Avant propos
p. 233-253
Texte intégral
« Les relations entre l’Europe et l’Amérique du Nord, alias l’Alliance atlantique, sont dans les premiers stades de ce qui pourrait être une maladie fatale ».
The Economist, le 6 juin 19811
« L’humanité est au bord de l’effondrement du système économique mondial et risque l’anéantissement par la guerre nucléaire. »
Indira Gandhi, le 7 mars 1983,
devant la conférence des pays non-alignés.2
« Le déplacement du centre de gravité de la politique étrangère américaine – traditionnellement les relations transatlantiques – vers le bassin Pacifique, et particulièrement le Japon, pourrait bien se révéler être un des problèmes cruciaux des années à venir, d’ici à la fin du siècle. »
Lawrence Eagleburger.3
1 En juillet 1982, Claude Cheysson croit bon de diagnostiquer un « divorce progressif » entre l’Europe et Washington.4 Venant du ministre français des Relations extérieures, le jugement peut paraître alarmant. Mais il n’est guère éloigné des avertissements que spécialistes et colloques multiplient au même moment. La grande presse les diffuse largement. « L’Alliance peut-elle être sauvée ? » a titré Business Week le 22 février. « L’Alliance en difficulté : comment guérir la fissure ? » affiche, un peu plus d’un an après, Time sur sa couverture.5 En fait, dès 1981 The Economist s’était demandé si l’organisation occidentale ne présentait pas les premiers symptômes d’une maladie fatale.
2A partir de 1980, une véritable tempête secoue, en effet, les relations alliées. Et le monde ne peut que percevoir l’écho des querelles qui déchirent les Occidentaux. Déjà, le ressentiment qu’engendrent, chez leurs dirigeants, les questions d’Iran et d’Afghanistan, retentit bruyamment : « Je ne pense pas que nous laisserons les Européens l’emporter au Paradis » déclare au printemps 1980 un haut responsable des Etats-Unis.6 Ce n’est rien, pourtant, au regard du tollé que soulève, en juin 1982, la décision de Reagan d’étendre à leurs filiales européennes l’embargo qu’il a décrété sur certaines exportations des entreprises américaines. Encore n’est-ce pas la manifestation la plus dramatique de la nouvelle « crise atlantique » Celle-ci, en effet, prend un tour encore plus alarmant : du côté américain, ce sont des membres du vieil Establishment qui multiplient les mises en garde au vieux continent ; du côté européen, ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers de manifestants qui descendent, certains jours, dans la rue pour protester contre le déploiement de nouvelles fusées par l’Occident !
3Le climat, il est vrai, s’est brutalement détérioré et la solidarité alliée a du mal à résister aux secousses dont elle est l’objet. Déjà réapparues au cours des dernières années, les tensions et contradictions traditionnelles se voient exacerbées dès lors que la dépression, les nouvelles tensions et la peur de la guerre atomique projettent leur ombre sur l’actualité.
41979 dissipe, en effet, les illusions que 1974 avait pu laisser. De toute évidence, la crise semble se révéler autre chose qu’une « parenthèse » désagréable pour les démocraties industrialisées. Elle risque d’être leur mode d’existence pour de longues années. D’un côté, certes, le mal est plus facile à combattre dès lors qu’elles en mesurent la gravité. De l’autre, puisqu’il va sans doute durer, il sape en profondeur l’ordre qu’elles cherchent à préserver et rend un consensus encore plus difficile à réaliser. Entre sa logique interne et externe, le système voit ses tensions poussées à l’extrême. Les gouvernements doivent prêter une attention toujours plus soutenue aux groupes, chômeurs ou fermiers, que la crise a le plus durement affectés. Mais dans leurs efforts pour les aider, ils ne peuvent que se heurter à ceux, parallèles, de leurs alliés, comme aux intérêts les plus vitaux des pays sous-développés.
5Le deuxième « choc » pétrolier ne se contente pas, en effet, d’imposer à la plupart des grandes démocraties un nouvel et lourd « tribut » financier, sous la forme de nouveaux programmes d’« austérité ».7 Il précipite, comme on l’a noté, un bouleversement presque complet dans la politique monétaire des Américains. Celui-ci semble, au départ, entériné par les Japonais comme par les Européens : « La réduction de l’inflation est la première des priorités » proclame le Sommet de Venise en juin 1980. Seulement bientôt conjugué avec les coupes que l’Administration Reagan introduit dans la fiscalité, il provoque une hausse vertigineuse des taux d’intérêt et, dès lors, aux Etats-Unis comme chez leurs alliés, un ralentissement sensible de l’activité. Outre le chômage, ce dernier aggrave les problèmes des pays sous-développés. Pour ceux-ci, les perspectives sont plus sombres que jamais. En 1969, la Commission Pearson avait intitulé son rapport sur les problèmes du Tiers Monde : Partenaires pour le développement. Mais en janvier 1980, c’est sous le titre Programme pour la survie que la Commission présidée par Willy Brandt publie son analyse de la question à l’orée de la nouvelle décennie. Bientôt ils sont dans l’incapacité de rembourser les dettes qu’ils ont contractées dans la foulée du premier « choc » pétrolier, (cf. graphique) Du coup, ils doivent les refinancer aux pires conditions qui se puissent imaginer.
Endettement des pays en voie de développement non-OPEP (en milliards de dollars)

6Il n’y avait que 30 milliards d’eurodollars quand, le 15 août 1971,8 Nixon s’était estimé obligé de décréter la NEP. La conjugaison du déficit américain toujours plus important et du recyclage, par les banques privées, des pétrodollars vers les pays industrialisés en développement ou PID9 fait qu’il y en a 1000 quelque onze ans après. Bien des experts commencent à se demander si, comme à la fin des années 1920, tout le système ne représente pas un immense château de cartes financier. Le deuxième « choc » pétrolier révèle, en effet, les périls de la fuite en avant qu’a provoquée le premier : « Si l’on voulait caractériser l’évolution du système monétaire mondial depuis l’effondrement des accords de Bretton Woods en 1973 jusqu’à l’été 1982 où éclata la crise des paiements mexicains, on dirait qu’on a assisté à une gigantesque tentative, nécessairement vouée à l’échec, d’étendre au monde entier ou peu s’en faut, l’ancien privilège du dollar : à savoir l’avantage insolite de pouvoir financer, sans transfert des moyens de paiement, les déficits extérieurs. »10
7Fin 1979, en effet, les taux des crédits bancaires aux pays sous-développés se mettent à fortement augmenter. Trois ans après, pour leur permettre de payer les intérêts, les banques ont déjà dû se résigner à leur prêter, à des taux très élevés, de l’argent qui ne servira pas à augmenter leur capacité de produire et donc d’exporter. Si, à partir de 1980, il est techniquement plus profitable de prêter que d’emprunter11, à partir de 1982, après la crise de paiements mexicains, personne ne sait qui doit le plus s’inquiéter, des débiteurs ou de leurs créanciers. Au cours des deux précédentes décennies, on avait compté, en moyenne, dix faillites de banques par an aux Etats-Unis. En 1982, il y en 42.
8Le monde entier s’éveille alors à la conscience du péril et de sa gravité. Sans doute le fait-il fort des leçons du passé et le pire peut-il être évité. Il n’empêche. L’Occident ne peut plus ignorer le prix à payer pour son insouciance en matière de développement et d’équilibre des paiements. En mai 1983, Denis Healey, l’ancien chancelier de l’Echiquier, ira ainsi jusqu’à se demander si, en période de récession, le système peut survivre autrement qu’« en prêtant encore de l’argent à de mauvais débiteurs, et en se trouvant incité à le faire par des banques centrales et des institutions internationales dont la fonction était censée garantir sa prudence. »12
9 Année clé pour les questions monétaires, 1980 l’est plus encore pour les rapports entre Washington et le Kremlin. Aux yeux des Américains, en effet, la détente est bel et bien enterrée. Pour certains, c’est une « Nouvelle Guerre froide » qui domine l’actualité. En fait, le terme est peut-être exagéré : comme un diplomate soviétique le fait remarquer à un collègue américain avec lequel il est en train de déjeuner, du temps de la vraie « Guerre froide » ils n’auraient jamais pu se rencontrer ainsi en privé. Le changement ne doit pas être pour autant sous-estimé. L’invasion soviétique de l’Afghanistan a infligé un démenti humiliant aux illusions que Carter avait pu encore entretenir sur la conduite de l’autre camp : « Mon opinion sur les Russes a changé plus rapidement cette dernière semaine qu’au cours des deux années et demie précédentes. »13
10Cet aveu, aux yeux de certains inquiétant, trahit une émotion sincère probablement. En tout cas, pour la politique américaine à l’égard de l’URSS, c’est le véritable tournant. Certes, l’histoire retiendra surtout la première conférence de presse de Reagan : l’URSS, affirmera le nouveau Président « se réserve le droit de commettre n’importe quel crime, de mentir, de tricher » pour promouvoir la révolution mondiale. »14 Mais c’est le 28 décembre 1979, plus d’un an auparavant, que Carter avait accusé ses dirigeants de « mentir » quand ils prétendaient avoir été « appelés » par le gouvernement afghan. « Les leaders qui ont demandé la présence soviétique ont été assassinés » avait-il écrit en marge du message que Brejnev lui avait adressé !15 Quelques mois auparavant, il menait encore une lutte désespérée pour rallier le Sénat au Traité SALT II. Il demande désormais la suspension provisoire de son examen par les élus américains.
11La détente et son sous-produit militaire, le contrôle des armements, étaient en filiation directe avec l’« impasse de la terreur. » Leur érosion semble engendrer une « Grande Peur ». Entre avril 1977 et octobre 1980, note une analyse de l’USIA, la peur d’une troisième « Guerre mondiale » s’est brutalement accrue sur le vieux continent.16 En 1983, le phénomène s’est exacerbé. Certes, dans l’opinion d’une majorité des personnes interrogées, les problèmes économiques gardent la priorité. Pourtant, non seulement, résultat de programmes d’austérité, le chômage s’est substitué à l’inflation au « hit-parade » des dangers, mais le risque d’une « Guerre mondiale » vient, dans les appréhensions populaires, juste après.17 Peut-être, l’approche de la fin du millénaire n’y est-elle pas tout à fait étrangère. Mais c’est ailleurs qu’il faut sans doute chercher la cause essentielle de ce retour spectaculaire : dans le climat inquiétant que crée l’invasion de l’Afghanistan.
12« Le danger de guerre existe » glisse Valéry Giscard d’Estaing dans son allocution de voeu pour 1980. Le pape paraît lui faire écho dès le lendemain : il dresse un tableau apocalyptique des conséquences d’une guerre atomique. L’Afghanistan refait, en effet, de la confrontation le mode dominant des relations entre Super-Grands. Mais il le fait au pire moment : quand l’émergence de « nouvelles stratégies » semble se conjuguer avec la crise du contrôle des armements pour faire d’un conflit une perspective beaucoup plus plausible qu’auparavant. Le mouvement se précipite quand, après l’arrivée de Reagan, les tensions se durcissent, le dialogue se stérilise et la rhétorique frise le bellicisme. En avril 1982, c’est l’ancien secrétaire à la Défense de Kennedy et Johnson, Robert McNamara, entouré de trois autres experts réputés, dont George Kennan, le théoricien du containment, qui a publiquement exprimé son anxiété de voir une guerre nucléaire éclater.18 Le 7 juin, c’est le secrétaire général de l’ONU qui lance une mise en garde brutale : « L’Apocalypse n’est plus une simple description biblique. Elle est devenue une possibilité tout à fait réelle. Jamais auparavant, nous n’avons été placés sur l’arête étroite qui sépare la catastrophe de la survie. »19
13Dans une conjoncture aussi perturbée, la solidarité des démocraties est évidemment ébranlée. L’unilatéralisme revient au galop dans ces années. Dès 1981, trois experts le laissent redouter : « des forces extérieures aux régions trilatérales vont menacer l’ordre international politique et économique plus sévèrement dans les années 1980 que dans aucune des décennies écoulées depuis 1940 ; à l’intérieur même des régions trilatérales, l’évolution va nourrir des définitions plus étroites des intérêts et une myopie quant aux bénéfices généraux de la coopération ».20
14Les problèmes qui avaient déjà handicapé la réalisation d’un consensus au cours des années passées ne font, en effet, que s’exacerber. Querelles et griefs ne cessent de se multiplier. Une réelle fatalité semble, en effet, frapper les démocraties industrialisées. L’aggravation de la crise nourrit l’unilatéralisme économique. Celui-ci, à son tour, déteint sur les comportements diplomatiques. Enfin, le désarroi et les déchirements ainsi attisés se conjuguent avec la méfiance croissante que chacun entretient envers ses alliés pour ébranler le pilier sur lequel tout le système est fondé : la dissuasion nucléaire du camp opposé. Le 9 mai 1983, Time croira pouvoir ainsi résumer ce qui est en train de se passer :
15« Les mouvements pacifistes ont foisonné. Une forte récession a contribué à alimenter une vision cynique quant à la nécessité de défendre une société de consommation malade et les alliés se sont de plus en plus querellés sur les problèmes commerciaux et financiers. »
16Face aux difficultés qui paraissent les emporter, les gouvernements sont évidemment enclins aux mesures les plus à même de soulager leurs propres concitoyens. Non seulement, le vieux multilatéralisme voit ses rouages érodés par la célébration croissante des lois du marché. Mais chaque pays est volontiers persuadé que c’est de l’étranger que viennent tous les dangers.
17A partir de 1981, ainsi, les dirigeants européens sont unanimes, ou presque, à reprocher aux Etats-Unis les difficultés sur lesquelles viennent buter leurs économies. Sans doute, maintenant que le dollar vogue vers des sommets, leurs griefs sont-ils différents de ceux des dernières années. Mais ils n’en sont pas moins aiguisés. Sans doute les Américains ont-ils adopté des mesures salutaires pour réduire leur consommation pétrolière.21 Sans doute exprimés en dollars, les prix du pétrole connaissent-ils un renversement spectaculaire : pour la première fois, réunie à Londres, l’OPEP décrètera une baisse des prix en mars 1983. En 1985, les Etats-Unis peuvent acheter leurs barils au prix où ils les payaient voici une décennie. Leurs alliés, eux, n’en ont pas moins essuyé ce que certains appellent un troisième « choc » pétrolier. Avec la hausse du dollar, en effet, les prix de l’« or noir » se sont envolés. Plus que jamais, les Américains donnent l’impression de définir leur politique économique en fonction de leurs seuls intérêts.
18Outre-Atlantique, en effet, au printemps 1980, le vieux slogan « l’Amérique d’abord » connaît un net regain. Les événements suggèrent, il est vrai, que ni le Japon ni les vieux pays ne seraient à même de prendre le relais d’une Amérique diminuée. Dès lors, plus que jamais, les Etats-Unis ont tendance à « user » et à « abuser » du statut privilégié de leur monnaie : ils conjuguent, ainsi, à leur gré, restrictions monétaires assorties de forts taux d’intérêt avec des déficits massifs de leur budget. Au risque de développer un endettement dangereux pour leur système financier, mais aussi d’anémier ou de paralyser les économies alliés. Comme Jacqueline Grapin le fait remarquer :
19« Vidés de leurs capitaux qui sont attirés par les forts taux de rémunération américains, et obligés eux-mêmes de suivre la hausse des taux chez eux pour éviter l’hémorragie financière, les pays partenaires des Etats-Unis subissent un renchérissement inflationniste de la vie financière qui décourage l’expansion de leurs affaires. »22
20La « querelle » du déficit et des taux d’intérêt s’étend très vite aux problèmes du monde sous-développé. Plus que jamais, celui-ci apparaît comme une source majeure d’instabilité. Aux yeux de certains observateurs, c’est l’apparition de la révolution islamique qui constitue, dans ces années, l’événement majeur. « La menace qui pèse sur les Etats-Unis et sur leurs alliés, a remarqué dès 1980 la plateforme du GOP, n’est pas seulement militaire. Nous sommes confrontés à la menace du terrorisme international. »23
21L’on est, il est vrai, plus loin que jamais d’un « nouvel ordre économique international ». Les pays sous-développés sont trop divisés désormais pour définir une communauté d’intérêts. Quant aux démocraties industrialisées, elles sont d’autant plus embarrassées que les solutions globales qu’elles tendent volontiers à rallier, tiers mondisme ou libéralisme outrancier, semblent mal adaptées aux réalités. Faut-il réformer, en faveur des moins favorisés, le fonctionnement de l’ordre financier ? Faut-il, au contraire, s’en remettre plus que jamais aux lois du marché ? Faut-il leur ouvrir plus que par le passé un territoire national que l’on songe surtout à fermer ?
22Cette dernière question illustre l’ampleur des contradictions. La réponse semble, en effet, d’une lumineuse simplicité. Evoquant les palliatifs financiers jusqu’ici appliqués à l’endettement du monde sous-développé, le rapport annuel du GATT pour 1983 croit bon de rappeler : « En ultime analyse, une solution réelle ne pourra être apportée que par une amélioration des perspectives commerciales. »24
23Mais c’est là qu’est le problème précisément. Alors même qu’économiquement, le monde est plus que jamais interdépendant, le protectionnisme exerce un attrait de plus en plus puissant. « Même Adam Smith serait protectionniste aujourd’hui » note Fred C. Bergsten, ancien secrétaire au Trésor adjoint des Etats-Unis. En 1974, dans les opinions alliées, le libéralisme bénéficiait de l’appui d’une majorité. Mais dix ans après, le protectionnisme est triomphant dans la totalité, ou presque des démocraties industrialisées.25 En 1980, encore, 20 % des biens manufacturés qui entraient aux Etats-Unis ou dans la Communauté étaient l’objet de mesures restrictives. En 1983, celles-ci en touchent 30 %.26
24Pour être inquiétant, le phénomène n’est pas étonnant. Alors que la récession sévit de plus en plus durement et que l’on recense bientôt quelque 30 millions de chômeurs en Occident, les gouvernements envisagent d’autant plus de protéger leur marché national qu’il leur paraît trop ouvert aux incursions de leurs concurrents. La vieille politique du « oui au libéralisme mais... » paraît de plus en plus difficile à préserver. Le GATT, doit-on constater, n’est pas toujours adapté aux nouvelles réalités, c’est-à-dire aux restrictions « sélectives » qui ne cessent de proliférer : en 1981, ce sont 2,5 milliards de dollars de marchandises qui sont affectés par des restrictions qu’il a autorisées, mais 60 milliards relèvent d’autres dispositions, qui échappent à son autorité.27 L’interdépendance commerciale secrète ainsi le mal qui pourrait lui être fatal ! Et les Etats-Unis donnent l’exemple au reste du monde occidental.
25Au début des années 1980, le paradoxe vaut, en effet, aussi pour les Américains. Alors que longtemps leur commerce international ne représentait, pour leur économie, qu’un aspect marginal, ils se voient de plus en plus imbriqués dans le système mondial. En 1970, ils n’importaient que 9 % de leurs biens de consommation et ils n’exportaient que 9 % de leur production. Les chiffres sont maintenant 19 % et 17 %.28 Un ouvrier sur six, un arpent sur trois travaillent « pour » l’étranger où sont réalisés jusqu’à un tiers des profits de certaines grandes sociétés. En 1984, une étude n’hésite pas à affirmer qu’un arrêt du flux pétrolier du golfe Persique les affecterait autant, en réalité, que le Japon ou leurs alliés atlantiques.29 En 1984, un expert croira pouvoir affirmer :
26« Dans un sens très concret, l’économie américaine est morte et elle a été remplacée par une économie mondiale... Notre degré d’intégration dans l’économie mondiale est comparable à celui de l’Europe et du Japon. »30
27Seulement, cette évolution s’est précipitée à un moment où les Etats-Unis étaient moins préparés à résister à la concurrence de l’étranger. Le temps est fini où, sans effort, ils jouissaient d’une écrasante suprématie. Déjà habitués à voir leurs industries textiles, ou de la chaussure, menacées, ils ont enregistré, à la fin des années 70, de fortes difficultés dans des secteurs comme l’électronique grand public, l’automobile ou l’acier. Aussi leurs problèmes ne peuvent-ils que s’étendre et s’exacerber quand la hausse vertigineuse du dollar les contraint à affronter, comme avec un boulet, la concurrence de l’étranger. Concurrence que leurs propres firmes semblent alimenter : 50 % de la valeur ajoutée des ordinateurs personnels qu’IBM distribue alors sur leur marché, provient du territoire japonais !
28 Aussi la dépression qui, à partir de 1981, affecte cruellement la nation, enflamme-t-elle les passions. Cherchant à séduire les syndicalistes de l’AFL-CIO, Walter Mondale, candidat à l’investiture démocrate, n’hésite plus à tenir ces propos : « Nous avons hissé le drapeau blanc alors que nous aurions dû hisser le drapeau américain. Quels emplois voulons-nous pour nos enfants ? Voulons-nous les voir balayer le sol autour des ordinateurs japonais ou passer toute leur vie à servir des hamburgers McDonald’s ? »31
29Le déficit commercial subit, en effet, une accélération brutale, (cf. graphique) Alors qu’en 1982 le PNB américain n’est pas supérieur à ce qu’il était voici trois années, alors que l’emploi est tombé de 37 % dans l’automobile, de 47 % dans l’acier, et que les fermiers ne sont plus en mesure de rembourser les emprunts qu’ils ont contractés, l’Administration ne peut ignorer les pressions de ceux qui réclament soit un surcroît de protection, soit une aide à l’exportation.
La balance commerciale américaine (en milliards de dollars)

30 Les difficultés économiques, et les querelles qu’elles peuvent susciter, ont des conséquences directes sur les politiques et sur les choix militaires des démocraties « atlantiques ». Si, forts des leçons du premier « choc » pétrolier et au prix d’une politique d’exportation acharnée, les Japonais réussissent à éviter une baisse de leur PNB, les Américains vont cruellement ressentir durant deux années la « purge » qu’ils sont obligés de mener. Mais c’est l’Europe qui éprouve le plus de difficultés à se relever. Le deuxième « choc » pétrolier réduit à néant ses efforts passés. Ses problèmes économiques, remarque Business Week, le 7 décembre 1981, « sont si sévères qu’ils influent sur les problèmes politiques, domestiques comme internationaux, à une échelle inconnue depuis les années trente. »32
31Dans un monde où l’interdépendance atteint un tel degré, les questions économiques sont au coeur des passions politiques. Et ce n’est pas un hasard si 1982, l’année la pire dans les relations alliées, est aussi celle où le commerce mondial a réellement baissé.
32Très vite, ainsi, l’Occident se trouve dans l’incapacité de définir une stratégie économique face à l’Union soviétique. Alors que la détente va faire l’objet d’analyses opposées, le linkage se voit propulsé au centre d’un débat passionné. Certains experts ont, en effet, alerté le Congrès sur l’aide que les transferts de technologie assureraient au camp opposé. Aussi, après l’invasion de l’Afghanistan, Carter n’hésite-t-il pas à décréter des sanctions à l’encontre de ce dernier. Et quand Jaruzelski impose la loi martiale à Varsovie, Reagan durcit, lui-aussi, l’attitude de son pays. Alors même que les tensions tendent à s’accentuer, les Américains ne peuvent oublier que de 1936 à 1939 ils ont eux-mêmes fourni le pétrole et l’acier qui ont permis au gouvernement japonais de substantiellement renforcer sa flotte de guerre en quelques années !
33Mais leurs appels ne sont pas entendus par leurs alliés. Déjà, il est vrai, la question avait opposé Européens et Américains par le passé. Certes, au début de la Guerre froide, les premiers avaient accepté de participer à un organisme informel, chargé de gérer, à partir du 1er janvier 1950, les relations commerciales avec le camp opposé : le Comité de Coordination pour le contrôle multilatéral des Exportations ou COCOM. Mais ils s’étaient opposés, avec succès, à toute mention explicite d’une obligation à ce sujet que les Américains auraient souhaité insérer dans les accords relatifs à l’aide militaire.33 Et, en 1951, ils s’étaient dressés contre l’amendement Kem qui prétendait leur interdire l’exportation vers le camp opposé de tout matériel classé comme « stratégique faisant l’objet d’un embargo en Amérique. »34 Mais au souci de préserver la souveraineté s’ajoutent aujourd’hui de solides considérations d’intérêt. En 1979, les Européens ont vendu quelque 12 milliards de marchandises à l’Union soviétique qui n’en achetait que pour 3,4 milliards, surtout en céréales, à l’Amérique. Celle-ci s’inquiète de l’ampleur de ces échanges avec le camp opposé et de ses conséquences pour la solidarité comme pour la défense alliée. Mais quand, début 1980, les Américains veulent réactualiser les contrôles d’un COCOM que la détente avait quelque peu émoussés, les différends ne tardent pas à se multiplier. Les Européens ne s’opposent pas, en réalité, à l’interdiction des exportations de technologies militaires vers le camp opposé. Mais c’est sur d’autres sujets que les alliés vont tendre à se heurter : d’abord, sur le traitement à appliquer aux technologies à « double usage » (« dual-use »), c’est-à-dire de technologies civiles à application militaire que les Américains soupçonnent volontiers d’aider directement l’effort stratégique du camp opposé ; ensuite, sous l’Administration Reagan, sur l’appui que toutes les exportations de technologie constituent, indirectement, pour celui-ci. En juin 1982, ainsi, Reagan décrétera brutalement un embargo sur les équipements gaziers qui touche ses propres alliés de plein fouet, tout en continuant à négocier un contrat à long terme de livraison de blé avec le camp opposé : les opinions européennes en seront ulcérées. Et Michel Jobert, alors ministre du Commerce extérieur français, retrouvera son mordant de 1973 pour déclarer : « Voilà qui est clair : ce qui est bon pour les Etats-Unis ne l’est pas pour leurs alliés. »35
34Que s’approprier, par tous les moyens, les technologies mises au point par les Américains ou les Européens, soit une priorité absolue pour la Russie, de plus en plus rares vont être, dans ces années, ceux qui le nient. Mais c’est sur l’efficacité d’une politique d’embargo que la querelle surgit. Le scepticisme des vieux pays trouve d’ailleurs des appuis aux Etats-Unis. Le 9 mai 1983 est publiée une étude du Bureau d’évaluation technologique du Congrès.36 Elle remarque que les deux tiers des acquisitions de l’URSS se font par l’espionnage ou par la contrebande. Ensuite, dès lors que d’autres pays acceptent de se substituer à l’Europe ou aux Etats-Unis, les sanctions voient leurs effets gravement affaiblis. En souffrent surtout alors les producteurs qui y sont soumis ! Le paradoxe est aussi frappant qu’inquiétant : « il est devenu plus important de refuser des biens au monde communiste et à la fois de lui en vendre. »
35L’étude rejoint le point du vue que les vieux pays ne cessent de défendre auprès des Etats-Unis : une interruption trop brutale du commerce avec l’« ennemi » heurterait de front leurs économies et elle laisserait leurs sociétés dangereusement affaiblies. Mais elle illustre en même temps le caractère illusoire du linkage tel qu’on l’avait défini. A ce jeu, les démocraties se sont révélées plus dépendantes, semble-t-il, que la Russie. A la fin, les Occidentaux parviendront à un compromis. Mais la leçon ne sera pas sans ironie. Avant, les agressions de la Russie tendaient à rapprocher l’Europe des Etats-Unis. En période de dépression, elles sèment la zizanie.
36Moscou ne bénéficie, pourtant, pas dans les vieux pays d’une sympathie beaucoup plus grande qu’aux Etats-Unis. En mai Nixon pourra même affirmer : « L’événement géopolitique le plus important qui soit arrivé depuis la deuxième Guerre mondiale, plus important que l’ouverture chinoise de 1972, est le fait que l’Union soviétique a perdu la bataille idéologique dans le monde. » Le jugement doit sans doute être nuancé.37 Mais déjà, le secrétaire général du PCI avait remarqué que seule une petite minorité des ouvriers italiens accepterait de vivre sous un ordre économique et politique « du style de celui qui existe en Russie. »38
37L’« effet Goulag » avait nui à celle-ci. De l’Afghanistan son prestige sort encore infiniment plus terni. Fin 1981, elle doit s’abriter derrière Jaruzelski pour imposer la loi martiale à Varsovie. A ce moment, sa cote est en chute libre des deux côtés de l’océan. Outre-Atlantique, 45 % des personnes interrogées avaient une opinion favorable d’elle en 1973. Elles ne sont plus que 21 % en 1976, 34 % début 1979 mais 13 % début 1980.39 En 1982, les chiffres connaissent un léger mieux (21 %) mais ils tombent à 9 % après que le Kremlin a abattu un avion civil coréen. La popularité de l’URSS est alors à son niveau le plus bas depuis qu’en 1956 ses chars avaient écrasé la révolte du peuple hongrois. Elle connaît un nadir comparable auprès des Européens. Seulement ces derniers doutent des politiques préconisées par les Américains.
38Ceux-ci ne peuvent oublier que, pour avoir paru se résigner à toute une série de reculs localisés, ils ont laissé leur crédibilité se déliter. Dès 1980, l’universalisme de la doctrine Truman est de nouveau d’actualité. Et à Vienne, le nouveau secrétaire d’Etat, Edmund Muskie, n’hésitera pas à déclarer : « Un acte d’agression où que ce soit dans le monde menace la paix partout dans le monde. » De même, un peu à l’instar de ce que Truman avait fait, les dirigeants américains semblent dans ces années ne plus attendre grand chose du dialogue avec le camp opposé. Dans les six premiers mois de 1979, feront-ils parfois remarquer, Vance et Dobrynine ne s’étaient concertés pas moins de 25 fois. Après quoi, Carter et Brejnev s’étaient rencontrés à Vienne, à l’occasion d’un « Sommet ». Pour quels résultats ? Les Soviétiques s’étaient montrés intransigeants dans l’affaire de leur brigade à Cuba. Ils avaient, par une campagne d’intoxication, cherché à jeter de l’huile sur le feu au Moyen-Orient. Et, pour finir, ils avaient envahi l’Afghanistan.
39Aux yeux des dirigeants du vieux continent, inversement, le contact importe plus que le bilan. Tout se passe, remarque Pierre Hassner, comme si à la structure stable paix que Kissinger avait envisagée, un système très différent s’était substitué : un théâtre global de conflit, où les Etats-Unis seraient directement impliqués, et une structure régionale de paix, fondée sur l’interdépendance économique et sur les contacts humains entre les vieux pays et le Kremlin.40 La détente, remarquera Alexander Haig quelques années après
40« avait creusé un fossé entre l’Amérique et ses alliés. Là où les Etats-Unis, du point de vue statégique, voyaient que les effets d’une politique accommodante avec l’URSS étaient les guerres de libération et l’aventurisme soviétique aux confins du monde libre, les Européens, regardant vers l’Est, voyaient un accroissement des relations commerciales, le contact renoué avec leurs anciens voisins de ce que l’on appelait autrefois l’Europe centrale et la possibilité d’échapper à cette pression psychologique sans pitié que la puissance militaire et la diplomatie hostile des Soviétiques exerçaient sur les esprits européens depuis 1945. »41
41Certes, l’analyse doit être nuancée et au Liban, par exemple, Américains, Italiens et Français sauront, sans grand succès il est vrai, coopérer. Pourtant, les querelles sur l’Afghanistan, sur la Libye comme sur le Nicaragua viennent bien rappeler que, depuis qu’elle a été créée, l’Alliance n’a toujours pas su définir une politique commune hors de la zone couverte par le traité. Sur ce point, la situation n’est nouvelle que sous un seul aspect : elle cristallise une évolution que le Vietnam avait amorcée et la guerre du Kippour confirmée. Désormais, ce sont les Etats-Unis qui reprochent à leurs alliés leur absence de solidarité.
42Mais c’est en Europe que la crise atlantique apparaît dans toute sa gravité. Alors que l’URSS traite les accords d’Helsinki comme des « chiffons de papier » et qu’elle ne paraît guère envisager de corriger un déséquilibre militaire qu’elle a délibérément créé, les Européens semblent parfois tentés de se comporter comme si le premier danger ne résidait pas dans sa politique mais dans sa dénonciation par l’Alliance atlantique.
43Tout se passe comme si après les avoir sermonnés pour leur passivité, les Européens jugeaient leurs alliés par trop « bellicistes » désormais. Les Etats-Unis, il est vrai, donnent parfois l’impression de vouloir rétablir leur vieille suprématie. Cette volonté inquiète les vieux pays. Les sondages de l’USIA confirment que, depuis le début des années 1970, les Européens voient, leur sécurité dans le maintien de la parité. Une rupture de l’équilibre, même en faveur de l’Amérique, aurait, à leurs yeux, deux conséquences critiques : elle déclencherait une course aux armements pleine de dangers ; elle pourrait, en cas de crise, précipiter une décision de tir préventif du pays le moins avancé.42 Sous cet aspect, ils adhèrent à une des principales idées qui avait rallié McNamara à la « destruction mutuelle assurée. ».
44Mais c’est peut-être là, précisément, le principal problème de l’OTAN. Schmidt a sans doute raison de déplorer, l’absence d’une « grande stratégie » alliée, qu’il s’agisse des relations avec le camp opposé ou avec les pays sous-développés. Mais, et lui-même est le premier à le concéder, l’OTAN ne manque-t-elle pas plus simplement d’une stratégie ? Comment peut fonctionner une Alliance qui dépend autant de la dissuasion nucléaire à une époque où la peur d’une guerre atomique s’empare des opinions populaires ? Le vieux paradoxe de l’Alliance, « dissuader une agression conventionnelle en Europe par un arsenal nucléaire, lui-même contrôlé par une puissance non européenne, elle-même vulnérable à une riposte atomique » se heurte à des difficultés de plus en plus critiques.43
45En mars 1981, si une nette majorité des personnes interrogées continue à juger l’OTAN essentielle à leur sécurité,44 déjà de fortes minorités doutent, en Grande-Bretagne, France, Pays-Bas et Allemagne, de sa capacité à « dissuader » : 47 %, seulement, affirment éprouver une confiance « considérable » ou « raisonnable » à ce sujet. Comme Michael Howard le fait subtilement remarquer, alors même quelle détourne encore sans doute l’URSS d’une confrontation avec les défenses alliées, la dissuasion n’assure plus la deuxième fonction dont elle est chargée : rassurer les sociétés qu’elle est censée protéger.45
46La raison en est sans doute que, loin de se résorber, les divergences sur la défense alliée deviennent de plus en plus criantes dans ces années. D’un côté, alors même qu’un fort accroissement de leurs dépenses militaires mettrait, à leurs yeux, en danger le tissu même de leur société, les Européens voient, plus que jamais, dans la dissuasion leur seule vraie protection. De l’autre, ils redoutent d’en voir la crédibilité encore érodée par deux tendances à la fois concourantes et opposées : la capacité croissante que les techniques semblent créer de conduire des guerres nucléaires limitées et la popularité montante, aux Etats-Unis, de l’opposition au « recours en premier ».
47Alors même que les négociations paraissent au point mort avec la Russie, aux Etats-Unis comme dans les vieux pays, l’opinion découvre, en effet, l’impact des nouvelles technologies. Alors que le mégatonnage américain a diminué de moitié depuis deux décennies, ce sont elles qui paraissent multiplier les périls. Certains experts ne vont-ils pas jusqu’à affirmer qu’une « victoire » est possible désormais ?46 Amorcé en réalité, depuis de longues années, le recul de la MAD fait alors pleinement sentir ses effets. L’URSS n’y avait sans doute jamais adhéré. Mais les publics occidentaux sont consternés quand l’Amérique vient l’imiter. L’annonce de la doctrine Schlesinger n’avait suscité qu’un mouvement de protestation, somme toute, limité. Celle, par l’Administration Carter, en juillet 1980, d’une nouvelle « Directive présidentielle », la PD-59, visant à assurer aux Etats-Unis la capacité de gérer un « conflit nucléaire prolongé » ne provoque pas, non plus, de tollé à proprement parler. Mais lorsque l’Administration Reagan se met à l’expliciter, tout en donnant l’impression d’envisager une guerre nucléaire « limitée » d’un coeur léger, elle sème l’anxiété : certains Européens en viennent à plus redouter la protection américaine que la menace qu’elle est censée neutraliser. « TO BE OR NATO BE ? » pourra-t-on lire à Berlin sur les graffiti.
48L’URSS, il est vrai, fait tout ce qu’elle peut pour les y inciter. Le pacifisme ne s’avère, en effet, un handicap que pour les démocraties : « Le pacifisme est à l’Ouest, les missiles à l’Est » remarque François Mitterrand dans une formule qui résume bien le défi. Tandis que face au danger de guerre qu’elle est parfois accusée de sous-estimer, l’URSS invite sa jeunesse à afficher un esprit « héroïco-patriotique », son ministre des Affaires étrangères n’hésite pas à assimiler le mouvement anti-nucléaire qui « déferle » sur l’Occident à un « référendum populaire ».
49Les pacifistes restent, tout bien pesé, minoritaires. Mais leur existence ne saurait être traitée à la légère. Si, comme principe, la dissuasion semble encore jouir d’une réelle popularité, les risques de son éventuel échec paraissent trop coûteux dès lors que l’on doute de son efficacité. Or, celle-ci est de plus en plus contestée, ne serait-ce que par ceux qui, tels les généraux Close ou Hackett, l’ont déjà fait et qui remettent, dans ces années, leur ouvrage sur le métier.47 Pour les dirigeants alliés, c’est là le pire danger. Une érosion de la crédibilité remet au premier plan le point faible de la stratégie de l’OTAN : sa dépendance d’un « recours en premier » auxquelles les opinions européennes sont massivement opposées Z !48
50Dans une société en crise, le slogan Better Red than Dead séduit dès lors d’importantes minorités, chez les jeunes en particulier. Sous cet aspect, c’est la France qui constitue l’exception désormais ! En partie, sans doute, parce que ses habitants éprouvent moins le sentiment de dépendre de l’étranger pour leur sécurité. « L’atlantisme des pères porte dans ses flancs le pacifisme des fils » suggère Régis Debray.49
51« Il suffit, remarque Michael Howard, que pendant une génération la paix ait été maintenue pour que renaisse, parmi ceux qui n’en connaissent pas les mécanismes, l’idée selon laquelle elle est un état naturel, menacé seulement par ceux que leur profession voue à préparer la guerre. Les militaires deviennent alors la cible naturelle d’une jeunesse idéaliste, dont l’hostilité ne peut que s’accroître, si ces militaires sont essentiellement des étrangers, si la guerre ou la paix dépendent d’un groupe lointain et incontrôlable de décideurs dont les valeurs et les intérêts ne coïncident pas nécessairement avec les siens propres, et si la guerre risque d’engendrer un massacre apocalyptique. »50
52Deux millions d’Européens dans les rues à l’automne 1981, des centaines de milliers en juin 1982 pour la venue de Reagan en France, en Angleterre et en Allemagne, d’autres centaines de milliers en avril 1983 dans ce seul pays, puis à nouveau des millions au cours d’un automne « chaud » : loin d’être confinées aux seuls gouvernements, les divergences atlantiques ont désormais une résonance profonde dans la société. Les conséquences en sont d’une très grande portée. A l’automne 1983, pour assurer leur sécurité, les Européens semblent s’en remettre beaucoup moins que par le passé à une coopération avec leur grand allié et beaucoup plus à des contacts avec le camp opposé.51 Alors même que la crise peut favoriser leur retour aux responsabilités, les partis d’opposition sont tentés de capitaliser sur ce mouvement de rejet. Ainsi, un nouveau péril se substitue à l’euro-communisme : celui d’une dérive de la social-démocratie vers le pacifisme et le neutralisme. Quand, les 18 et 19 novembre 1983, le Congrès extraordinaire du SPD décide de condamner un déploiement que Schmidt avait lui-même demandé, c’est une menace sévère qui pèse sur la solidarité alliée.
53Paradoxalement, celle-ci souffre presque autant de la vague « pacifiste » qui déferle de l’autre côté de l’Océan. L’élection de Reagan en novembre 1980 semble refléter la détermination du peuple américain. Celui-ci paraît vouloir muscler une diplomatie affaiblie par le « syndrome vietnamien ». Un an après, pourtant, se développe ce qui apparaît comme un puissant mouvement pacifiste, largement axé autour de l’idée d’un « gel » des armes nucléaires mais aussi de celle d’un « non-recours en premier » à ces dernières.
54Le 10 décembre 1953, lors de la 174e réunion du NSC, Eisenhower avait pu déclarer : « Plus que tout autre peuple, nous avons accepté l’ère atomique dans laquelle nous vivons. Nombreux sont les peuples européens qui restent très en arrière et se considèrent comme les cibles sans défense d’une guerre nucléaire. »52
55Si sa remarque finale est plus que jamais d’actualité, l’attitude des Etats-Unis est beaucoup plus ambiguë désormais. Une partie de l’opinion redoute, en effet, les conséquences de l’« emploi en premier » sur lequel a toujours reposé la stratégie alliée. En avril 1982, la doctrine est durement secouée quand quatre éminentes personnalités signent ensemble un article de Foreign Ajfairs pour en dénoncer l’absurdité.53 Le sobriquet de « bande des quatre » qui leur est bientôt donné pourrait laisser penser qu’elles restent isolées. Pourtant, la suite suggère qu’elles prennent simplement le risque de déclarer publiquement ce que beaucoup pensent plus discrètement.54 Dans le secret du NSC, Muskie n’a-t-il d’ailleurs pas, le 5 septembre 1980, mis en doute la volonté du pays de risquer une guerre nucléaire pour empêcher l’Europe de « tomber » ?55 Quand, en 1984, Foreign Policy publie un article qui conteste la légalité d’une décision du seul Président sur l’« emploi en premier », son succès est tel qu’il devient son meilleur argument publicitaire pour cette année !56
56Un fait, en tout cas, ne peut être contesté : l’unilatéralisme a le vent en poupe dans ces années. Certes, l’Administration, officiellement, reste acquise à l’« emploi en premier » et le Commandant suprême, le général Rogers, cherche à faire adopter un compromis fondé sur l’idée d’un « non-emploi prématuré ». Mais les réticences que l’idée suscite chez les alliés confortent les griefs de certains des opposants à l’« emploi en premier » : s’ils sont incapables de voir en face les réalités, que peut-on faire pour les aider ?
57Ils sont rejoints, sur ce point, par les plus conservateurs des républicains : « Que peut faire l’Amérique, s’exclame, début 1983, l’historien Walter Laqueur, pour satisfaire des gens qui se veulent à distance égale des deux Super-Grands, qui veulent être défendus (mais pas trop), qui sont plus effrayés par les sanctions américaines que par les événements de Pologne, plus anxieux devant les missiles américains que devant les fusées soviétiques, qui veulent être en même temps des alliés et des médiateurs ? »57
58Les images que la télévision retransmet sèment l’indignation en effet : comment des dizaines de milliers de jeunes européens peuvent-ils dénoncer les Cruise et Pershing, mais pas les SS-20 ? Aussi certains élus du GOP commencent-ils à s’interroger : alors même que l’Europe paraît plus incertaine et moins puissante que par le passé, les liens de l’Amérique avec elle ne doivent-ils pas être repensés ?
59L’idée d’une stratégie essentiellement fondée sur l’Aviation et sur la Marine est ainsi caressée. Surtout, un temps oublié, le « mansfieldisme » réapparaît. Le mouvement vient, il est vrai, moins de la « gauche » que de la « droite » désormais, même si la première croit parfois y discerner un bon moyen de réduire le budget des armées. Son impact et sa portée doivent d’ailleurs être atténués. De fortes majorités se dégagent pour voler au secours des alliés en cas d’attaque du camp opposé.58 De même, la contribution européenne ne peut faire l’objet que de jugements nuancés : « S’il fallait la caractériser, a conclu en 1980 un document du Congrès, on pourrait sans doute dire qu’elle est nettement supérieure à ce que beaucoup d’Américains croient, mais en même temps inférieure à ce que beaucoup des responsables militaires... souhaiteraient. »59 Trois ans après, la situation n’a guère changé. Si l’Europe ne tient pas totalement l’engagement d’augmenter ses dépenses de 3 %, elle peut répliquer qu’elle les a plus accrues que les Etats-Unis au cours de la précédente décennie.60
60Mais l’idée que les Européens n’en font pas suffisamment et qu’un retrait partiel serait, pour eux, un utile avertissement n’en progresse pas moins pour autant. En 1981, le leader au Sénat du GOP, Howard Baker, hésite à l’évoquer de peur « d’allumer un feu que je ne pourrai plus éteindre après. »61 Une réduction symbolique des troupes stationnées chez les alliés sera néanmoins votée un an après.62
61Les avertissements ont fusé, il est vrai. L’arrivée, au coeur même de l’Administration, d’unilatéralistes ouvertement décidés à définir les intérêts des Etats-Unis sans ménagement pour leurs alliés, en est un premier. Les mises en garde spectaculaires de vieux « internationalistes » comme Haig, Eagleburger ou Kissinger, en sont un second, encore plus sévère.
62Une « fissure » semble ainsi se dessiner entre les Etats-Unis et leurs plus vieux alliés. L’Europe, en effet n’est pas toujours persuadée que l’Amérique ait vraiment recouvré le leadership qu’elle entend restaurer. Ses responsables paraissent souvent incohérents ou divisés. Eux qui réclament un déploiement et des efforts militaires accrus des vieilles nations, tergiversent sur le MX et refusent de rétablir la conscription. Leur politique semble fluctuer au gré des renversements de l’opinion. Surtout alors même qu’il doit disputer au Congrès son droit à l’autorité, l’Exécutif apparaît souvent déchiré, menant ses luttes intestines à coups de « fuites » répétées. En 1980, c’est Vance qui démissionne. Mais sous Reagan, l’harmonie ne semble guère plus régner dans les hautes sphères de Washington : après le départ d’Allen, la démission de Haig et le limogeage d’Eugene Rostow, le terme d’« Execucide » hante les propos.
63Le désenchantement doit être nuancé. La contestation de certaines de ses politiques ne signifie pas fatalement une condamnation de l’Amérique. Comme on l’a noté, le « prosoviétisme » n’est guère d’actualité. Aussi en matière de popularité, l’avance des Américains sur le camp opposé ne cesse-t-elle de se creuser. Mais, en chiffres absolus, l’estime qui leur est portée s’est effondrée. Les événements de 1980 semblent confirmer un déclin américain. Les « Etats-Unis ne sont plus le numéro un » remarque Raymond Aron en 1980.63 La même année, le livre de Michel Crozier, Le mal américain, recueille un vif succès auprès du public français. Certes, à tout prendre, l’assurance de Reagan convainc plus les alliés. Mais nombre de ses politiques ne laissent pas de les inquiéter. En 1983, depuis 1960, date où elle a commencé à faire l’objet de sondages, la confiance des Européens dans la capacité des Etats-Unis à régler les grands problèmes mondiaux est à son étiage.64
64Du coup, tout en restant l’apanage d’une minorité, l’anti-américanisme est en indéniable progrès.65 Et sans atteindre les niveaux records qu’il avait pu enregistrer quand, en 1973, la détente était à son apogée, le neutralisme exerce un nouvel attrait, auprès des jeunes en particulier.66 Dans l’ensemble, il est vrai, les populations européennes tiennent à conserver le système de défense allié. Seulement elles entendent aussi prendre leurs distances avec une Amérique qui les déconcerte plus que par le passé.
65De toute évidence, d’abord, l’« isolationnisme culturel » y semble à son apogée : non seulement, les journaux donnent de moins en moins de nouvelles de l’étranger, mais l’apprentissage des langues connaît un déclin prononcé : en 1960, 24 % des étudiants des lycées apprenaient une langue étrangère. Vingt ans après, ils ne sont plus que 15 % à le faire !67 Ensuite, la vieille prédominance des régions les plus proches du vieux continent semble s’étioler. En 1976, entamé à la fin des années 1960, un phénomène est consommé : le centre du pays est à l’Ouest du Mississippi. Attirées par le climat, des terrains meilleur marché, des encouragements à l’investissements ou des lois moins favorables aux syndicats, l’industrie et la population se sont déplacées vers le Sunbelt, le Sud et l’Ouest ensoleillés. A partir de 1963, si l’on met à part l’intermède Ford, Président non élu, mais désigné à la suite d’un compromis entre Nixon et le Congrès, tous les Présidents viennent de ces contrées. En 1982, d’ailleurs, celles-ci détiennent officiellement la majorité à la Chambre basse du Congrès. Sous Carter, les Américains vivaient à l’heure des Géorgiens. Sous Reagan, à celle des Californiens !
66Déjà, l’arrivée sur le devant de la scène d’hommes peu habitués aux réalités européennes suffirait à éroder l’intimité nécessaire entre alliés. Certes, ses effets sont atténués par le maintien d’internationalistes, de « professionnels », d’« atlantistes » aux postes-clés. La « dérive » est réelle néanmoins alors que l’Extrême et le Moyen-Orient comptent de plus en plus dans les calculs américains. Mesure de cet éloignement : l’Europe occidentale ne représente plus que 4 % de l’ensemble des études et enseignements consacrés aux relations internationales.68 Dans les années 1980, pour la première fois, le commerce de l’Amérique avec la zone Pacifique dépasse celui avec la zone Atlantique, (cf. tableau) Ce renversement semble symboliser de profondes mutations économiques. Celles-ci sont, à leur tour, souvent interprétées comme le reflet d’un recul de l’Europe dans l’équation stratégique.
Evolution du commerce américain avec la zone Pacifique et avec l’Europe occidentale (en milliards de dollars)
Année | Zone Pacifique* | Europe occidentale** |
1979..... | 91,8 | 92,9 |
1980 | 112,0 | 110,0 |
1981 | 125,5 | 112,0 |
1982 | 123,9 | 106,9 |
1983..... | 133,8 | 104,9 |
Année | Zone Pacifique | Europe occidentale |
1979 | – 14,5 | + 10,0 |
1980 | – 14,3 | + 18,2 |
1981 | – 23,1 | + 10,3 |
1982 | – 23,9 | – 4,2 |
1983 | – 34,1 | + 0,9 |
Zone Pacifique : Corée du Nord, Corée du Sud, Japon, Chine, Taïwan, Hong Kong et Singapour. Europe occidentale : Autriche, Belgique, Luxembourg, Danemark, Finlande, France, R.F.A., Royaume-Uni, Grèce, Islande, Irlande, Italie, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Espagne et Suisse.
67Désormais, en effet, les médias et la communauté des affaires américaine ont tendance à opposer une Europe sur le déclin à un Japon, voire une zone Pacifique en plein regain.69 Le vieux continent paraît, il est vrai, s’enfoncer dans les difficultés. D’abord, sa croissance démographique connaît un ralentissement critique. Ensuite, son expansion économique, plus faible que dans les autres démocraties, est, à niveau égal, infiniment moins créatrice d’emplois que chez celles-ci : de 1973 à 1983,70 c’est une perte de 1,5 million de postes qu’il subit, alors que 5 et 18 millions en sont créés au Japon et aux Etats-Unis. Enfin et surtout, les vieux pays ne semblent plus en mesure de s’adapter aux « nouvelles technologies ».
68De plus en plus en effet, une idée tend à s’ancrer : la crise résulte infiniment moins des « chocs » pétroliers que de profondes mutations dans les modes de production. Le monde semble entrer dans une nouvelle ère, dominée par un certain nombre de techniques comme l’électronique, la biogénétique, les technologies spatiales, les télécommunications et, surtout, l’informatique. Or, l’Europe semble éprouver les pires difficultés à suivre une course où ’les Américains s’efforcent de rattraper les Japonais. Déjà évoqué par Jean-Jacques Servan-Schreiber voici plus d’une décennie, le « gap technologique » redevient un leitmotiv. A l’été 1983, selon un rapport de la Communauté, l’Europe risque de perdre toute compétitivité dans les domaines-clés. La structure de son commerce extérieur illustre le danger : « Les importations de la Communauté concernent essentiellement des produits de haute technologie, alors que ses exportations portent sur des produits de technologies plus anciennes. »71
69C’est dans le secteur le plus névralgique, celui de l’information, que la situation est la plus critique. L’Europe n’y détient plus que 10 % du marché mondial et elle ne fournit elle-même pas la moitié (40 %) de son propre marché : c’est aux Etats-Unis que 8 sur 10 des ordinateurs utilisés par la Communauté ont été fabriqués. La proportion est de 9 sur dix pour les magnétoscopes japonais72
70La menace est sérieuse à n’en pas douter. Combinée avec une crise conjoncturelle d’une exceptionnelle gravité, sa découverte semble « démoraliser » la Communauté. Le terme d’« europessimisme » est couramment employé. Pourtant, certains le jugeront encore trop modéré. Situant la source du mal non dans l’« humeur » mais dans les carences structurelles des sociétés européennes, un économiste allemand, Herbert Giersch, affirme, fin 1983, que c’est d’« eurosclérose » qu’il faut parler. Son idée connaît, outre-atlantique, un rapide succès : les vieux pays y sont, en effet, de plus en plus considérés comme paralysés par le poids des intérêts acquis, les pressions syndicales et l’ingérence excessive du gouvernement dans l’économie. Mais par un nationalisme aveugle aussi.73
71Plus que jamais, en effet, la rentabilité des secteurs les plus avancés suppose une structure très concentrée et d’immenses marchés. Or, les économies européennes continuent de fonctionner comme des entités séparées. D’abord, les firmes privées sont toujours aussi tentées de trouver la solution à leurs difficultés dans une coopération avec des concurrents américain et japonais : elles les jugent, en effet, plus susceptibles de les aider à combler le retard technologique qu’elles ont accumulé. Ensuite, les gouvernements sont toujours incapables de surmonter les pressions nationalistes dont ils sont l’objet. Le marché « commun » reste ainsi surtout un souhait : de 1981 à 1983, c’est de 300 à 770 que se gonflent les plaintes, déposées à l’intérieur de la CEE, pour « protectionnisme ».
72Or, ces difficultés ne sont qu’un reflet de l’incapacité plus générale de l’Europe à réaliser son unité. En 1980, Giscard a exprimé le souhait de voir une « pause » intervenir dans le processus d’« élargissement » : les difficultés suscitées par la participation des Anglais n’incitent guère, il est vrai, à recommencer l’expérience avec les Espagnols et les Portugais. Certes, l’intégration économique des Britanniques a bien progressé : en 1974, ils faisaient 19 % de leur commerce avec la Communauté ; ils en font 39 % désormais.74 Certes, personne, non plus, ne nierait que la PAC, dont les coûts sont de plus en plus élevés, doive, comme ils le demandent, être réformée. Pourtant, la règle du « juste retour » dont les Anglais semblent se réclamer, va à l’encontre du principe même sur lequel elle a été fondée : celui de « solidarité ». Margaret Thatcher ne se laisse pas pour autant ébranler et parfois les mécanismes communautaires semblent près de se gripper.
73Du coup, on ne peut s’en étonner, les progrès politiques et militaires tendent à stagner. En 1980, à Venise, une politique « européenne » sur le Moyen-Orient paraît se dessiner, mais un an après l’illusion s’est dissipée. En 1980, Giscard et Schmidt ont sans doute envisagé une coopération militaire, idée que Mitterrand et Kohl confirmeront de façon spectaculaire. L’espoir ne continue pas moins à rester précaire. Pour l’Europe, commente Jean Boissonnat en mai 1980 « l’unique solution... consiste à montrer sa propre détermination et à s’en donner les moyens politiques et militaires. Hélas ! L’« homme de la famille » s’appelle Thatcher et elle n’est guère communautaire ; et la seule armée qui fasse peur est l’armée allemande, or personne ne veut l’associer à une défense nucléaire. »75
74Le 19 juin 1983, à Stuttgart, le Conseil européen a sans doute adopté une « Déclaration solennelle sur l’Union européenne. » Mais à la fin de l’année, à Athènes, il faut déchanter. Comme par le passé, le « rêve » d’une Europe unie se brise toujours au contact des plus banales querelles d’intérêt.
75En réalité, ce bilan est sans doute à tempérer. Après tout, dans sa perpétuelle lutte avec les nationalismes, la solidarité l’a parfois emporté. Le SME a sans doute paru menacé quand, en 1981, les Français n’ont pas hésité à entreprendre une relance isolée : Schmidt n’avait-il pas accepté le SME que parce qu’il croyait le « barrisme » bien implanté ?76 Pourtant, en mars 1983, c’est l’Europe qui constitue le choix crucial du Président français quand il repousse la tentation de l’isolement et du protectionnisme au profit du maintien dans la Communauté.77 Mieux, l’obstination des Anglais pousse à l’abandon de la règle de l’unanimité : le 18 mai 1982, c’est à la majorité qualifiée que la décision sur les prix agricoles est arrêtée.78 De plus, le spectre de gouvernements « dominés par les PC » semble exorcisé. Enfin, dans l’affaire des Malouines, les Italiens et les Français n’ont certainement pas soutenu les Anglais sans arrière-pensées : une fuite fera opportunément savoir à l’Amérique latine les sentiments partagés que la « suffisance » de ces derniers inspire aux responsables du Quai d’Orsay79. Il n’empêche. L’embargo qu’a décrété la Communauté sera interprété comme une preuve éclatante de solidarité.
76De même, les difficultés économiques doivent aussi être relativisées : elles sont exacerbées par des politiques conjoncturelles d’austérité qui devraient, à la longue, faire sentir leurs effets et le « gap » technologique, le succès d’Ariane comme la maîtrise du cycle nucléaire le rappellent, n’existe que pour certaines technologies, capitales il est vrai. Mais, même pour celles-ci, la conscience du danger peut inciter les dirigeants européens à corriger leurs errements passés. En novembre 1983, en adoptant le principe du programme Esprit80, les responsables européens ne vont-ils pas témoigner de la volonté de mettre en commun leurs ressources informatiques face à la concurrence du Japon et de l’Amérique ?
77Pourtant, beaucoup continuent à douter et de la profondeur de cette volonté et de l’aptitude des gouvernements à impulser des mutations dont la dynamique semble surtout relever d’une puissante capacité d’adaptation aux exigences du marché.
78Beaucoup, aussi, se demandent si les vieux pays seront en mesure d’endiguer la domination croissante des Américains et des Japonais, alors même que les premiers réclament avec insistance une libération des échanges sur les services désormais. Une donnée, en tout cas, ne peut être niée : les Etats-Unis n’éprouvent guère de respect pour l’Europe dans ces années. En 1980, Michel Crozier obtenait, en France, un vif succès avec son ouvrage sur Le mal américain.81 En 1983, c’est le livre que Luigi Barzini consacre aux Européens82 et à leur incapacité à surmonter leurs nationalismes, qui correspond le mieux à l’humeur des Américains.
79« Plus l’Europe s’organisait, remarquera Lawrence Eagleburger, secrétaire d’Etat adjoint, plus elle se révélait repliée sur elle-même, préoccupée par ses propres problèmes, livrée de plus en plus à ses difficultés économiques et plus elle devenait pour nous un partenaire avec qui il était de moins en moins aisé de s’entendre sur les questions de sécurité internationale. »83
80Fait important, les reproches n’épargnent plus les Allemands. Ceux-ci en sont même les cibles privilégiées maintenant. Le temps n’est plus où Schmidt pouvait asséner des sermons à un Carter hésitant. En 1980, le premier sort encore des élections triomphant alors que le second subit un échec cinglant. Mais tout se renverse rapidement. En septembre 1982, c’est le chancelier qui essuie un cruel désaveu. Surtout, alors que l’économie de la RFA connaît des moments délicats, certains Américains soumettent sa puissance à un réexamen critique. Ils se livrent à des comparaisons, peu favorables, avec le Japon. Le perfectionnisme germanique est jugé inadapté à l’accélération des cycles à l’ère informatique. Certains vont même jusqu’à expliquer par son retard technologique l’insistance de l’Allemagne à commercer avec le bloc soviétique.84 Si tous les Américains ne vont pas aussi loin, l’Etat « miraculeux » d’antan paraît toujours plus incertain et enclin à l’apaisement envers le Kremlin.85
81Comme Pierre Hassner le fait remarquer : « L’Alliance peut digérer des tendances pacifistes en Hollande et neutralistes en Grèce, la Grande-Bretagne virant à droite et la France virant à gauche. Là où elle commence vraiment à être en danger, c’est quand les deux pays qui ont, dès le début, été organiquement liés à la structure et à la raison d’être de l’Alliance deviennent incapables de remplir leur fonction..., soit parce qu’ils sont embarqués dans des voies centrifuges, soit parce qu’ils sont devenus incapables de conduire des politiques cohérentes. »86
82Washington devrait pourtant faire preuve de compréhension pour les difficultés de Bonn. D’abord, l’Allemagne ressent, à un niveau exacerbé, les angoisses, l’Angst, des autres alliés : frontstaat, c’est-à- dire Etat de la ligne de front, elle serait immédiatement et dangereusement exposée en cas de guerre ; nation divisée, elle serait obligée de mener cette dernière en priorité contre ceux qui, pour ses enfants, restent avant tout des frères ; pays où, face à un passé discrédité, le modèle américain a longtemps exercé un attrait inégalé, elle doit compter avec une jeunesse parfois tentée de rejeter un Ersatzvaterland pour mieux affirmer son identité. Ensuite, à l’exemple des autres alliés, l’Allemagne est finalement moins neutraliste que par le passé.
83Seulement, et c’est là le plus inquiétant, les unilatéralismes progressent simultanément des deux côtés de l’océan. Du coup, ils s’entretiennent mutuellement. Les « apaisements » que leurs partisans reçoivent de leur propre gouvernement sont autant d’arguments qui poussent leurs homologues à se montrer encore plus intransigeants. En 1982 et 1983, les malentendus atlantiques vont donc s’envenimant, alors qu’arrive l’« heure de vérité » pour le déploiement.
84« Nous sommes au coeur, affirme Richard Burt, l’un des principaux adjoints du secrétaire d’Etat, de ce qui peut être qualifié... de grand débat sur l’essence même de l’Alliance atlantique, – ses objectifs, sa forme, sa structure. 1983 pourrait bien se révéler l’année la plus importante de l’histoire de l’Alliance. »87
85Finalement, tandis qu’aux Etats-Unis, au moins, la « reprise » commence à pointer, l’épreuve sera surmontée. Et la fin de l’année coïncidera avec un apaisement des relations alliées. Celles-ci, d’ailleurs, ont donné des preuves de leur solidité. Quand, le 30 mai 1982, l’OTAN a pu enfin accueillir une Espagne démocratisée. Quand, à Williamsburg, l’insertion du Japon dans l’équation de la sécurité occidentale a avalisé la nouvelle dimension stratégique de la vision trilatérale. Quand l’un des « unilatéralistes » les plus réputés, Caspar Weinberger, a rivalisé avec Haig dans l’affirmation, lors de la crise des Malouines, de son soutien aux Anglais. Quand le Président socialiste français est venu apporter son appui au chancelier allemand sur l’affaire du déploiement.
86Pourtant, si un « calme de surface » est alors restauré, l’Alliance est loin d’avoir colmaté les voies d’eau que 1980 a créées.
Notes de fin
1 – Cité in GOLDSBOROUGH (James Oliver) : Rebel Europe, New York, Macmillan, 1982, p. 1.
2 – Cité in Le Monde, 9 mars 1983.
3 – EAGLEBURGER (Lawrence) : « Les Etats-Unis entre l’Europe et le Pacifique » in PE, 1984, no.1, p. 143.
4 – REVEL (Jean-François) : Comment les démocraties finissent, Paris, Grasset, « Pluriel », 1983, p. 164-165.
5 – Time, 9 mai 1983 .
6 – Time, 28 avril 1980
7 – La facture pétrolière, de l’ordre de 15 milliards de dollars en 1972 et de 50 en 1973, dépasse les 100 milliards en 1980.
8 – GRAPIN (Jacqueline) : Forteresse America, Paris, Grasset, 1984, p. 60.
9 – Dans les années 1970, en effet, on ne prête déjà plus guère aux pauvres, l’aide se concentre dangereusement sur quelques pays. Depuis 1970, 40 % des prêts bancaires et 80 % des prêts américains sont ainsi allés vers le Brésil ou le Mexique. Cf. ARNAUD (Pascal) : La dette du Tiers Monde, Paris, La Découverte, 1984 et RAMSES, 1981, Paris, Economica, 1981, p. 79-89.
10 – Paul Fabra, in Le Monde, 7 juin 1984, cité in GRAPIN (J.) : op. cit., p. 61.
11 – Dans les sept grands pays de l’OCDE, les taux d’intérêt à long terme (i.e. déduction faite du taux d’inflation) sont : entre 2 et 3 % en moyenne de 1965 à 1973, négatifs entre 1973 et 1975, modérément positifs de 1976 à 1980, mais de l’ordre de 7 % à partir de cette année. Cf. BOISSONNAT (Jean) : Journal de Crise, 1973-1984, Paris, JC Lattès, 1984, p. 388.
12 – Time, 9 mai 1983.
13 – Cité par BALL (George) « Reflections on a heavy year » in FA, vol. 59, no.3, p. 484.
14 – USA Document, 30 janvier 1981, p. 4.
15 – BRZEZINSKI (Zbigniew) : Power and Principle, London, Weidenfeld and Nicolson, 1983, p. 429. Voir aussi CARTER (J.) : Mémoires d’un Président, Paris, Plon, 1982, p. 363-364.
16 – ADLER (Kenneth P.) and WERTMAN (Douglas A.) : West European Security Concerns for the Eighties : Is NATO in Trouble ?, communication dactylographiée présentée pour la réunion annuelle, les 28-31 mai 1981, de l’Association américaine pour la recherche en opinion publique.
17 – IHT, 29 novembre 1983.
18 – Time, 19 avril 1982.
19 – Le Monde, 9 juin 1982.
20 – USHIBA (N.), ALLISON (Graham) et DE MONTBRIAL (Thierry) : Sharing International Responsibilities Among the Trilatéral Countries, Commission trilatérale, 1983, p. 2.
21 – Après le deuxième « choc, l’opinion américaine prend conscience du problème : en 1983, les importations sont inférieures de moitié à celles de 1978.
22 – GRAPIN (J.) : op. cit., p. 53.
23 – Republican Platform, Proposed by the Committee on Resolutions to the Republican National Convention, 14 juillet 1980, Detroit, Michigan, p. 51.
24 – IHT, 6 septembre 1983. Diagnostic confirmé par une étude entreprise pour les départements d’Etat, du Commerce et le Trésor à partir de la fin 1982. Cf. CERAMI (Charles A.) : « The case for réflation » in FP, no.60, automne 1985, p. 168- 179.
25 – Voir CRESPI (Leo) : General and Educated Opinions on International Economic Issues in Western Europe and Japan, USIA, 12 septembre 1975, dactylographié, p. 32 et IHT, 7 juin 1984.
26 – IHT, 2 mai 1985.
27 – Voir le numéro de Focus, (ambassade des Etats-Unis) sur « Le commerce international », p. 13.
28 – Time, 10 mai 1983.
29 – IHT, 19 septembre 1983.
30 – THUROW (Lester) : « A world class American economy » in La Revue Tocqueville, vol. VI, no.2, automne 1984, p. 303-304.
31 – Cité in FP, printemps 1983, no.50, p. 125.
32 – Cité in Sharing International Responsibilities, p. 42.
33 – Voir KAPLAN (Lawrence) : The U.S. and NATO. The Formative Years, Lexington, (Kentucky), The U. of Kentucky Press, 1984, p. 130-137.
34 – Cf. The U.S. in World Affairs, 1951, p. 230-231.
35 – Le Monde, 1er-2 août 1982.
36 – Le Monde, 12 mai 1983.
37 – Cité in DEBRAY (Régis) : Les Empires contre l’Europe, Paris, Gallimard, 1985, p. 200. Pour une analyse plus nuancée, voir CARRERE D’ENCAUSSE (Hélène) : Ni paix ni guerre, Paris, Flammarion, 1986, p. 226-227 et p. 300-302.
38 – Cité in NATO Today, A Report to the Committee on Foreign Relations, U.S. Senate, 97th Cong., 2d Sesion, April 1982.
39 – BUNDY (William P.) : « A portentous year » in, FA, Vol. 62, no.3, p. 496, n.16.
40 – In TUCKER (R.) and WRIGLEY (L.), ed. : The Atlantic Alliance and its Critics, New York, Praeger, 1983, p. 67.
41 HAIG (Alexander) : L’Amérique n’est pas une île, Paris, Plon, 1984, p. 246.
42 – West European Security Concerns, p. 4.
43 – Cf. FREEDMAN (Lawrence) : « NATO Myths » in FP, no.48, hivers 1981- 1982, p. 50.
44 – ADLER (Kenneth) and WERTMAN (Douglas) : « Is NATO in trouble ? A survey of European attitudes » in Public Opinion, août-septembre 1981, p. 9.
45 – HOWARD (Michael) : « La défense occidentale dans les années 80 : les conditions d’un consensus » in PE, no.4, décembre 1982, p. 949 et suivantes.
46 – GRAY (Colin S.) and PAYNE (Keith) : « Victory is possible » in FP, no.39, été 1980, p. 14-27.
47 – CLOSE (Général Robert) : Encore un effort... et nous aurons définitivement perdu la troisième Guerre mondiale, Paris, Belfond, 1981 et HACKETT (Sir John) : The Third World War. The Untold S tory, London, Macmillan, 1982.
48 – Voir là-dessus : CRESPI (Léo) : Western European Public Opinion and Western Defense – Better Red than Dead ?, USICA, 3 septembre 1981, dactylographié. Les personnes hostiles sont 71 % en Grande-Bretagne, 76 % en France, 66 % en RFA et 81 % en Italie.
49 – DEBRAY (Régis) : op. cit., p. 58.
50 – HOWARD (Michael) : op. cit., p. 957.
51 – IHT, 29 novembre 1983.
52 – FRUS, 1952-1954, vol. V, Western European Security, p. 451.
53 – BUNDY (McGeorge), KENNAN (George F.), McNAMARA (Robert) and SMITH (Gerald) : « Nuclear weapons and the Atlantic Alliance » in FA, vol. 60, no.4, printemps 1982, p. 753-768.
54 – Références in HOFFMANN (Stanley) : « Cries and whimpers : thoughts on West European-American relations in the 1980s » in Daedalus, été 1984, p. 251, n.16.
55 – Cf. BRZEZINSKI (Z.) : op. cit., p. 451-452.
56 – STONE (Jeremy) : « Presidential first use is unlawful » in FP, no.56, automne 1984, p. 94-112.
57 – Cité in JOFFE (Josef) : « Europe and America : the politics of resentment (cont’d) » in FA, Vol. 61, no.3, p. 577.
58 – Dans un sondage publié au printemps 1979, déjà, 92 % des leaders se disaient favorables à un engagement des troupes américaines en cas d’invasion soviétique en Europe occidentale et 81 % en cas d’invasion du Japon. Pour le public, en général, les chiffres étaient de 53 % et 42 %. Un autre sondage entrepris quatre ans après suggère que les chiffres sont respectivement 92 % et 78 % pour les leaders, 65 % et 51 % pour le public. Cf RIELLY (John E.) : « American opinion : continuity, not Reaganism » in FP, no.50, printemps 1983, p. 86-104.
59 – Cf. NATO After Afghanistan, Report prepared for the Committee on Foreign Affairs, U.S. House of Représentatives, 96th Cong., 2d Sess., 27 octobre 1980, p. 26.
60 – Voir aussi NATO Today : the Alliance in Evolution, A Report to the Committee on Foreign Relations, U.S. Senate, 97th Cong., 2d Sess., Avril 1982, p. 62.
61 – Cité in TUCKER (Robert W.) and WRIGLEY (Linda) : op. cit., p. 123.
62 – Cf. Congressional Quarterly : The 38th Annual Almanach, 97th Cong., 2d Sess., 1982.
63 – Time, 30 juin 1980.
64 – Voir CRESPI (Léo) : Trends in U.S. Standing in West European Public Opinion, USICA, février 1982, dactylographié et CREWE (I.) : « Britain evaluates Ronald Reagan » in Public Opinion, octobre-novembre 1984.
65 – Sauf, évidemment, dans le cas français : cf. « Swinging Pendulum » in IHT, 19 décembre 1984, p. 7.
66 – Alors qu’en mars 1981, la proportion des personnes interrogées affichant une préférence pour la participation à l’OTAN est de l’ordre de 79 % à 95 % pour les plus de cinquante ans, et encore de 61 % à 83 % pour la tranche entre trente-cinq et cinquante ans, elle n’est plus que de 53 % à 64 % pour les dix-huit – trente-quatre ans. Cette (relative) indifférence de la Successor Génération coïncide avec un certain scepticisme pour les institutions des Etats-Unis et pour leur société. Voir : ADLER (K.) and WERTMAN (D.) in Public Opinion, août-septembre 1981, SZABO (Stephen F.) : « The Successor Génération in Europe » in Ibid., février-mars 1983 et The Successor Génération, its Challenges and Responsibilities, The Atlantic Council of the U.S., Policy Paper, janvier 1981.
67 – GOLDSBOROUGH (James Oliver) : op. cit., p. 95-96.
68 – Cité in LELLOUCHE (Pierre) : L’avenir de la guerre, Paris, Mazarine, 1985, note 1 p. 163.
69 – Parmi les ouvrages reflétant cette fascination pour le Japon : OUCHI (William) : Theory Z. How American Business Can Meet the Japanese Challenge, Reading (Mass.), Addison-Wesley Publishing Company, 1981 et PASCALE (Richard T.) and ATHOS (Anthony) : The Art of Japanese Management, New York, Simon and Schuster, 1981.
70 – IHT, 22 novembre 1983.
71 – Cité in Le Monde, 1er août 1980.
72 – GRAPIN (J.) : op. cit., p. 179.
73 – Voir, par exemple, la série d’articles consacrés au problème par Joseph FITCHETT dans l’ IHT, à partir du 28 novembre 1985.
74 – Cf. GOLDSBOROUGH (J.) : op. cit., p. 10.
75 – BOISSONNAT (J.) : op. cit., p. 169.
76 – Ibid., p. 229.
77 – G ROSSER (Alfred) : Affaires extérieures, Paris, Flammarion, 1984, p. 307.
78 – AP, 1982, p. 239.
79 – Le Monde, 16-17 mai 1982.
80 – Programme stratégique européen pour le développement de la technologie de l’information.
81 – Paris, Fayard, 1980.
82 – The Europeans, New York, Simon and Schuster, 1983.
83 – EAGLEBURGER (L.) : op. cit., p. 144.
84 – NUSSBAUM (Bruce) : The World After OU, the Shifting Axis of Power and Wealth, New York, Simon and Schuster, 1983, p. 76-103.
85 – Cf. GIBSON (G. Thomas) : « Dateline Germany : the marred miracle » in FP, no.46, printemps 1983, p. 175-190.
86 – HASSNER (Pierre) : « Plus c’est la même chose, plus ça change » in Etudes internationales, vol. XIII, no.3, septembre 1982, p. 486.
87 – Time, 9 mai 1983. Souligné par nous.
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