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Le Parti social-démocrate suédois et la politique étrangère de la Suède

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Jean-Pierre Mousson-Lestang

Conclusion générale

Conclusion générale

Texte intégral

1Au lieu de reprendre ici systématiquement les conclusions déjà dégagées, nous nous efforcerons plutôt de souligner la signification de la guerre pour le développement du Parti et celle du Parti pour les relations du pays avec le monde extérieur.

2Avant 1914 le S.A.P. ne comptait pas dans la politique nationale. En 1918 il était devenu tout, ou presque. Cette formule volontairement simplificatrice ne trahit cependant pas la réalité historique. Les années de guerre ont été incontestablement les années de croissance et d’émergence politique du parti social-démocrate. Cette réflexion ne concerne pas tant sa croissance numérique, celle de son électorat, du nombre de ses adhérents, de sa représentation parlementaire. Elle voudrait davantage s’attacher à souligner le progès du S.A.P. dans l’opinion, dans l’esprit public, en termes de confiance, de fiabilité, de respectabilité. Cette progression dans les esprits, dans la conscience nationale, si difficile à saisir et à mesurer, apparaît pourtant comme une explication première du passage de ce parti de la situation de marginalité qui était la sienne avant la crise mondiale, à l’exercice du pouvoir, que l’ancienne classe dirigeante se résigna à lui confier quatre ans plus tard.

3Nous avons essayé de montrer comment l’engagement dans le domaine de la politique étrangère et l’attitude à l’égard de la guerre mondiale ont contribué à l’élaboration de cette image nouvelle du Parti, qui se superposa, mais bien progressivement, à l’ancienne.

4Qu’est-ce que la Suède doit au Parti social-démocrate d’alors ? A défaut de preuves irréfutables, dont l’histoire est avare, tant de présomptions entraînent la conviction que, sans les sociaux-démocrates, la Suède eût glissé dans une belligérance à laquelle l’appelait, comme naturellement, le conflit germano-russe. Le S.A.P. fut immédiatement le parti de la résistance à la croisade antirusse, en animant la campagne anti-interventionniste, en mobilisant ses militants et en tenant la rue. Il contribua ainsi puissamment à l’adoption de l’attitude attentiste qui fut celle de la Suède officielle. Il eut surtout la chance d’avoir bientôt raison contre la très grande majorité de l’opinion convaincue, pour le moins, du succès des armes allemandes.

  • 1 Agne Gustafsson, op. cit., p. 254.
  • 2 in Hjalmar Branting. H.B. tillägnas denna skrift från vänner och medarbetare den 23.11.1920. Stockh (...)

5Qui fut responsable de l’engagement du Parti, sinon Branting ? On a pu se demander1 si ce dernier en conduisit l’évolution ou s’il fut entraîné par elle. Lorsqu’il s’agit de la politique étrangère, pendant ces quatre années, la réponse doit être : Branting conduisit l’évolution. On serait même tenté d’écrire que non seulement il la conduisit, mais qu’il reçut tacitement une sorte de délégation permanente de la part de son Parti. Faut-il rappeler que la Suède de 1914 était un pays périphérique à l’Europe, presque extraeuropéen ? Devant le conflit des alliances continentales le Parti social-démocrate, dans ses couches profondes se trouva totalement démuni, sans expérience du monde, sans tradition de politique extérieure. Ce que l’on peut savoir des discussions internes du S.A.P. montre que dans les instances inférieures la politique étrangère ne fut que rarement concernée, et que dans les instances supérieures deux thèmes occupèrent la quasi totalité d’un débat somme toute assez laconique : le maintien de la neutralité, l’obtention de meilleures conditions économiques de la part des belligérants. Pour le reste – que nous soit pardonnée une formule ici encore volontairement simplificatrice – Branting opéra comme une sorte de "joker". Il le fit, à l’intérieur, en menant, par exemple, avec Wallenberg en 1915-16 ou avec Gustave V en 1918, un dialogue particulier dont il ne semble pas avoir rendu compte à son Parti. Il le fit surtout à l’extérieur en se rendant à plusieurs reprises dans les pays belligérants où il fut le témoin des grands événements du temps à Pétrograd en avril 1917, sur le front de France en juillet 1918. Mais il y fut aussi une sorte d’ambassadeur officieux de son pays, sinon de son gouvernement. Il servit ainsi sa patrie et son parti de deux manières. Il la (les) servit d’abord grâce aux informations qu’il apportait. L’expérience des faits et la connaissance des hommes acquises sur le "continent" contribuèrent en retour à nourrir la confiance dont il bénéficiait de la part de son Parti. Mais il les servit aussi en sauvant, presque seul, le pays du discrédit dans lequel ce dernier était tombé aux yeux des démocraties bientôt victorieuses. Comme l’écrivit peu après Gustav Möller, il réussit à "neutraliser les effets de l’aveuglement germanique des classes dirigeantes"2. Lors du règlement final de la guerre mondiale, Branting devait ainsi apparaître comme le protecteur, sinon le rédempteur de son pays.

6Branting fut-il partisan et a-til compromis son Parti avant que la victoire des Alliés ne vînt justifier l’apparente pertinence de son engagement. Non. Car malgré la sympathie qu’il éprouvait pour les régimes politiques destinés à triompher avec la victoire de l’Entente, il ne cessa jamais de lutter pour la victoire du droit et de la justice. Il tira ainsi son Parti sur la voie des exigences les plus élevées. Ce qui frappe c’est la cohérence et la continuité de cette attitude. Il ne cessa de dénoncer l’Allemagne impériale, ses brutalités, son mépris du droit, sa volonté annexionniste et la si décevante complicité des majoritaires. Mais aussi, très tôt, il estima peu souhaitable une victoire totale de l’Entente, avec les tentations qu’elle apporterait Sa réprobation de certaines des conditions de l’armistice, jugées injustes et inhumaines, témoigne de sa hauteur de vue, même si cette dernière ne fut pas toujours comprise du dehors. Une même volonté apparaît aussi dans ses relations avec la Russie nouvelle. Sans doute n’échappa-t-il jamais tout à fait à l’inquiétude séculaire des Suédois à l’égard de leurs puissants et nombreux voisins. Mais il fut un des premiers à se rendre dans leur pays, tandis que la presse de son Parti saluait la révolution russe comme un événement de l’importance de la révolution française. Ce fut un enthousiasme éphémère, et, sans illusion sur le compte de Lénine, Branting devint bientôt un des principaux adversaires des bolchéviques.

  • 3 op. cit., ibid.
  • 4 Et malgré tout son crédit, échouer. Sur les raisons de cet échec, a priori surprenant, une thèse pr (...)

7Enfin les sociaux-démocrates surent s’associer aux autres partis, lorsque ces derniers défendaient une cause ou des objectifs nationaux qui semblaient justes et légitimes. Ce fut le cas dans nombre de conflits commerciaux dont la Suède fut victime pendant la guerre, quel que fût son adversaire. Ce fut aussi le cas lors de l’éventuel rattachement d’Åland à la Suède. Les sociaux-démocrates le firent cependant avec prudence. La priorité restait d’éviter la guerre. Abandonnant les visions utopiques et le vocabulaire révolutionnaire de l’avant-guerre, les sociaux-démocrates durent sans doute à une meilleure connaissance des dossiers de politique extérieure de mieux s’intégrer à la communauté nationale. Comme l’a fait justement remarquer Gustav Möller3, Branting, considéré comme un véritable traître lors de la crise norvégienne de 1905, allait devenir l’espoir de la nation de 1919 à 1921, pour l’accomplissement des aspirations suédo-ålandaises4.

8En somme ce fut quand la politique préconisée par les sociaux-démocrates put s’affirmer le plus clairement, notamment à partir du moment où ils partagèrent le pouvoir, qu’elle fut le mieux acceptée, parce que mieux acceptable. Sans doute l’unique issue, de plus en plus probable, de la guerre à partir de 1917 restreignait-elle le champ de divergence de la politique extérieure suédoise.

9Mais ce fut aussi le moment où les deux objectifs des sociaux-démocrates s’étaient le plus rapprochés. La question de l’archipel d’Åland est, à cet égard, exemplaire.

10Les sociaux-démocrates ont-ils eu, enfin, une "doctrine" de politique étrangère au cours de ces années ? Ce que l’on retient d’abord, c’est l’impréparation et l’imprécision des concepts. Ce sont les événéments, seuls, qui ont permis au parti de faire le point de son propre programme. La ligne constante de cette politique étrangère a été celle de la neutralité armée, sans remise en cause du compromis de 1914, mais avec la volonté de maintenir les dépenses militaires aussi basses que possible et l’espoir de réviser la loi de septembre 1914 dès la fin de la guerre. La politique de la paix à tout prix a été très tôt déclarée "insoutenable" par Branting et le S.A.P. a donné de nombreux gages de sa volonté de résister à une guerre d’agression menée contre la Suède. L’opposition intraitable à toute aventure, la dénonciation de l’activisme sous tous ses masques, la volonté permanente de rapprochement avec les autres Scandinaves, ont été les moteurs principaux du refus de la guerre.

11Au-delà se sont développés l’engagement pour une paix du Droit et l’action de défense des intérêts nationaux.

  • 5 Stockholm. R.A.E. Palmstiernas Arkiv. Branting à Palmstierna, 13.4.1919.
  • 6 Ibid. Branting à Palmstierna, 21.4.1919.

12Au printemps 1919, délégué suédois à la Conférence de la Paix, Branting put mesurer que ni le retour à la paix, ni la victoire des principes démocratiques ne suffisaient à chasser "l’ancien esprit". Les "quatre" perpétuaient la diplomatie secrète, la Société des Nations semblait moins importante que les règlements de compte nationaux, les bolchéviques marquaient des points5. Wilson, dans lequel s’étaient incarnées toutes les espérances des sociaux-démocrates suédois, fut pour Branting une énorme déception, en raison de son "idéalisme doctrinaire combiné à une très réaliste volonté d’exploitation au profit des intérêts américains"6. Malgré tout son prestige, encore accru par sa présidence de la Conférence de Berne au début de février, Branting commençait à faire, dans une situation de responsabilité, la difficile expérience de la grande politique européenne.

Notes

1 Agne Gustafsson, op. cit., p. 254.

2 in Hjalmar Branting. H.B. tillägnas denna skrift från vänner och medarbetare den 23.11.1920. Stockholm, 1920, p. 19.

3 op. cit., ibid.

4 Et malgré tout son crédit, échouer. Sur les raisons de cet échec, a priori surprenant, une thèse prochaine viendra nous éclairer : Torbjöm Norman, Sverige i Folkens Förbund. Studier i svensk N.F. politik under 1920 talet (La Suède à la Société des Nations. Études sur la politique suédoise à la S.D.N. au cours des années 20).

5 Stockholm. R.A.E. Palmstiernas Arkiv. Branting à Palmstierna, 13.4.1919.

6 Ibid. Branting à Palmstierna, 21.4.1919.

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