II. Les avatars du « national internationalisme » : de la tourmente à l’apaisement
p. 284-386
Texte intégral
« Je suis désolé. Les Etats-Unis sont le leader du monde libre et, sous cette Administration, nous recommençons à agir en tant que tels. »
George Bush, lors de son voyage en Europe en août 1982.1
11980 avait vu l’Administration Carter sonner le tocsin. L’équipe qui lui succédait arrivait dans un état d’esprit proche de celui des croisés, persuadée qu’elle seule pourrait engendrer la « Renaissance » nationale que la montée des périls requérait. Bref, les inflexions que Carter avait, dès 1980, largement esquissées, seraient exacerbées.
2D’abord, l’esprit de détente que Carter n’avait pas voulu définitivement rejeter, allait être enterré. Dans sa première conférence de presse, le 29 janvier, le nouveau Président le rappellera : « Jusqu’à présent, la détente a été un processus à sens unique que l’URSS a mis à profit pour servir ses intérêts. »2 La stratégie de la nouvelle Administration à l’égard du camp opposé sera ainsi, au moins dans un premier temps, d’une extrême simplicité : elle consistera, comme Kennedy l’avait fait, à « réarmer » avant de « parlementer ». Ensuite aux efforts pour intégrer l’évolution et les revendications du Tiers Monde dans un nouvel ordre conforme aux intérêts des démocraties industrialisées, une vision beaucoup plus traditionnelle sera substituée : tandis que le « développement » sera largement confié aux vertus des lois du marché, la politique américaine aura pour priorité d’interdire l’exploitation de l’instabilité aux agents du camp opposé. Enfin, à la recherche d’une coordination par consensus et négociation des politiques économiques alliées, on opposera une autre nécessité : celle du redressement prioritaire du seul pays à pouvoir sauver le système des menaces qui le guettaient. L’esprit trilatéral n’était plus, dès lors, d’actualité. Lors des trois Sommets d’Ottawa (20-21 juillet 1981), de Versailles (4-6 juin 1982) et de Williamsburg (28-30 mai 1983), les leaders européens devaient alerter leurs alliés sur les conséquences, pour le monde entier, des taux d’intérêt trop élevés que la politique de Washington suscitait. Chaque fois, les Américains devaient répliquer que leur politique n’était pas à négocier.
3La tendance des Etats-Unis à l’unilatéralisme n’était pas neuve. Ce qui l’était, c’était l’assurance brutale et le style indiscret avec lesquels les nouveaux dirigeants américains proclamaient leur droit à tout décider. Sur ce plan, ils renouaient avec nombre des idées à la mode, dans les années 1920, chez leurs prédécesseurs républicains. Ils sembleraient cultiver l’esprit America First dans les affaires économiques et être parfois séduits par le vieux concept de « Forteresse Amérique ».
4Pourtant, ce retour aux sources sera loin d’être complet et le « nationalisme » des années 1920 se mâtinera des leçons tirées des hostilités. Tout d’abord, alors que durant les Twenties la puissance armée avait été négligée, la relation quasi dialectique entre celle-ci et le système impérial ne sera plus ignorée : aux yeux de Reagan et de ses conseillers, seul un puissant effort militaire renforcera la crédibilité des Etats-Unis auprès de leurs partenaires et les convaincra de participer au système économique ouvert, hors duquel leur puissance ne jouerait guère. L’attachement au libéralisme douanier constituera, en effet, la deuxième différence fondamentale avec l’unilatéralisme, première manière, du GOP. Seul un système économique non fermé rendrait l’Amérique à même d’imposer ses propres priorités. Seul, il permettrait à sa compétitivité enfin recouvrée de l’emporter dans une lutte, désormais « loyale », sur les marchés étrangers.
5Enfin, les dirigeants républicains vont devoir tenir compte de l’existence de liens anciens avec les pays européens. Leur importance a, en effet, été solennellement réaffirmée dans la plateforme électorale du GOP. Pourtant, les événements vont rapidement le montrer, l’« internationalisme » adopté au sortir des hostilités est en permanence menacé et sa survie est l’objet de débats et de querelles passionnées où ses partisans ne sont plus toujours sûrs de l’emporter.3 En avril 1981, quand Haig veut l’alerter quant à l’importance de Varms control aux yeux des alliés, il s’attire cette réplique du secrétaire à la Défense, Caspar Weinberger : « Ce que l’Alliance veut, ou du moins ce dont elle a besoin, c’est de leadership, pas de compromis. »4
6Très vite, en effet, le débat est dominé par ces deux personnalités. Le 27 avril 1982, recourant à Churchill, sa référence préférée, le premier n’hésite pas à déclarer : « Il n’est pire chose que de se battre avec ses alliés, sauf se battre sans eux. »5 Tel n’est, de toute évidence, pas l’avis du secrétaire à la Défense, entouré d’une équipe de civils « durs », que les formules du premier (« Vu du côté allemand », « Comme Schmidt me le disait encore récemment ») ont le don d’exaspérer.6
7Parler de « nationalisme » au sens plein que le terme avait revêtu voici une soixantaine d’années, serait sans doute exagéré. D’abord, quoique son tempérament comme la plupart de ses conseillers à la Maison Blanche et au NSC le poussent dans un sens opposé, Reagan donnera, dans la plupart des cas, raison à Haig contre Weinberger. Ensuite, ce dernier, ex-trilatéraliste, saura par moments démontrer un attachement nuancé à la solidarité des démocraties industrialisées : c’est lui qui, par son assiduité aux réunions de l’OTAN, démontrera la persistance de l’intérêt de l’Administration pour l’Alliance.
8Aussi, plus que d’un traditionnel « nationalisme » est-ce plutôt d’un « national internationalisme » que la politique de Reagan paraît relever et est-ce du caractère instable et parfois explosif de cette formule que vont procéder ses violentes querelles avec ses alliés. Le drame des relations atlantiques, dans ces années, c’est, en effet, qu’à une Administration décidée à exiger plus de « suivisme » de ses alliés, s’oppose une Europe toujours plus persuadée que la politique américaine est trop peu professionnelle, trop incertaine et trop idéologique pour ne pas conduire à de graves dangers.
9Une première inquiétude n’a pas tardé à se généraliser : la nouvelle Administration est trop accaparée par son oeuvre intérieure pour assumer le leadership international qu’elle entend réclamer. Au départ, il est vrai, une nouvelle ère a paru commencer : juste après l’inauguration du Président, les otages américains ont été relâchés par l’Iran. Quelques jours encore et la libération anticipée des prix pétroliers (28 janvier) a été annoncée.7 Pourtant, bientôt, ce bel élan s’est brisé. D’abord, Reagan lui-même ne l’a pas caché : sa priorité sera de profiter du choc que son élection a provoqué pour arracher le vote d’un programme intérieur radical du Congrès. Dès lors, lui-même et ses principaux conseillers n’ont ni le temps de se prononcer sur les principaux dossiers des relations avec l’étranger, ni l’envie de trop bousculer leurs principaux soutiens au Congrès. Plusieurs mois devront ainsi s’écouler avant que les nominations à des postes-clés ne soient ratifiées. Un des premiers gestes de Haig, en effet, a été de se débarrasser de l’« équipe de transition » qu’un champion de l’Extrême-Droite, John Carbaugh, dominait.8 Du coup, le protecteur de ce dernier, le sénateur Jesse Helms, figure de proue de l’ultra-conservatisme au Congrès, va s’attacher à retarder les nominations d’hommes à ses yeux trop mous à l’encontre du camp opposé. Force est, pour Reagan, de louvoyer : pour obtenir la nomination d’Eugene Rostow, pourtant membre du CPD, à la tête de l’ACDA,9 il crée une nouvelle direction, celle des négociations stratégiques avec la Russie et la confie au favori de Helms, le général Rowny. Celui-ci, ancien chef d’Etat-Major, avait démissionné quand Carter avait voulu lui faire cautionner l’accord SALT II contre son gré.
10Si les compétences militaires du général sont difficiles à contester, d’autres nominations contribueront à donner une image d’amateurisme à la nouvelle Administration. Pour le représenter auprès de Haig, que ses ambitions présidentielles rendent suspect à ses conseillers, Reagan n’a-t-il pas désigné un de ses familiers10, le Juge Clark, dont les auditions de confirmation étalent une méconnaissance impressionnante des affaires dont il aura à s’occuper ? Au demeurant, certains n’hésitent pas à laisser planer le doute sur l’information d’un Président qui travaille surtout à partir de mémorandums de deux à trois pages seulement.
11Par la suite, ce scepticisme paraîtra partiellement fondé. Reagan aura lui-même le courage de concéder qu’il avait mis deux années à comprendre que la force nucléaire soviétique était avant tout composée de missiles terrestres lourds mirvés. Plus tard aussi, dans ses Mémoires, Haig suggérera que le secrétaire à la Défense ne sut jamais à quel degré d’alerte il avait exactement porté ses forces nucléaires dans la foulée de l’attentat dont Reagan avait été l’objet.11
12L’importance de ces faux pas ou informations mal maîtrisées ne doit sans doute pas être exagérée. Weinberger, on l’a vu, saura à la longue gagner la confiance des alliés. Le juge Clark pourra rendre de réels services dans les communications entre le département d’Etat, d’un côté, et, de l’autre, la Mâison Blanche et le NSC. De même, le Président saura souvent opposer, par son pragmatisme et sa flexibilité, d’opportuns démentis à ceux qui le décriront comme aveuglé par l’idéologie. Pourtant, l’impression d’« amateurisme » sera confortée par un certain nombre de nominations à des postes moins élevés. Elle sera renforcée par des confidences, puis, plus tard, par les Mémoires, de David Stockman, le directeur du Budget : surtout pourvu de connaissances impressionnistes, le Président assimilait « plus les anecdotes que les concepts » suggérera son ancien conseiller.12 Elle sera surtout illustrée par le départ des deux seuls « professionnels » des relations avec l’étranger, Richard Allen, conseiller du Président pour les affaires de sécurité, en janvier 1982 et Haig, en juillet de la même année comme par l’ascension de la « troïka » que les proches de Reagan, James Baker, Edwin Meese et Michael Deaver allaient un temps constituer.
13Haig ne devait apparemment jamais cesser de s’irriter de l’incursion dans ce qu’il considérait comme un « domaine réservé » de ces hommes dont l’exclusive priorité était l’« image » de Reagan aux Etats-Unis et sa popularité. Plus tard, rappelant qu’à la première séance du Cabinet, Meese et Baker étaient assis à la table de conférence et non, comme l’usage le commandait, en retrait, il devait observer : « Robert Haldeman et John Ehrlichman, au sommet de leur gloire, n’auraient jamais risqué un tel crime de lèse-majesté. »13
14L’ampleur des divisions dont l’Administration était déchirée se traduira par une multiplication de « fuites » et par le report des décisions sur nombre de questions-clés. Du temps de Reagan, fera remarquer Haig, les fuites « ne constituaient pas seulement un problème, elles étaient devenues un mode de vie, et j’ai fini par en conclure qu’elles étaient un moyen de gouverner. Les fuites étaient la politique, elles étaient la voie authentique du gouvernement. »14
15Lui-même, il est vrai, ne semble pas avoir toujours résisté à la tentation d’y recourir pour défendre ses intérêts et au début en particulier, les fuites reflétèrent et accentuèrent l’incapacité de l’Administration à surmonter ses divisions sur nombre d’importants sujets. Le 2 juin 1981, le secrétaire d’Etat a cru bon de protester : « A en croire certains commentaires, les théories qui sous-tendent la politique étrangère du Président Reagan seraient empreintes de quelque confusion... rien n’est plus éloigné de la vérité. »15 Mais il ne convainc qu’à moitié : peu après, un sondage confirme que le public commence à douter de l’existence d’« une » politique étrangère du GOP.16 Début 1982, Rostow doit ainsi concéder : « Il n’y a toujours pas de consensus ni sur la façon d’utiliser la puissance militaire, ni sur les buts pour lesquels l’utiliser. »17 Mais beaucoup d’observateurs estiment que la réflexion vaudrait alors aussi bien pour l’arms control dont il est chargé.
16Pour les Européens, c’est pourtant ailleurs qu’est le vrai danger : dans la tendance de la nouvelle Administration à prendre le contrepied de politiques passées dont l’expérience a sans doute montré les limites, voire les dangers, mais dont l’adoption n’a souvent fait que résulter des désastres où les idées mêmes qu’elle veut réhabiliter avaient pu conduire. Célébrer l’« unilatéralisme » économique, n’est-ce pas oublier le chaos où l’absence de concertation monétaire et douanière avait pu mener dans les années précédant la guerre ? Evoquer les mérites d’une politique de défense plus « isolationniste », n’est-ce pas faire bon marché des encouragements indirects que l’expansionnisme nazi avait pu trouver dans la division des démocraties ? Condamner sans appel les efforts entrepris depuis quelques années pour réconcilier la politique étrangère américaine aux nouvelles réalités, n’est-ce pas en bâcler quelque peu le procès ?
17L’Administration peut certes évoquer des échecs difficiles à contester : une économie et un dollar menacés, un Tiers Monde de plus en plus perméable à la pénétration du camp opposé, un effort militaire indûment relâché. Mais outre que nombre de ces erreurs ont été récemment redressées, ne résultent-elles pas plus des causes que des effets des politiques que l’Administration entend dénoncer ? En matière économique, le « trilatéralisme » n’a jamais été vraiment appliqué. Jamais, non plus, les pays industrialisés n’ont pu dégager les moyens d’une politique de grande envergure en faveur des nations moins développées. Enfin et surtout, comme Kissinger le fait remarquer, ce n’est pas la détente qui a précédé la réduction des dépenses militaires par le Congrès.
18Sans doute est-ce là le reproche que l’Administration décoche aux politiques qu’elle entend condamner : avoir endormi le pays face à des dangers qu’elles prétendaient écarter alors qu’elles n’en avaient pas les moyens en réalité. Seulement, aux yeux des alliés qui leur restent attachés, rien ne prouve que leur rejet et un retour exclusif aux formules qui avaient dominé du temps où la puissance américaine était incontestée, soient un gage de succès. A la logique du conflit qui semble de plus en plus tenter les Etats-Unis, c’est celle de l’interdépendance que cherchent à opposer les vieux pays. A Versailles, en juin 1982, Mitterrand et Schmidt insisteront sur la nécessité d’une « remise en ordre » du système mondial tandis que Reagan soulignera celle de sanctions à l’encontre du camp opposé.
19A ce moment, l’Alliance se débat dans les pires difficultés : « ... Les relations atlantiques connaissent leur époque la plus dure, de mémoire d’homme » devait concéder, le 15 septembre 1982, Sir Roy Denman, le nouveau représentant de la Communauté à Washington. Surtout, les querelles dépassent les gouvernements désormais. Tandis que l’opposition à la politique américaine prenait la forme de manifestations pacifistes massives, l’irritation, aux Etats-Unis, poussait certains membres du Congrès à relancer l’idée d’un retrait, au moins partiel, des troupes stationnées en territoire allié.
20Le pire serait sans doute évité. Mais l’édifice avait été ébranlé et les fissures n’étaient pas toutes comblées.
A. Dans la tourmente : 1981- automne 1982 :
« Incontestablement, l’élément clé du succès de la politique étrangère est la prospérité et le bon ordre de l’économie à l’intérieur. »
Haig, le 2 juin 1981.18
« Il nous est difficile de combattre le neutralisme en Europe tandis que nos économies s’effondrent sous l’effet de la pression des Etats-Unis sur nos taux d’intérêt. »
Jacques Delors en mars 1982.19
21A l’été 1982, le fiasco du Sommet de Versailles illustre la dégradation des relations alliées. Peu après, l’imposition de sanctions aux firmes européennes impliquées dans la construction du gazoduc sibérien, porte les contradictions à leur apogée : « Lorsque le marteau de la puissance américaine, déplore Haig, s’est finalement écrasé, il n’est tombé ni sur la Russie ni sur le gouvernement militaire de la Pologne, comme le voulaient les partisans de la ligne dure, mais sur nos amis et alliés. »20
22Dans sa politique atlantique, l’Administration ne peut, en effet, éviter les contradictions entre ses objectifs économiques et stratégiques. Ceux-ci sont clairs à n’en pas douter. Washington entend redresser l’économie nationale et assurer la victoire des forces du marché ; combattre l’influence soviétique, à ses yeux alarmante, dans les pays sous-développés ; et, grâce à un programme de réarmement tous azimuts et quasi illimité, assorti d’une exploitation systématique des faiblesses du camp opposé, renforcer le bouclier militaire protégeant les Etats-Unis et leurs alliés.
23Aux yeux des Européens, pourtant, cette stratégie est souvent sans prise sur les réalités. Pis, elle peut conduire aux pires dangers. L’Amérique semble oublier la leçon qui avait guidé son action depuis la fin des hostilités : en aucun cas, la construction d’un bouclier militaire ne devra mettre en péril la survie prioritaire de l’ordre économique et monétaire. Or, la volonté de l’Administration d’imposer sa propre version d’une reprise sans inflation, semble bientôt encourager une grave récession et un appel croissant à plus de protection. Si une référence aux années 1930 semble s’imposer, c’est, aux yeux de ses alliés atlantiques, à propos de l’indifférence de l’Amérique pour l’impact de sa politique économique.
24Qu’une trop grande indifférence aux difficultés économiques alliées puisse ne pas avoir tous les résultats que l’Administration semble en escompter va, d’ailleurs, être très vite confirmé par l’arrivée d’un socialiste, François Mitterrand, à la tête de l’Etat français (10 juin 1981) et la victoire d’un autre, Andréas Papandréou, aux élections grecques quelques mois après (18 octobre). Ainsi s’ouvre, avec Athènes, une période de difficultés qui ne s’atténuera qu’un peu moins de deux ans après quand un nouvel accord sur le statut des bases américaines en Grèce peut finalement être signé. Inversement, l’élection du Président français ne semble pas avoir provoqué, outre-atlantique, d’inquiétudes exacerbées. Certes, la nouvelle surprend une Amérique dont les experts ne semblent pas avoir prévu que Giscard pouvait être battu.21 Certes, l’équipe Reagan que le terme « socialiste » suffit à consterner ne peut être que désarçonnée par ce changement à l’Elysée. Certes, la presse se répand en appréciations pour le moins sceptiques sur le programme économique socialiste. Jamais, il est vrai, la France et les Etats-Unis n’ont semblé décidés à suivre des voies aussi opposées. Pourtant, on se garde bien de dramatiser. D’emblée la diplomatie américaine s’empressera de souligner le parallélisme des deux carrières, longues et solitaires, qui devraient faire de Reagan et de Mitterrand deux excellents partenaires. « Démocratie... C’est la liberté de choisir, dans l’éventail idéologique qui va du socialisme au capitalisme, la couleur de gouvernement que chacun souhaite... » rappelle le 15 juin un haut fonctionnaire américain.22
25L’introduction, à la suite des législatives du 21 juin, de communistes dans le gouvernement français tend, à l’évidence, les relations entre les deux alliés. Sans doute certains dirigeants américains doivent déjà estimer que la cohabitation entre les socialistes et leurs alliés n’est guère faite pour durer : au printemps 1982, un rapport du Congrès qualifiera de « symbolique » la présence du PC et dès le 24 juin 1981, George Bush avait affirmé ne pas trop s’inquiéter dans un entretien avec le Premier ministre français. Il n’empêche. Sur le moment, Washington n’a rien fait pour masquer son hostilité. Alors même que le Vice-Président est encore à Paris, une déclaration du département d’Etat exprime le désenchantement des Etats-Unis : « Tout en reconnaissant pleinement le droit du gouvernement français de déterminer sa propre composition, déclare le 24 juin un communiqué, c’est un fait que le ton et le contenu de nos rapports en tant qu’alliés seront affectés par l’arrivée de communistes dans ce gouvernement, comme dans tout gouvernement d’un de nos alliés ouest-européens. »23
26En fait, le gouvernement américain semble avoir été déchiré entre son désir de ne pas aider le PC en en faisant un symbole de l’indépendance aux yeux des Français et sa crainte des dangers qu’une absence de réaction pourrait entraîner. Ce fut, semble-t-il, une intervention de l’ambassade à Rome qui précipita une réaction qualifiée d’« ingérence inacceptable » par Claude Cheysson.
27Pourtant, face à la menace militaire du camp opposé, Mitterrand s’avère pour les Etats-Unis le plus sûr des alliés ! Ce n’était pas évident d’emblée. En 1980, le futur Président avait parlé de « double menace » quand avait été abordé le problème d’un choix éventuel entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. L’Humanité, avait-il précisé, l’avait « traité d’atlantiste. Cela m’a fait rire... et a dû étonner les Américains. »24 Pourtant, dès cette époque il est sans doute inquiet du déséquilibre militaire que s’est assuré le camp opposé et les événements de 1980 l’ont sensibilisé aux dangers d’une politique trop laxiste à l’endroit du Kremlin. « Nous sommes en 1938 » aurait-il alors confié à ses intimes. « Il voit, affirme Jean Boissonnat, de Varsovie à Venise, des ’Munich’ et la France peuplée de ’Munichois’ ».25 Sur ce point, au moins, il est à l’unisson avec les Américains. Arrivé aux responsabilités, il entend clairement réaffirmer la place de la France auprès de ses alliés. En juin 1983, le Conseil atlantique siégera ainsi à Paris pour la première fois depuis 1966. Mieux ! Dès mai 1981, le nouveau Président a apporté le soutien officiel français à la « double décision » des alliés et, en juin, son ministre des Relations extérieures, Claude Cheysson, a dénoncé les « tendances neutralistes » chez ces derniers. Surtout, le Président a sans doute frappé un grand coup en juillet : à Ottawa, il aurait montré à Reagan dans le plus grand secret un document exceptionnel sur les objectifs et méthodes de l’URSS en matière d’espionnage militaire et industriel, le « dossier Farewell ».26
28Le 12 novembre 1981, Haig ira jusqu’à insister sur l’excellence des relations entre Américains et Français.27 Cette présentation officielle et idyllique ne saurait pourtant abuser. D’abord, le Français, agréablement surpris par le « contact » direct et chaleureux du Président des Etats-Unis, découvrira l’habileté avec laquelle celui-ci se sert des médias que ses conseillers manipulent avec minutie, pour tenter de « forcer » l’adhésion des vieux pays. Ensuite, sur la politique économique et sur les relations avec les pays sous-développés, les vues des deux hommes seront souvent à l’opposé.28
29Dans cette rivalité, les difficultés économiques qu’engendre la relance socialiste ne vont pas tarder à affaiblir le Français. Mais la santé de l’économie américaine ne semble, bientôt, guère plus convaincante en réalité. Le 18 octobre, Reagan reconnaît lui-même l’existence d’une « récession légère » dans un échange de vues avec des reporters. Au moment même où il vient de faire avaliser ses vues par le Congrès, la confiance des milieux d’affaires américains vient à manquer en effet : à force de s’engager dans deux directions opposées, la politique de l’Administration semble, il est vrai, devoir se désintégrer. Sur un seul point, en effet, les conseillers du Président font preuve d’unanimité : l’intervention gouvernementale devra être limitée et les forces du marché libérées. Mais au-delà, l’accord est loin d’être réalisé et les milieux financiers redoutent les risques d’inflation dont est porteur le programme militaire de l’Administration. Tandis que le président du « Fed », Volcker, va mener une politique monétaire des plus sévères, les partisans de, l’équilibre du budget sont obligés de s’incliner devant les fanatiques d’une « théorie de l’offre » dont « la caractéristique essentielle était de n’avoir été démontrée par personne et de séduire tout le monde. »29 L’idée est simple en vérité : abaisser la fiscalité pour rehausser le niveau d’activité. Déjà, sous Carter, le Congrès a décidé une diminution de l’imposition des plus-values des capitaux de près de moitié.30 II entend ainsi encourager l’investissement et donc la productivité. Mais la nouvelle Administration va beaucoup plus loin : une réduction de l’impôt sur le revenu de 25 % sur trois ans devrait provoquer une forte relance de l’activité. A terme, celle-ci entraînera l’augmentation des rentrées fiscales et le rééquilibrage du budget. La fameuse « courbe de Laffer », du nom d’un économiste les plus en vogue dans ces années, serait alors vérifiée. Mais le choix d’une politique monétaire sévère et d’un brutal déficit budgétaire entraîne des conséquences spectaculaires : d’abord, la victoire sur l’inflation va tourner en dérision l’espoir de rentrées fiscales malgré tout en expansion ; ensuite, alors que les Américains ont tendance à beaucoup moins épargner que leurs principaux alliés,31 en 1981 le gouvernement entre de plus en plus en concurrence avec le secteur privé sur le marché d’un dollar raréfié et, par ailleurs, de plus en plus demandé par les pays sous-développés. Du coup, la valeur de la devise américaine, mais aussi son loyer, ne peuvent qu’augmenter. En quelques mois, l’effet des dévaluations antérieures est effacé, ce qui n’empêche pas le billet vert de poursuivre sur sa lancée. Surtout, l’emprunter revient plus cher que jamais. Avant même le départ de l’Administration Carter, il est vrai, les taux d’intérêt étaient à 21 %. Longtemps, ils vont se maintenir à des niveaux décourageants pour la consommation comme pour l’investissement.
30Loin de se résorber, en effet, le déficit du budget semble condamné à indéfiniment se creuser. (Cf. graphique) Selon certains, l’Administration n’aurait jamais vraiment cru au rééquilibrage que les partisans de l’économie de l’offre promettaient. Il n’est pas impossible, en particulier, qu’elle ait pensé que l’accroissement du déficit serait le meilleur atout pour l’autre partie du programme économique qu’elle veut réaliser : la réduction du train de vie d’un Etat « boulimique » depuis de longues années.32 C’est le cas de David Stockman, son directeur du budget. Mais, selon ce dernier, c’est moins au machiavélisme qu’à une désarmante naïveté qu’il faudrait imputer l’ampleur du déficit dans lequel les comptes de la nation allaient sombrer. « Optimiste » invétéré, Reagan n’aurait jamais désespéré de voir à la longue la reprise induite de sa politique économique assez augmenter les recettes pour rééquilibrer le budget. Il y aurait été, il est vrai, poussé par un secrétaire au Trésor prêt à lui prodiguer toutes les prévisions susceptibles de confirmer cette idée. En attendant, confrontée à des choix qu’elle ne voulait ou ne pouvait pas assumer, l’Administration avait masqué une aveuglante vérité : elle ne pouvait à la fois augmenter les dépenses militaires, réduire les impôts et équilibrer les comptes fédéraux !
Recettes et dépenses du budget en pourcentage du PNB

31Si la restauration de la puissance économique passe, à ses yeux, par la réalisation d’une croissance non-inflationniste et induite du marché, celle de la puissance stratégique est liée à l’adoption et à l’application d’un programme de réarmement astronomique. Déjà, Carter avait promis un accroissement du budget militaire, en termes réels, de l’ordre de 5 % par an. Cet objectif est jugé insuffisant. Quand Weinberger propose son premier programme d’armement, le taux d’accroissement est de 8 % . Surtout, le mouvement est, en principe, imprimé pour longtemps : en termes réels, le budget militaire va augmenter en moyenne de 7,5 % au cours des exercices suivants. Or, la décision a été éprise avec un amateurisme déconcertant. Stockman a donné, devait-il par la suite expliquer, son aval à l’idée sans assez s’informer. Mais quand il découvre son impact concret (un budget militaire de près de 1.500 milliards de dollars sur cinq années), il frôle « la crise cardiaque » à l’écouter. C’est que la base sur laquelle toutes les prévisions ont été fondées est le budget de 1981 de Carter entre-temps déjà relevé de quelque 15 % par la nouvelle Administration ou par le Congrès ! Mais l’inflexibilité de Weinberger rend toute retouche autre que mineure hors de portée. Dès lors, rééquilibrer le budget est une entreprise désespérée : bientôt, en effet, par un paradoxe qui, longtemps, ne sera pas assez relevé, cette Administration élue pour réduire le rôle du gouvernement fédéral porte les dépenses de ce dernier à un niveau sans précédent : 24 % du PNB ! A la chute brutale des recettes fiscales et à l’envolée des dépenses de défense nationale devraient correspondre des coupes radicales dans les dépenses sociales, bref une « révolution libérale » instaurant un « Etat minimal ». Or si l’Administration va renverser la tendance à l’accroisement des dépenses domestiques, elle ne sera jamais en mesure de réaliser de coupes drastiques.
32Dans la pratique, celles-ci seraient déjà impossibles pour des raisons politiques : aux yeux de certains, c’est en effet un « triangle de fer » que dressent les lobbies obsédés par leurs seuls intérêts, les politiciens anxieux de s’assurer leur soutien électoral ou financier et les bureaucrates toujours avides d’étendre leur empire autour des programmes qu’ils entendent protéger.33 Au demeurant, le Président et ses conseillers ne sont pas prêts à affronter la bataille qu’une telle révolution impliquerait. Bientôt, les termes de la quadrature du cercle sont fixés : la politique de l’Administration dépend du maintien de hautes dépenses militaires et du retour à l’équilibre budgétaire. Mais seul le renoncement aux premières pourrait laisser espérer ce dernier. A l’été, l’Administration a déjà refusé de réviser ses projections pour ne pas mettre ses réductions fiscales en danger. Les chiffres dont l’Administration se servira devant le Congrès seront donc des statistiques dont leurs auteurs savent qu’elles sont « apprêtées » mais politiquement inévitables pour arracher l’approbation de ce dernier à une réduction massive de la fiscalité.
33Dans ces conditions, l’un des objectifs prioritaire de l’Administration, l’équilibrage du budget, va devoir être abandonné. Le 24 septembre, pourtant, Reagan a encore stigmatisé le laxisme des anciennes politiques qui le contraint à demander que le plafond de la dette publique soit porté au-delà des 1.000 milliards de dollars désormais. Au début du mois, il n’en avait pas moins confié : « Si un choix est à faire entre l’équilibre du budget et (des fonds adéquats pour) la défense, le premier devra être sacrifié. » Le 3 novembre, le glissement est achevé. Comme ses proches lui font remarquer qu’en dépit des promesses électorales, le rééquilibrage est hors de portée, il aurait répliqué : « C’est évident, mais un déficit plus grand que prévu est le moindre de nos problèmes. Ce qu’il faut faire, c’est réduire l’inflation et relancer l’activité des affaires et l’emploi. S’il y a toujours un déficit alors, l’homme de la rue dira : ’OK, les choses vont mieux.’ »34 « Bye Bye, budget équilibré » titre peu après l’hebdomadaire Time, apparemment bien informé.35
34Cette décision est un tournant-clé et, à elle seule, elle illustre amplement la dynamique des tensions qui vont se développer. D’un côté, tout retour aux équilibres est sacrifié au profit d’une politique économique dont les ambitions sont plus que jamais unilatéralistes et, jusqu’à un certain point, même, électoralistes. De l’autre, elle confirme la priorité absolue accordée à un effort d’armement qui, combinée avec une rhétorique dure à l’égard de l’autre camp, sème l’anxiété sur le vieux continent.
1) Les apories internationales des « Reaganomics » :
« L’interdépendance, c’est très bien, semble dire l’Administration, tant que les Etats-Unis passent en premier. »
Herbert Rowen.36
« Le désordre économique actuel est présentement pour la cohérence et pour la stabilité politique de l’Alliance un danger supérieur à la menace soviétique. »
Helmut Schmidt, début 1984.37
35Dans sa dimension internationale, la nouvelle politique économique (Reaganomics) repose sur trois idées.38 D’abord, c’est d’un redressement des économies nationales et non de quelque consensus général sans portée, que la remise en ordre du système international doit procéder : l’interdépendance ne peut résulter que de la convergence naturelle de politiques nationales tendant à la stabilité des prix et au respect des lois du marché. Ensuite, le retour à ces deux conditions clés ne peut plus procéder que d’un recours déterminé à toute la puissance de l’Amérique pour les imposer. Enfin, pour y arriver, elle doit immédiatement oeuvrer en faveur du maintien d’un marché ouvert et, le plus possible, favorable aux intérêts américains.39
36Dans cette politique, tout n’est pas nouveau. Mais trois éléments tendent à distinguer les Reaganomics des politiques passées. Tout d’abord, évidemment, il y a une différence de degré : les Administrations précédentes étaient parties du principe que, dans l’élaboration de leur politique domestique, les conséquences internationales ne devraient pas être négligées ; désormais, la conviction est ancrée que « ce qui est bon pour les Etats-Unis ne peut que l’être aussi pour leurs alliés ». De même, l’intervention gouvernementale étant, à ses yeux, la source de tous les dangers, l’Administration prend ses distances avec les grandes institutions de régulation, BIRD ou FMI, que ses prédécesseurs avaient eux-mêmes imaginées.
37Elle n’est pas sans arguments, il est vrai. D’un côté, de longues années de palabres sur l’aide au développement n’ont guère été suivies de résultats concrets et personne ne nierait le succès de certaines expériences fondées, comme en Corée du Sud ou à Taiwan, sur les lois du marché. De l’autre, l’intervention gouvernementale a sans doute connu aux Etats-Unis un gonflement trop brutal. Aussi une rhétorique radicale peut-elle provoquer un « choc » salutaire, aboutissant à un rééquilibrage modéré de l’action budgétaire.
38Pourtant, une telle politique ne peut qu’engendrer de terribles tensions avec les alliés : en raison du traitement privilégié qu’en son nom les Etats-Unis vont réclamer, mais aussi en raison des dangers alarmants que son échec peut impliquer. Comme un observateur le fera remarquer : « Les Etats-Unis ne sont pas un pays comme les autres. S’ils s’appliquaient à eux-mêmes les durs préceptes qu’... ils imposent en principe aux pays étrangers lourdement endettés, ils devraient se contraindre à dégager chaque année un surplus budgétaire... Ils font le contraire. »40
a) Le spectre de la récession et la querelle des taux d’intérêt :
« Le sommet économique d’Ottawa... n’avait pas rassuré nos alliés quant aux effets de nos taux d’intérêt élevés et de notre monnaie anormalement forte sur l’avenir de leur renaissance économique. »
Haig dans ses Mémoires.41
« Vous n’imprimez plus la monnaie. Vous l’importez. »
Helmut Schmidt, début 1984.42
39Le but de l’Administration était de recréer les conditions d’une croissance saine sans inflation élevée. Mais à l’automne 1981, une grave récession se profilait. Elle résultait largement des hauts taux d’intérêt et de la brutale augmentation du dollar face aux autres monnaies. Tandis que les firmes et les particuliers hésitaient à s’endetter pour investir ou consommer, les exportations américaines se voyaient handicapées. En 1982, tandis que les files s’allongent devant les soupes populaires, le chômage connaît une progression aussi inquiétante que spectaculaire. Depuis les années 1930, c’est la première fois que la barre des 10 % est franchie pour les « sans emploi ». Ces derniers représentent entre 40 % et 50 % des travailleurs dans des secteurs sinistrés comme l’automobile et l’acier.
40En fait, dès cette époque, le Président a au moins remporté un succès : l’inflation tourne autour de 4,5 % désormais. Mais ce progrès n’impressionne guère ni son opinion ni ses alliés, le chômage hantant les esprits désormais. Lors des partielles de 1982, s’il parvient à sauver la majorité au Sénat, le Président ne peut empêcher un retour en masse des démocrates à la Chambre des représentants. Et il doit, au même moment, essuyer les doléances du vieux continent.
41Pour les alliés, les conséquences de la nouvelle politique américaine se résument en une seule idée : des programmes d’austérité. Alors même que leurs économies ont subi les deux « chocs » pétroliers, ils doivent absorber la hausse brutale des taux d’intérêt et celle du dollar désormais : non seulement, leur facture pétrolière mais leur dette internationale, indexée sur le LIBOR, s’en trouve exacerbée. Pour empêcher les capitaux de se détourner de leur marché, force leur est de s’aligner sur les taux élevés. Mais c’est là que le bât commence à blesser. D’abord, atténuée aux Etats-Unis où les firmes peuvent déduire les intérêts de leurs impôts, cette hausse touche de plein fouet les autres pays occidentaux. Ensuite, les Etats-Unis semblent sans doute pouvoir se désintéresser de la défense de leur monnaie dès lors que le « Fed » suit une politique d’émission très serrée : devise internationale partout demandée, le dollar voit son prix s’élever avec sa rareté. Les Européens, eux, ne peuvent défendre leurs devises qu’en recourant à l’« austérité ». Sur ce plan, à n’en pas douter, la politique de Reagan est un succès : plus que jamais, les économies alliées doivent faire de la lutte contre l’inflation et de la réduction du train de vie de l’Etat une priorité. Pour l’avoir oublié, les Français seront bientôt obligés de durement s’amender. Mais le coût politique est élevé.
42L’impression ne tarde pas, en effet, à se répandre que la politique des Etats-Unis porte la responsabilité de toutes les difficultés. Aussi les démarches se multiplient-elles pour les adjurer d’en changer : les refus courtois mais sans appel qui leur sont opposés donnent à l’Administration Reagan une réputation d’égoïsme auprès des alliés.
43Déjà, le climat émerge au Sommet d’Ottawa qui réunit du 20 au 22 juillet les « sept » chefs d’Etat ou de gouvernement. Pour le processus lancé à Rambouillet, c’est un tournant important. D’abord, pour la première fois, Reagan et Mitterrand y participent et l’accentuation des divergences idéologiques va tendre à privilégier la recherche d’une victoire de « relations publiques » et faire plus que jamais de ces rencontres de grands « happenings » médiatiques.43 Ensuite les questions de sécurité vont être abordées plus ouvertement encore que par le passé :
44« Nous réussîmes, note Haig à propos d’Ottawa, à restructurer l’ordre du jour, mettant l’accent sur le terrorisme, la sécurité en matière d’énergie et les relations entre l’Est et l’Ouest, au lieu des questions Nord-Sud qui seraient traitées lors d’un autre forum. »44
45Enfin et surtout, les vieux problèmes, relance et faiblesse du dollar, sont remplacés par ceux que la hausse brutale de la devise américaine et des taux d’intérêt n’ont pas tardé à susciter. Il n’y a guère alors, il est vrai, d’espoir d’arriver à un consensus sur le sujet. Reagan et Mitterrand, viennent juste de parvenir aux responsabilités et aucun n’est prêt à modifier la ligne qu’il a dessinée. De vagues formules permettent une fausse unanimité. Mais quand la question des taux d’intérêt a été abordée, le blocage est resté entier. Les Européens ont bien évoqué les conséquences de la politique américaine sur leurs politiques budgétaires et donc, finalement, sur leurs dépenses militaires. Mais Reagan a refusé de céder. Un « silence de mort » aurait suivi la discussion du sujet.
46Une crise véritable a été néanmoins évitée et Reagan a habilement esquivé une situation potentielle d’« accusé ». Certains leaders, Schmidt en particulier, vont sans doute tirer partie des avertissements qu’ils ont lancés pour justifier, ainsi, le non-respect de l’engagement des « 3 % » pris dans le cadre du LTDP. Mais les alliés ne peuvent pas ne pas approuver la lutte contre l’inflation dans laquelle Reagan s’est engagé et les responsables américains ont jusqu’ici affiché un optimisme qui sera démenti par les faits : une forte reprise aura lieu à l’automne, auraient-ils garanti, et elle s’assortira d’une chute des taux d’intérêt aux Etats-Unis. Ainsi s’expliquerait le calcul des Français : relancer les premiers, en comptant sur leurs réserves pour tenir les quelques mois où ils se trouveront isolés et se laisser porter comme des « surfeurs » sur la crête de la vague de la reprise quand celle-ci commencerait à déferler.45
47Aussi les tensions ne peuvent-elles que s’aggraver quand, à partir de l’automne 1981, la récession et, plus encore, l’aggravation du déficit américain viennent encore assombrir les perspectives des Européens : en mars 1982, le taux de chômage atteint les 9,5 % sur le vieux continent. Déjà, le 17 janvier, lors d’une réunion secrète, les ministres des Finances de la Communauté auraient qualifié la politique américaine de « meurtrière » en même temps qu’ils mettaient en accusation Regan et Volcker.46 Pourtant, le 26 janvier, rappelant que les taux d’intérêts sont tombés à 15,75 % en ce début d’année, Reagan affirme son intention de ne pas se laisser détourner. Aussi peu après, alors que le dollar connaît une nouvelle flambée, est-ce une critique encore plus sévère que lui adressent ses alliés : « L’Europe est plus en danger, avertit Schmidt, que les Américains ne l’ont encore réalisé. »47
48« Mortellement effrayés, », les ministres des finances européens ont, d’ailleurs, décidé d’envoyer leur collègue belge faire part de leur anxiété au Président américain. Celui-ci ne changera pas sa politique d’un iota : les taux baisseront, a-t-il simplement répété, dès que l’inflation sera jugulée. Peut-être est-ce en partie pour le convaincre d’évoluer que Mitterrand entreprendra quelque temps après aux Etats-Unis un voyage improvisé.48
49Les Américains sont néanmoins divisés, le département d’Etat et le « Fed » ne partageant pas la rigidité à laquelle le Sous-secrétaire au Trésor, Béryl Sprinkel, s’est bientôt identifié. A leurs yeux, un minimum d’intervention sur les marchés pourrait stabiliser ces derniers. Aussi, au printemps, un compromis peut-il s’esquisser lors d’une conférence préparatoire à Rambouillet. A Versailles, il sera entériné. D’un côté, les Américains imposent l’idée d’un « Comité de surveillance » rassemblant, deux fois par an, au plus haut niveau, les représentants des cinq pays à devise importante en compagnie, à titre officieux, du Directeur du FMI.49 Ainsi, le groupe des Cinq ou « G-5 » apparu en mars 1973 est-il institutionnalisé et l’idée, chère aux Américains, selon laquelle seule la convergence des politiques économiques peut assurer la stabilité, validée. Inversement, Washington accorde une concession aux Français : la mise en train d’une étude sur l’efficacité des interventions dans le passé. Pourtant, la hâte avec laquelle le secrétaire au Trésor américain s’empresse de minimiser le compromis plus général dont l’accord est assorti va encore conforter la méfiance des vieux pays.
50« Griefs exagérés » peuvent sans doute rétorquer les Américains à leurs alliés. D’abord, les effets de leur politique ne sont pas toujours négatifs en réalité : si la volatilité du dollar rend le SME plus difficile à gérer, son envolée en atténue le problème structurel le plus important : la tendance du mark à diverger, à la hausse, du franc ; par ailleurs, si la récession américaine peut les handicaper, la hausse du dollar favorise les exportations alliées. Ensuite, le glissement des capitaux vers les Etats-Unis et la valorisation du dollar ne résultent pas de la seule hausse des taux d’intérêt. Après tout, ceux-ci étaient à 21 % quand l’Administration Reagan est arrivée et ils n’avaient jamais permis à Carter de vraiment redresser le cours de sa monnaie. La hausse du dollar procède au moins pour partie de la « confiance » que la politique américaine inspire désormais. Bref, si le dollar s’est valorisé, c’est parce qu’il est plus demandé. Enfin, les Européens, eux-mêmes, divergent sur les remèdes qu’il conviendrait d’apporter, Schmidt souhaitant une réduction du déficit du budget, Delors préconisant une politique monétaire moins serrée.50
51Mais outre qu’en 1981-1982, la notion de « confiance » (le comportement des financiers américains semble le suggérer) doit être relativisée, personne ne peut nier que la politique de Reagan présente deux vrais dangers. Parce que, par deux fois, elle se contredit : à long terme, alors qu’elle prétend restaurer la puissance américaine, elle tend à faire des Etats-Unis un pays plus dépendant, parce qu’endetté, de l’étranger ;51 dans l’immédiat, la hausse du dollar contribue à intensifier les pressions protectionnistes.
b) Vers une nouvelle agressivité commerciale :
« Le parti républicain croit que les Etats-Unis doivent adopter une politique d’exportation agressive. »
Plateforme du parti républicain en 1980.52
« Une économie forte est notre objectif... L’une des principales nécessités pour une économie américaine forte est le maintien de marchés ouverts ici et à l’étranger. »
William Brock, représentant du Président
pour les questions commerciales, le 8 juillet 1981.53
52La politique commerciale de l’Administration sera caractérisée par une inéluctable contradiction : arrivée au pouvoir pour enrayer le « spectre du déclin », elle ne peut ignorer le besoin de protection accrue ressenti par nombre de ses concitoyens ; intimement persuadée des vertus bénéfiques du marché, elle aspire, inversement, à favoriser les exportations américaines à l’étranger.
53Cette contradiction reflète les divergences d’intérêt entre les secteurs américains les plus en difficulté et les tensions créées par l’entrée des Etats-Unis dans une économie vraiment post-industrielle désormais. Les secteurs traditionnels, ceux où l’automation est en état de bouleverser les conditions de productivité, entendent être protégés afin de se préparer à affronter la concurrence de l’étranger. Mais alors que c’est leur extraordinaire productivité qui est à l’origine de leurs difficultés, les agriculteurs sont, eux, réfractaires à un protectionnisme dont l’extension dans le monde entier hypothéquerait toute chance de jamais voir leurs problèmes surmontés. Surtout, l’heure paraît arrivée d’assurer aux services et technologies de pointe l’ouverture internationale des marchés qui n’a été jusqu’ici assurée qu’aux biens manufacturés. La tension que cette situation peut engendrer s’illustre au sein même de l’Administration où, sous la responsabilité du Représentant spécial William Brock, le Trade Policy Committee (TPC) a pour consigne générale de promouvoir une politique douanière libérale mais où le Cabinet Council on Commerce and Trade (CCCT), sous la présidence de Malcolm Baldridge, le secrétaire au Commerce, semble plus volontiers suivre une voie opposée.54
54Pour l’Administration, cette double politique est une arme, il est vrai. D’un côté, elle n’hésite pas à se poser en champion de l’ouverture des marchés. Le 4 mars 1983, à San Francisco, Reagan qualifiera le protectionnisme de « bouclier rouillé ». Et, le 11 novembre, s’adressant à la Diète japonaise, il n’hésitera pas à déclarer : « Je suis assez vieux pour me rappeler ce qui est finalement arrivé la dernière fois où les pays ont protégé leurs marchés de la compétition : un cauchemar appelé la Grande Dépression... »55
55Pourtant, la force du mouvement protectionniste aux Etats-Unis est un excellent argument pour exiger de l’étranger les concessions que l’Administration veut arracher : le seul moyen d’endiguer la vague en train de se former n’est-il pas de corriger les distorsions déloyales du libéralisme dont les Etats-Unis se sentent l’objet ? « Free Trade but Fair Trade » semblent inlassablement répéter leurs dirigeants tout au long de ces années. Aussi, tout en opposant à la vague protectionniste une résistance qu’il serait injuste de dénigrer, l’Administration saura-t-elle souvent leur céder.
56« Tout se passe comme si les Etats-Unis, tout en invoquant les vertus du libre-échange, disposaient d’un arsenal législatif et règlementaire qui leur permette de s’affranchir des règles commerciales internationales dont ils ont pourtant durement négocié le contenu. »56 Le jugement est sans doute sévère. Pourtant, dans ces années, tout en vantant les mérites d’un monde ouvert, les Américains n’hésitent guère à recourir au bilatéralisme ou aux « restrictions volontaires ». En fait, l’esprit de la nouvelle politique américaine est incarné par une clause déjà ancienne : c’est l’article 301 de la loi de 1974. Il permet aux responsables des secteurs menacés d’inviter le Président à prendre toutes les mesures « appropriées » pour protéger les intérêts américains contre les pratiques « déloyales » de l’étranger. Longtemps, son usage a été limité, mais les firmes et entreprises américaines y recourent de plus en plus au cours de ces années. Il sera à l’origine de bien des querelles avec la Communauté qui ne l’a jamais accepté. Au demeurant, les Etats-Unis se garderont d’exercer unilatéralement leur autorité, mais ils multiplieront les plaintes auprès de l’organisation de Genève au risque, à force de la surcharger, de faire exploser le processus de règlement des disputes. La nouvelle politique américaine vise, il est vrai, les Japonais en priorité : en 1982, en effet, l’excédent de leurs échanges avec les Etats-Unis représente la moitié (20 milliards de dollars) du déficit commercial de ces derniers. Mais elle n’épargne pas leurs plus vieux alliés.
57A partir de 1981, les querelles mettent même les nerfs à vif entre les Américains et ces derniers. L’Administration s’en prend de plus en plus violemment au refus des Européens de respecter les lois du marché. Les responsables de la Communauté, de leur côté, auront souvent l’impression que l’Administration cherche des « boucs émissaires » à l’étranger. Ils lui reprochent de multiplier les mesures « unilatérales », d’entamer une guerre commerciale, voire de suggérer que les vieilles règles du GATT doivent soit les aider, soit être supprimées !
58Une fois encore, il est vrai, même Salomon aurait les plus grandes difficultés à trancher devant l’avalanche de statistiques et d’arguments que de part et d’autre on s’ingénie à se renvoyer. A entendre les Américains, la Communauté a tendance à agir comme si leur aval, provisoire et circonstancié, à certaines de ses pratiques passées constituait une licence pour leur extension illimitée. Les Européens, eux, sont agacés : les Américains ne les sermonnent-ils pas comme si leur propre politique ne produisait pas des distorsions comparables (Buy American Act, normes d’admission, aides et subventions fédérales à l’agriculture) à celles qu’ils ne cessent de leur reprocher ? Tiennent-ils pour négligeables les excédents de 25, 13,5 puis 7,7 milliards dont, en 1980, 1981 et 1982 ils disposent dans leur commerce avec la Communauté ?
59Sur un point, il est vrai, l’Administration a raison : le protectionnisme est de nouveau en faveur dans l’opinion. Déjà, il avait été au coeur de la campagne de 1980, alors que certains s’inquiétaient du « déclin américain ». Souvent plus vite qu’à l’étranger, l’inflation avait, en effet, élimé la compétitivité des produits que les Etats-Unis fabriquaient. La hausse brutale du dollar comme la dépression, ne peuvent qu’exacerber les tensions. La première moitié de 1981 vient à peine de s’écouler que certains n’hésitent pas à estimer à 50 % la perte de compétitivité des Etats-Unis depuis moins de trois ans face à leurs principaux concurrents.57 En 1982, c’est de 43 milliards que les achats des Américains dépassent leurs ventes à l’étranger. Leurs échanges sont alors déficitaires avec la quasi-totalité de leurs grands partenaires. Aussi dès le début de l’année Washington a-t-il lancé une offensive brutale contre ces derniers.
60La peur et la colère sont, en effet, de plus en plus difficiles à endiguer. Le Nord-Est et le Middle West sont, évidemment, les plus touchés. Dès avant 1980, la pression montait en faveur d’une protection dans l’acier. Elle déferle sur l’automobile désormais. On voit même la population d’une petite ville sidérurgique se livrer à une sorte de « meurtre expiatoire » sur une vieille Toyota qu’elle s’est procurée.58 On devine que de telles manifestations ne laissent pas indifférent le Congrès. En 1980, à l’instigation des grands patrons et des syndicats, les élus du Michigan ont tenté de faire adopter un projet (le Denforth-Bentsen Bill) qui, voté par la Chambre, sera refusé par le Sénat. En mai 1981, l’idée ne s’en voit pas moins concrétisée : l’ Administration obtient de Tokyo un contingentement (1,6 million annuellement) de ses exportations de voitures dans les trois ans suivants. Au grand dam de la Communauté qui se plaint de ne pas avoir été consultée, s’indigne de ce recours au « bilatéralisme » et redoute de voir une partie du flux ainsi endigué se déverser sur son propre marché !59
61Pourtant, le problème n’est nullement réglé car l’accord, loin d’aider les producteurs américains, ne fait qu’accroître la part des autres producteurs étrangers. Aussi, à la fin de l’été 1982, un démocrate de l’Etat du New York introduit-il un projet que, par 215 voix contre 188, la Chambre va approuver, quelque peu modifié, avant la fin de l’année. Connu sous le nom de Domestic Content Bill, le Fair Practices in Automotive Product Act interdirait l’importation de voitures en provenance de l’étranger dès lors qu’elles ne comprendraient pas une part minimum de pièces fabriquées aux Etats-Unis.60 Fait qui ne saurait être assez souligné, ce sont les démocrates qui soutiennent le projet contre les élus du GOP. C’est que le projet est avant tout celui du syndicat de l’automobile UAW. La « lubie » de Fraser, du nom du président de ce dernier, vise à protéger des emplois que l’automation, d’un côté, et, de l’autre, le transfert de l’industrie des pièces détachées à l’étranger, ont cruellement touchés.
62Au nom du libre-échangisme, l’Administration oppose au projet un refus tranché : il affaiblit, en réalité, l’offensive qu’elle est en train de lancer contre le recours à des pratiques similaires à l’étranger. A ses yeux, en effet, l’intervention des gouvernements dans les politiques d’investissement menace d’annihiler la libéralisation internationale accomplie au cours des trente dernières années. Elle-même, pourtant, ne peut pas toujours résister aux pressions analogues dont elle est l’objet. C’est le cas au moins pour l’acier. En fait, cela fait plusieurs années que les sidérurgies américaine et européenne ont commencé à s’opposer. En 1977, pourtant, les membres de l’OCDE s’étaient engagés à ne pas transférer le fardeau de la restructuration de leurs sidérurgies sur les autres parties. Mais les difficutés se font jour dès 1978 et en 1979, le marché de l’acier s’est effondré, dans les pays développés, en Europe en particulier.61 Du coup, une offensive s’est déclenchée sur un marché américain moins déprimé et où surtout, en dépit des protections qui lui avaient été octroyées, la production domestique ne paraît pas en mesure de résister.
63Depuis des années, en effet, la sidérurgie américaine souffre d’une formation de capital insuffisante et de rendements peu élevés. Aussi son réflexe est-il de dénoncer la concurrence de l’étranger et, à la fin des années 1970, le gouvernement n’a-t-il pu éviter d’instaurer un mécanisme, le « prix de déclenchement » (trigger price) destiné à prévenir tout « dumping » sur l’acier : quand le prix des exportations vers les Etats-Unis tombe au-dessous du seuil ainsi défini, celles-ci sont suspendues en attendant qu’une enquête juge si elles ont bénéficié d’une aide indue. Pourtant, dès 1980, le marasme est tel que le trigger price doit être relevé ! Et à ce prix, quelques mois sont seulement gagnés. Avec la hausse du dollar, les exportations européennes connaissent un regain de compétitivité et il est clair que le trigger price va être emporté. Le 11 janvier 1982, en effet, pas moins de onze camions viennent déposer devant le siège de Y International Trade Commission (ITC) quelques milliers de documents destinés à appuyer 85 plaintes contre la Communauté. L’ITC en retient les 4/5 en février.
64Les responsables de la Communauté sont ulcérés. D’abord, l’offensive américaine pourrait menacer les efforts que les Européens ont entrepris au cours des dernières années pour rationaliser et moderniser leur production d’acier.62 Ensuite, la position américaine ne leur semble pas justifiée : le GATT n’autorise de sanctions contre le dumping que s’il a entraîné des dommages substantiels aux secteurs concernés. Or les exportations de la Communauté ne représentent que 5 %, aux Etats-Unis, du marché de l’acier. Enfin, les critères à partir desquels les Américains estiment le dumping démontré, semblent aux Européens des plus biaisés. Ils n’en acceptent pas moins un accord de « limitation volontaire » durant l’été.
65Cet accord, Bruxelles a dû avaler bien des couleuvres avant de le signer. Si elle l’a fait, c’est sans doute pour éviter que des droits compensateurs ne lui soient appliqués. Mais c’est aussi, et surtout, pour empêcher que les relations entre Américains et Européens ne continuent à s’envenimer dans le contexte de la querelle sur le commerce avec le camp opposé. Or voilà que les producteurs américains refusent de l’entériner. « Comment pourrions-nous jamais faire confiance à un négociateur américain dans aucun domaine s’il n’est pas suivi de ceux-là mêmes qu’il représente ? » se serait exclamé un « eurocrate » désabusé.63 Finalement, il est vrai, le 21 octobre, les derniers obstacles seront levés : conclu pour la période allant du 1er novembre 1982 au 31 décembre 1985, l’accord impose aux producteurs du vieux continent une réduction de leurs exportations d’acier courant d’environ 9 % .
66Dans ces deux premières années, les recours de l’Administration aux protections à proprement parler demeurent cependant limités. Et c’est surtout l’autre volet de sa politique qui inquiète les alliés : sa détermination à assurer de plus larges percées à ses producteurs sur les marchés étrangers. L’Administration va en effet réclamer le lancement d’un effort de grande portée visant à débarrasser le système commercial des « iniquités » qui, à ses yeux, suscitent la vague protectionniste dont les Etats-Unis sont traversés. Telle est la finalité de la décision qu’elle a arrêtée, au sommet d’Ottawa, avec ses alliés : la tenue d’une grande session ministérielle (la première depuis 1973) du GATT en novembre 1982.
67Le premier aspect de l’offensive des Etats-Unis vise les secteurs-clés pour la réorganisation de leur économie. La vieille économie industrielle relève, en effet, du passé. Tandis que le Research Triangle (Caroline du Nord), la route 128 (Massachusetts) et, évidemment, la Silicon Valley (Californie) incarnent la présence des Etats-Unis à la pointe de la recherche et de la modernité, d’autres indices suggèrent aussi qu’une nouvelle ère, post-industrielle, a commencé : McDonald’s, par exemple, emploie plus de monde que l’U.S. Steel désormais. Englobant les transports, les télécommunications, les banques, les assurances, le tourisme, le cinéma, l’ingénierie et les échanges de données, les services semblent devoir dominer, dans l’avenir, les autres activités. En pleine expansion, ils représentent 65 % du PNB, emploient 70 % de la main d’oeuvre active et, entre juillet 1981 et avril 1982, ils ont créé 200.000 emplois alors que l’industrie en perdait 1,3 million ! Les dirigeants américains en sont tout à fait satisfaits : le pays leur semble plus adapté, en effet, à ce type d’activité qu’à la production des biens manufacturés. Ce sont d’ailleurs les « invisibles » qui aident à atténuer l’impact du déficit commercial sur les comptes courants avec l’étranger.
68Pourtant, pour que l’insertion des Etats-Unis dans cette nouvelle « division du travail » puisse se réaliser, il faudrait, comme William Brock le fait remarquer,64 que « nos sociétés de services puissent accéder plus facilement » encore aux marchés étrangers. Or, cet impératif semble se heurter à une désagréable réalité : aucun véritable accord international traitant de l’échange de services n’a été négocié. C’est, évidemment, une lacune que les dirigeants américains entendent combler : en 1978, n’ont-ils pas spécifié dans leur législation que le commerce inclurait à la fois les biens et services désormais ? De même, ils veulent voir le plus possible supprimées les entraves (régimes fiscaux préférentiels, interventions sur les marchés des capitaux ou mesures en faveur des investissements) que trop de gouvernements étrangers opposent au libre jeu du marché dans les secteurs – ordinateurs, télécommunications, nucléaire, robotique, fibres optiques, industries pharmaceutiques et biotechnologiques – névralgiques pour l’avenir économique. Aussi sont-ils particulièrement sensibilisés aux règles restrictives auxquelles se heurte la pénétration de leurs services informatiques. Aux yeux des Européens, pourtant, ces protections sont justifiées pour protéger des souverainetés que la domination technologique d’un pays pourrait menacer.65 Mais aux yeux des Américains, c’est souvent un souci protectionniste qui se cache derrière ces propos. Pourtant, c’est moins au sujet des produits de l’ère post-industrielle que de ceux de l’agriculture qu’éclatent les querelles les plus dures entre Occidentaux.
69Comme on l’a noté, en 1973, l’augmentation des prix agricoles mondiaux avait provisoirement apaisé la querelle, déjà très vive, qui avait opposé les Etats-Unis à la Communauté. Au début des années 1980, elle se voit pourtant violemment relancée. Pour les fermiers américains, la situation semble, il est vrai, quasi désespérée. Pour s’être inconsidérément endettés à l’instigation de leurs banquiers, quand les prix agricoles semblaient s’envoler, les agriculteurs sont désemparés dès lors que les cours commencent à retomber. Déjà, en 1980, tous ceux qui aspiraient à présider la nation se sont engagés à promouvoir leurs exportations. L’ancien gouverneur du Texas, John Connally, est allé le plus loin dans la démagogie :
70« Et je leur dirai, a-t-il déclaré à propos des Japonais, ’laissez entrer... les produits agricoles américains. Ou il vous faudra inviter vos concitoyens à s’asseoir sur les docks de Yokohama dans leurs Toyotas et à regarder leurs postes de télévision, parce qu’il ne sera pas question de les laisser entrer aux Etats-Unis’. »66
71Plus que jamais, exporter s’avère un impératif catégorique pour les dirigeants du GOP. D’abord, l’agriculture reste un des principaux postes positifs d’une balance commerciale autrement en difficulté. Ensuite, c’est le seul moyen d’éviter une catastrophe alors même qu’ils se sont engagés à réduire l’aide gouvernementale aux fermiers. Ils ne doutent pas, il est vrai, que ce soit un moyen sûr si les produits américains ne se voient pas handicapés par des barrières artificielles. Seulement, les difficultés sont exacerbées : la croissance permanente de la productivité entraîne des récoltes pléthoriques dans ces années et leur exportation est obérée par la hausse que le dollar ne cesse d’enregistrer. Bientôt, c’est la vie familiale même des fermiers qui est disloquée tandis que se répètent des scènes oubliées depuis des décennies : pour empêcher les établissements financiers de vendre aux enchères le matériel, les fermes ou les terres de leurs voisins ou amis, dans certains comtés les paysans dissuadent physiquement les éventuels acquéreurs de se déclarer. L’enjeu ne saurait pourtant être ignoré : en 1985, ce sera à 214 milliards de dollars que se montera la dette totale des fermiers.67
72Du coup, la vieille guerre avec la Communauté atteint, à partir du début 1982, de nouveaux sommets. Dans une lettre adressée à Reagan, l’American Farm Bureau Federation a accusé la Communauté de « voler aux Etats-Unis leurs marchés d’exportation en accordant à ses producteurs des subventions et des prêts à des taux préférentiels. »68 Cette même année, un des plus hauts responsables de l’Agriculture américaine n’hésite pas à déclarer que « le monde n’est pas assez grand pour permettre » la coexistence des deux systèmes.69 Le ministre, John Block, un gros exploitant, ne manque d’ailleurs jamais une occasion de rappeler que son Etat, l’Illinois, est le premier exportateur de produits agricoles des Etats-Unis.
73Une fois encore, Washington s’attache à dénoncer la discrimination qui frappe ses produits à leur entrée dans la Communauté. Un temps oubliées, les préférences accordées aux agrumes méditerranéens sont à nouveau l’objet d’attaques acérées. Le bruit court aussi que la Communauté pourrait décider de taxer les matières grasses végétales, le soja en particulier, que les Etats-Unis pouvaient exporter en Europe librement dans le passé.
74Pourtant, ce que l’Administration s’attache surtout à vilipender, c’est l’exportation, à des prix subventionnés, des excédents toujours plus élevés que le fonctionnement même de la PAC amène la Communauté à accumuler : « La Communauté européenne qui était autrefois un grand importateur de denrées agricoles, déclare Block en mars 1982, est devenue maintenant, en grande partie grâce aux subventions, un exportateur de premier plan, en particulier pour la viande de boeuf et de veau, le blé, le sucre et la volaille. »70
75C’est une situation que les Etats-Unis ne veulent pas accepter et le secrétaire à l’Agriculture se dira prêt à se battre « où et quand ce sera nécessaire » avec ses partenaires. La pression est forte, il est vrai. Et elle s’est déjà bruyamment manifestée. Quand, à l’automne 1978, une agence brésilienne a décidé d’acheter 25.000 tonnes métriques de blé français à un prix réduit, grâce aux subventions, de moitié, la Great Plains Wheat, Inc., une organisation financée par les fermiers producteurs de blé et, pour un montant égal, par le département de l’Agriculture, a déposé une plainte auprès des autorités.71 Déjà, elle suggérait l’arme absolue dont les Américains pouvaient user : en accordant une subvention de 15 cents par boisseau seulement, le gouvernement rendrait leur propre blé imbattable immédiatement. Si, en mars 1979, la CEE a battu en retrait, le contentieux n’est pas réglé comme la suite va le prouver.
76Mais la Communauté réfute les arguments qui lui sont avancés. D’abord, l’accuser de protectionnisme relève, aux yeux de ses dirigeants, de la billevesée : en 1980, son déficit agricole a été de 23 milliards de dollars, s’empressent-ils de rappeler. Face aux Etats-Unis, il était de 6,8 milliards cette même année et atteint les 7 milliards un an après. Par ailleurs, ils ne peuvent tolérer que les Américains remettent en cause une PAC qu’ils ont solennellement acceptée en prétendant que les règles du GATT ont été violées. Le code des subventions autorise, en effet, celles-ci dès lors qu’elles ne permettent pas à leurs bénéficiaires de conquérir plus qu’une part équitable du marché. Certes, entre 1969-1970 et 1980-1981, les exportations de blé de la Communauté ont doublé en quantité. Mais celles des Etats-Unis ont encore plus augmenté (de 40 à 60-70 % de leur production totale). Seront-ils un jour satisfaits ? Au demeurant, eux-mêmes sont loin de laisser sans soutien leur propres fermiers. Enfin, en 1980, le montant des aides fédérales par fermier (celles des Etats n’étant pas recensées) a été presque deux fois supérieur à celui dont bénéficiaient les agriculteurs de la Communauté. L’Administration américaine recourt en effet volontiers à des lois cadres pluriannuelles prévoyant l’achat et le soutien des produits dès lors qu’ils atteignent un prix plancher et elle organise des « mises en jachère » volontaires pour réduire, contre indemnités, les récoltes dont les prix menacent de s’effondrer.72 L’Administration Reagan est loin de se démarquer : dès 1983, un tel programme est adopté pour le blé. Surtout l’on apprend alors qu’au cours de l’exercice précédent, le coût de l’aide à l’agriculture a bondi de 4 à 12 milliards en un an !
77Les Américains ne sont pas désarçonnés. Quoi que l’on puisse en penser, font-ils remarquer, leur politique, elle, est conçue de manière à influer le moins possible sur les marchés étrangers. La CCC, l’organisme chargé d’intervenir quand les prix menacent de s’effondrer, ne cherche pas à se débarrasser à un prix subventionné des produits qu’elle a stockés. Preuve que les systèmes ne peuvent être comparés : en 1982, les revenus agricoles ont augmenté dans la Communauté alors qu’aux Etats-Unis ils s’effondraient (38 milliards en 1978, 25 en 1981, 19 en 1982).73
78En fait, les dirigeants américains savent que ce n’est pas la Communauté qui est la principale source de leurs difficultés. Par exemple, le 13 septembre 1982, Block a concédé :
79« Une offre très abondante aux Etats-Unis et partout ailleurs, des économies mondiales en stagnation, la hausse des taux d’intérêt et le niveau élevé du dollar sont responsables du fléchissement des cours tant à la ferme que dans les ports d’exportation. »74
80Néanmoins, pour apaiser les exploitants, petits ou grands, qui jugent le programme de soutien voté fin 1981 insuffisant, au début de 1982 une offensive en règle a été lancée contre la politique « perverse » de la Communauté. Une action, engagée au GATT contre les importations préférentielles d’agrumes, suggère que l’accord Soames-Casey n’est plus valide désormais. Surtout, Washington a déposé les premières plaintes fondées sur l’article 301 en février : elles concernent le sucre, la volaille, les pâtes alimentaires et la farine de blé. La guérilla agricole vient de commencer.
81Elle n’est pourtant que le reflet exacerbé d’une campagne beaucoup plus générale dans laquelle l’Administration s’est lancée contre l’octroi de conditions de crédit privilégiées aux acheteurs étrangers, à ceux du Tiers Monde et de l’Est en particulier. Début 1980, il est vrai, un haut responsable de l’Administration Carter avait déjà adressé un avertissement sévère.75 Sans grand succès. L’Administration Reagan est revenue à la charge peu après. A ses yeux, en effet, les subventions gouvernementales doivent être progressivement réduites et, si possible, éliminées. Elle-même donne l’exemple en réduisant les fonds dont l’Eximbank pourra disposer. Mais elle ne laisse aucune illusion à ses alliés :
82« Et si nous ne percevons aucun signe de détente dans les conversations qui s’engagent, nos concurrents apprendront à leurs dépens que la poche de l’oncle Sam est plus profonde, ses délais de remboursement plus longs et notre détermination encore plus farouche que la leur. »76
83Finalement, un compromis provisoire, pour six mois, sera entériné, fin 1981, à l’OCDE. Mais le désaccord reste presque entier. Il sera même à l’origine de la querelle la plus vive, celle du gazoduc, entre l’Europe et l’Administration américaine. Mais celle-ci aura été précédée d’autres tensions, en particulier à propos des pays sous-développés.
2) Les problèmes du Tiers Monde : entre la coopération et la rivalité :
« Quand les inégalités, les injustices, les retards d’une société dépassent la mesure, il n’y a pas d’ordre établi, pour répressif qu’il soit, qui puisse résister au soulèvement de la vie. »
François Mitterrand, le 20 octobre 1981 à Mexico.77
« Nous ne nions pas que, bien souvent, l’instabilité dont souffrent ces régions soit imputable essentiellement à des circonstances locales. Mais il nous semble inquiétant de constater que certains milieux ont tendance à passer sous silence les agissements des Soviétiques... »
Lawrence Eagleburger, Sous-secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, le 15 juin 1981 à Londres.
84La politique de l’Administration Reagan face aux problèmes du monde sous-développé devait être dominée par deux idées. Tout d’abord, elle se convaincrait non pas, comme un cliché devait le suggérer, que dans ces pays le conflit avec l’Est était plus important que les querelles régionales et les difficultés économiques et sociales, mais qu’une approche ferme du premier ne pouvait attendre que les secondes aient été surmontées. Au fond, sous cet aspect, elle ralliait une idée exprimée par McNamara voici plusieurs années : « Vous ne pouvez réaliser une réforme agraire si les leaders paysans locaux sont systématiquement assassinés. »78 Ensuite, à ses yeux, la solution à ces difficultés résulterait, avant tout, de la remise en ordre des économies nationales et de la diffusion, à partir de cet effort, de la prospérité grâce au jeu du marché.
85Tout ceci devait fatalement conduire à des affrontements avec la Communauté. Celle-ci, il est vrai, serait divisée et sur les questions économiques, Anglais et Allemands seraient loin de rejoindre les thèses, plus avancées, de la Commission et des Français. Pourtant, l’intérêt apparent des Américains pour les questions militaires susciterait un scepticisme, sinon une hostilité, beaucoup plus unitaire chez leurs alliés.
86Sur les buts, il est vrai, les divergences étaient beaucoup moins prononcées. En sorte que, selon les questions ou les régions, le Tiers Monde fut le théâtre de heurts proches de l’altercation ou, au contraire, d’une étroite coopération entre les vieux pays et Washington.
a) Barrage au sous-développement : logique de la puissance ou logique de l’interdépendance ? :
« Aider le Tiers Monde, c’est s’aider soi-même à sortir de la crise. »
François Mitterrand, le 1er septembre 1981.79
« Nous sommes convaincus que c’est en redonnant des bases saines à l’économie nationale que les Etats-Unis contribueront le mieux à encourager le développement et à stimuler la croissance à l’étranger. »
Ronald Reagan, le 22 octobre 1981 à Cancun.80
87« Le développement du Tiers Monde est avant tout l’affaire des pays sous-développés eux-mêmes » ; « mettre d’abord notre maison en ordre » ; « laissez faire le commerce et le reste suivra ».81 Si, à la fin de l’été 1981, les responsables de la Commission de la C.E.E. s’estimaient en mesure de résumer en ces quelques formules la politique des nouveaux dirigeants américains, c’était parce que celle-ci avait été l’objet d’une présentation systématique de septembre à octobre 1981.
88Une première idée domine leur pensée : le temps d’un seul Tiers Monde est passé. Comme Haig le rappellera encore quelques mois après : « Ce que l’on a baptisé le ’Tiers Monde’ englobe les pays de l’OPEP, riches de leur pétrole, les Etats qui ont, comme Singapour, connu un taux de croissance miraculeux, ainsi que quantité d’autres qui vivent dans la misère ou n’entrent dans aucune catégorie. »82
89Autrement, leur vision reflète l’approche générale de l’Administration. Comme pour les démocraties industrialisées, c’est des politiques nationales que dépendra, en priorité, la solution des problèmes des PVD. Certes, une aide importante devra toujours être assurée aux pays les moins avancés. Mais les autres devront surtout s’en remettre au commerce et aux investissements privés. Cette vision a un premier mérite : elle permet à l’Amérique de s’octroyer un réconfortant satisfecit. Le 15 octobre 1981, Reagan pourra ainsi annoncer : « L’an dernier, les exportations des pays sous-développés vers les Etats-Unis leur ont rapporté deux fois plus qu’ils n’ont reçu au titre de l’aide accordée par toutes les autres nations industrialisées réunies. »83
90Si les déclarations se multiplient à cette époque, c’est que Reagan entend présenter ses idées, le 22 octobre 1981, au Sommet de Cancun dont l’idée avait été lancée, fin 1980, par Lopez Portillo, le Président mexicain. Sans doute avait-il jugé que s’il se dérobait, ses adversaires lui reprocheraient son indifférence pour le sort des pays les moins fortunés. Mais s’il participait, il pourrait souligner l’absence systématique, dans ce type de réunions, de l’Union soviétique.84 Dans la station balnéaire mexicaine, il répétera l’engagement qu’il avait contracté, à Ottawa, en juillet : celui de « participer à l’élaboration d’un processus mutuellement acceptable de négociations globales dans des conditions nous offrant des chances de progrès constructifs. »85 Objectif qu’il réitérera, non sans s’être fait prié, à Versailles quelques mois après.
91Pourtant, sous l’effet d’un puissant courant dans l’opinion comme au Congrès, l’Administration avait rompu avec le passé et la réalité de son soutien au projet pouvait être contestée. Juste avant que Reagan ne se rende à Cancun, l’un de ses principaux conseillers avait, en effet, concédé que si les Etats-Unis avaient apparemment, dès la fin 1979, approuvé le principe de « négociations globales », c’était en fonction de deux espoirs qui étaient restés illusoires : au lieu de chercher à le compléter, les éventuels participants au projet avaient cherché à interférer avec le travail, pourtant jusqu’ici efficace, des Commissions spécialisées ; surtout ils avaient affiché une volonté de redistribuer d’une façon « irréaliste » le pouvoir à l’intérieur des grandes institutions concernées.
92Aussi, l’Administration devait-elle rapidement susciter le scepticisme des PVD. « Trade, not Aid » : fidèle à son slogan, elle allait, il est vrai, insister sur les efforts qu’elle déployait, dans le cadre de son programme de préférences généralisées, pour permettre l’entrée, en franchise ou avec des droits réduits, des exportations des pays les moins nantis. L’apogée de son action, sous cet aspect, serait la Caribbean Basin Initiative annoncée en février 1982 : destiné à atténuer l’instabilité structurelle dont l’Amérique centrale était alors menacée, le projet combinait une aide traditionnelle (350 millions de dollars pour 1982) et des encouragements fiscaux à l’investissement avec une ouverture accrue du marché américain aux produits du Bassin.86
93Pourtant, cette action devait rester quantitativement limitée et de 1981 à 1982, le rapport de leur aide à leur PNB faisait d’eux pratiquement le pays le moins généreux de l’OCDE.87 Surtout, ils avaient très vite affiché leur hostilité à l’« étatisme » sur lequel, à leurs yeux, les PVD fondaient des expoirs exagérés. Non seulement la participation des Etats-Unis au Fonds de stabilisation, que l’Administration précédente avait acceptée, ne serait pas ratifiée88. Mais, en dépit des hommages verbaux qu’elle leur rendrait, l’Administration ne cacherait guère son scepticisme pour toute augmentation de rôle du FMI, de la BIRD et des grandes institutions économiques internationales qui leur étaient liées. En février 1983, Jeane Kirkpatrick, ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, devait ainsi expliquer :
94« Les agences des Nations unies... sont le théâtre d’une lutte que nous semblons condamnés à perdre. La régulation est l’instrument de la redistribution de ce que l’on appelle la richesse mondiale. La bureaucratie internationale fonctionne comme la « nouvelle classe » à laquelle le pouvoir doit être transféré. Le résultat qui en est attendu, et pour beaucoup espéré, est le socialisme global. »89
95L’Administration devait afficher sa volonté de résister à ce danger en réduisant sa contribution à l’AID (aide aux pays les moins avancés) de moitié par rapport à celle que Carter avait demandée90 et en s’opposant à la création d’une filiale énergie dans le cadre de la BIRD. Elle s’était surtout d’emblée opposée à la participation des Etats-Unis au nouveau « Droit de la Mer » dont les PVD étaient particulièrement fiers. « Nous avons, aurait expliqué Reagan en privé, tant de police et de patrouilles sur terre et tant de régulations que j’aime à penser que lorsque l’on va sur mer, on peut faire ce que l’on veut. »91
96Il s’agit tout d’abord, selon l’expression ultérieure du nouveau représentant que le Président a nommé,92 d’infliger un coup d’arrêt au « collectivisme global » que le texte ne manquerait pas d’instaurer et de couper court à un danger que l’équipe antérieure n’a pas su éviter : sacrifier l’intérêt national à la recherche d’un consensus multilatéral.
97Depuis, en effet, qu’en 1973 les négociations ont été lancées, les Américains ont fait d’importantes concessions aux vues des pays sous-développés. Certes, le but initial de leur participation à ces pourparlers a été réalisé : leur attachement à la « liberté des mers » a primé sur la prétention de certains Etats à étendre leur juridiction maritime exclusive. Mais sur le problème de l’exploitation des fonds marins, sous l’impulsion de Kissinger, puis, à partir de 1977, d’Elliott Richardson, le représentant de Carter, les Américains ont accepté la création de l’Autorité internationale que le « groupe des 77 » réclamait, lui ont consenti des droits d’exploitation parallèles, voire supérieurs à ceux des sociétés privées,93 et vaguement promis une aide des pays industrialisés. Le texte qu’ils ont accepté soulève de très fortes objections au Congrès. Aussi la décision de la nouvelle Administration n’a-t-elle guère tardé : il doit être renégocié.
98Ses objections sont faciles à deviner. Tout d’abord, le système lui paraît exagérément soumettre la politique d’exploitation à l’Autorité et pénaliser les sociétés privées : dans le processus des concessions parallèles qui a été élaboré, l’Entreprise (le bras séculier de l’« Autorité ») va bénéficier d’avantages à ses yeux injustifiés.94 Deux autres données accentuent le danger. Pour commencer, l’influence des Etats paraît quelque peu limitée au regard de la contribution économique et financière qu’ils sont censés apporter : alors que le bloc communiste se voit réserver trois sièges dans le Comité exécutif de l’Autorité, les Etats-Unis ne sont pas assurés, eux, d’y siéger. Ensuite, le texte prévoit que le Traité pourra être amendé à la seule majorité, ce qui ne laisse pas de les inquiéter.
99Pour les partisans américains du Traité, ces craintes sont exagérées et ce recul sape la crédibilité des Etats-Unis auprès du monde sous-développé. Dès lors que les premiers ont reconnu que les fonds marins étaient le « patrimoine commun de l’humanité », ils ne peuvent refuser de faire la moitié du chemin.
100Une polémique intense ne manque pas de se développer sur la bonne foi avec laquelle l’Administration envisage réellement la reprise des pourparlers.95 Quoi qu’il en soit, celle-ci estime que, sur le fond, elle jouit du soutien de la plupart de ses alliés et faute d’obtenir les modifications qu’il a réclamées, le 9 juillet 1982, Reagan annonce que les Etats-Unis ne pourront être partie au Traité. Les abstentions seront, en effet, nombreuses parmi les autres démocraties (comme la Belgique, la Hollande, la R.F.A., l’Italie ou le Royaume-Uni) et en décembre 1982, la Communauté ne pourra signer un Traité sur lequel les Dix n’ont pu s’accorder.
101Mais alors que presque tous les pays, signataires ou non, vont accepter d’« explorer » toutes les possibilités de travailler dans le cadre de ce dernier, pour les Etats-Unis, l’affaire est enterrée. Le 10 mars 1983, Reagan annonce qu’ils observeront la plupart des dispositions du Traité, dans la mesure où elles reprennent des règles en vigueur dans le passé, et qu’ils étendent la « zone économique exclusive » de l’Amérique à 200 miles nautiques, comme les Etats y sont autorisés désormais. Mais il refuse de se sentir lié par les clauses sur l’exploitation des fonds marins et proclame sa détermination à unilatéralement préserver les intérêts privés américains.
102Cette confiance dans le libéralisme était loin de heurter tous les principaux dirigeants alliés : le gouvernement allemand et, plus encore, l’anglais, étaient souvent plus proches des vues américaines, sous cet aspect, que de celles des Français. Elle devait inversement susciter l’inquiétude et l’hostilité de la Communauté, très attachée à une coopération incarnée par la convention de Lomé, comme du pouvoir socialiste français : son ministre des Relations extérieures, Claude Cheysson, n’avait-il pas inspiré la politique de la Commission ?
103La nouvelle politique américaine reposait, en effet, sur des présupposés qui pouvaient être contestés. D’un côté, tout était suspendu au succès d’une entreprise nationale de redressement dont on pouvait douter. De l’autre, l’idée d’un retour aux lois du marché, salutaire peut-être à dose modérée, pouvait très vite aboutir à l’établissement d’une sorte de jungle où les pays sous-développés mais aussi les puissances vulnérables comme celles de la Communauté pouvaient se voir gravement menacées.
104Alors que leur assistance directe était des plus limitées, l’aide commerciale que les Américains prétendaient apporter, n’était pas des plus impressionnantes aux yeux de leurs alliés. Certes, dans un cas particulier comme le renouvellement de l’accord multifibres auquel leurs industries s’étaient mieux préparées, les Etats-Unis pourraient, face à la Communauté, vanter les vertus du libéralisme avec l’appui des PVD. Certes, ils absorbaient plus de 50 % des exportations de ces derniers en direction de l’OCDE.96 Mais, rétorquaient les Européens, il s’agissait souvent de produits fabriqués par des firmes américaines qui y étaient installées et, rapportées au PNB, les importations de la CEE étaient proportionnellement plus élevées.97 Enfin, et quoi que les Etats-Unis pussent penser, le commerce ne suffirait pas à résoudre les difficultés : une ouverture accrue aux produits manufacturés des PVD les plus industrialisés entraînerait d’irrésistibles pressions protectionnistes ; elle serait inversement sans grand impact sur les pays les moins avancés car c’était beaucoup plus de la faiblesse de la demande que de barrières élevées que leurs exportations souffraient.
105C’était là qu’aux yeux de ceux qui la dénonçaient, la nouvelle attitude américaine péchait : elle oubliait les conséquences de l’interdépendance. Aux yeux des Français, en particulier, les Américains comprenaient mal à quel point la « renaissance » des économies industrialisées passait par la reprise dans le « Sud » en réalité. Inversement, l’aggravation de la situation dans ces derniers priverait l’Occident, et l’Europe en particulier, du marché d’exportation le plus prometteur pour les prochaines années. Surtout elle pourrait ébranler le réseau financier et dès lors déstabiliser le système mondial tout entier.
106Durant la première moitié des années 1970, beaucoup ont cru pouvoir célébrer le « recyclage » des pétrodollars – en particulier les prêts de centaines de milliards de pétro-dollars assurés, par l’intermédiaire des banquiers occidentaux, aux pays de l’Est et du Tiers Monde – comme un très grand succès : l’opération n’a-t-elle pas, un temps, créé l’illusion que le quintuplement des prix pétroliers en 1973, puis leur doublement en 1979, n’auraient pratiquement pas d’effet ?98 Mais dès 1980, il a fallu déchanter et, à partir de cette année, le problème de l’endettement des pays communistes et des PVD va peser, comme une épée de Damoclès, sur la tête des démocraties industrialisées. C’est en 1980, en effet, que les gouverneurs des Banques centrales des « Dix » et de la Suisse, réunis à Bâle au siège de la BRI, expriment publiquement leur souci. Les opérations internationales, affirment-ils dans leur communiqué, devraient faire l’objet d’une surveillance renforcée et les banques privées être astreintes à publier des bilans consolidés. Ceux-ci devraient faire clairement apparaître leurs opérations de crédit à l’étranger, d’un côté, et, de l’autre, les devises étrangères qui leur ont été confiées.
107Avec sinon les encouragements, du moins la bénédiction de leurs gouvernements, les banques privées se sont, en effet, empressées de dispenser les crédits avec un laxisme exagéré. La pratique de taux d’intérêt flottants – réajustés tous les six mois en fonction de l’évolution du marché (LIBOR) – leur a paru un gage suffisant de stabilité. C’était négliger un tout autre danger : persuadées que les gouvernements finiraient toujours par payer, elles n’ont pas imaginé que leurs débiteurs puissent être en situation d’insolvabilité. Dès 1980, du fait de la progression accélérée (25 % en moyenne) des prêts, le système monétaire international est menacé.99
108Or, loin de se résorber, le danger ne fait que s’aggraver. D’abord, tandis que la récession occidentale réduit les recettes d’exportations des PVD, le coût de leurs importations est alourdi par le deuxième « choc » pétrolier. D’un côté, leur capacité de les rembourser s’en trouve diminuée, puisque de 1980 à 1982, c’est de 28 % que le prix de produits de base autres que le pétrole va baisser ! De l’autre, le poids de leurs emprunts ne cesse d’augmenter, parallèlement au dollar et aux taux d’intérêt. Toute hausse d’un point de ces derniers entraîne, en fait, une aggravation de l’ordre de 4 milliards du déficit des pays sous-développés.100 Certes, l’Administration fait un geste pour parer au danger : d’emblée, elle soutient un programme du FMI visant à accroître sa capacité de recycler les dollars des pays pétroliers. Il n’empêche. En septembre 1981, l’Administration déclare que les plus avancés des PID101 devront s’adresser au marché international des capitaux au lieu du FMI désormais. L’indifférence que l’Amérique semble afficher face aux menaces qui s’accumulent sur le système financier ne s’harmonise guère avec son attachement pour le statu quo et la stabilité.
b) Les Etats-Unis, l’Europe et l’instabilité :
« L’antagonisme Est-Ouest ne saurait expliquer les luttes pour l’émancipation des damnés de la terre, pas plus qu’il n’aide à les résoudre... »
François Mitterrand, le 20 octobre 1981 à Mexico.102
109C’est que la vision qu’a l’Administration de la stabilité reste avant tout diplomatico-militaire : son action consistera, d’abord, à aider les gouvernements en place à résister à ce qu’elle considère comme une offensive dangereuse de ses adversaires. Sur ce plan, elle renoue avec une tradition que Franklin Roosevelt avait mieux qui quiconque résumée : « C’est un ’enfant de salaud’ (SOB), mais c’est notre ’enfant de salaud’. » Non seulement, estime-t-elle, les gouvernements pro-soviétiques sont encore moins que les autres aptes à assurer le développement économique, mais ils excluent toute évolution démocratique. C’est sur cette différence entre régimes « autoritaires » et « totalitaires » que Jeane Kirkpatrick justifie l’appui que les dictatures militaires peuvent éventuellement recevoir des Etats-Unis.103 Quand en 1949, H. Cabot Lodge s’était inquiété de l’entrée du Portugal dans l’Alliance atlantique, c’est déjà cette différence que Theodore Achilles avait invoquée pour la justifier.104 En 1974, cet optimisme avait d’ailleurs paru vérifié par la « révolution des oeillets. »
110Sous cet aspect, le problème n’était pourtant pas réglé à l’intérieur même de l’organisation alliée. Le 22 janvier 1982, le Parlement européen votera ainsi une résolution que les communistes ont présentée pour condamner le régime militaire turc. Dans le débat, certains n’hésitent plus à le comparer à celui que Jaruzelski vient d’imposer à Varsovie. Evidemment, aux yeux d’Ankara mais aussi des Etats-Unis, un tel procès n’est pas justifié : non seulement la junte bénéficie d’un soutien massif dans le pays, mais elle l’a sauvé de l’anarchie, préservant, pour l’avenir, les chances de la démocratie.
111Pour l’Administration, l’ancienne campagne des Droits de l’Homme n’est plus une priorité. Bien au contraire : la « lutte contre le terrorisme » à laquelle elle entend se consacrer laisse redouter une complaisance inusitée pour leur violation momentanée. Ce qui inquiète bien des alliés : cette politique n’entraîne-t-elle pas un renoncement à des valeurs essentielles qui devraient constituer le véritable atout de l’Occident auprès des PVD ?
112Mais n’est pas là leur seul motif d’anxiété. Aux yeux de certains, en effet, la politique de Washington favorise, une fois encore, le danger même contre lequel elle prétend lutter. La menace communiste est sans doute réelle dans le monde sous-développé. Mais en ayant tendance à la surestimer, Washington ne tend-il pas parfois à lui assurer une importance qu’elle n’avait pas pour commencer ? Non seulement les Américains identifient, aux yeux des populations appauvries, l’Occident à la défense des élites locales les plus nanties, confirmant les accusations d’« impérialisme » lancées par la Russie. Mais ils s’engagent sur une voie incompatible avec les structures de leur démocratie : le passé n’a-t-il pas démontré que les Etats-Unis étaient incapables d’assurer le soutien armé sans lequel certains de leurs protégés risquent un jour de s’effondrer ? Le syndrome vietnamien n’est jamais loin, en effet : dans ces années, la volonté des diplomates d’afficher, manu militari s’il le faut, leur fermeté, se heurte à l’opposition majoritaire de l’opinion et du Congrès, mais aussi à celle des forces armées. Cette prudence, Haig n’hésitera pas à la regretter : « Nous construisons la plus grande capacité de défense de l’histoire de ce pays... Pendant que nous agissons ainsi, nous refusons, philosophiquement et impulsivement, de jamais utiliser ces ressources pour soutenir la diplomatie américaine. »105
113Mais le Pentagone n’est guère disposé à risquer ses ressources et sa crédibilité dans un interventionnisme dont les conséquences ne lui paraissent pas avoir été assez calculées ! Quelques années après, Weinberger cherchera d’ailleurs à justifier son souci à la fois de voir le budget militaire augmenter et d’éviter des engagements inconsidérés : « Je crois qu’elles (ces deux attitudes) reflètent une vérité vitale, quoique paradoxale. La réticence naturelle qu’éprouve notre démocratie à demander à nos troupes de mourir pour leur pays accroît encore l’importance qu’il y a pour nous de disposer de la puissance militaire nécessaire pour dissuader les adversaires. »106
114Aussi Washington ne réussit-il pratiquement jamais à convertir aucun de ses alliés, à l’exception peut-être du Premier anglais, à son approche « Est-Ouest » du monde sous-développé. Mais c’est évidemment le pouvoir socialiste français qui apparaît comme son contradicteur le plus systématique sous cet aspect. Mitterrand ne cache pas qu’il juge impératif, pour l’Occident, de présenter une alternative au monde en développement. Le Français compte, parmi ses conseillers, un Régis Debray pour qui l’URSS n’a, la décolonisation achevée, d’autres chances chez les PVD que celles que l’Occident s’acharne à lui créer.107
115Reagan et ses conseillers semblent, inversement, préoccupés par la capacité des communistes à s’infiltrer dans des mouvements révolutionnaires qu’ils confisquent progressivement en éliminant leurs adversaires. Ils ne peuvent surtout pas oublier que tous les propos sur l’existence d’une « troisième force » et le martyr d’un « petit pays opprimé » s’étaient avérés, au Vietnam, une billevesée : non seulement, les communistes avaient imposé, une fois la guerre gagnée, leur loi avec une impitoyable cruauté, mais le Vietnam du Nord avait bénéficié, dans son entreprise de conquête, d’un appui extérieur sans lequel il n’aurait peut-être pu l’emporter.108
116Dans ces conditions, les querelles se multiplient entre l’Europe et Washington. Les alliés redoutent une inflexion catastrophique de la politique américaine sur l’Afrique : le veto américain (31 août 1981) à une résolution du Conseil de sécurité condamnant les incursions sud-africaines en Angola isolera les Etats-Unis d’alliés que les efforts (infructueux) de l’Administration pour faire abroger l’amendement Clark, avaient déjà inquiétés.109 Très vite, aussi, la Libye a été un sujet d’opposition entre Washington et Paris. Peut-être, Giscard avait-il envisagé en 1980 une opération contre Kadhafi de concert avec ses collègues américain et égyptien.110 Son successeur à l’Elysée ne semble, inversement, guère disposé à suivre la ligne dure à laquelle sa « lutte anti-terroriste » pousse l’Administration envers Tripoli désormais. Le 19 août, en particulier, les Américains paraissent délibérément « rechercher » un incident militaire pour rappeler qu’ils ne sont pas disposés à laisser le chef de l’Etat libyen imposer ses conceptions unilatérales en matière de souveraineté. Mais, en décembre, ils doivent renoncer à obtenir de leurs alliés un soutien aux sanctions qu’ils ont arrêtées.111 A l’instigation des Français, ceux-ci ont estimé que Kadhafi, qui vient alors d’accepter de retirer ses troupes du Tchad à la demande de Paris, ne doit pas être jeté dans les bras de la Russie.
117Est-ce à dire que les divergences sont totales entre Washington et les vieux pays ? Non, de toute évidence, puisque dès novembre 1981, Haig s’est félicité de la coopération en Afrique et au Moyen-Orient des Américains et Français.112 Surtout, lors du sommet atlantique de Bonn les alliés ont adopté une déclaration confirmant leur solidarité dans la zone « hors Traité. »113
118En fait, si les heurts sont fréquents, voire violents, sur l’Amérique centrale, le Moyen-Orient et la crise des Malouines soulignent l’existence de la solidarité occidentale.
– La querelle sur l’Amérique centrale : ni nouveau « Cuba » ni nouveau « Vietnam » :
« Il n’y aura plus de Taiwan. Il n’y aura plus de Vietnam. Il n’y aura plus de trahison, par les Etats-Unis, de leurs amis. »
Reagan durant la campagne de 1980.114
« L’Europe a des responsabilités à assumer dans la région caraïbe. »
Claude Cheysson, Commissaire de la CEE, en mars 1981.115
119C’est sur l’Amérique centrale que de vives querelles allaient opposer les démocraties industrialisées.116 La révolution sandiniste avait paru, il est vrai, donner le signal d’une période d’agitation et d’instabilité. Après de longues années de tranquillité, les Etats-Unis se voyaient confrontés dans cette région vitale pour leur sécurité à un dilemme qu’ils avaient déjà rencontré : d’un côté, leur engagement aux côtés de régimes répressifs, corrompus et égoïstes, risquait de renforcer leur image de puissance « impérialiste » ; de l’autre, la politique plus ouverte au changement que Carter avait appliquée ne s’était pas révélée un réel succès. Tout d’abord, les Sandinistes avaient bientôt démontré qu’eux-aussi étaient ni très aptes à surmonter les difficultés économiques, ni très respectueux des libertés ; ensuite, ils avaient fini par afficher, quoique que Washington eût continué à les assister, une tendance à encourager, avec l’aide de Cuba et de ses conseillers, les mouvements révolutionnaires des pays qui les entouraient ; enfin et surtout, leur victoire avait été interprétée comme un signe que les Etats-Unis renonçaient à défendre la stabilité.
120Début 1981, c’était au Salvador que celle-ci paraissait la plus menacée. En octobre 1979, devant la montée des revendications, de jeunes officiers avaient déposé un régime qui incarnait la domination des plus grands propriétaires fonciers. Pourtant, l’Extrême-Droite s’était très vite organisée et la gauche, qui s’y était laissée intégrer, avait bientôt qualifié la junte militaro-civile alors formée de « fantôche » de l’impérialisme yankee. En janvier 1980, l’expérience échouait. Peu après, pourtant, une autre junte était formée. Mais cette fois, seule une partie des chrétiens-démocrates, avec à leur tête Napoleon Duarte, tentait une nouvelle coopération avec l’armée. Quelques mois après, des mesures progressistes étaient annoncées et une réforme agraire (qui touchait 20 % des terres) lancée. Pourtant, l’armée ne cachait guère sa volonté de conserver le pouvoir et les avantages concrets que son influence et son organisation en tandas (promotions d’officiers) bien structurées lui avaient toujours assurés. Seule une pression directe de Washington dissuadait la Droite de lancer un coup d’Etat en février 1980. Inversement, avec l’appui du Nicaragua et de Cuba, au milieu de l’année, une coalition très radicale d’opposants de gauche au régime, le FDR-FMLN117, s’organisait. La guérilla ne pouvait qu’aiguiser les difficultés : non seulement le développement économique s’en trouvait handicapé, mais l’Extrême-Droite y trouvait un prétexte aux brutalités que parallèlement elle perpétrait. Déjà, en 1977, l’aide militaire américaine au Salvador avait été supprimée. En décembre 1980, après l’assassinat de quatre religieuses américaines, c’était l’assistance économique qui était arrêtée. Mais la marge de manoeuvre de Washington paraissait limitée. Peu après Noël, le FDR-FMLN annonçait que son « offensive finale » commençait.
121Juste avant de s’en aller, l’Administration Carter infléchissait sa politique le 16 janvier : l’aide économique était restaurée et une aide militaire modeste était à nouveau accordée. Du moins, l’Administration continuait-elle à prôner la recherche d’un règlement négocié. L’arrivée de l’équipe Reagan semblerait coïncider avec un renversement sous cet aspect.
122Donner un coup d’arrêt à l’expansionnisme marxiste dans la région était sans aucun doute un objectif majeur pour l’ensemble de l’Administration. Traditionnellement, les gringos conservateurs du Sud et de l’Ouest avaient toujours témoigné au sud du Rio Grande plus d’intérêt que l’Establishment de l’Est. Les enjeux étaient élevés, il est vrai : « Près de la moitié de notre commerce, rappelait Reagan le 24 février, les deux tiers de nos importations de pétrole et plus de la moitié de nos importations de minerais d’intérêt stratégique passent par le canal de Panama ou par le golfe du Mexique. »118 Surtout ni Reagan ni ses conseillers ne pouvaient envisager de laisser une défaite de la junte ternir leur arrivée. Pourtant, sur la façon d’empêcher le pire d’arriver, l’Administration semble avoir été très divisée.
123En fait, l’affaire allait le plus souvent opposer un seul homme, Haig, au reste du Cabinet. Le secrétaire d’Etat semble avoir été obsédé par deux idées : d’un côté, Cuba s’apprêtait à lancer une offensive de longue haleine pour exploiter les turbulences dans la région centre-américaine ; de l’autre, le problème salvadorien offrait la meilleure occasion d’en finir avec le « syndrome vietnamien. » C’est sur ce dernier point qu’il devait se heurter aux autres dirigeants républicains. En février, il devait ainsi brutalement arrêter les efforts qu’Allen avait discrètement entamés pour établir avec Cuba d’éventuels pourparlers. Selon les dirigeants mexicains, il aurait aussi prohibé un autre projet, conçu par Allen mais aussi par le directeur de la CIA, William Casey : rencontrer, à Washington, des représentants du FDR-FMLN en secret.119
124Ce sont peut-être les contacts étroits que Reagan avait tenu, dès l’interrègne, à nouer avec Lopez Portillo, qui expliquent les initiatives auxquelles Haig devait opposer son’ veto. Mexico avait décidé d’encourager les mouvements révolutionnaires qu’il estimait dirigés par des représentants des classes moyennes et sans convictions marxistes profondes en réalité. C’était sans doute une façon de s’assurer une influence sur la région et d’y rivaliser avec Washington. C’était aussi probablement le reflet d’une anxiété : celle de voir les guerres civiles non seulement déchirer les pays les plus en difficulté, mais aussi radicaliser les tensions dans ceux qui les jouxtaient et destabiliser, de la sorte, toute la contrée. Aussi cette politique reposait-elle sur un pari : un compromis, dont le Mexique se ferait l’intermédiaire, serait finalement possible entre les Etats-Unis et les « révolutionnaires. » Aussi peut-on supposer que ses dirigeants incitèrent les premiers à rencontrer les représentants du Front que les rebelles salvadoriens avaient créé.
125Cette approche allait exactement à l’encontre de la vision que Haig nourrissait : l’Amérique centrale, géopolitiquement, était la région la plus appropriée pour transmettre le « message » au camp opposé. Bientôt, il s’y attelait : le 27 janvier, Robert White, l’ambassadeur américain au Salvador, partisan d’une solution négociée, était rappelé puis limogé.120 Et, quatre jours plus tôt avait commençé au NSC ce que Haig devait appeler une « série de discussions douloureuses » sur le sujet. Le résultat devait le décevoir en effet. Certes, il obtenait le maintien d’une décision que l’Administration Carter venait juste d’arrêter : la suspension de l’assistance économique au Nicaragua accusé d’aider la guérilla. Pourtant, il n’arriverait jamais à arracher l’intervention décisive qu’il souhaitait : non pas certes, devait-il toujours protester, un envoi des Marines ; mais le déploiement de moyens militaires massifs destinés à démontrer la détermination des Etats-Unis à « remonter à la source », c’est-à-dire intercepter les livraisons d’armes de Cuba, s’il le fallait. Une fois de plus, devait-il par la suite déplorer, les Etats-Unis s’étaient montrés incapables d’éviter un danger que le Vietnam avait pourtant illustré : l’incrémentalisme, un engagement si progressif et modéré que, loin de dissuader l’adversaire, il lui confirmait que les Etats-Unis hésitaient.
126Son ambition, élever officiellement le Salvador au rang de « problème stratégique ayant des implications mondiales », devait se heurter aussi bien à ceux qui, comme les chefs d’Etat-Major inter-armes (JCS) ou Weinberger, estimaient qu’il était de plus grandes priorités (le golfe Persique) pour le déploiement des forces armées, comme à ceux qui ne voulaient pas voir l’attention du public détournée de la « révolution » domestique que Reagan venait en principe de lancer.121 Le réflexe des premiers serait plutôt de s’interroger sur l’action que la CIA pourrait conduire en secret. Quant aux seconds, ils devaient renâcler avant de lui donner le « feu vert » pour une campagne de relations publiques destinée à démontrer l’ingérence, en Amérique, du camp opposé. Le 23 février, un Livre blanc, Communist Interférence in El Salvador, était finalement publié à grand renfort de publicité.
127L’initiative devait avoir un effet opposé à celui que le secrétaire d’Etat escomptait. Aux Etats-Unis, assortie de l’envoi de nouveaux conseillers militaires, elle revigora le souvenir du Vietnam dans la mémoire populaire. Depuis un certain temps, alertée par ses missionnaires, l’Eglise catholique s’opposait à une aide militaire que les forces de Droite pouvaient utiliser contre les couches populaires. Ensuite l’opinion et le Congrès réagissaient au risque de « Nouveau Vietnam » que les médias dénonçaient. Surtout, l’approche de Haig était maladroite sous au moins un aspect : l’hostilité du pays à la politique de l’Administration dans cette région avait tendance à s’amplifier chaque fois que celle-ci faisait la « une » de l’actualité.122
128L’offensive ne devait guère avoir un effet plus convaincant sur les alliés. D’abord, un certain nombre d’erreurs de traduction ou de faits servirent à discréditer les documents ainsi publiés.123 Ensuite, les gouvernements eux-mêmes devaient se dérober. Lawrence Eagleburger avait pourtant été chargé d’aller personnellement présenter le livre blanc aux dirigeants alliés. Mais le secrétaire d’Etat s’était totalement trompé sur leur disposition à se laisser entraîner sur un terrain à leurs yeux piégé. Tous, selon le Times de Londres, l’avaient averti qu’une politique « qui se contenterait de fournir des armes et ne chercherait pas à promouvoir un accord négocié, provoquerait des tensions considérables entre les Etats-Unis et leurs alliés. »124
129Le ton ne devait pas tarder à monter. En mars, la CEE avait rejeté deux concessions que les Etats-Unis lui avaient demandées : ajourner une aide humanitaire destinée au Salvador et renoncer à financer, au titre de l’accord de Lomé, un aéroport dans l’île « castriste » de Grenade.125 Aux yeux des Européens, l’opposition des Américains à la première ne reposait que sur des bases précaires : Washington s’inquiétait de ce que cette aide que les Eglises et non la junte seraient chargées de distribuer, ne pût être détournée par des factions hostiles à ses intérêts. L’enquête qu’à leur demande la Croix rouge avait aussitôt menée les avait, expliquaient les Européens, rassurés.
130En fait, les Etats-Unis pouvaient reprocher à leurs alliés leur indifférence à une réalité : si l’Amérique centrale devait se déstabiliser, la sécurité européenne s’en trouverait affectée. Ce n’étaient pas moins, devait rappeler Kissinger, des deux tiers des approvisionnements que les Etats-Unis destinaient à leurs partenaires qui passeraient par le golfe du Mexique en cas de guerre. Pis ! Si le Mexique devait « mal évoluer », les Américains seraient obligés de prélever une part importante de leurs ressources pour protéger une frontière qu’ils n’avaient, jusqu’ici, jamais eu à garder ! Mais les Européens pouvaient répliquer que le Mexique était le premier à critiquer la politique dans laquelle Washington voulait s’engager et que les taux d’intérêt élevés étaient beaucoup plus dangereux pour la stabilité mexicaine que l’aventurisme du camp opposé.
131Ce nouvel intérêt des vieilles nations résultait sans doute de la redistribution de pouvoir dans la région. En Amérique latine, l’influence des Etats-Unis était plutôt en retrait. En 1965, leurs conseillers militaires y étaient 800 ; mais ils n’y seraient plus que 300 en 1983. Marquée par l’ascension de la présence soviétique, mais, plus encore, japonaise et allemande, cette évolution s’était assortie d’un regain d’intérêt politique des vieux pays. Les « internationales » chrétienne-démocrate, libérale et surtout socialiste avaient cherché à développer des partis acquis à leurs idées.126 Les dirigeants de la dernière étaient volontiers persuadés qu’en dépit de leur rhétorique révolutionnaire, c’était souvent plus le « nationalisme » que le « marxisme » qui animait les dirigeants contestataires. Les Européens, il est vrai, étaient divisés et, dans l’ensemble, les Américains savaient pouvoir compter sur une très large compréhension de la part des Anglais. Inversement, à partir de mai 1981, le Président socialiste français devait porter la contradiction à son apogée.
132Au Salvador, la France tendrait à proclamer l’impossibilité d’une solution militaire au conflit opposant une guérilla poussée, à ses yeux, dans la mouvance soviétique et cubaine par l’intransigeance américaine et un gouvernement encore trop identifié aux couches privilégiées.127 Au Nicaragua, elle entendrait montrer que ce qui s’était passé, en 1960, à Cuba n’avait rien d’une fatalité : un régime issu du renversement d’une dictature impitoyable pouvait, en dépit de son approche marxiste et de son autoritarisme indéniable, ne pas devenir systématiquement une menace pour l’Occident. Pour leur éviter de devoir se tourner vers le camp opposé, la France offrirait ainsi, en janvier 1982, une aide militaire, prévoyant la livraison d’armes « défensives » aux Sandinistes. Comme on s’en doute, les Américains en furent ulcérés.
133Le temps fort de ce défi « français » avait pourtant été la déclaration franco-mexicaine remise, le 28 août 1981, au Conseil de Sécurité. Le texte, qui visait essentiellement à rappeler l’impératif d’une solution négociée, qualifiait de « forces politiques représentatives » les responsables de la guérilla salvadorienne. En acceptant, trois années après, l’ouverture de pourparlers, Duarte rendrait a posteriori un hommage implicite à l’idée. Mais à l’été 1981, le texte devait provoquer un tollé. Habilement, les Américains laissèrent Duarte, mais aussi les responsables de neuf pays latino-américains, avec à leur tête les très démocratiques Vénézuéliens, condamner ce soutien à ceux qui voulaient empêcher par la violence « l’autodétermination du peuple salvadorien ». Il semble bien que le terrain n’avait pas été suffisamment préparé. Les Français avaient apparemment compté sur les Mexicains pour prévenir les pays concernés. Or les seconds ne l’avaient apparemment pas fait.
134Chez les dirigeants des Etats-Unis, ces gestes de Paris soulevaient la colère ou la perplexité :128 d’où leurs alliés tiraient-ils la certitude que Sandinistes ou guérilleros salvadoriens renonceraient jamais à l’expansionnisme que leur idéologie prônait ?129
135Devant le succès très mitigé que sa politique initiale avait rencontré, Haig avait dû néanmoins entrer en contact avec les Cubains et les Nicaragayens. Reagan semble avoir tenu à voir cette voie explorée. Pourtant, deux contacts avec les premiers ne devaient apparemment rien donner. Avec les Nicaragayens, d’autres pourparlers avaient été organisés en secret. Mais bientôt aussi, les négociations s’enlisaient.130
136Le piétinement des pourparlers ne pouvait que renforcer la méfiance qui les obérait. A l’automne 1981, le Nicaragua qui avait un temps ralenti son activisme anti-Yankee renouait avec les défis. En novembre, Reagan approuvait le principe d’une aide de la CIA aux contras qui cherchaient à le déstabiliser à partir du Honduras. Aux yeux de certains, il est vrai, il s’agissait surtout de disposer d’un levier pour convaincre les Sandinistes de vraiment négocier. Mais d’autres, aussi, se demandaient si un accord satisfaisant avec un tel régime pourrait jamais être envisagé et si une « alternative » ne devait pas être encouragée !
137Sur ce point, évidemment, les Américains étaient en opposition avec les Français. Mais, pouvaient-ils rétorquer, ceux-ci ne faisaient-ils pas un procès d’intention parallèle à Duarte ? Washington devait d’ailleurs célébrer comme une victoire inégalée la tenue d’élections législatives le 28 mars 1982. Beaucoup d’Européens n’en considéreraient pas moins que le score de l’Extrême-Droite ne laissait pas d’inquiéter,131 que seule l’imposition d’un cachet sur la carte d’identité de ceux qui auraient voté avait persuadé un grand nombre de Salvadoriens d’ignorer les consignes de boycott que la guérilla avait lancées et que les élections avaient provoqué le départ provisoire du même Duarte auquel la démocratisation était identifiée.
138Entre-temps, il est vrai, un léger rapprochement avait paru se réaliser. Lors de sa visite-surprise à Washington le 12 mars 1982, Mitterrand avait donné son appui à la Caribbean Basin Initiative récemment lancée.132 Mieux. Paris avait alors paru envisager un ajournement des ventes d’armes au Nicaragua. Mais fin juillet, celles-ci, reprenaient officiellement. Surtout, dès le 25 avril, le Président s’était attaché à afficher ses distances avec son grand allié : « Je souhaite la révolte de ces peuples. Si cela ne plait pas aux Etats-Unis, et c’est manifestement le cas, tant pis. »
139En réalité, le Président s’était très probablement engagé à ne pas conclure de deuxième contrat avec le Nicaragua.133 Et quelques jours plus tôt, la France avait donné une preuve de son sens de la solidarité en participant à la force multinationale du Sinaï.
– Le Moyen-Orient : entre Camp David et un rapprochement avec l’OLP ?
« 99 % des cartes du jeu proche-oriental se trouvent entre les mains de l’Amérique. »
Sadate, en février 1981, devant l’Assemblée européenne.134
« Il n’y aura pas d’initiative française tant que nous serons au gouvernement, pas de projet européen ni d’initiative européenne sur la question du Proche-Orient. »
Claude Cheysson, en décembre 1981.135
140Le Proche-Orient eût pu se révéler, a priori, un autre terrain d’affrontement entre Washington et les vieux pays. Pour commencer, un temps assez long s’écoulerait avant que la politique de la nouvelle Administration ne soit vraiment définie. Certes, très vite elle devait se ranger aux conclusions de la directive « PD-63 » que, juste avant son départ, Carter avait signée : les Etats-Unis devraient tout faire pour élargir leur coopération avec les Etats arabes modérés.136 Mais toute décision sur le problème palestinien avait été reportée jusqu’aux élections israéliennes qu’en juin Begin devait remporter. Surtout, l’idée selon laquelle la recherche d’un « consensus stratégique » serait la solution à ses dilemmes ne ferait qu’occulter l’absence de consensus de l’équipe américaine. Alors que Weinberger et les JCS souhaitaient renforcer les liens militaires avec leurs alliés arabes en priorité, Haig veillait à ce que rien ne fût fait qui pût inquiéter Israël. La différence d’approche fut bientôt soulignée par la précipitation avec laquelle les premiers obtinrent, en dépit des réserves du second, l’approbation de la vente à Riad des avions-radars AWACs que, dès 1980, les Saoudiens avaient demandés aux Américains.
141Pour résoudre le dilemme auquel elle était confrontée, l’évocation de la solidarité des Israéliens et Arabes modérés face au camp opposé constituait, évidemment, une formule stratégique utile pour l’Amérique. Mais elle ne résolvait pas le problème en pratique. La visite de Haig aux principaux Etats de la région en apporterait, en avril 1981, la confirmation. A leurs yeux, la politique israélienne restait une source d’instabilité au moins aussi grande que l’expansionnisme du camp opposé. De même, Israël devait toujours nier qu’il existât des Etats arabes « modérés. »
142Enfin, il semblait clair que, pour Haig, la priorité serait la conclusion de la première phase du traité de paix séparé que les Européens avaient vivement critiqué et la conclusion d’un accord sur l’autonomie excluant l’auto-détermination et l’OLP. Les réticences des alliés ne pouvaient qu’être accentuées par la présence, depuis une année, dans la Communauté de la Grèce qui refusait de reconnaître Israël et entretenait avec les Arabes des liens privilégiés. Pourtant, quelques mois après, les principaux pays de la Communauté participaient à la force multilatérale du Sinaï. Que s’était-il passé ?
143La réponse est peut-être tout simplement que la volonté de l’Europe de jouer un rôle original au Moyen-Orient s’était largement s’estompée.137 Tout d’abord, les voyages de Gaston Thorn (été 1980) puis de Cristoph Van der Klaauw (début 1981) avaient sans doute largement suggéré ce qu’en février 1981 Sadate devait confirmer : la capacité des Européens à influencer les événements de la région résidait dans leur aptitude à exercer des pressions sur Washington. Isolés, ils paraissaient quelque peu désarmés.
144De plus, au fur et à mesure que les effets du second « choc » pétrolier commencèrent à s’estomper, un engagement politique au Moyen-Orient perdit une partie de son intérêt. Et ce d’autant plus qu’accablés par toutes sortes de difficultés, les alliés seraient pour la plupart privés de l’importante marge de manoeuvre que la conduite d’une politique « européenne » dans la région eût supposée.
145Enfin, et surtout, dès mai 1981, Mitterrand n’avait pas caché qu’il jugeait la « déclaration de Venise » trop déséquilibrée. Sans répudier la recherche d’une « solution globale », le Président français annonçait, au Sommet de Luxembourg des 29-30 juin, une politique de « pas à pas » soutenant les progrès déjà accomplis grâce à l’accord de Camp David. Il témoignait ainsi de sa volonté de rapprocher Paris de Tel-Aviv. Mais, il n’hésiterait pas, d’un autre côté, à donner des gages à l’OLP et aux Etats arabes modérés : en ne rejetant pas l’idée d’un Etat palestinien et en apportant un soutien nuancé au projet que le 7 août les Saoudiens avaient avancé. Ce « plan Fahd » reposait, en réalité, sur deux volets : la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza d’un côté et, de l’autre, (point 7) l’affirmation du « droit de tous les pays de la région à vivre en paix. »
146Ce projet venait encore compliquer une situation déjà difficile à maîtriser. Le 19 octobre, en effet, Reagan avait paru l’approuver. Mais le 2 novembre, à la demande de Haig, le Président rappelait son attachement à Camp David.138 De passage à Riad, du 3 au 5 novembre, Lord Carrington, ministre anglais et Président du Conseil de la Communauté, ne s’en livrait pas moins à un éloge appuyé du plan saoudien et à une critique acerbe de l’accord israélo-égyptien. En public, Haig qualifiait bientôt d’« irresponsables » ces propos.
147Son opiniâtreté devait l’emporter. Dès le 23 novembre, la Communauté approuvait une décision que, le jour même, Londres, Paris, Rome et la Haye venaient d’annoncer :139 celle de participer à la force multinationale destinée à garantir la paix sur le Sinaï. Tandis, en effet, qu’Israël faisait de la présence des Américains un impératif-clé, Sadate refusait une force exclusivement composée de ces derniers : elle eût accrédité l’image de fantoche des Etats-Unis que ses adversaires cherchaient à lui coller. La seule voie, pour Washington, était d’obtenir la participation de ses proches alliés.
148Déjà, aux funérailles de Sadate, Haig et Carrington s’étaient affrontés à ce sujet. Et, il est vrai, l’assassinat, le 6 octobre, du premier paraissait justifier l’anxiété que la politique américaine suscitait. Mais il soulignait aussi l’ampleur du danger. Il levait aussi, indirectement, un obstacle à d’autres pourparlers. La situation était dès lors propice à un rapprochement entre les alliés. L’Europe, en particulier, était disposée à aider le successeur de Sadate, Hosni Moubarak, à maintenir ouvert le processus de paix : une participation à la force multinationale pourrait, au demeurant, faciliter une transition entre Camp David et le plan Fahd. Peu après, Haig en convainquait le Premier anglais de même que le Président français.140 Les difficultés ne devaient que lentement se dénouer mais le 25 avril 1982, Anglais, Français, Italiens, Hollandais et Norvégiens se trouvaient aux côtés des soldats américains.
149C’était, sous bien des aspects, le renoncement à un rôle spécifique des Européens. Pourtant, paradoxalement, certains de leurs objectifs avaient été implicitement acceptés par les Américains. En août 1981, tout en rappelant la politique officielle de Washington, Haig avait très probablement autorisé des contacts exploratoires secrets destinés à vérifier si la position de l’OLP sur la reconnaissance d’Israël avait changé141. Le 5 août, Sadate avait adjuré les Américains d’engager de tels pourparlers. En fait, la veille, Arafat avait adressé un message suggérant l’exploration d’un accord possible entre son organisation et les Etats-Unis.
150En mai 1982, l’OLP aurait promis pour juin une réponse à l’offre que leur avait adressée les Américains. Mais l’invasion, le 6 juin, du Sud-Liban par les Israéliens aurait convaincu ses dirigeants de la duplicité des Américains. En fait, une fois de plus, une initiative d’Israël semble avoir acculé ces derniers à un « choix », désagréable, entre leurs alliés. Ils commençaient, il est vrai, à y être accoutumés !
– Les États-Unis et la guerre des Malouines : ni Suez ni Munich :
« Elle (Margaret Thatcher) nous demanda de ne pas oublier ceci : ne poussez pas la Grande-Bretagne à récompenser l’agression. »
Haig, dans ses Mémoires.142
151Le 28 mars 1982, Lord Carrington demanda à Haig de faire pression sur le gouvernement argentin. Celui-ci venait d’envoyer un groupe de ressortissants (des « militaires habillés en civils » devait-il reconnaître ultérieurement) sur l’île de South Georgia, elle-même située à un millier de kilomètres à l’Est des Malouines. Ainsi commençait une aventure qui, prenant par surprise les Américains et les Anglais, allait faire de cet archipel (Falklands pour les Anglais), le théâtre d’une guerre qui, conduite avec les armes les plus modernes, n’en rappellerait pas moins les querelles du XIXe.143
152En fait, c’étaient les Anglais qui avaient découvert ces îles à la fin du XVIe et qui les occupaient depuis 1832. Mais l’archipel appartenait à l’Espagne quand l’Argentine s’était émancipée. En 1964, en réalité, Buenos Aires avait remporté une première victoire quand l’ONU avait voté une résolution qui demandait à Londres d’ouvrir des négociations. Mais les pourparlers n’avaient, depuis, guère progressé. Alors que l’on s’apprêtait à célébrer le 150e anniversaire de la réoccupation par les Anglais et alors, surtout, que l’Argentine connaissait de graves difficultés, dont une inflation terriblement élevée, certains membres de la junte avaient sans doute pensé que la relance de la querelle serait encore le meilleur moyen de refourbir sa popularité. Le 31 mars, l’invasion commençait. Le 2 avril, l’archipel était conquis. Le lendemain, Thatcher ordonnait à une armada de 35 vaisseaux de faire route pour défendre la loi bafouée. Le « compte à rebours » avant la guerre ouverte entre deux alliés des Etats-Unis venait d’être enclenché.
153Aux yeux de Washington, c’était le pire qui pût arriver. D’un côté, sous l’impulsion de Jeane Kirkpatrick, toute la politique américaine à l’endroit de l’Amérique latine avait consisté à se rapprocher des républiques soeurs, et, plus que de toute autre, de l’Argentine. Celle-ci n’avait-elle pas accepté d’envoyer ses militaires pour entraîner, au Honduras, les contras sur lesquels Washington comptait pour faire pression sur le Nicaragua ?144 Mais, de l’autre, les Etats-Unis ne pourraient pas ne pas soutenir les Anglais. C’étaient eux qui avait été attaqués et la solidarité des démocraties commandait d’être à leurs côtés. Quelles qu’aient été, pour certains d’entre eux, les réserves ou arrière-pensées, les dix gouvernements de la Communauté avaient, le 10 avril, témoigné de façon éclatante de leur solidarité : en imposant avec une détermination inconnue par le passé un embargo total sur leurs importations en provenance d’Argentine, plaçant celle-ci, à brève échéance, dans une situation économique impossible. Au demeurant, Londres allait très vite bénéficier de la sympathie de 60 % des Américains.
154Aussi, lors de la réunion du 7 avril du NSC, une quasi-unanimité semble-t-elle s’être dégagée en faveur d’une position nuancée : dans un premier temps, les Etats-Unis devraient travailler à une médiation dans la plus stricte impartialité, mais en cas d’échec et d’ouverture des hostilités, ils devraient soutenir les Anglais. Seule, autant que l’on puisse en juger, Jeane Kirkpatrick avait alors plaidé, au nom des intérêts américains en Amérique latine, en faveur d’une totale neutralité. Haig et, plus encore, Weinberger qui, dans cette affaire, devait se révéler le partisan le plus résolu de l’Angleterre, bénéficièrent du concours du Directeur-adjoint de la CIA : non seulement, aurait rappelé ce dernier, l’Alliance avec les Anglais était infiniment plus importante que les relations avec une junte militaire à l’avenir précaire, mais l’Argentine aurait sans doute, d’ici à quelques années, des armes nucléaires. Il importait dès lors plus que jamais de la dissuader de recourir à des options militaires.145
155En réalité, l’invasion des Malouines illustrait l’échec de la politique initiale des Républicains face aux militaire argentins : ceux-ci n’avaient apparemment pas supposé que les Américains envisageraient de contrecarrer leurs desseins.
156Les chances de la nouvelle « diplomatie des navettes » dont Haig allait se charger étaient dès lors, le secrétaire d’Etat le savait, des plus limitées. Sur un point au moins, sa position était pourtant aisée : historiquement, les Etats-Unis s’étaient toujours refusés à prendre parti sur la question de la souveraineté.146 De plus, comme on l’a noté, Haig avait obtenu en principe l’acquiescement du NSC pour un soutien aux Anglais en cas d’échec des pourparlers. Pour le secrétaire d’Etat, en effet, le seul espoir était de tempérer d’un côté la fougue guerrière du Premier anglais et de convaincre, de l’autre, les Argentins que leur choix était entre un compromis et une guerre où l’appui américain garantirait la victoire aux Britanniques.
157Le 8 avril, ainsi, le secrétaire d’Etat promettait à Margaret Thatcher le soutien des Etats-Unis en cas de conflit. Bref, pas plus que Münich, Suez ne se reproduirait. Au demeurant, dès le 3 avril, les Etats-Unis avaient voté la résolution 502 que Londres avait introduite au Conseil de Sécurité pour condamner l’agression que l’Argentine venait de perpétrer.
158Pour le diplomate américain, la priorité n’en restait pas moins d’empêcher une guerre d’éclater. Sous cet aspect, son principal espoir restait les doutes que la politique de Thatcher semblait susciter dans son propre Cabinet. Pourtant leur désir de promouvoir un compromis affaiblissait, indirectement, l’influence des Etats-Unis. Car il ne reflétait que trop leur crainte d’avoir à choisir entre l’Alliance atlantique et le Pacte de Rio.
159D’emblée, en effet, l’Administration parut donner des signes de division et les Argentins furent, semble-t-il, des plus prompts à les interpréter dans le sens de leurs illusions. Le 2 avril, le jour même où l’invasion s’achevait, Jeane Kirkpatrick s’était rendue au dîner auquel l’ambassadeur argentin l’avait conviée. Par la suite, la première devait ostensiblement maintenir d’excellentes relations avec le second qui peuvent avoir poussé le diplomate argentin à induire son gouvernement en erreur quant aux intentions de Washington.
160Il reste difficile de dire si les divisions de l’Administration constituèrent un obstacle déterminant au succès des négociations. Haig lui-même devait concéder que les ennemis étaient, de toute façon, sans doute trop éloignés pour qu’il fût encore possible d’éviter les hostilités. Alors que Londres estimait que seuls des pourparlers pourraient disposer du sujet, Buenos Aires mit toujours, comme préalable à l’ouverture des premiers, un accord qui soit lui concéderait la souveraineté, soit créerait une situation où elle serait de facto réalisée.147 De plus, les Argentins étaient sans doute trop divisés pour qu’un compromis pût émerger : toute décision supposait une unanimité impossible à réaliser. Enfin, plus que du soutien américain aux Anglais, c’est de la détermination d’un pays dirigé par une femme que les Argentins allaient apparemment douter. Jusqu’à ce que le début de la guerre les aient éclairés !
161Les flottements apparents des cercles américains nuisirent peut-être à la mission de Haig néanmoins. Ils émoussèrent sa crédibilité au moment même où ses chances de succès, si tant est qu’elles aient existé, étaient à leur apogée : c’est-à-dire au cours des deux premières semaines. Plus le temps s’écoulait, en effet, plus la popularité du Premier anglais l’emportait sur les réticences de son Cabinet et plus la progression de la flotte britannique rendait probables les hostilités. Le 2 mai, alors qu’Anglais et Argentins semblaient sérieusement étudier une proposition du Président péruvien, les premiers, en coulant le croiseur General Belgrano, provoquaient un rejet des seconds aussitôt. Mais la cause était déjà entendue pour le secrétaire d’Etat américain. Fin avril, les Argentins avaient rejeté les ultimes propositions qu’il leur avait adressées. Le 30, du coup, les Etats-Unis avaient annoncé qu’à leurs yeux les pourparlers avaient échoué : ils prenaient des sanctions limitées contre les Argentins et offraient aux Anglais leur soutien.
162Le plus enthousiaste était le secrétaire à la défense : pour une fois, un pays européen réagissait comme il l’espérait. Bafoué dans sa souveraineté, il recourait sans hésiter à la force armée. La Marine américaine était, on devait plus tard le révéler, alors disposée à prêter à Londres un porte-avions, l’USS Guam, en cas de nécessité. De plus, les Américains devaient plus tard « révéler » qu’ils avaient repositionné un satellite pour lui permettre de surveiller le Sud de l’Atlantique. Mais peut-être s’étaient-ils contentés de transmettre aux Anglais les informations que les Argentins leur donnaient.148 Quoi qu’il en soit, cette aide dut jouer un rôle critique dans la victoire des Britanniques. Quelques 47,4 millions de litres de combustibles furent aussi livrés aux Anglais, en même temps que des centaines de missiles très sophistiqués et des pièces détachées. Les Britanniques devaient, il est vrai, entièrement prendre en charge les paiements de l’aide qui leur fut octroyée.
163Inversement, les Américains se servirent sans doute de l’influence que cette aide leur valait pour éviter, le plus possible, que les Argentins ne fussent trop humiliés. Fin avril, ils s’étaient faits quelque peu chahutés lors d’une réunion de l’Organisation des Etats américains (OEA) et ils ne voulaient surtout pas se couper de leurs plus proches voisins. Surtout, il leur fallait éviter que l’affaire ne servît les desseins du Kremlin. C’est ce souci qui explique sans doute l’envoi, en plein coeur des hostilités, de Vernon Walters auprès des Argentins.
164Les troupes argentines se rendirent le 14 juin et aussitôt Washington essaya de panser les plaies. Non seulement les Etats-Unis voteraient la résolution déposée par l’Argentine aux Nations unies en faveur de nouveaux pourparlers. Mais à la fin de l’année, Reagan tiendrait à se rendre personnellement en visite dans la région. Au demeurant, c’est moins avec ses voisins latins qu’avec les Anglais que l’Administration devait se heurter quelques jours seulement après la fin des hostilités.
3) Les relations avec l’URSS : la « bataille pour l’âme de l’Europe » :
« L’Afghanistan et la Pologne comme la crise économique la plus grave en Europe de l’Est auraient dû mettre l’URSS sur la défensive. Au lieu de cela, c’étaient les Etats-Unis qui se trouvaient isolés politiquement, présentés comme des fauteurs de guerre déments... »
L’historien Walter Laqueur.149
165Détruire l’impression de passivité stratégique qu’à ses yeux les Etats-Unis avaient longtemps donnée était, pour la nouvelle Administration, la priorité. Ses alliés, au demeurant, reconnaîtraient préférer l’activisme de l’Administration Reagan aux vacillations de l’époque Carter. Cela ne les empêcherait pas de s’opposer avec encore plus de vivacité à certaines des politiques que la nouvelle équipe voulait leur imposer.
166La ligne de la nouvelle Administration n’était, il est vrai, pas facile à cerner. C’était le cas de sa stratégie pour commencer. Alors même qu’elle durcissait son attitude face au camp opposé, elle allait être incapable d’utiliser aussi bien l’atout qu’auraient pu constituer ses relations avec Pékin. Haig devait ainsi déplorer qu’empêtrés par les promesses prodiguées à Taiwan durant la campagne,150 Reagan et ses conseillers ne fussent plus en mesure de développer les liens avec une Chine, suspecte pour cause de communisme. A leurs yeux, la « carte chinoise » était, il est vrai, moins vitale que par le passé. L’Occident détenait, en effet, un « jeu » susceptible d’infliger un « grand chelem » au camp opposé : c’était sa supériorité économique et technologique.
167Pour compenser une situation économique précaire, l’URSS n’avait, selon eux, pour atout que le pillage technologique et la puissance militaire. Mais celle-ci pouvait être tout autant éphémère, à condition que l’Occident prît les mesures nécessaires : d’un côté, lancer un programme de réarmement tel que l’URSS s’essoufflerait à vouloir l’imiter ; de l’autre, rendre cette course pour elle encore plus désespérée, en la privant des ressources que, dans le cadre de la détente, les Occidentaux lui avaient aveuglément dispensées.
168C’est cette stratégie que réfutaient les alliés. D’abord, parce que son impact serait, en termes commerciaux, extrêmement coûteux alors que son résultat, lui, resterait douteux : l’histoire de l’URSS ne semblait-elle pas suggérer qu’elle avait toujours été en mesure de relever de tels défis ? Et l’exemple même des Etats-Unis ne suggérait-il pas que la manipulation de l’arme économique était bien difficile pour les démocraties ?
169Ce n’était pas là le seul grief des alliés. Beaucoup ne se faisaient plus d’illusions sur le camp opposé. Mais à leurs yeux, seule une stratégie de coexistence pouvait assurer leur sécurité. Or, celle-ci impliquait un dialogue que, sous bien des aspects, la stratégie de l’Administration rejetait. Très vite, ainsi, Brejnev faisait savoir qu’il souhaitait de rapides contacts avec les dirigeants du GOP et même un « Sommet » dans des délais rapprochés. C’était exactement ce que Reagan voulait à tout prix éviter : aucune négociation ne devrait vraiment s’engager tant qu’il n’aurait pas renversé ce que Moscou eût appelé une « corrélation des forces » par trop défavorable à ses intérêts.
170L’URSS voulait se forger une image de « champion de la paix ». L’Administration allait l’y aider en paraissant alimenter les soupçons que ses adversaires répandaient ! Bientôt, à l’instar de bien des Américains et peut-être des dirigeants du Kremlin, nombreux seraient les Européens à se demander quel était son but en réalité : se contenterait-elle d’un meilleur « modus vivendi » ou n’aurait-elle de cesse avant d’avoir provoqué le renversement du communisme en Russie ? C’était là, sans doute, le principal motif de souci pour les vieux pays : une politique de pressions ouvertement destinée à « changer » l’Union soviétique n’avait jusqu’ici jamais réussi ; mais poussée à son terme, elle pouvait provoquer une réaction violente de celle-ci. Or, certains responsables des Etats-Unis avaient donné l’impression qu’ils n’en seraient pas marris.
171Sous cet aspect, l’équipe républicaine ferait sans doute figure d’« arroseur arrosé ». Et, dans la « bataille pour l’âme de l’Europe » qui s’engageait, l’URSS pourrait marquer des points inespérés.
a) De la loi martiale en Pologne aux sanctions contre les alliés :
« Les Européens vont bien rire quand nous proposerons des restrictions sur les transferts de technologie aux Russes. »
Un haut responsable du département d’Etat après l’annonce de la levée de l’embargo sur le blé.151
« Il serait vraiment tragique que le malheur de la Pologne devienne l’instrument de la désunion pour les alliés. »
Haig, le 2 mars 1982.152
172Que l’imposition de la loi martiale en Pologne ait permis à l’Union soviétique de semer la zizanie entre l’Europe et les Etats-Unis, témoigne de son talent diplomatique mais aussi des divergences profondes entre l’Amérique et les vieux pays.
173Très vite, un certain nombre de membres du NSC avaient cru déceler dans la Pologne une occasion inespérée d’infliger des coups mortels au système communiste.153 Les mêmes étaient d’ailleurs persuadés que des sanctions économiques pourraient « mettre à genoux » le camp opposé. Pour Haig, cette vision n’était qu’une dangereuse billevesée. Pour commencer, l’histoire de la levée de l’embargo sur le blé allait bientôt illustrer les limites du « levier » économique. Tous les membres de l’Administration intéressés par les relations avec l’étranger, d’Allen à Casey et de Kirkpatrick à Weinberger, semblent y avoir été opposés. Mais tous savaient aussi que, depuis la campagne, le siège de Reagan était fait et que ce serait en termes de politique intérieure que la question serait tranchée. Le 24 avril, la décision était officiellement arrêtée et le « mauvais message » transmis au camp opposé. A peine informé, Dobrynine précisait que l’URSS voulait bien négocier le nouveau contrat que Reagan lui offrait, mais à la condition expresse que l’Amérique renonce, de façon explicite, à se servir de ces livraisons à des fins politiques.
174Bref, le geste avait démontré aux alliés que pour les Américains, les intérêts économiques passaient avant les considérations stratégiques. Tout ce que Haig avait pu arracher, c’était trois mois de délai. Il avait, en effet, rappelé à Reagan qu’une levée de l’embargo ne pourrait être envisagée alors même qu’en Pologne, les nuages s’accumulaient. Dès janvier 1981, en effet, les grèves avaient recommencé et, en février, c’était un militaire, le général Wojciech Jaruzelski, jusqu’ici ministre de la Défense, qui avait été appelé à diriger le gouvernement polonais. Surtout, fin mars-début avril, certains signes avaient suggéré qu’une opération militaire soviétique était sur le point d’être déclenchée.154 Reagan s’était alors laissé persuader. Mais à la mi-avril le danger s’était dissipé et le Président s’empressait de tenir ses engagements envers les fermiers.
175Aux yeux du secrétaire d’Etat, c’était aussi le pire message qui pût être adressé aux alliés. Certes, ceux-ci étaient eux-mêmes de plus en plus partagés et à l’approche des élections, Giscard avait secrètement confié qu’il se sentait obligé d’autoriser la vente de 600.000 tonnes métriques à l’Union soviétique. Néanmoins, en mars 1981, la CEE s’était opposée au désir des Français.155 Autrement dit, la diplomatie américaine venait de prendre le contrepied de la ligne dure que certains de ses membres prêchaient.
176Haig, on l’a vu, estimait illusoire l’idée qu’une manipulation du commerce avec le camp opposé pût réellement aboutir à l’effondrement de ce dernier. Mais il redoutait encore plus que des pressions américaines ne finissent par affaiblir l’Occident, en le déchirant. Une stratégie par trop radicale à ce sujet menacerait, en effet, de faire éclater les différences de situation entre les Etats-Unis et leurs alliés. Engagé dès 1981, le débat sur le refinancement de la dette polonaise, devait le rappeler. D’un montant de l’ordre de 27 milliards de dollars (dont 11 à soutien officiel et 16 à caractère privé), elle constituait la tranche la plus vulnérable des quelque 67 milliards de créances détenus par l’Occident sur le COMECON. Alors que certains membres de l’Administration eussent souhaité voir proclamer la banqueroute de Varsovie, une telle perspective affolait les Européens, les Allemands en particulier : non seulement leurs institutions financières avaient risqué de grosses sommes de l’autre côté du « rideau de fer » mais ils redoutaient qu’une telle défaillance ne pût servir de prétexte à une intervention du « Grand Frère. » Aussi Haig avait-il persuadé Reagan de se ranger derrière une politique « modérée ». Son but : dissuader une invasion soviétique tout en préservant l’unité atlantique. A la suite de multiples et difficiles conversations entre Américains, Anglais, Allemands et Français, pour les crédits à soutien officiel, une solution avait fini par émerger : fin août, 9 milliards de dollars étaient dégagés, sur lesquels 1,1 milliards seraient fournis par les Etats-Unis et le reste par leurs alliés, l’effort le plus important étant fait par les Allemands et les Français. Mais à la fin de l’année la « solution à la polonaise » allait remettre à nu les divergences alliées.
177Les alliés étaient, en effet, parvenus à s’accorder sur les deux éventualités les plus opposées : soit le maintien (improbable aux yeux des Américains) du statu quo ante, soit une intervention directe du « Grand Frère. » Mais aucun consensus n’avait pu se dégager en cas de situation intermédiaire. L’impasse sur ce point avait été si entière qu’à l’automne 1981, quand leurs services de renseignements les informèrent des préparatifs de cette dernière, les Etats-Unis auraient négligé d’en avertir leurs partenaires.
178Au surplus, Washington ne semble pas avoir connu la date exacte à laquelle l’imposition de la « loi martiale » était prévue. Certes, ses dirigeants avaient probablement très vite su la façon dont Moscou tirait les ficelles : les « affiches » avaient été préparées dans la capitale soviétique dans le plus grand secret et des représentants de la Russie avaient reçu en grand nombre des uniformes polonais. Mais si la décision finale avait été arrêtée dans la dernière semaine de novembre, Jaruzelski avait sans doute attendu un prétexte pour frapper. Celui-ci lui fut fourni le 12 décembre, après que Solidarité eut tenu, à Gdansk, un meeting plutôt agité. Quelques heures après, Walesa et nombre d’autres dirigeants du syndicat étaient arrêtés. Le 13, la « loi martiale » était officiellement imposée.
179Une fois informé, Haig s’attacha à prévenir un éclat entre les « durs » de l’Administration et les alliés. Comme il se trouvait à Bruxelles, il organisait une rencontre immédiate avec ses collègues anglais, allemand et français. Mais, de toute évidence, l’Occident était mal informé et, dans ces conditions les alliés refusaient de trop s’engager. « Bien entendu, nous ne ferons rien » devait déclarer en public le ministre français qui devait évoluer après qu’une manifestation eut rassemblé à Paris un demi-million de personnes indignées et tous les courants politiques à l’exclusion du P. C.156 Mais les Allemands, plus encore, renâclaient. La nouvelle éclatait alors même que Schmidt rendait visite au premier secrétaire du PC de la RDA, Erich Honecker. C’était la première fois qu’une telle rencontre réunissait les deux plus hauts responsables allemands. La coïncidence soulignait, si besoin était, le dilemme auquel la RFA se trouvait toujours plus confrontée. Schmidt, il est vrai, ne donna guère l’impression d’hésiter : le 13, en effet, il poursuivait les pourparlers comme si de rien n’était.157 Au demeurant, les Allemands devaient être inquiets : « pour Moscou et le bloc soviétique, aurait confié Genscher à Haig, c’est la situation la plus dramatique à laquelle ils aient jamais été confrontés.>>158
180Aussi Haig devait-il, pour commencer, chercher à éviter toute réaction précipitée. De retour à Washington, le 13 dans la soirée, Reagan se contentait d’un commentaire modéré. Mais à son arrivée dans la capitale, le secrétaire d’Etat découvrit que rien n’était définitivement gagné. A ses yeux, seule une politique combinant prudence et fermeté pourrait obtenir un soutien unanime des alliés. Mais Bush, Casey, Kirkpatrick et Weinberger voulaient voir de sévères « sanctions » adoptées. Il fit valoir à Reagan qu’un embargo total reposerait le problème des exportations de céréales. Finalement, il l’emportait. Dans son Message de Noël du 23 décembre, le Président annonçait un certain nombre de sanctions économiques contre le gouvernement polonais. Il invitait aussi les familles américaines à placer une bougie à la fenêtre de leur maison en signe de solidarité. Mais tout en dénonçant avec force détails la complicité de la Russie, il offrait encore une aide humanitaire à Varsovie et révélait avoir écrit à Brejnev pour lui demander d’arrêter une politique nuisible pour les relations entre leurs deux pays.159
181La réponse du Soviétique semble avoir surpris les Américains par sa brutalité. Aussi, le 29 décembre, le Président annonçait-il toute une nouvelle série de sanctions à l’encontre de l’URSS désormais. Pourtant celles-ci n’eussent eu qu’une dimension symbolique si une autre mesure ne leur avait été ajoutée : « Des licences, avait aussi déclaré le Président, seraient exigées pour l’exportation à destination de l’Union soviétique d’une nouvelle série d’équipements concernant l’industrie du gaz et du pétrole. La délivrance de telles licences sera en outre suspendue ; cela concerne notamment l’équipement servant à la construction des gazoducs, »160
182Cette décision allait être à l’origine d’une violente querelle entre Washington et ses alliés. Elle avivait, en effet, une des plus profondes divergences qui les opposait : celle sur le commerce avec le camp opposé. Aux yeux des « durs » dirigés par Weinberger, l’Occident jusqu’ici n’avait que trop aidé l’URSS à dépasser les impasses où sa politique militaire forcenée aurait dû la mener : en lui assurant des rentrées de devises fortes, des transferts de technologie et des termes scandaleusement favorables en matière de crédit. Depuis 1974, les gouvernements ouest-européens n’avaient, il est vrai, guère hésité à renforcer, par l’octroi de taux privilégiés, l’avantage de leurs nationaux sur des concurrents américains que, la même année, l’interdiction des prêts de l’Eximbank à la Russie avait handicapés. En juillet 1980, les Etats-Unis avaient arraché un geste à leurs partenaires : ceux-ci augmentaient de 3/4 de point (de 7,75 % à 8,5 %) le taux des prêts octroyés au camp opposé.161 Mais en 1982, un ouvrage bien informé pouvait encore remarquer : « Non seulement, les taux minimum définis entre Occidentaux dans le cadre du consensus de l’OCDE conclu en 1978 sont très faibles, mais de plus, la tendance à tourner cet accord semble très nettement s’accentuer. »162
183Aux yeux de Washington, ces crédits bon marché constituaient autant de « subventions » au militarisme du camp opposé. Haig, il est vrai, avait convaincu Reagan de ne pas bousculer les alliés mais de rechercher un consensus avec ces derniers. Il n’avait, au demeurant, pas totalement échoué. D’abord, lors du Sommet d’Ottawa, l’importance du problème avait été solennellement rappelée et Reagan aurait obtenu in extremis que les termes du communiqué sur le sujet fussent encore renforcés :163 « Nous sommes tombés d’accord, était-il proclamé, sur la nécessité de nous consulter et, le cas échéant, de coordonner nos actions afin de nous assurer qu’en matière de relations Est-Ouest nos politiques économiques restent compatibles avec nos objectifs politiques de sécurité. »164
184Cette déclaration s’accompagnait d’un geste concret : la tenue de la première réunion ministérielle du COCOM depuis les années 1950 avait été décidée. C’était le résultat d’une offensive activement menée. Les Américains avaient obtenu, en effet, de leurs alliés la création, dans le cadre de l’OTAN, d’un groupe d’études « ad hoc », AC-134, destiné à établir une liste des technologies sensibles, base d’un code de « bonne conduite ».165 La réactivation du COCOM s’inscrivait dans cette politique, cette organisation devant servir de bras séculier à l’entreprise. Dès juin 1981, les Etats-Unis y avaient d’ailleurs fait adopter plusieurs de leurs propositions, dans le cadre du Sous-Comité pour le contrôle des exportations.166 En dépit des réticences des Français qui redoutaient que de nouvelles normes ne servent aux Etats-Unis à accentuer la dépendance technologique et donc politique de leurs alliés,167 la rencontre de janvier permettait en apparence des progrès : en mai, l’Administration affirmait ainsi devant le Congrès qu’une intense activité y avait été lancée pour améliorer les contrôles, mettre à jour la liste des productions stratégiques et prévenir le flux de haute technologie.168
185Pourtant, aux yeux des plus durs des Américains, les choses stagnaient et l’imposition de la loi martiale leur semblait l’occasion ou jamais d’enfin appliquer les mesures qui, à leurs yeux, s’imposaient. Inversement, Haig devait multiplier les efforts pour éviter tout heurt avec le vieux continent. A la mi-janvier 1982, il obtenait, non sans peine, un communiqué acceptable de la part des alliés. Ceux-ci reconnaissaient la main de Moscou dans la répression subie par les Polonais. Pour les Etats-Unis, c’était bien le moins qui pouvait être fait : selon Haig, « Moscou avait informé les gouvernements de tous les pays du bloc soviétique que la loi martiale serait appliquée en Pologne avant même que les Russes l’aient annoncé au gouvernement polonais. »169
186Mais certains alliés avaient longtemps paru préférer s’en tenir à la version officielle des faits : elle leur épargnait le risque d’une confrontation qui les inquiétait. Au demeurant, la « loi martiale » leur paraissait un moindre mal par rapport aux interventions de l’URSS dans le passé. Pourtant, le 4 janvier, les ministres des Affaires étrangères des « Dix » s’entendaient pour souligner « les graves pressions extérieures, ainsi que la campagne menée par l’Union soviétique et d’autres pays de l’Est contre l’effort de renouveau en Pologne. »170 Le 6, de passage à Washington, Schmidt lui-même adhérait à cette version des faits. Le 11, une réunion de l’OTAN pouvait donc déplorer la « campagne constante » de la Russie pour écraser le réformisme naissant à Varsovie. De plus, les alliés s’engageaient à ne pas entraver les sanctions que l’Amérique avait décidées ; ils acceptaient de suspendre les crédits commerciaux à la Pologne (sauf pour les achats de nourriture) et suspendaient les négociations sur le rééchelonnement de la dette.
187A ce moment, Haig exultait : « Les Etats-Unis ne sont pas seuls » déclarait-il à la presse le 12 janvier. Pourtant son optimisme paraîtrait bientôt mal fondé. Pour commencer, certains Européens, les Allemands en particulier, n’allaient pas toujours manifester une indignation enflammée face au sort du peuple polonais. Certes, dès le 13 décembre, le Bundestag s’était empressé de condamner le coup d’Etat. Mais Schmidt avait longuement hésité avant de reconnaître la responsabilité soviétique. Et des journaux comme Stem ou Der Spiegel, qui représentaient dix millions de lecteurs, avaient paru faire assaut d’anti-américanisme fin décembre – début janvier.171 Par ailleurs, en dépit des suggestions que les Américains semblent avoir avancées, les Européens s’étaient refusés à boycotter la nouvelle CSCE qui se déroulait à Madrid depuis plus d’une année.172 Si la rencontre devait être pourtant reportée, ce serait à l’initiative du camp opposé ! Le 9 février 1982, le Président polonais empêchait Claude Cheysson de parler.173 En mars, un terme était ainsi mis à une session que le représentant américain, Max Kampelman, qualifiait d’« affligeante. »174 Mais l’on prévoyait de se revoir en novembre.
188Comme on peut s’en douter, le clan des « durs » était tout sauf satisfait. Dans un article publié dans le New York Times des 17 et 18 janvier, Kissinger avait lui-même apporté un démenti cinglant aux dires de son ancien subordonné et critiqué « le vide de la réaction occidentale ». De même, une majorité d’Américains était désenchantée devant la faiblesse des efforts alliés.175
189Bref, la Pologne renforçait la conviction de ceux qui pensaient que les Etats-Unis ne devaient plus se laisser paralyser par la pusillanimité de leurs alliés. Plus que jamais, le temps leur avait paru arrivé de forcer l’URSS soit à rembourser les intérêts que Varsovie n’était plus à même de payer, soit de se résigner à l’effondrement économique du régime polonais. Haig devait détourner Reagan de cette idée qui effrayait, évidemment, les alliés. Comme, en avril 1982, Robert Hormats, secrétaire d’Etat-adjoint, devait le noter, un consensus s’était réalisé « sur le fait que le meilleur moyen de maintenir la pression sur le gouvernement de Varsovie et sur l’URSS était d’insister pour que les Polonais paient leurs dettes. »176
190Dans la pratique, le gouvernement polonais parviendrait, en 1982, à arracher aux banques privées un accord de rééchelonnement que ces établissements, en 1981 encore, avaient refusé. Inversement, les gouvernements alliés étaient tombés d’accord, dès janvier, pour suspendre tout nouveau crédit ainsi que l’accord de rééchelonnement conclu, en 1981, avec Varsovie. Le résultat ne serait pas sans ironie. La Pologne proclamerait, en effet, un arrêt des paiements de son côté. Elle bénéficierait ainsi d’une sorte de « moratoire gratuit » tandis que le gouvernement américain devrait assurer le remboursement des prêts qu’il avait garantis à ses banquiers.177 Evidemment, cette sollicitude pour les intérêts des banques et des alliés devait provoquer des réactions passionnées : le Président de la centrale AFL-CIO viendrait déplorer que les « idéologues anti-communistes » eussent été battus, dans cette affaire, par les intérêts « commerciaux et bancaires. »178
191Bref, la querelle opposait tout autant les Américains entre eux qu’à leurs alliés. Bientôt, aux Etats-Unis, un Emergency Committee for American Trade allait être créé par 63 firmes multinationales décidées à contrer l’offensive dont le commerce avec l’Est était l’objet. Le 10 mars 1982, la Heritage Foundation déplorait le soutien que la Chambre de Commerce américaine avait paru apporter à un projet, le gazoduc de Yamal, que les Européens de l’Ouest devaient construire avec le camp opposé.179 Le 5 février 1982, en effet, la seconde avait mis en garde le Président contre une extension des sanctions aux firmes ouest-européennes utilisant, à un titre ou à un autre, de la technologie américaine. Une telle éventualité, avait-elle expliqué, soulèverait « de sérieuses implications pour la politique économique étrangère des Etats-Unis et nos relations commerciales à l’échelle mondiale. »180
192A ce moment, en effet, le débat sur le gazoduc était au coeur de l’actualité. Plus que tout autre, il est vrai, ce projet incarnait le modèle des échanges Est-Ouest : livraison au second des matières premières et produits énergétiques contre des prestations financières et des fournitures technologiques. Plus que tout autre, surtout, il reflétait le divorce progressif des attitudes américaine et européenne. Il n’était, en effet, rien d’autre qu’un succédané à un autre projet, North Star, que les Américains avaient imaginé pour transporter chaque année 20 milliards de BCM de gaz soviétique liquéfié du champ sibérien de l’Urengoï (dans la péninsule de Taz en Sibérie occidentale) vers l’Amérique.181 Pièce maîtresse de la détente, North Star avait pâti du désenchantement américain avec celle-ci. Mais les Européens, qui recevaient déjà, grâce à un premier gazoduc, du gaz soviétique, s’étaient précipités sur une opportunité qu’ils avaient sans doute regretté de ne pas avoir pu saisir les premiers.182 Dès 1978, les plans du gazoduc avaient été dessinés mais c’est en 1980 que les négociations s’étaient accélérées ! En fait, les Européens y avaient surtout vu une occasion de diversifier leurs approvisionnements en combustibles. Les « chocs » pétroliers n’étaient pas, on s’en doute, étrangers à l’idée, de même que les démêlés sur les prix du gaz libyen ou algérien. L’effondrement, en 1979, d’un autre grand projet, le deuxième gazoduc soviéto-iranien (IGAT II, destiné à assurer l’approvisionnement de l’URSS en gaz iranien en échange de livraisons de gaz soviétique aux pays ouest-européens) n’avait pu que renforcer un intérêt évidemment entretenu par la diplomatie du Kremlin. Alors même qu’elle entendait mettre désormais l’accent sur le gaz, dans son développement énergétique,183 l’URSS ne pouvait que se réjouir de l’entrée régulière de devises que les achats européens assureraient comme de la technologie et des crédits bon marché que la construction du gazoduc lui procurerait.
193Aux yeux des adversaires du commerce avec le camp opposé, le gazoduc avait toujours incarné les périls de ce dernier. Après tout, c’était en janvier 1980, en plein embargo américain, que les représentants des entreprises Krupp et BP Allemagne s’étaient rendues à Moscou pour y négocier la vente de tubes et l’octroi de crédits en échange de fournitures supplémentaires de gaz : le rendez-vous, avait expliqué les Allemands, avait été pris avant l’invasion de l’Afghanistan.184 C’était en juillet que Schmidt avait donné son accord pour un prêt de 4,75 milliards de dollars pour la réalisation du projet.185
194Aussi ce dernier avait-il très vite été une cible pour Weinberger et Casey. A Ottawa, déjà, Reagan n’avait pas caché l’inquiétude qu’il lui inspirait. Mais ses efforts, encore modérés, n’avaient pas été couronnés de succès. D’abord Haig s’était opposé à toute pression dure sur les alliés. Lui-même n’aimait sans doute pas le projet. Mais il ne pouvait oublier que, lorsque, comme SACEur, il s’y était opposé, il s’était vu contredit par Carter : celui-ci n’avait-il pas paru donner le « feu vert » au projet en autorisant Caterpillar à y participer ? Par ailleurs, Reagan lui-même, en omettant de le condamner d’emblée, pouvait paraître l’avoir implicitement approuvé. Surtout, de toute évidence, les alliés y tenaient et les Américains n’avaient pas grand chose à leur offrir pour les en détourner. A l’automne 1981, une mission, conduite par Myer Rashish, sous-secrétaire d’Etat aux Affaires économiques, avait tenté de les persuader qu’il existait des sources d’approvisionnement mieux adaptées.186 Mais les Européens s’étaient dérobés et Haig, lui-même, estimait qu’on ne pouvait les en blâmer.187 Dès lors, le seul moyen eût été de les contraindre. C’était, en effet, de l’avis de certains experts le seul domaine où une politique unilatérale de l’Amérique pouvait peser.188
195Manifestement, Haig était inquiet : il ne fallait pas que Reagan apparût comme le premier Président à avoir imposé sa volonté aux alliés. Reagan, il est vrai, parut longtemps vouloir s’en tenir à une ligne modérée. Le 20 novembre 1981, Schmidt pourrait encore célébrer la signature du contrat sans provoquer, de la part de Washington, de véritable éclat. Les Européens, il est vrai, avaient donné quelques signes de bonne volonté. Le gouvernement français avait demandé à renforcer les contrôles internes sur le transfert des technologies sensibles et à l’automne 1981, il avait arraché la renégociation d’un contrat d’équipement qu’il ne jugeait pas satisfaisant.189 Surtout, à cette époque, le projet de Yamal avait été nettement amputé : un seul gazoduc, et non pas deux, desservirait les alliés, la quantité annuelle à livrer ayant été abaissée de 40 à 30 milliards de BCM, dont 21 seulement allaient faire l’objet de contrats fermes.
196C’est pourtant à ce moment que le projet allait dominer le débat sur le commerce avec l’autre camp. Sous cet aspect, la Pologne allait servir de prétexte ou d’argument pour les « durs » de l’Administration qui souhaitaient son annulation depuis longtemps et placer Haig dans une situation difficile face aux siens comme face aux Européens.
197Après la réponse peu amène de Brejnev, Haig s’était résigné à un embargo qui allait fatalement affecter le projet. Les sanctions touchaient quelque 200 tracteurs poseurs de tubes dont la firme Caterpillar s’était assuré le marché qu’elle perdrait, par la suite, au profit d’un concurrent japonais et 125 turbines utilisées dans les stations de compression pour pomper le gaz tout au long des canalisations. Ces turbines, fabriquées par les firmes John Brown, en Grande-Bretagne, AEG Kanis en RFA et Nuovo Pignoge en Italie, devaient être équipées de rotors de la General Electric.190 Les sanctions soulevaient, ici, des problèmes critiques : pour commencer, les sociétés européennes pourraient-elles utiliser les 25 rotors que les firmes américaines leur avaient déjà livrés ? pourraient-elles ensuite recourir aux rotors fabriqués par Alsthom Atlantique sous licence de General Electric ?
198Quand Haig avait donné son aval à l’embargo, il était persuadé que les Européens disposaient d’assez de machines ou de matériels en cours de fabrication pour pouvoir se retourner. « Je n’avais pas un seul instant imaginé que la décision présidentielle pourrait avoir un effet rétroactif... »191 Pourtant, un haut fonctionnaire du Commerce devait émettre un avis opposé auquel, « de façon inexplicable », l’Administration allait se ranger. Aussitôt, avec l’appui de Regan, Baldridge et Brock, le secrétaire d’Etat obtenait de Reagan que la décision fût suspendue et des négociations engagées. Mais il était clair que les nuages s’amoncelaient.
199Plus que jamais, en effet, les « durs » de l’Administration paraissaient décidés à obtenir l’élimination d’un projet qu’ils détestaient. Mais plus que jamais, aussi, les Européens semblaient déterminés à ne pas y renoncer. Bien au contraire. La France signait son contrat avec Moscou le 22 janvier, imitée par l’Italie quelques jours après ! Paris semblait ainsi ouvertement défier les Etats-Unis. L’affaire aurait provoqué la colère du Président français qui jugeait des plus maladroites la date que « Gaz de France » avait acceptée pour la signature du projet. Mais sur le fond, aucune objection de principe ne semble avoir été soulevée du côté de l’Elysée.192 De passage à Londres le 29 janvier, Haig constatait à quel point les Anglais étaient, eux-aussi, déterminés : « La Grande-Bretagne et les autres membres de l’Alliance, lui rappela Margaret Thatcher, souhaitaient désespérément suivre les Etats-Unis... Mais c’était trop leur demander que de porter atteinte à leurs propres économies et à leur intérêt pour soutenir une politique qui ne dérangerait pas particulièrement Moscou. »193
200Quant aux Allemands, ils n’offriraient pas de faille dans cette rare démonstration d’unité du vieux continent. Non seulement ils avaient un intérêt particulier au maintien de bonnes relations avec l’autre camp, mais ils ne pouvaient sans doute oublier un fameux et fâcheux précédent ! En octobre 1962, trois firmes allemandes avaient signé un contrat pour la construction d’un oléoduc en Union soviétique. Au grand dam de l’Amérique, alors que celle-ci, dans l’atmosphère de la crise de Cuba, entendait punir les Soviétiques. Bousculé par l’Administration Kennedy, Adenauer avait contraint ses sociétés à renoncer au projet. Mais à un prix politique des plus élevés ! L’affaire avait laissé une leçon que les Allemands n’étaient pas prêts d’oublier : non seulement les autres alliés avaient honoré la partie du contrat qu’il leur revenait, mais les Soviétiques, loin de s’en trouver handicapés, s’étaient dotés de la capacité industrielle nécessaire pour fabriquer les tubes de gros diamètres que la RFA aurait dû leur livrer.194
201Mais, outre-atlantique, Reagan était de plus en plus sensibilisé aux arguments des partisans d’un durcissement. Certes, en 1981, il avait encore autorisé la vente de quelques équipements lourds, contre l’avis du Pentagone. Mais il était de plus en plus enclin à penser que la grande erreur de l’Occident avait été de sauver d’une débâcle autrement inévitable le camp opposé. Sur ce plan, son évolution serait achevée au printemps : le 20 mai 1982, il signait la directive NSDD-32 : l’Amérique devrait utiliser désormais ses moyens économiques pour « neutraliser » l’expansionnisme et « affaiblir le système d’alliances » de l’Union soviétique.195
202En fait, il était de plus en plus clair que le seul moyen d’éviter un « clash » sur le gazoduc avec les alliés serait d’obtenir d’eux, en échange d’un « feu vert » américain, une révision de leur attitude générale sur le commerce avec le Kremlin. Haig allait s’atteler à promouvoir cette idée. Sans grand succès. Difficile à organiser (elle devait être par deux fois reportée), une tournée en Europe du sous-secrétaire d’Etat James Buckley ne devait, à la mi-mars 1982, guère réaliser de progrès.196 En mai, comme « Versailles » approchait, Haig obtenait de Reagan ce qu’il lui avait demandé depuis février : l’envoi de George Shultz, l’homme qui, du côté américain, avait préparé Rambouillet, auprès des alliés.197
203Pourtant, les positions restaient toujours éloignées. Certes, les alliés avaient fait quelques gestes de bonne volonté et accepté de discuter, dans le cadre de l’OCDE, des subventions aux taux d’intérêt. Mais les « durs » n’étaient toujours pas satisfaits et à l’approche du Sommet, Haig lui-même croyait bon d’avertir les alliés : à défaut d’une entente sur la question des prêts subventionnés, l’application de sanctions rétroactives serait sans doute difficile à éviter.
204A Versailles, donc, les Américains arrivèrent avec l’intention d’arracher un engagement formel à leurs partenaires. En gros, eux-mêmes semblent avoir été prêts à renoncer aux sanctions contre la promesse des alliés de ne plus conclure de projet d’une ampleur comparable au gazoduc (empêcher la construction d’un troisième projet alors étudié aurait été pour eux l’objectif plancher), d’accepter un contrôle sur les transferts de technologie sensible et de supprimer les crédits trop bon marché. Mais Haig semble avoir estimé que les Etats-Unis pourraient faire un geste en matière monétaire de leur côté. Son idée était de s’assurer ainsi le concours des Français dont la monnaie était menacée. Mais ses vues s’étaient heurtées à l’hostilité de Clark et de Weinberger. Le secrétaire d’Etat semble néanmoins avoir essayé d’enlever une solution à l’« arraché » lors d’une réunion ministérielle tenue à la veille du Sommet. Le lendemain, une dure partie s’engageait, à la fin de laquelle, apparemment, le compromis était adopté.
205D’un côté, ainsi, les chefs d’Etat et de gouvernement se disaient « prêts, si nécessaire, à procéder à des interventions sur les marchés des changes pour contrecarrer des situations de désordre, selon les dispositions de l’article 4 des statuts du FMI » et ils affirmaient « essentiel d’intensifier » leur coopération économique et monétaire.198 De l’autre, ils étaient « convenus de conserver à l’égard de l’URSS et des pays d’Europe orientale une approche prudente et diversifiée, compatible avec nos intérêts politiques de sécurité. » Ils s’engageaient en particulier à « gérer avec prudence les relations financières » avec les pays de l’autre côté du rideau de fer.
206L’accord, pourtant, restait précaire. Aucun des principaux protagonistes ne semblait avoir compris l’importance que l’autre attachait à l’engagement qu’il lui avait arraché.199 Aussi le compromis allait-il éclater à l’épreuve des faits. Ce furent les Américains qui tirèrent les premiers. Donald Regan, qui n’avait pas participé à la séance plénière nia que les Etats-Unis aient pris le moindre engagement à l’égard de leurs partenaires. Quelques jours après, Paris, qui avait déjà dû procéder à un ajustement le 4 octobre précédent, devait une nouvelle fois déprécier le franc et annoncer des mesures de « rigueur » qui constituaient un véritable tournant. La réplique ne pouvait tarder. Bientôt, Mitterrand lui-même annonçait que rien, non plus, n’était changé sur le commerce avec le camp opposé. En même temps, il remettait en question l’utilité des Sommets, à ses yeux peu féconds et étouffés par une excessive publicité.
207Haig avait alors perdu toute crédibilité auprès du Président et de ses conseillers. De plus, Reagan avait été agacé par l’ennui non dissimulé que Schmidt avait ostensiblement affiché lors d’une réunion privée des leaders de l’OTAN à Bonn, ennui que, selon Thierry Pfister, Margaret Thatcher aurait partagé.200 Il était maintenant ulcéré par ce que ses conseillers considéraient comme une rebuffade du Président français. Surtout le juge Clark était alors complètement converti au point de vue des « durs » comme Weinberger. C’est lui qui aurait convoqué une réunion du NSC pour le 18 juin, en l’absence du secrétaire d’Etat américain. La partie était déjà jouée : le Président décidait l’extension de l’embargo non seulement aux filiales des compagnies américaines, mais aussi aux firmes étrangères, travaillant sous licence américaine ! Qui plus est, ces sanctions seraient appliquées même aux produits exportés par les Etats-Unis à une époque où il n’existait aucune restriction sur le transfert de leur technologie.201 Moins d’une semaine après, le secrétaire d’Etat, que la crise libanaise avait achevé de marginaliser, démissionnait.
208« Mesure unilatérale, extraterritoriale, rétroactive, – bref exorbitante » s’exclame Régis Debray.202 Et, à dire vrai, c’est bien un tollé que la décision va soulever. Aux Etats-Unis, elle suscita sans doute les applaudissements de l’Extrême-Droite. Mais 15 % seulement du public devaient l’approuver203 et les élus des Etats que les sanctions affectaient en profitèrent pour leur manifester, une fois encore, leur hostilité. Le 18 juin, la Chambre de Commerce s’était inquiétée des mesures « unilatérales qui aboutissent à pénaliser l’industrie américaine au profit de ses concurrents commerciaux. » Mais le 1er juillet, elle s’alarmait de l’impact des sanctions sur l’image des fournisseurs américains à l’étranger.204
209A dire vrai, ces inquiétudes n’étaient pas injustifiées. A l’Est, les sanctions entraînaient une offensive nationaliste où les Soviétiques se disaient déterminés à achever le gazoduc dans les deux années avec ou sans les rotors de General Electric. Chez les alliés, la décision rassembla contre elle une étonnante unanimité. Fin juin, les dix chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté mettaient directement en doute, l’utilité des Sommets.205 Ils semblaient pourtant, encore à ce moment, prêts à faire un geste de bonne volonté. Témoignant le 21 juillet 1982 devant une Commission du Congrès, Robert Hormats rappelait que le 30 juin, dans un accord qui n’avait peut-être pas reçu toute la publicité qu’il méritait, les alliés avaient concédé une substantielle augmentation des taux d’intérêts sur les crédits subventionnés.206
210Pourtant, les Américains ne devaient pas bouger. Alors même qu’Européens et Américains s’affrontaient durement sur l’acier, le climat ne pouvait que s’envenimer. Le 23 août, le gouvernement français donnait instruction à ses sociétés d’honorer leurs contrats comme si de rien n’était. Deux jours après, le gouvernement italien suivait. Encore une semaine, et c’était au tour des Anglais. C’était une victoire amère pour Lawrence Eagleburger : lors de la réunion du NSC, il avait opposé son scepticisme à Weinberger qui prétendait que les Britanniques n’oseraient se rebeller contre une Administration qui, dans la guerre des Malouines, les avait tant aidés.207 Quant à Schmidt, qui s’était précipité aux Etats-Unis mais qui s’était vu refuser un entretien avec Reagan officiellement trop occupé, il avait affirmé que le gazoduc serait construit quoi qu’il pût arriver.208 Et bientôt, les Européens étaient soutenus par les Canadiens et les Japonais. Bref, l’URSS remportait, gratuitement, un succès inespéré. Les démocraties s’étaient montrées non seulement divisées mais toutes, à un degré ou un autre, aveuglées par leurs intérêts.
211A strictement parler, il semble bien que les Américains aient eu le droit de leur côté. Comme un document adressé le 29 septembre 1982 à une Commission du Congrès le rappelait, l’Export Administration Act devrait être observé : « Les règlements concernant la réexportation des biens ou données techniques américaines avertissent clairement les exportateurs et importateurs étrangers avant l’exportation des Etats-Unis que les expéditions qui suivront seront soumises aux contrôles en vigueur au moment de leur réexportation. »209 Interprétation que devait contester un mémorandum remis le 12 août par la Communauté. De toute façon, que la décision fût juridiquement fondée ou non, elle bafouait l’idée même de concertation. D’abord, les Américains ne paraissaient guère se soucier des pénalités que les firmes européennes pourraient se retrouver contraintes de verser si leurs contrats n’étaient pas honorés.210 Surtout, ils n’eussent sans doute guère accepté de voir leurs firmes ainsi subordonnées aux décisions unilatérales d’un autre pays.
212Sur le fond, en réalité, les arguments s’équilibraient. D’abord, les sanctions américaines intervenaient alors même que l’Europe occidentale limitait, globalement, sa dépendance du commerce avec l’autre camp. Si, de 1979 à 1982, le pourcentage des importations des pays européens de l’OTAN en provenance du pacte de Varsovie s’était légèrement accru de 4,1 % à 4,5 %, c’était une évolution contraire que les exportations avaient connue : de 4 % à 3,3 %.211
213Le risque de « dépendance » énergétique ne pouvait être ignoré. Mais n’était-ce pas, aussi, pour limiter cette dépendance en diversifiant leurs sources d’approvisionnements étrangers que les Européens s’étaient intéressés au projet ? Au demeurant, la dépendance de l’URSS serait infiniment moins importante que celle de l’OPEP quantitativement.212 Le risque ne pouvait être ignoré pour autant. Déjà l’URSS avait effectivement cherché à utiliser ses livraisons d’énergie pour exercer une pression politique sur la Finlande, la Chine, Israël et la Yougoslavie et, en avril 1980, un de ses hauts responsables avait menacé de « fermer le robinet du gaz naturel » si l’Allemagne appliquait les sanctions que Washington voulait voir adoptées.213 Les alliés pouvaient rétorquer que cette dépendance serait largement partagée : après tout, l’URSS n’attendait-elle pas, de l’aveu même des Américains, le flux régulier de devises que ses livraisons devaient lui assurer ? En fait, dans la plupart des cas, leur vulnérabilité serait fonction des disponibilités en sources de remplacement et de leur capacité technique à passer d’une source à l’autre sans retard ni difficultés.
214Economiquement, les avantages et inconvénients semblent avoir été tout aussi partagés. D’un côté, l’URSS allait profiter, à n’en pas douter, d’une technologie occidentale utile et surtout de crédits (7,8 %) très bon marché. De l’autre, les pays ouest-européens pouvaient penser qu’ils s’assuraient des approvisionnements à des prix largement compétitifs par rapport à ceux des sources de remplacement.214 Ils sauvaient aussi l’emploi dans un secteur, la sidérurgie, en désarroi depuis longtemps et dans des régions au marasme inquiétant.215
215En fait, la première erreur de l’Administration avait été de trop identifier un problème global et important, celui des relations commerciales avec le camp opposé, à un projet déjà très avancé auquel les Européens n’entendaient pas renoncer et sur lequel les avis étaient, aux Etats-Unis mêmes, des plus partagés. Publié en avril 1982, un rapport de la Commission trilatérale n’avait-il pas cautionné le projet ?216 Mais, lors de la discussion à Tokyo le 6 avril 1982, la crainte avait aussi été exprimée que dans cette étude trop « économiste », les dimensions politique et stratégique n’aient été sous-estimées.
216C’était là, sans doute, qu’était le point fort de la position américaine : le Kremlin pouvait largement interpréter comme un signe de faiblesse la politique commerciale et financière européenne. Mais les efforts de l’Administration pour corriger cette dernière furent si maladroits et unilatéraux qu’ils affaiblirent, loin de la renforcer, la position des Occidentaux. Tout d’abord, son argumentation ne cessa d’évoluer : elle reprocha aux Européens d’accorder leur caution à la loi martiale, puis de prendre le risque d’une dépendance énergétique excessive, ensuite d’offrir aux Soviétiques un moyen d’échapper aux goulots d’étranglement qui les menaçaient, enfin de fournir les devises fortes seules susceptibles de reculer l’inéluctable effondrement du camp opposé.217 De plus, les Etats-Unis ne donnèrent pas, dans leur conduite de l’affaire, l’image d’un leader cohérent. Déjà, deux mois avant le Sommet, les responsables de l’Administration avaient donné l’impression qu’une tentative pour bloquer les exportations n’était pas envisagée.218 Et Haig devait lui-même noter que bien que la question du pipe-line n’ait pas été abordée lors du Sommet, « il fut implicitement admis que les Etats-Unis n’exerceraient pas de sanctions rétroactives. »219
217Enfin, quand Reagan eut décidé de renverser sa position à ce sujet, Clark refusa d’écouter la requête de Haig, transmise par Eagleburger : prévoir un délai d’application afin de permettre aux Etats-Unis d’informer les alliés et d’atténuer le choc que la nouvelle provoquerait. L’Administration tenait au contraire à frapper les Européens de plein fouet. Quelques heures seulement après que la décision eut été arrêtée, la presse en était informée.
218Les Américains n’hésitèrent donc pas à user d’un unilatéralisme brutal à l’égard de leurs alliés. Or, le « châtiment » parut illustrer, de façon caricaturale, la tendance des Américains à appliquer au monde entier des règles dont eux-mêmes s’exemptaient : en août 1982 le jour même où le sous-secrétaire au Commerce confirmait devant une Commission du Sénat l’intention de l’Administration d’imposer les sanctions, Reagan décidait de prolonger d’un an le contrat annuel de livraison de blé à l’URSS ; le 15 octobre 1982, le jour même où le Président se disait prêt à vendre 23 millions de tonnes de blé (soit trois fois les obligations existantes) au Kremlin, les services des douanes américains saisissaient pour 3 millions d’équipements destinés au gazoduc sibérien.220
219Les Européens, il est vrai, ne s’étaient jamais engagés à renoncer à changer leur politique commerciale contre l’embargo sur le blé. Au demeurant, n’était-ce pas François Mitterrand qui, en 1980, avait déclaré : « J’admets les sanctions technologiques et je répugne aux sanctions alimentaires, qui sont d’ailleurs le plus souvent inopérantes » ?221 Les Européens ne devaient guère non plus afficher un zèle acharné à vérifier les rumeurs selon lesquelles des détenus du Goulag seraient utilisés à la réalisation du projet.222 Peut-être, aussi, avaient-ils tendance à minimiser les aspects les plus stratégiques de ce dernier : très relative, le plus souvent, la dépendance énergétique du vieux continent, pourrait prendre un sens beaucoup plus inquiétant au cas où l’URSS réussirait à déstabiliser le Moyen-Orient. Surtout, leur scepticisme face à la diplomatie économique ne tournait-elle pas à l’aveu d’impuissance alors que sa propre stratégie de défense semblait déchirer l’Alliance ?
220Or, la réaction unilatérale dans laquelle l’Administration s’était précipitée ne pouvait qu’empoisonner l’atmosphère à un moment où l’OTAN était confrontée à une crise de la dissuasion sans pareille par le passé.
b) De l’équilibre de la terreur à la terreur de l’équilibre :
« Les armements de l’URSS et de ses satellites étaient volontiers considérés comme l’indice d’une volonté de paix..., alors qu’on n’hésitait pas à parler d’intentions agressives lorsque les autres nations s’efforçaient elles-mêmes de renforcer leur potentiel de guerre. »
Le ministre-président hollandais en mars 1950.223
221En 1982, cela faisait alors plus d’une année que des manifestations massives s’étaient déroulées, en Europe comme aux Etats-Unis, contre le déploiement ou l’accumulation d’armes nucléaires de plus en plus soupçonnées de menacer la paix. Bref, la politique militaire de l’Occident n’appartenait plus aux seuls experts et gouvernements. Des deux côtés de l’océan, les opinions s’en mêlaient dorénavant.
222En Europe, c’est au cours de l’été et de l’automne 1981 que tout paraît se précipiter.224 A cette date, déjà, le mouvement qu’a lancé, voici près de deux années, l’IKV s’est largement diffusé. Ce que l’historien Walter Laqueur va appeler la « hollandite » est déjà devenu « européite ». Surtout concentré dans l’Europe protestante et nordique, le mouvement n’en touche pas moins le territoire italien. Et si la France semble relativement immunisée, le virus semble bien installé chez les Allemands et les Anglais.
223Outre-Manche, la Campaign for Nuclear Disarmament (CND), le principal mouvement anti-nucléaire, était pratiquement moribonde à la fin des années 1970. A l’automne 1981, elle peut se targuer de dizaines de milliers d’adhérents et de rassemblements regroupant 250.000 manifestants ! Mais aussi du ralliement de la grande confédération syndicale TUC (Trade Union Congress) et du Labour Party. Celui-ci a condamné la « double décision » le 4 juin 1980. A l’automne 1981, c’est un appel à un désarmement unilatéral qu’il va adopter à une forte majorité.
224Lancé en novembre 1980 par l’Union allemande pour la Paix (DFU), l’appel de Krefeld, un texte en faveur du désarmement, aurait recueilli un million et demi à deux millions de signatures. Mais le mouvement est surtout enclenché quand, à partir du Kirchentag de juin 1981, la hiérarchie protestante prend le relais. Sa vigueur est attestée par l’ampleur de la première grande manifestation organisée à Bonn en octobre 1981, puis par la prolifération des « comités de la paix » (Friedensinitiative). Bientôt, pullullent des brochures intitulées : « Construire la paix sans armes », « plutôt rouges que morts », la « troisième Guerre mondiale peut-elle être évitée ? » Le 19 février 1981, surtout, Stern a publié la carte des installations atomiques américaines que les contestataires lui ont procurée.
225Le mouvement est, en effet, en partie un succès du camp opposé : celui-ci a réussi à répandre l’idée que ce n’était pas son réarmement massif qui menaçait la paix, mais la tentative de l’Occident pour le contrer. Paradoxalement, c’est l’Administration Reagan qui semble avoir été, dans cet effort, son meilleur allié.
226Que l’URSS cherche à animer et à exploiter un mouvement qui sert aussi admirablement ses intérêts, il est difficile d’en douter. A l’automne 1980, le « Parlement mondial des peuples pour la paix », n’a-t-il pas lui-même décidé de faire de 1981 une année tremplin pour les thèses du pacifisme européen ?225 En fait, nombreux sont les moyens dont dispose le Kremlin pour détourner ce dernier dans un sens conforme à ses desseins. Bien sûr, pour commencer, le soutien financier : à suivre le secrétaire général de l’OTAN, ce sont quelque 15 millions de dollars que le mouvement pacifiste reçoit, pour la seule année 1981, de son vigilant parrain.226 Et c’est bien pour avoir financé le mouvement pacifiste danois qu’un membre de l’ambassade soviétique sera déclarée persona non grata. L’URSS peut aussi utiliser des organisations en principe apolitiques, mais en réalité au service de la propagande communiste, comme le Conseil mondial de la paix, mais aussi, plus simplement, les PC. En juin 1983, un rapport du ministre de l’Intérieur ouest-allemand expliquera comment grâce à ses fonds mais aussi à ses militants, le petit KPD arrive à jouer un rôle déterminant. Enfin, la « désinformation » peut venir à point pour embraser les doutes des Européens. Le procédé, parfois, reste grossier : telle, sans doute, la lettre offensante prétendûment adressée, en novembre 1981, par Reagan au roi Juan Carlos d’Espagne, pour lui enjoindre de hâter l’entrée de son pays dans l’OTAN. Mais il est souvent plus sophistiqué : il consiste alors, comme Jean-François Revel l’a fait remarquer, à appuyer sur le « clavier réel » des sentiments ou angoisses de la société.227
227Toujours prompte à l’exploiter ou à l’exciter, l’URSS serait, en effet, bien incapable à elle seule, de susciter un mouvement d’une telle portée et dont la force semble varier en proportion inverse de celle du PC. Si les renseignements généraux hollandais jugent ainsi l’IKV indépendante de ce dernier, c’est en France où ses membres arrivent aux responsabilités qu’il reste le plus étiolé. Certes, nombreuses y sont les explications à son insuccès : le souvenir de Münich, l’anticommunisme croissant de l’intelligentsia, l’adhésion populaire au nucléaire (civil ou militaire), les prises de position du Président français et l’impression d’indépendance qu’une « force de frappe » nationale peut créer. Mais peut-être aussi le pacifisme souffre-t-il d’une trop grande identification au PC et à son émanation, le « Mouvement de la Paix. » Bref, l’URSS sème, cultive et ramasse une récolte qui ne pousse bien que lorsqu’elle tombe sur le bon terrain.
228Si la vague pacifiste se gonfle dans ces années, c’est, en effet, parce que tout, de la crise économique à la peur de la guerre, concourt à saper les bases de la stratégie alliée. L’ampleur du mouvement ne saurait ainsi s’expliquer hors la récession profonde dans laquelle l’Occident est plongé. Beaucoup hésitent à sacrifier à des dépenses militaires jugées trop élevées des budgets sociaux encore récemment privilégiés. « Jobs, not bombs » (« Des emplois, pas des bombes ») réclament les syndicalistes anglais dans un pays qui compte plus de 3 millions de chômeurs désormais. Mais la crise crée aussi, indirectement, un terrain favorable à la « peur. » Elle rappelle, en effet, une vérité trop souvent oubliée : l’Alliance n’est que le bouclier d’un système économique et politique dont l’esprit de résistance dépend du climat de confiance. Si les contestataires allemands (les « Verts ») et hollandais trouvent un tel écho auprès des jeunes dans ces années, c’est sans doute parce que ces derniers se sentent plus aliénés dans un système où le chômage les touche en priorité,228 et dès lors de plus en plus rebutés par une stratégie qui, pour les protéger, irait jusqu’à risquer leur survie et celle de l’humanité. Mais c’est aussi parce qu’ils soulignent la dépendance des décisions d’un allié dont le nouvel état d’esprit semble une menace pour la paix !
229« La paix de Reagan, c’est notre mort ». Ce slogan derrière lequel vont se mobiliser des centaines de milliers de manifestants, témoigne de l’efficacité manoeuvrière de l’autre camp. Mais il procède aussi de la maladresse des Etats-Unis.
230Ce sont, en effet, les Américains qui sonnent le tocsin et qui paraissent relancer la course aux armements, non le Kremlin. Certes, pour se justifier, ils multiplient les déclarations, brochures et pamphlets. Telle une litanie, deux ou trois statistiques, trop figées pour vraiment persuader, sont ressassées : selon la CIA, l’effort militaire soviétique est supérieur de 50 % à celui de l’Amérique et depuis dix années, c’est 355 milliards de dollars (de 1982) que représente le surplus accumulé, en investissements militaires, par l’Union soviétique. Le 29 septembre, le Pentagone a même publié la première édition d’un ouvrage, Soviet Military Power, préparé pour dénoncer l’effort alarmant de ce dernier. Dans les dix jours, ses 36.000 exemplaires sont épuisés. Mais la suite va montrer que la cause est loin d’être gagnée.
231« Il arrive, expliquera Weinberger le 4 mars 1981, qu’un pays atteigne un état d’impréparation tel qu’il s’effraie à la seule idée de redresser la situation, car il craint alors de provoquer la guerre qu’il cherche à éviter. »229 Aussi, pour contrer le danger, un plan de réarmement massif est-il très vite préparé. L’idée est de consacrer quelque 1.500 millions de dollars en cinq ans au programme de réarmement le plus important jamais imaginé en temps de paix. (Cf. graphique). Son but : dissuader, par une capacité de riposte multiple et diversifiée, l’expansionnisme de l’Union soviétique.
232Aussi est-ce surtout au développement de forces conventionnelles que l’Administration affirme s’attacher. Il s’agit, en effet, de doter les Etats-Unis d’une capacité d’« escalade horizontale » que l’Administration Carter avait déjà évoquée : en cas d’attaque du camp opposé, les Américains devront être prêts « à lancer des contre-offensives dans d’autres régions du monde, afin d’exploiter les faiblesses de l’adversaire partout où nous pourrons en déceler. »230 De même, puissance insulaire, les Etats-Unis doivent s’assurer la supériorité maritime (à travers une flotte de 600 navires) sur l’adversaire : « Tout notre système, expliquera Weinberger, ... dépend de notre aptitude à contrôler les mers. »
233Pourtant, la suite suggère que le « nucléaire » bénéficie, lui-aussi, d’une attention particulière. Dévoilé le 2 octobre 1981, le plan stratégique américain semble chercher à assurer cette « parité avec une marge devant soi » promise par Reagan. Si l’Administration a réduit de 200 à 100 le nombre de MX qui doivent être construits, elle va mettre en chantier deux nouveaux bombardiers231 et un nouveau missile sous-marin, le D-5 qui, pour la première fois, sera assez précis pour frapper les missiles du Kremlin. Surtout, d’importants efforts vont être accomplis pour encore améliorer la capacité américaine de C31.
L’effort américain de réarmement (en milliards de dollars de 1985)

234En renforçant sur un rythme haletant leur puissance militaire, les nouveaux dirigeants croient rassurer les opinions alliées. Ils les affolent en réalité. Pour commencer, les Européens sont peu sensibles à une logique du style « nous prenons Cuba si vous prenez Berlin ».232 Ensuite, le développement de la capacité maritime que le Pentagone semble envisager, risque fort de signifier une diminution de la contribution américaine, et donc des pressions pour une plus grande participation européenne qui pourrait mettre en danger des économies déjà menacées. De plus, les Européens commencent à se demander à quoi servent les interminables listes d’achats que les Etats-Unis sont en train de dresser. Seraient-ils en train d’oublier qu’on ne peut totalement remplacer des soldats déterminés par une accumulation d’armements toujours plus sophistiqués ? Après tout, Reagan s’est refusé à rétablir la conscription qui lui paraît, en temps de paix, attentatoire aux libertés et il mettra près d’une année avant de se décider à maintenir l’ordre de recensement que Carter avait promulgué.233 Enfin, une question suscite une réelle anxiété : est-ce au rétablissement de la parité ou à celui de la supériorité stratégique que vise l’Amérique ? N’est-elle pas en train de se lancer dans une entreprise potentiellement déstabilisatrice ? Et son attitude en matière d’arms control ne souligne-t-elle pas ce danger de façon dramatique ?
235D’emblée, Fred Iklé, futur Sous-secrétaire à la Défense, a noté que l’un des principaux problèmes avec les alliés pourrait bien venir du choc entre leur volonté de voir ces négociations rapidement progresser et celle des Républicains de ne pas sérieusement reprendre les pourparlers avant que leur arsenal ait pu être renforcé.234 Pour les seconds, en effet, les causalités ne doivent pas être inversées. Les libéraux avaient eu tendance à se comporter comme si la course aux armements était la cause des tensions avec le camp opposé. Aux yeux des Reaganiens, elle en est surtout le reflet. Plusieurs d’entre eux, les civils du Pentagone en particulier, ne semblent pas loin de penser que Varms control devrait, de toute façon, être abandonné : il permet au Kremlin toutes les tromperies et contribue à enfoncer leurs concitoyens dans une dangereuse léthargie.
236Reagan semble avoir une position à la fois sceptique et nuancée. Habile politique, il devine tout l’avantage que le camp opposé pourrait tirer d’une rupture brutale des pourparlers. Peut-être redoute-t-il aussi de voir la paix en danger. En mai, il prendra la peine d’adresser une lettre à Brejnev où il serait allé235 jusqu’à présenter sa levée de l’embargo sur le blé comme un geste destiné à favoriser un dialogue « significatif et constructif ». De même, il s’est engagé à observer SALT II qu’il avait si violemment vilipendé, pourvu que les Soviétiques fassent de même de leur côté : Haig l’a persuadé de s’en tenir à une position « éprouvée » tant qu’une autre n’aurait pas été élaborée.236
237Pourtant, la rupture est évidente avec le passé. Tout d’abord, pour rassurer sa Droite, Reagan a imprudemment, comme la suite va le montrer, annoncé dès le 29 janvier que le linkage était à nouveau d’actualité.237 Ensuite, a-t-il aussi précisé, ce n’est pas à une limitation mais à une « réduction » qu’il faut se consacrer. Mais cette similitude avec Carter ne doit pas tromper. Weinberger semble, en effet, l’avoir persuadé que l’URSS bénéficie d’une « marge de supériorité ». Aussi, dans son esprit, les négociations doivent-elles conduire à un accroissement de l’arsenal des Etats-Unis et, parallèlement, à une réduction de celui de la Russie. Alors, et alors seulement, l’équilibre enfin rétabli, on pourra parvenir à un bon compromis. Autrement dit, le contrôle des armements ne peut être que le complément, et non le substitut, d’un effort militaire cohérent.
238Déjà, aux yeux des pacifistes, l’Administration encourrait le reproche de militarisme. Sa rhétorique ne tarde pas à lui valoir celui de bellicisme. Pour les plus pessimistes, ses philippiques contre l’Union soviétique sont, en effet, les prémices d’un renoncement aux moyens pacifiques. Les avertissements sont venus d’Amérique. Dans le numéro de l’hiver 1982-83 de Foreign Ajfairs, deux experts n’iront-ils pas jusqu’à affirmer que Washington n’offre « que le choix entre confrontation et capitulation » à l’adversaire ?238 Or, loin de chercher à rassurer ses partenaires, l’Administration donne l’impression d’envisager à la légère la perspective d’une « guerre nucléaire. »
239Avec elle, en effet, l’enthousiasme des stratèges nucléaires en chambre paraît en train d’acquérir droit de cité. Lors de son audition de confirmation, Eugene Rostow n’a-t-il pas déjà déclaré : « Après tout, le Japon a bien survécu à la guerre nucléaire, et s’est même bien épanoui depuis... » ?239 Voici que, selon Newsweek, Richard Pipes, professeur à Harvard et membre du NSC, n’hésite plus à affirmer que les Soviétiques devront choisir entre changer de politique ou courir le risque de voir une guerre se déclencher !240
240Mais c’est bientôt au Sommet que les bévues vont se multiplier. Le 3 février 1981, pour commencer, Weinberger se livre à une déclaration que Haig qualifie d’« extrêmement stupide » : il a, en effet, brutalement annoncé que la bombe à neutrons allait être fabriquée. Aux yeux de Weinberger, les vieux pays doivent être bousculés : militairement, la décision est des plus justifiées et, d’ailleurs, le QG de l’OTAN ne s’en dit-il pas satisfait ? Mais Haig, qui avait pris parti contre Carter quand celui-ci y avait renoncé, estime qu’agir aussi précipitamment est le meilleur moyen de s’aliéner les alliés. C’est, en effet, leur envoyer le pire message qui se puisse imaginer. Alors que le déploiement des euromissiles va les sensibiliser à leur dépendance d’armes nucléaires dont la maîtrise leur reste étrangère, n’est-ce pas indiquer que les Etats-Unis prendront des décisions capitales sans consulter leurs partenaires ? Finalement, Weinberger accepte de ne rien précipiter. Début août, la fabrication de la bombe n’en est pas moins décidée, aucun déploiement ne devant, il est vrai, avoir lieu sans que les alliés soient consultés.241
241Or, le 20 octobre, Reagan n’hésite pas à faire une déclaration qui, bien que conforme à la doctrine alliée, sème, venant de lui, une formidable anxiété : « On peut envisager l’utilisation d’armes tactiques, des deux côtés, contre des troupes sur le champ de bataille (européen) sans que cela amène l’une des grandes puissances à appuyer sur le bouton... »242
242Le 4 novembre, cherchant à dissiper l’alarme que cette déclaration a provoquée, Haig affirme devant le Sénat que les plans d’urgence de l’OTAN prévoient, en cas de conflit conventionnel en Europe, le tir d’une arme nucléaire, cette « démonstration » devant convaincre l’adversaire de faire marche arrière. L’évocation du vieux projet d’« aurore boréale » ne serait déjà guère de nature à rassurer l’Europe occidentale. Mais à sa maladresse verbale, l’Administration ajoute bientôt le zeste de la confusion doctrinale ! Le lendemain, c’est un cinglant démenti243 que Weinberger apporte au chef de la diplomatie : « Il n’y a rien dans aucun plan que je connaisse qui contienne une proposition même lointaine proche de celle-ci, et il ne devrait pas y en avoir. » Aussi la Maison Blanche doit-elle se hâter de publier une mise au point embarrassée : « Il y a quelques années, l’OTAN avait considéré comme une option possible l’usage démonstratif... Cependant, comme M. Weinberger l’a indiqué aujourd’hui, il n’y a pas de plan militaire précis de l’OTAN et des doutes significatifs ont été exprimés – doutes partagés par les Etats-Unis – sur l’utilité de cette option... »244
243Si l’on voulait embraser la peur d’une guerre nucléaire, on pourrait difficilement mieux faire. En fait, les Etats-Unis sont légitimement agacés de voir une Europe qui ne fait rien pour assurer, sur le plan conventionnel, sa sécurité, s’indigner dès lors que le recours aux ANT est évoqué. Les « plutôt rouges que morts » des pacifistes allemands n’évoquent-ils pas les illusoires « plutôt Hitler que la guerre » de leurs homologues français ou anglais voici près de cinquante ans ? Mais c’est méconnaître ce que l’URSS, elle, a parfaitement deviné : une partie des Européens est prête à préférer ce qu’André Glucksmann appelle une « mort totalitaire » pour se sauver, et avec elle le reste de l’humanité, de la « vitrification nucléaire. »245 Dès lors, s’opposer au déploiement des euromissiles devient pour elle prioritaire : parce que ces armes, précises et meurtrières, lui semblent constituer l’instrument d’une « guerre limitée » dont les Européens feraient les frais.
244Conçus pour « recoupler » la défense de l’Europe à celle de son grand allié et revigorer une dissuasion un peu émoussée, les « euromissiles » peuvent se voir prêter des objectifs opposés. En elle-même, en effet, leur mission est pleine d’ambiguïté. Tout dépend, en réalité, des plans de tir dans lesquels ils vont être intégrés, plans que seuls les Américains peuvent ou non coordonner avec ceux de leurs missiles stratégiques. Bref, intégrées dans le plan de frappe américain (SIOP) et dirigées sur des cibles en territoire soviétique, ces armes exercent un recouplage entre la défense de l’Europe et celle de l’Amérique. A l’opposé, intégrées dans le cadre d’une des options les plus limitées du Nuclear Operations Plan (NOP) dont le SACEur a la seule responsabilité, options où leur usage contre des cibles en territoire soviétique serait écarté, elles renforceraient plutôt les chances de voir une escalade commencée en Europe stoppée et, du coup, éroderaient la dissuasion au lieu de la renforcer ! Or, c’est cette seconde hypothèse que les déclarations des dirigeants du GOP tendent à accréditer. Elles ne peuvent plus mal tomber.
245Dans les vieux pays, l’opinion réagit avec un quasi-automatisme aux déclarations des Etats-Unis. Dans le week-end qui suit la déclaration de Reagan sur la guerre nucléaire « limitée », ce sont 500.000 personnes qui manifestent dans les capitales italienne et britannique. En novembre, c’est par millions que l’on compte les Européens qui ont défilé contre les armes nucléaires depuis le début de l’année. Si elle a pu, au départ, déceler chez les pacifistes un ramassis de marginaux manipulés par le camp opposé,246 l’Administration doit les prendre au sérieux désormais et démontrer sa volonté de paix.
246Or, l’ouverture rapide de négociations avec l’URSS sur les armes contestées est le seul contre-feu susceptible d’éteindre l’incendie en train de s’embraser. Mais une position américaine doit d’abord être adoptée. Très vite, en effet, l’Administration s’est montrée divisée.247 Tout d’abord, des doutes semblent avoir été exprimés sur l’utilité de ces eurofusées. Mais Haig a rappelé qu’une annulation de la décision remplirait les alliés de perplexité et il a multiplié les manoeuvres pour engager la nouvelle Administration derrière la « double » décision. Sa démarche a surtout consisté à prendre de vitesse Iklé, Weinberger et Richard Perle (un assistant de ce dernier) qui, eux, ne tiennent pas à « négocier. » Aussi, avant de se rendre à Rome pour le Conseil atlantique, le secrétaire d’Etat s’assure-t-il une victoire tactique : Reagan l’autorise à annoncer la reprise des conversations pour la fin de l’année. Le retour au linkage s’en trouve très relativisé. Pour la première fois, l’Administration donne une preuve de ce pragmatisme que beaucoup attendaient mais dont beaucoup, aussi, commençaient à douter.
247Seulement, la lutte bureaucratique ne fait que commencer. Sur un point, il est vrai, l’accord se fait. Non seulement les euromissiles devront faire l’objet d’une négociation séparée, mais le terme INF, armes de portée intermédiaire doit remplacer celui de TNF, armes de théâtre. Aux yeux des dirigeants américains, en effet, tous les silos de SS-20 doivent être décomptés et pas seulement ceux situés sur le théâtre européen : Washington entend ainsi se montrer sensibilisé aux dangers liés à leur extrême mobilité et à l’anxiété que leur déploiement dans d’autres régions peut susciter chez des alliés comme les Japonais.248
248Sur la position à adopter à l’ouverture des pourparlers, le désaccord n’en reste pas moins entier. Paradoxalement, le Pentagone choisit de reprendre une idée si en vogue sur le vieux continent que ses partisans pourront en revendiquer la paternité aussi bien pour Helmut Schmidt que pour François Mitterrand.249 Elle se résume en un merveilleux slogan : « ni Pershing II, ni SS-20 ». Selon lui, l’« option zéro », comme on va bientôt l’appeler, refait des Etats-Unis des champions de la paix.
249Aux yeux du département d’Etat, et de Richard Burt, son Directeur des affaires politico-militaires, cette position présente divers dangers. Militairement, sa réalisation découplerait la défense américaine de celle des alliés. Diplomatiquement, on ne peut espérer que les Soviétiques renoncent à des armes qui existent, contre d’autres que les Américains ne pourront pas déployer avant plus de deux années. Politiquement, les Américains seront alors acculés dans une impasse d’où ils auront le plus grand mal à se dégager. « Ce n’est pas dans Varms control, comme Burt va le rappeler, que les Etats-Unis sont engagés. C’est dans la gestion des relations alliées. » Les négociations n’auront, en effet, guère de chances de se débloquer tant que le déploiement n’aura pas commencé. C’est donc celui-ci qu’il convient d’assurer. Or, pour le réaliser, il faudra convaincre les alliés que Washington n’a rien épargné pour parvenir à un accord avec le camp opposé. Aussi faut-il adhérer à une position plus « modérée », une « option zéro-plus », permettant aux deux côtés de déployer un nombre de missiles limité.
250Dans cette première bataille de ce que certains vont appeler la « guerre des deux Richard », c’est Perle (que les libéraux appellent le « prince des ténèbres ») qui va l’emporter. Reagan, en effet, est séduit par son projet. D’abord, dans une campagne de relations publiques, l’« option-zéro » sera la mieux adaptée parce que la plus simple à exposer. Ensuite, elle tranche opportunément avec le passé. Enfin, même si à la longue il faudra peut-être y renoncer, elle évite aux Etats-Unis de montrer tout de suite leur position de repli.
251Dès la fin octobre, Reagan semble avoir donné son accord à Weinberger qui l’indique probablement déjà aux ministres de la défense des alliés.250 Du moins, lors de la réunion cruciale, le 12 novembre, du NSC, le département d’Etat obtient-il deux concessions en faveur de ces derniers. Tout d’abord, Burt et Eagleburger seront envoyés en Europe les informer du discours que Reagan va bientôt prononcer : la diplomatie américaine pourra ainsi s’assurer que des applaudissements bienvenus lui seront prodigués. Par ailleurs, Reagan profitera de l’occasion pour proclamer de façon beaucoup plus large son intérêt pour le contrôle des armements.
252Parlant devant le National Press Club le 18 novembre 1981, le Président rappelle ainsi son adhésion à l’idée d’une Conférence sur le Désarmement en Europe (CDE) dont la préparation est au coeur de la réunion de Madrid de la CSCE. Il annonce que les Etats-Unis seraient prêts à annuler leur déploiement si les Soviétiques démantelaient leurs missiles SS-20, SS-4 et SS-5 (« option zéro »). Et il dit son espoir de voir s’ouvrir le plus tôt possible en 1982, sur les armes stratégiques, des négociations START251 visant non plus à des limitations mais à « des réductions substantielles des armements nucléaires, afin de les ramener à des niveaux égaux et vérifiables. »
253Cette initiative est-elle aussi motivée par le regain de popularité dont aux Etats-Unis Varms control paraît bénéficier ? En tout cas, la journée qu’ils ont organisée le 11 novembre a été un succès pour les adversaires de la course aux armes nucléaires. Et quand, après avoir longtemps tergiversé, l’Administration décide, en mars, d’accélérer ses préparatifs pour cette catégorie de pourparlers, c’est parce que telle une vague impossible à endiguer, le mouvement n’a cessé, depuis, de se gonfler.
254Là encore, l’équipe républicaine semble avoir apporté à un mouvement qui couvait depuis plusieurs années l’impulsion qui lui manquait. En décembre 1979, Randall Forsberg, une jeune spécialiste, rédigeait le projet de « gel » (FREEZE) qui allait bientôt constituer la « Bible » du mouvement. En 1980, pourtant, le mouvement ne semble avoir eu alors qu’un impact encore limité. Mais en 1981-1982, tout va changer : largement axé autour de l’idée d’un « gel mutuel et vérifiable des essais, de la production et du déploiement » des armes nucléaires américaines et soviétiques, un puissant mouvement pacifiste va se développer. D’abord, longtemps inquiète de la tendance du gouvernement à laisser le pays s’affaiblir devant la Russie, l’opinion est, avec Reagan, plus que rassurée. Et si, d’une certaine manière, elle reste inquiète, c’est pour des raisons opposées ! Alors que le pays paraît s’enfoncer dans une récession sans pareille depuis une cinquantaine d’années, beaucoup commencent à trouver exagérée la part des dépenses militaires. En janvier 1981, le nombre de ceux qui voulaient les voir augmenter était à son apogée. En novembre 1982, les priorités de l’Administration (augmenter les dépenses de défense et baisser celles de protection sociale) semblent contrarier les voeux de la majorité des personnes interrogées.252 Ensuite, beaucoup d’Américains partagent pour des raisons symétriques la peur qu’éprouvent les Européens d’une guerre atomique. Ils ne croient pas en la possibilité de tenir un tel conflit limité et sont persuadés qu’une fois déclenché, il dégénèrera en holocauste généralisé. Au printemps 1982, 45 % jugent toujours plus élevé le danger de voir une guerre nucléaire éclater.
255D’abord surtout ressentie de l’autre côté de l’océan, la rhétorique de l’Administration revient donc comme un boomerang. Il est vrai que Thomas K. Jones, un des sous-secrétaires adjoints du Pentagone, a annoncé de nouveaux efforts de « défense civile » sur un ton enthousiaste.253 C’est oublier que lorsque le gouvernement anglais s’était efforcé d’expliquer qu’il était possible de réduire, en cas de conflagration, le nombre de morts de 30 à 15 millions ( !), l’écrivain pacifiste Edward T. Thompson avait tourné cette entreprise, Protect and Survive, en dérision : dans une brochure -Protest and Survive- à grand succès, il avait répliqué qu’il valait mieux désarmer qu’encourir des risques aussi élevés !
256Certes, l’Administration est sensible au danger. Elle cherche à désamorcer l’inquiétude que son programme stratégique a pu susciter. Publié le 8 février 1982, le rapport annuel du département de la Défense affirme que la faible part consacrée à la modernisation des armes nucléaires (15 % du budget militaire) prouve que l’Administration ne recherche pas la supériorité.254 Malchance ! ses propos rassurants paraissent démentis quelques semaines après. Le 30 mai le New York Times révèle qu’au début de l’année Weinberger a signé un document « Top Secret » : ce Defense Guidance appelle les Etats-Unis à se doter de forces nucléaires capables de leur permettre « de l’emporter... même dans les conditions d’une guerre prolongée. » Celle-ci, confirment les experts officiels du Pentagone, pourrait durer jusqu’à 6 mois dans certains cas !255
257En réalité, la doctrine ne paraît guère différente de la PD-59 adoptée voici près de deux années. Mais le climat a changé et les mêmes causes ne produisent plus les mêmes effets.256 A un Harold Brown qui cachait mal son scepticisme quant à la possibilité de garder une guerre nucléaire limitée, a succédé un membre de choc du CPD, entouré d’une « nouvelle génération » de stratèges qui ne semblent pas comprendre que leur univers de Kriegspiel nucléaire évoque un monde inquiétant où « Lewis Carroll rejoint Franz Kafka ». A force de s’y être plongés, ils semblent avoir oublié son caractère aléatoire et monstrueux.
258Bientôt, le débat, relayé par la presse, la télévision et la radio, domine l’actualité. Dans la seule année 1982, la guerre nucléaire est l’objet d’une quarantaine de livres. Parmi eux, un best-seller : l’ouvrage de Jonathan Schell, Le destin de la terre. Non seulement, explique-t-il, une guerre nucléaire ne pourrait être « limitée » mais au delà de l’humanité, tout le monde biologique et social s’en verrait bouleversé.257 Le 29 mars, la couverture de Time montrait la ligne des gratte-ciel de Manhattan rougeoyer sous l’effet d’un champignon atomique en train de s’élever. A l’été, la situation est telle que le 23 août Weinberger se croit obligé d’adresser une « lettre ouverte » à trente journaux et quarante publications où il proteste de la pureté de ses intentions.258
259Cette grande vague de contestation menace, en effet, toute la stratégie de l’ Administration. En avril 1982, 5 Américains contre 3 voyaient bien une menace grandissante dans le Kremlin. Mais plus encore (5 contre 2) estimaient que le programme militaire de Reagan n’entraînerait qu’une augmentation plus rapide de ses armements et non des négociations susceptibles de réduire les arsenaux des deux Grands.259 Aussi le « gel » a-t-il le vent en poupe à partir du printemps : en juin, il bénéficie d’un taux de « soutien général » de 83 %.260 Ses partisans ont, il est vrai, pu rassembler 700.000 personnes à New York dès le 12 de ce mois. C’est la plus grande manifestation que les Etats-Unis aient jamais connue. Surtout, loin de ne réunir que des contestataires chevelus et barbus, les pacifistes ont réussi à convaincre les évêques catholiques de témoigner leur sympathie à leurs idées et à mobiliser des couches parfaitement intégrées à la société. En octobre 1982, un « comité de citoyens contre la guerre nucléaire » est créé : c’est 18 millions de membres que représentent les groupes qui l’ont formé.
260Le mouvement a alors atteint la « masse critique » qui lui permet de chercher à concrétiser son action sur le plan politique. Tenant peu après sa « convention à mi-parcours » à Philadelphie, le parti démocrate endosse dans l’enthousiasme le projet. Une résolution en ce sens a, d’ailleurs, été déposée en mars 1982 par un des siens, le sénateur Edward Kennedy (du Massachusetts) ainsi que par un républicain.261 La Commission des Affaires étrangères de la Chambre l’a aisément approuvée et, en séance plénière, c’est de justesse seulement (par 204 voix contre 202) qu’elle est repoussée. Surtout, les élections de novembre 1982 voient de nombreux succès des partisans du projet.
261Mais cela fait alors longtemps que l’Administration s’inquiète de sa popularité : son adoption ne serait-elle pas une prime sans équivalent pour l’effort forcené d’armement entrepris par le Kremlin depuis dix ans ? Aussi le lancement des START va-t-il être accéléré. Evoquée par Reagan le 18 novembre, la mise en train des pourparlers s’était retrouvée retardée. L’Administration avait tiré prétexte des événements polonais pour ralentir, au nom d’un linkage réhabilité, un processus qu’elle ne tenait pas vraiment à relancer. Mais le succès du « freeze » la force à évoluer. Le 3 mars, une directive du NSC précise que sa position devra être arrêtée pour le 1er mai. De plus, les propositions devront être simples, assurer une réduction, se prêter à une vérification aisée, satisfaire les alliés et pouvoir être maintenues longtemps au cours des pourparlers ! La tâche serait déjà compliquée. Mais elle se corse de la concurrence que se livrent, comme à l’accoutumée, département d’Etat, Pentagone, JCS et ACDA.
262Sur l’objectif, il est vrai, il y a une quasi-unanimité : il faut amener l’URSS à renoncer à une grande quantité sinon à la majorité de ses ICBM, en particulier ses modèles lourds mirvés, responsables de la fameuse quoique hypothétique « fenêtre de vulnérabilité ». Mais sur la méthode, la querelle va se déchaîner. Pour Perle et les « durs », START devrait supprimer les dissymétries défavorables aux Etats-Unis, mais préserver celles dont ils tirent profit : aussi faudra-t-il nettement distinguer les vecteurs rapides (fast-flyers), tels les missiles balistiques où l’URSS jouit d’une réelle supériorité et les « lents », (slow-flyers), missiles de croisière et bombardiers. Surtout, la « capacité d’emport » (throw-weight) 262 devra être le critère essentiel puisque, sur ce plan, c’est à 3 contre 1 que l’on peut estimer la supériorité du camp opposé. Avec Perle, c’est, une fois de plus, Burt qui va entrer en conflit : pour lui, c’est d’abord une limitation des « lanceurs » que doivent rechercher les Etats-Unis.
263Lors d’une réunion, en avril, du NSC, Haig doit taper du poing sur la table pour empêcher, ‘in extremis, un succès du point du vue de Perle défendu par Weinberger. Une option aussi inacceptable pour le camp opposé, proteste-t-il avec pugnacité, serait inévitablement dénoncée comme un « complot cynique » par les alliés. Burt finit par l’emporter. Les JCS lui apportent leur appui en effet : à leurs yeux, l’importance de la « capacité d’emport » ne doit pas être exagérée, la précision des missiles étant un gage beaucoup plus fiable d’efficacité ; inversement une réduction des lanceurs faciliterait les préparatifs des plans de tir dont ils sont chargés.
264Finalement, début mai, Reagan se range à un compromis. Le 9 mai, il prononce ainsi un discours devant les étudiants du « college » d’Eureka (Illinois). Son intention est, à n’en pas douter, d’enlever aux Soviétiques le monopole du « discours de la paix. » Non content de proposer à Brejnev une rencontre au Sommet, il présente les bases sur lesquelles les négociations START devraient s’engager : tandis que les problèmes de « capacité d’emport » seraient abordés dans la « deuxième » phase des pourparlers, l’Administration se prononce en faveur d’une réduction des vecteurs pour commencer. Chaque côté pourrait ainsi disposer de 850 lanceurs (ce qui représenterait une réduction de moitié), eux-mêmes équipés de 5.000 têtes dont 2.500 pour les ICBM terrestres.
265Pourtant, la portée du discours reste limitée. Reagan a sans doute renoncé au linkage mais il a proposé un package qui, tous les observateurs ou presque vont le concéder, est inacceptable pour le camp opposé. Aussi le Kremlin le rejette-t-il peu après. A la place, il offre une révision légèrement à la baisse de SALT II, à laquelle l’Administration ne peut qu’opposer un refus tout aussi vigoureux : le renoncement américain aux euromissiles présenté comme un impératif-clé. Bref, si Rostow et son homologue soviétique, Viktor Karpov, se retrouvent bien à Genève début juillet, le blocage n’en reste pas moins entier.
266Ce n’est sans doute pas pour consterner le camp opposé. Non pas qu’il n’ait pas intérêt, à terme, à négocier sur les armes intercontinentales. Mais, pour commencer, pourquoi ne pas exploiter un pacifisme dont les démocraties gardent la quasi-exclusivité ? Certes, la RDA paraît affectée par la contestation d’une partie de sa jeunesse qui arbore des badges invitant à « transformer en charrues les épées ». Pourtant, à l’Est, l’impact du mouvement ne doit pas être surestimé. Quand quelques pacifistes cherchent, en juin 1982 à Moscou, à former, un mouvement « indépendant », la police ne cessera de harceler leurs trois malheureux dirigeants. Dans un pays où quelques dizaines de millions d’adhérents apportent leur soutien au très officiel Conseil mondial de la paix, il n’est pas question de laisser se développer un mouvement qui ne serait pas soumis au contrôle étroit des autorités.
267La montée du mouvement anti-nucléaire est, à l’opposé, un handicap croissant pour les gouvernements alliés. Tout d’abord, fruit des inquiétudes des Américains face à un conflit direct avec le Kremlin, il ne se préoccupe nullement du déséquilibre sur le théâtre européen. Il s’accompagne, surtout d’un développement inquiétant : une contestation accrue du « recours en premier », base de la stratégie de l’OTAN. Dans le numéro de Foreign Affairs du printemps 1982, ce sont Robert McNamara, George Kennan, Gerald Smith et McGeorge Bundy qui dénoncent, dans un article spectaculaire, tout recours, à quelque niveau que ce soit, « en premier » aux armes nucléaires.
268Bref, pour les gouvernements alliés, le piège semble se refermer. D’un côté, les déclarations de l’Administration encouragent ceux qui, chez eux, s’opposent au déploiement d’euromissiles sous prétexte que ces derniers permettront la conduite d’une guerre nucléaire « limitée ». De l’autre, l’hostilité croissante, manifestée en Amérique, pour tout ce qui pourrait augmenter les risques d’un holocauste atomique, rend l’intérêt de ces missiles beaucoup plus hypothétique.
269Certes, avant même que l’article de la « bande des quatre » ait été publié, Haig a tenu à rappeler le coût exorbitant qu’entraînerait tout renoncement à l’« usage en premier ». Mais qui peut douter que l’intérêt des Américains pour cette idée ne soit de plus en plus appuyé ? C’est sans doute pour rapprocher ces réflexes de plus en plus divergents que le Commandant suprême de l’OTAN va esquisser un nouveau « plan ». Dans le numéro de Foreign Affairs qui suit celui où se sont exprimés McNamara et ses amis, le général Rogers tire sa leçon des vagues pacifistes qui déferlent sur les démocraties. Les Soviétiques, fait-il ainsi remarquer, se sont assuré la supériorité dans tous les domaines de la triade des « représailles graduées ». Certes, les déséquilibres « atomiques » devraient pouvoir être corrigés : par l’action diplomatique et la modernisation technologique. Mais même en cas d’accord avec l’Union soviétique, la situation restera critique, car la posture de l’Alliance inquiète les opinions publiques : « L’incapacité permanente de l’OTAN à réaliser ses besoins conventionnels signifie qu’il nous faut aujourd’hui nous en remettre à l’utilisation des armes nucléaires de théâtre pour accomplir nos missions de dissuasion et de défense. »263
270Or, outre leurs répercussions politiques, ces armes soulèvent des problèmes techniques de plus en plus critiques. Pléthoriques, mais pour une bonne partie de trop faible portée et capacité pour vraiment menacer les chars soviétiques, elles offrent, dans leurs dépôts, des cibles particulièrement attrayantes. Elles mobilisent également un nombre important de vecteurs qui risquent de faire défaut à la mise en service dans un premier temps des moyens classiques. Seule solution : relever le « seuil atomique », c’est-à-dire consentir un nouvel effort conventionnel. L’idée bénéficie d’un réel soutien parmi les élus d’outre-Atlantique. Constitué au printemps 1981 et regroupant aussi bien des libéraux démocrates que des conservateurs républicains, un caucus sur la réforme militaire s’est constitué au Congrès. Sous la houlette du sénateur de Géorgie, Sam Nunn (« M. OTAN » aux Etats-Unis), il apporte son appui au projet de renforcement du potentiel classique de l’Alliance atlantique. Un mouvement comparable se dessine au sein de l’Armée américaine aussi. Quelque temps après, un document officiel confirme que la pression va se renforcer. Le 20 août 1982, l’Administration rend publique une nouvelle version de son Field Manual de base, le FM-100-5 : elle présente une doctrine opérationnelle, « en accord » avec la stratégie alliée et explique comment les Américains doivent conduire la bataille et les campagnes pour gagner. Fondé sur l’Air Land Battle,264 une doctrine déjà exposée, le Field Manual prend, sur un point essentiel, le contrepied de la version de 1976 qui l’avait précédé. Conçue sur l’hypothèse d’un front linéaire, celle-ci avait pour corollaire un recours éventuel rapide aux armes nucléaires. De plus, elle était apparue vulnérable au nouveau dispositif conventionnel de l’adversaire. Celui-ci avait, en effet, concurremment développé des Groupes de Manoeuvre opérationnels (GMO) destinés à enfoncer et neutraliser les points cruciaux de la défense alliée et des renforts (Follow on Forces) conçus pour s’engouffrer dans les brèches qui s’ouvriraient. L’OTAN risquait, en effet, de devoir, pour protéger les positions attaquées par les premiers, dégarnir sa couverture sur d’autres parties du front. La nouvelle version entend remédier à cette situation : en instillant « l’esprit d’offensive » et en développant les potentiels d’attaque et de destruction en profondeur qu’ouvrent des percées scientifiques récentes et majeures, les « technologies émergentes » ou E.T. Il s’agit de combiner les nouvelles technologies de repérage et surveillance des cibles et de C31 avec l’emploi de munitions et « sous-munitions » non-nucléaires en voie de fabrication aux Etats-Unis.
271A priori, ces nouveaux projets devraient apaiser les pacifistes des vieux pays : il s’agit d’atténuer la dépendance, sans doute excessive, des ANT. Mais dans un premier temps, l’idée de porter une guerre éventuelle à l’intérieur du camp opposé, va surtout contribuer à renforcer l’image « belliciste » dont l’Administration souffre à ce moment. C’est là l’ironie suprême du pacifisme en vérité. Quoi que l’Administration entreprenne ou propose pour corriger les déséquilibres créés par le camp opposé, c’est elle qui paraît aggraver les risques d’hostilités.
272L’affaire des euromissiles illustre la difficulté. Le terrain ne pourrait être plus favorable à l’effort que l’URSS est en train de mener. D’abord, un succès lui assurerait en pratique un veto sur la politique de défense atlantique. Ensuite, alors que ces fusées peuvent atteindre son territoire en quelques minutes, l’URSS pourra jouer sur la peur d’une « guerre déclenchée par les ordinateurs » : en cas d’erreur les délais seraient si limités que plus rien ne pourrait empêcher l’implacable mécanique de se déclencher.
273Enfin et surtout, la décision « double » des alliés offre à Moscou une marge de manoeuvre qu’elle sait utiliser. Pour avoir lié déploiement et pourparlers, les alliés ont pris le risque de voir l’opinion évoluer moins en fonction de l’utilité politique ou militaire des fusées que de sa perception de la bonne volonté respective des deux côtés. Or, sur ce plan, l’URSS bénéficie d’un avantage écrasant. Alors que les opinions sont angoissées par le « changement », le Kremlin peut s’identifier à la défense d’un statu quo défavorable aux Occidentaux. Il peut même invoquer ses statistiques à cet effet : en oubliant certaines des armes dont il peut disposer, en accumulant les arsenaux américain, britannique et français et en mettant sur le même plan certains vecteurs dignes d’un musée (comme les bombardiers britanniques Vulcains) et ses Backfires ultra-sophistiqués, il est en mesure de prouver l’existence de cet « équilibre approximatif » sur lequel toute son argumentation est fondée. (Cf. graphique)
274Cette vision est implicitement réaffirmée dans les premières propositions que Brejnev a avancées : dès février 1981, il a offert un moratoire sur le déploiement des missiles à portée intermédiaire.265 Surtout, le Kremlin ne perd aucune occasion d’exploiter les maladresses des Américains. A peine Reagan a-t-il tenu ses propos sur une guerre nucléaire « limitée » que Brejnev se hâte de remarquer : « Seul celui qui a décidé de commettre un suicide peut déclencher une guerre dans l’espoir d’en sortir vainqueur. »266
275Certes, face à la propagande du camp opposé, l’Administration n’est pas tout à fait désarmée. D’abord, les Etats-Unis peuvent rappeler l’hypocrisie de la Russie : alors qu’elle ne cesse de vilipender le « militarisme » américain auprès des vieux pays, n’est-ce pas l’URSS qui se voit prise en flagrant délit ? Le 30 octobre 1981, George Bush peut ainsi opposer deux dépêches que, le 25, les télescripteurs ont laissé tomber : d’un côté, l’URSS accuse les Etats-Unis de « jouer un jeu dangereux » susceptible de déclencher un conflit généralisé ; de l’autre un sous-marin soviétique, sans doute équipé d’armes nucléaires, s’est « échoué à proximité d’une importante base navale suédoise » !267
276L’Administration peut aussi corriger l’image malencontreuse qu’elle a pu donner. Lors de son voyage à Bonn, Reagan ira jusqu’à déclarer : « Vous qui participez à ces marches de la paix, a-t-il déclaré, je suis de tout coeur avec vous. Je serais à la tête des cortèges si je croyais qu’il suffisait de défiler pour que s’instaure un monde plus sûr. »268
L’équilibre nucléaire sur le théâtre européen

277Surtout, comme on l’a noté, l’« option zéro » a été conçue pour assurer une nouvelle popularité à la position alliée : l’idée ne bénéficie-t-elle pas de l’approbation des trois-quarts des Anglais, Allemands ou Hollandais interrogés ?269 Mais si elle crée une accalmie, elle n’empêche pas la progression de la vague pacifiste dans les vieux pays : à peine ou presque a-t-elle été annoncée que les gouvernements européens demandent à leur allié s’il a d’autres cartes à jouer.
278Loin de s’atténuer, en effet, l’offensive soviétique a repris avec une nouvelle intensité. Non seulement, le Kremlin relance son offensive contre l’« usage en premier », mais de passage en Allemagne, Brejnev propose, le 22 novembre, un « moratoire amélioré » : au cas où les Occidentaux renonceraient à déployer, les Soviétiques seraient prêts à réduire substantiellement leurs propres fusées.270
279La propagande soviétique a, il est vrai, en point de mire le Congrès que le SPD doit tenir quelques mois après. Nul ne peut douter que la « double décision » s’y verra contestée. En RFA, en effet, l’affaire prend un tour particulier. La situation y combine les avatars d’un système économique dont l’incroyable succès avait cimenté l’expérience nationale depuis la fin des hostilités, les aspirations d’un peuple divisé et la conviction de partager avec les frères de l’Est le terrible statut d’« Etats de la frontière », les plus immédiatement exposés. A quoi s’ajoute pour tous un souci obsédant de la préservation de l’environnement et pour certains un réflexe culturel de rejet pour tout ce qui est américain : les Etats-Unis n’incarnent-ils pas les valeurs matérialistes et occidentales sur lesquelles a été fondée la République fédérale ? N’est-ce pas seulement contre elles que pourra se définir l’identité nationale ? Comme Pierre Hassner l’a bien noté, en RFA, arms control, Ostpolitik et Deutschlandpolitik sont étroitement liés.271 Si besoin était, le rôle d’Egon Bahr viendrait le rappeler.
280Celui-ci, qui parle des Etats-Unis comme de l’« ancienne puissance occupante » mène contre « la double décision » une campagne acharnée. En octobre, 58 députés du parti et 16 libéraux ont appelé à la grande manifestation organisée à Bonn pour la dénoncer.272 Brandt, qui a pour obsession de rallier la jeunesse à sa formation, laisse entendre que la politique de défense allemande pourrait mettre en danger la détente. Dès novembre Schmidt a dû menacer de démissionner au cas où la « double décision » ne serait pas appliquée.273
281Aussi, à l’approche du Congrès, Brejnev intensifie-t-il ses efforts en direction du SPD. Fin janvier, en réplique au livre Soviet Military Power diffusé par l’Amérique, une luxueuse brochure, Whence the Threat to Peace, est publiée : l’accent est mis sur la place, dans les plans américains, de l’« usage en premier » et sur l’intention de Washington de conduire une guerre nucléaire « limitée ».274 Le 3 février, devant une délégation de cette Internationale socialiste qu’il comble de prévenances depuis deux années, Brejnev propose que chaque partie réduise en Europe « des deux tiers ou plus » ses armes à portée intermédiaire.275 Evidemment, le contexte de la proposition est des moins favorables aux alliés : d’abord, rien n’interdirait aux deux côtés de déployer ailleurs les armes ainsi éliminées et à l’URSS de réinstaller les armes qu’elle aurait retirées ; ensuite les arsenaux britannique et français seront comptabilisés, ce qui contraindra les Etats-Unis non seulement à ne pas déployer mais à retirer la plupart de leurs chasseurs-bombardiers !276
282L’offensive ne reste pas pour autant sans effet. Certes Schmidt arrache un vote de confiance au Bundestag en février. Mais le 25 février le Comité exécutif du SPD élabore pour le Congrès une résolution qui renverrait à octobre 1983 tout verdict sur le sujet.277 Contrairement à ce qu’on pouvait penser, la campagne de l’URSS n’a pas longtemps souffert des événements polonais !
283Les esprits sont donc troublés quand, le 16 mars, en verve de générosité, Brejnev va jusqu’à annoncer que, puisque les alliés ne veulent pas s’entendre avec lui pour arrêter de déployer, il prendra seul ce risque par amour de la paix ! Le déploiement des SS-20, à l’ouest de l’Oural, sera arrêté. Mais, précise-t-il, au cas où l’Occident persisterait, l’URSS pourrait prendre des mesures susceptibles de placer l’Amérique dans une situation aussi critique ! En fait, les Soviétiques s’assurent un gain de popularité à très bon marché. Rien n’empêche, en effet, l’URSS de déplacer ses SS-20 extrêmement mobiles et dont la multiplication, à l’Est de l’Oural, reste parfaitement « possible. » Par ailleurs, on voit mal comment l’Occident pourrait arrêter un déploiement qui n’a pas commencé !
284La maneuvre ne reste pourtant pas sans effet. En avril, Schmidt n’a pu empêcher le report de la décision et la réélection de ses adversaires au Comité exécutif du SPD.
285Bref, l’URSS semble constamment avancer sur la voie qu’elle s’est tracée : saper l’entente entre les deux principaux piliers de l’organisation alliée. La visite de Reagan en Allemagne en juin sera ainsi marquée par le déferlement d’une vague de sentiments anti-américains. La grande manifestation organisée à l’occasion de sa venue à Bonn réunira une foule encore plus étoffée que ses organisateurs n’avaient osé l’espérer.
286Certes, le 5 juin, les chrétiens-démocrates ont rassemblé 110.000 personnes en soutien à la politique alliée. Mais la position de Schmidt n’en est que plus ébranlée : le parti libéral se montre de plus en plus réticent en effet. Le 17 septembre, la coalition gouvernementale finit par éclater. Le 1er octobre, le démocrate-chrétien Helmut Kohl est appelé au poste de chancelier et c’est au 6 mars 1983 que les élections générales sont fixées. Pour l’Administration, c’est peut-être un succès : cela fait plus d’une année que Schmidt se serait demandé, en privé, si elle ne souhaitait pas le voir éliminé. Mais au même moment, des élections régionales suggèrent un recul des libéraux et une progression des « Verts. »278
2871983 semble bien, dès Ion., devoir être une année fatidique pour les relations atlantiques.
B. Vers l’apaisement : automne 1982, fin 1983 :
2881983 ne fut pas vraiment ce que l’on peut appeler une année facile. Aucun problème de fond n’y fut vraiment réglé et, sur le plan commercial, les querelles ne firent le plut souvent que s’envenimer. Pourtant, l’année coïncida, à n’en pas douter, avec une amélioration des relations interalliées. D’abord, sans doute, parce que 1983 vit la reprise émerger aux Etats-Unis. Ensuite, parce que ce retour de la prospérité fut sans doute largement facilité par un rapprochement des vues sur l’endettement des pays sous-développés. Enfin et surtout, parce que le déploiement des premiers euromissiles fit pièce aux efforts du camp opposé pour saper la solidarité alliée.
289Le succès, il est vrai, ne pouvait être surestimé et son ampleur procéda surtout, rétrospectivement, de celle de la catastrophe qu’un échec eût entraînée ! A cet égard, le Sommet de Williamsburg refléta, mieux que tout autre chose, l’accalmie qui intervenait. D’un côté, les divergences sur les taux d’intérêt n’en sortirent pas diminuées et l’inclusion du Japon dans le système de sécurité allié reposa sur une ambiguïté ensuite soulignée par les Français.279 De l’autre, considérées en 1982 pratiquement comme condamnées, ces rencontres semblaient « sauvées » désormais.
290En fait, l’arrivée de Shultz semble avoir renforcé l’audience du vieux continent à la Maison Blanche. Haig avait certes défendu ce dernier le plus souvent avec insistance et loyauté. Mais peut-être l’avait-il plus desservi qu’aidé. Les hommes de la Maison Blanche n’avaient jamais éprouvé, pour lui, que méfiance : son assurance leur paraissait souvent de l’arrogance et ils le soupçonnaient d’aspirer à la Présidence. Shultz avait sans doute été le candidat de Schmidt au secrétariat d’Etat et il ne faisait pas partie du « cercle californien. » Mais il était bien vu dans l’entourage du Président américain. Son passé d’universitaire, de membre du Cabinet mais aussi d’homme d’affaires impressionnait. Et surtout, il était capable de comprendre l’importance de la dimension économique pour les alliés.
1) Compromis sur le gazoduc : un nouvel épisode de la rivalité franco-américaine :
291Shultz semble avoir compris que régler ce problème serait la priorité. Il eut pourtant la sagesse de ne pas se presser. En Europe, le gouvernement et l’opinion étaient ulcérés. Aux Etats-Unis, c’était Reagan qui avait personnellement arrêté la décision contestée. Au demeurant, il allait être un temps accaparé par la crise du Liban. Mais le secrétaire d’Etat sut surtout comprendre l’avantage que lui assurerait le temps : d’un côté, les premiers effets des sanctions allaient bientôt rappeler aux alliés les risques qu’une indifférence systématique aux vues de Washington pouvait comporter ; mais de l’autre, l’approche des partielles de novembre et la résistance européenne seraient de nature à calmer l’esprit de croisade d’une bonne partie de l’Administration américaine.
292Des négociations semblent avoir été engagées assez tôt et, dès le 30 août, Jacques Delors évoquait ce qui se passait « derrière le rideau ». D’abord, semble-t-il, limitées aux « Quatre », puis aux « Sept » plus grands alliés, les rencontres devaient, par la suite, parfois s’élargir aux autres qui déploraient de se voir ainsi écartés. Les 2 et 3 octobre, les seize ministres des Affaires étrangères du pacte atlantique se réunissaient au Québec, à Val David, pour une rencontre « privée ». « Il est normal, remarquait un Claude Cheysson de toute évidence satisfait, qu’on se concerte avant de traiter avec les pays de l’Est et qu’on le fasse en fonction de deux critères fondamentaux de l’Alliance : notre sécurité et nos intérêts. »280
293Aucune décision ne devait, semble-t-il, être arrêtée. Mais les Américains avaient apparemment profité de la réunion pour faire entériner comme « relevé de conclusions » un « non-papier », c’est-à-dire un document officieux présentant une série de recommandations dont l’adoption permettrait la levée de sanctions.
294C’est sur ces bases qu’au niveau des « Sept » désormais, une « hypothèse d’accord » se dégageait peu après. Outre la conduite de diverses études destinées à évaluer l’impact réel, dans différents domaines, du commerce avec le camp opposé, le package prévoyait le report de tout nouveau contrat de fourniture de gaz (le « troisième » gazoduc) avec l’Union soviétique jusqu’à l’achèvement d’une étude sur les alternatives énergétiques.281
295Mais sur les modalités de sa présentation, le blocage restait entier. Soucieux d’apaiser les Américains que les sanctions avaient touchés, Reagan eût souhaité pouvoir en annoncer la levée avant le renouvellement partiel du Congrès. Mais il ne pouvait espérer rallier sa Droite que si ce geste paraissait accompagné de concessions des alliés. C’est là que le bât allait blesser.
296La querelle allait opposer la Maison Blanche et l’Elysée. Aux yeux de François Mitterrand, qui semble s’être montré, dans cette affaire, plus inflexible que son ministre des Relations extérieures,282 les Américains avaient procédé, avec les sanctions, à une « prise de gage » unilatérale. Aussi, même si la recherche d’un accord pouvait être désirable, aucun lien ne devait-il être officiellement établi entre leur levée et celui-ci. C’est ce que le Président français semble avoir expliqué le 27 octobre, à William Clark venu le rencontrer en secret.283
297Mais aux yeux des autres Européens, la quête d’un consensus valait bien que l’on fît un bout du chemin. Certes, l’échéance des élections était finalement passée. Mais la mort de Brejnev (le 8 novembre), la libération de Walesa et surtout l’arrivée prochaine à Washington du nouveau chancelier allemand justifiaient qu’on ne tramât plus maintenant.
298Aussi Reagan précipitait-il les événements. Le 11 novembre, il avait encore pris soin de récuser tout lien entre une éventuelle levée de sanctions et les négociations. Mais le 12, il informait ses six principaux alliés qu’il s’apprêtait à annoncer la première en même temps que l’accord élaboré. Le 13, alors qu’il avait déjà reçu l’aval de ses autres alliés, Reagan cherchait, 35 minutes avant son allocution radiodiffusée, à joindre le Président français. Mais Mitterrand refusait de lui parler.284 Finalement, l’Américain louvoyait. D’un côté, il évoquait bien le lien que son homologue récusait. Mais de l’autre, il reconnaissait le caractère inachevé des pourparlers. Plus tard, la diplomatie américaine devait d’ailleurs reprendre, à ce sujet, le terme de « non-papier », concédant ainsi qu’aucun accord « formel » n’avait été signé, même si la France avait approuvé la substance du compromis avancé. Dès le 13, il est vrai, le Quai n’avait pas hésité à rappeler que Paris n’était « pas partie à l’accord annoncé », provoquant un regain de tension entre la France et ceux-ci.
299Un mois après, une rencontre entre Shultz et Cheysson mettait fin au malentendu et permettait la création des quatre groupes d’études prévus.285 La France devait d’ailleurs se montrer de plus en plus sensibilisée aux dangers engendrés par le commerce stratégique avec le camp opposé. Déjà, en renvoyant, en avril 1983, 47 diplomates ou ressortissants soviétiques, François Mitterrand avait marqué son agacement face aux agissements de ce dernier, le pillage technologique et l’espionnage de l’ambassade de France à Moscou en particulier. En 1985, les Français seraient apparemment les meilleurs appuis des Etats-Unis dans leurs efforts pour convertir les autres alliés à un système d’évaluation du potentiel militaire des nouvelles technologies.286
300L’accord de décembre 1982 n’avait pourtant pas surmonté toutes les difficultés. Les Américains eussent, en particulier, souhaité voir les travaux sur l’énergie de l’AIE fixer un pourcentage très précis (30 %) au-delà duquel la dépendance des approvisionnements en gaz d’une source déterminée représenterait une menace pour les démocraties. Ils devaient aussi réclamer que le problème fût mentionné dans les documents du futur Sommet. Ils devaient pourtant se contenter d’une formulation plus générale, en annexe au communiqué de l’OCDE du 11 mai. En fait, un accord secret semble avoir été conclu entre Washington et l’Elysée : en aucun cas, on ne laisserait les divergences sur le commerce Est-Ouest mettre à mal la solidarité alliée comme, à Versailles, elles l’avaient fait.287
301La querelle parut néanmoins devoir rebondir à l’automne 1983 après lorsque des chasseurs du Kremlin eurent abattu un avion civil sud-coréen. Finalement, Reagan se laissa convaincre par Shultz et Baldridge d’attendre le résultat des délibérations alliées avant de se prononcer.288 Les Américains, il est vrai, avaient eux-mêmes signé, durant l’été, un accord incluant une clause « anti-embargo » qui faisait d’eux les premiers fournisseurs de blé de l’URSS à nouveau.289 Et les risques de chaos financier avaient largement remplacé le commerce avec l’Est dans les préoccupations des démocraties industrialisées.
2) Entre le spectre du chaos bancaire et les perspectives de reprise : la revanche de l’interdépendance économique :
« Tout est prêt pour une forte relance qui devient chaque jour plus probable et plus imminente. »
Donald Regan devant la BIRD et le FMI, le 6 septembre 1982.290
302Selon le Premier ministre néo-zélandais, 1983 entrera dans l’histoire comme l’année où l’interdépendance « se sera échappée des manuels d’économie pour... atterrir sur les bureaux des ministres partout dans le monde. »291 A l’été 1982, en effet, la quasi-faillite du Mexique a révélé la vulnérabilité extrême de l’ensemble du « système », et en premier de l’économie américaine. La prospérité des Etats-Unis dépend, la preuve semble en être fournie, autant de la santé des pays les moins nantis que celle-ci de la reprise chez le leader des démocraties.
303Mais si l’accord se fait sur la nécessité d’une « reprise non-inflationniste » pour surmonter les difficultés, sur les moyens de la réaliser, le dissentiment reste presque entier. Du moins les Américains peuvent-ils désormais user d’un nouvel argument face à leurs alliés : à partir du début 1983, outre-atlantique, la reprise est d’actualité. Il reste pourtant à voir si elle saura s’étendre et durer.
a) Alerte sur le système bancaire et financier : les Etats-Unis retournent à un « multilatéralisme d’opportunité » :
« Si vous devez une livre à votre banque, vous avez des problèmes ; si vous lui en devez 100, c’est elle qui en a. »
Lord Maynard Keynes.
« Les banquiers ont la frousse. »
Titre d’un article de Time à l’occasion de la 37e réunion annuelle du FMI.292
304En 1981, l’Amérique avait proclamé sa foi dans le marché et sa méfiance pour tous les organismes qui venaient l’entraver. Pourtant, durant l’été 1982, elle devait redécouvrir les mérites du système de concertation intergouvernemental qu’elle avait elle-même édifié au lendemain des hostilités. A cette époque, en effet, la crise de l’endettement du Tiers Monde menaça de pulvériser l’ordre économique et financier.
305Le 13 août 1982, le ministre des Finances mexicain demanda à être reçu par les responsables financiers américains : « il se montra sur le seuil de notre porte et il retourna ses poches » devait plus tard observer un de ces derniers.293 Son arrivée à Washington devait marquer le début d’une crise de la dette internationale qui, dès Noël, s’était diffusée dans plus d’une douzaine de pays sous-développés et qui, affectant plus d’un millier d’établissements créanciers, allait mettre des prêts supérieurs à 300 milliards de dollars et les plus grandes banques américaines en danger. En fait, depuis le début de l’année, le « Fed » savait Mexico en difficulté : la baisse des recettes d’exportations, consécutive à la très forte récession, donnait à ses problèmes de paiements une nouvelle dimension. Seulement le « Fed » jugeait plus opportun de ne rien faire qui pût alarmer les banques privées et décourager des prêts que Mexico pouvait leur demander. Mais ces efforts devaient être bientôt submergés. D’abord, si la confiance des banques étrangères dans le Mexique persistait, celle des Mexicains s’effondrait ! Bientôt, ils exportaient plus de dollars hors de leur pays que celui-ci ne réussissait à en réemprunter. Ensuite, en juillet, la suspension du remboursement du capital de sa dette par l’Argentine très affaiblie par la guerre des Malouines provoquait, en réaction, un arrêt presque total des prêts à l’Amérique latine. Peu après, juste avant la mi-août, le Mexique se déclarait en banqueroute.
306C’était le symptôme d’une menace d’une extrême gravité. Déjà, le système bancaire américain était fragilisé par les prêts inconsidérés qu’il avait accordés à ses ressortissants, fermiers ou pétroliers. Avant, même la crise mexicaine, en effet, le 2 août, Time avait noté : « Un nombre surprenant de banquiers américains sont en train de s’identifier à des prêts inconsidérés, des décisions erronnées et des gestions laxistes... »
307Si, en outre, des banques devaient s’effondrer faute de pouvoir récupérer les centaines de millions de dollars qu’elles avaient prêtés aux PVD, la nouvelle pouvait déchaîner une panique lourde de dommages pour les Occidentaux : ceux-ci semblent avoir su gré à Mexico d’avoir choisi le 15 août, un jour férié, pour rendre publique l’annonce de sa faillite.294 Les risques étaient, en effet, élevés : c’était entre 35 % et 67 % des capitaux des grandes banques américaines que représentaient leurs créances auprès de ce débiteur désargenté ! De plus, si le Mexique devait renoncer à payer, non seulement son exemple pourrait se voir rapidement imité, mais il pourrait entrer dans une période d’instabilité qui, pour les Etats-Unis, équivaudrait à une menace pour leur sécurité.
308Bref, l’interdépendance prenait sa revanche. Faute d’une intervention intergouvemementale rapide pour l’écarter, le pire pourrait arriver. L’Administration sut, il est vrai, s’accommoder de cette rude reprise de contact avec les réalités. En quelques semaines, tout un système fut édifié pour parer au danger : il combinait des « crédits de transition » (bridge-loans) des grands pays industrialisés, l’octroi de nouvelles facilités par le FMI et de nouveaux efforts des banquiers, le tout étant lié à l’adoption de programmes d’ajustement par les pays endettés.
309L’homme de la situation semble avoir été le patron du « Fed ». Certes, le secrétaire au Trésor et le secrétaire d’Etat devaient jouer chacun un rôle de leur côté. Ce fut en particulier le Trésor qui, alerté le premier, réunit une aide financière américaine d’urgence de 2 milliards pour acheter au Mexique des produits primaires et des stocks pétroliers dont, subitement, les Etats-Unis ressentirent la nécessité ! Mais ses divisions entre monétaristes et partisans de l’« économie de l’offre » privaient le Trésor d’une réelle autorité et ce fut Volcker qui joua le rôle capital.
310Le patron du « Fed » avait peut-être tergiversé. Mais face à la crise, il devait développer une stratégie remarquablement adaptée : d’un côté, il convainquait le Mexique de déclarer un moratoire de 90 jours et de s’en remettre entièrement au FMI dont le Directeur général, Jacques de Larosière, partagerait le mérite de la solution avec lui ; de l’autre, il laissait la Banque de réserve fédérale de New York, organiser une réunion des principaux créanciers, destinée à les persuader que seul l’octroi de nouveaux prêts pourrait tout sauver. On le voit, l’heure était à la réconciliation de l’interventionnisme intergouvememental avec l’entreprise privée. Loin de tergiverser, le gouvernement américain avait lui-même bousculé les banques centrales alliées : celles-ci, en effet, avaient renâclé, en souvenir des réticences que les Américains avaient affiché, en 1981, sur le cas polonais. Et il avait comme par enchantement oublié les préjugés que le FMI avait pu lui inspirer.
311De cette affaire, celui-ci devait, en effet, sortir grandi. Non seulement, il put jouer un rôle essentiel dans l’élaboration du compromis, mais il devait dicter ses conditions aux banquiers aussi. Tout d’abord, l’octroi de son aide fut subordonné à l’adoption, par Mexico, d’un sévère programme d’austérité, programme auquel celui-ci mit plusieurs mois à se rallier. Ensuite, le Fonds conditionna son action à un engagement des banquiers de fournir les nouveaux prêts que l’opération de sauvetage nécessitait.
312Les banquiers, d’ailleurs, ne semblent guère avoir songé à protester. Ils redoutaient en particulier de voir le flux des intérêts s’arrêter : l’octroi de « crédits de transition » par les diverses banques centrales et les tirages ultérieurs du FMI les prémunissaient contre une chute considérable de leurs profits. Certes, ils avaient dû consentir de nouveaux crédits. Mais cela n’avait pas été sans d’énormes contreparties. D’abord, le « Fed » et le FMI les avaient autorisés à compenser les risques qu’ils prenaient par l’imposition de taux d’intérêt particulièrement élevés. Ensuite, le premier avait promis d’afficher une large compréhension dans l’interprétation des règlements concernés.295 Surtout, quoique l’idée eût été l’objet de démentis des deux côtés, plus d’un observateur estimait que ces prêts bénéficiaient, implicitement, d’une garantie : n’étaient-ils pas intégralement partie d’un compromis établi par le gouvernement et le FMI ?
313L’inflexion va, en effet, s’accentuer avec la multiplication des « crises » à la fin de l’année. Alors, en effet, qu’après la Pologne, Roumanie et Yougoslavie connaissent des difficultés dans l’autre camp, la « crise » s’étend aux dettes des autres « pays industrialisés en développement. » Or, c’est 122 % de leur capital que les neuf plus grandes banques américaines ont prêtés aux trois pays (Mexique, Brésil et Argentine) les plus en difficulté ! Non seulement De Larosière n’hésite plus à convoquer lui-même de nouvelles réunions de banquiers. Mais le FMI reçoit un nouvel appui des dirigeants des Etats-Unis. En septembre, encore, Donald Regan avait estimé que le Fonds jouissait d’assez de liquidités et qu’une augmentation de 25 % de ses quotas suffirait.296 Tout au plus avait-il suggéré une augmentation de ses facilités d’emprunts auprès du Groupe des Dix. Or, non seulement celles-ci se voyaient triplées en janvier,297 mais dès décembre, Washington avait fait un autre pas vers ses alliés : lors d’une session, dont la tenue avait été précipitée, les ministres des Finances des « Cinq » réunis à Kronberg les 9 et 10 décembre avaient décidé de relever les quotas de moitié.298 Surtout, en 1983 l’Administration allait haranguer un Congrès qui, de toute évidence, renâclait. Ainsi, fin 1983, les perspectives s’amélioraient : non seulement, en novembre, le Congrès se laissait finalement persuader mais la reprise de l’économie américaine combinée aux programmes d’austérité entraînait un regain d’exportations pour ces derniers.
314Rien, il est vrai, n’était définitivement réglé. Les Américains ne se montreraient pas toujours disposés à tirer toutes les leçons que la crise suggérait. Non seulement Reagan, en réponse aux pressions protectionnistes du Congrès, décidait, le 31 mars 1983, de réduire de 8,4 à 7 milliards de dollars le plafond des importations en franchise dont bénéficiait nombre de produits des PVD. Non seulement, en septembre, ses représentants demandaient à la BIRD de réduire le montant de ses prêts à bas taux d’intérêt accordés aux pays les moins avancés. Mais les palliatifs pouvaient rendre, à terme, le problème encore plus explosif. D’un côté, certains expliquaient que l’on n’avait reculé que pour mieux sauter car les taux exorbitants auxquels les nouveaux prêts avaient été accordés provoqueraient, à terme, une nouvelle crise encore plus difficile à absorber. De l’autre, les banques étaient échaudées et, de l’été 1982 à l’été 1984, elles devaient sensiblement réduire le rythme de leurs prêts aux pays sous-développés.299 Du coup, la parité et le loyer du dollar ne pourraient que monter, accentuant un déséquilibre que la politique de l’Administration avait déjà impulsé.
315Comment s’étonner si aux frustrations des Etats-Unis en matière douanière devaient faire écho les doléances de l’Europe sur les conséquences de leurs politiques budgétaire et monétaire ?
b) Nouveau Tokyo Round ou nouveau Bretton Woods ? : les Etats-Unis et la France s’affrontent sur la relance :
316Sur le tard de 1983, les querelles économiques perdent de leur caractère dramatique. Pourtant, les affrontements transatlantiques n’en sont pas moins critiques. A partir du début de l’année, l’Amérique hausse, en effet, d’un cran ses pressions pour obtenir une libération douanière des alliés. Ceux-ci se montrent plus que jamais été irrités par l’indifférence de Washington pour les effets de sa politique de hauts taux d’intérêt. Du moins, l’Occident a-t-il une raison d’espérer désormais.
317Dès janvier, en effet, la conjoncture américaine a commencé à se retourner. Les causes en sont diverses à n’en pas douter et l’impact des réductions fiscales, qui vont jouer à plein désormais, ne peut être négligé. Pourtant, l’essentiel est peut-être l’inflexion que subit à l’été 1982 la politique monétaire des Etats-Unis. A ce moment, en effet, Volcker donne l’impression d’estimer sa lutte contre l’inflation assez avancée pour que priorité soit donnée, si nécessaire, à une deuxième guerre, celle contre la récession engendrée par la première ! Dès la fin juin 1982, il a ainsi procédé à un léger relâchement des taux d’intérêt. Son souci est sans doute d’apporter une bouffée d’oxygène à un système bancaire quelque peu essouflé. Pourtant, si le taux des prêts du « Fed » aux banques membres baisse de 12 % à 9 % de juillet à novembre,300 c’est sans doute parce que la crise de l’endettement des PVD donne à la menace une tout autre gravité. Dès lors, le déficit du budget va pouvoir peu à peu faire sentir ses effets. Du coup, rassurés, les Américains qui, dans la crainte du chômage, avaient jusqu’ici épargné, vont relancer une demande que la chute des prix pétroliers va renforcer.
318Pour les Républicains, c’est évidemment la preuve que leur politique est couronnée de succès et, plus que jamais sans doute, ils se jugent habilités à imposer leurs vues à leurs alliés. Le salut est, à les écouter, dans une convergence des économies industrialisées sur une politique de relance non-inflationniste telle qu’ils viennent de la réaliser. Il est aussi, s’empressent-ils d’ajouter, dans un grand mouvement de désarmement douanier qui seul permettra l’extension de la relance au monde entier, aux PVD en particulier. Aussi déclenchent-ils une nouvelle série d’offensives pour arracher à leurs alliés ce que ceux-ci semblent leur refuser.
319Les Etats-Unis ont très vite discerné dans la session « ministérielle » des 88 « parties contractantes » du GATT (24-29 novembre) un forum privilégié. Mais la dépression, le conflit de l’acier et la querelle sur le commerce avec le camp opposé ont rapidement contribué à dissiper ses chances de succès. Le 16 novembre, il est vrai, le GATT publie un projet de « Déclaration » où les vues américaines sont largement exposées. Mais le 22, la Commission récuse les passages qui « ne reflètent pas de manière satisfaisante la position et les intérêts de la Communauté. »301 Celle-ci a, en effet, solennellement rappelé que se précipiter dans de grandioses pourparlers douaniers serait confondre la cause, la crise économique, et l’effet, le protectionnisme.
320La session qui s’ouvre deux jours après va confirmer la règle selon laquelle, dans ce type de négociation, la Communauté sait opposer un front uni à Washington. Comme à l’accoutumée, la résistance sera dirigée par les Français. Michel Jobert la mènera avec une telle vigueur que Brock persuadera Shultz d’envoyer son ambassadeur à Paris « déplorer » l’attitude du ministre du Commerce extérieur.302 Mais la session paraît surtout refléter l’ampleur des dangers auquel le libéralisme est exposé. Le communiqué final ne comporte aucun engagement concret. Sur les services, les gouvernements se voient simplement invités à préparer leurs analyses et à se servir du secrétariat du GATT pour les « coordonner ». Les questions commerciales liées aux « hautes technologies » sont totalement ignorées. Quant aux subventions dont les exportations agricoles peuvent bénéficier, tout ce que les représentants de la Communauté ont concédé, c’est un acquiescement réticent à la conduite d’une étude exhaustive du problème dans les deux ans.
321A ce moment, l’Administration doit penser que le temps n’est plus aux seuls avertissements. Ceux-ci ont été prodigués au demeurant : Brock est arrivé à Genève entouré d’une quarantaine de sénateurs et de représentants qui se sont répandus dans les couloirs en répétant qu’à moins d’obtenir de substantiels apaisements, l’Exécutif ne pourrait endiguer le protectionnisme montant.
322Sous bien des aspects, l’agressivité de l’Administration ne fait que refléter l’humeur générale du Congrès et nombre des mesures protectionnistes qu’elle va arrêter résultent bien des pressions désespérées de secteurs sinistrés. Les dispositions des élus seront illustrées par le vote, à la Chambre, dans le courant de l’année, d’une version plus sévère du Domestic Content Bill déjà évoqué. Mais si l’Administration s’y déclare toujours aussi opposée, elle n’en a pas moins donné des gages de bonne volonté aux partisans d’une protection renforcée.
323Début juillet, en particulier, suivant une recommandation de l’ITC, Reagan relève les tarifs et abaisse les quotas sur toute une série de types « spéciaux » d’aciers. Une fois de plus, l’Administration s’est montrée divisée, Brock, Baldridge et Donovan venant appuyer une décision à laquelle Stockman, Regan, Feldstein et Shultz ont tenté de s’opposer. La Communauté ne décolère pas de voir l’accord de 1982 ainsi tourné et brandit des menaces de représailles à la fin de l’année.
324Mais c’est surtout au début de celle-ci et à propos de l’agriculture que les tensions ont atteint leur sommet. Le 18 janvier, en effet, la nouvelle se répand que les Etats-Unis vont vendre un million de tonnes métriques de farine à l’Egypte, un marché traditionnel de la Communauté. Raison de cette « percée » : le prix a été fixé à 155 dollars la tonne, c’est-à-dire un tarif de 100 dollars inférieur au marché américain. Les Européens sont d’autant plus désarçonnés qu’après l’échec de Genève ils s’étaient empressés d’ouvrir des pourparlers directs sur le sujet. Shultz s’était ainsi rendu, à la mi-décembre, au siège de la Communauté où la création d’un groupe de travail de haut niveau avait été décidée.303
325Très vite, pourtant, la situation s’est détériorée. Le 11 janvier, le jour même où, à Washington, les conversations doivent commencer, Reagan annonce toute une série de mesures en faveur de ses fermiers. Outre un nouveau programme, les PIK ou Payments in Kind, destiné à encourager la réduction des emblavures cette année,304 le Président annonce une forte augmentation des subventions aux exportations. Comme on l’a noté, la mesure se concrétise, dans le contrat avec l’Egypte, quelques jours après. Pis, le 23 janvier, Block et Brock annoncent devant une Commission du Congrès que l’Administration est prête à recommencer si cela est nécessaire pour convaincre la Communauté de « négocier » ! L’expression de « guerre commerciale » commence à être couramment utilisée.
326La Communauté réagit sans tarder. Très vite, elle saisit le GATT qui, fin février, dégrève ses exportations de blé des accusations de dumping que les Américains ont formulées. Entre-temps, ses ministres des Affaires étrangères demandent à leur Président, Genscher, d’écrire à Shultz pour lui exprimer leur colère.305 Fin mars, la querelle semble pourtant s’apaiser, Block ayant annoncé la suspension des ventes subventionnées : pour « donner aux Européens un nouveau délai. » Mais la pression ne s’est pas pour autant dissipée. En 1983, l’ensemble de subventions fédérales à l’agriculture se montera à 18,9 milliards de dollars, contre 4 en 1981 et 12 en 1982. Et Reagan a lancé l’idée de doter l’Eximbank, jusqu’ici bridée, d’un Trésor de Guerre : il aidera à financer des crédits bon marché pour les ventes américaines à l’étranger.
327En même temps, l’Administration développe une autre stratégie. Après novembre 1982, le bruit court qu’elle pourrait envisager de travailler avec un groupe plus étroit que le GATT, excluant la Communauté. Il s’agit surtout, semble-t-il, de convaincre les vieilles nations que le choix est, pour elles, entre coopérer ou se résigner à une entente directe et redoutée entre Américains et Japonais. D’ailleurs, les Etats-Unis ne cachent plus leur volonté d’emprunter à ces derniers les recettes de leur compétitivité. Dans le courant de l’année, Reagan a ainsi proposé au Congrès une réorganisation totale des services consacrés aux relations commerciales avec l’étranger. La pièce maîtresse du nouveau dispositif, un DITI, département du Commerce international et de l’industrie, est une réplique du célèbre MITE306
328Face aux revendications américaines, la ligne de défense européenne reste, dans l’ensemble, la même : les problèmes résultent moins des barrières commerciales que de l’impact du déficit budgétaire des Etats-Unis sur les autres économies. Les taux d’intérêt encore trop élevés qui en sont le principal effet prohibent toute relance chez les alliés. Mais, à l’approche du prochain « Sommet », c’est à un autre effet de l’« unilatéralisme » américain que s’attaque le Président français : l’instabilité de plus en plus préjudiciable des monnaies. S’adressant devant l’OCDE le 9 mai, il propose « la réunion d’une conférence au plus haut niveau dans le cadre du FMI ». Bref, le moment est venu de « penser à un nouveau Bretton Woods » selon lui.
329Ce faisant, il reprend un thème cher à Paris. En 1973, la France avait obtenu de la Communauté que l’imprescriptible lien entre réforme monétaire et désarmement douanier soit proclamé. Avec une devise affaiblie par la relance isolée dans laquelle elle s’est fourvoyée, la France est, en effet, des plus sensibles au danger que constituent les mouvements spéculatifs sur les monnaies. Dès Versailles, elle avait d’ailleurs demandé la mise au point d’un mécanisme d’intervention concertée. Mais, comme on l’a noté, à peine un accord avait-il paru réalisé que les Américains en avaient limité la portée. Ils ne sont évidemment guère disposés à aliéner l’extraordinaire liberté que le renoncement aux parités fixes leur a assurée. Peu après, devant le Congrès, un haut fonctionnaire, Robert Hormats, avait expliqué la ligne que Washington suivrait : « Nous interviendrons quand il y aura un risque de perturbation sur le marché des devises, mais non pas pour essayer d’établir ou de maintenir un taux de change donné. »307 Le Trésor, avait-il ajouté, avait demandé au « Fed » d’intervenir fin mars 1981 quand Reagan avait manqué d’être assassiné et en juillet 1982, quand les Européens avaient réaligné leurs devises dans le SME. De même, des interventions avaient été envisagées lorsque la mort de Sadate et la guerre des Malouines avaient paru susceptibles de bouleverser le fonctionnement normal du marché.
330Quelque huit mois après, la preuve est donnée que la doctrine américaine n’a pas changé. Fin avril 1983, en effet, le rapport commandé à Versailles a été publié et peu après, les ministres des Finances des « Sept » se sont dits d’accord pour des « interventions coordonnées » en cas de nécessité. Mais Donald Regan s’est empressé de préciser que la politique des Etats-Unis restait toujours inchangée.
331Aussi est-ce sans doute pour ne pas laisser enterrer le projet que Mitterrand lance l’idée d’une nouvelle conférence quelque huit jours après. De toute évidence, les Américains sont agacés. Dans une note préparée pour Reagan le 27 mai, deux hauts fonctionnaires du département d’Etat remarquent que Shultz est sorti plutôt rassuré de son entretien du 10 mai avec le Président français. Ce dernier, a-t-il estimé, n’est pas animé par une « mauvaise volonté » à l’égard des Etats-Unis ou du futur Sommet. Néanmoins, son « idéologie socialiste » et sa proposition sur la monnaie pourraient créer des difficultés.308
332Aux yeux des Américains, toutes ces déclarations ou initiatives visent à occulter des difficultés et des erreurs passées. Les Français ne sont pas à l’abri des critiques, en effet, et, en public comme en privé, leurs alliés ne se priveront guère de les évoquer. Tout d’abord, la volonté d’atténuer les fluctuations erratiques des devises se heurte à des obstacles critiques : la faiblesse des réserves des banques centrales au regard des mouvements de capitaux et le caractère éphémère de tels ajustements dès lors que les pays déterminent leur politique économique librement. Par ailleurs, Paris semble mal placé pour donner des leçons sur le sujet : le franc est encore menacé et le gouvernement négocie, pour le protéger, de difficiles emprunts auprès de la Communauté. En mars 1983, en effet, la situation économique s’est tellement détériorée que Mitterrand aura sans doute un temps envisagé une sortie du cadre de la Communauté.309 Seules de pénibles négociations avec les autres membres de la C.E.E., les Allemands en particulier, ont permis d’écarter le danger. Enfin, précisément, les idées françaises ne font pas l’unanimité au sein de la Communauté. La Bundesband, en particulier, est loin de les apprécier.
333Mais cette « faiblesse » est aussi un atout des Français. Pour avoir su choisir, en mars 1983, l’austérité et donner à la convergence avec les autres politiques européennes la priorité, Paris a prouvé qu’un système de fluctuations contrôlées peut faciliter un rapprochement entre des politiques a priori fort éloignées ! Pourtant, c’est ailleurs qu’est le principal argument du Président français : fin 1982, les risques de chaos financier sont apparus tels que c’est le secrétaire au Trésor américain qui a lancé l’idée d’un « Nouveau Bretton Woods » le premier. Et quand celle-ci est reprise, au printemps, par Paris, cela fait un bon moment qu’elle circule en Europe mais, plus encore, aux Etats-Unis.
334Le 6 décembre 1982, en effet, Donald Regan a déclaré qu’une grande conférence pourrait traiter de tous les problèmes économiques et financiers et, peut-être, chercher à établir une certaine « viscosité » dans les fluctuations entre les principales monnaies. Sans doute le secrétaire au Trésor s’est-il hâté de préciser que c’est en son nom personnel qu’il parlait et que la doctrine américaine en matière d’intervention n’est nullement modifiée. Il s’est d’ailleurs contenté d’évoquer une meilleure « coordination des politiques » fiscales et monétaires. A Kronberg, quelques jours après, c’est ainsi sur la création d’un fonds de secours d’urgence pour les pays en difficulté qu’il va insister. Il y donnera d’ailleurs largement l’impression de se rétracter : il n’a pas voulu critiquer le FMI, croit-il bon de protester. Sa proposition, il est vrai, n’a pas fait, et de loin, l’unanimité. Shultz l’a même qualifiée de « prématurée » : la solution de la dette, a-t-il remarqué, est à attendre de l’expansion du commerce international, celui-ci étant la vraie clé à la stabilisation du réseau financier.310
335Il n’empêche. De plus en plus nombreux sont alors, y compris aux Etats-Unis, ceux qui voient dans l’instabilité monétaire un péril. Fin 1982, en effet, comme on l’a noté, le monde vit dans la hantise d’un grand ébranlement financier et l’idée commence à se diffuser que les Etats-Unis devraient prendre une initiative pour écarter le danger. Mais c’est à partir de la fin mars, soit quelque six semaines avant que Mitterrand ne relance l’idée, que les voix en faveur d’une grande remise en ordre monétaire se sont multipliées. Beaucoup redoutent désormais de voir l’incertitude monétaire nuire à la reprise en train de s’esquisser. Du coup, l’idée d’un nouveau « Bretton Woods » a été parfois reprise et celle d’un resserrement des fluctuations entre le yen, le dollar et les monnaies de la Communauté s’est vue avancée par des hommes aussi divers qu’Helmut Schmidt, Kissinger, Giscard ou, même, Paul Volcker !311 Mieux ! Le très « reaganien » représentant de New York, Jack Kemp, va organiser, avant la tenue du Sommet, une conférence en faveur d’un retour aux parités fixes.312
336A l’approche du Sommet, la thèse américaine n’a évidemment pas changé : c’est de la convergence des efforts nationaux et de la discipline que peut procéder le seul retour durable à la stabilité, non d’interventions artificielles des banques centrales sur le marché. Avant même que Mitterrand l’ait avancée, Regan a qualifié l’idée d’une conférence chargée de stabiliser les parités entre le yen, le dollar et les devises de la Communauté de « prématurée ». Au demeurant, le ministre allemand de l’économie a perfidement remarqué qu’à ses yeux, le problème était moins les taux flottants que les politiques économiques de « certains » pays.313 Pourtant, l’idée ne pourra être totalement ignorée. D’abord, parce que les exportateurs américains, pour qui la « surévaluation » du dollar est une obsession désormais, lui ont manifesté un réel intérêt. Ensuite, parce que le problème monétaire sera au coeur des débats interalliés à travers les taux d’intérêt. Enfin, parce que le bruit court que le Président français envisage, en cas d’insuccès, de remettre en cause le processus des Sommets.
337Force sera donc aux Américains de faire un geste de bonne volonté. Dans l’ensemble, ils obtiendront, il est vrai, beaucoup de leurs alliés. « Nous percevons maintenant clairement des signes de reprise » peut-on lire dans le communiqué. C’est là un gros effort des Européens qui acceptent d’occulter le scepticisme que la politique américaine peut leur inspirer.
338En échange, Washington fait quelques concessions. Outre un freinage de la « croissance des dépenses », le communiqué préconise l’« abaissement des taux d’intérêt, qui enregistrent actuellement un niveau trop élevé. » Les Américains, il est vrai, se sont contentés de répéter que la baisse des taux résulterait de celle de l’inflation et de la réduction du déficit du budget que la reprise entraînerait. Une satisfaction de principe a du moins été accordée au Président français. Non seulement, l’idée d’« interventions coordonnées » est, une fois de plus, mentionnée. Mais sa proposition de conférence n’a pas été totalement ignorée. Mitterrand semble, il est vrai, avoir réduit l’ambition du projet. Le flou et donc la relative innocuité des propositions qu’il devait avancer contribua, peut-être, à rallier les autres participants à l’idée. Celle-ci, pourtant, n’aurait pas été incluse dans le texte que les « sherpas » avaient initialement rédigé mais ajoutée à l’insistance du chancelier Kohl au cours des pourparlers. Quoi qu’il en soit, le document invitait les ministres des finances « à définir les conditions de l’amélioration du SMI et à prendre en considération le rôle que pourrait jouer, le moment venu, dans ce processus une conférence internationale de haut niveau. »
339La suite devait montrer que rien n’était changé. Williamsburg avait sans doute incarné la prise de conscience de l’interdépendance, mais aussi le refus des Etats-Unis d’en tirer toutes les conséquences. Sans doute ne voulaient-ils pas renoncer aux avantages que le flottement quasi incontrôlé leur assurait. Mais n’était-ce pas oublier les responsabilités que leur statut particulier leur conférait ? En dépit d’une intervention limitée au cours de l’été, la devise américaine devait bientôt atteindre de nouveaux sommets et conforter les Européens dans l’idée que la politique américaine sapait leurs efforts pour renouer avec la prospérité. Plus tard, il est vrai, David Stockman devait affirmer que tout au long de 1983 Reagan avait ignoré les arguments « écrasants, irréfutables » en faveur d’une hausse de la fiscalité, seule méthode pour réduire un déficit du budget qui atteindrait les 208 milliards cette année.314
340Du moins, la reprise américaine s’était-elle amplifiée et des compromis avaient-ils pu s’esquisser. En novembre, Brock pouvait révéler la tenue de « contacts exploratoires » en vue de l’ouverture, dans les années à venir, d’un nouveau « Round » tarifaire.315 Au même moment, les responsables du groupe des Dix se disaient d’accord pour ouvrir une nouvelle série de négociations sur la réforme du SMI.316
341Seulement, c’était une « reprise de guingois » que l’OCDE connaissait. Si, entre 1982 et 1983, le chômage chutait de 11 % à 8,2 % aux Etats-Unis et stagnait entre 2,4 % et 2,7 % au Japon, il augmentait de 10 % à 11 % chez les vieilles nations. En même temps, pour la première fois, le retour de la prospérité en Amérique ne s’accompagnait pas d’un gain de compétitivité, à cause d’un dollar par trop élevé : en 1983, le déficit commercial américain atteignait les 70 milliards, les Etats-Unis étaient déficitaires face à la Communauté et le protectionnisme semblait devoir renouer avec ses heures de gloire. Sans doute le retard du vieux continent s’expliquait-il par une certaine absence de flexibilité et par des prélèvements sociaux parfois trop hauts. Mais l’impact des taux d’intérêt américains ne pouvait, pour autant, être nié. Bref, entre puissances atlantiques, la solidarité semblait vacillante en matière économique. Au moment où elle se réaffirmait sur le plan stratégique.
3) Retour à la solidarité stratégique : difficultés dans le Tiers Monde et déploiement des euromissiles :
a) De l’Amérique centrale au Moyen-Orient :
342Des divergences aux déboires de l’Occident : à partir de l’été 1982, les divergences alliées face aux menaces stratégiques pesant sur le monde sous-développé semblent évoluer. En apparence, cette inflexion se caractérise par une atténuation des griefs européens, et notamment français. A l’été 1983, l’attitude française au Tchad semble illustrer ce renversement précipité. Au départ, la France ne veut envoyer aucun militaire dans ce pays troublé : « Nous n’allons pas agir comme les Etats-Unis au Honduras et au Nicaragua » proclame Claude Cheysson le 13 juin 1983. Aussi juge-t-elle déplacés les avertissements des Etats-Unis quant à l’aventurisme de Kadhafi et intempestif l’envoi de deux avions AWACs pour surveiller les mouvements de la Libye. Pourtant, peu après, la France semble se rallier à la vision, plus pessimiste et militaire, de son grand allié : elle décide de donner avec l’« opération Manta » un coup d’arrêt bien tardif aux entreprises de Tripoli.317
343Parler d’harmonie entre les alliés serait néanmoins exagéré comme en témoigne la réaction européenne à l’intervention à Grenade quelques mois après. Si les tensions semblent moins vives que par le passé, c’est moins en raison d’une convergence mûrement méditée que de la discrétion d’une Europe largement accaparée par ses propres problèmes de sécurité ou (pour la France) financiers. Mais c’est aussi parce que pris au piège du Liban, Français et Américains font, avec désarroi, l’expérience de leur impuissance commune au Moyen-Orient.
– Apaisement sur l’Amérique centrale :
344Que 1983 coïncide avec une atténuation des querelles occidentales à propos de l’Amérique centrale peut paraître paradoxal. Tout au long de l’année, la politique américaine a eu tendance à se durcir en effet. L’arrivée de Shultz avait pourtant paru entraîner une certaine flexibilité. En février 1983, le Washington Post était à même de publier un document secret où Thomas Enders, son principal conseiller, définissait, pour le Salvador, une « double voie » : elle consistait à appuyer d’éventuelles négociations avec la guérilla et à soutenir les forces susceptibles de l’affaiblir, qu’il s’agisse du gouvernement ou des contras.318
345Sans doute Enders est-il surtout préoccupé d’assurer le soutien du Congrès à une politique que celui-ci semble peu priser. Sénateurs et représentants refusent en particulier de voir les fonds votés pour aider les contras à empêcher les livraisons d’armes à la guérilla servir à une entreprise de déstabilisation du Nicaragua. Pourtant, Enders a sans doute d’autres visées quand il préconise une approche « modérée ». Au Salvador, pour commencer, le pouvoir semble incapable de réduire la rébellion armée. De même, dans l’ensemble, les contras sont trop identifiés au régime somoziste pour pouvoir s’assurer la victoire sur le gouvernement nicaraguayen. Or, la persistance du « syndrome vietnamien » ne prohibe-t-elle pas toute intervention massive des Américains ? « Envoyer des troupes à l’heure actuelle, a déclaré Enders durant l’été, ne résoudrait rien. »319 Aussi a-t-il, dès 1982, approuvé l’idée d’une « Commission de paix » dont le but serait d’ouvrir le processus politique, avec les garanties nécessaires, aux rebelles acceptant de jouer le jeu parlementaire. De même, il est sans doute favorable à un règlement qui tolèrerait les Sandinistes au Nicaragua, tout en leur interdisant toute assistance à la guérilla.
346Apparemment, la « double voie » devient la politique officielle de Reagan. Le 27 avril, devant le Congrès, il prend position « en faveur du dialogue et de la négociation ».320 Quelques semaines après, il demande d’ailleurs à Kissinger de présider une Commission bipartisane sur le sujet. Il recourt ainsi à un procédé qui, par deux fois déjà, lui a permis de surmonter ses différends avec le Congrès. Début 1983, la Commission Greenspan sur la Sécurité sociale a su élaborer un compromis entre les vues divergentes des deux grands partis. Et, comme on le verra ultérieurement, la Commission Scowcroft a ouvert la voie à un apaisement dans le débat sur le contrôle des armements. Pourtant, la Commission Kissinger ne connaîtra qu’un succès mitigé. D’abord, les remarques justes qu’elle émet dans le rapport qu’elle remet le 11 janvier,321 l’importance des sources internes des difficultés, s’assortissent de propositions d’aide très élevées que sénateurs et représentants n’ont aucune intention d’appliquer. Ensuite, la « menace directe pour les intérêts de sécurité américains » que fait selon elle peser l’expansionnisme du camp opposé, semble trop bien justifier l’engagement de ressources militaires quasi illimitées que, par moment, l’Administration donne l’impression d’envisager.
347Fin 1983, en effet, l’Amérique centrale semble le terrain privilégié où l’Administration cherche à prouver son goût pour la fermeté. Le 27 mai, en effet, Enders a été limogé. Non contente de déployer sa flotte tout au long de ses côtes et de transformer le Honduras, à la suite de manoeuvres s’étendant sur plusieurs mois, en une sorte de bivouac géant pour ses soldats, elle soutient ouvertement une armée de plusieurs milliers de contras.
348Dès les premiers mois de 1983, en effet, un temps sensible aux pressions de son Congrès comme de ses alliés, Reagan semble s’être laissé gagné par les arguments de ceux qui, tels Jeane Kirkpatrick ou William Casey, contestent l’approche « modérée ».322 Que les militaires « opportunistes » sur lesquels les Américains ont cherché à s’appuyer s’avèrent d’une redoutable inefficacité signifie, selon eux, simplement qu’il ne faut plus hésiter à s’en remettre à des officiers, fussent-ils de « droite », plus déterminés. Que la lutte contre les Sandinistes soit semée de difficultés, ne doit pas engendrer de dangereuses illusions sur leur respect d’un éventuel règlement négocié.
349On est sans doute au coeur du débat. D’un côté, l’Administration se dit officiellement intéressée par un règlement négocié. Mais, de l’autre, elle va de plus en plus insister sur une idée : aucun accord satisfaisant ne pourra être envisagé tant qu’à Managua un minimum de vie démocratique n’aura pas été restauré. C’est là sa principale réponse au « Groupe de Contadora » établi au début de l’année.
350Ce dernier résulte d’une inflexion de la politique mexicaine. En 1982, Lopez Portillo ne dispose plus des moyens de braver l’opposition domestique à sa politique de soutien aux mouvements « subversifs ».323 Aussi privilégie-t-il ses efforts de médiation entre ceux-ci et Washington. A l’été, l’appui du Venezuela va donner une nouvelle légitimité au projet que la transition entre sa présidence et celle de Miguel de la Madrid va encore conforter. Le 9 janvier 1983, les deux pays sont rejoints par la Colombie et le Panama dans ce que l’on va appeler le « Groupe de Contadora » : l’idée est de parvenir à un règlement régional garantissant la sécurité de tous les Etats représentés. Mais aux yeux de Washington, l’entreprise soulève un problème crucial : le Nicaragua ne va-t-il pas être tenté d’exploiter le désir de paix de ceux qui l’ont lancée pour arracher un accord qu’il sera le seul à ne pas respecter ? Aussi, paradoxalement, une pression armée semble-t-elle plus nécessaire que jamais : pour s’assurer une position de force à l’orée des pourparlers ou pour provoquer cette évolution de la Junte nicaraguayenne sans laquelle certains membres de l’Administration jugent toute négociation au pire dangereuse, au mieux vaine.
351L’autoritarisme des Sandinistes explique sans doute partiellement la discrétion des « alliés » : dès le 15 mars 1982, les premiers ont décrété l’état d’urgence et, quelques mois après, c’est à l’Eglise qu’ils se sont attaqués.324 Arguant de la menace « impérialiste », ils ont exercé une redoutable répression sur les Indiens Miskitos et, selon un observateur, dès 1982, la question n’est plus de savoir s’ils sont « marxistes-léninistes » mais s’ils deviendront franchement « stalinistes ».325 Aussi les gouvernements européens sont-ils moins que jamais décidés à se heurter aux Américains dans cette zone éloignée. Surtout, peut-être désenchanté par l’évolution de la junte, le gouvernement français n’a plus les moyens de la politique quelque peu « flamboyante » qu’il avait esquissée. Affaibli par son programme d’austérité, il ne peut surtout plus compter sur le Mexique pour lui servir de partenaire ou de relais. En décembre 1981, déjà, Mexico avait refusé d’appuyer les ventes d’armes au Nicaragua. Quand, début 1982, les Français lui ont sans doute demandé de se joindre à eux pour apporter au FMLN-FDR un soutien financier, le Mexique s’est dérobé.326
352Aussi est-ce sur la voie que son ancien partenaire est en train de tracer que Paris va s’orienter, en entraînant, cette fois, la Communauté. L’appui au processus de Contadora offre, en effet, aux Européens, un moyen privilégié de faire prévaloir leur vision dans cette région agitée. L’aboutissement de cette politique que Claude Cheysson saura impulser sera, les 28 et 29 septembre 1984, la conférence de San José.327
353Sans doute pressions américaines et efforts de paix ne restent-ils pas sans effet. A partir de juillet 1983, le Nicaragua s’attache à redorer une image assez dégradée. En octobre, ses dirigeants iront jusqu’à avancer un projet de Traité qui interdirait l’exportation de la subversion. Mais si Shultz semble intéressé,328 l’Administration discerne surtout dans cette évolution un encouragement à de nouvelles pressions.
354C’est dans ce contexte que l’expédition de Grenade va provoquer un subit regain des querelles entre Européens et Américains. En octobre 1983, cela fait longtemps que l’Administration s’inquiète du rôle que pourrait jouer dans les lignes de communications de l’Union soviétique cette petite île, depuis mars 1979 sous emprise marxiste. Aussi va-t-elle s’empresser, quand l’occasion lui en est donnée, d’écarter le danger. Le 13 octobre, le Premier Ministre Maurice Bishop a été arrêté par ses rivaux politiques qui le jugent trop modéré. Ses partisans le libèrent six jours après. Las ! il est le jour même assassiné. Tandis qu’un Conseil militaire révolutionnaire et un couvre-feu permanent sont instaurés, l’Organisation des Etats des Caraïbes orientales demande à l’Amérique d’intervenir pour la protéger. Invoquant la sécurité de ses 1.000 citoyens, l’Administration se réclame de cet appel de ses voisins pour envoyer, le 25 octobre, les Marines rétablir un ordre plus conforme aux intérêts américains.
355Ce faisant, le Président agit habilement. Certes, l’interdiction que les autorités militaires ont faite à la presse de les suivre sur le terrain, commence par susciter une réaction critique chez les Américains. Mais Reagan retourne la situation par un discours le surlendemain. Au demeurant, la population locale semble accueillir les Marines avec soulagement et l’Administration trouver sur l’île maints documents qui témoignent de la collusion de ses dirigeants avec l’autre camp. Sans grand risque, l’Administration a ainsi suggéré que le syndrome vietnamien pouvait être surmonté et que les Etats-Unis pouvaient projeter leurs forces dans les pays sous-développés.
356Le succès ne peut qu’encourager l’Administration dans son goût pour la fermeté. Non seulement Castro, qui est resté passif dans toute cette affaire, n’hésitera pas à qualifier les rivaux de Bishop d’émules de « Pol Pot » et de « hyènes sorties des rangs révolutionnaires ». Mais il rappelle à l’adresse des Nicaraguayens que les Cubains « n’ont aucun moyen » d’apporter une assistance militaire directe à un allié attaqué par les Américains.329
357L’opération a provoqué, il est vrai, une réaction unanimement hostile des gouvernements alliés. Condamnée par le gouvernement français, l’opération sera l’objet de critiques encore plus vives de la part du Premier anglais qui n’apprécie guère cette incursion dans un Etat qui, pour être indépendant, n’en reste pas moins membre du Commonwealth pour autant : « Que j’aime ou que je déteste un régime, croit-elle bon de rappeler, je respecte les frontières des autres peuples. Nous soutenons la loi internationale. »330 Quant aux Allemands, ils se montreront irrités par une décision qui permettra aux adversaires du déploiement d’évoquer un prétendu parallèle entre les deux Grands.
358Surtout, le succès de l’expédition ne risque-t-il pas d’inciter les Etats-Unis à retenir un modèle qui a réussi ? Ne vont-ils pas chercher à provoquer une radicalisation de la junte sandiniste et attendre une invitation des pays de la région pour une intervention ? Bref, Washington ne va-t-il pas être tenté de s’en remettre à une solution armée qui, en cas d’échec, pourrait avoir des conséquences incalculées ? La signification de Grenade ne doit pas être surestimée en effet. Quand, le 23 octobre, l’Administration a décidé son intervention, le double et terrible attentat commis le jour même au Liban venait de raviver le débat sur ce type de déploiement.
– Revers au Moyen-Orient :
« J’ai été horrifié d’apprendre ce matin le massacre de Palestiniens perpétré à Beyrouth. »
Ronald Reagan, le 18 septembre 1982.331
359Lorsque le 6 juin 1982, les Israéliens lancèrent l’opération « Paix en Galilée », ils pensaient sans doute résoudre pour longtemps leur principal problème de sécurité. Ils allaient en réalité accélérer la désintégration d’un pays déjà déchiré et provoquer un affaiblissement du prestige occidental dans cette région cruciale.
360En 1976, l’armée syrienne était intervenue au Liban pour prévenir la formation d’un Etat arabe radical concurrent : installées depuis 1970 dans le pays, les troupes de l’OLP semblaient pouvoir apporter un soutien décisif aux partis progressistes à majorité islamique et ainsi bouleverser un précaire équilibre politique. Mais entrés comme alliés des Chrétiens, les soldats de Damas en étaient venus à soutenir de plus en plus les Palestiniens. Du coup, en dépit de l’interposition de la FINUL des Nations unies à partir de mars 1978, la frontière libanaise avait fini par être considérée comme le théâtre de guerre le plus inquiétant par les Israéliens. Aussi pour riposter aux raids des commandos de l’OLP, Israël envoyait-il ses avions bombarder les camps où ses ennemis se réfugiaient. Au printemps 1981, la situation, déjà troublée, s’envenimait. Non seulement, les combats entre phalangistes chrétiens et Syriens redoublaient, amenant Tel-Aviv à rappeler qu’il ne tolèrerait jamais l’écrasement des premiers ; mais fin avril Damas installait dans la vallée de la Bekaa des missiles soviétiques SAM-6 destinés à neutraliser la supériorité aérienne des Israéliens. Aussi ces derniers en exigeaient-ils le retrait dès le 3 mai et Reagan s’empressait-il d’envoyer un émissaire spécial, Philip Habib, pour prévenir la crise qui se profilait. Finalement, ce dernier obtenait fin juillet la conclusion d’une trêve entre Tel-Aviv et l’OLP. De plus, renonçant à les attaquer, les Israéliens acceptaient de voir si le problème des SAM-6 pouvait être l’objet d’un règlement négocié. En échange, le 30 novembre, un Mémorandum of Understanding (MOU) élevait au rang de « relation stratégique » les liens entre Israël et l’Amérique. Mais l’annexion du Golan conduisait Washington, le 8 décembre, à en suspendre l’application. Ce à quoi Begin rétorquait en en proclamant l’annulation. Pourtant, le Sinaï évacué, les relations semblaient sur le point de retrouver leur harmonie passée quand l’invasion du Liban allait encore renverser la donne au Moyen-Orient.
361Au Liban, en effet, le fragile compromis établi en 1981 s’était rapidement usé. En avril 1982, seul un avertissement sévère de l’ambassadeur américain semble avoir découragé une opération majeure d’Israël.332 Le 26 mai, Haig reconnaissait que la possibilité « qu’une violation dégénère en un grave conflit » ne pouvait être écartée.333 En réalité, Sharon lui avait confirmé ce que des propos antérieurs de Begin lui avaient laissé redouter : « Il suffirait d’une nouvelle provocation palestinienne pour que les Israéliens assomment l’OLP. »334 Le 3 juin, un attentat contre l’ambassadeur israélien à Londres fournissait à Begin le casus belli qu’il attendait. Les ripostes palestiniennes aux bombardements aussitôt entrepris contre les camps de l’OLP allaient servir de justification au lancement, le 6, de l’opération « Paix en Galilée. » Officiellement, Tel-Aviv prétendait vouloir créer une sorte de « cordon sanitaire » sur une quarantaine de kilomètres au Nord de sa frontière. Mais il fut bientôt clair qu’il s’agissait de régler une fois pour toutes le « problème libanais » : en démantelant l’infrastructure militaire et politique de l’OLP, en obtenant le départ des troupes syriennes et en concluant avec un Liban dominé par les Chrétiens un accord de paix comparable à celui négocié avec les Egyptiens.
362Cette extension des objectifs israéliens allait prendre par surprise et agacer la plupart des dirigeants américains et contribuer à la démission de Haig. L’idée devait même se répandre qu’il avait donné un « feu vert » à une opération susceptible d’éliminer l’OLP.335 Dans ses Mémoires, le secrétaire d’Etat devait s’attacher à défendre une thèse qui paraît proche de la vérité. D’un côté, devait-il concéder, quand Begin avait, à plusieurs reprises, avancé l’idée d’une attaque au Liban qui n’entraînerait pas la Syrie dans les hostilités, la réponse américaine avait toujours été nuancée : les Etats-Unis n’interdiraient jamais à Israël de répondre à une agression mais la riposte devrait « être en proportion avec la provocation. »336 Mais quand Sharon avait évoqué l’imminence d’opérations majeures à la mi-mai, il lui avait indiqué que toute réaction israélienne outrepassant les limites ainsi indiquées aurait des « effets catastrophiques » en Amérique. Et le 28 mai, il avait adressé une lettre de deux pages à Begin pour le lui confirmer.337
363Comme le vote de la résolution 508, dès le 6 juin, aux Nations unies et l’envoi d’Habib sur place deux jours après le suggérait, la première réaction des Etats-Unis semble avoir été d’empêcher les hostilités de dégénérer. En fait l’Administration était divisée et, le 8, seule une intervention in extremis de Haig aurait prévenu son vote, aux Nations unies, d’un nouveau texte préconisant des sanctions contre leur allié ! Mais le 9, l’aviation de ce dernier détruisait les bases de SAM-6 syriens et ses soldats achevaient l’encerclement de Beyrouth le 13 juin. Dès lors, une aggravation des divergences était fatale avec les Américains : le 11, Haig n’évitait que de justesse l’envoi par Reagan à Begin d’une lettre vengeresse.338
364Le Président avait, il est vrai, de bonnes raisons de se sentir irrité. Depuis son arrivée, en dépit de ses efforts, il n’avait pu rallier les Israéliens à la politique modérée qu’il souhaitait les voir adopter. Pis ! rompant avec tous les usages diplomatiques, Begin avait profité d’un voyage aux Etats-Unis pour exciter l’opposition domestique à la vente d’avions AWACs à l’Arabie Saoudite. Bref, en juin 1982, le Président était sans doute déchiré entre sa sympathie pour Israël d’un côté et, de l’autre, le sentiment qu’une fois de plus ses dirigeants l’avaient dupé.
365C’est cet état d’esprit qui, selon Haig, allait faire perdre une chance historique aux Etats-Unis. L’initiative israélienne prêtait sans doute le flanc à la critique. Mais elle créait aussi une situation unique : la déroute des Syriens, le discrédit jeté sur les SAM-6 du Kremlin, et l’écrasement de l’OLP offraient une occasion inégalée d’obtenir le retrait de toutes les troupes étrangères du Liban, de doter celui-ci d’un gouvernement indépendant et, dans la foulée, de faire d’immenses progrès vers un règlement au Moyen-Orient.
366Ses collègues comme le Président ne devaient probablement pas avoir un point de vue très différent. C’est sur la tactique que les points de vue devenaient divergents. Aux yeux de Haig, le dernier obstacle à surmonter était l’évacuation des quelque 12.000 combattants de l’OLP. Or, celle-ci paraissait à portée. Les Etats-Unis devaient donc n’exercer sur Israël qu’une pression assez subtile pour ne pas totalement dissiper le meilleur levier dont ils disposaient : la menace d’un assaut final qu’au demeurant Tel-Aviv, ils le savaient, n’était pas disposé à mener. Seulement, dans sa volonté de ménager les Arabes modérés, l’Administration allait, selon Haig, tout gâcher : en prodiguant des propos apaisant aux Saoudiens (16 juin) et en annonçant que Begin avait promis au président américain de ne pas chercher à avancer dans Beyrouth (24 juin).339
367Le 30 juin, le Président démentait cette information il est vrai, et, le 2 juillet, les Libanais s’accordaient sur un plan prévoyant le retrait des combattants de l’OLP, le départ échelonné de toutes les forces étrangères et l’introduction dans Beyrouth d’une force multinationale (FMN) destinée à y maintenir la paix jusqu’à ce que les forces libanaises puissent elles-mêmes l’assurer. Les discussions autour de cette force de sécurité reflétaient une inflexion importante des Européens et des Français en particulier. Le 9 juin, la Communauté avait « vigoureusement » condamné Israël et ses dirigeants avaient demandé aux Américains de les imiter. De plus, de concert avec l’Egypte, la France avait introduit une résolution, favorable à l’OLP, à laquelle le 25 juin les Etats-Unis avaient mis leur veto au Conseil de Sécurité. Pourtant, Haig estimait que Paris, qui plus qu’aucun autre allié, semblait à même de comprendre le Liban et sa complexité, ne refuserait pas de coopérer à un projet qui aurait le triple avantage de permettre un retrait honorable de l’OLP, d’autoriser la restauration de la souveraineté du Liban, et d’offrir à la France une revanche sur une Syrie qui ne l’avait guère ménagée.340 Début juillet, en même temps que les Italiens et les Anglais, la France acceptait en effet de participer à une FMN qui serait déployée une fois un accord réalisé sur le départ de tous les soldats étrangers.341
368Le 4, l’OLP s’engageait bien à se retirer en Syrie. Mais le départ de Haig, juste après, devait coïncider avec de nouvelles difficultés. L’insistance de Reagan à assurer (selon apparemment un voeu du gouvernement libanais) une participation américaine à la force de paix devait irriter le camp opposé : bientôt l’URSS, qui s’était trouvée indirectement humiliée, reprenait ses livraisons d’armes à une Syrie du coup requinquée et qui, le 9 juillet, renonçait à accueillir l’OLP.
369Le 20 août, le département d’Etat était néanmoins en mesure d’annoncer le début, le lendemain, de l’évacuation de l’OLP.342 La sécurité de l’opération serait assurée conjointement par une force multinationale et par l’armée du gouvernement libanais. Mais à ce moment, la mission de la première a été fortement amputée : elle devra quitter le Liban trente jours après son arrivée et, dès lors, son mandat n’est plus lié au départ de toutes les troupes étrangères de ce dernier. Les Français, Italiens et, à un degré moindre, les Anglais ont pourtant accepté d’y participer. Sans doute dans l’espoir de renforcer leur influence et ainsi favoriser l’accord global sans lequel, à leurs yeux, rien ne saurait être définitivement réglé. Cet espoir, d’ailleurs, va paraître d’abord justifié. Fin août, en effet, les Israéliens mettent un terme au siège de Beyrouth et l’évacuation de l’OLP va s’effectuer dans des conditions qui préservent sa légitimité. A ce moment, la plupart des Américains sont persuadés qu’à Noël le retrait de toutes les troupes étrangères sera effectué. En tout cas, le 1er septembre, un Reagan rasséréné a présenté un nouveau « plan » de paix.343 Rejetant à la fois la perpétuation de la domination israélienne ou la création d’un Etat palestinien sur les territoires occupés, il propose, dans l’immédiat, l’arrêt de toute implantation israélienne sur ces derniers et une autonomie totale aux Palestiniens de la rive occidentale et de la bande de Gaza. Dans un deuxième temps, cette autonomie pourrait se transformer en « auto-gouvernement... en association avec la Jordanie. »
370Déjà peu servies par le rejet glacial que leur oppose Tel-Aviv, les perspectives ouvertes par les Etats-Unis sont définitivement assombries quand le jour même du départ de la MFN, l’assassinat de Bechir Gemayel, trahit la superficialité de l’accalmie. La mort du Président élu le 23 août entraîne aussitôt l’occupation totale, par Israël, de Beyrouth, puis le massacre des Palestiniens des camps de Sabra et de Chatila par les phalangistes chrétiens (16-18 septembre). Une fois de plus, Reagan est sans doute ulcéré par ce qu’il doit considérer comme l’initiative intempestive de ses plus proches alliés.344
371Le 20 septembre, il est vrai, le jour même où Amine Gemayel succède à son frère assassiné, les Occidentaux refusent de se montrer découragés. Les quatre pays annoncent leur intention de renvoyer leurs troupes assurer la sécurité à Beyrouth. Pourtant, ambiguë dans son objet, cette coopération va s’achever sur un désastre presque complet.
372Si l’Europe et notamment la France participent à cette deuxième force de paix, c’est évidemment dans l’espoir de faire au moins partiellement prévaloir leurs vues dans cette région troublée. Que les Etats-Unis aient, de toute évidence, l’initiative, n’est pas pour les désespérer. Les Européens semblent, en effet, avoir apporté au plan américain un appui nuancé.345 Très vite, ils ont sans doute estimé que le souverain hachémite ne négocierait qu’après s’être entendu avec l’OLP. Ce n’est que lorsque cette perspective finira par s’effondrer que l’Europe découvrira toute l’ambiguïté de sa coopération avec son grand allié.
373Quelques mois, en effet, suffisent à emporter l’espoir d’un règlement intégrant l’OLP. Début avril, on pourra croire, il est vrai, qu’entre Arafat et Hussein un accord va être signé. Mais le projet est désavoué par le Conseil de l’OLP, ce qui conduit Hussein à publier, le 10 avril, un texte désenchanté. Or, le jour même, comme fait exprès, Begin a annoncé le programme le plus ambitieux jamais imaginé pour encourager l’implantation de colonies sur les territoires occupés ! Bref, l’heure n’est plus aux modérés.
374Que les pourparlers « globaux » soient bloqués augure mal du règlement du problème libanais auquel, dans la pratique, les Américains les ont liés. Begin se méfie probablement d’un projet qui permettrait aux Etats-Unis de redoubler leurs efforts en faveur de la paix. Quant aux Syriens, nul n’ignore que ce sont eux, en réalité, qui inspirent les « durs » de l’OLP et bientôt une opposition armée à un Arafat jugé par trop « modéré ». Tout le calcul occidental était fondé sur l’idée d’une Syrie diminuée. Or l’URSS n’a cessé depuis l’été de requinquer un allié dont l’objectif et le sien ne font qu’un désormais : prévenir un règlement qui consacrerait l’ascendant des Occidentaux au Moyen-Orient. Du coup, Assad apparaît de plus en plus déterminé à reprendre aux Américains l’influence dont ils l’avaient privé et à resserrer un noeud coulant autour du gouvernement libanais.346 Si, en mai, au prix des pires difficultés, un accord entre Begin et Amine Gemayel peut enfin être signé, Israël subordonne son évacuation à un retrait parallèle de la Syrie. Or, le 13, Assad rejette le Traité sans autre forme de procès. A l’automne 1982, il avait encore donné son accord général à l’idée d’un retrait simultané. Mais les rapports de force ont depuis évolué et le Syrien est bien décidé à jouer un rôle décisif désormais.
375Dès lors, le troisième objectif américain, le renforcement du gouvernement libanais, est en danger et l’accord du 4 mai, loin de le favoriser, contribue à le condamner. Alors même qu’Amine Gemayel s’est avéré incapable de refaire l’unité d’un pays profondément déchiré, la Syrie est en mesure d’utiliser les groupes qui lui sont opposés pour remettre en cause son autorité ! En septembre 1983, le départ d’Israël de la montagne du Chouf va provoquer de durs affrontements entre les Druzes, appuyés par Damas et les troupes du gouvernement. Du coup, au grand dam de leurs alliés, les Etats-Unis interviennent pour aider ce dernier et procèdent à leurs premiers bombardements, depuis 1945, en Méditerranée ! Certes, avec l’accord de Riad, ils travaillent ensuite à arracher un compromis aux diverses factions qui se disputent le pays. Mais la Syrie ne répond pas à ce geste de bonne volonté et l’Administration est de plus en plus confrontée aux réticences du Congrès. Le 29 septembre, sénateurs et représentants votent sans doute une résolution qui autorise pour 18 mois encore le déploiement. Mais les ennemis de Washington n’ignorent sans doute pas que celui-ci est sujet à débat. En assassinant le 23 octobre 1983 241 Marines américains et 58 parachutistes français dans un double et terrible attentat, ils soulignent les déficiences de leur mandat.347
376La France n’est pas épargnée. Incapable, en dépit de ses critiques, de modifier la politique de l’Amérique, elle s’est vue associée à celle-ci par ses adversaires fanatiques. La leçon ne sera pas oubliée mais, au Liban, sa chance est passée. Sans doute cherche-t-elle à concilier fermeté et flexibilité : tout en ordonnant des représailles dont l’efficacité sera pour le moins contestée, elle rappelle sa sympathie pour tous les Libanais, proclame son intention de ne pas se laisser entraîner dans la guerre civile et semble disposée à reconnaître l’ascendant de la Syrie sur la contrée. Mais elle ne peut envisager de hausser le niveau de son engagement et, dès lors, n’a guère de chances de se voir accepter dans un jeu que Damas contrôle dorénavant. Estimant que les Etats-Unis ont, une fois encore, trop appliqué le prisme « Est-Ouest » dans une région infiniment compliquée, elle tentera de persuader l’URSS d’appuyer, aux Nations unies, une résolution qui justifierait le maintien de sa présence dans la contrée. Mais elle ne peut convaincre les Etats-Unis d’accepter l’intégration de Moscou dans le processus du paix, ce qui entraîne un veto du Kremlin au projet. Bref, les efforts des Européens pour combler le vide laissé par le départ des Américains du Liban se sont avérés impuissants.
377Dès le 7 février, les Marines ont quitté le pays en effet. Pourtant, le 27 octobre, Reagan avait élevé le Liban au rang d’« intérêt vital » pour les Etats-Unis. Et quelques semaines après, il n’avait pas hésité à ordonner des attaques contre les unités syriennes qui avaient tiré sur l’aviation de reconnaissance américaine. Mais outre celles des alliés, cette politique suscite les protestations du Congrès. Le rapport de la Commission créée au lendemain de l’attentat souligne l’absurdité du rôle assigné aux soldats : celui d’une armée n’ayant d’autre possibilité que riposter au cas où elle serait attaquée. Autrement dit, le choix est entre réduire les objectifs politiques des Etats-Unis ou risquer un conflit, dont personne ne veut entendre parler, avec la Syrie. Dans ces conditions, le sort des Marines sera bientôt scellé. L’objectif, la préservation du gouvernement libanais, paraissant hors de portée, leur présence ne constitue plus qu’un risque à écarter. Alors que la réélection du Président semble assurée, ses conseillers ne sont guère enclins à laisser subsister une des rares menaces, sinon la seule, qui puisse la mettre en danger. Aussi ne tardent-ils pas à préconiser un « redéploiement » que Weinberger semble le premier à souhaiter.
378Renonçant à demander une aide que les Occidentaux n’envisagent même pas de lui accorder, le 5 mars, Gemayel abroge unilatéralement l’accord libano-israélien de mai ! Les 19 et 20 avril, il prendra le chemin de Damas pour mettre au point la composition de son futur gouvernement directement avec Assad ! Bref, alors que la Syrie réaffirme son ascendant, c’est, début 1984, devant la puissance du terrorisme que s’incline l’Occident acculé à un désastre au Proche-Orient. Pourtant, chez ses dirigeants, l’atmosphère doit être plutôt au soulagement. 1983 a vu, en effet, le début du déploiement.
b) 1983 : l’année des euromissiles :
« Déjà, encore, toujours, l’Allemagne était au centre de tout. »
L’ambassadeur François Seydoux à propos de la situation en 1947-1948.
379Alors que l’échéance de la fin de 1983 ne cesse de se rapprocher, aux négociations, c’est une « diplomatie du mégaphone » qui semble souvent se substituer. Les deux Grands poursuivent sans doute des buts opposés. Mais ils recourent à des tactiques quasi identiques pour les réaliser. L’URSS distille, à intervalles réguliers, des propositions en léger progrès, assorties de menaces de représailles pour convaincre les alliés de ne pas « déployer » : à force d’être reportée, l’installation des euromissiles pourrait se voir ainsi annulée. Pour les Américains, donner une image de flexibilité est la priorité : leur objectif n’est-il pas de prouver aux alliés que Washington a sérieusement négocié et que, dès lors, les Européens sont dans l’obligation morale de « déployer » ? Mais leur marge reste limitée puisque trop céder serait encourager un mouvement pacifiste toujours plus déterminé.
380Comme à l’accoutumée, c’est autour de la République fédérale que s’organisent les grandes phases de ce jeu subtil et mouvementé. A l’approche des élections de mars 1983, la démission de Schmidt et le retour au pouvoir des chrétiens-démocrates laissent, en effet, le champ libre à ceux qui, à l’intérieur du SPD, critiquent depuis longtemps la politique de l’ancien chancelier. Or leurs efforts vont se trouver confortés par une nouvelle initiative du camp opposé.
381Le 12 novembre, en effet, Brejnev disparaît et, deux jours après, le Comité central du PC désigne l’ancien patron du KGB, louri Andropov, pour lui succéder. La carrière comme l’âge avancé de ce dernier ne laissent guère présager des innovations de grande portée. Mais le Kremlin n’en cherchera pas moins à exploiter cette « succession » auprès des opinions alliées. Comme Jean Boissonnat le note peu après :
382« ... louri Andropov. L’homme qui a guidé les chars de l’Armée rouge dans les rues de Budapest en 1956, qui a ouvert des hôpitaux psychiatriques pour soigner la ’folie’ des dissidents soviétiques, dont les agents ont organisé la reprise en main de la Pologne par les généraux locaux. A peine installé, le voilà qui brouille les pistes, brandissant la foudre nucléaire à l’adresse de tout agresseur éventuel, tandis que l’on chuchote dans les oreilles des ’kremlinologues’ bien informés que c’est un libéral, lettré, parlant anglais, admirateur du réformisme hongrois et plus que réservé sur l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan. Avec cela, allez donc vous y retrouver ! Le but est atteint. »348
383Diffuser des rumeurs sur le goût du nouveau leader pour le jazz ou le whisky n’est pas la seule tactique des maîtres ès-propagande de l’Union soviétique. Ils lancent toute une série d’initiatives aptes à séduire une partie des opinions atlantiques. Le 4 janvier, 1983, ainsi, les dirigeants du pacte de Varsovie proposeront aux dirigeants de l’OTAN « de conclure un accord réciproque de non-recours à la force militaire et de sauvegarde des relations pacifiques. »349 Surtout, le 21 décembre 1982, Andropov relance avec brio son offensive contre les INF occidentaux : il offre, si les Etats-Unis renoncent à déployer, « de ne laisser en Europe qu’un nombre de missiles égal à ceux de la France et de la Grande-Bretagne, pas un de plus. »350
384C’est une importante concession technique : en offrant de réduire les SS-20 de 243 à 162, le Soviétique ne reconnaît-il pas que l’URSS dispose déjà de SS-20 en nombre excessif ? En réalité, c’est un grand coup politique qui lui redonne pour plusieurs mois l’initiative sur le camp atlantique.
385L’offre s’inscrit, à n’en pas douter, dans une continuité. D’abord parce qu’elle a été précédée d’une rafale d’avertissements au cas où les euromissiles seraient déployés. Ensuite parce que la prise en compte des missiles français et anglais est une revendication aussi vieille que les SALT pour le camp opposé.
386Lors des deux précédentes séries de pourparlers, ce dernier a, en effet, vainement cherché à obtenir que la question soit abordée. De même, dans les conversations sur les INF, la revendication a été d’emblée implicite : d’abord, les Soviétiques ont pris l’habitude de se référer aux armes du « camp atlantique » plutôt qu’à celles de la seule Amérique ; de plus, ils ont toujours affirmé l’existence d’un « équilibre euro-stratégique ». Dès novembre 1981, Kvitsinsky, le négociateur soviétique, aurait d’ailleurs laissé entrevoir à Nitze le futur mouvement du Kremlin. Un an après, il l’a pratiquement annoncé lors d’un déjeuner avec le sénateur Gary Hart et le négociateur américain.351
387Aussi, dès novembre 1982, l’ Administration a-t-elle cherché à allumer un contre-feu :
388« L’Union soviétique, a déclaré Richard Burt, ne se satisfait plus d’une parité avec les Etats-Unis ; c’est pourquoi elle pose désormais en principe une position qui lui accorderait d’emblée une puissance égale à celle de tous ses adversaires potentiels réunis...
389« Disposer de l’égalité avec tous ses adversaires potentiels réunis, voilà qui correspond à une définition tout à fait convenable de l’hégémonie. »352
390« Les Soviétiques, ironisera Reagan, ont fait en notre direction la moitié du chemin. Ils sont d’accord pour ’zéro’ dans notre camp. »353 Mais dans sa propagande auprès des pacifistes européens, c’est bien une carte majeure que détient le Kremlin : l’existence de forces nucléaires autonomes alliées que Moscou, et pour cause, n’a jamais tolérées.
391Certes, les Américains ne manquent pas d’arguments pour riposter. Tout d’abord, ils ne sauraient négocier au nom de deux pays souverains qui ne sont pas représentés et qui refusent d’envisager une limitation de leurs arsenaux tant que les deux Grands n’auront pas donné l’exemple ! Ensuite, Kvitsinsky le concèdera, semble-t-il, lors des pourparlers, il est difficile de sérieusement comparer les SS-20 aux missiles britanniques et français.354 Enfin, accepter le raisonnement soviétique serait entériner un « découplage » automatique entre les vieux pays et l’Amérique : « Vous n’avez rien à faire en Europe » aurait un jour « lâché » le représentant du Kremlin à son homologue américain.355
392Mais l’URSS dispose de maints arguments pour « vendre » son projet.356 Certes, les Américains ne peuvent parler au nom des Britanniques et des Français, mais tout le monde sait qu’ils n’avancent presque jamais de proposition sans les avoir étroitement consultés. Certes, les deux arsenaux sont en théorie indépendants, mais les fusées britanniques ne doivent-elles pas être intégrées, en cas de conflit, dans les plans de tir de l’OTAN ? Certes, la France et l’Angleterre sont très loin de disposer des moyens des deux grandes puissances nucléaires : pourtant, leurs dirigeants ne se vantent-ils pas de pouvoir infliger des dommages sérieux à l’adversaire ? Enfin, si les deux forces de frappe relèvent des arsenaux stratégiques, pourquoi avoir refusé leur intégration dans les négociations qui leur sont spécifiques ?
393Les Américains peuvent sans doute répliquer que Français et Britanniques ne sauraient prétendre protéger l’ensemble de leurs autres alliés et qu’eux seuls, dès lors, peuvent en assurer la sécurité. Mais, sur les opinions, la revendication soviétique est loin de rester sans effet. Ne paraît-elle pas confirmer que c’est bien de l’égalité que l’URSS est prête à se contenter et que c’est l’Occident qui exige une supériorité ? Ne suggère-t-elle pas de se demander à quoi celle-ci pourrait être utilisée : au mieux à une politique de provocation à l’égard du camp opposé, au pire à la conduite, en Europe, d’un conflit nucléaire limité.
394Face à cette offensive, l’Amérique a du mal à définir sa réplique. L’Administration est, il est vrai, handicapée par ses querelles bureaucratiques. Ses divisions atteignent, en effet, une apogée quand Eugene Rostow, le Directeur de l’ACDA, est limogé le 12 janvier : pour excès de zèle dans la recherche d’un accord avec le camp opposé. Or deux éléments contribuent à alarmer des alliés déjà bien inquiets. D’abord, Kenneth Adelman, l’adjoint, très conservateur, de Jeane Kirkpatrick que Reagan a nommé pour le remplacer, voit sa confirmation contestée treize semaines durant au Congrès : il est, selon ce dernier, le responsable de l’ACDA le plus inexpérimenté jamais désigné depuis que celle-ci a été créée.357 Ensuite, et surtout, l’un des principaux reproches que Rostow s’est vu adresser, est d’avoir informé la presse et les alliés d’une piste que Kvitsinsky et Nitze ont explorée en secret mais qui, finalement, a été abandonnée.
395Comme souvent les diplomates en poste en Europe par le passé, Nitze s’est rapidement montré beaucoup plus sensibilisé que ses collègues de Washington aux difficultés des gouvernements alliés. Persuadé que le soutien pour le déploiement est en train de se dissiper, il juge qu’aboutir à un accord avant la fin 1982 serait sans doute le meilleur moyen de le revigorer. Plusieurs mois de négociations lui ont enseigné que tout compromis devrait concilier deux impératifs fondamentaux : les Américains devront renoncer à l’« option zéro » dont les Soviétiques ne veulent pas entendre parler et les Soviétiques, de leur côté, tirer un trait sur leur refus de voir un seul nouveau missile américain installé ! Bref, il faudra un accord global susceptible de surmonter de façon simultanée toutes les principales difficultés. Il sait aussi qu’un accord préalable de Washington à un tel projet ne pourra être arraché : l’on peut compter sur des bureaucraties aux intérêts opposés pour se déchaîner contre les concessions qui les affecteraient. Mais, pense-t-il, s’il était en mesure d’élaborer directement avec Kvitsinsky un compromis acceptable pour les Etats-Unis, alors l’espoir serait à nouveau permis. Consulté, Eugene Rostow l’encourage à essayer.
396Or, la tâche ne paraît pas hors de portée. Ne parle-t-on pas beaucoup d’un Sommet entre Reagan et Brejnev pour l’automne 1982 ? Malade et âgé, le Soviétique ne sera-t-il pas tenté d’apporter une ultime contribution à la paix ? Or, de l’aveu même de Kvitsinsky, seuls les pourparlers sur les INF peuvent se prêter à un compromis. Mieux ! Kvitsinsky est le meilleur interlocuteur qui se puisse trouver. En 1970, âgé de trente-trois ans, n’avait-il pas su « réinterpréter » ses instructions quand il avait représenté le Kremlin aux négociations sur Berlin ? Effectivement, il accepte d’explorer une formule de compromis dans le plus grand secret.
397Telle est probablement l’origine de ce qui entrera dans l’histoire comme la « promenade dans la forêt » (Walk in the Woods). A partir de la mi-juin, les deux hommes travaillent à leur projet lors de réceptions ou dans des dîners privés. Mais subitement, le soupçon leur vient qu’ils peuvent être espionnés. L’accord se fait pour se rencontrer lors d’une série de promenades en forêt dont celle du vendredi 16 juillet, dans l’après-midi, constitue l’apogée. Ce jour-là, Nitze expose le package auquel il est arrivé. Les Etats-Unis renonceront à déployer les Pershing II que les Soviétiques redoutent beaucoup plus que les missiles de croisière et n’installeront que 300 de ces derniers (par série de 4 sur 75 lanceurs). Les Soviétiques devront geler leurs SS-20 à 90 en Asie et en réduire leur nombre à 225 en Europe (par séries de 3 sur 75 lanceurs).358 Au bout de trois heures, l’accord se fait. Au début, tout a pourtant paru bloqué : Gromyko, à qui Kvitsinsky a fait part de ses efforts secrets, lui a interdit, explique le Soviétique, de renoncer à la comptabilisation des arsenaux britannique et français. Mais finalement, Kvitsinsky donne son accord à l’exploration du projet. Dès les premières lignes, il est précisé : « Ce qui suit est un package exploratoire commun pour examen par les deux gouvernements : ce n’est ni une offre ni une proposition d’aucun de ces gouvernements. »
398Si le projet avait pu devenir réalité, les Américains y auraient, selon Strobe Talbott, trouvé d’immenses avantages. Ils auraient arraché l’acquiescement des Soviétiques au déploiement de leurs nouveaux missiles en Europe, un renoncement de leur part à la comptabilisation des arsenaux britannique et français, et un gel en Asie susceptible de rassurer la Chine comme des alliés aussi importants que le Japon ou la Corée. Certes, les Pershing II eussent été sacrifiés, mais Nitze estimait que les Pershing IB auraient pu remplir l’essentiel des missions militaires assignées aux premiers.
399Pourtant, c’est le renoncement aux Pershing II qui semble avoir amené Washington à rejeter le projet. Au départ, pourtant, ce dernier sembla bénéficier d’un réel intérêt de la part de Shultz, Weinberger et du nouveau président des JCS, John Vessey. Mais très vite, Reagan s’inquiète de savoir si renoncer aux Pershing II aurait des conséquences pour sa politique de sécurité. Les JCS, dans leur réponse, se seraient montrés divisés mais leur avis, globalement, serait resté nuancé : écartant tout renoncement au droit de déployer de telles fusées, ils auraient admis le principe d’un renoncement en pratique au titre d’un compromis. Pourtant, le Président ne semble avoir jamais reçu ce rapport modéré. Le retour des « deux Richard », absents lors des premières discussions, va arrêter cette exploration. Très vite, Perle a redouté que Nitze ne se montre par trop décidé à déboucher sur un « succès », quitte à accorder un avantage indû au camp opposé. Le renoncement aux Pershing II incarne, à ses yeux, ce danger. D’abord, cette fusée est celle que seuls les Allemands doivent déployer. Si on les en dispense, les Anglais, Hollandais, Belges et Italiens n’en tireront-ils pas prétexte pour se dérober ? Par ailleurs, Schmidt ne risque-t-il pas de se précipiter sur le renoncement des Américains aux Pershing II, même si les autres clauses de l’accord sont rejetées par le camp opposé ? Aussi Perle va-t-il rédiger un mémorandum hostile, au nom du Pentagone tout entier. Au demeurant, Burt aurait partagé les mêmes anxiétés.
400Le 13 septembre 1982, le projet est examiné au cours d’une réunion du NSC. Nitze le défend mais peut-être reste-t-il réservé dans la mesure où il est resté sans nouvelles de Kvitsinsky depuis le 16 juillet. Ce silence conforte la théorie de ceux qui voient, dans toute l’affaire, une manoeuvre de la Russie. Inversement, Weinberger que Perle a entre-temps converti, lance une vigoureuse attaque contre le compromis. Finalement, le projet est repoussé, même si les efforts de Nitze ne sont pas désavoués. Une directive présidentielle l’autorise à continuer à rechercher un compromis, mais lui interdit d’envisager un renoncement aux Pershing II désormais. Le 28 septembre, Shultz indique à Gromyko, qui reste muet, la position que les Etats-Unis ont arrêtée. Le lendemain, après deux mois de silence apparemment complet, Kvitsinsky signale à Nitze que l’URSS a catégoriquement rejeté le projet : la position soviétique reste inchangée.
401Est-ce à dire que le projet n’a jamais eu aucune chance d’être accepté ? Ce serait peut-être une conclusion précipitée. Certes, K vitsinsky confiera à Nitze qu’il s’est fait réprimander par Gromyko pour avoir cédé sur la question des arsenaux britannique et français. Peut-être, après tout, le Kremlin a-t-il alors jugé sa campagne de propagande trop bien engagée pour qu’une solution moyenne ne lui parût pas prématurée. Pourtant, d’autres indices suggèrent qu’en réalité la position de Moscou avait peut-être évolué. Le compromis fut ainsi peut-être victime des divisions de l’URSS et de ses propres luttes intestines. Pour Moscou, la formule avait un réel intérêt : elle éliminait la seule arme qui vraiment l’inquiétait.359 Mais elle n’avait sans doute été envisagée que comme la pièce centrale d’un « Sommet ». Alors qu’avec la santé déclinante de Brejnev, cette perspective s’estompait et que, dans l’attente de la succession, personne n’était prêt à prendre le risque d’indisposer les responsables des forces armées, l’intérêt de la « promenade dans la forêt » s’était peut-être tout simplement dissipé.
402Quelles qu’aient été les intentions profondes du camp opposé, en rejetant le compromis, les Américains avaient pris le risque de paraître apporter de l’eau au moulin des pacifistes européens. Quand, début 1983, l’histoire de la négociation commença à se diffuser, le désintérêt de l’Administration pour Varms control et pour ses alliés se vit aussitôt décrié. Alors même qu’ils étaient directement concernés, les principaux dirigeants alliés, Schmidt en particulier, n’avaient pas été consultés. Pis ! pour avoir pris sur lui en octobre de brièvement les informer, Rostow avait été limogé. Le directeur de l’ACDA avait commis une grave erreur d’appréciation, il est vrai. En laissant filtrer certaines informations à la presse, il espérait démontrer que l’Administration n’était pas enfermée dans une totale inflexibilité. Mais le résultat est à l’opposé : ses révélations n’ont fait que renforcer l’image d’une Administration incapable de s’arracher à une « option zéro » que les alliés considèrent de plus en plus comme dépassée.
403Comme dès la mi-décembre, François Mitterrand l’avait fait, le 18 janvier 1983, à son tour, Margaret Thatcher va remarquer qu’un accord intermédiaire assurant l’équilibre pourrait, finalement, satisfaire les alliés. Mieux, Kohl laisse son ministre des Affaires étrangères proclamer son intérêt pour un « résultat intermédiaire ».360 Hans-Dietrich Genscher a, il est vrai, sans doute pour mission de contrer la popularité que ses prises de position en faveur d’une « option zéro réaménagée » pourraient valoir au SPD. Dans un souci de « ratisser large », celui-ci s’est engagé à « faire tout son possible » pour éviter le déploiement des euromissiles. Il s’est aussi prononcé pour la comptabilisation des arsenaux britannique et français.361 Mieux, son candidat au poste de chancelier, Hans-Joachim Vogel va jusqu’à affirmer qu’une réduction substantielle du nombre des SS-20 rendrait superflu le déploiement des missiles américains. Au cas où les SS-20 seraient ramenés à 50 par le camp opposé, affirme Egon Bahr de son côté, il serait inutile de déployer.
404Bref, tout au long de janvier, l’« option zéro » ne paraît guère plus d’actualité. Nitze voudrait voir les Etats-Unis rapidement l’abandonner et ainsi apaiser les angoisses alliées. Sans succès. Mais il n’est pas isolé. Sans partager son extrême anxiété, Burt, au département d’Etat, estime apparemment que le temps est venu pour les Etats-Unis de démontrer leur flexibilité. Pourtant, dans l’immédiat, c’est le point de vue opposé qui va l’emporter : bouger à ce moment serait, Clark en a été convaincu par Weinberger, reconnaître aux pacifistes allemands une importance démesurée.
405Est-ce à dire que l’Occident assiste passivement à l’offensive diplomatique de l’autre camp ? Non, évidemment ! Tandis que le Président français apporte son appui au chancelier, les Américains multiplient les signes destinés à suggérer qu’une fois les élections passées, l’heure sera à la flexibilité.
406S’adressant au Bundestag le 20 janvier, François Mitterrand n’hésite pas à soutenir la position des chrétiens-démocrates contre celle du SPD.362 Sans doute entend-il empêcher les Allemands de basculer dans un neutralisme qui laisserait la France en première ligne. Mais il s’efforce, en même temps, de leur rappeler l’existence d’autres voies pour leur épanouissement : l’unification du vieux continent et son fondement, le rapprochement franco-allemand. D’ailleurs, depuis un moment, Paris s’est attaché à revigorer ce dernier dans le champ de la sécurité. Fin octobre 1982, lors du Sommet de Bonn, Kohl et Mitterrand reprennent des conversations qui avaient eu lieu en secret en février 1982 entre Schmidt et le Français. En même temps, pour la première fois depuis 1963, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des deux pays ont tenu des conversations officielles, hors du cadre de l’OTAN, sur les questions de sécurité. Le Sommet va institutionnaliser un dialogue apparemment bien engagé : les quatre ministres se rencontreront deux fois par an désormais.363
407Pourtant, les perspectives ainsi dégagées ne peuvent, dans un premier temps, qu’être limitées et l’Administration américaine ne va guère pouvoir éviter de voler au secours du chancelier en donnant des signes de flexibilité et en sachant les valoriser. Depuis 1982, en effet, Washington a accordé un regain d’intérêt à la lutte « médiatique » avec le camp opposé. Incarnée dans différents projets (le projet « Démocratie » en particulier) et inspirée par la volonté de ne plus laisser l’initiative à ce dernier mais de dénoncer avec vigueur les menaces que lui-même fait peser sur la paix, cette offensive de « relations publiques » n’ignore pas les opinions atlantiques. Elle cherche à redresser l’image, trop souvent négative, que celles-ci ont de l’Amérique et à séduire les jeunes générations qui sont, on l’a vu, les plus critiques. Dans les milieux officiels comme dans les associations privées, la Successor Génération est l’objet d’un intérêt toujours plus marqué. En même temps, certains ont commencé à se demander si la politique d’information américaine ne s’était pas trop concentrée sur les populations du camp opposé, négligeant les opinions des pays alliés, leurs jeunes élites en particulier. En 1983, il est vrai, les Etats-Unis n’envoient que 17 heures et 30 minutes d’émissions radio par semaine vers ces derniers contre 1 300 heures vers le bloc communiste.364 A l’automne, l’Administration indiquera qu’elle est consciente de la difficulté. Frank Scott365, le Directeur de la Voice of America partira pour une tournée de l’Europe et du Moyen-Orient afin d’étudier les moyens d’atteindre les audiences du vieux continent, les jeunes plus particulièrement.
408Le projet, il est vrai, ne commencera à prendre un tour concret que deux ans après.366 Mais des initiatives plus ponctuelles auront déjà été lancées. De passage en Europe, le Directeur de l’USIA, Charles Wick, a en effet été consterné par la quasi-unanimité avec laquelle l’intervention à Grenade y a été condamnée. De retour aux Etats-Unis, quelques jours après, il décide d’utiliser les communications par satellite pour organiser une conférence de presse en direct entre Jeane Kirkpatrick et des journalistes de cinq grandes capitales alliées. L’opération se révèle un tel succès que la formule est définitivement adoptée : le réseau Worldnet est né.367 Mais c’est dès janvier qu’un autre effort a été lancé quand un « groupe spécial de planification » sur les euromissiles a été constitué pour rallier les opinions au déploiement de ces fusées. Il sera dirigé par un ami personnel de Reagan, un expert ès-média, l’ambassadeur en Irlande Peter Dailey.368
409Très vite, il est vrai, le consensus semble s’être fait sur une idée : les Etats-Unis devront rester discrets et laisser ostensiblement la direction des opérations à chaque gouvernement concerné. Inspirée par la conviction que ces derniers seront seuls à même de s’adapter à des situations trop spécifiques pour pouvoir faire l’objet d’un traitement unique, cette stratégie vise aussi à démarquer l’Amérique d’une URSS plus encline à des interventions massives et répétées, susceptibles à la longue d’agacer des populations jalouses de leur souveraineté.
410Aussi la stratégie de Washington semble-t-elle avoir surtout consisté à aider indirectement ses alliés. Ainsi, à l’approche de l’élection allemande, des rumeurs de flexibilité sont-elles distillées par la Maison Blanche. Déjà, Reagan a proclamé dès le 14 janvier que les Etats-Unis « siégeraient à la table des négociations aussi longtemps qu’il y aurait la moindre chance d’aboutir... » et il s’est dit prêt à étudier « toutes les propositions sérieuses venant de Moscou »,369 engagement qu’il va réitérer dans son Message sur l’Etat de l’Union du 25 janvier.370 De cette grande profession de flexibilité, le voyage entrepris par George Bush, fin janvier-début février, auprès des principaux pays alliés, constituera l’apogée. Le 31 janvier, à Berlin, le Vice-Président lit aux Européens une « Lettre ouverte » dans laquelle Reagan écrit à Andropov qu’il est prêt à le rencontrer : « où et quand il le souhaiterait afin de signer un accord bannissant de la surface de la terre toutes les armes de portée intermédiaire basées au sol, qu’elles soient américaines ou soviétiques. »371
411Enfin, tout est fait pour suggérer que sa véritable mission consiste à consulter les alliés sur la nouvelle position que, sitôt les élections allemandes passées, Washington s’empressera d’avancer.372 Entre-temps, Burt a, en effet, préparé un nouveau plan : 100 SS-20 à trois têtes pour le Pacte de Varsovie et 300 Pershing II et missiles de croisière pour l’OTAN.
412Finalement, cette première manche s’achève à l’avantage de l’Occident. Le 6 mars, si elles permettent aux « Verts » de siéger au Parlement, les élections donnent une indéniable majorité au chancelier sortant. Peut-être le résultat incite-t-il le Président américain à un certain relâchement. Le surlendemain, parlant devant une audience d’Evangéliques protestants, il apporte à nouveau de l’eau au moulin des pacifistes européens en traitant de « Foyer du Mal » le Kremlin !
413Par la suite, cependant, il affiche un soin vigilant à mettre en sourdine ses déclarations apocalyptiques d’antan. Dans un effort de toute évidence concerté, l’Administration multiplie même les écrits et déclarations destinés à répéter l’horreur que la guerre nucléaire lui inspire. Mieux ! Le 10 mai, le Président avoue lui-même à un journaliste allemand qu’il ne croit plus à la possibilité de tenir un conflit nucléaire « limité. »373
414Ces protestations sont accompagnées de gestes concrets. Tout au long de ces mois, ainsi, l’Administration appuie le plan Rogers visant à relever le seuil nucléaire dans la défense alliée. L’affaire prend ainsi peu à peu un tour plus concret. En décembre 1982, les ministres de la Défense atlantiques n’ont-ils pas affirmé « se rallier entièrement » aux vues exposées par le Commandant en chef de l’OTAN ?
415Pourtant, tout est, une fois encore, loin d’être réglé. Tout d’abord, financièrement, la réalisation du plan Rogers implique un accroissement des budgets de défense de 4 % en termes réels chaque année. Ensuite, rien ne garantit que dans le feu des hostilités les nouvelles technologies fonctionneront avec une totale efficacité. De plus, alors qu’en 1983, les Américains vont vendre aux Européens sept fois plus d’armes qu’ils ne vont leur en acheter, les seconds redoutent de voir les premiers exploiter cette inflexion de leur politique de sécurité pour imposer leur technologie militaire à leurs alliés. Et ce d’autant plus que certains membres de l’Administration ont estimé que leurs prédécesseurs étaient allés trop loin dans leurs concessions à ce sujet et qu’il convenait de restituer aux producteurs américains certaine commandes passées par Washington aux alliés.374 Enfin et surtout nombreux sont ceux qui reprochent au projet l’extrême flou du rôle qu’il réserve aux ANT et croient dès lors y discerner les prémices d’une « troisième stratégie alliée » : cette conversion au « non emploi en premier prématuré » ne serait-elle pas qu’une étape sur le chemin où beaucoup d’Américains semblent souhaiter s’engager, celui du « non emploi en premier » ?375
416Sans doute Reagan est-il sensible aux limites de l’impact du plan Rogers sur les opinions européennes. Aussi est-ce, peut-être, dans l’espoir de séduire ces dernières et, plus encore, son propre mouvement anti-nucléaire qu’il lance, le 23 mars, une initiative spectaculaire. A la fin d’un discours consacré à sa politique de sécurité, il lit un passage qui a été préparé dans le plus grand secret. Certes, reconnaît le Président, le contrôle des armements peut partiellement aider au maintien de la paix :
417« Néanmoins il sera toujours nécessaire de tabler sur le spectre des représailles sur la menace réciproque – et c’est là un bien triste commentaire, s’agissant de la condition humaine.
418« Ne serait-il pas préférable de sauver des vies humaines plutôt que d’avoir à venger leur perte ?..
419« Des consultations approfondies... m’ont amené à penser qu’il y a une solution... Entamons un programme visant, par des mesures défensives, à contrecarrer la terrible menace que les missiles soviétiques font peser sur nous. Tournons-nous vers la puissance technologique... »376
420La tâche, a concédé le Président, « ne pourra probablement pas être accomplie avant la fin de ce siècle. » Mais n’est-il pas temps « de faire tous les investissements nécessaires pour libérer le monde de la menace de la guerre nucléaire » ? L’intention, on le voit, est claire. Les « technologies émergentes » peuvent sans doute reculer, voire à la limite éliminer, le recours aux ANT. Mais c’est un bouleversement d’une toute autre portée que, selon le Président, la technologie peut réaliser : en redonnant l’avantage, dans la course aux armements, au bouclier sur l’épée, elle peut écarter la hantise d’une guerre nucléaire à jamais.
421Auprès des alliés et du Congrès, la déclaration souffre du secret dont elle a été entourée. Aux Etats-Unis, rares sont ceux qui en ont été informés et, en Europe, seule Margaret Thatcher l’a été.377 Le Président a, en effet, arrêté sa décision avec un tout petit nombre de conseillers. Mais cela fait un certain temps qu’il s’y est intéressé. Au début des années 1980, en effet, non seulement l’URSS a paru affiner le dispositif ABM dont elle s’est dotée, impression que la découverte, à la mi-1983, de sa construction d’un radar géant ultra-perfectionné près de Krasnoïarsk viendra conforter. Mais elle semble sur le point de s’assurer une avance dans le domaine-clé que, dans l’avenir, l’espace risque de constituer.378 En mai 1980, Carter est informé de sa mise au point d’une arme à laser terrestre susceptible de paralyser le système américain de communications et d’observation par satellite. En février 1981, un de ses « satellites tueurs » s’est révélé capable d’éventuellement détruire les satellites de reconnaissance placés en orbite basse par l’Amérique.
422Or, l’Administration Reagan est persuadée qu’elle a tout à gagner dans une course technologique. Aussi George Keyworth II, le conseiller scientifique du Président et ce dernier considèrent-ils avec le plus vif intérêt, lorsqu’il leur est présenté en 1982, un programme spectaculaire, le projet High Frontier. Préparé par deux généraux du Renseignement en retraite, et financé par la très conservatrice Fondation Heritage, le document préconise la construction d’un système à trois étages visant à ériger un bouclier infranchissable pour les missiles atomiques de l’Union soviétique.379
423Entre-temps, d’ailleurs, Keyworth a créé un « Groupe d’Etudes » de niveau très élevé, pour réfléchir à ce qui pourrait être fait. C’est ce groupe que, le 11 février 1983, Reagan a reçu en grand secret. Et c’est à partir de ses conclusions qu’il a pris la décision d’inclure un passage non annoncé dans son discours du 23 mars.
424La surprise que suscite ce dernier peut néanmoins étonner. C’est dès octobre 1981, en fait, que la Maison Blanche a elle-même dévoilé ce qui se préparait : « Nous allons développer la recherche et le développement de systèmes de missiles balistiques pour une défense active grâce à des missiles basés au sol. Nous développerons des technologies pour une défense antimissile établie dans l’espace. »380
425Et dès le 22 juin 1981, le directeur de l’ACDA en avait suggéré la raison devant le Sénat :
426« Les efforts constants déployés par les Soviétiques en vue de mettre au point... des armes anti-satellites soulignent l’importance de découvertes technologiques qui pourraient révolutionner les problèmes de sécurité comme l’a fait, en son temps, l’arme nucléaire... »381
427Bizarrement, Reagan omet de mentionner, le 23 mars, le rôle de l’autre camp dans cette nouvelle « course aux armements ». Certes, le département d’Etat comblera cette lacune quelques jours après382 et, dans une interview, Reagan se dira bientôt prêt à envisager, en gage de bonne volonté, de confier à l’URSS la nouvelle technologie une fois qu’elle aura été maîtrisée.383 Pourtant, l’initiative suscite surtout des réserves chez les alliés. D’abord, sans doute, parce qu’en même temps qu’elle conforte l’image d’une Amérique aspirant à la « supériorité », elle semble, dans sa condamnation de la dissuasion, justifier la résistance au déploiement des nouvelles fusées. Ensuite et surtout, parce qu’une fois de plus, les Américains ont pris unilatéralement une décision susceptible de bouleverser l’équation stratégique sans avoir consulté leurs alliés. Le remplacement de la MAD par la MAS, la « Survie mutuelle assurée », porterait au statu quo un coup d’une immense portée. Outre que le programme semble laisser présager un creusement de l’écart technologique entre l’Europe et l’Amérique, il est lourd de retombées stratégiques : la période de « transition » risque d’être marquée par une formidable instabilité et un risque de guerre inégalé ; le contrôle des armements, dans lequel les Soviétiques se sont empressés de demander l’intégration de l’espace quelques jours après, risque d’être pour longtemps handicapé ; enfin, au cas où l’URSS disposerait de la technologie envisagée, les arsenaux britannique et français seraient dépassés et la supériorité conventionnelle soviétique ne pourrait plus être endiguée par une dissuasion sans objet désormais !
428Dans le court terme, il est vrai, l’impact du discours du 23 mars ne doit pas être exagéré. D’abord, l’affaire ne fait que commencer. Ensuite et surtout, ce sont les INF qui dominent encore l’actualité et une semaine après, l’Administration reprend, à leur sujet, l’initiative sur le camp opposé.
429Le 30 mars, en effet, l’Administration dévoile l’« offre intérimaire » qu’elle avait laissé espérer. Certes, le Pentagone a obtenu que l’« option zéro » reste le « but ultime » des pourparlers. Mais il s’est résigné à ce qu’à titre provisoire, une autre proposition, non chiffrée, soit avancée. Aussi Reagan se dit-il prêt à conclure un accord fondé sur un plafond commun et en baisse des têtes montées sur les INF.384 Les vieux pays, qui ont été étroitement consultés, lui apportent aussitôt leur appui. Au même moment, Nitze obtient une reprise anticipée des négociations pour la fin mai. Longtemps perdue par les Occidentaux, l’initiative leur appartient à nouveau, renversement bientôt avalisé par Gromyko : fait exceptionnel, il convoque dès le 2 avril une conférence de presse pour répliquer à cette nouvelle offre et la rejeter.385
430Tout au long du printemps, l’URSS semble en effet moins apte à « innover ». Certes, le 3 mai, confirmant ce qu’il avait laissé entendre à Vogel en janvier, Andropov se dit prêt à aligner le nombre des têtes de ses fusées sur leur équivalent des missiles britanniques et français, ce qui semble impliquer une réduction des SS-20 autour de 145 désormais. Mais outre que cette offre est aussitôt rejetée par Londres et Paris, ses éléments « neufs » sont des plus réduits et elle intervient dans un contexte de durcissement de la rhétorique de la Russie.
431Depuis que les élections ont confirmé Kohl à la chancellerie, les menaces semblent, en effet, occuper une place croissante dans celle-ci. Mais l’URSS ne fait que répéter de vieux avertissements. Agiter la menace d’une rupture des pourparlers au cas où le déploiement serait réalisé, n’est plus très neuf désormais. Affirmer, comme le fait le Directeur de l’institut des Etats-Unis, M. Arbatov, à la mi-mars, que dans cette éventualité, l’URSS « devra installer des missiles supplémentaires non seulement en Europe, mais aussi à proximité des frontières américaines »,386 n’est que répéter ce que Brejnev, dès mars 1982, avait déclaré ! Clamer, comme le fait le maréchal Ogarkov au même moment, qu’en cas d’utilisation de « ces missiles en Europe contre l’Union soviétique, il n’est pas logique de croire que nous ne répliquerions que contre des cibles en Europe » apporte même de l’eau au moulin des dirigeants alliés : c’est bien un « recouplage » entre les Etats-Unis et l’Europe que les euromissiles vont réaliser !
432Certes, début avril, le ministre soviétique de la Défense a dénoncé le cynisme des Etats-Unis : « En fait, ils offrent leurs alliés de l’OTAN en cible à une réplique nucléaire faisant d’eux des otages... Cette réplique pourrait bien être la dernière pour la plupart des pays d’Europe occidentale où des armes nucléaires américaines auraient été déployées. »387
433Mais ces menaces risquent aussi de précipiter un réflexe de solidarité entre les alliés comme en mai le Sommet de Williamsburg va le suggérer. Dans une note qu’ils avaient préparée pour Reagan le 27 mai, deux responsables américains observaient encore que la France, avec l’appui de l’Allemagne, s’opposait à une déclaration sur les fusées intermédiaires telle que Washington l’envisageait.388 Pourtant, à Williamsburg, deux jours après, Mitterrand s’incline devant un scénario très probablement mis au point par les Américains et les Anglais.389 Margaret Thatcher qui doit affronter les urnes quelques jours après souhaitait, elle-aussi, une déclaration sur les questions de sécurité. Aussi, lors du premier dîner informel, celui durant lequel les questions stratégiques sont habituellement abordées, propose-t-elle la rédaction d’une déclaration sur le sujet. Aussitôt, Reagan bondit sur l’idée et dit tout le bien qu’il faut en penser. Il arrache finalement l’accord des autres alliés. Après des discussions aussi longues que serrées, et avec un retard de sept heures sur l’échéance fixée, une déclaration peut enfin être publiée. Elle est une victoire pour le Président américain, le Premier anglais mais aussi pour le chef du gouvernement japonais. Cela faisait un moment, en effet, que Nakasone s’inquiétait. Pressé par les Américains, il s’était dit prêt à envisager un relèvement de ses dépenses armées : le Japon était un « porte-avions incoulable » avait-il même déclaré. Mais, il avait de plus en plus redouté la perspective d’un compromis incitant l’URSS à détourner un nombre croissant de ses INF vers l’Asie. Cette inquiétude avait été bien perçue aux Etats-Unis qui, en février, avaient envoyé Shultz en Extrême-Orient : l’« option zéro », avait été chargé d’expliquer le secrétaire d’Etat, s’appliquait aussi bien ici que là. Arguant de cette anxiété, le Japonais arrachait, lors du Sommet, l’inclusion d’une phrase d’une grande portée : « la sécurité de nos pays est indivisible et doit être vue sur une base globale. »
434Ainsi était largement réalisé l’objectif qu’en 1973 Kissinger s’était fixé : lier plus étroitement le Japon au système allié. Le Président français qui se serait encore opposé en janvier à une demande d’association à l’OTAN du Japon, semble avoir été agacé de voir le caractère très spécifique de l’« indivisibilité » qu’il avait concédée très vite occulté au profit d’une interprétation large de cette solidarité !
435Le succès de Williamsburg devait rapidement s’accompagner d’un autre progrès, encore plus important en réalité : la victoire, le 9 juin, des conservateurs anglais (347 sièges) sur un Labor Party (209) ouvertement hostile au déploiement américain.390
436Si, en effet, à Williamsburg les dirigeants alliés ont proclamé leur solidarité, il leur faut, de retour chez eux, affronter des pacifistes bien décidés à ne pas s’en laisser compter. Aux Etats-Unis, Reagan lui-même est confronté à ce type de difficultés et sa politique d’acquisition et de contrôle des armements se voit durement contestée. En avril, en dépit de l’appel télévisé qu’il a lancé, le Président voit la Commission du Budget du Sénat réduire de moitié le taux d’augmentation (plus de 10 %) qu’il réclame pour ses dépenses de sécurité. Le 3 mai, à la suite de longues péripéties (et d’interventions sans doute maladroites parce que trop ouvertes des dirigeants du pays), une « lettre pastorale » des évêques américains soutient, sans prononcer le mot, le projet de « gel » et il condamne le « recours en premier » sur lequel la stratégie alliée reste fondée.
437Le lendemain, c’est par une majorité de 278 voix contre 149 qu’à la Chambre le « gel » est voté. Certes le texte sera finalement repoussé au Sénat (58 contre 40) quelques mois après. Mais les questions atomiques suscitent une agitation permanente au Congrès. En fait, dans cette affaire, c’est le MX qui est au coeur de la controverse et qui va servir, aux élus, de levier. Dès 1982, en effet, le financement de cette fusée est sérieusement menacé. Longtemps, l’Administration a dénoncé la « fenêtre de vulnérabilité » dont les Etats-Unis, à l’écouter, pâtiraient. Mais les MX ne semblent nullement de nature à la refermer ! Les problèmes politiques et financiers que leur déploiement mobile soulevait ont contraint l’Administration à renoncer à ce dernier. Le « groupement serré », la solution de rechange qu’elle a, après de longs mois, adoptée, n’emporte pas l’adhésion du Congrès. Le stratagème, (tellement rapprocher les silos des fusées que les missiles de l’adversaire s’auto-détruiraient en cherchant à les approcher) n’a jamais été éprouvé. De plus, SALT II s’en trouverait peut-être violé. Dès lors, le MX apparaît de plus en plus comme une grosse fusée, conçue pour contrebalancer les SS-18 du camp opposé, bref comme une arme susceptible d’aggraver plutôt que d’atténuer l’instabilité : essentiellement adaptée avec ses dix têtes mirvées à une « première frappe », sa taille en fait une cible particulièrement tentante et vulnérable.
438Partisans du « gel », conservateurs obsédés de l’équilibre du budget, experts qui estiment le missile dépourvu d’intérêt : c’est une coalition hétéroclite mais efficace d’opposants que le MX a peu à peu rassemblée.391 Face aux reproches dont il est l’objet, l’Administration dispose d’un ultime argument, il est vrai : elle a besoin du MX comme d’un atout dans ses négociations avec Moscou. Beaucoup, pourtant, sont loin d’en être persuadés. D’abord, certains estiment que les Soviétiques vont tout simplement répliquer en augmentant jusqu’à 20, voire 30 le nombre des têtes du SS-18, ce qui rendra tout accord de limitation plus difficile. Ensuite, dans Time le 21 mars 1983, Kissinger a affirmé que la politique américaine d’armements devrait être complètement repensée. Le processus SALT, explique-t-il, s’est fourvoyé. Son objectif était de garantir la stabilité. Mais dès lors que le « mirvage » permettait de doter de nombreuses têtes les fusées, c’était sur les ogives et non sur les vecteurs qu’on aurait dû se concentrer. En rendant un premier tir plus envisageable que par le passé, la limitation des seconds a engendré un résultat inverse de celui recherché. Ce qu’il faut désormais, c’est mettre l’accent sur des fusées à tête unique et mobiles, à la fois peu vulnérables et inaptes à un tir préemptif.
439Kissinger se rapproche, ce faisant, d’un lobby particulièrement influent chez les représentants, celui des partisans du Midgetman, un missile à une seule ogive. Il devance surtout les conclusions d’une Commission bi-partisane nommée le 3 janvier par Reagan.392
440Ce dernier est, semble-t-il, particulièrement intéressé par les idées qu’un autre lobby, celui du build-down, a développées. Surtout influent au Sénat, ce groupe demande que dans tout accord de contrôle des armements, l’arsenal américain soit réduit et modernisé à la fois. Autrement dit, plus d’une fusée devra être détruite pour chaque nouvelle introduite. Le Président ne cache pas son intérêt pour un projet dont un des principaux mérites est de concilier une modernisation des fusées et la réduction que les partisans du « gel » ne cessent de réclamer. Ses partisans le présentent d’ailleurs comme une alternative « douce » à ce dernier. Mais l’idée se heurte à l’hostilité du Pentagone car elle supposerait une transaction globale, combinant vecteurs rapides et lents.
441Quand, à la fin 1982, la Chambre a rejeté le financement du MX, Reagan a demandé au Général Brent Scowcroft, ancien responsable, sous Ford, du NSC et expert respecté au Congrès, de présider une Commission bi-partisane en théorie chargée de se prononcer sur le mode de déploiement de cette fusée. Publié le 11 avril, son rapport n’aborde pas moins l’ensemble de la politique stratégique. Tout en se ralliant au MX comme à un palliatif, il conteste l’existence d’une « fenêtre de vulnérabilité » et estime que c’est le Midgetman qu’il faut développer. Il recommande, ce faisant, une révision de la position de l’Administration en matière de contrôle des armements : le plafond des ICBM doit être relevé, afin que la substitution progressive du Midgetman au MX puisse être envisagée.
442A Genève, il est vrai, les négociations paraissent désespérément bloquées et les Américains semblent en porter une assez large responsabilité. A l’été 1982, en effet, le Pentagone semble être arrivé à refaire en secret de la « capacité d’emport » un objectif de la délégation américaine dans la phase « I » des pourparlers !393 L’arrivée d’Adelman, en janvier, ne laisse guère augurer une plus grande flexibilité.
443Aussi avec l’accentuation des pressions début mai, le Président se décide-t-il à bouger. Le 8 juin, il affirme souhaiter incorporer les recommandations de Scowcroft (la levée du plafond de 850 ICBM en particulier) dans ses propres projets en même temps qu’il demande à sa Commission de continuer à siéger et à le conseiller.394 Pourtant, la nouvelle position sur laquelle en juin Pentagone et département d’Etat ont fini par s’accorder reste trop biaisée pour permettre le moindre progrès. Du coup, à la fin de l’été, alors qu’un nouveau vote sur le MX commence à se profiler, l’Administration se voit soumise à de nouvelles pressions du Congrès. Elle peut aussi au moins partiellement comprendre la situation délicate où se trouvent ses alliés.
444Loin de les modérer, leur échec respectif semble avoir incité les deux partis socialistes allemand et anglais à se radicaliser. Sans doute le Labor s’est-il senti encouragé par l’ampleur et la vigueur des manifestations que le mouvement était en mesure de susciter : dès décembre 1982, quelque 30.000 femmes ont formé un spectaculaire anneau humain autour du périmètre de la base de Greenham Common, désignée pour abriter des missiles de croisière. Surtout, durant l’été, le SPD semble prêt à rompre avec le consensus allié qu’à la fin des années 1950 il avait embrassé. La victoire de Kohl n’a pas vraiment échaudé le zèle des partisans de la « paix ». Elle s’est accompagnée, il est vrai, de l’entrée sur la scène parlementaire des « Verts », le groupe qui leur était peut-être le plus identifié. Or, non seulement les manifestations pacifistes ne cessent de se multiplier mais le bruit commence à circuler selon lequel le SPD pourrait participer aux manifestations en train de se préparer.
445Aussi les conseillers du chancelier laissent-ils entendre qu’ils verraient d’un bon oeil ressusciter le projet de la « promenade dans la forêt » auquel le SPD s’est déjà rallié. A la mi-juillet, c’est même en public que Genscher endosse l’idée395 qualifiée, quelque temps auparavant, de « base assez raisonnable » par le Président français. Cinq jours après, c’est Kohl lui-même qui exprime tout son intérêt.396 Les Américains semblent très attentifs à ses difficultés. Perle, lui-même, semble suggérer devant le Congrès qu’il serait prêt à se rallier au projet. Mais l’idée semble se heurter à un veto de Burt et de Weinberger.397
446Aussi le champ est-il libre pour une initiative soviétique : le 26 août Andropov se dit non seulement toujours disposé à réduire de 243 à 162 le nombre des SS-20, mais prêt désormais à liquider les 81 ainsi éliminés, au lieu de les redéployer en Asie comme il l’avait d’abord envisagé. Pourtant, la concession reste des plus limitées puisqu’il se réserve le droit de déployer de nouveaux SS-20 au cas où Britanniques et Français « moderniseraient » (c’est-à-dire « mirveraient ») leurs fusées.
447Les Américains s’apprêtent, semble-t-il, à répondre par une nouvelle offre quand un événement vient peut-être tout changer : dans la nuit du 31 août, les Soviétiques, apparemment incapables de l’identifier, abattent un avion de ligne sud-coréen au dessus d’une zone considérée comme interdite par le Kremlin. Ils offrent ainsi une occasion inouïe pour une offensive diplomatique des Américains.398
448Certes, trop exploiter l’horreur que l’incident est de nature à inspirer serait prendre le risque de conforter la peur sur laquelle l’URSS a toujours compté pour dresser les opinions contre le déploiement allié.399 Mais l’affaire n’en est pas moins un coup terrible pour l’image de champion de la paix dont l’Union soviétique cherche à se doter : « L’Union soviétique, souligne Reagan le 5 septembre, s’est dressée contre le monde entier... C’était un acte barbare, commis par une société qui foule aux pieds les droits de l’individu... »400
449C’est donc avec un atout inespéré que l’Occident aborde les derniers mois, cruciaux, de l’année. De plus, Reagan refuse désormais d’écouter ceux qui lui conseillent de ne plus bouger. Très vite, il reprend l’initiative dans les deux séries de pourparlers.
450Fin septembre, à l’approche du vote sur le MX au Congrès, Scowcroft a réussi à imposer un compromis, le « double build-down » qu’il a élaboré avec les deux principaux lobbies concernés : selon le projet, les réductions devraient être organisées autour de deux phases : dans la première, la limitation des têtes (de 8.000 à 5.000) serait le critère ; la seconde concernerait celle de la « capacité destructive comparée » des différents vecteurs, les gros missiles mirvés étant pénalisés. Finalement, sensible au deuxième volet qui recouvre sa propre priorité, le Pentagone finit par se rallier. Le 3 octobre, une Magna Carta est rédigée : si les Etats-Unis maintiennent leur position ancienne, Reagan accepte de proposer l’établissement d’un deuxième groupe de travail, pour étudier la nouvelle formule américaine. Le 5, Rowny présente l’idée au camp opposé. Cette fois, leur position des Etats-Unis tient compte des « dissymétries » que les deux arsenaux peuvent présenter.
451Ce changement vient à point pour améliorer leur image sur le vieux continent. Surtout, quelques jours auparavant, les Etats-Unis ont fait un geste encore plus important ! Le 26 septembre, sensible aux pressions de ses alliés, Reagan offre une version aménagée de la « promenade dans la forêt. » Selon le projet, le nombre des Pershing II déployés serait réduit proportionnellement au plafond de têtes sur lequel Américains et Soviétiques pourraient s’accorder. De plus, les bombardiers à capacité nucléaire pourraient être inclus dans un tel traité. Surtout, tout en se réservant le droit de contrebalancer les fusées que les Soviétiques pourraient garder en Asie, les Américains n’insisteraient plus pour compenser totalement celles-ci par leur déploiement dans les vieux pays.401 Dans un effort pour afficher sa bonne volonté, George Bush ira même jusqu’à suggérer qu’en son temps la question des arsenaux britannique et français pourrait être soulevée.402
452Pourtant, dès le 28, dans une diatribe d’une violence inouië, Andropov a rejeté le compromis. « Nous en sommes venus à la conclusion, explique M. Arbatov, que rien ne peut sortir de tractations avec Reagan. »403 En fait, le Kremlin semble surtout miser sur les déchirements que peut provoquer le déploiement.
453Début octobre, en effet, les travaillistes anglais adoptent des positions encore plus dures que par le passé. Quelques heures seulement après avoir été désigné, leur nouveau leader, Neil Kinnock, galvanisera son Congrès en affirmant que son gouvernement « réaliserait en cinq ans la dénucléarisation de la Grande-Bretagne » et mettrait un terme à la présence de bases américaines sur le territoire anglais. Encore ne parviendra-t-il pas à dissuader son aile pacifiste la plus extrémiste de faire voter à mains levées, si écrasante est la majorité, une motion particulièrement dure qu’il aura en vain cherché à atténuer. En RFA, la campagne pacifiste va culminer dans la semaine du 15 au 22 octobre. Elle débouche, durant le week-end, sur des manifestations massives dans quatre grandes villes. Surtout, avec l’accord préalable des leaders de son parti, l’ancien chancelier Willy Brandt dramatise dans un discours le virage pris par celui-ci. Quelques jours auparavant, en effet, les assemblées régionales du SPD se sont, dans leur quasi-totalité, prononcées contre le déploiement allié.
454Tous ces mouvement ne parviennent pourtant pas à ébranler la fermeté des gouvernements pas plus que la nouvelle offre faite, le 26 octobre, par l’autre camp. Espérant sans doute utiliser le trouble que l’intervention américaine à Grenade a suscité, Andropov avance un nouveau projet : si le déploiement était annulé, c’est à 140 (au lieu des 162, voire des 243 prévus initialement) que l’URSS serait prête à réduire le nombre des SS-20 dirigés vers les pays ouest-européens. De plus, le déploiement en Asie serait arrêté. Mais le leader soviétique a aussi adressé un avertissement solennel aux alliés : c’est là sa dernière offre avant la rupture des pourparlers.
455L’offensive va échouer. S’ils n’apprécient guère l’intervention de leur grand allié, décision contre laquelle un million de Hollandais, par exemple, descendront manifester, les Européens ne sont certainement pas prêts à remettre en question une décision vitale pour un différend sur une île aussi marginale. Et ils y sont d’autant moins disposés que Reagan, pour des considérations intérieures, a décidé de remplacer, à la tête du NSC, Clark pour lequel les alliés n’ont qu’une sympathie limitée par son adjoint Robert McFarlane, un ancien colonel des Marines, dont ils apprécient le « professionalisme ».
456L’intervention américaine à Grenade n’est, à l’opposé, guère de nature à enrayer l’inéluctable revirement du SPD. Le 18 novembre s’ouvre, en effet, le Congrès où la décision finale doit être arrêtée. Mais les jeux sont déjà faits et Schmidt apparaît aussitôt isolé : une motion condamnant le déploiement va y être adoptée à une écrasante majorité.404 Comme si la rupture n’était pas suffisante avec le passé, c’est la création d’une « zone dénucléarisée » au milieu de l’Europe que le parti croit bon de réclamer.
457Le 19 novembre, le Congrès s’est achevé. A ce moment, en Allemagne, le débat atteint son apogée. D’abord, la controverse va être alimentée par l’impact sur les quelque cent millions d’Américains qui vont le regarder, du film Le jour après : ce long métrage où les effets d’une guerre nucléaire sont brutalement exposés, est diffusé, le 20, par la chaîne ABC. Ensuite, la confusion est peut-être entretenue de façon délibérée par le camp opposé. Selon Paul Nitze, en effet, les Soviétiques auraient alors cherché à l’enferrer.405 Le 12 novembre, K vitsinsky lui aurait affirmé que, si Washington la reprenait, Moscou accepterait une proposition que, le 26 octobre, le négociateur soviétique a lui-même avancée : un renoncement américain au déploiement contre une réduction des SS-20 à 120. La comptabilisation des arsenaux britannique et français, a-t-il expliqué, pourrait dans ce cas ne plus être mentionnée. Tout en lui disant qu’il ne voyait pas comment Washington pourrait l’accepter, Nitze a transmis le projet dont les alliés ont été informés. Mais, le 17 novembre, l’ambassade soviétique à Bonn remet un mémorandum aux Allemands. Selon ce document, Washington s’apprêterait à rejeter cette offre pourtant avancée, selon l’URSS, par son propre représentant !
458Les Soviétiques veulent-ils par avance nier qu’ils aient envisagé de renoncer à la comptabilisation des arsenaux britannique et français ? ou veulent-ils simplement semer le trouble chez les alliés ? Ils ne peuvent pourtant pas ignorer que les jeux sont largement faits ! Dès le 9 novembre, le parlement italien a autorisé son gouvernement à déployer à une nette majorité (351 contre 291). Dès le 14 novembre, les premiers missiles de croisière sont arrivés en Angleterre. Pourtant les Soviétiques n’ont pas rompu les pourparlers. Une fois de plus, toute leur attention semble rivée sur ce que Bonn va décider. Le 22 novembre, trois jours après le Congrès du SPD, le Bundestag doit se prononcer. Il approuve le déploiement à une nette majorité (286 contre 226.) Les premiers Pershing II arrivent moins de 24 heures après. Aussitôt les Soviétiques rompent les négociations. Le 8 décembre, ils suspendront les conversations START sine die et feront de même pour les MBFR huit jours après. Le 24 novembre aussi, l’URSS annonce qu’elle va déployer de nouveaux missiles marins à proximité du territoire américain, qu’elle met un terme au « moratoire » sur le déploiement des SS- 20 et qu’elle accélère les préparatifs pour l’installation d’armes tactiques chez ses alliés est-européens. Elle n’entame pas la détermination des alliés de Washington. Seul le gouvernement hollandais attendra dix-huit mois avant de fixer la date à laquelle sa décision définitive sera arrêtée.406
459L’Occident a donc évité la catastrophe qu’il redoutait. Dire pourquoi exactement il l’a emporté n’est pas sans difficulté. Sans doute en 1983 les Etats-Unis ont-ils su se montrer plus attentifs que par le passé aux préoccupations de leurs alliés. Sans doute les Soviétiques n’ont-ils pas su soutenir leur « campagne de paix » sur le rythme auquel ils l’avaient lancée. Mais peut-être aussi, après la réélection du chancelier allemand et du Premier anglais, les jeux étaient-ils faits dès lors que les pacifistes restaient une minorité et que rares étaient les Européens disposés à entrer dans l’illégalité pour s’opposer au déploiement de nouvelles fusées !
460Que l’équipe américaine ait su faire preuve de plus de flexibilité et de plus de sollicitude pour les préoccupations de ses alliés ne peut être nié. A juste titre, elle put se targuer d’avoir établi des contacts quasi permanents avec ses partenaires. Elle sut déceler les lacunes de son approche médiatique et multiplier les gestes de bonne volonté à l’approche de l’automne critique : elle donna ainsi son accord à un retrait progressif de 1400 nouvelles ogives tactiques de l’arsenal atlantique et elle laissa la conférence de Madrid décider la tenue, à partir de janvier 1984, d’une Conférence sur le désarmement visant à instaurer la confiance et la sécurité sur le vieux continent. (CDE) L’impact de ces mesures ne saurait pourtant être exagéré. Ces gestes de modération ne furent pas sans ratés, comme lorsque Reagan, en septembre, affirma que le peuple américain l’avait chaleureusement approuvé quand il avait suggéré aux Nations unies que son pays serait ravi de les voir partir s’installer dans une autre contrée. La plupart, il faut le noter, furent effectués assez tard dans l’année. Quand Reagan promit de ne plus qualifier de « Foyer du Mal » le camp opposé,407 les missiles étaient déjà déployés et plus que par sa sensibilisation aux préoccupations alliées, la modération de sa rhétorique devait être motivée par son souci d’obtenir, en 1984, une année électorale un « Sommet ».
461Du moins les Américains évitèrent-ils dans l’ensemble de donner une impression d’ingérence ou de harcèlement à leurs alliés. Ce ne fut pas toujours le cas du camp opposé. Peut-être la propagande de ce dernier souffrit-elle du renvoi par Andropov, presque dès son arrivée, des deux hommes (dont Valentin Falin) qui l’avaient jusqu’ici dirigée. Peut-être pâtit-elle aussi de l’incertitude que la personnalité du nouveau leader soviétique et plus encore son état de santé contribuèrent à engendrer : après une dernière apparition le 26 août, Andropov ne devait plus être vu en public avant la fin de l’année. Elle fut, en tout cas, handicapée par son incapacité à « innover » et par sa tendance à reposer de plus en plus largement sur des menaces qui la desservaient. Qui, au demeurant, pouvait douter que les SS- 21, SS-22 et SS-23 que l’URSS avait mis en chantier seraient de toute façon déployés ? Les efforts de l’URSS devaient, bien au contraire, souligner à quel point ses propres partenaires s’inquiétaient de ses intentions dans cette affaire. Peu enthousiasmés à l’idée d’offrir encore plus de cibles en cas de guerre, les pays du pacte de Varsovie refusèrent à deux reprises, en juin puis en décembre 1983, d’approuver le déploiement décidé par leur « Grand Frère ».408
462La lourdeur des pressions soviétiques en Allemagne n’aida peut-être pas toujours le SPD. Elle permit, au contraire, aux Américains d’exploiter le « profil bas » qu’ils avaient préféré. De passage à Bonn en janvier, Gromyko n’avait pu s’empêcher de proférer une menace à peine voilée : « Nous ne pouvons oublier que la RFA est le seul Etat où soit prévu le déploiement des Pershing II, qui peuvent atteindre des objectifs stratégiques en URSS en quelques minutes. »
463Le 31 janvier, Bush pourrait ainsi remarquer que lui-même n’apportait « ... en Allemagne ni sermons ni menaces. Vous avez été soumis aux uns et aux autres durant la dernière semaine, de la part de ceux qui avaient accepté votre hospitalité. »409
464De plus, les efforts de Moscou pour manipuler les rapports interallemands eurent des effets difficiles à apprécier. D’un côté, elle fit sans doute miroiter, à l’occasion de cette « année Lüther » propice au souvenir de l’unité passée, des concessions de grande portée au cas où la RFA renoncerait à déployer : ses représentants auraient même suggéré que le rattachement de Berlin-Ouest à la RFA et un rapprochement substantiel entre celle-ci et la RDA pourraient être envisagés dans ce cas.410 Mais de l’autre, elle n’hésita pas à laisser planer la menace d’une détérioration au cas où Bonn s’alignerait sur Washington. Début mai, ainsi, une visite d’Erich Honecker à Bonn fut annulée.411 Et le 10 octobre, le même Honecker adjura Kohl « au nom du peuple allemand » de rejeter une décision qui pouvait créer un « nouvel âge glaciaire » dans leurs relations et remettre les acquis de la détente en question.412
465En jouant sur les liens avec la RDA, le Kremlin savait qu’il touchait une corde sensible en RFA : au début de l’été, Franz-Josef Strauss, anticommuniste de combat s’il en était, n’avait-il pas tenu à s’attribuer le mérite du nouveau prêt privé d’un milliard de dollars dont la RDA allait bénéficier ? Pourtant, outre que Moscou ne pouvait, l’apparition d’un mouvement pacifiste en RDA l’avait déjà montré, manipuler sans danger son propre allié, sa tendance à recourir de plus en plus au chantage ou aux menaces risquait d’altérer l’image de pays épris de paix sur laquelle toute sa propagande était pourtant fondée.
466Bref, l’URSS ne sut pas toujours éviter de tomber dans le style apocalyptique auquel elle avait un temps su identifier l’Amérique ! Or, tout se jouait, ou presque, sur le terrain de la « diplomatie publique ». Tout semble, en effet, s’être passé comme si, des deux côtés, les pions avancés à Genève avaient été moins destinés à permettre la conclusion d’un traité qu’à séduire les opinions alliées. Les Etats-Unis n’offrirent jamais une solution susceptible de tenir, d’une façon ou d’une autre, compte de l’existence des arsenaux britannique et français. Quant aux Soviétiques, ils ne devaient pas plus proposer de compromis autorisant un déploiement même partiel des missiles américains. Tout jugement à l’emporte-pièce serait sans doute prématuré. Mais deux conclusions ne peuvent être totalement écartées. D’abord, la « diplomatie du mégaphone », comme certains allaient l’appeler, et l’apparente absence de nouveaux contacts secrets (une fois la « promenade dans la forêt » enterrée) excluaient ou presque l’élaboration d’un compromis et les deux Grands se comportèrent bien comme si leur véritable souci était l’impact de leurs propositions sur les vieux pays. Ensuite, si a posteriori le succès semble avoir été assez largement acquis, à partir des élections allemandes, pour les Etats-Unis, l’issue ne semble pas avoir été claire, alors, ni pour ceux-ci, ni pour leurs alliés, ni pour les dirigeants de la Russie. On peut inversement se demander pourquoi cette dernière n’envisagea pas de faire, à l’ultime moment, un geste dramatique susceptible de semer le trouble sur le vieux continent. Ses représentants avaient pourtant suggéré qu’un déploiement américain limité pourrait être toléré dès lors que Washington renoncerait, dans les START, à sa rigidité. Mais elle ne concrétisa pas cette idée après que le « double build-down » eût été proposé. Jamais, en dépit des rumeurs qu’elle fit apparemment circuler durant l’été, elle ne prit le risque de ressusciter la « promenade dans la forêt. » Jamais surtout elle ne chercha à tester l’impact qu’une réduction des SS-20 à 50 pourrait avoir sur la détermination alliée. Peut-être ses « politiques » furent-ils incapables d’arracher l’acquiescement de leurs chefs militaires à un geste aussi spectaculaire. Peut-être eut-elle de bonnes raisons de penser que, trop tardif désormais, son geste resterait sans effet et peut-être préféra-t-elle exploiter une rupture dramatique des pourparlers plutôt que de risquer, sans grande chance de succès, une manoeuvre qui, par la suite, l’affaiblirait. Aussi n’hésita-t-elle pas à laisser le climat international se détériorer. Tandis que ses leaders maniaient à l’endroit de Reagan une ironie désabusée, sa presse affubla des appelations de « menteur », « bandit », « assassin » et « premier terroriste mondial » le Président américain.413 Ses efforts ne restèrent pas vains. Alors que le contrôle des armements paraissait bloqué pour longtemps, le risque de guerre venait, fin 1983, au deuxième rang, juste derrière le chômage, des préoccupations du vieux continent. Bref, le calcul de l’URSS fut probablement d’alourdir autant que faire se pourrait le coût politique du déploiement pour les alliés et de tirer ainsi le maximum de profit de la force, minoritaire finalement, que les pacifistes représentaient.
467Les pacifistes restaient une minorité en effet. Et si les gouvernements s’étaient autant alarmés, c’était parce que, comme souvent par le passé, ils avaient eu tendance à les surestimer. Dès l’automne 1982, le glissement à droite en Belgique comme au Danemark414 rappelaient que la gauche ne bénéficiait pas systématiquement du pacifisme en réalité. La confirmation devait en être apportée quelques mois après. Les succès électoraux remportés en mars et en mai 1983 respectivement par le nouveau chancelier allemand et le Premier anglais suggéraient soit que les thèses « pacifistes » n ’étaient pas aussi populaires qu’elles le paraissaient, soit quelles n’avaient pas un impact électoral encore comparable aux grandes questions économiques et sociales.
468Au demeurant, bien des sondages indiquaient que l’évolution de l’opinion méritait une analyse plus affinée que celle qui en était parfois donnée. Fin 1981, alors que le mouvement pacifiste était en pleine ascension, trois personnes sur quatre en Angleterre souhaitaient le maintien ou le renforcement de l’arsenal nucléaire. Et si les Etats-Unis étaient alors peu populaires outre-Manche, jamais autant d’Allemands n’avaient affirmé « les aimer » en revanche !415 Sans doute, la puissance et le prestige de certains organes de presse, le ton très anti-américain d’une bonne partie des commentateurs de radio et de télévision avaient-ils amplifié, par rapport à la réalité, la méfiance et l’hostilité dont, en RFA, Washington était l’objet. Du coup, les observateurs avaient eu, peut-être, tendance à interpréter les sondages de façon pessimiste et dramatisée. Ils avaient surtout retenu les résultats à des questions directes sur les sentiments que les gens pouvaient éprouver à l’endroit du déploiement, quitte à oublier que les chiffres avaient tendance à s’inverser dès lors que c’était en termes de choix entre le démantèlement de l’OTAN et l’installation des euromissiles que le problème était posé.416 Bref, il n’y avait guère de chances, pour peu que les gouvernements ouest-européens refusent de se laisser impressionner, que le déploiement pût être arrêté : non seulement le pays légal l’approuvait, mais il bénéficiait d’une légitimité indéniable quoique surtout résignée. Le seul pays, la Hollande, où ces conditions n’étaient pas rassemblées, devait d’ailleurs demander de nouveaux délais. Inversement d’ailleurs, une fois les démonstrations terminées, les pacifistes ne savaient guère, dans l’immédiat, où aller. Dès l’été, ainsi, la grande centrale syndicale allemande DGB avait indiqué qu’elle respecterait la décision que les instances légales prendraient. Le retour, aux Etats-Unis, de la prospérité contribua peut-être à modifier le climat dont les pacifistes avaient profité. Leur ascension avait bénéficié du désenchantement que la crise avait pu susciter. La réapparition, même furtive, de l’espoir ne pouvait qu’en diminuer l’attrait.
469Il restait à voir, il est vrai, si d’Amérique la relance parviendrait à atteindre l’Europe et, pour l’Occident, on ne pouvait s’y tromper, c’était une bataille et non la guerre qui venait d’être gagnée. Pour l’URSS, le bilan était loin d’être négatif en effet. Après tout, elle n’avait échoué que dans une tentative d’une audace inouïe : une manoeuvre pour paralyser l’Europe et les Etats-Unis dans leur riposte contre un fait accompli. Si elle n’avait pas réussi, elle avait su mettre à vif les différences de situation entre les Américains et les vieux pays : à l’automne 1983, l’opinion des seconds attendait beaucoup plus, pour sa sécurité, des négociations avec le camp opposé que de la coopération avec les premiers ! La rupture du Labor et du SPD avec le consensus stratégique allié ne faisait pas planer la seule menace des répercussions d’un changement de majorité. Elle donnait la mesure du prix que l’Occident avait eu à payer pour moderniser son dispositif de sécurité. Elle laissait donc mal augurer des futures controverses entre l’Amérique et ses alliés, alors même que le débat sur la « guerre des étoiles » allait arriver sur le devant de l’actualité.
Notes de fin
1 – Cité in Le Monde, 5-6 septembre 1982.
2 – USA Document, 30 janvier 1981, p. 4.
3 – Pour une vision sombre de l’avenir de l’« internationalisme », voir HUGHES (Thomas LK) : « The twilight of internationalism » in FP, no.62, hiver 1985-1986, p. 25-48.
4 – TALBOTT (Strobe) : « Behind closed doors » in Time, 5 décembre 1983, p. 13
5 – USA Document, 1982/29, p. 5
6 – BARRETT (Laurence I.) : Gambling with History. Reagan in the White House, Garden City, N.Y., Doubleday, 1983, p. 221.
7 – Elle était prévue pour le 30 septembre 1981.
8 – NYT, 2 octobre 1985.
9 – Agence pour le contrôle des armements et le désarmement.
10 – Il avait servi de conseiller politique à Reagan durant quatorze ans, été le secrétaire général du futur Président lorsque ce dernier était gouverneur de Californie, puis Juge à la Cour suprême de celle-ci.
11 – HAIG (A.) : op. cit., p. 158-159.
12 – STOCKMAN (David) : The Triumph of Politics, London, Bodley Head, 1986, p. 95.
13 – Ibid., p. 80 et 84.
14 – Ibid., p. 16.
15 – USA Document, 10 juin 1981, p. 1.
16 – Time, 6 juillet 1981.
17 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 315.
18 – USA Document, 10 juin 1981.
19 – Cité in Time, 1er mars 1982.
20 – HAIG (A.) : op. cit., p. 253.
21 – Sur les réactions américaines, voir WELLS (Samuel F., Jr.) : « The Mitterrand challenge » in FP, no.44, automne 1981, p. 57-69.
22 – Lawrence Eagleburger. Cf. USA Document, 23 juin 1981, p. 1.
23 – Cité in GROSSER (A.) : op. cit., p. 288. Voir aussi TOINET (Marie-France) : « La France socialiste et les Etats-Unis de M. Reagan » in LMD, décembre 1981.
24 – Interviews avec Michel Tatu et Guy Claisse cités in MITTERRAND (François) : Ici et Maintenant, Paris, Fayard, 1980, p. 230,232 et 253.
25 – BOISSONNAT (J.) : op. cit., p. 173.
26 – Sur cette affaire, voir WOLTON (Thierry) : Le KGB en France, Paris, Grasset, 1986.
27 – USA Document, 1981/83.
28 – Voir, par exemple, l’article de Jean-Pierre COT : « Winning East-West in Nort-South » in FP, no.46, printemps 1982, p. 3-18.
29 – BOISSONNAT (J.) : op. cit., p. 196.
30 – Le taux est ramené de 49 % à 28 %.
31 – Le taux d’épargne aux Etats-Unis est seulement de 5 % contre 15 % en RFA et 14 % en Grande-Bretagne.
32 – Cf. Tom WICKER in IHT, 20-21 juillet 1985.
33 – Voir là-dessus : FRIEDMAN (Milton et Rose) : La tyrannie du statu quo, Paris, JC Lattès, 1984. Consulter aussi : STOCKMAN (David A.) : The Triumph of Politics op. cit.
34 – Voir BARRETT (L.) : op. cit., p. l72, 179, 181 et 185.
35 – Time, 16 novembre 1981.
36 – IHT, 14-15 janvier 1984.
37 – Cité in IHT, 16 janvier 1984.
38 – Voir NAU (Henry R.) : « Where Reaganomics works » in FP, no.57, hiver 1984-85, p. 14-37.
39 – NAU (Henry R.) : « Reaganomics. The State of the debate » in Ibid., no.59, été 1985, p. 144-153.
40 – GRAPIN (J.) : op. cit., p. 59.
41 – HAIG (A.) : op. cit., p. 295.
42 – IHT, 16 janvier 1984.
43 – DEBRAY (R.) : op. cit., p. 74.
44 – HAIG (A.) : op. cit., p. 93.
45 – NATO Today, p. 46-47. Voir aussi, l’interview du secrétaire adjoint au Trésor américain, en mars 1981 : USA Document, 25 mars 1981, p. 1 et PUTNAM (R.) and BAYNE (N.) : Hanging Together, Harvard U. Press, 1984, p. 150.
46 – Le Monde, 4 février 1982.
47 – Time, 1er mars 1982.
48 – Time, 22 mars 1982.
49 – Il s’agissait des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de la RFA et du Japon.
50 – Time, 1er mars 1982.
51 – BERGSTEN (C. Fred) : « Reaganomics. The State of the debate » in FP, no.59, été 1985, p. 142.
52 – Republican Platform, p. 73.
53 – Cité in TOINET (Marie-France) : LMD, février 1982.
54 – IHT, 14-15 janvier 1984.
55 – IHT, 11 novembre 1983.
56 – DAVID (F.) : Le commerce international à la dérive, Paris Calmann-Lévy, 1982, p. 183, cité in TOINET (M.F.), LMD, janvier 1983.
57 – BERGSTEN (C. Fred) : « Entangling Alliances : the cost of Reaganomics » in FP, no.44, automne 1981.
58 – D’après HOLTFRERICH (Cari L.) : The Vicious Circle of Protectionism, papier présenté au Centre Woodrow Wilson le 14 juillet 1983.
59 – La réaction, il est vrai, ne va pas tarder : bientôt, le bruit court que les Anglais ont convaincu les Japonais de limiter « volontairement » leurs exportations de véhicules à 11 % du marché britannique. Et la France continue de les confiner unilatéralement à un quota de 3 %.
60 – Applicable à partir de 1986, le projet prévoit qu’un fabricant vendant plus de 100.000 voitures aux Etats-Unis sera astreint à s’assurer que 10 % du contenu (pièces, montage) auront été fabriqués par des ouvriers américains. Ce pourcentage augmente d’un point par tranche de 10.000 voitures, allant jusqu’à un maximum de 90 % pour une firme exportant 900.000 véhicules.
61 – Sur le problème, voir : MENY (Yves) et WRIGHT (Vincent) : La crise de la sidérurgie européenne. 1972-1984, Paris, PUF, 1985.
62 – DENMAN (Sir Roy) : « European Community – U.S. relations : twisting the Dragon’s tail », 15 septembre 1982.
63 – Cité in ANDELMAN (David A.) : « Struggle over Western Europe » in FP, vol. 49, hiver 1982-1983, p. 41.
64 – Focus, , numéro consacré au commerce international, p. 2.
65 – Voir sur le problème LMD, janvier 1982.
66 – FERGUSON (Thomas) and ROGERS (Joël), eds. : op. cit., p. 44.
67 – Dont 26 milliards ont été contractés auprès de l’agence fédérale Farmers Home Administration.
68 – Focus : « Les élections intermédiaires » p. 9-10.
69 – Richard LYNG, secrétaire-adjoint à l’Agriculture, cité in Le Figaro, 30 août 1982.
70 – USA Document, 1982/19, p. 12.
71 – PATTERSON (Kathleen) : « Keeping them happy down in the farm » in FP, no.36, automne 1979.
72 – Voir les articles de Marie-France TOINET in LMD, février 1982 et LMD, janvier 1983.
73 – Cf. ROBERT (D.), Hormats à Chicago, le 16 décembre 1981, USA Document, 1981/93.
74 – Cité par M. DALSAGER devant l’U.S. Chamber of Commerce, le 5 octobre 1982, Document dactylographié de la Communauté.
75 – Thomas Enders devant l’American and Common Market Club, 16 janvier 1980, in USA Document, 21 janvier 1980.
76 – Allocution de Robert McNamar, secrétaire-adjoint au Trésor. USA Document, 6 juillet 1981.
77 – AP, 1981, p. 280.
78 – Cité in MELANDRI (Pierre) : La politique extérieure des Etats-Unis de 1945 à nos jours, Paris, PUF, 1982, p. 124.
79 – AP, 1981, p. 268.
80 – USA Document, 1981/78, p. 2.
81 – Voir l’intervention de Gaston THORN, Président de la Commission le 17 octobre 1981 à Florence in Problèmes politiques et sociaux, 30 juillet 1982 et celle d’Edgar PISANI in AP, 1981, p. 266.
82 – Discours du 27 avril 1982, USA Document, 1982/29, p. 8.
83 – USA Document, 1981/75, p. 6.
84 – Cf. son discours du 15 octobre 1981, USA Document, 1981/75.
85 – USA Document, 1981/78.
86 – L’on comptait aussi sur cet accès en franchise d’une durée de 12 ans pour tous les produits sauf les textiles pour inciter les investisseurs à s’installer dans les pays ainsi privilégiés. Voir, par exemple, USA Document, 1982/13.
87 – IHT, 26 décembre 1983 : entre 1981 et 1982, l’aide des Etats-Unis représente 0,23 % de leur PNB contre 0,40 % en moyenne pour l’organisation occidentale. La Hollande, comme la Suède, consacrent à l’aide 0,92 % de leur PNB dans ces années, la Norvège 0,91 %, le Danemark 0,75 %, la France entre 0,74 et 0,47 % (selon que l’aide aux DOM est, ou non, comptabilisée), la RFA 0,47 % et l’Angleterre, 0,41 %.
88 – GRAPIN (J.) : op. cit., p. 268.
89 – Cité in NYE (Joseph S., Jr.) : « Two cheers for multilateralims » in FP, no.60, automne 1985, p. 148.
90 – 900 millions contre 1.800. Cf. LM, 29 janvier 1981.
91 – Cité in ROSENFELDT (Stephen S.) in FA, vol. 61, no.3, p. 501-502.
92 – Sur l’attitude de l’Administration, voir : MALONE (James L.) : « Who needs the sea Treaty ? » in FP, 54, printemps 1984, p. 44-63.
93 – FP, no.43, été 1981, p. 130.
94 – Deux de ceux-ci sont permanents : pour chaque site d’exploitation accordé à une société privée, l’Enterprise en aura un équivalent ; en cas de blocage des allocations d’exploitation de nickel, elle aura priorité. Trois sont temporaires : une exemption fiscale valable pour dix ans ; un droit d’acquisition, durant le même temps, de technologies minières à des termes équitables ; des subventions pour développer un site unique d’exploitation.
95 – FRANK (Richard A.) : « Jumping Ship » in FP, no.43, été 1981 ; RATINER (Leigh) in FA, été 1982 et RICHARDSON (Elliott) : FP, no.55, été 1984, p. 178- 182.
96 – RAMSES, 1981, p. 173.
97 – De 20 % pour les produits manufacturés, de 50 % pour les produits agricoles et alimentaires. Cf. l’intervention de Gaston Thorn citée plus haut.
98 – Voir LISSAKERS (Karin) : « Faustian Finance » in FP, no.51, automne 1983, p. 161.
99 – Le Monde, 17 avril 1980.
100 – BERGSTEN (C.F.) in FP, no.44, p. 33.
101 – LM, 25 septembre 1981.
102 – MITTERRAND (François) : Réflexions sur la politique extérieure de la France, Paris, Fayard, 1986, p. 316.
103 – Sur la vision de Jean Kirkpatrick, voir « Dictatorships and double standards, » in Commentary, novembre 1979 et « U.S. security and Latin America » in Ibid., janvier 1981.
104 – KAPLAN (L.) : op. cit., p. 109-110.
105 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 209.
106 – IHT, 10 octobre 1985.
107 – Voir DEBRAY (R.) : op. cit., p. 285, mais aussi 59, 236, 252 et 294.
108 – Voir, par exemple, NIXON (Richard) : Plus jamais de Vietnams ?, Paris, Albin Michel, 1984 mais aussi TON THAT THIEN : « Bases-arrière et stratégie révolutionnaire en Asie du Sud-Est » in Relations internationales, vol. 36, hiver 1983, p. 445-467.
109 – Voté dans l’immédiat après-Vietnam, l’amendement interdisait toute assistance militaire américaine aux forces anti-marxistes de l’Angola.
110 – NYT, 10 octobre 1981.
111 – Cf. TUCKER (R.) and WRIGLEY (L.) : op. cit., p. 121.
112 – USA Document, 1981/83, p. 2.
113 – « Les alliés qui sont en mesure de le faire, seront prêts à prendre les mesures susceptibles de dissuader une agression hors de la zone du Traité » et à « faciliter d’éventuels déplacements militaires hors de la zone OTAN, qui pourront représenter une contribution importante à la sécurité occidentale. » Cf. Subcommittee on Europe and the Middle East, Hearing : Developments in Europe, July 1982, 97th Cong., 2 Sess., 21 juillet 1982, p. 14.
114 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 207.
115 – Le Monde, 13 mars 1981.
116 – Sur la politique américaine dans la région, on pourra consulter, entre autres, les deux dossiers constitués par la revue Foreign Policy, : « Struggle in Central America » in FP, no.43, été 1981, p. 70-103 et « Hemispheric crises. Issues and option » in Ibid., no.52, automne 1983, p. 43-117.
117 – Le Front démocratique révolutionnaire était surtout constitué de sociaux-démocrates et d’anciens chrétiens-démocrates ; le Front de Libération nationale Farabundo Marti était une organisation marxiste de guérilla.
118 – USA Document, 1982/12, p. 4.
119 – Voir HAIG (A.) : op. cit., p. 135 et, surtout, CASTANEDA (Jorge G.) : « Don’t corner Mexico » in FP, no.60, automne 1985, p. 75-90.
120 – HAIG (A.) : op. cit., p. 130.
121 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 206-208.
122 – IHT, 12 juillet 1984.
123 – HAIG (A.) : op. cit., p. 135. Voir sur ce sujet FA, vol. 60, no.3, 1982, p. 633, n.2.
124 – Cité par Simon Serfaty in TUCKER (R.) and WRIGLEY (L.) : op. cit., p. 110.
125 – Le Monde, 13 mars 1981.
126 – ODUBER (Daniel) : « A Central American perspective on European and American Role in the Region » et MORAN (Fernando) : « Europe’s role in Central America : a Spanish socialist view » in PIERRE (Andrew), ed. : Third World Instability. Central America as an European-American Issue, New York, Council on Foreign Relations, 1985.
127 – Cf. DELBOURG (Denis) : « La France et l’Est-Ouest » in PE, 2/85, p. 332.
128 – Le point de vue « conservateur » américain est exposé par exemple par KRISTOL (Irving) : « Should Europe be concerned with Central America ? » in PIERRE (Andrew) : op. cit, p. 45-69.
129 – Un document, par la suite reconnu comme émanant bien de ces derniers suggérait nettement qu’en proclamant leur intérêt pour des négociations, les rebelles ne visaient qu’à améliorer leur situation militaire. Cf. FA, vol. 60, no.3, p. 635.
130 – Les Nicaragayens semblent bien avoir refusé un « pacte de non agression » offert par les Américains. Mais cette offre semble être restée peu précise et avoir été assortie de conditions jugées inacceptables par Managua : d’abord, le renvoi de certains types d’armes à l’URSS et à Cuba ; puis, cette première exigence ayant atténuée, l’instauration d’une véritable démocratie dans le pays. Sur cette affaire, voir GUTMAN (Roy) : « Nicaragua : America’s diplomatie charade » in FP, no.56, automne 1984, p. 3-23.
131 – Seule la pression de Washington permettait la nomination d’un modéré, Alvaro Magana à la présidence en lieu et place de l’extrémiste Roberto d’Aubuisson. Celui-ci n’en obtenait pas moins la présidence de l’Assemblée.
132 – AP, 1982, p. 227.
133 – Cf. GALBRAITH (Evan G.) : Ambassadeur de choc, Paris, Stock, 1986, p. 21.
134 – AP, 1981, p. 216.
135 – Ibid., p. 294.
136 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 265.
137 – Voir SICHERMAN (Harvey) : « Europe’s rôle in the Middle East : illusions and realities » in Orbis, vol. 28, no.4 p.803-828.
138 – HAIG (A.) : op. cit., p. 316.
139 – En réalité, les Grecs refusèrent de se rallier à un projet critiqué par tous les Etats arabes sauf l’Egypte.
140 – SICHERMAN (H.) : loc. cit., p. 814.
141 – IHT, 19-20 février 1984.
142 – HAIG (A.) : op. cit., p. 272.
143 – Voir sur cette question : The Falklands War. The full story by the Sunday Times Insight Team, 3e édition, 1983 ; FREEDMAN (Lawrence) : « The war of the Falkland islands, 1982, » in FA, automne 1982, p. 196-210 ; HASTINGS (Max) and JENKINS (Simon) : The Battle for the Falklands, New York, Norton, 1983 et MIDDLEBROOK (Martin) : Operation Corporate : the Falklands War, 1982, Penguin, New York, 1986.
144 – FA, vol. 61, no.3, p. 648.
145 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 230.
146 – Les prétentions britanniques remontant à une période antérieure à 1823, la doctrine de Monroe ne jouait pas. De plus, lors de la conclusion du pacte de Rio, les Etats-Unis avaient explicitement refusé de cautionner les revendications argentines. En 1982, le pacte pouvait évidemment d’autant moins jouer que c’était l’Argentine qui avait attaqué.
147 – HAIG (A.) : op. cit., p. 283-284.
148 – Voir WOODWARD (Bob) : CIA. Guerres secrètes. 1981-1987, Paris, Stock, 1987, p. 241 et IHT, 8 mars 1984.
149 – Cité in BARRETT (L.) : op. cit., p. 310.
150 – Sur le problème crucial des livraisons d’armes, voir BARRETT (L.) : op. cit., p. 290-291.
151 – HAIG (A.) : op. cit., p. 117 et USA Document, no.16, p. 3.
152 – HAIG (A.) : op. cit., p. 117 et USA Document, no.16, p. 3.
153 – Ibid., p. 240.
154 – HAIG (A.) : op. cit., p. 244-245.
155 – Ibid., p. 115 et GRAPIN (J.) : op. cit., p. 181.
156 – Voir REVEL (J.-F.) : op. cit., p. 48.
157 – NATO Today, p. 25 et BARNET (R.) : The Alliance, p. 431.
158 – HAIG (A.) : op. cit., p. 240.
159 – USA Document, 1981/92.
160 – USA Document, no.94, p. 2.
161 – Developments in Europe, juillet 1982, p. 11.
162 – RAMSES, 1981, p. 33.
163 – Time, 3 août 1981.
164 – Le Monde, 23 juillet 1981.
165 – Une session ministérielle de l’Alliance allait l’entériner un an après. Cf. DEBRAY (R.) : op. cit., p. 77.
166 – Committee on Foreign Affairs, House of Rep. : Export Controls on Oil and Gas Equipment, Hearings and Markup, 97th Cong., 1983, p. 5 et p. 22.
167 – Voir là-dessus DEBRAY(R.) : op. cit., p. 79.
168 – Export Controls..., p. 61.
169 – HAIG (A.) : op. cit., p. 251. Souligné dans le texte.
170 – AP, 1982, p. 207.
171 – Voir REVEL (J.-F.) : op. cit., p. p. 69 et JOFFE (J.) : op. cit., p. 577.
172 – Time, 22 février 1982.
173 – Cf. REVEL (J.-F.) : op. cit., p. 61 et Le Monde, 11 février 1982.
174 – USA Document, 1982/20.
175 – Le Monde, 26 janvier 1982 : 15 % seulement des personnes interrogées trouvaient, aux Etats-Unis, suffisants les efforts des vieux pays.
176 – Committee on Foreign Affairs, H. of R. : Developments in Europe, avril 1982, p. 13.
177 – En juillet 1982, l’Administration reconnut avoir payé, du 1er janvier au 30 juin, 177 millions d’intérêts dus par le gouvernement polonais. Un accord venait, par ailleurs, d’intervenir sur le rééchelonnement de ces intérêts entre les banques occidentales privées et ce dernier. Developments in Europe, juillet 1982, p. 27.
178 – SANDERS (Jerry Wayne) : Peddlers of Crisis, South End Press, 1983, p. 321.
179 – Ibid., p. 322 et Heritage Foundation : Backgrounder, 10 mars 1982.
180 – Export Controls..., p. 224-225.
181 – Voir l’excellent article de STERN (Jonathan) : « Allies astray : specters and pipe dreams » in FP, no.48, automne 1982, p. 21-36.
182 – Voir là-dessus l’article de STRUVE (Michael) in Relations internationales, no.44, hiver 1985-1986.
183 – Il était prévu que vers 1990, ce dernier représenterait 35-40 % de sa production énergétique contre 28,6 % en 1982.
184 – An Assessment of the Afghanistan Sanctions..., p. 107.
185 – BARNET (R.) : Alliance, p. 473.
186 – Sur la mission de Rashish, voir NATO Today, p. 3, 31-33 et 37.
187 – HAIG (A.) : op. cit., p. 254.
188 – An Assessment of the Afghanistan Sanctions, p. 74.
189 – NATO Today, p. 24.
190 – NATO Today, p. 30.
191 – HAIG (A.) : op. cit., p. 255.
192 – Sur les conceptions, à ce sujet, de Mitterrand, voir PE, 2/85, p. 329.
193 – HAIG (A.) : op. cit., p. 253.
194 – Voir : U.S. Senate, Committee on Foreign Relations, Hearings : Nomination of George P. Shultz, 97th Cong., 2 S., 1982, p. 188 ; STENT (Angela) : From Exchange to Ostpolitik : the Political Economy of West German – Soviet Relations, Westview, 1985 ; Export Controls, p. 122.
195 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 294.
196 – Time, 22 mars 1982 et NATO Today, , p. 33.
197 – HAIG (A.) : op. cit., p. 296.
198 – Le Monde, 8 juin 1982. Voir aussi plus haut la mise en place d’un dispositif de surveillance.
199 – Voir PUTNAM (R.) : op. cit., p. 83-85.
200 – PFISTER (Thierry) : La vie quotidienne à Matignon du temps de l’union de la gauche, Paris, Hachette, 1985, p. 326.
201 – Export Controls..., p. 93.
202 – DEBRAY (R.) : op. cit., p. 84.
203 – FP, no.50, printemps 1983, p. 91.
204 – Export Controls..., p. 228 et p. 230.
205 – Le Monde, 30 juin 1982.)
206 – Fixés à 8,5 % en juillet 1980, les taux minimums de ces prêts à l’Union soviétique (qui avaient apparemment été déjà relevés) passaient de 11 % à 12,25 % pour les crédits de 2 à 5 ans et de 11,5 % à 12,4 % sur ceux plus étendus dans le temps. Developments in Europe, Juillet 1982, p. 10-11.
207 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 300.
208 – Time, 2 août 1982.
209 – Export Controls..., p. 195. Souligné dans le texte. Voir aussi REVEL (J. – F.) : op. cit., p. 110.
210 – Developments in Europe, juillet 1982, p. 19.
211 – SLOAN (S.) : op. cit., p. 89.
212 – En 1990, la France, la RFA et l’Italie recevraient 35 % de leur gaz de la Russie, mais ce ne serait que 6 % de leurs besoins en énergie.
213 – Voir ROOSA (Robert V.), MATSUKAWA (Michiya) and GOTOWSKI (Armin) : East-West Trade at a Crossroads, Commission trilatérale, New York, 1982 p.32 et An Assessment of the Afghanistan Sanctions..., p. 101.
214 – Paris, par exemple, paierait à la Russie 5,80 dollars de moins par équivalent de baril de pétrole brut qu’à l’Algérie. Cf. STERN (J.) : op. cit., p. 30.
215 – Ibid. : Mannesman, en Allemagne, Creusot-Loire en France et Finsider en Italie semblaient devoir procéder à d’importants licenciements en cas d’arrêt des commandes soviétiques.
216 – ROOSA (R.) et alii : East-West Trade..., p. 43 et p. 116-117.
217 – Voir : ROSENFELD (Stephen) : op. cit., p. 493.
218 – Voir KNIGHT (Andrew) : « Ronald Reagan’s watershed year ? » in FA, vol. 61, no.3, p. 520.
219 – HAIG (A.) : op. cit., p. 299-300.
220 – Voir GRAPIN (J.) : op. cit., p. 131-133 et JOFFE (J.) : op. cit., p. 571.
221 – Ici et maintenant, Paris, Fayard, 1980, p. 229.
222 – Voir REVEL (J.-F.) : op. cit., p. 112 et suivantes.
223 – Archives diplomatiques françaises, Europe-généralités, 1949-1955, Etats-Unis-Europe, vol. 18, La Haye à Paris, 15 mars 1950.
224 – Sur le mouvement pacifiste, voir, par exemple : MELANDRI (Pierre) : « Le pacifisme » in Enjeux, Paris, Encyclopaedia Universalis, 1985, p. 864-875 ; Pacifisme et dissuasion, op. cit., ; Association française pour la Communauté atlantique : Pacifisme et neutralisme en Europe, Paris, 1982 ; HASSNER (Pierre) : « Le retour du pacifisme en Europe » in Le Débat, no.17, décembre 1981, p. 46-59 ; DREYFUS (François-Georges) : « Le mouvement de la paix : l’exemple de l’Allemagne fédérale » in Pouvoirs, no.21, 1982, p. 59-68.
225 – BOUKOVSKY (Vladimir) : Les pacifistes contre la paix, Paris, Laffont, 1982 et VERMAAT (J.A.E.) : « Moscow fronts and the European Peace movements » in Problems of Communism, novembre-décembre 1982, p .43-56.
226 – Le Monde, 30 novembre 1982.
227 – REVEL (J.-F.) : op. cit., p. 201-203.
228 – NATO Today, p. 49 : en 1982, les moins de 25 ans représentent 40 % des 11 millions de chômeurs que compte la Communauté.
229 – USA Document, 9 mars 1981, p. 2.
230 – USA Document, 14 mai 1981.
231 – Le projet le plus sophistiqué, le Stealth (avion furtif) doit entrer en vigueur dans les années 1990 ; d’ici là, les Etats-Unis disposeront de 100 B-1.
232 – GRAPIN (J.) : op. cit., p. 227.
233 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 203.
234 – Ibid., p. 185.
235 – Barrett affirme qu’il y avait bien un 11e paragraphe, outre les dix, dont le Président présenta de larges extraits dans son discours du 18 novembre 1981. Cf. Ibid., p. 32 et USA Document, 1981/84, p. 1-3.
236 – Sur la position américaine, voir USA Document, 10 avril 1981, p. 6 ; Ibid., 9 juillet 1981, p. 3-4 et BARRETT (L.) : op. cit., p. 321.
237 – USA Document, 2 février 1981, p. 4.
238 – BYALER (Seweryn) and AFFERICA (Joan) : « Reagan and Russia » in Foreign Affairs, hiver 1982-1983 cité in JULIEN (Claude) : « La paix selon M. Reagan » in LMD, février 1983.
239 – BARNET (R.) : Alliance, p. 413.
240 – Une mise au point affirmera néanmoins que Pipes avait seulement déclaré que, pour l’Union soviétique, le choix était entre des réformes domestiques ou un aventurisme dangereux à l’étranger. Cf. Time, 30 mars 1981.
241 – NATO Today, p. 77 : selon un sondage effectué en octobre 1981, 60 à 70 % des habitants de tous les pays ouest-européens étaient hostiles à la production, et 70 à 80 % au déploiement de la bombe à neutrons.
242 – Le Monde, 21 octobre 1981.
243 – Time, 16 novembre 1981.
244 – Le Monde, 7 novembre 1981.
245 – In La force du vertige, Paris, Grasset, 1983.
246 – BARNET (R.) : Alliance, p. 416.
247 – Voir l’excellent article de TALBOTT (Strobe) : « Behind closed doors » in Time, 5 décembre 1983.
248 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 202 et GELLNER (Charles R.) : U.S.-Soviet Negotiations to Limit Intermediate-Range Nuclear Weapons, Report no.82-136, Congressional Research Service, 23 juillet 1982, p. 36 (dactylographié).
249 – Voir à ce propos HAIG (A.) : op. cit., p. 229 et Jacques Huntzinger in Le Monde, 20 janvier 1983.
250 – Time, 30 novembre 1981.
251 – Strategie Arms Réduction Talks.
252 – FP, no.50, p. 94-95.
253 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 308.
254 – Cité in KOMER (Robert) : « Maritime Strategy versus coalition defense » in FA, vol. 60, no.5, été 1982, p. 1130.
255 – BARNET (R.) : Alliance, p. 416 et KAPLAN (Fred) : The Wizards of Armageddon, New York, Simon and Schuster, 1983, p. 387
256 – Voir, par exemple, Bulletin of Atomic Scientists, novembre 1982.
257 – The Fate of the Earth, New York, Knopf, 1982. Traduction française chez Albin Michel la même année.
258 – New York Review of Books, 4 novembre 1982, p. 27.
259 – GRAPIN (J.) : op. cit., p. 104.
260 – Public Opinion, , août-septembre 1982, p. 33.
261 – Il s’agit du sénateur Mark O. Hatfield de l’Oregon. Les deux hommes publient d’ailleurs cette même année un ouvrage sur le sujet : Freeze. How You Can Help to Prevent Nuclear War, New York, Bantam, 1982.
262 – Il s’agit du poids utile placé sur une trajectoire, en direction de la cible, i.e. : l’ogive ou les ogives, le système d’espacement conçu pour le largage et le guidage, les aides à la pénétration des missiles anti-balistiques.
263 – « The Atlantic Alliance : Prescriptions for a difficult decade », in FA, été 1982, p. 1152, cité in GESSERT (Robert A.) : The Airland Battle and NATO’s New Doctrinal Debate, présenté à la 26e convention annuelle de l’international Studies Association, 5-9 mars 1985 à Washington.
264 – Cette doctrine, en discussion au sein du TRADOC (U.S. Army Training and Doctrine Command) depuis mars 1981, concerne l’art opérationnel du combat jusqu’au niveau du corps d’armée. Elle émane de l’Armée de Terre et vise à redonner l’initiative et à l’exercer agressivement pour battre l’ennemi. Cf. Ibid.
265 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 303 ; Le Monde, 19 mai 1981.
266 – Time, 1er novembre 1981.
267 – USA Document, 1981/79, p. 2.
268 – USA Document, 1982/34, p. 15.
269 – NATO Today, p. 77.
270 – Le Monde, 26 novembre 1981.
271 – HASSNER (Pierre) : op. cit., p. 47.
272 – AP, 1981, p. 287.
273 – Le Monde, 19 novembre 1981.
274 – Time, 1er février 1982.
275 – Le Monde, 5 février 1981.
276 – NATO Today, p. 67.
277 – Ibid., p. 69.
278 – AP, 1982, p. 289.
279 – Voir DEBRAY (Régis) : op. cit., p. 87.
280 – Le Monde, 5 octobre 1982.
281 – BARRETT (L.) : op. c/7., p. 301
282 – L’ambassadeur américain à Paris parle de « l’enthousiasme de Cheysson pour l’arrangement obtenu ». Cf. GALBRAITH (Evan G.) : Ambassadeur de choc, Paris, Stock, 1986, p. 39.
283 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 301.
284 – Ibid., p. 302.
285 – Time, 25 avril 1983 : un sur les besoins énergétiques à long terme de l’URSS ; un sur le commerce Est-Ouest ; un sur les crédits à l’Est ; un sur les directives à établir pour l’exportation de technologie non-militaire vers l’URSS.
286 – IHT, 12-13 octobre 1985.
287 – Le Monde, 12 mai 1983 et PUTNAM (R.) and BAYNE (R.) : op. cit., p. 180.
288 – IHT, 23 septembre et 5 décembre 1983.
289 – IHT, 6 septembre 1983.
290 – USA Document, 1982/45, p. 3.
291 – Cité in OSTRY (Sylvia) : « The world economy in 1983 : marking time » in FA, vol. 63, no.3, p. 533-534.
292 – Time, 20 septembre 1982.
293 Cf. LISSAKERS (Karin) : « Dateline Wall Street. Faustian finance » in FP, no.51, été 1983, p. 160-175.
294 – DENIZET (Jean) : op. cit., p. 196.
295 – Voir par exemple sa déclaration du 16 novembre 1982 citée in BRITTAN (Samuel) : « A very painful world adjustment » in FA, vol. 61, no.3, p. 552.
296 – Time, 20 septembre 1982.
297 – De 7,1 à 19 milliards. Cf. Le Monde, 20 janvier 1983.
298 – De 62 à 93 milliards de dollars.
299 – De 119 à 21 milliards de dollars par an, selon l’ International Herald Tribune du 29 octobre 1985.
300 – Ce qui entraîne une diminution parallèle du « taux préférentiel » des banques (prime rate) de 16,5 à 12 %.
301 – Le Monde, 24 novembre 1982.
302 – GRAHAM (Thomas R.) : « Global trade : war and peace » in FP, no.50, printemps 1983, p. 133.
303 – Le Monde, 23 février 1983.
304 – Les agriculteurs qui réduiront leur production recevront en compensation des produits prélevés sur les stocks du gouvernement. Ainsi un agriculteur qui laissera un quart de ses terres en jachère et ne produira que 75 tonnes de blé au lieu de 100 se verra allouer un contingent de 25 tonnes par Washington.
305 – Le Monde, 23 février 1983.
306 – Finalement, le projet sera abandonné sous la pression du département d’Etat qui y voit un empiètement sur ses prérogatives.
307 – Developments in Europe, (série de la Sous-Commission sur l’Europe et le Moyen-Orient de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre), Juillet 1982, p. 22-23.
308 – Le Monde, 2 juin 1983.
309 – Cf. PFISTER (Thierry) : La vie quotidienne à Matignon du temps de l’union de la gauche, Paris, Hachette, 1986, p. 258.
310 – PURCELL (Susan K.) : « War and debt in South America » in FA, vol. 61, no.3, p. 670.
311 Voir NYT, 27 et 30 mars, 14, 25 et 30 avril et 8 mai 1983. Giscard développera longuement l’idée dans un article du Monde, le 21 mai 1983.
312 – NYT, 17 mai 1983.
313 – NYT, 11 mai 1983.
314 – STOCKMAN (D.) : op. cit., p. 399.
315 – IHT, 7 novembre 1983.
316 – IHT, 18 novembre 1983. Les buts étaient très proches de ceux envisagés par les Français : accroître la stabilité des taux de change, aider le FMI à imposer une discipline plus stricte aux politiques économiques des pays membres et s’assurer que le monde dispose des liquidités pour poursuivre la reprise qui s’annonçait.
317 – Cheysson cité in COHEN (Samy) : op. cit., p. 148. Voir aussi REVEL (Jean-François) : op. cit., p. 430.
318 – DICKEY (Christopher) : « Central America : from quagmire to cauldron ? » in FA, vol. 62, no.3, p. 662-663.
319 – USA Document, 1982/42, p. 13.
320 – USA Document, 1983/28, p. 12-13.
321 – Report of the National Bipartisan Commission on Central America.
322 – LOWENTHAL (Abraham F.) : « Change the agenda » in FP, no.52, automne 1983, p. 74.
323 – Voir CASTANEDA (J.) : loc. cit., p. 84-87.
324 – RAMSES, 1985-86, p. 87 et AP, 1982, p. 259.
325 – RIDING (Alan) : « The Central American quagmire » in FA, vol. 61, no.3, p. 651.
326 – Allusion à l’affaire in CASTANEDA (J.) : loc. cit., p. 84.
327 – Celle-ci réunira cinq pays d’Amérique centrale et les quatre membre du « Groupe de Contadora » avec les pays de la Communauté complétés par le Portugal et l’Espagne. Cf. PIERRE (Andrew) : op. cit., p. 149-155.
328 – GUTMAN (R.) : loc. cit., p. 18-19.
329 – Cité in DICKEY (Ch.) : loc. cit., p. 690 et 666.
330 – Citée in HUGHES, in FP, no.61, p. 30.
331 – USA Document, 1982/48, p. 1.
332 – SISCO (Joseph) : « Middle East : progress or lost opportunity ? » in FA, vol. 61, no.3, p. 620-621.
333 – USA Document, 1982/33, p. 10.
334 – HAIG (A.) : op. cit., p. 323
335 – Voir SCHIFF (Zeev) : « Green light, Lebanon » in FP, no.50, printemps 1983, p. 73-95.
336 – HAIG (A.) : op. cit., p. 315-316.
337 – SCHIFF (Z.) : loc. cit., p. 82.
338 – HAIG (A.) : op. cit., p. 326-328.
339 – Ibid., p. 330-332.
340 – SICHERMAN (H.) : loc. cit., p. 820-821.
341 – HAIG (A.) : op. cit., p. 335.
342 – USA Document, 1982/41.
343 – Sur ce plan, voir KRECZKO (Alan J.) : « Support Reagan’s initiative » in FP, no.49, hiver 1983, p. 140-153.
344 – Le ton de sa déclaration du 18 septembre en témoigne. USA Document, 1982/48.
345 – SICHERMAN (H.) : loc. cit., p. 823 et Developments in Europe, Mai 1983, p. 41.
346 – Sur cette évolution, voir FABIAN (Larry L.) : « The Middle East » in FA, vol. 62 no.3, p. 632-658.
347 – Sur les frustrations des Marines, voir HAMMEL (Eric) : The ROOT. The Marines in Beirut, August 1982-February 1984, San Diego, California, Harcourt, Brace and World, 1985.
348 – BOISSONNAT (J.) : op. cit., p. 266. Sur la personnalité du nouveau chef du Kremlin, voir aussi MEDVEDEV (Zhores A.) : Andropov, New York, Norton, 1983.
349 – Le Monde, 8 janvier 1983.
350 – Le Monde, 23 décembre 1982. Sur les offres soviétiques, voir SNYDER (Jed C.) : « European security, East-West policy and the INF debate » in Orbis, vol. 27, no.4, hiver 1984, p. 913-970.
351 – Time, 5 décembre 1983 et BARRETT (L.) : op. cit., p. 323-324.
352 – USA Document, 1982/58, p. 4-5.
353 – Cité par Claude Julien in LMD, février 1983.
354 – Ceux-ci, montés sur des sous-marins dans leur écrasante majorité, ne sauraient être des armes anti-forces et ne sont jamais opérationnels, et de loin, dans leur totalité.
355 – Selon TALBOTT (S.) : « Behind closed doors » in Time, 5 décembre 1983. Article essentiel et auquel nous avons beaucoup emprunté.
356 – Voir GELLNER (Charles R.) : British and French Nuclear Forces in the INF Negotiations, CSR, mis à jour le 25 juillet 1983, dactylographié et ULLMAN (Richard) : « The euromissile mire » in FP, no.50, printemps 1983, p. 33-52.
357 – Cf. TALBOTT (S.) : « Buildup and breakdown » in FA, vol. 62, no.3, p. 606.
358 – Selon Nitze, la différence quantitative était justifiée par la plus grande vulnérabilité des Cruises que l’Occident déploierait.
359 – Les Pershing II étaient susceptibles de jouer un rôle, d’abord jusque dans les années 1990, de concert avec le MX, dans un éventuel tir de « décapitation » préemptif. A partir de ce moment, ce seraient surtout les fusées Trident II qui risquaient de créer une « fenêtre de vulnérabilité » pour le camp opposé. Voir là-dessus l’étude de William W. GARNER, publiée en novembre 1983 par l’institut atlantique et citée in IHT, 7 novembre 1983.
360 – Le Monde, 14 janvier 1983.
361 – Le Monde, 24 décembre 1982 ; AP, 1983, p. 265.
362 – Voir le discours in MITTERRAND (François) : Réflexions sur la politique extérieure de la France, Paris, Fayard, 1986, p. 183-208.
363 – Voir SEITZ (Konrad) : « La coopération franco-allemande dans le domaine de la politique de sécurité » in PE, 4/82, p. 979-988.
364 – Voir NICHOLS (John Spicer) : « Wasting the propaganda dollar » in FP, no.56, automne 1984, p. 129-141.
365 – IHT, 19 septembre 1983
366 – IHT, 15 juillet 1985.
367 – IHT, 2 avril 1986.
368 – NEWHOUSE (John) : « A reporter at large. Arms and allies » in The New Yorker, 28 février 1983.
369 – USA Document, 1983/14. Souligné par nous.
370 – USA Document, 1983/2, p. 8.
371 – USA Document, 1983/3. Voir aussi Ibid., no.4, 5 et 9.
372 – Voir, en particulier, sa conférence de presse du 13 février. Cf. Le Monde, 15 février 1983.
373 – Le Monde, 12 mai 1983.
374 – GRAPIN (J.) : op. cit., p. 186.
375 – Discussion in LELLOUCHE (P.) : L’avenir de la guerre, Paris, Mazarine, 1985, p. 200-213.
376 – USA Document, 1983/20, p. 12.
377 – Cf. YOST (David S.) : « Les inquiétudes européennes face au système de défense anti-missiles. Un point de vue américain » in PE, 2/84, p. 381.
378 – L’URSS, où 500.000 personnes travailleraient directement ou indirectement à la conquête spatiale, aurait dépensé, en 1982, 18 à 20 milliards de dollars dans l’espace et les Etats-Unis 13 milliards seulement. Elle aurait lancé 98 satellites et les Etats-Unis seulement 18. Cf. GRAPIN (J.) : op. cit., p. 167.
En ce qui concerne la politique spatiale américaine, on pourra consulter avec profit : sur les efforts passés : STARES (Paul B.) : U.S. Policy. 1945-1984, Cornell U. Press, 1985 et sur le programme « Guerre des Etoiles » : BROAD (William J.) : The Young Scientists Who Are Inventing the Weaponry of Space, New York, Simon and Schuster, 1985.
379 – Le programme recommande de construire, pour 50 milliards de dollars et en dix ans :
a) une flotille de satellites armés de fusées ABM qui détruiraient les missiles tirés par l’Union soviétique dans les huit minutes suivant leur lancement.
b) la mise en place de postes de combat spatiaux destinés à attaquer, en cours de vol, les missiles qui auraient échappé à cette première salve.
c) des systèmes de destruction basés au sol ayant pour mission de liquider les dernières fusées.
Cf. GRAPIN (J.) : op. cit., p. 170.
380 – Time, 4 avril 1983.
381 – USA Document, 9 juillet 1981, p. 6.
382 – Voir USA Document, 1983/21.
383 – Le Monde, 31 mars 1983.
384 – USA Document, 1983/22, p. 3.
385 – Time, 11 avril 1983.
386 – Le Monde, 18 mars 1983.
387 – Le Monde, 8 avril 1983.
388 – Le Monde, 2 juin 1983.
389 – Voir Le Monde, 2 juin 1983 et Time, 13 juin 1983.
390 – Les Sociaux démocrates remportaient 23 sièges.
391 – Exemple d’hostilité au projet in MOYNIHAN (D. Patrick) : Loyalties, New York, Harcourt Brace, 1984.
392 – Excellente étude de toutes ces attitudes in TALBOTT (Strobe) : « Battling the gods of war » in Time, 25 juin 1984.
393 – BARRETT (L.) : op. cit., p. 321.
394 – USA Document, 1983/34, p. 2.
395 – Washington Post, 21 juillet 1983.
396 – Time, 15 août 1983.
397 – Selon TALBOTT (S.) in Time, 5 décembre 1983.
398 – Sur les circonstances obscures et mal élucidées de cette affaire, consulter : DALLIN (Alexander) : Black Box ; KAL 007 and the Superpowers, Berkeley, Univ. of California Press, 1985 et HERSH (Seymour) : The Target Is Destroyed, New York, Random, 1986.
399 – Voir par exemple le témoignage de Richard Burt : Developments in Europe, September 1983, p. 20-21.
400 – USA Document, 1983/44, p. 4.
401 – USA Document, 1983/50.
402 – IHT, 30 septembre 1983.
403 – Cité in Time, 2 janvier 1984.
404 – AP, 1983, p. 245.
405 – IHT, 20 juin 1984.
406 – Le 14 juin 1984, à une courte majorité (79 contre 71), le Parlement de la Haye décide qu’à moins d’un arrêt immédiat du renforcement de l’arsenal nucléaire soviétique en Europe, les Hollandais déploieront les 48 missiles de croisière. Il reporte néanmoins à novembre 1985 la décision définitive et diffère de 1986 à 1988 l’installation des missiles. Cf. HUYGEN (Maarten) : « Dateline Holland : NATO’s pyrrhic victory » in FP, vol. 62, printemps 1986, p. 167-185.
407 – Dans une interview publiée par Time, 2 janvier 1984.
408 – Voir ENGLISH (Robert) : « Eastern Europe’s doves » in FP, no.56, automne 1984, p. 51.
409 – Time, 31 janvier 1983 et USA Document, 1983/3.
410 – DEAN (Jonathan) : « How to lose Germany » in FP, no.55, été 1984, p. 55.
411 – Le Monde, 3 mai 1983.
412 – IHT, 14 octobre 1983 et RAMSES 1985-1986, p. 69.
413 – Cité in LAQUEUR (Walter) : « U.S. – Soviet Relations » in FA, vol. 62, no.3, p. 577.
414 – AP, 1982, p. 272-273.
415 – NATO Today, p. 78 et 77.
416 – Une polémique devait ainsi se développer en RFA en 1983 : Willy Brandt se targuait des résultats d’une étude selon laquelle, en cas d’échec des conversations de Genève, 66 % des Allemands seraient hostiles et 31 % seulement favorables au déploiement. Mais une autre enquête indiquait que lorsque la question posée supposait que les Soviétiques continuaient à pointer leurs SS-20, les chiffres n’étaient plus que 40 % et 27 % respectivement. Et quand les Allemands se voyaient offert un choix cornélien entre quitter l’OTAN ou déployer les missiles américains, 22 % seulement optaient pour la première option, 46 % pour la deuxième. Au demeurant, une autre enquête, elle, indiquait dans tous les pays concernés un taux d’approbation impressionnant à la double décision alliée. A la proposition : « Les pays d’Europe occidentale et de l’OTAN ont raison actuellement, lorsqu’ils cherchent à négocier une réduction des armements à Genève, tout en prévoyant de déployer les Pershing II et les missiles de croisière si l’URSS ne réduit pas sa propre menace nucléaire », le pourcentage des réponses positives et négatives était respectivement de 61 et 16 % en Grande-Bretagne, 67 et 29 % en RFA, 52 et 25 % en France, 57 et 36 % en Italie, 62 et 34 % en Hollande et 66 et 33 % en Belgique. Cf. Time, 31 octobre 1983.
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