1905
| ,Avant-propos
Texte intégral
1Ce pouvait paraître une gageure que d’organiser un colloque sur la révolution de 1905 et d’en présenter les Actes au public. Eclipsée depuis soixante ans par celle de 1917, la révolution de 1905 fait en effet figure de parente pauvre de la recherche historique, et c’est à peine si l’on trouverait à énumérer quelques titres français à ce sujet, et guère davantage à l’étranger, U.R.S.S. exceptée. Dans ce pays, il est vrai, les études ne manquent pas sur cette « Première Révolution Russe de 1905- 1907 » ; mais elles tendent pour la plupart à en faire le prélude à la révolution de 1917 – d’octobre 1917 – à laquelle on prétend l’annexer sans souci de son autonomie ni de sa problématique propres. C’est ainsi que la classe ouvrière aurait combattu, dès 1905, pour des soviets de modèle bolchévique sous la direction de leaders acquis par avance aux futurs appels de Lénine à l’insurrection. Le temps pouvait sembler venu, avec le 75e anniversaire de 1905, de faire rentrer l’Histoire dans ses droits, et d’étudier pour elle-même cette révolution méconnue.
2Tâche ardue. Comme on le sait, la révolution de 1905 se situe à l’intersection des mouvements les plus divers : mouvement libéral et constitutionnel, émeutes agraires, révoltes ouvrières, agitation étudiante, mutineries, ... ou concurrence des partis politiques qui surgissent pour la première fois au grand jour, et cherchent tout naturellement à inspirer la lutte révolutionnaire du « peuple » russe. Face à l’autocratie qui n’avait jamais toléré ni corps intermédiaires ni société civile, et qui prétendait incarner seule le pays tout entier, il n’existait guère encore à cette date qu’un « peuple » indifférencié et sans voix, dont les partis cherchent à se faire les porte-parole. Aussi la révolution de 1905-1907 se ramène pour une bonne part à la tentative des partis pour encadrer une société en cours de formation, et pour représenter une nation qui (comme le dit un marxiste repenti, Struve) aspire à naître face à l’Etat autocratique : « la Russie veut devenir une nation, c’est-à-dire une communauté de citoyens libres, disposant souverainement de leur sort ; ce que ne veut pas la bureaucratie pétersbourgeoise, car, face à la volonté souveraine de la nation, il n’y aurait plus de place pour aucune autocratie. »
3 Naturellement, nous ne cherchons pas à nous dissimuler les lacunes inévitables de ce recueil : le mouvement ouvrier, les soviets, les échos de la révolution à l’étranger, ou le rôle des minorités nationales y sont malheureusement trop peu évoqués ; ou encore ce que les historiens soviétiques appellent le « déplacement vers la Russie du centre du mouvement révolutionnaire international ». De même, le rôle de l’armée au sein de la révolution, ou l’échec ultime du parti libéral et constitutionnel qui se montre incapable d’incarner la résistance à l’autocratie, dont le concours lui paraissait indispensable pour contenir la poussée révolutionnaire et les risques d’une révolte sociale à la Pugatchëv. Pris entre le maximalisme autocratique et celui des plus révolutionnaires, les libéraux ne parviennent pas à faire épouser au pays leurs thèses constitutionnelles et parlementaires. Là est, tout autant que dans l’alliance qui se noue alors entre classe ouvrière et social-démocratie, l’apport principal des années 1905-1907, qui contribuent à lever (et ce devait être définitivement) l’hypothèque libérale.
4De telles lacunes sont, il est vrai, inhérentes à ce genre de publications qui ne verraient jamais le jour si l’on attendait que l’heure en soit venue. Du moins nous félicitons-nous du nombre et de la qualité des contributions, polonaises notamment, qui permettent d’éclairer tout un pan, trop souvent mal connu, de la révolution de 1905. De même nous sommes heureux d’inclure dans ce recueil deux études de caractère bibliographique qui aideront à combler d’inévitables lacunes.
5Arrivé à ce point, nous aimerions souligner les mérites, s’il en est, de ce recueil, et remercier tous ceux qui ont bien voulu y contribuer, et dont le concours et la science nous auront été irremplaçables. Mais plutôt que de détailler chaque contribution et de paraître établir on ne sait trop quel palmarès, nous préférons laisser à présent la parole au lecteur. A lui déjuger. Quant à nous, nous nous estimerons heureux, si ce recueil peut encourager l’étude d’une révolution méconnue, mais dont la connaissance nous paraît indispensable à la compréhension de la révolution de 1917, de ses succès, de ses lacunes, et aussi, il faut bien le dire, de ses échecs. D’une révolution dont la connaissance permet seule de remettre en perspective celle de 1917.
© Éditions de la Sorbonne, 1986