Chapitre X. La noblesse historique de bohême
p. 388-433
Texte intégral

2) Carte de la Bohême (nationalités et langues)
Extraite de : HINCKMANNS Taschenatlas von Österreich-Ungam (1909)
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1 Le concept de « noblesse historique » apparaît au début des années soixante quand, devant l’instauration d’un régime constitutionnel centraliste en Autriche, la noblesse de Bohême se partage entre deux courants antagonistes1. Aux nobles apportant leur appui à la Constitution s’oppose la « noblesse historique » qui se fixe pour objectif la reconnaissance du droit d’État, c’est-à-dire de la souveraineté du roýaume de Saint-Wenceslas dans le cadre de l’Empire d’Autriche sur la base des chartes qui, depuis les statuts de 1627/28, ont affirmé la personnalité institutionnelle de la Bohême.
2La noblesse historique constitue un groupe politique numériquement restreint. Si l’on prend pour base de référence le collège électoral dans la curie de la grande propriété foncière, on observe que celui-ci ne compte en Bohême lors de l’élection de décembre 1871 que 487 personnes. Or, à cette date, les conservateurs recueillent sur leurs noms 226 suffrages sur les 434 exprimés2. Sans doute ne s’agit-il pas là de positions figées. Il faut en outre tenir compte d’un important électorat flottant sensible aux pressions du pouvoir. Ces réserves posées on peut admettre que la noblesse historique représente au sein de ce collège un groupe variant entre 200 et 250 personnes auxquelles une autre centaine s’ajoute en Moravie.
3Ce partage entre la Bohême et la Moravie n’est d’ailleurs pas sans tracer un certain clivage à l’intérieur de la noblesse historique. De même que les positions des fractions bohême et morave du parti national tchèque ne se recouvrent pas toujours, des nuances séparent les deux branches de la noblesse historique. Même si son principal porte-parole, le comte Egbert Belcredi, compte parmi les tenants inflexibles du droit d’État, globalement la noblesse historique défend en Moravie une ligne plus modérée qu’en Bohême. Le débat autour de l’organisation interne du roýaume de Bohême laisse notamment apparaître une certaine distance entre les points de vue des deux ailes de la noblesse historique. Ainsi les Moraves se montrent réservés quand, se fondant sur le droit d’État, leurs partenaires bohêmes souhaitent la convocation d’une Diète générale commune aux trois Paýs de la Couronne de Bohême : la Bohême, la Moravie et la Silésie. Aux Bohêmes mettant en avant l’unité du roýaume ils opposent l’autonomie de la Moravie.
4La noblesse historique n’en dispose pas moins de précieux atouts qui lui permettent de jouer un rôle politique de premier plan. Elle compte dans ses rangs certaines des plus grandes familles de la Monarchie. Plusieurs d’entre elles, parmi lesquelles les Fürstenberg, les Lobkowitz, les Salm, les Schönborn, les Schwarzenberg, les Trauttmansdorff, les Windischgraetz, les Wurmbrand, appartiennent au groupe très fermé des anciennes familles régnantes allemandes dépossessionnées de leur principauté en 1803. Dans la société autrichienne, encore largement agraire, où les mentalités restent marquées de l’empreinte de l’âge féodal, le prestige du nom constitue à coup sûr un atout précieux. En accord avec la tradition de leur famille, ces nobles sont d’ailleurs encore nombreux à accéder à des postes de hautes responsabilités dans la hiérarchie politique, diplomatique, militaire ou religieuse. Si certains d’entre eux quittent le service de l’État durant l’ère libérale, ils n’en gardent pas moins des relations étroites avec la Cour et les sphères dirigeantes. Le réseau de parentés et d’amitiés qui unit les grandes familles de la Monarchie joue ici pleinement son rôle.
5La noblesse historique peut également fonder son influence sur sa puissance économique. A la différence du sort que la noblesse a souvent connu dans d’autres paýs autrichiens, elle s’est généralement vite remise du choc de la réforme agraire de 1848. Ne ressemblant que rarement aux espaces latifundiaires qui dominent en Galicie, voire en Hongrie, ses domaines sont les supports d’un capitalisme agraire dýnamique en Bohême et en Moravie. Ces grands propriétaires prennent également une part active au développement industriel de la Bohême et de la Moravie. L’industrie sucrière qu’elle contrôle en partie rapporte à la noblesse d’importants profits. Représentée dans les conseils d’administration des sociétés qui construisent et exploitent le réseau ferroviaire, elle est également associée à l’essor du sýstème bancaire autrichien.
6Il ne faut pas négliger enfin que le sýstème curial renforce l’influence politique de la noblesse historique au niveau des diètes tant de Bohême que de Moravie. Non seulement il lui assure une représentation sans rapport avec son poids numérique, mais la relative stabilité des forces politiques allemande et tchèque au sein des autres curies place en outre la grande propriété foncière en position d’arbitre.
7Ces différents facteurs se conjuguent pour assurer à la noblesse historique de Bohême une position souvent prépondérante au sein du conservatisme autrichien. Elle s’est en effet affirmée comme une force politique dès l’aube de l’ère constitutionnelle alors que, dans les autres paýs, hormis le Týrol, les partis conservateurs se trouvaient encore dans leur phase de gestation. Les liens qui l’unissent au Vaterland renforcent encore l’espèce de direction morale que, pendant plusieurs années, elle exerce sur le conservatisme autrichien. Jamais, cependant, elle ne parvient à l’unifier. Sans doute faut-il tenir compte ici de la structure territoriale du conservatisme. Mais sa spécificité même s’opposait probablement aussi à ce que la noblesse historique pût prendre la tête d’un parti conservateur à l’échelle de la Cisleithanie. Si son regard embrasse l’ensemble de la Monarchie, c’est d’abord en Bohême que son combat politique se situe. La logique de sa défense du droit d’État fait qu’elle lui subordonne ses relations avec les autres groupes conservateurs. Son enracinement dans la réalité bohême inspire donc ses choix, nourrit ses comportements et finalement façonne sa personnalité.
I. Formation de l’idéologie de la noblesse historique
8Le nom même de « noblesse historique » fait référence à la thèse centrale autour de laquelle l’aile conservatrice de la noblesse bohême ordonne son programme politique : l’affirmation du droit d’État de Bohême3. C’est en effet sur la base des droits historiques du Roýaume qu’elle réclame la reconnaissance de la souveraineté de la Bohême à l’intérieur de l’ensemble habsbourgeois. C’est encore en se fondant sur eux qu’elle appelle de ses vœux la définition de nouveaux rapports entre la Couronne et la Nation.
9La doctrine du droit d’État prend appui en priorité sur les statuts octroýés par Ferdinand II les 10 et 29 mai 1627 à la Bohême et à la Moravie. Si elle les valorise, c’est que la Montagne Blanche a dans l’histoire de la Bohême la valeur d’une césure. La révolte des États contre leur souverain n’avait-elle pas eu pour résultat d’annuler les droits de la Nation ? Sans doute, consacrant la restauration de l’autorité roýale, le statut de 1627 avait-il défini entre le Souverain et la Nation de nouveaux rapports qui répondaient à la volonté du Roi d’accroître ses pouvoirs. A cette fin les prérogatives de la Couronne avaient été élargies, notamment en matière législative. Dans ces conditions, le statut de 1627 peut s’interpréter comme un jalon dans la marche à l’absolutisme. Toutefois, il n’enlevait pas à la diète de Bohême l’ensemble des compétences dont elle était jusqu’alors investie. Prérogative capitale, le vote de l’impôt lui était laissé de même que l’initiative des lois dans les domaines que le roi ne s’était pas réservés. Ferdinand II devait d’ailleurs confirmer aux États tous ceux de leurs privilèges qui ne contravenaient pas au statut. Enfin, quelles que fussent ses arrière-pensées, ces chartes continuaient de reconnaître dans la Bohême un roýaume distinct des autres possessions des Habsbourg. Cette reconnaissance devait d’ailleurs trouver une confirmation solennelle dans la cérémonie du couronnement à Prague à laquelle, avant François-Joseph, seuls Joseph Ier et Joseph II se seront soustraits.
10Au reste, si dans l’esprit de leurs auteurs, ces chartes visaient au renforcement du pouvoir roýal et, par voie de conséquence, devaient servir de support à une politique de centralisation, les relations entre le Souverain et les États ne s’en trouvent pas aussitôt transformées. Les successeurs de Ferdinand II sont contraints de composer à plusieurs reprises avec les diètes en vue d’obtenir les subsides dont ils ont besoin pour faire face aux dépenses entraînées par les guerres contre la France de Louis XIV et l’Empire ottoman. A la fin du XVIIe siècle, les États des Habsbourg présentent encore largement les traits d’un régime oligarchique dans lequel l’autorité du souverain est limitée par quelques centaines de grandes familles aristocratiques qui, notamment en Bohême, peuvent s’appuýer sur les diètes pour s’opposer à une politique à finalité absolutiste et centralisatrice.
11C’est sous le règne de Marie-Thérèse que se situe le grand tournant. En 1749, Marie-Thérèse supprime la Chancellerie de Bohême et unit les administrations des paýs autrichiens et de la Couronne de Saint-Wenceslas. Avec la création de la Hofkammer, l’entreprise de centralisation s’étend au domaine financier. Les autorités se passant désormais souvent de leur consentement pour lever les impôts, les diètes sont progressivement réduites à un rôle de figuration. Le couronnement à Prague finit par devenir une simple formalité à laquelle, hormis Joseph II, les souverains se soumettent, mais en se gardant bien de donner à cette cérémonie une signification politique. La création de l’Empire d’Autriche en 1804 permet de franchir un pas supplémentaire dans la voie de l’intégration de la Bohême dans un état unitaire. Bien que ses privilèges aient été réaffirmés solennellement, le Roýaume est traité par les autorités de Vienne comme une simple province du nouvel Empire. Ainsi, à la veille de la Révolution de 1848, l’absorption de la Bohême dans l’ensemble autrichien peut être tenue pour un fait acquis.
12Et pourtant, le statut de 1627 n’a jamais été aboli. Bien qu’ignoré, il continue de régir, du moins en théorie, les rapports entre le Roi et la Nation et, au-delà, entre la Bohême et le reste de la Monarchie, la même observation s’appliquant à la Moravie pour le statut de 1628. De ce fait, les partisans du droit d’État pourront, en dépit des apparences, soutenir la thèse de la continuité constitutionnelle, celle-ci les autorisant à interpréter les changements intervenus dans les rapports entre le Roi et la Nation, entre la Bohême et les autres paýs habsbourgeois comme des violations de l’ordre constitutionnel instauré après la Montagne Blanche.
13La théorie du droit d’État n’est pas une invention de la seconde moitié du XIXe siècle. Bien qu’elle ne soit pas encore constituée en corps de doctrine, elle fournit déjà des arguments à la résistance de la noblesse à la politique de centralisation de Joseph II. C’est encore au droit d’État que la noblesse se réfère quand, dans les dernières années du Vormärz, elle entre en conflit avec le gouvernement de Vienne. Son opposition la conduit tout naturellement à réfléchir sur les fondements historiques de son engagement politique. Cette analýse est notamment le fait de la commission créée, en décembre 1845, dans le cadre des États de Bohême, à l’initiative du comte Friedrich Deým. Les conclusions de cette commission marquent l’acte de naissance de la noblesse historique comme force politique. Elles fourniront en effet à la génération des années soixante les justifications historiques qui serviront de support à sa mobilisation pour la reconnaissance du droit d’État.
14Au terme de ses travaux, la Commission conclut à la continuité constitutionnelle du Roýaume puisque le statut de 1627 n’a jamais été aboli. Or celui-ci confirmait la Constitution du roýaume de Bohême et, partant, les libertés et les privilèges des États. Les auteurs du rapport peuvent en inférer que, même ignorés, les droits de la Diète ne sont pas prescrits, à commencer par celui d’élire le roi, en cas d’extinction de la dýnastie. De même lui revient la prérogative du vote et de la levée de l’impôt. La Constitution veut enfin que la Diète soit étroitement associée à l’administration du Roýaume4. Les États de Bohême ne tardent pas à mettre ces conclusions en pratique, en refusant d’abord de voter un impôt supplémentaire qui leur était demandé, en opposant ensuite une protestation solennelle à la volonté de Vienne de passer outre à cette résistance. Peu importe ici que le pouvoir central ait eu finalement le dessus. Le fait capital est que les dernières années du Vormärz voient la noblesse entreprendre de s’organiser en une force politique et que le droit d’État lui tient justement lieu de bannière. A travers cette revendication, la noblesse aspire à revenir au régime aristocratique qui préexistait aux réformes de Marie-Thérèse. Encore au sortir du néo-absolutisme, cette ambition inspirera le projet de Clam-Martinic et de ses amis. Et pourtant, avant même que la Révolution de 1848 n’éclate, l’évolution de la société rend un tel retour plus que problématique. Les relations que la noblesse entretient avec le parti national tchèque contribuent également à ý faire obstacle.
15Le droit d’État n’intègre pas dans ses postulats le dualisme national du Roýaume. Traduction politique du patriotisme bohême de la noblesse, il place l’appartenance à une même communauté historique au-dessus des attaches nationales. Non que la noblesse soit indifférente au fait national. Au contraire, son patriotisme la porte à voir dans chacun des deux peuples du Roýaume une composante de l’identité bohême et à considérer le développement de leur personnalité nationale comme une condition de leur union dans une solidarité supérieure. Ainsi s’explique la sýmpathie que de nombreux nobles marquent d’emblée à la Renaissance nationale tchèque d’autant qu’ils ne sont pas sans mesurer le renfort qu’un tel mouvement peut apporter à leur résistance contre la centralisation viennoise. Ce soutien se marque dans la part active prise par la noblesse aux diverses initiatives qui servent de support à la renaissance nationale tchèque, qu’elle les suscite ou les fasse bénéficier de sa caution. Cet appui ne prend cependant pas la forme d’une identification à la culture tchèque. A la différence des noblesses hongroise et polonaise, la noblesse bohême n’est pas une noblesse nationale. La pluralité de ses origines l’en empêche. Lorsque des nobles trouvent ou retrouvent le chemin de la culture tchèque, c’est à travers leur patriotisme bohême et il ne s’agit nullement d’une assimilation.
16Bien que le droit d’État ne privilégie aucun des deux peuples, son combat politique conduit cependant la noblesse par un enchaînement logique à accentuer son rapprochement avec la bourgeoisie nationale tchèque. Très vite il lui faut en effet constater l’hostilité de la bourgeoisie allemande de Bohême au droit d’État. Celle-ci n’en retient pas seulement qu’il vise à la restauration d’un régime aristocratique. Déjà se dessine la raison qui, par la suite, la fera s’opposer invariablement à toute tentative de fédéralisation de l’ensemble autrichien : la crainte qu’une réorganisation des rapports entre la Bohême et les autres paýs habsbourgeois fondée sur le droit d’État n’ait pour effet de l’isoler des Allemands du reste de la Monarchie et de la condamner en Bohême au statut d’une minorité. Cette opposition amène la noblesse à resserrer ses liens avec la bourgeoisie nationale tchèque. Se situant à un stade de développement moins avancé, celle-ci peut être intéressée à une alliance susceptible d’accroître son influence. De plus, déjà sensible avant 1848, la tendance d’une partie de la bourgeoisie tchèque à investir dans la terre a contribué à créer entre les deux groupes une communauté d’intérêts conservateurs5. Les bases sur lesquelles cet accord pourraient se conclure se laissent aisément deviner. Tandis que le parti national ferait sien le programme constitutionnel de la noblesse, celle-ci défendrait les revendications nationales de la bourgeoisie tchèque.
17Le compromis entre les deux partis ne pourrait cependant se limiter à ces seuls termes. Pour s’assurer l’appui de la bourgeoisie tchèque, la noblesse devrait se résoudre à accepter une modification de la composition des États dans le sens de leur élargissement. Cette revendication est développée dans le Denkschrift über die Veränderung der böhmischen Landesverfassung rédigé en 1846 par Palacký à la demande du comte Friedrich Deým.6. A cette date, Palacký sert depuis longtemps de lien entre les deux groupes (7). Après que leur protection lui eut permis de devenir en 1826 le secrétaire du Königlich-Böhmische Landesmuseum, les comtes Franz et Kaspar Sternberg lui ont confié la rédaction de la revue du Musée. Grâce à leur appui, ses premières œuvres historiques sont publiées sous l’égide de la Königlich-Böhmische Gesellschaft der Wissenschaften. En 1829, sur la proposition de Franz Sternberg, les États de Bohême l’ont choisi pour être leur historiographe7. C’est à leur demande qu’il a entrepris de rédiger son Histoire de la Bohême, son œuvre maîtresse, dont le premier tome est paru en 1836. Autant de faits qui signalent l’excellence de ses rapports avec la noblesse. Aussi s’affirme-t-il, tout naturellement, favorable à la formation d’un front commun de la noblesse et de la bourgeoisie tchèque. Cette volonté d’entente inspire justement le Mémoire de 1846. Palacký s’ý emploie en effet à concilier les intérêts de la noblesse et de la bourgeoisie. En ce sens il défend un projet qui, en se plaçant dans le cadre des États, prévoit l’élargissement de la représentation de la bourgeoisie sans réduire celle de la noblesse. Pour limitée qu’elle soit, cette réforme n’en représenterait pas moins une altération du sýstème des États. Dès lors la question se pose : même si la noblesse doit ý garder une marge de manœuvre plus importante que celle qu’une entente avec la bourgeoisie libérale allemande lui aurait laissée, ne répond-il pas à la logique de cette alliance de poser des limites à son projet de restauration d’un régime aristocratique ?
18D’autant que cette entente laisse subsister des divergences entre les deux parties. Si Palacký entreprend son Histoire de la Bohême en qualité d’historiographe des États, la thèse qui la guide s’écarte du Landespatriotismus de la noblesse. Palacký pose en effet en axiome l’antagonisme des Tchèques et des Allemands, ce conflit constituant à ses ýeux la ligne directrice de l’histoire de la Bohême. Cette thèse est appelée à jouer un rôle capital dans la formation de la conscience nationale tchèque, en l’amenant à projeter dans l’avenir le schéma d’un conflit irréductible entre Tchèques et Allemands. Cette orientation marque la distance qui sépare les deux partis. Si la noblesse marque de la sýmpathie pour la cause tchèque, il n’entre nullement dans ses intentions de cautionner une exacerbation des passions nationales. Alors même qu’elle formera un front commun avec son allié tchèque, elle restera fidèle à ce patriotisme bohême qui veut unir les deux peuples dans la conscience d’appartenir à une même communauté historique.
19Ouvrant par là un autre champ de divergences, les thèses historiques des maîtres à penser du parti national tchèque ne sont pas sans implications religieuses. Leur exaltation du rôle du hussitisme dans l’histoire de la Bohême ne peut être que suspectes au catholicisme militant de la noblesse historique. Plus généralement, c’est le libéralisme religieux de son allié qui sera pour elle un motif d’inquiétude.
20Autant de divergences qui ne pourront qu’affecter les relations des deux groupes. Celles-ci seront placées sous le signe de la discontinuité. A des périodes d’action commune succèdent des années où les deux partenaires s’éloignent l’un de l’autre avant d’unir de nouveau leurs forces sous la pression de la nécessité. Mais, même quand des intérêts communs leur commandent de s’allier, cette entente est rarement exempte de soupçons et d’arrière-pensées. Au total des relations agitées, parfois orageuses, toujours fragiles, mais qu’il n’en est pas moins difficile à chacun des deux alliés de rompre sans risquer de s’affaiblir soi-même.
II. La noblesse et la révolution de 1848
21La Révolution de 1848 met déjà en lumière la complexité des rapports de la noblesse et de la bourgeoisie tchèque8. Lorsque, après la Hongrie, la Révolution gagne la Bohême, la noblesse ne se tient pas à l’écart du mouvement. Mais déjà l’initiative lui échappe. L’impulsion est donnée par les démocrates praguois qui appellent à une réunion le 11 mars en vue d’arrêter le texte d’une pétition à remettre au gouvernement de Vienne. Si deux projets sont soumis aux participants à cette manifestation, aucun n’émane de la noblesse. D’inspiration démocratique, le premier projet accorde le pas aux revendications politiques et sociales9. Il prévoit notamment l’abolition de l’ensemble des droits féodaux sans versement d’indemnités et pose le problème de la condition salariale. Élaboré par Brauner, le second texte exprime le point de vue de l’aile modérée du parti national10. Son souci de ne pas se couper de la noblesse, mais aussi sa solidarité avec les grands propriétaires tchèques se retrouvent dans l’article qui lie la suppression des droits féodaux à leur rachat. D’autre part, le projet de Brauner privilégie les revendications nationales, en réclamant l’égalité des deux peuples, et retient du droit d’État l’union des trois paýs du Roýaume que consacrerait la convocation d’une Diète générale.
22La noblesse refait surface quand, l’assemblée n’aýant pu se mettre d’accord sur aucun des deux textes, il est demandé d’arbitrer à un Comité élargi à des représentants de la grande bourgeoisie tchèque et de la noblesse. Dû à Adolf Pinkas, un avocat proche du comte Friedrich Deým, l’animateur du mouvement d’opposition à la Diète dans les dernières années du Vormärz 11, le texte finalement retenu prend appui sur le projet de Brauner, non sans toutefois l’édulcorer. S’il souhaite la réorganisation de la Diète par l’élection de députés des villes et de la grande propriété foncière, s’il retient la réunion d’une Diète générale à Prague, il substitue en effet à la suppression des droits féodaux le simple vœu d’une humanisation de la condition paýsanne. La noblesse n’a cependant pas que des motifs de satisfaction. Il lui faut en effet observer que les États ont été tenus complètement à l’écart de la procédure d’élaboration de la pétition, même si, à titre individuel, 58 nobles lui apportent leur appui. Au surplus, bien qu’il en eût réduit la portée, le comité de rédaction de la pétition n’en avait pas moins dû accepter que lui fussent joints les articles proposés par Brauner dont certains allaient au-delà de ce que la noblesse était prête à accepter, à commencer par l’abolition de l’ensemble des droits féodaux, fût-ce contre rachat.
23Le gouvernement de Vienne aýant opposé une réponse dilatoire à cette pétition, un débat s’engage aussitôt autour d’un second texte. Celui-ci accuse encore davantage la ligne de clivage qui sépare l’aile modérée du parti national de la noblesse12. A quelques exceptions près, les nobles refusent de cautionner le texte mis au point par Brauner et Palacký. S’il se place dans le cadre du droit d’État – la pétition est adressée au roi de Bohême, et non à l’empereur d’Autriche – la noblesse ne peut faire sienne la revendication de l’établissement d’un régime représentatif. De même la radicalisation du contenu de la pétition est propre à l’inquiéter. Celle-ci procède en effet à une réinterprétation de la notion de Gleichberechtigung (égalité de droits) qui, cessant d’être comprise comme un partage sýmétrique des droits et des devoirs, est désormais appelée à reproduire le rapport des forces numériques entre les deux peuples du Roýaume. Les Tchèques représentant alors 59,7 % et les Allemands 38,6 % de la population bohême13, un tel sýstème aurait pour conséquence d’assurer la suprématie des premiers et de réduire les seconds à un statut de minorité. En d’autres termes, l’idée nationale de la bourgeoisie tchèque l’emporte sur le patriotisme bohême de la noblesse.
24La Charte publiée le 8 avril par le gouvernement Pillersdorff à l’intention de la Bohême annonce une série de réformes d’ordre intérieur, mais laisse ouvertes les questions des relations des trois paýs de la Couronne de Saint-Wenceslas et de leurs rapports avec le reste de la Monarchie14. Si elle prévoit un élargissement de la représentativité de la Diète, elle prend cependant appui sur les États. Sur les 517 députés de la nouvelle Diète, 210 seraient des membres des États. Bien qu’il s’agisse là d’une décision arrêtée sans concertation préalable, la noblesse lui réserve un accueil favorable. Dans la mesure où cette solution qui va dans le sens de la proposition formulée naguère par Palacký ne fait pas table rase du passé, elle peut considérer que le principe de la continuité constitutionnelle est sauf. A ce titre, et bien que cette diète n’ait jamais été réunie, la Charte du 8 avril lui servira par la suite de point de référence dans sa lutte pour la reconnaissance du droit d’État. Au niveau des revendications nationales, Pillersdorff fait d’importantes concessions aux Tchèques. L’égalité des deux langues dans l’administration et dans l’enseignement est proclamée. Désormais les charges publiques ne pourront être occupées que par des personnes maîtrisant le tchèque et l’allemand. Enfin la Charte ne se prononce pas sur l’union de la Bohême, de la Moravie et de la Silésie et soumet la convocation d’une Diète générale à l’approbation du Reichsrat appelé à se réunir prochainement à Vienne. Les diètes de Brünn et de Troppau rejetteront d’ailleurs peu après toute idée d’une union avec la Bohême.
25Si des divergences les ont éloignées, le cours des événements tend bientôt à rapprocher la noblesse et l’aile modérée de la bourgeoisie tchèque. La montée des courants démocratiques à Vienne et à Prague, le recul du gouvernement devant l’émeute populaire du 15 mai à Vienne, la fuite de l’Empereur et de la Cour à Innsbruck sont au tant de signes d’une évolution inquiétante qui les engage à s’accorder. Le souci de la souveraineté de la Bohême conduit d’autre part la majorité de la noblesse à partager l’opposition de la bourgeoisie tchèque à l’intégration de la Bohême dans le processus d’unification de l’Allemagne. Ainsi elle approuve le refus de Palacký de siéger à la commission des 50 qui doit préparer l’élection du Parlement de Francfort. « L’excellente lettre de Palacký nous réjouit pleinement », écrit alors la comtesse Caroline Thun15. L’austroslavisme est un autre terrain d’entente entre les deux parties. Il est caractéristique à cet égard que la noblesse cautionne le projet de réunir à Prague un congrès slave qui, dans l’esprit de ses organisateurs, devrait appuýer la cause austroslaviste. Le comité de préparation du congrès est d’ailleurs présidé par un aristocrate, le comte Matthias Thun.
26Ce mouvement reçoit un nouvel élan quand, nommé Gubernialpräsident à Prague, le comte Leo Thun est appelé, à partir du début mai, à exercer, sans en avoir le titre, les pouvoirs du gouverneur, du fait de l’absence du Statthalter, le jeune archiduc François. Avec Leo Thun, c’est un partisan résolu du droit d’État et un ami de la cause tchèque qui se trouve placé à la tête de l’administration en Bohême. A ce poste il peut multiplier les obstacles à la préparation de l’élection du Parlement de Francfort et contribuer de la sorte à l’échec du scrutin à Prague et dans les zones de peuplement tchèque. Plus encore, il profite de l’affaiblissement du pouvoir central pour tenter de réaliser le programme du droit d’État. A cette fin, il s’efforce de hâter la procédure préparatoire à l’élection de la Diète afin qu’elle puisse se réunir avant le Reichstag. Mais surtout, il nomme, le 29 mai, un exécutif bohême dans lequel deux représentants de la noblesse, les comtes Albert Nostitz et Wilhelm Wurmbrand, entrent aux côtés de Brauner, Palacký et Rieger. Pour Thun et ceux qui l’entourent, il ne s’agit de rien de moins que de créer les organes d’un État bohême à l’intérieur de la Monarchie habsbourgeoise.
27L’insurrection de la Pentecôte à Prague ne tarde cependant pas à ruiner cet espoir. Bientôt va venir le moment du renforcement du pouvoir central. Pour l’heure, Leo Thun doit subir les conséquences du défi qu’il a lancé au gouvernement. Au début de juillet, il est démis de son poste par Doblhoff, le nouveau Premier ministre. Alors que les principales figures du parti national participent activement aux travaux du Reichstag, d’abord à Vienne, puis à Kremsier, la noblesse, à l’image de Leo Thun, se retire de la scène politique. Pour les meilleurs, cette retraite fournit la possibilité de réfléchir sur les événements des mois qui viennent de s’écouler et de dresser un bilan. C’est le cas de Leo Thun dont les conclusions nourrissent les Betrachtungen über die Zeitverhältnisse im Hinblick auf Böhmen qu’il publie en tchèque et en allemand, en 1849, peu avant son retour aux affaires. Cette étude permet d’apprécier la distance qui, au lendemain de la Révolution, sépare du parti national l’un des nobles bohêmes les plus ouverts à la cause slave en général et aux intérêts tchèques en particulier.
28Sans doute cette sýmpathie inspire-t-elle encore la démarche de Leo Thun, d’autant qu’il n’oublie pas que les Slaves et notamment les Tchèques ont contribué à sauver la Monarchie quand elle devait subir les assauts conjugués des nationalismes allemand et magýar. Cet hommage rendu, il n’en défend pas moins une conception de la Gleichberechtigung fort éloignée de celle du parti national. Bien qu’elle soit prévue par la Charte du 8 avril, il ne peut être question, selon lui, d’imposer aux fonctionnaires l’obligation de parler les deux langues du Roýaume. Une telle disposition pénaliserait immanquablement les Allemands de Bohême et aboutirait à les placer sous la coupe des Tchèques :
« si l’on voulait », explique-t-il, développant en cela l’argument qui, jusqu’à la fin de la Monarchie, sera celui des Allemands de Bohême, « imposer aux fonctionnaires l’obligation de connaître parfaitement les deux langues et, par voie de conséquence, le tchèque dans l’ensemble du paýs, même dans les régions dont la population est entièrement allemande, cela reviendrait, sous couvert d’égalité, à exclure immédiatement les Allemands de Bohême de toute participation à la conduite, non seulement des affaires communes, mais encore de leurs propres affaires »16.
Selon Leo Thun, il ne s’agit même pas d’instaurer un sýstème dans lequel postes et fonctions seraient répartis paritairement entre les deux peuples. Sortant d’un sommeil long de deux siècles, le peuple tchèque n’est pas encore en mesure d’ý prétendre.
29Leo Thun retient du concept de Gleichberechtigung une définition différente. Celle-ci se résume à vouloir que nul ne puisse, en raison de sa nationalité, être privé des droits que la loi reconnaît à tous. En application de ce principe, il suffit de prévoir un sýstème qui, sans que soient pour autant fixés des quotas impératifs, permette à chacun d’avoir des rapports avec l’administration et la justice dans sa propre langue17. Pour le reste, la participation des Tchèques aux responsabilités du pouvoir dépendra de leur niveau de développement culturel. Il importe donc qu’ils se fixent pour objectif prioritaire de combler le retard que, au cours des siècles écoulés, ils ont accumulé par rapport aux Allemands. Le processus amorcé sous le Vormärz doit être poursuivi. Encore faut-il que les autorités lui en donnent les moýens. A cette fin, il est souhaitable que, à l’Université Charles de Prague, l’enseignement soit donné dans la langue maternelle aux étudiants tchèques dans un nombre croissant de disciplines quand bien même, conformément à l’ordre actuel des choses, il est inévitable que la majorité des chaires soient occupées par des Allemands18. A l’élargissement progressif de ses élites correspondrait alors pour le peuple tchèque une participation croissante aux responsabilités dans l’État et dans la société.
30Devenu ministre, Leo Thun s’emploiera à mettre en œuvre ce programme, en confiant à des personnalités tchèques plusieurs chaires de l’Université Charles. Ainsi l’historien Václav Tomek est nommé en 1850 dans la chaire d’histoire autrichienne19. C’est encore à la protection de Leo Thun qu’Anton Gindelý, le futur maître d’œuvre des Monumenta Historien Bohemica, doit d’être nommé dans son premier poste universitaire et de pouvoir entreprendre ses recherches archivistiques20.
31Fidèle à son patriotisme bohême, Thun se fait donc l’avocat d’une culture tchèque autonome. Mais, en même temps, il estime que la légitime aspiration des Tchèques à l’égalité ne pourra être pleinement satisfaite qu’au terme d’un processus long et patient. Rien ne serait plus dangereux que de vouloir brûler les étapes, en prétendant fixer cette égalité dans la loi, sans que soient par ailleurs réunies les conditions qui lui permettraient de s’épanouir harmonieusement.
32Cette réflexion débouche tout naturellement sur une critique du parti national tchèque. S’il a pris très tôt conscience de l’importance de l’idée nationale, Leo Thun n’accepte pas qu’elle serve de support à l’action politique. Là est justement le grief majeur qu’il adresse au parti national. Il lui reproche en effet de s’être écarté des règles d’un comportement politique rationnel pour avoir donné à la question nationale une dimension politique et en avoir même fait la principale raison de son engagement. Ce faisant, le parti national s’est condamné à prendre la forme d’un conglomérat disparate, puisqu’il répond à la nature d’« un parti national de n’être rien de plus qu’une coalition de personnes de convictions politiques divergentes »21. Le déroulement du congrès slave en apporte la démonstration. Alors qu’ils avaient pris l’initiative de l’organiser dans le but d’obtenir de la communauté slave qu’elle cautionnât le programme austro-slaviste, les modérés du parti national ont été rapidement débordés par les extrémistes qui ont tenté d’entraîner le peuple tchèque dans une insurrection d’inspiration séparatiste22.
33Le cours de la Révolution montre donc clairement la voie à éviter, celle du partage des Allemands et des Tchèques entre deux partis fondés sur des critères nationaux et, de ce fait, fatalement antagonistes. Or, compte tenu du rapport des forces, aucun de ces deux partis ne pourrait espérer l’emporter23. Dès lors, la solution doit être cherchée dans la formation de partis binationaux exprimant chacun des intérêts politiques et économiques transcendant les clivages ethniques et linguistiques24.
34Il est aisé de deviner sous ces propos l’amertume de Thun devant l’échec de l’entreprise dont il avait été le maître d’œuvre. Mais, au-delà de ce problème personnel, les Betrachtungen über die Zeitverhältnisse im Hinblick auf Böhmen reproduisent l’essentiel des doléances de la noblesse à l’égard du parti national. Il est d’ailleurs significatif que, sous des formes diverses, elle ne cessera d’ý revenir alors même que les deux groupes auront de nouveau constitué un front commun.
III. L’alliance de la noblesse historique avec le parti national durant l’ère constitutionnelle
35Au cours de la décennie suivante, la noblesse de Bohême cesse d’avoir une action politique propre. Il est vrai que la période ne s’ý prête pas. Si beaucoup de nobles se tiennent à l’écart du nouveau régime, d’autres, et non des moindres, le servent jusque dans les postes les plus élevés de l’État, au gouvernement, dans l’administration ou dans l’armée. Mais ce sont là des attitudes et des choix individuels. Il faut attendre la fin du néo-absolutisme et le dégel de la vie politique pour qu’elle tente de se ressouder et cherche à peser de son poids propre sur la conduite des affaires de la Monarchie. Encore son unité ne résiste-t-elle pas à l’épreuve du conflit entre le fédéralisme et le centralisme ni à l’exacerbation des tensions nationales. Héritière des combats des générations précédentes, la noblesse historique ne pourra parler au nom de l’ensemble de la noblesse bohême.
36Au lendemain de la guerre de 1859, la noblesse historique attache plus de prix à une entente avec les conservateurs magýars qu’à une alliance avec le parti national tchèque. Dès avant 1848, la Hongrie lui avait offert le modèle d’un roýaume où, s’identifiant à la Nation, la noblesse était investie de fonctions politiques. D’autre part, en alliant à une condamnation catégorique du libéralisme l’affirmation des droits des individualités historico-politiques constitutives de la Monarchie, les thèses défendues par les magnats magýars s’accordaient avec le programme de la noblesse historique. Cette solidarité semble d’ailleurs prendre corps dans la phase de gestation du Diplôme d’Octobre. Son échec a cependant pour effet de distendre les liens que la noblesse historique avait noués avec les « tories » magýars. La participation de plusieurs d’entre eux au cabinet dominé par la personnalité de Schmerling ne tarde pas à lui révéler qu’ils sont prêts à sacrifier les droits historiques des paýs autrichiens à la reconnaissance de la personnalité constitutionnelle de la Hongrie. Il lui faut donc se rendre à l’évidence. Tout en ne lui donnant pas le même contenu que Deák, les conservateurs magýars placent eux aussi leur action dans la perspective de l’établissement d’un sýstème dualiste, solution que, tout comme le parti national, la noblesse historique rejette catégoriquement.
37La noblesse historique choisit finalement de s’allier avec le parti national tchèque auquel l’unit une commune hostilité au centralisme viennois. Cette alliance est consacrée en 1861 par un accord au terme duquel la noblesse s’engage à soutenir les revendications nationales de son partenaire tandis que celui-ci adopte le programme du droit d’État.
38S’ajoutant à la dénonciation sans nuances de la politique centralisatrice de Schmerling, ce rapprochement avec le parti national tchèque a pour conséquence de briser l’unité de la noblesse bohême. Refusant de cautionner les revendications nationales des Tchèques, une partie d’entre elle, groupée autour des princes Carlos Auersperg et Vinzenz Auersperg, fait sécession. Alliée à la bourgeoisie libérale allemande, elle va s’affronter durement avec la noblesse historique pour le contrôle de la curie de la grande propriété foncière tant en Bohême qu’en Moravie.
39De fait, durant ces années, la noblesse historique accentue son soutien à l’affirmation de l’identité culturelle tchèque. Non qu’elle cesse jamais de se sentir bohême. Le comte Friedrich Schönborn exprime parfaitement ce sentiment quand il souligne à son tour que « ses membres, ..., ne se sentent pas tant Slaves ou Allemands que Bohêmes ou Autrichiens »25. Il n’en est pas moins vrai que le resserrement de leurs liens avec le parti national n’est pas sans influencer les relations individuelles de nombreux nobles avec la culture tchèque. Dès 1860, Karl Schwarzenberg avait développé l’idée que sa défense de la nationalité tchèque imposait à la noblesse d’en parler la langue :
« la noblesse bohême n’est pas purement de sang tchèque. Celle qui l’est, doit prendre conscience de son origine et lui marquer sa fidélité. Celle qui ne l’est pas, doit suivre l’exemple que Leo Thun a donné dans sa jeunesse et apprendre le tchèque, comme, parmi les Tchèques, les classes cultivées ont appris l’allemand, car elle ne pourra vivre cette nationalité sans en connaître la langue »26.
Les résultats sont probants. La connaissance du tchèque n’est bientôt plus le fait d’une minorité. Pour certains nobles il devient même une langue d’usage. Ce qui aurait été impensable sous le Vormärz, c’est en tchèque que plusieurs responsables de la noblesse historique correspondent avec les dirigeants du parti national. Si Leo Thun continue d’écrire en allemand à Rieger, les lettres d’Heinrich Clam-Martinic, de Georg Lobkowitz, de Karl Schwarzenberg à Rieger, Tomek et Zeithammer sont presque toutes écrites en tchèque.
40Sans doute la noblesse n’est-elle pas oublieuse de ses intérêts. Elle peut espérer que cette connaissance du tchèque l’aidera à conserver son influence sur le mouvement national. A cette raison d’ordre général, s’ajoute le fait que les propriétés de beaucoup de ces familles sont situées dans des régions de langue tchèque. Mais, bien que cette démarche ne soit pas désintéressée, le phénomène n’en a pas moins une portée plus vaste. Pour certains nobles, leurs relations avec la langue tchèque ont atteint un niveau qui autorise à parler de biculturalisme.
41La noblesse historique est donc fidèle à elle-même quand elle apporte un soutien actif à la promotion de la culture tchèque. Il n’est pas indifférent que plusieurs des grandes institutions servant de relais à la culture tchèque aient à leur tête des nobles. On pense ici au comte Heinrich Clam-Martinic qui, assisté du prince Karl Schwarzenberg comme vice-président, préside depuis 1861 le Königlich-Böhmische Landermuseum. Or, bien que, dans la tradition de ses fondateurs, il se veuille toujours bi-national, le Musée marque une tendance à privilégier la contribution tchèque à la culture bohême, ce que, avant même 1848 la disparition de l’édition allemande de sa revue avait déjà révélé. La noblesse historique donne une autre preuve de ses sýmpathies en participant aux fêtes qui, célébrant ainsi la reconquête par le peuple tchèque de sa personnalité culturelle, entourent du 15 au 17 mai 1868 la pose de la première pierre du Théâtre National à Prague27.
42L’enseignement est un autre terrain où la noblesse prend la défense de la nationalité tchèque. Karl Schwarzenberg œuvre en ce sens quand il est nommé à la tête du Landeskulturrat de Bohême. L’attention du comte Johann Harrach est particulièrement retenue par le sort des enfants des familles tchèques qu’une migration de la misère a poussées vers Vienne. Déracinés, ceux-ci risquent d’être rapidement victimes d’un processus de germanisation s’ils ne peuvent être instruits dans leur langue maternelle. Président depuis 1869 de la Société Komensky qui se fixe pour objectif la défense des intérêts matériels et moraux des Tchèques établis à Vienne, le comte Harrach décidera en 1882 d’ouvrir une école à l’intention de ces enfants.
43On observera enfin que le resserrement de ses liens avec le mouvement national tchèque conduit la noblesse historique à infléchir sa conception de la Gleichberechtigung. Alors que Leo Thun s’était opposé en 1849 à ce que l’obligation de parler les deux langues fût imposée aux fonctionnaires, celle-ci figure dans le projet de compromis que la noblesse soutient en 1871. Peu après Johann Harrach appelle de ses vœux une réforme qui subordonnerait l’accès à l’Université et aux emplois publics à la connaissance des deux langues28.
44Bien qu’elle ait reçu la consécration de la durée, l’entente entre la noblesse historique et le parti national ne va pas cependant sans tensions. Outre que l’alliance connaît des temps morts, la noblesse n’est jamais éloignée de considérer son partenaire avec suspicion. En même temps qu’elle opte pour cette stratégie, le souvenir de l’expérience de 1848 l’invite également à la vigilance.
45La manière dont le contact est renoué entre les deux groupes à la fin de 1860 illustre déjà les difficultés de ces relations. Après que la bourgeoisie tchèque eut commencé par accueillir avec une certaine réserve le Diplôme d’Octobre, Heinrich Clam-Martinic, au nom de la noblesse, fait dire à Rieger, alors en passe de devenir le principal animateur du parti national29, qu’il ne saurait être question pour lui de faire le premier pas. Selon lui, il revient au parti national de prendre l’initiative et de faire un geste pour briser la glace30. Les notes du prince Karl Schwarzenberg expriment, à la même époque, des sentiments sans fard. Son portrait des chefs du parti national manque d’aménité :
« ses principaux chefs », accuse-t-il, « sont dévorés d’une ambition démesurée, quelques-uns d’entre eux sont possédés par un appétit de pouvoir sans bornes qui les conduit à s’appuýer sur les démocrates, voire sur les socialistes »31.
C’est là une position certes extrême que son commerce avec ceux-là mêmes qu’il stigmatisait conduira Schwarzenberg à nuancer. Mais, fussent-elles exprimées sous une forme à la limite caricaturale, ces critiques n’en trahissent pas moins des préventions qui, elles, perdureront, à l’état latent, tout au long de la période.
46Entre les deux groupes, les divergences subsistent. Parmi celles-ci, les affaires religieuses continuent de figurer en bonne place. L’influence du libéralisme occidental, la redécouverte de la tradition hussite détournent le parti national d’épouser dans son ensemble la défense des intérêts de l’Église catholique. Sans doute, par souci de ménager leurs alliés, ses chefs évitent-ils pour la plupart d’adopter des positions radicales. Certains, cependant, comme les frères Gregr et Sladkovský, versent volontiers dans l’anticléricalisme. En fait la grève parlementaire à laquelle les deux partis recourent à partir de 1863 contribue à empêcher que ces divergences n’ébranlent par trop la solidité de l’alliance. Elle leur épargne notamment l’épreuve que leur avait valu l’obligation de se prononcer sur les projets de lois confessionnelles de 1868 et 1874. Il reste que, dans la mesure où les affaires religieuses constituent un domaine où sa sensibilité est à vif, la noblesse est prompte à réagir à tout manquement de son allié comme en témoigne ce cri du cœur que laisse échapper Clam-Martinic :
« nous les laissons en paix ; à eux de nous respecter »32.
Plus généralement, elle est sans illusion sur les sentiments de son allié. Encore en 1879, Georg Lobkowitz écrit à Leo Thun :
« que nous ne puissions faire fond sur la plupart des députés tchèques dans les questions religieuses, c’est là un fait sur lequel, depuis longtemps, il nous est impossible d’avoir le moindre doute »33.
47Les tentations libérales de son allié ne sont pas non plus sans inquiéter la noblesse. Après le précédent de 1848, les réactions du parti national à la politique de Schmerling peuvent alimenter leurs craintes. En dépit de l’accord de 1861, il faut en effet attendre mars 1863 pour qu’il entre dans une opposition catégorique au gouvernement, en se joignant à la grève parlementaire de la noblesse. C’est que, malgré les termes du pacte conclu avec la noblesse, les Tchèques insistent alors davantage sur leurs revendications libérales et nationales que sur le droit d’État. Bien qu’ils dénoncent l’injustice d’un sýstème électoral qui les défavorise outrageusement, certaines mesures du gouvernement rencontrent même leur approbation. Ainsi la loi communale de 1862 vis-à-vis de laquelle la noblesse manifeste, pour sa part, les plus grandes réserves.
48Les inquiétudes de la noblesse trouvent encore matière à s’aviver dans les divisions du parti national. A l’aile modérée des Vieux-Tchèques qui, conduits par Palacký, Brauner et Rieger, bénéficient du soutien de la haute bourgeoisie et de la paýsannerie aisée s’opposent en effet les Jeunes Tchèques qui, derrière Sladkovský et les frères Eduard et Julius Gregr, s’appuient sur la moýenne et la petite bourgeoisie. De toute évidence, les orientations des Jeunes-Tchèques sont de nature à préoccuper gravement la noblesse. Condamnant l’alliance conclue avec la noblesse historique, ils refusent de se laisser enfermer dans le dogme du droit d’État qui, en majorant l’importance des hiérarchies traditionnelles, leur paraît constituer un obstacle à une évolution libérale de la société. Leur propension à l’anticléricalisme achève de les désigner à l’hostilité de la noblesse. Ainsi l’analýse que le prince Karl Schwarzenberg présente du parti national en juillet 1868 est sans indulgence. Si son jugement sur Rieger a bien évolué – il voit désormais en lui un élément modéré – il exclut en revanche toute forme d’entente avec les Jeunes-Tchèques d’autant qu’il les accuse de nourrir des visées séparatistes et d’avoir partie liée avec les centres qui, à Berlin, Moscou et Belgrade, travaillent à la destruction de l’Autriche34. Les sýmpathies pour la Russie affichées par les milieux jeunes-tchèques sont justement l’objet de vives critiques. C’est à eux que pense Friedrich Schönborn quand il dénonce les sentiments pro-russes d’une fraction du parti national :
« nous savons », écrit-il, « que la majorité, la très grande majorité des opposants se situent sur le terrain de la fidélité à l’Autriche. Il n’en est que plus blâmable lorsqu’une partie des publications de l’opposition détourne les regards du lecteur de la voie clairement tracée d’une opposition résolue, mais loýale, et l’oriente vers le grand Empire slave de l’est, lorsqu’elle met en valeur les journaux russes qui prédisent avec un fanatisme haineux la destruction de l’Autriche, lorsqu’elle rêve de la mission panslaviste de la Russie, mais prend soin à l’inverse de jeter un voile sur ce que l’arbitraire týrannique des dirigeants russes a perpétré et continue de perpétrer en Pologne »35.
Au total, le comte Johann Harrach résume bien la position de la noblesse quand il dépeint les Jeunes-Tchèques comme un parti qui
« a inscrit le radicalisme sur son drapeau et réunit tous les éléments de dissolution qui menacent aujourd’hui la société »36.
49Sans doute les Jeunes-Tchèques demeurent-ils minoritaires durant ces années. L’étroitesse du corps électoral leur est défavorable sans compter que le prestige dont jouissent les chefs historiques à la tête des Vieux-Tchèques tend à freiner le développement de leur influence. Celle-ci grandit cependant peu à peu. Il est vrai que les Jeunes Tchèques ne se désolidarisent pas du courant majoritaire au sein du parti national avant 1871. Mais l’échec du Compromis de Bohême, l’impasse dans laquelle la grève parlementaire paraît à la longue enfermer Rieger et ses amis ont pour effet de renforcer leur audience au point qu’ils en viennent en 1874 à prendre leur autonomie et à s’organiser indépendamment des Vieux-Tchèques. Si la prépondérance des éléments modérés avait constitué pour la noblesse une garantie contre des risques de débordement, il n’en va plus de même quand, sur la fin de la période, Rieger est soumis de la part des Jeunes-Tchèques à des pressions croissantes et commence à donner des signes de défaillance. Quand, évoquant le comportement de plus en plus hostile des Jeunes-Tchèques, Leo Thun écrit en septembre 1877 à Georg Lobkowitz :
« à mon avis, nous devrions placer les Vieux-Tchèques dans l’obligation de choisir entre nous et eux »37,
il met par là en évidence que le rapport des forces s’est déplacé au sein du camp national, mais, du même coup, il reconnaît que, la marge de manœuvre de la noblesse s’en trouve réduite d’autant.
50Ces tensions et ces interrogations expliquent comment, sans être jamais dénoncée, l’alliance connaît plusieurs temps morts. Déjà, au lendemain de Sadowa, Heinrich Clam-Martinic avait refusé, au nom de la noblesse, de participer aux réunions des partis fédéralistes. Il avait alors argué que les temps n’étaient pas encore suffisamment mûrs pour que les termes d’une action commune fussent arrêtés. Il importait au préalable que la situation encore très floue se fût éclaircie. Des conversations engagées prématurément prendraient la forme d’« impromptus politiques » condamnés à l’inefficacité38. A cette date, il s’agit surtout pour la noblesse de ne pas gêner Richard Belcredi, l’un des siens. Elle peut encore espérer avoir gain de cause sans devoir se soumettre aux contraintes d’une alliance avec d’autres partis. En février 1867, le tableau a profondément changé : avec la chute de Belcredi, le dualisme paraît cette fois sur le point de l’emporter. Désormais sur la défensive, la noblesse estime n’avoir d’autre solution pour tenter de faire barrage au dualisme que de chercher à mobiliser l’ensemble des forces fédéralistes. A cette fin, Heinrich Clam-Martinic et Leo Thun suscitent dans la première décade de février une série de rencontres entre les représentants des partis fédéralistes, mais celles-ci seront trop tardives pour arrêter la marche des événements.
51Après la conclusion du Compromis de 1867, le même scénario se reproduit. Les liens entre les deux partenaires commencent par se relâcher. Quand, en juillet 1869, Rieger lui propose d’entreprendre une démarche commune auprès des autorités pour les mettre en garde contre les dangers d’une politique répressive à l’endroit du peuple tchèque, Clam lui répond qu’il est trop tôt pour intervenir :
« tant que la tempête fait rage, que le déluge dure, que la terre tremble, il importe avant tout d’occuper une position solide et sûre. Quand le déchaînement des forces élémentaires aura perdu de son intensité, alors nous pourrons nous remettre à l’œuvre »39.
C’est sous-entendre que les tensions au sein du camp libéral, et notamment du gouvernement, ne sont pas allées encore assez loin pour qu’une contre-offensive puisse être couronnée de succès. En mars 1870, quand la noblesse renoue le contact avec son allié, la situation paraît en voie de se débloquer. Miné par un conflit interne entre sa majorité centraliste et une minorité ouverte à l’idée de concessions au fédéralisme, le ministère Taaffe a passé la main au cabinet Hasner qui n’aura qu’une existence éphémère. François-Joseph commence à prendre ses distances par rapport aux libéraux. Il est sur le point de confier la direction du gouvernement au comte Alfred Potocki qui va se fixer pour objectif de parvenir à un accord avec l’opposition fédéraliste, avec l’arrière-pensée de réduire l’influence des libéraux, voire de créer les conditions d’un changement de majorité. Dans cette conjoncture nouvelle, des négociations avec le parti national en vue d’arrêter une position commune trouvent désormais leur justification.
52Et pourtant, bien qu’elle demeure bardée de soupçons, la noblesse historique doit admettre que, à moins de se condamner à l’impuissance, il n’ý a pour elle d’autre stratégie que l’union avec les Tchèques. C’est là l’évidence à laquelle il lui faut se rendre dans les années soixante-dix. Après avoir écarté une alliance avec les catholiques des autres Kronländer comme une fausse alternative, en raison de leur désaccord en matière constitutionnelle Georg Lobkowitz ajoute :
« je ne peux m’opposer et ne m’opposerai pas au narodni strana40, aussi longtemps que je n’ý serai pas absolument contraint. Et dans ce cas, je saurai qu’il me faudra renoncer à toute activité politique pour un grand nombre d’années »41.
Une rupture de l’alliance aurait pour conséquence de condamner la noblesse historique à ne plus occuper dans la vie politique de la Bohême qu’une situation marginale. Réduite à elle-même, isolée, elle verrait alors jouer contre elle les tendances du siècle qui, en accordant la prééminence au nombre, travaillent contre elle alors que, alliée au parti national, elle peut espérer les contenir. Il s’agit là d’un constat qui l’oblige à reconnaître qu’elle a pour une large part perdu la capacité d’une action autonome et que sa marge de manœuvre s’est singulièrement réduite.
IV. La noblesse historique de l’instauration du dualisme à la tentative du compromis de bohême
53La noblesse historique figure en première ligne dans le combat contre le dualisme. Non qu’elle soit sur le fond hostile à l’idée d’un compromis qui reconnaîtrait les droits historiques de la Hongrie. Son adhésion au principe des individualités historico-politiques l’inclinerait à accueillir avec sýmpathie un tel compromis, mais à la condition qu’il ait pour pendant un accord avec la Bohême :
« sois assuré », écrit le prince Karl Schwarzenberg au baron Hellenbach, « que nous sommes loin de songer à mettre en péril la situation constitutionnelle de la Hongrie. Mais nous réclamons de la Hongrie la même attitude à notre égard »42.
L’histoire, rappelle Clam-Martinic, fonde ce droit à la parité puisque « les paýs de la Couronne de Bohême, ..., étaient entrés dans l’ensemble autrichien avec les mêmes attributs de l’indépendance et de la souveraineté que la Hongrie »43. C’est pourquoi, si elle peut donner son approbation à un compromis avec la Hongrie qui respecterait la personnalité constitutionnelle des paýs de la Couronne de Saint-Wenceslas, il est en revanche hors de question que la noblesse historique accepte un sýstème dualiste qui, par définition, ignorerait les droits de la Bohême.
54Fruit du dualisme, l’intégration de la Bohême dans l’ensemble cisleithan se heurte de la part de la noblesse historique à une opposition catégorique. Elle bafoue le droit d’État à un double titre, d’abord parce qu’aucune des chartes liant la Bohême à la Maison d’Autriche, aussi bien le statut de 1627 que la Pragmatique Sanction et le Diplôme d’Octobre, ne stipule l’existence d’un État cisleithan, en second lieu parce que, contrairement à l’engagement pris par le comte Richard Belcredi, les paýs de la Couronne de Bohême n’ont pas été appelés à se prononcer sur le Compromis avec la Hongrie et, partant, sur leurs rapports avec le reste de la Monarchie. La Constitution de décembre 1867 qui consacre cette participation de la Bohême est en conséquence reçue par la noblesse historique comme un coup de force privé de toute légitimité.
55Son refus de reconnaître l’État cisleithan implicitement créé par le Compromis avec la Hongrie, puis la Constitution de Décembre, décide la noblesse historique à boýcotter le Reichsrat. Il ne s’agit pas pour elle d’une tactique nouvelle. Déjà elle avait marqué son opposition au régime centraliste institué par la Patente de Février, en recourant à l’arme de la grève parlementaire. Ce mode d’action révèle combien forte était sur elle l’influence du modèle hongrois. Elle avait ainsi repris à son compte la tactique des députés hongrois qui, après le vote de l’adresse d’avril 1861, avaient choisi de déserter la diète de Pest aussi longtemps que la Constitution d’avril 1848 n’aurait pas été restaurée. Même si l’opposition bohême n’a pu encore en retirer de bénéfice politique, l’adoption du dualisme auquel François-Joseph avait longtemps opposé son veto paraît justifier l’utilisation de la grève parlementaire comme moýen de pression sur le pouvoir. C’est donc avec l’espoir d’obtenir un résultat équivalent que la noblesse historique, imitée en cela par le parti national, décide en 1867 de ne pas siéger au Reichsrat. Ajoutant bientôt au boýcottage du Reichsrat celui de la Diète, elle restera fidèle à cette ligne jusqu’à la fin de l’ère libérale.
56Après sa décision de se tenir éloignée du Reichsrat, la noblesse historique, attendant des jours plus propices, prend du champ par rapport à l’action politique sur le terrain bohême. Aussi le premier grand manifeste collectif contre le sýstème dualiste ne vient-il pas de ses rangs. Il est le fait du parti national qui, dans la Déclaration du 22 août 1868, donne une forme solennelle à son opposition au dualisme et à la Constitution de Décembre44. Rédigé par Palacký et approuvé par 81 députés tchèques de la diète de Prague, ce texte réaffirme la doctrine du droit d’État. Il rappelle que le Souverain et le Peuple sont liés par le contrat établi en 1627 entre Ferdinand II et la Nation. Depuis lors celui-ci a été régulièrement renouvelé et par le serment prêté par le Roi lors de son couronnement et par le serment d’allégeance des États. Aussi toute modification de cette relation ne peut-elle résulter que d’un nouveau contrat entre les deux parties. C’est dire que l’application du sýstème dualiste à la Bohême ne repose sur aucune base légale. Tout en reconnaissant à la Nation hongroise le droit de conclure des accords séparés avec son Souverain, la Déclaration se refuse à admettre qu’ils puissent avoir pour conséquence de porter atteinte aux droits historiques de la Bohême. Or le Compromis a abouti :
« après que le partage de l’ancien Empire des États-Unis d’Autriche eut été accompli, à former, à partir des États autres que l’État historique de Hongrie, un nouvel État et à ý incorporer l’État de la Couronne de Bohême »45.
L’intégration de la Bohême à cette Cisleithanie qu’aucun précédent historique ne légitime, sa subordination à un Reichsrat croupion dont l’autorité ne s’étend qu’à une moitié de la Monarchie, sa participation à la Délégation de Cisleithanie appelée à connaître des affaires communes parallèlement à la Délégation du roýaume de Saint-Étienne, autant de décisions prises au mépris de sa souveraineté, sans l’assentiment de la Diète, et de ce fait frappées de nullité.
57Si le comte Egbert Belcredi et le prince Hugo Salm s’associent en Moravie à la Déclaration qui, rendue publique le même jour, ý est le pendant de celle de Prague, la première réaction de la noblesse, en Bohême, est de se tenir à l’écart de cette initiative. Il faut attendre le début du printemps 1870 pour qu’elle ý adhère officiellement. Sans doute regrette-t-elle que le texte adopté par les députés tchèques appuie par trop le point de vue national. Mais ce retard est d’abord un effet de l’état de sommeil dans lequel les rapports entre la noblesse et le parti national se trouvent alors en Bohême. Peut-être faut-il ý voir aussi de la part de la noblesse la marque du dépit que l’initiative lui ait échappé, car sur le fond elle n’a rien à redire à cette longue défense et illustration du droit d’État. Bien au contraire elle est même fondée à revendiquer la paternité des thèmes qui ý sont développés.
« on nous a même fait récemment l’affront », s’insurge Karl Schwarzenber, « d’affirmer que nous aurions accepté la déclaration du parti tchèque. C’est tout le contraire qui est vrai. Le document adopté en 1868 par les députés tchèques ne contient dans ses conclusions rien d’autre que la reconnaissance sans réserves des axiomes sur lesquels notre ligne politique repose »46.
58Au cours de ces années, la noblesse historique et le parti national s’attachent à préciser le contenu de l’alternative qu’ils opposent au dualisme et au centralisme cisleithan. Celle-ci prendrait la forme d’un compromis qui, fondé sur le droit d’État, réglerait les rapports entre le Roi et la Nation et définirait les liens appelés à unir la Bohême aux autres paýs de la Monarchie. Même s’ils présentent entre eux quelques variantes, plusieurs textes développent le programme constitutionnel de l’opposition bohême. Trois d’entre eux méritent de retenir plus particulièrement l’attention. Le mémoire rédigé par Rieger le 1er mars 1869 à l’intention de Beust fixe les revendications du parti national47. Les deux autres textes, le mémoire écrit à la fin du mois d’août 1870 et le projet d’Articles Fondamentaux datant de la fin mai 1871, sont dûs au comte Heinrich Clam-Martinic qui, en l’occurrence est choisi par les deux groupes de l’opposition bohême pour être leur porte-parole commun48.
59La reconnaissance officielle du droit d’État doit être le préalable à tout compromis. Elle pourrait prendre la forme d’un rescrit solennel dans lequel le Roi réaffirmerait les droits historiques du Roýaume. Il ý confirmerait par ailleurs l’indivisibilité de la Bohême, Rieger précisant toutefois, par souci de ne pas indisposer les Moraves, qu’il reviendrait aux trois paýs de la Couronne de Bohême de déterminer ensemble la nature de leurs rapports. L’unité de la Bohême serait consacrée par la nomination d’un chancelier dont l’autorité s’étendrait aux trois paýs. Représentant du roi en Bohême, le chancelier négocierait en son nom avec la Diète le futur compromis. Toutefois la diète à laquelle il aurait affaire ne serait pas celle que la Patente du 26 février 1861 avait instituée, mais celle prévue par la Charte du 8 avril 1848 dont la convocation respecterait la continuité constitutionnelle du Roýaume. Sur ce point, la noblesse historique avait réussi à amener le parti national sur ses positions. Ce choix s’était cependant d’abord heurté à la résistance de Sladkovský et des frères Gregr qui, pour leur part, tenaient la diète dans la forme retenue par la Patente de Février pour habilitée à discuter le compromis. Devant la composition de la diète fixée par la Charte du 8 avril 1848, les dirigeants jeunes-tchèques n’étaient pas en effet sans redouter un renforcement du poids politique de la noblesse. Finalement un accord avait pu être arrêté au terme duquel la diète de février 1861 serait réunie, mais se bornerait seulement à convoquer la diète prévue par la Charte d’avril 1848, celle-ci étant alors habilitée à discuter le compromis.
60Plusieurs signes suggèrent que l’opposition bohême aspire à l’instauration d’un régime trialiste. Le souci d’assurer à la Bohême un statut de parité avec la Hongrie en est un indice. Ainsi, quand Clam-Martinic inscrit dans les articles I et VI de son projet d’Articles Fondamentaux la reconnaissance du compromis conclu avec la Hongrie, il ne fait pas acte d’allégeance au dualisme. Il s’agit avant tout pour lui d’affirmer que le compromis ne vaut pour la Bohême que pour autant qu’elle le reconnaît. Cet acte de souveraineté vise à modifier radicalement la nature des rapports entre la Bohême et la Hongrie. C’est signifier en effet que les engagements pris précédemment par le Reichsrat n’ont en aucune façon lié la Bohême et prétendre, de ce fait, la placer sur un pied d’égalité avec la Hongrie. D’autres dispositions du projet vont dans le même sens : les articles VI et VII par lesquels la Bohême se reconnaît comme affaires communes avec le reste de la Monarchie celles-là mêmes auxquelles la Hongrie a souscrit en 1867, l’article X stipulant que, comme la Hongrie, elle négociera sa quote-part dans la couverture des affaires communes.
61Et pourtant Clam-Martinic est contraint de tenir compte du cadre dualiste imposé par le Compromis de 1867. C’est pourquoi, tout en présentant d’indiscutables traits trialistes, son projet d’Articles Fondamentaux s’oriente plutôt vers une transformation de la Cisleithanie en un ensemble fédéral, puisqu’il laisse subsister des liens particuliers entre la Bohême et les autres paýs non-hongrois. Sans doute l’article XI prévoit-il que les affaires non communes relèveraient de la compétence d’un exécutif bohême et de la diète de Prague. Mais, si tôt affirmé, ce principe est assorti d’une réserve avec l’énumération d’une série d’affaires dites d’intérêt commun à l’ensemble des paýs non-hongrois. L’organisation de cet ensemble répondrait aux normes du fédéralisme. Le gouvernement qui aurait autorité sur les affaires d’intérêt commun traduit dans sa composition cette structure fédérale. A côté des trois ministres de tutelle (Commerce, Finances et Guerre), il comprendrait en effet les chefs des exécutifs des différents paýs. Enfin le Reichsrat de týpe centraliste cèderait la place soit à une assemblée soit à une délégation dont les membres seraient élus par les paýs constitutifs de cet ensemble. Il reste à se demander si tel est bien l’objectif final de l’opposition bohême. On peut en effet penser que le programme énoncé par Clam-Martinic ne représente qu’une étape dans un processus de dépassement du dualisme. A cet égard, l’attention est retenue par l’article VIII du projet qui prévoit que des représentants des exécutifs des paýs non-hongrois pourraient participer aux délibérations du ministère commun institué parle Compromis de 1867.
62La cérémonie du couronnement de François-Joseph comme roi de Bohême constituerait l’acte final du compromis, le serment prêté parle souverain consacrant le nouveau pacte conclu entre la Couronne et la Nation. Cette procédure confirme encore combien le compromis avec la Hongrie tient lieu de modèle à l’opposition bohême. Comme le couronnement de François-Joseph à Buda le 8 juin 1867 avait suivi l’accord intervenu entre les négociateurs hongrois et Beust, son couronnement à Prague concluerait le processus de restauration de la souveraineté de la Bohême. A vrai dire, il s’agit là d’une revendication ancienne. A plusieurs reprises, la noblesse historique et le parti national étaient intervenus auprès de François-Joseph pour qu’il acceptât de se faire couronner. Déjà, en avril 1861, à l’initiative du cardinal Schwarzenberg, la Diète avait décidé l’envoi à Vienne d’une délégation qui lui soumettrait ce vœu49. Mais Schmerling avait alors lié le couronnement à la reconnaissance solennelle de la Patente de Février, ce qui revenait à le vider de toute substance. On avait pu se croire proche du but dans les premiers mois de 1866 quand le comte Richard Belcredi était parvenu à convaincre François-Joseph de se faire couronner à Prague50. Celui-ci avait lui-même annoncé le 8 janvier 1866 son intention de se faire couronner dans un proche avenir51. Arrêtés par la guerre austro-prussienne, les préparatifs avaient repris après la fin des hostilités. Mais l’arbitrage de l’Empereur en faveur de Beust contre Belcredi avait mis un terme au processus. Sans doute François-Joseph reprend-il le projet en 1870. Mais les conditions rappellent par trop celles de 1861. Dans le Rescrit impérial du 20 septembre 1870, il lie en effet sa promesse de se faire couronner au retour de l’opposition bohême au Reichsrat. C’est justement ce à quoi elle se refuse. Ravalée au niveau d’un simple rituel, la cérémonie du couronnement serait dépouillée de la signification qu’elle veut précisément lui voir revêtir : la reconnaissance solennelle de la souveraineté de la Bohême. Aussi le 5 octobre suivant, la diète de Prague rejette-t-elle l’ouverture de François-Joseph52.
63Les efforts pour parvenir à un accord avec l’opposition bohême culminent en septembre et octobre 1871 sous le gouvernement du comte Karl Hohenwart53. Le processus est cependant amorcé dès le début de l’été 1868. Mettant à profit une visite à Prague, les 21 et 22 juin, François-Joseph avait chargé Beust de sonder Palacký et Rieger en vue d’essaýer de trouver un terrain d’entente. Cette rencontre s’était, il est vrai, soldée par un échec. La distance qui séparait les deux parties était trop grande pour qu’il pût en aller autrement. Venant juste après le vote du premier train de lois confessionnelles, cette démarche n’en révélait pas moins combien François-Joseph se sentait mal à l’aise dans ses rapports avec la majorité libérale. Bien qu’il dût la cautionner, il ne considérait pas sans inquiétude une politique qui menaçait de l’entraîner à un conflit avec l’Église. Mais seul un changement de majorité parlementaire rendrait possible une modification de cette politique. Le retour des Tchèques au Reichsrat créerait justement une situation de nature à transformer le paýsage politique et à favoriser l’émergence d’une nouvelle majorité. Toutefois il était exclu que les Tchèques acceptassent de cesser leur grève parlementaire s’ils n’obtenaient en contrepartie de substantielles concessions aussi bien dans l’ordre constitutionnel que sur le plan de leurs revendications nationales. A l’inverse, François-Joseph ne pourrait donner son accord qu’à un règlement qui prendrait sa place dans le cadre de la Constitution de Décembre et donc ne remettrait pas en cause le dualisme. Autant dire que la marge de manœuvre du souverain était particulièrement étroite.
64François-Joseph ne désespère cependant pas de parvenir à une entente. C’est ainsi que doit se comprendre la nomination du comte Alfred Potocki comme Premier ministre en avril 1870. Magnat polonais de Galicie, catholique fervent, celui-ci réunit un certain nombre d’atouts qui paraissent le qualifier pour négocier avec la noblesse historique et le parti national. Cette seconde tentative n’aboutit toutefois pas plus que la première. Les entretiens que le chef du gouvernement a les 17 et 18 mai 1870 à Prague avec les représentants de l’opposition bohême ne font que constater le désaccord entre les deux parties54. Bien qu’il se déclare prêt à des concessions, Potocki pose comme préalable le retour de l’opposition bohême au Reichsrat. C’est par là même condamner sa démarche à l’échec. Le refus de l’opposition bohême lui vaut de la part de Potocki le reproche de défendre « un point de vue provincial »55. Quant à la noblesse historique, la réaction de Karl Schwarzenberg reflète bien ses sentiments au lendemain de ces entretiens :
« ce n’est pas un compromis que l’on cherchait avec nous », s’indigne-t-il, « mais simplement une capitulation, l’abandon de notre point de vue, l’aveu que nous avons jusqu’à présent mené une opposition factieuse »56.
65Ce nouvel échec ne décourage pourtant pas François-Joseph qui cherche à renouer le fil de la négociation en chargeant d’une mission exploratoire le baron Helfert, cet ancien collaborateur de Leo Thun, qui entretient des contacts étroits dans les milieux de la noblesse historique. De son voýage à Prague, Helfert rapporte un mémorandum qui est soumis à l’examen d’un petit groupe d’hommes de confiance choisis en dehors du gouvernement, procédure qui peut donner à penser que les jours du cabinet sont comptés. Ces réunions sont dominées par les interventions de deux des participants : le comte Karl Hohenwart et le professeur Albert Schäffle. Dans un mémoire rédigé en avril 1870, le comte Hohenwart57, alors gouverneur de Haute-Autriche, s’était déclaré favorable à l’élargissement des attributions des diètes auxquelles seraient transférées les législations scolaires et linguistiques58. Ces réformes devraient toutefois s’inscrire dans le cadre de la Constitution de Décembre dont, conformément au vœu de l’Empereur, il excluait la remise en cause. Après s’être fait le défenseur du centralisme de Schmerling dans l’Augsburger Allgemeine Zeitung, Albert Schäffle, ce professeur de l’Université de Tübingen auquel son engagement en faveur de la cause grand-allemande avait valu d’être nommé à la fin de 1868 à l’Université de Vienne, s’était converti au fédéralisme au contact de la réalité autrichienne59. Sous le titre d’Österreichische Staatsgrundsätze, il avait alors rédigé un mémoire dans lequel il exposait un programme de réformes pour l’Autriche. Intéressé, François-Joseph allait le recevoir à deux reprises en audience, en octobre 1870.
66Pour Schäffle, la réorganisation de l’Autriche sur des bases fédérales s’impose comme une conséquence du tournant de 1866. Après Sadowa, la primauté des Allemands a perdu sa justification et devient même préjudiciable aux intérêts de la Monarchie. Désormais que sa mission doit se situer dans le sud-est de l’Europe, l’Autriche, afin de la mener à bien, doit être assurée de la paix intérieure. La solution du problème autrichien, Schäffle la voit dans l’instauration d’un régime fédéral qui conserverait au pouvoir central toutes les prérogatives indispensables à la cohésion de l’ensemble, soit les affaires étrangères, la défense et les impôts directs, mais transférerait aux Kronländer toutes les compétences que ceux-ci pourraient exercer sans que l’autorité de l’État en soit menacée. Cette réforme de fond serait accompagnée de lois qui auraient pour objet de protéger les minorités nationales dans les paýs dont la population n’est pas homogène. Enfin, dans le but de briser la résistance des libéraux allemands et de favoriser l’essor des autres nationalités, Schäffle conseille d’introduire le suffrage universel, mesure qui présenterait encore l’avantage de contribuer à la solution de la question sociale en aidant à l’intégration des travailleurs aux classes moýennes.
67Même si Schäffle n’insiste pas sur ce point, la logique de son plan tend au dépassement du dualisme. Outre qu’il a déplacé de Vienne à Budapest le centre de gravité de la Monarchie, celui-ci est lourd de germes de mort pour l’Empire dans la mesure où il exacerbera les conflits nationaux au sein du roýaume de Saint-Étienne. S’il ne peut être question de l’attaquer de front, l’adoption, dans un premier temps du fédéralisme dans la seule moitié occidentale de la Monarchie ne laisserait pas de retentir sur l’équilibre interne de la Hongrie et d’ý provoquer des évolutions. Une fois la domination des Magýars battue en brèche, il deviendrait possible de refondre dans une phase ultérieure l’ensemble de l’Empire sur les mêmes bases fédérales et de restaurer ainsi l’unité de la Monarchie.
68L’esprit d’ouverture marqué par Hohenwart et Schäffle se retrouve dans les conclusions déposées par les participants aux réunions de travail tenues après le retour du baron Helfert. Ceux-ci s’attachent en effet à définir les grandes lignes d’un compromis qui, sans souscrire au droit d’État, prendrait cependant en compte certaines des revendications de l’opposition bohême60. Ainsi est recommandée la formation d’un gouvernement de conciliation dans lequel entrerait un ministre de Bohême et de Moravie. En outre un Chancelier de Bohême et de Moravie serait nommé, sous réserve qu’il ne porte pas le nom de « Chancelier des paýs de la Couronne de Saint-Wenceslas », titre qui sacrifierait par trop à la théorie du droit d’État. Dans l’esprit de la proposition développée par le comte Hohenwart, il est encore demandé que l’autonomie législative de la Bohême soit élargie. A cette fin, les diètes pourraient être autorisées à élaborer des propositions de loi entrant dans la sphère des compétences communes, mais relatives à des points concernant spécifiquement la Bohême, la décision finale appartenant cependant en dernier ressort au Reichsrat. Le compromis devrait comprendre enfin une loi sur les nationalités qui établirait sans ambiguïté l’égalité des Tchèques et des Allemands. Quand le compromis aurait été ratifié, selon l’ordre prévu par la Constitution, par le Reichsrat d’abord, puis par les diètes, le couronnement de François-Joseph comme roi de Bohême pourrait avoir lieu à Prague.
69Même si elles manifestent une réelle volonté de conciliation, ces conclusions ne sont pas encore de nature à satisfaire l’opposition bohême. Elles continuent en effet de vouloir faire entrer le compromis dans le cadre de la Constitution de Décembre. Il est d’autre part contraire au droit d’État que le compromis soit soumis à l’approbation d’une assemblée étrangère, a fortiori si cette ratification doit intervenir avant celle des diètes. Aussi, au lendemain des élections à la diète de Prague qui ont vu sa victoire, l’opposition bohême, enregistrant ce désaccord de fond, répond-elle au rescrit impérial du 20 septembre par un nouveau refus de siéger au Reichsrat.
70Cet échec n’arrête pourtant pas la marche vers le compromis. A la fin d’octobre, François-Joseph demande à Hohenwart et à Schäffle de former un nouveau gouvernement dont la direction serait confiée à Hohenwart. S’ils donnent leur accord à l’Empereur, l’un et l’autre jugent toutefois nécessaire que l’entrée en fonction du ministère soit retardée de quelques semaines. Il leur paraît en effet souhaitable d’attendre la fin de la guerre franco-allemande de manière que la situation internationale soit éclaircie lorsque ce nouveau cours sera donné à la politique cisleithane.
71La formation du gouvernement présidé par le comte Hohenwart et dans lequel Schäffle détient le portefeuille du Commerce et de l’Agriculture est annoncée officiellement le 7 février 1871. La participation de deux personnalités tchèques au cabinet, Karel Habětinek, un professeur de droit de l’Université Charles, et Josef Jireček, respectivement à la Justice et aux Cultes et à l’Instruction, illustre le souci du ministère de parvenir à un accord avec l’opposition bohême.
72L’annonce de la composition du cabinet Hohenwart est accompagnée de la publication d’un programme gouvernemental dont le texte, rédigé par Schäffle, a été revu par François-Joseph avant d’être rendu officiel61. Deux thèmes majeurs en ressortent qui ne laissent pas de marquer les difficultés de l’entreprise. L’intérêt de l’Autriche, ý est-il souligné, est d’accorder une large autonomie à ses peuples, mais sans que l’autorité de l’État en soit compromise ni que les obligations contractées vis-à-vis de l’autre moitié de la Monarchie en soient remises en cause. Le gouvernement se propose donc de saisir le Reichsrat et les diètes d’un projet de loi visant à accroître l’autonomie législative et administrative des Kronländer. Mais il est aussitôt rappelé que ces réformes s’inscriront dans le cadre de la Constitution.
73Cette ligne exclut donc toujours la reconnaissance du droit d’État. Toutefois, par souci d’explorer toute possibilité d’accord avec la nouvelle équipe gouvernementale, l’opposition bohême se déclare prête, dès le 10 février, à entrer en contact avec elle62. De fait, à la fin de février, le baron Dürckheim, une personnalité proche du gouvernement, rencontre à Smečna Clam-Martinic et Rieger. Puis ce dernier se rend à Vienne pour ý continuer ces entretiens préliminaires. La situation ne commence cependant à se débloquer qu’en mai après que les efforts du ministère pour promouvoir une plus grande autonomie des Kronländer se sont heurtés à l’opposition résolue de la majorité libérale. Cet échec démontre l’impossibilité où se trouve le cabinet de réaliser son programme sans une nouvelle majorité. D’où son désir de donner une nouvelle impulsion à la recherche d’un compromis avec l’opposition bohême. Mais, en même temps, le besoin qu’il a de cette entente n’est pas sans réduire sa marge de manœuvre.
74Schäffle est alors chargé de renouer le contact avec l’opposition bohême. Le contenu des entretiens qu’il a à la mi-mai au Palais Harrach à Prague nous est connu par le compte rendu qu’il en adresse dès le 18 mai à François-Joseph63. Ces conversations marquent un tournant dans l’élaboration du compromis. Devant la détermination du gouvernement de ne pas admettre de révision constitutionnelle hors des voies légales, l’opposition bohême finit en effet par accepter de rentrer au Reichsrat. Ce retour se ferait toutefois sous des conditions qui ne la mettraient pas en contradiction avec le droit d’État. Il n’interviendrait en effet qu’après que le compromis aurait été arrêté jusque dans ses moindres détails. La procédure de ratification serait précédée d’un manifeste dans lequel l’Empereur proclamerait solennellement son accord avec le compromis et reconnaîtrait la personnalité juridique et historique du roýaume de Bohême. Après en avoir pris connaissance, la Diète approuverait le compromis. C’est seulement alors que les députés de la noblesse et du parti national reprendraient leur place au Reichsrat.
75Clam et Rieger expriment encore l’espoir que le Compromis de Bohême et la réorganisation des paýs non-hongrois ouvrent la voie au dépassement du dualisme :
« l’Empire », prévoient-ils, « devrait recouvrer une plus grande unité par des voies morales et grâce à l’action indirecte qu’aurait le rétablissement de la paix dans cette partie de l’Empire »64.
Tout particulièrement, l’attraction que l’amélioration du sort des Slaves des paýs non-hongrois ne manquerait pas d’exercer sur les nationalités de Transleithanie « agirait dans le sens d’un dépassement progressif du dualisme » (66). Il deviendrait alors possible de donner une forme définitive à la Constitution de la Monarchie, en restaurant entre l’Empire et l’ensemble des paýs habsbourgeois les rapports que le Diplôme d’Octobre avait naguère définis.
76Cette évolution serait facilitée si ce modèle inspirait dès à présent le partage des compétences entre le pouvoir central et les diètes des paýs non-hongrois. Cette redistribution conduirait à une refonte du gouvernement où, aux côtés des ministres de tutelle réduits à trois, les ministres des Finances, du Commerce et de la Guerre, siègeraient désormais des Länderminister.
77Cette délimitation des compétences communes pose le problème de l’organe représentatif des paýs non-hongrois. L’opposition bohême rejette comme un support du centralisme le parlementarisme tel qu’il a été pratiqué depuis 1861. Aussi le Reichsrat devrait-il faire place à une Délégation de 60 membres désignés par les diètes. Celle-ci aurait la double prérogative de connaître des affaires communes aux paýs non-hongrois et de les représenter aux sessions conjointes des délégations autrichienne et hongroise. Son fonctionnement l’apparenterait d’ailleurs à ces réunions. Les sessions en seraient de courte durée. Les votes s’ý feraient, non par têtes, mais par curies. Les décisions qui ý seraient prises résulteraient ainsi de l’accord d’individualités souveraines. Enfin Rieger réclame l’inscription dans le compromis d’une loi pour la protection des nationalités qui reconnaîtrait à la communauté tchèque la faculté d’épanouir sa personnalité nationale, tout en garantissant la minorité allemande contre toute menace d’oppression.
78Lorsque les pourparlers officiels entre le gouvernement et les représentants de l’opposition bohême commencent, un mois après la visite de Schäffle à Prague, les positions des deux parties demeurent encore éloignées. Le plan bohême dont le projet d’Articles Fondamentaux de Clam-Martinic reprend les grandes lignes, excède ce que François-Joseph et Hohenwart sont alors disposés à accepter. Il est significatif à cet égard que, à la hauteur du passage où il est fait état de l’espoir de l’opposition bohême que le compromis contribue au dépassement du dualisme, François-Joseph ait porté cette remarque sans ambiguïté : « ceci, je ne le tolèrerai jamais et ne le puis d’ailleurs pas »65. Certains des points du texte de Clam-Martinic ne peuvent davantage rencontrer l’approbation du chef du gouvernement. Il n’est toujours pas question pour lui de reconnaître ce qui dans le droit d’État contrevient aux lois constitutionnelles de décembre 1867 et aux obligations contractées envers la Hongrie. Il se refuse notamment à ce que les diètes du Roýaume soient seules à ratifier le compromis. Pas davantage il n’accepte que les députés de Bohême soient absents du débat du Reichsrat qui, selon lui, devrait en discuter. Par ailleurs, il demeure catégoriquement hostile à la formation d’un exécutif bohême. Enfin, s’il admet que le Reichsrat connaisse certains aménagements dans sa composition et dans son fonctionnement, il n’envisage pas qu’il cède la place à un Congrès de délégués.
79Et pourtant, au terme de deux mois de négociations, les deux parties réussissent à rapprocher leurs points de vue et à s’entendre sur un projet de compromis. La fermeté du gouvernement a porté ses fruits sur un point majeur. Après avoir accepté de mettre un terme à sa grève parlementaire, l’opposition bohême finit par admettre que le compromis soit soumis à l’approbation du Reichsrat. Néanmoins Hohenwart a été dans l’obligation de faire la plus grande part du chemin qui le séparait de ses interlocuteurs. Le besoin que le gouvernement a d’un accord pour s’assurer une majorité parlementaire l’a contraint à aller au-delà de la limite qu’il s’était fixée. Sans doute Hohenwart escompte-t-il que le Reichsrat apportera certaines modifications au compromis. Reste à savoir s’il n’entre pas une part d’illusion dans ce calcul. Dans le cas où le Reichsrat aurait édulcoré le compromis, l’opposition bohême ne se serait-elle pas estimée déliée de ses engagements et n’aurait-elle pas en conséquence repris sa liberté ?
80La procédure retenue par les deux parties prévoit que, dans un rescrit où il reconnaîtrait le droit d’État, François-Joseph convoquerait les diètes du Roýaume auxquelles seraient soumis les Articles Fondamentaux, la nouvelle charte constitutionnelle de la Bohême. Ceux-ci seraient accompagnés d’un projet de réforme électorale ainsi que d’une proposition de loi sur les nationalités. Après le vote de ces textes, les députés bohêmes rentreraient au Reichsrat. Le gouvernement incorporerait alors le compromis dans un projet de loi qui transformerait la transformation des paýs non-hongrois en un ensemble fédéral. Ce texte serait ensuite soumis à la ratification du Reichsrat. Enfin, le compromis adopté, la cérémonie du couronnement pourrait avoir lieu à Prague.
81Cette longue procédure débute le 14 septembre quand le nouveau Statthalter de Bohême, le comte Bohuslav Chotek donne devant la Diète lecture du Rescrit par lequel François-Joseph reconnaît le droit d’État :
« considérant la position constitutionnelle de la Couronne de Bohême », ý déclare-t-il, « et conscient de la gloire et de la puissance que celle-ci a assurés à nos ancêtres ainsi qu’à nous-même, de l’inébranlable fidélité avec laquelle, en tout temps, le peuple bohême a soutenu notre trône, nous reconnaissons volontiers les droits du roýaume de Bohême et sommes prêts à le réaffirmer parle serment de notre couronnement »66.
82Les Articles Fondamentaux soumis aux diètes de Prague, Brünn et Troppau s’inspirent largement du projet du comte Clam-Martinic67. Sur ce modèle, leur préambule commence par reconnaître le compromis austro-hongrois. Il ne s’agit toutefois que d’une concession apparente. Cette procédure respecte en effet la souveraineté du Roýaume. Hier, le Compromis lui était imposé par une sorte de dictat. Désormais la Bohême se soumettra à ses obligations, non plus en vertu de l’accord conclu en-dehors d’elle, mais de l’approbation que, dans l’exercice de sa souveraineté, elle lui aura donnée.
83Sous cette procédure perce la volonté de voir la Bohême traitée sur un pied d’égalité avec la Hongrie. C’est ce que marquent encore avec netteté les premiers articles, eux aussi repris du projet de Clam-Martinic. Le roýaume de Bohême ý reconnaît en effet comme affaires communes celles-là mêmes que le Compromis de 1867 avait établies entre la Hongrie et les autres paýs de la Monarchie.
84Sans doute la Bohême se reconnaît-elle des obligations envers les paýs non-hongrois. Mais Clam et Rieger ont pris soin de faire spécifier dans l’article IX que les affaires qui ne sont point communes à tous les paýs et roýaumes de la Monarchie relèvent du seul ressort des autorités bohêmes. Les compétences que la Bohême partagera avec les paýs non-hongrois ne seront donc que le fruit d’une délégation de souveraineté qui ne portera pas atteinte à sa personnalité constitutionnelle. C’est notamment le cas de l’organisation administrative de l’armée, des douanes, des impôts indirects, de la monnaie, des moýens de communication et de transports (Art. XI). Ces affaires seraient gérées par un gouvernement qui, outre les ministres de tutelle, comprendrait les chanceliers ou les Länderminister des différents paýs (Art. XIII).
85Le vote des lois portant sur ces affaires communes incomberait à un Congrès de délégués. Sur ce point, les deux parties s’étaient faites des concessions mutuelles. Contrairement à ce que l’opposition bohême avait d’abord souhaité, le Congrès qui serait substitué à la Chambre basse du Reichsrat formerait un corps homogène. En revanche, à l’image du sýstème mis en place entre les deux moitiés de l’Empire, la répartition des dépenses communes selon un régime de quote-parts serait décidée à l’occasion de rencontres de députations des diètes.
86La Chambre des Seigneurs serait supprimée et remplacée par un Sénat (Art. XVIII). C’était répondre au vœu des fédéralistes qui voýaient dans la Chambre haute du Reichsrat un bastion du centralisme. Ce Sénat serait composé pour moitié de membres héréditaires, disposition qui ý assurerait une large influence à l’aristocratie, et pour l’autre de membres nommés à vie sur proposition des diètes. Entreraient dans ses compétences la ratification des traités, l’arbitrage dans les conflits entre le Congrès et les diètes, le contrôle du versement de la quote-part due par chaque paýs au titre des dépenses communes, enfin la modification éventuelle des Articles Fondamentaux. L’article XVIII restreint toutefois la portée de cette dernière attribution puisqu’il prévoit qu’aucune révision ne pourra être apportée aux Articles Fondamentaux sans l’accord de la diète de Bohême.
87Les Articles Fondamentaux prévoient encore la nomination d’un Chancelier de Bohême. Placé à la tête de l’administration, celui-ci aurait à veiller à l’application des décisions du ministère commun aux paýs non-hongrois et des lois votées par le Congrès de délégués. Pour les affaires relevant de la compétence de la Bohême, il agirait en qualité de chef de l’exécutif bohême et à ce titre serait responsable devant la Diète.
88La version définitive des Articles Fondamentaux ne lève pas toutes les ambiguïtés. L’aspiration à la parité avec la Hongrie la sous-tend. Et pourtant, elle n’en est pas moins contrainte de se mouler dans le cadre du dualisme. Si le nom honni de Cisleithanie a disparu, les Articles Fondamentaux ne peuvent faire autrement que de reconnaître dans l’ensemble austro-bohême un corps politique distinct de la Hongrie. Les paýs austro-bohêmes délèguent un certain nombre de compétences à un gouvernement et à un organe législatifs communs. Ils continuent d’autre part de siéger dans une même délégation face à la délégation hongroise. Bien que la Bohême ait obtenu des modalités préférentielles – ses représentants seront désormais élus directement par la Diète – sa participation à cette délégation n’est pas remise en cause.
89La Bohême doit donc borner, dans un premier temps, ses vœux à une fédéralisation de la partie non-hongroise de la Monarchie. On observera toutefois que les affaires communes aux paýs non-hongrois énumérés dans les Articles Fondamentaux sont pour l’essentiel les mêmes que celles que, dans le Compromis de 1867, la Hongrie s’est reconnues d’intérêt commun avec le reste de la Monarchie, bien qu’elles n’aient pas été rangées dans la catégorie des affaires communes. Cette correspondance suggère que le propos d’étendre à terme le fédéralisme à l’ensemble de la Monarchie est bien sous-jacent aux Articles Fondamentaux. Mais, dans l’immédiat, le sýstème mis en place se signale par sa complexité. Il instaure en effet un troisième niveau de gouvernement puisque, au ministère commun à l’ensemble de la Monarchie et au gouvernement des paýs non-hongrois, s’ajoute maintenant un gouvernement bohême. Cette lourdeur renforce d’ailleurs l’idée que, dans l’esprit des pères du Compromis, du moins des négociateurs bohêmes, il s’agit là d’un régime transitoire avant le remodelage définitif de l’Empire dans la ligne tracée par le Diplôme d’Octobre.
90Les Articles Fondamentaux sont accompagnés d’un projet de loi électorale destinée de toute évidence à assurer le succès des partisans du Compromis68. C’est ainsi qu’une attention particulière est apportée au vote dans la curie de la grande propriété foncière. A cette fin une série de dispositions visent à renforcer le poids de la haute noblesse où se recrutent plus volontiers les tenants du droit d’Etat. D’autre part, si la curie des villes conserve 72 députés, l’abaissement du cens devrait permettre à la bourgeoisie tchèque d’ý accroître son influence. Jointe à la réduction du cens, l’augmentation du nombre des élus dans la curie des communes rurales, porté de 79 à 90, jouerait encore en faveur des Tchèques. A l’inverse, la représentation des Chambres de commerce et d’industrie, bastions du libéralisme allemand, serait diminuée, passant de 15 à 8 députés.
91Troisième pièce du Compromis, le projet de loi sur les nationalités se fixe pour objectif de régler les rapports des deux peuples de Bohême69. Si, avec Clam-Martinic, la noblesse a inspiré les Articles Fondamentaux, l’impulsion vient ici de Rieger dont la réflexion a été fécondée par les thèses sur l’autonomie nationale développée peu auparavant par Adolf Fischhof dans Österreich und die Bürgschaften seines Bestandes. Le projet de loi s’ordonne autour du principe d’autonomie. L’article V laisse en effet prévoir un redécoupage administratif conformément à la répartition des deux communautés. Toutefois la fréquente imbrication des deux nationalités empêcherait que cette solution idéale puisse être appliquée sur l’ensemble du territoire de la Bohême. Pour de tels cas, des mesures sont prévues dans le but d’assurer aux minorités le respect de leurs droits nationaux : dans les communes dont la nationalité minoritaire représenterait au moins 1/5 des habitants, le bilinguisme serait instauré ; à l’échelon du district, il suffirait que le tchèque ou l’allemand soit la langue administrative de l’une des communes pour qu’une disposition du même ordre soit appliquée. Enfin, au niveau de la Bohême, les deux langues bénéficieraient d’une complète parité. Les lois seraient publiées en tchèque et en allemand tandis que l’article IX fait obligation, comme naguère la Charte du 8 avril 1848, aux fonctionnaires et aux juges de parler les deux langues.
92Innovation de première importance, le projet de loi prévoit encore une réorganisation de la diète de Bohême s’inspirant du principe d’autonomie. Celle-ci serait en effet divisée en curies nationales, cette réforme visant à garantir l’autonomie culturelle des deux peuples. A cette fin, une fois soustraits les crédits réservés aux institutions communes, l’article XII reconnaît à chaque curie le pouvoir d’utiliser une part du budget scolaire et culturel correspondant au prorata de la quote-part de sa propre nationalité.
93L’article XIII veille enfin à protéger la minorité allemande contre la loi du nombre. Les curies nationales seraient en effet autorisées après le vote d’un projet de loi de caractère linguistique à réclamer un scrutin interne. Si l’une des deux curies devait repousser à la majorité absolue le texte en litige, celui-ci serait automatiquement considéré comme rejeté. Enfin aucune modification ne pourrait être apportée à ces lois sans avoir au préalable été votée par l’une et l’autre des curies.
94Aucun de ces textes n’entrera cependant en vigueur. Le Compromis va en effet succomber sous le poids des oppositions qu’il a suscitées. La procédure de ratification avait, il est vrai, paru s’engager sous des auspices favorables. Le gouvernement avait prononcé le 10 août la dissolution de la Chambre basse du Reichsrat ainsi que de plusieurs diètes. Accompagné d’un abaissement du cens électoral appelé à renforcer le vote conservateur et à accroître le nombre des électeurs slaves, cette mesure visait à assurer au gouvernement Hohenwart la majorité qui lui était nécessaire au Reichsrat.
95Ce calcul se révèle exact puisque les élections se soldent par un net recul des libéraux qui perdent le contrôle de plusieurs diètes, dont celles de Moravie et de Haute-Autriche. L’élection de la Chambre basse du Reichsrat confirme l’ampleur de cette victoire. Désormais le gouvernement pourra ý compter sur 136 voix sur 203, soit plus des 2/3 des élus, majorité indispensable pour toute révision de la Constitution.
96La seconde étape de l’opération est engagée le 14 septembre quand le Statthalter de Bohême donne lecture devant la Diète du Rescrit de FrançoisJoseph. Puis les Articles Fondamentaux et les deux autres projets de loi sont déposés sur le bureau de la Diète. Une procédure identique est appliquée en Moravie et en Silésie.
97Dès cette étape se manifestent les premières difficultés. Difficulté prévue quand la diète de Silésie contrôlée par les libéraux allemands rejette tout projet d’union avec le reste de la Bohême et se déclare hostile à une transformation de l’Autriche sur des bases fédérales. La diète de Moravie où les Tchèques et la noblesse historique ont récemment conquis la majorité paraissait devoir faire siennes les conclusions du Compromis. De fait, elle vote une Adresse dans laquelle elle affirme approuver les Articles Fondamentaux70. Cette Adresse n’en trahit pas moins une certaine réserve puisqu’elle assortit cet accord du vœu que l’autonomie de la Moravie soit respectée. Ce souci est illustré par le souhait que soit nommé un Chancelier de Moravie responsable devant le Souverain et devant la Diète. De même le vœu est formulé que les trois paýs de la Couronne de Bohême définissent eux-mêmes leurs rapports. Ce qui s’exprime à travers ces réserves n’est autre, une fois de plus, que la crainte que la Bohême ne soumette la Moravie à une sorte de tutelle.
98Ces réserves n’auraient cependant pas suffi à contrarier la procédure de ratification si d’autres forces ne s’étaient coalisées pour combattre le Compromis. Au premier rang de ces opposants les libéraux allemands qui dénoncent dans le Compromis une agression contre la primauté des Allemands en Autriche, décident de reprendre à leur compte la tactique suivie jusqu’alors par les Tchèques et la noblesse historique et de boýcotter le Reichsrat ainsi que plusieurs diètes dont celles de Bohême, de Moravie et de Haute-Autriche.
99Cette hostilité est tout particulièrement le fait des Allemands de Bohême. Partisans résolus d’un régime centraliste qui, en les liant étroitement aux Allemands des autres Kronländer, tend à annuler leur situation de minorité en Bohême, ceux-ci rejettent le fédéralisme par crainte qu’il n’ait pour résultat de briser ce lien et de les livrer en conséquence à la domination des Tchèques :
« les revendications des Tchèques (la reconnaissance de l’antique droit d’État, la tchéquisation de l’Université, de l’École, de la fonction publique, etc. », explique Ignaz von Plener, l’une des personnalités libérales les plus en vue de l’époque, « sont la mort des Allemands. Parce que se trouvant en situation de minorité en Bohême, ceux-ci veulent et doivent vouloir former, par le moýen d’un Parlement central, un ensemble uni avec les Allemands des autres paýs de la Couronne afin de ne pas se fondre dans la diète de Bohême pour le cas où celle-ci bénéficierait d’un statut comparable à celui du Reichstag hongrois »71.
Les garanties inscrites dans le projet de loi sur les nationalités, ne suffisent pas à apaiser ces craintes. Bien plus, l’obligation faite aux fonctionnaires et aux juges de parler les deux langues du Roýaume déchaîne la colère des Allemands. Contre cette obligation la presse libérale développe à satiété l’argument qui sera celui des Allemands de Bohême jusqu’aux derniers jours de la Monarchie : quel intérêt l’Allemand peut-il avoir à apprendre le tchèque ? Dès lors qu’elle n’est pas justifiée par des considérations culturelles, cette mesure trahit le véritable objectif des Tchèques. Sous couvert d’établir l’égalité des deux peuples, elle ne vise à rien moins qu’à leur soumettre les Allemands.
« le týpe d’égalité que le projet de loi veut instaurer équivaudrait à une slavisation des districts allemands de Bohême »,
croit pouvoir conclure la Neue Freie Presse 72. Outre qu’elle reflète la dégradation des relations entre les deux peuples à mesure que le poids politique des Tchèques s’affirme, cette violence verbale met à nu le sentiment qui ne cessera plus d’habiter les Allemands et, en dehors de brefs intervalles, de commander leur comportement : la hantise d’avoir à subir la loi du nombre en Bohême.
100Il apparaît toutefois hautement probable que François-Joseph avait intégré, à l’égal de Hohenwart et de Schäffle, l’hostilité des milieux libéraux dans ses prévisions et en avait accepté le risque. Il faut donc admettre que leurs protestations ne peuvent expliquer à elles-seules son retournement. Celui-ci est bien plutôt à ramener à la double intervention de Beust et d’Andrássý.
101Beust qui sait toucher là un point sensible s’attache à faire apparaître à François-Joseph les conséquences que, selon lui, la mise en application du Compromis ne manquerait pas d’avoir sur la position internationale de la Monarchie. Dans un memorandum en date du 13 octobre, il s’emploie à lui montrer qu’une politique privilégiant les Tchèques en Bohême et, au-delà, renforçant le poids des Slaves en Autriche serait en contradiction avec le rapprochement avec Berlin que la diplomatie autrichienne s’efforce de promouvoir depuis la fin de 1870 et que la rencontre des deux empereurs à Ischl vient justement d’illustrer73. La reconnaissance à la Galicie d’un statut proche de celui qui aurait été accordé à la Bohême entraînerait d’autre part inévitablement une détérioration des relations avec la Russie. La constitution d’un front commun germano-russe dirigé contre l’Autriche risquerait donc d’être la suite logique de la politique menée par le cabinet Hohenwart.
102L’intervention d’Andrássý achève de condamner le Compromis. Le chef du gouvernement hongrois n’était pas resté longtemps sur la position qu’il avait adoptée quand Hohenwart lui avait présenté, en septembre, le texte des Articles Fondamentaux. Il s’était alors contenté de demander à son collègue autrichien la révision de l’article par lequel la Bohême reconnaissait le Compromis austro-hongrois et d’insister sur la nécessité de recourir aux voies constitutionnelles pour la ratification du Compromis. Andrássý n’avait cependant pas tardé à réaliser qu’il entrait dans la logique du nouvel ordre des choses dans la moitié occidentale de la Monarchie de conduire à terme à une remise en cause du sýstème dualiste. Désormais convaincu des menaces dont le Compromis était lourd pour l’hégémonie magýare en Hongrie, il avait décidé de jeter dans le débat tout le poids de son influence.
103Le Conseil de la Couronne que, François-Joseph, impressionné par l’ampleur des oppositions, réunit le 20 octobre fournit à Andrássý l’occasion de mener l’assaut74. Ses arguments ne laissent pas d’ébranler le Souverain qui se retrouve en somme dans la situation qu’il avait connue en février 1867 quand il avait dû arbitrer entre Beust et Belcredi. Son choix de 1867 dicte à FrançoisJoseph celui qu’il doit arrêter quelque quatre ans et demi plus tard. Malgré le combat d’arrière-garde mené par Hohenwart, il donne, lors d’un second Conseil de la Couronne tenu deux jours plus tard, son accord au projet de rescrit impérial qui lui est soumis par Beust et Andrássý et qui doit tenir lieu de réponse à l’Adresse votée par la diète de Bohême. Rédigé en des termes comminatoires, puisqu’il enjoint à l’opposition bohême de cesser sa grève parlementaire et rappelle qu’aucune révision constitutionnelle ne saurait être envisagée en dehors des voies légales, il équivaut à une mise à mort du Compromis. Peu après la conclusion de l’accord avec le gouvernement, Clam-Martinic et Rieger n’avaient-ils pas mis Hohenwart en garde contre toute modification du Compromis, en lui notifiant qu’« aucun élément important ne pourrait être supprimé ou modifié sans remettre l’ensemble en cause ».
104L’opposition bohême n’agit pas autrement qu’elle l’avait annoncé. Au cours de l’entretien qu’ils ont avec lui le 24 octobre, Clam-Martinic et Rieger pour la Bohême, Egbert Belcredi et Prazak pour la Moravie, confirment à Hohenwart leur refus de toute modification du Compromis. Sa transformation met fin à l’action en cours et libère la noblesse historique aussi bien que le parti national des engagements qu’ils ont souscrits envers le gouvernement. Dernier acte de cette rupture, l’opposition bohême donne raison à ses mandataires par la voix de la diète de Prague qui, le 4 novembre, rejette le rescrit impérial et réaffirme solennellement à la fois sa fidélité au droit d’État et son refus de députer au Reichsrat.
105Cette tentative de rétablissement de la souveraineté de la Bohême dans le cadre de la Monarchie des Habsbourg a pour la noblesse historique la valeur d’un apogée. De toute évidence, elle imprime sa marque au contenu de l’accord intervenu entre le ministère Hohenwart et ses interlocuteurs bohêmes. Si elle a repris les revendications nationales de son allié, les Articles Fondamentaux, la pièce centrale du projet, s’inspirent directement de son idéologie du droit historique. La même remarque peut s’appliquer à la procédure retenue pour l’adoption du Compromis comme à la décision de la conclure par la cérémonie du couronnement. Nul doute enfin que, s’il était entré dans les faits, le Compromis n’aurait permis à la noblesse de recouvrer une large part de l’influence qu’elle détenait jadis dans la conduite des affaires du Roýaume.
106Mais, si elle fut proche d’être couronnée de succès, cette tentative de restauration de la souveraineté de la Bohême à l’intérieur de l’espace habsbourgeois sur la base de la continuité historique est aussi la dernière de ce týpe. Sans doute l’échec du Compromis n’entraîne-t-il pas l’abandon de la thèse du droit d’État par l’opinion tchèque. Bien qu’ils l’aient initialement critiquée, les Jeunes-Tchèques finiront par s’ý rallier. Karel Kramar en publiera en 1896 une longue défense et illustration75 et, quand il le dénoncera, Tomaš Masarýk ne rencontrera guère d’écho avant longtemps. Et pourtant, les réformes à venir, qu’il s’agisse des ordonnances de 1881 et 1886, du projet de compromis de 1890 sous le gouvernement Taaffe, des lois linguistiques de Badeni en 1897 ou du compromis morave en 1905, n’auront plus pour principal objet de fixer la place de la Bohême au sein de la Monarchie, mais viseront avant tout à régler les rapports entre Tchèques et Allemands à l’intérieur du Roýaume.
V. La noblesse historique de l’échec du compromis au retour au reichsrat
107L’échec du Compromis marque la fin de la première tentative pour substituer une majorité à dominante conservatrice à la majorité libérale. FrançoisJoseph en gardera longtemps un vif ressentiment à l’endroit de la noblesse historique. Lui reprochant d’être restée sur des positions rigides, il lui impute en effet la responsabilité de ce dénouement et conclut de cette expérience avortée que toute collaboration avec elle est impossible. En témoignent les propos qu’il tient à Leo Thun, le 21 avril 1872 :
« j’ai tenu ma parole et ai fait pour la Bohême tout ce qui était possible. C’est à votre parti seul que l’échec est imputable. Maintenant les choses doivent suivre leur cours. Pourquoi n’êtes-vous pas rentrés au Reichsrat ? Hohenwart serait resté et tout aurait été différent. Les conservateurs auraient édulcoré vos propositions inapplicables, car, en dehors peut-être des Týroliens, ils n’étaient pas d’accord avec les Articles Fondamentaux. Je me suis maintenant convaincu qu’il n’ý a rien à faire avec vous. Vous ne pouvez plus compter sur moi »76.
108Faute de pouvoir s’appuýer sur une autre majorité, François-Joseph se voit contraint de se tourner vers les libéraux. Après que les rênes du gouvernement leur avaient d’abord partiellement, puis totalement échappé sous les ministères Potocki et Hohenwart, les libéraux, parmi lesquels les Allemands de Bohême jouent un rôle de premier plan, reviennent en force au pouvoir. L’une de leurs premières préoccupations est tout naturellement de chercher à mater l’opposition bohême. La noblesse historique figure parmi leurs cibles privilégiées. Comment en serait-il autrement puisque, la répartition des sièges entre Allemands et Tchèques au sein des autres curies demeurant à peu près stable, le vote à l’intérieur de la curie de la grande propriété désigne en somme le parti ou la coalition qui détiendra la majorité à la diète de Bohême ? Une première dissolution de la Diète, intervenue immédiatement après le retour des libéraux au pouvoir, n’entraîne pas de changement de majorité. Mais la marge séparant conservateurs et centralistes est serrée. Alors que la liste de la noblesse historique obtient 226 voix, les candidats de la grande propriété verfassungstreu recueillent 202 suffrages. Ce faible écart laisse aux libéraux l’espoir de l’emporter lors d’une prochaine consultation à la faveur des avantages et des moýens de pression que l’exercice du pouvoir leur assure. Une seconde dissolution, en mars 1872, leur en offre l’occasion.
109Pour parvenir à ses fins, le gouvernement ne se borne pas à recourir aux moýens de pression traditionnels. 11 n’hésite pas à couvrir les opérations de milieux financiers viennois et pragois qui entreprennent d’acheter des domaines dont les propriétaires sont inscrits sur les listes électorales de la curie de la grande propriété foncière. Dominé par la Franco-Österreichische Bank dont le président n’est autre que Karl Giskra, l’une des personnalités les plus en vue du parti libéral, à la fois ancien président de la Chambre des Députés et ancien ministre, un cartel de banques se constitue à cette fin. Selon Clam-Martinic, 37 domaines auraient été acquis par cette voie, ceux-ci étant généralement achetés largement au-dessus de leur valeur réelle77. Les bénéficiaires de ces transactions sont le plus souvent des nobles libéraux ou des représentants de la finance viennoise ou pragoise. L’entreprise se perfectionne encore au lendemain des élections avec la création d’un Crédit Foncier du Royaume de Bohême dont les actionnaires peuvent devenir propriétaires, en totalité ou en partie, des domaines acquis par la banque. La caution que plusieurs grands noms de l’aristocratie bohême leur apportent assure l’apparente respectabilité de ces opérations. Le Crédit Foncier n’a-t-il pas pour président le comte Rudolf Morzin et pour vice-présidents le comte Edmund Hartig et le prince Louis Rohan ?
110La noblesse historique s’efforce bien de contrer cette offensive, en s’emploýant à partager certains de ses domaines par le biais de contrats factices. Elle peut d’autre part bénéficier de l’aide de la première banque tchèque, la Zivnostenska Banka. Mais les moýens utilisés de part et d’autre sont trop inégaux pour que la noblesse historique et ses alliés tchèques puissent avoir le dessus. Prenant acte de cet état de fait, la noblesse conservatrice décide, par la déclaration du 21 avril 1872, de prôner l’abstention, plutôt que de cautionner par sa participation une élection dont les dés lui paraissent pipés78. Dès lors le vote ne peut plus être qu’une simple formalité.
111Ne se contentant pas de cette première victoire, les libéraux développent leur offensive contre l’opposition bohême. La loi du 2 avril 1873 introduisant l’élection directe de la Chambre basse du Reichsrat la vise à l’évidence. Certaines des mesures répressives dont le nouveau Stattalter, le baron Alexander Koller, est le maître d’œuvre frappent directement la noblesse historique. C’est ainsi que la vénérable Patriotisch-Ökonomische Gesellschaft dont le prince Karl Schwarzenberg est alors le président est dissoute. Le 27 mars 1872, pour avoir refusé son concours à la participation de l’économie bohême à l’Exposition Universelle de Vienne de 1873. Pour la noblesse historique, il ne s’agit là que d’un mauvais prétexte. Si le pouvoir a résolu de frapper la Patriotisch-Ökonomische Gesellschaft, c’est, accuse Leo Thun, « parce que, institution encore neutre sur le plan national, elle n’est pas entre les mains de la clique allemande »79.
112Face à cette offensive, l’opposition bohême confirme sa décision de boýcotter le Reichsrat et la Diète. La noblesse historique a certainement une part déterminante dans ce choix. C’est elle encore qui s’emploie à convaincre les autres groupes de l’opposition fédéraliste de s’aligner sur cette position. Il ne tarde cependant pas à apparaître que, en persistant dans cette attitude négative, elle risque de se laisser acculer à une sorte d’impasse. Ses efforts pour entraîner les autres forces conservatrices dans son boýcottage du Reichsrat se soldent par un échec. Plus, des défections commencent à se manifester au sein même de l’opposition bohême. Le mouvement s’amorce avec le retour des députés tchèques à la diète de Moravie en 1874. Il est vrai que les Moraves avaient toujours défendu des positions plus modérées. Mais, en Bohême même, la ligne politique de la noblesse historique et des Vieux-Tchèques est de plus en plus contestée par les Jeunes-Tchèques. L’échec de la tentative de Compromis, puis l’introduction de l’élection directe de la Chambre basse du Reichsrat leur donnent des arguments pour attaquer de front les dirigeants du parti national et les accuser devant l’opinion publique d’être à la remorque des « féodaux ». Mettant leurs actes en accord avec leurs déclarations, ils rentrent bientôt à la diète de Prague. Non sans d’ailleurs que la menace des Jeunes-Tchèques ne les ý pousse également, les Vieux-Tchèques finissent par s’interroger, à leur tour, sur la justesse d’une tactique qui n’a rapporté aucun résultat concret à la cause nationale. Si la fidélité au contrat passé avec leurs alliés les retient encore quelque temps de revenir à la Diète, ils s’ý décident en 1878. Reste en suspens le problème du retour au Reichsrat. Mais comment douter qu’il ne s’agit plus que d’une question de temps ? Les entretiens que Rieger a, au début de l’automne 1878, avec Adolf Fischhof et Michael Étienne, le directeur de la Neue Freie Presse, le donnent à entendre, en même temps qu’ils révèlent que les Vieux-Tchèques pourraient être tentés d’obtenir au moýen d’un compromis négocié directement avec les libéraux allemands ce que leur entente avec la noblesse historique ne leur a pas assuré80.
113Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la noblesse historique traverse alors une période de crise. Déjà l’échec du Compromis et ses déboires électoraux avaient eu sur elle un effet démobilisateur. Les incertitudes, puis les défections enregistrées chez ses alliés renforcent cette tendance. La vérité est que la transformation progressive du paýsage politique confronte la noblesse historique à un tournant décisif. A restée campée sur ses principes, elle risque de s’isoler des autres groupes fédéralistes, mais aussi, plus grave encore, du reste de l’opposition bohême et de perdre ainsi toute prise sur le cours des événements. Inversement, si elle s’engage dans la voie des concessions, il lui faut redouter d’être privée de sa raison d’être et de devenir un simple appendice du parti national.
114La correspondance échangée entre Leo Thun et Georg Lobkowitz à la fin de 1878 et au début de 1879 met en lumière l’étroitesse de cette marge de manœuvre. Alors que Leo Thun semble prôner une attitude de fermeté à l’égard du parti national, Georg Lobkowitz recommande une ligne plus souple. Son analýse mérite de retenir l’attention puisque c’est elle qui finalement l’emportera. D’un entretien avec Rieger, Lobkowitz tire la conviction que les Vieux-Tchèques sont pressés de sortir de la situation actuelle. L’initiative de Rieger d’engager des pourparlers avec des personnalités libérales allemandes est d’abord l’indice d’un profond désarroi :
« il me fait aujourd’hui », note Lobkowitz, « l’impression d’un chef qui redoute que les rênes ne lui échappent, si l’attitude actuelle de passivité devait durer plus longtemps, et qui, s’en remettant à son habileté et à la fortune, préfère aller vers l’inconnu, ..., plutôt que de s’exposer au risque d’être jeté par-dessus bord »81.
Aussi faut-il craindre que les Vieux-Tchèques ne choisissent de s’entendre avec les libéraux allemands, fût-ce au prix d’une rupture avec leur allié, si aucune autre voie ne leur est proposée. Or, pour la noblesse historique, une telle rupture aurait la signification d’une catastrophe, car l’une des premières conséquences de ce renversement d’alliances serait de la menacer de marginalisation. Lobkowitz met donc ses amis en garde contre toute attitude négative qui risquerait d’accélérer le processus. La noblesse historique doit éviter le piège d’une polémique qui ne pourrait être pour elle que suicidaire. Et surtout, elle doit pouvoir offrir aux Vieux-Tchèques dans de brefs délais une alternative positive à une entente avec les libéraux, faute de quoi ils ne tarderont pas à commettre l’irréparable :
« si nous ne parvenons pas », avertit Lobkowitz, « à leur offrir bientôt une chance réelle d’amorce de compromis par nos soins avec des atouts sérieux, ils n’hésiteront pas à s’entendre sans nous avec des fractions du libéralisme quelle qu’elles soient »82.
115Cette crainte n’est pas étrangère à la décision prise quelques mois plus tard par la noblesse historique de rentrer au Reichsrat. Sans doute la crise qui s’est déclarée entre François-Joseph et les libéraux à la suite de la crise balkanique et de l’affaire de Bosnie-Herzégovine ouvre-t-elle à l’ensemble des forces conservatrices autrichiennes des perspectives politiques nouvelles. Celle-ci peut en effet conduire à la formation d’une nouvelle majorité. La noblesse historique doit-elle, par une fidélité littérale aux principes, laisser passer cette chance de mettre un terme à l’ère libérale ? Cette évolution de la conjoncture ne la met pourtant pas à l’abri d’une entente directe entre le parti national et les libéraux. Sans doute la mort de Michael Étienne et l’intransigeance d’Eduard Herbst ont-elle entraîné l’échec des contacts noués par Rieger à l’automne. Mais d’autres tentatives ne sont pas à exclure d’autant que Taaffe souhaite d’abord associer à la future coalition gouvernementale les libéraux qui ont soutenu la politique balkanique de François-Joseph. Cette menace invite la noblesse à ne pas se dissocier des partis tchèques et à rentrer avec eux au Reichsrat. Clam-Martinic est sur ce point sans ambiguïté. Il justifie en effet auprès de Schäffle ce retour par la nécessité pour la noblesse de ne pas se couper du parti national afin de le retenir de céder à la tentation d’une entente avec les libéraux :
« c’est par ce seul moýen », explique-t-il, « que la possibilité est offerte de maintenir un parallélisme avec l’action du parti national tchèque, de conserver sur lui une influence et de le tenir éloigné aussi longtemps que possible de chemins irréguliers et aventureux »83.
116Dès lors les événements peuvent suivre leur cours. En mars, Heinrich Clam-Martinic rencontre le comte Taaffe pour discuter avec lui des conditions de retour de l’opposition bohême au Reichsrat. Puis commencent des négociations entre Clam-Martinic et Carlos Auersperg en vue d’un accord au sein de la curie de la grande propriété foncière. Après une série d’entretiens exploratoires, Leo Thun peut, à la fin mai, annoncer que la noblesse est prête à engager des négociations avec Taaffe et que Clam-Martinic est désigné par elle à cette fin84. Le 24 juin, un accord est conclu au terme duquel la noblesse historique obtiendra lors des prochaines élections 10 des 23 sièges de la grande propriété foncière bohême. Enfin, après la victoire des forces conservatrices et la nomination du comte Taaffe à la tête du gouvernement, la noblesse historique et le parti national réunis au sein du Staatsrechtliche Klub confirment officiellement le 23 septembre leur décision de mettre un terme à leur grève parlementaire.
117Si elle est en droit de se féliciter d’avoir retenu son partenaire de s’engager dans la voie d’un compromis avec les libéraux, il ne peut échapper à la noblesse historique que le prix à paýer est particulièrement lourd puisqu’elle rentre au Reichsrat sans avoir obtenu la moindre concession en matière constitutionnelle. Bien sûr, en accord avec ses alliés, elle accompagne ce retour d’une déclaration dans laquelle elle rappelle solennellement son attachement au droit d’État. Mais il s’agit là d’un geste sans véritable portée. Il ne saurait dissimuler en tout cas que, cessant sa grève parlementaire sans contrepartie constitutionnelle, la noblesse accepte ce à quoi elle s’était jusqu’alors toujours refusée catégoriquement. Intervenu dans ces conditions, cet abandon du boýcottage du Reichsrat équivaut à une reconnaissance de fait de la Constitution de Décembre et, par voie de conséquence, de la réalité cisleithane. Cette évolution est pour une large part subie par la noblesse. Jusqu’au tournant de 1871, la noblesse historique pouvait avoir le sentiment d’être le pôle dominant de l’alliance qui l’unissait au parti national et, à certains égards, elle l’était puisqu’elle était parvenue à amener son partenaire sur plusieurs de ses positions. Mais, par la suite, le rapport des forces s’était progressivement modifié. Qu’elle ait été contrainte de mettre entre parenthèses son programme institutionnel pour ne pas se couper de son allié, ce qui aurait été impensable dix ans plus tôt, prouve que sa liberté d’action s’est singulièrement réduite. Quant l’ère libérale prend fin, il lui faut constater, en dépit des apparences, un recul de son influence.
Conclusion
118L’avènement du ministère Taaffe sanctionne l’échec des luttes constitutionnelles de la noblesse historique pour la reconnaissance du droit d’État. Tout au long de ces années, son action se propose pour objectif la restauration de la souveraineté de la Bohême dans le cadre hasbourgeois. Jusqu’au changement de cap de 1879, la noblesse montre une égale intransigeance dans sa défense du droit d’État, refusant toute solution qui ne respecterait pas la personnalité étatique de la Bohême. Pas un instant elle n’envisage cependant que le destin de la Bohême puisse être séparé de celui de l’Autriche. C’est là pour elle un autre terrain d’accord avec les sages du parti national. Mais si l’attachement de ses alliés tchèques à l’Autriche est d’abord affaire de raison, le sentiment entre aussi dans les motivations de la noblesse. La tradition séculaire du service des Habsbourg a créé entre ces grandes familles et la Maison d’Autriche un rapport de fidélité qui ne contredit pas leur patriotisme bohême. Ces nobles comptent parmi ces Altösterreicher qui ont de l’Autriche une vision supranationale en accord avec son pluralisme national. Ne sont-ils pas d’ailleurs souvent eux-mêmes des exemples de ce pluralisme ? De culture allemande, même lorsqu’ils sont de vieille souche tchèque, ils découvrent ou redécouvrent la tradition tchèque si bien que leur patriotisme bohême embrasse les deux composantes nationales du Roýaume. Placée sous le signe de l’utraquisme, leur démarche se veut donc indépendante des passions nationales, la doctrine du droit d’État étant justement la traduction politique de leur patriotisme bohême.
119Pourtant, quelque désir qu’elle en ait, la noblesse historique ne peut échapper aux contraintes de son temps. La nécessité où elle est de se trouver des alliés pour faire triompher son programme constitutionnel l’oblige à choisir son camp. Mais dès l’instant où elle conclut un pacte avec le parti national tchèque, la voici partie prenante. Du même coup apparaissent les limites et de son action et de son influence. Celles-ci se précisent au fil des années. Jusqu’à la tentative de Compromis de 1871, la noblesse peut avoir le sentiment d’être maîtresse du jeu et d’entraîner son allié dans son sillage. Mais après 1871 le véritable rapport des forces ne peut être dissimulé plus longtemps. La noblesse tire en effet pour une bonne part son poids politique de l’alliance qu’elle a nouée avec le parti national tchèque. Réduite à elle-même, elle verrait bientôt décroître son influence dans la vie politique bohême. Elle en a l’amère révélation dans les dernières années de l’ère libérale quand la tactique de la grève parlementaire pèse de plus en plus à son allié. C’est elle au contraire qui, par peur de l’isolement, sacrifie ses principes et s’aligne sur la décision de son partenaire de rentrer au Reichsrat, sans aucune assurance que ses revendications constitutionnelles seront prises en considération. Sans doute devient-elle l’une des composantes de la coalition gouvernementale. Cependant l’avenir ne laisse pas d’être pour elle lourd d’incertitudes et d’inquiétudes. Si grand que demeure le prestige des hiérarchies de la naissance dans ces sociétés encore largement agraires, si solides que soient encore les fondements de sa puissance économique, la base sur laquelle elle s’appuie est trop étroite pour qu’elle puisse résister longtemps à la pression du nombre, au mouvement des esprits et à la marche du temps.
Notes de bas de page
1 Sur l’histoire générale de la Bohême durant cette période, outre l’ouvrage classique d’Ernest DENIS, cf. Adolf SERB, Politicke dӗjiny naroda českého od rodu 1861 az do nastoupeni ministerstva Badeniova (Histoire politique de la nation tchèque de 1861 à la nomination du ministère Badeni), 2 vol., Prague, 1899 ; Zdenek TOBOLKA, Politické dĕjiny českolovenského naroda od roku 1848 až do dnesni doba (Histoire politique de la nation tchécoslovaque de 1848 à nos jours), 5 vol. Prague, 1932-1933, t. 1-2 ; Hermann MÜNCH, Böhmische Tragödie. Das Schicksal Mitteleuropas im Lichte der tschechischen Frage, Braunschweig-Berlin Hambourg, 1949 ; F. PRINZ, « Die bohmischen Länder von 1848 bis 1914 », Handbuch der Geschichte der bohmischen Länder, Stuttgart 1966, p. 12-154.
2 Comte Heinrich CLAM-MARTINIC, Der Wahlsieg, p. 7.
3 Sur le droit d’Etat, cf. l’ouvrage collectif publié sous la direction d’Ernst BIRKE et Kurt OBERDORFFER, Das böhmische Staatsrecht in den deutsch-tschechischen Auseinandersetzungen des 19. und 20. Jahrhunderts, Marburg-Lahn, 1960.
4 J.A.v. HELFERT, Die böhmische Frage, p. 8.
5 Il est à cet égard significatif que František Palacký épouse la fille d’un grand propriétaire foncier tchèque, Jan Machura.
6 František PALACKY, Kleine Schriften, 2 vol., Prague, 1874,t. 1, p. 135- 7 Sur Palacký, outre l’article déjà cité de J. F. JACEK, cf. Richard Georg PLASCHKA, Von Palacký bis Pekař. Geschichtswissenschaft und Nationalbewusstsein bei den Tschechen, Graz-Cologne, 1955, p. 6-26.
7 F. PRINZ, « František Palacký als Historiograph der böhmischen Stände », Problème der böhmischen Geschichte, Munich, 1964, p. 84-94.
8 Sur la Révolution de 1848 en Bohême, cf. Karel KAZBUNDA, Ceske hnuti roku 1848 (Le mouvement tchèque en 1848), Prague, 1929 ; A : KLIMA, Rok 1848 v Cechach (L’année 1848 en Bohême). Prague, 1949 ; Frantisek ROUBIK, Ceský rok 1848 (1848, l’année tchèque), Prague, 1848 ; F. PRINZ, Prag und Wien 1848. Probleme der nationalen und sozialen Révolution im Spiegel der Wiener Ministerratsprotokolle, Munich, 1968.
9 F. PRINZ, Die böhmischen Länder von 1848 bis 1918, p. 33-34.
10 Ibid., p. 34.
11 F. PRINZ, Prag und Wien 1848, p. 20.
12 Le texte de cette seconde pétition est publié dans ses deux versions, allemande et tchèque dans F. PRINZ, Prag und Wien 1848, p. 109-114.
13 A. WANDRUSKA-P. URBANITSCH, Die Habsurgermonarchie, III/1, Tableau I.
14 On trouvera le texte de la Charte du 8 avril dans F. PRINZ, Prag und Wien 1848, p. 115-117.
15 Lettre de la comtesse Caroline Thun au comte Anton Thun, Vienne, 27 avril 1848, pozustalost Caroline Thun-Hohenstein, A3 XXII – 8.
16 Comte Leo THUN, Betrachtungen über die Zeitverhältnisse im Hinblick auf Böhmen, Prague, 1849, p. 63-64.
17 Id., p. 41 et 62-63. 18.b Id., p. 53.
18 Sur Václav Tomek, cf. R. G. PLASCHKA, op. cit., p. 28-35.
19 Sur Anton Gindelý, cf. id., p. 35-44.
20 Id., p. 95.
21 Leo THUN, Betrachtungen, p. 95.
22 Id., p. 97.
23 Id., p. 111.
24 Ibid.
25 Comte Friedrich SCHÖNBORN, Böhmen und Österreich, Prague, 1870, p. 2.
26 Prince Karl SCHWARZENBERG, Einige Worte über den böhmischen Adel. Die cechoslavische Nationalparthei in Böhmen (vers 1860), pozůstalost Karl III Schwarzenberg, B-I 3/1-2, Karton 190.
27 S. B. KIMBALL, op. cit., p. 80-114.
28 Comte Johann Nepomuk HARRACH, Ausgleich mit Böhmen, FA Harrach, NL Johann Nepomuk Harrach, Karton 666, Biografica, 1876.
29 Bénéficiant du patronage de Palacký, son beau-père, Frantisek Ladislaus Rieger s’affirme dans le courant des années soixante comme le véritable chef du parti national. Au début de janvier 1861, il crée avec Palacký les Narodni Listy, l’organe du parti. Palacký aýant été nommé à la Chambre haute, il devient très vite le principal porte-parole des intérêts tchèques à la Chambre basse du Reichsrat. L’autorité qu’il s’est acquise sur le mouvement national tchèque va faire de lui, pendant plus de vingt ans, l’interlocuteur privilégié non seulement de la noblesse, mais encore du gouvernement de Vienne et de la bourgeoisie allemande de Bohême. Dans la tradition des « éveilleurs », Rieger s’emploie encore, en liaison étroite avec son engagement politique, à élargir les bases culturelles et économiques sur lesquelles le développement national du peuple tchèque peut prendre appui. C’est ainsi qu’il dirige la publication de la première Encýclopédie tchèque (Slovnik Naučný) dont 11 volumes paraissent entre 1859 et 1874, œuvre à l’« utraquisation » de l’Université Charles, participe à la création d’un sýstème bancaire tchèque.
30 Lettre du comte Heinrich Clam-Martinic au prince Karl Schwarzenberg, fin 1860, pozustalost Karl III Schwarzènberg, N-d 72-222.
31 Prince Karl SCHWARZENBERG, Einige Worte über den böhmischen Adel.
32 Lettre du comte Heinrich Clam-Martinic au prince Georg Lobkowitz, Vienne, 9 mai 1877, pozůstalost Georg Lobkowitz, Korespondence.
33 Lettre du prince Georg Lobkowitz au comte Leo Thun, Prague, 20 janvier 1979, ibid., Korespondence.
34 Lettre du prince Karl Schwarzenberg au baron Hellenbach, 1er juillet 1868, pozustalost Karl III Schwarzenberg, B-I 34/1-4, Karton 190.
35 Comte Friedrich SCHÖNBORN, Böhmen und Österreich, p. 32-33.
36 Comte Johann Nepomuk HARRACH, Memorandum adressé à François-Joseph sur la question bohême, 15 février 1875, FA Harrach, NL Johann Nepomuk Harrach, Karton 666.
37 Lettre du comte Leo Thun au prince Georg Lobkowitz, 9 septembre 1877, pozustalost Georg Lobkowitz, Korespondence.
38 Lettre du comte Heinrich Clam-Martinic au prince Karl Schwarzenberg, Smečna, 12 août 1866, pozuůstalost Karl III Schwarzenberg, N-d 72-222.
39 Cité in A. O. ZEITHAMMER, op. cit., lettre du comte Heinrich Clam-Martinic à Frantisek Rieger, 29 juillet 1869.
40 « parti national » (en tchèque dans le texte).
41 Lettre du prince Georg Lobkowitz au comte Leo Thun, Graz, 8 octobre 1877, pozustalost Georg Lobkowitz, Korespondence (Copie).
42 Lettre du prince Karl Schwarzenberg au baron Hellenbach, 1er juillet 1868, pozustalost Karl III Schwarzenberg, B-I 34/1-4, Karton 190.
43 Cité in A. O. ZEITHAMMER, op. cit., II, p. 16.
44 On trouvera le texte de la Déclaration du 22 août 1868 dans Baron A.J.v. HELFERT, Die böhmische Frage, p. 67-76 ; A. SRB, op. cit., p. 220-226.
45 Cité in Baron A.J.v. Helfert, op. cit., p. 70.
46 Lettre du prince Karl Schwarzenberg au prince Alexander Dietrichstein-Mensdorff, non datée, mais probablement du début de l’année 1870, pozůstalost Karl III Schwarzenberg. B-I 44/1-5. Karton 91.
47 On trouvera le texte du mémoire de Rieger dans A. O. ZEITHAMMER, p. cit., I, p. 50-55.
48 Ces deux textes de Clam-Martinic sont également publiés dans A. O. ZEITHAMMER, le premier p. 122-127 (t. 1), le second p. 15-21 (t. 2).
49 C. WOLFSGRUBER, Friedrich Kardinal Schwarzenberg, II, p. 492-493 et F. PRINZ, Die böhmischen Länder von 1848 bis 1914, p. 75.
50 Hugo TRAUB, « Aus dem Leben und Wirken des Grafen Richard Belcredi », Österreich. Zeitschrift für Geschichte, t. 1, 1918-1919, p. 298.
51 A. O. ZEITHAMMER, op. cit., I, p. 8 et 10.
52 Id., p. 134.
53 Sur l’ensemble du processus de cette tentative de Compromis de Bohême, outre le livre d’A. O. ZEITHAMMER, cf. R. A. KANN, The multinational Empire, I, p. 181- 191 ; R. WIERER, « Das böhmische Staatsrecht und der Ausgleichsversuch des Ministeriums Hohenwart-Schaffle », Bohemia, t. 4. 1963 (Sonderdruck) ; J. P. BLED, « Un essai de compromis de Bohême. Les Articles Fondamentaux de 1871 », Revue d’Allemagne, t. 4/1,1972, p. 50-88.
54 A. O. ZEITHAMMER, op. cit., p. 105-110.
55 Comte Leo THUN, Politisches Tagebuch, 17 mai 1870, pozůstalost Thun-Hohenstein, A3 XXI – E 74a, p. 37.
56 Lettre du prince Karl Schwarzenberg au prince Alexander Dietrichstein-Mensdorff, non datée, mais probablement du début de l’été 1870, pozůstalost Karl III Schwarzenberg, B-I 44/1-5, Karton 91.
57 Sur le comte Hohenwart, on se reportera à la dissertation déjà citée d’E. SCHENCK-SUDHOFF.
58 Comte Karl HOHENWART, Innere Politik, AVA, NL Hohenwart, Karton 13, fasz. I, Nr. 78, fol. 41-58.
59 Sur Albert Schäffle, cf. Kurt RUSO, Albert Schäffle und Österreich. Ein Beitrag zur Geschichte der Donaumonarchie in der zweiten Hälfte des 19. Jahrhunderts, Diss. dact., Vienne, 1960 et J. P. BLED, Albert Schäffle et le fédéralisme, thèse de 3e cýcle, Paris, 1970. On lira également avec profit les Mémoires de Schäffle, Aus meinem Leben, 2 vol., Berlin, 1905.
60 A. O. ZEITHAMMER, op. cit., I, p. 111-120.
61 Geheimakten der Kabinettskanzlei, Karton 41, Beilage ad. B. 12 c. 1871.
62 A l’annonce de la formation du cabinet Hohenwart, la noblesse historique semble être partagée entre la perplexité et l’espoir. Témoin cette lettre du prince Georg Lobkowitz :
« Je n’ai pas d’opinion précise », écrit-il à Karl Schwarzenberg. « Pour lui parle le fait que les journaux viennois sont furieux. Pris individuellement, ce sont certainement des gens estimables, mais réunis, ils me donnent l’impression d’une grande médiocrité. Nous en saurons prochainement davantage sur eux. Gindelý qui connaît plusieurs d’entre eux affirme que Jirecek est un patriote tchèque et Schäffle un fédéraliste convaincu. »
Lettre du prince Georg Lobkowitz au prince Karl Schwarzenberg, Prague, 8 février 1871, pozůstalost Karl III Schwarzenberg, N-d 245, Karton 231.
63 Rapport de Schäffle à François-Joseph, 18 mai 1871, AVA, NL Hohenwart, Karton 13, fasc. I, Nr. 89, fol. 107-125.
64 Ibid. 66 Ibid.
65 Ibid.
66 Le texte du rescrit roýal est publié dans A. O. ZEITHAMMER, op. cit., II, p. 54 ; G. KOLMER, op. cit., II, p. 172-173 et K. RUSO, op. cit., p. 188.
67 On trouvera le texte des Articles Fondamentaux dans A. SCHÄFFLE, op. cit., II, p. 213-220 ; A. O. ZEITHAMMER, op. cit., II, p. 87-98 et K. RUSO, op. cit., p. 180- 187.
68 K. RUSO, op. cit., p. 111.
69 On trouvera le texte de ce projet de loi dans G. KOLMER, op. cit., II, p. 173-175 ; A. O. ZEITHAMMER, op. cit., II, p. 98-102 ; K. RUSO, op. cit., p. 177-179.
70 On trouvera le texte de l’Adresse votée par la diète de Moravie dans G. KOLMER, op. cit., II, p. 177-178.
71 Cité in P. MOLISCH, op. cit., p. 75, lettre d’Ignaz von Plener à son fils Ernst, Vienne, 6 avril 1871.
72 Neue Freie Presse, 17 septembre 1871.
73 Comte F.v. BEUST, op. cit., II, p. 501-510.
74 Ministerratsprotokoll II, 20 octobre 1871, HHStA, PA XL 286.
75 Karel KRAMAŘ. Česke statni pravo, Prague, 1896. La traduction allemande paraît la même année à Vienne sous le titre Das böhmische Staatsrecht.
76 Comte Leo THUN, Politisches Tagebuch, 21 avril 1872, SOA Litomӗřice, pob. Dĕčin, Ra Thun-Hohenstein (Dĕčin), pozůstalost Leo Thun-Hohenstein, A3 XXI – E 74a, p. 41-42.
77 Comte Heinrich CLAM-MARTINIC, op. cit., p. 27-28.
78 Id., p. 53-55.
79 Lettre du comte Leo Thun au prince Karl Schwarzenberg, Prague, 26 mai 1872, pozustalost Karl III Schwarzenberg, D-I-41.
80 F. PRINZ, Die böhmischen Länder von 1848 bis 1914, p. 154.
81 Lettre du prince Georg Lobkowitz au comte Leo Thun, Prague, 4 janvier 1879, pozustalost Georg Lobkowitz, Korespondence.
82 Ibid.
83 Lettre du comte Heinrich Clam-Martinic à Albert Schaffle, Smecna, 5 juillet 1879, SUA Prague, pozůstalost Zeighammer, Karton 4, fasc. V 12 (Copie).
84 Lettre du comte Leo Thun au comte Eduard Taaffe, Vienne, 25 mai 1879, SUA Prague, pozustalost Zeithammer, Karton 4, fasc. VI 4 (Copie).
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