialy vysočašče učreždennoj 16 nojabrja 1901, Kommissii po issledovanija voprosa o dviienii c 1861 po 1900 g. blagosostojanija sel’skogo naselenija srednezemledel’českih gubemij sravnitel’no s drugimi mestnostjami Evropejskoj Rossii, razrabotano departamentom okladnyh sborov, čast’ I-III, SPb., 1903).

    26 Tugan Baranovskij, « Zemel’nyj vopros », art. cit.

    27 E. Kirjuhina, « Vserossiiskij krest’janskij sojuz v 1905 g. », Istorileskie zapiski, n° 50, 1955,pp. 96-102.

    28 A partir d’août 1906, les paysans vont obtenir un passeport sans obligation d’obtenir au préalable l’autorisation du chef de famille. Les décrets du 22 novembre 1906 accordent le droit d’acquérir les terres paysannes en propriété, le droit de se détacher de la communauté et de demander le remembrement des lots en un même terroir. V. Gurko, Otryvočnyja mysli po agramomu voprosu, SPb., 1906 et Features and Figures of the Past, Stanford, 1939.

    29 Dans le gouvernement de Poltava particulièrement sensible pour les observateurs du problème agraire, 21 % des ouezds ont été gagnés par des désordres en 1905 (P.E. Kotlov, « Krestjanskoe dviienie na Poltavščine v 1905-1907 godah », Voprosy istorii, n° 3, 1959, p. 103).

    30 Shmuel Galai, The Liberation Movement in Russia 7900-2905, Cambridge University Press, 1973, p. 245.

    31 L’évolution de la social-démocratie allemande qui avait gagné 81 sièges aux élections au Reichstag en 1903 avec 31,7 % des voix, a peut-être servi de modèle bien que ces succès n’aient nullement démobilisé le mouvement revendicatif (1904 grèves du textile, 1905 grèves des mineurs) ce qui conforte Rosa Luxemburg (Massenstreik, Partei und Gewerkschaften, 1906).

    32 Quelque trente délégués au congrès se sont inscrits pour traiter du problème agraire (E. Kirjuhina, op. cit., p. 102).

    33 Maureen Perrie, The Agrarian Policy of S.R. party 1905-1907 Cambridge University Press, 1976. Ce programme rédigé par Cernov aura pour effet de mettre en veilleuse la position initiale du parti sur la socialisation totale des terres. Il précise que les terres achetées par les paysans seraient épargnées lorsque leur superficie n’excède pas la norme de travail. Comme Tugan Baranovskij, il envisage de maintenir le paiement des loyers sous forme d’un impôt foncier ; mais à la différence de ce dernier, Cernov refuse le versement d’indemnités compensatoires aux anciens propriétaires sauf cas exceptionnels.

    34 E. Kirjabrina, op. cit., p. 128.

    35 V. Ilin (Lenin), Nuidy derevni. K derevenskoj bednote (1903), SPb., Molot, 1905 ; VI. Lenin, « Peresmotr agrarnoj programmy raboëej partii », Polnoe sobranie soéinenij, 3e éd., t. IX ; « Agrarnaja programma social’democracii v pervoj russkoj revoljucii », Polnoe sobranie sočinenij, t. XVI, p. 408.

    36 Ingeborg Fleischhauer, « The agrarian program of the Russian Constitutional Democrats », Cahiers du monde russe et soviétique, XX(2), avril-juin 1979, pp. 173-201 ; et plus particulièrement in I. Petrunkeviè i Kn. P. Dolgorukij, éd., Agramyj vopros, vyp. II, M., Beseda, 1907 (N. Kutler, « Ob”jasnitel’naja zapiska k proektu zakona o merah k rasšireniju i ulučšeniju krest’janskago zemlevladenija. Proekt glavnyh osnovanij dopolnitel’nogo nadelenija krest’jan »).

    37 Le projet des Trudoviki (dit des 104, déposé le 23 mai 1906, puis celui des 33 députés le 8 juin 1906) reflétait d’assez près le programme des S.-R., non représentés à la Douma.

    38 P. Maslov, Kritika agramyh programm i proekt programmy, M., Kolokol, 1905 ; N. Rozkov, K agramomu voprosu, M., Kolokol, 1905.

    39 Au 4e Congrès du Parti social-démocrate (avril 1906) les deux fractions s’unissent sur le programme agraire de municipalisation des terres présenté par P. Maslov. Par la suite, son auteur – qui avait par ailleurs critiqué la première version du programme agraire du Parti élaboré par Lenin en 1903 – sera passé sous silence par l’historiographie soviétique (Bol’šaja sovetskaja éncihopedija, 1re éd., t. 28, p. 326) Le rôle de P. Maslov est par contre souligné par N. Rubakin dans sa remarquable synthèse de la littérature agraire avant la Révolution, Sredi knig, M., 1913, vol. II, p. 686.

    40 Cité par Ingeborg Fleischhauer, op. cit., p. 193.

    41 Tugan Baranovskij, Propovednik..., op. cit.

    42 Zemel’naja reforma i kooperacija, Tver’, 1918, cité par A. Nove, op. cit.

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    Ce livre est cité par

    • Reis, Daniel Aarão. (2021) As revoluções russas de 1917. Estudos Ibero-Americanos, 47. DOI: 10.15448/1980-864X.2021.3.41624

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    Kerblay, Basile. « Tugan Baranovskij et ses propositions de réforme agraire en 1905 ». In 1905, édité par François-Xavier Coquin et Céline Gervais-Francelle. Paris: Éditions de la Sorbonne, 1986. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.52406.
    Kerblay, Basile. « Tugan Baranovskij et ses propositions de réforme agraire en 1905 ». 1905, édité par François-Xavier Coquin et Céline Gervais-Francelle, Éditions de la Sorbonne, 1986, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.52406.

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    Coquin, F.-X., & Gervais-Francelle, C. (éds.). (1986). 1905 (1‑). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.52221
    Coquin, François-Xavier, et Céline Gervais-Francelle, éd. 1905. Paris: Éditions de la Sorbonne, 1986. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.52221.
    Coquin, François-Xavier, et Céline Gervais-Francelle, éditeurs. 1905. Éditions de la Sorbonne, 1986, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.52221.
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