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Le Parti social-démocrate suédois et la politique étrangère de la Suède

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Jean-Pierre Mousson-Lestang

Conclusions III et IV

Vers une politique étrangère réaliste. pour la Paix démocratique

Texte intégral

1L’hiver 1916-17 apporta aux sociaux-démocrates suédois la quasi certitude que la Suède ne serait pas "piétinée" par les belligérants comme l’avaient été plusieurs Neutres. L’échec des Allemands à Verdun puis leur rupture avec l’Amérique éteignait l’espoir de ceux qui souhaitaient la belligérance de la Suède, et seules la guerre sous-marine à outrance puis la défection russe vinrent le raviver un moment

2Mais, paraxodalement peut-être, cet affaiblissement de la pression militaire pesant sur la Suède s’accompagna d’une intensification des pressions économiques. Ayant échappé au conflit armé, elle se trouva de plus frappée par la guerre d’extermination menée contre l’Allemagne par le blocus des Alliés et de leur associé.

3Plus que jamais le S.A.P. se lança dans la lutte pour la paix. Mais ayant choisi la voie du neutralisme armé il ne fut pas le défenseur d’un pacifisme à tout prix. Les réserves de Branting devant le projet de "paix sans victoire" du Président Wilson le 22 janvier 1918 s’accompagnèrent des réserves des sociauxdémocrates à l’égard d’un Congrès socialiste international réuni trop tôt, à un moment où l’Allemagne prisonnière de ses victoires n’avait manifestement pas renoncé à sa volonté annexionniste.

4L’intensification de la guerre sous-marine allemande et l’aggravation des effets qu’elle entraîna pour la Suède donnèrent plus de hardiesse à l’opposition sociale démocrate. Elle se fit plus pressante pour obtenir du gouvernement Hammarskjöld qu’il s’engageât dans la négociation commerciale avec Londres avec une véritable volonté d’aboutir. Le refus des crédits militaires, le 3 mars 1917, ne fut sans doute que le prétexte qui permit de mettre à bas le ministère et de commencer à opérer une réorientation de la politique étrangère du pays, et en particulier de sa politique commerciale. S’il réussit à donner ce courage au parti libéral, le S.A.P. le dut largement à Hammarskjöld lui-même, trop sûr de lui, trop peu soucieux du Parlement, au point de taire qu’il obtenait de Zimmermann l’acceptation de l’accord de navigation anglo-suédois. Mais il joua incontestablement, et pour des raisons de politique étrangère, un rôle décisif dans la crise de mars 1917. S’il ne chercha pas alors à recueillir le pouvoir c’est d’abord que les esprits n’étaient pas suffisamment mûrs, et les enseignements de la guerre pas suffisamment clairs. C’est ensuite que la proximité des élections de septembre déconseillait la précipitation, alors que le front de combat réalisé avec les Libéraux demandait à être consolidé. Le Congrès du S.A.P. en février, triomphal pour Branting, en éliminant les nihilistes, contribua fortement à le faire.

5La révolution russe de mars révèle bien la stratégie de paix de Branting. Il lutta de toute son influence contre la paix séparée, s’efforçant au contraire d’obtenir la révision des buts de guerre, seul moyen d’offrir au monde la paix démocratique et socialiste. La période de troubles et de désordres, suscitée par la disette et par l’exemple russe, eût pu devenir véritablement révolutionnaire si le S.A.P. et la L.O. n’avaient pas opté pour la conquête du pouvoir par le suffrage, non par la grève et l’émeute. L’alternative qui était alors possible, le front commun avec les socialistes de gauche et avec les "syndicalistes" ne fut pas envisagée un seul instant Le mouvement fut canalisé avec beaucoup de maîtrise vers la réforme constitutionnelle, ce qui permettait le maintien de la nécessaire alliance avec le parti libéral. Le relâchement des tensions permit au S.A.P. de s’engager alors à fond dans la campagne électorale, et simultanément dans l’action pour la paix. Si Branting consentit à la "Conférence socialiste internationale de Stockholm" ce fut à la condition que tous les pays y fussent représentés et que la question des responsabilités et des buts de guerre y fût discutée. Le mémorandum des majoritaires allemands de juin, puis le refus des passeports aux socialistes alliés furent une profonde déception pour les sociaux-démocrates suédois. La stratégie des "Conférences séparées" n’aboutit qu’au "projet de programme de paix" du 10 octobre qu’il semblait encore difficile de faire admettre aux belligérants. La campagne électorale fut très largement consacrée au débat de politique étrangère voulu par Branting. Ce dernier devenu pour les conservateurs "l’homme le plus dangereux de Suède" engagea totalement son parti en faveur de la conclusion d’un accord avec l’Ouest, que le durcissement des mesures de contrôle américaines rendait, à ses yeux, urgent Mais il ne le fit pas sans quelques écarts, lors de l’affaire des "bombes de Kristiania", par exemple, immédiatement générateurs de tensions avec les Libéraux et menaçant le fragile consensus de politique étrangère qui semblait s’esquisser. Branting cependant réussit à convaincre qu’il n’était ni un "activiste de l’Entente" ni un Venizelos suédois et s’il conduisit son parti au succès électoral de septembre 1917 ce fut en grande partie parce qu’il sut donner suffisamment de cohérence et de crédibilité à son projet de politique extérieure. Il faut s’interroger alors sur les raisons qui conduisirent la classe politique dirigeante à renoncer au "ministère de combat" ou au gouvernement de coalition nationale que préconisaient certains. D’abord, sans doute, ce fut que dans la combinaison Edén-Branting la prudence tout nationale des Libéraux équilibrait à ses yeux les doutes que l’on pouvait encore avoir sur l’impulsion que les sociaux-démocrates cherchaient à donner à la politique étrangère. Mais ce fut surtout que Branting, auquel le cours des événements mondiaux donnait raison, était devenu pour la Suède une carte maîtresse dans ses relations avec les démocraties de l’Ouest. Il émergeait du discrédit dans lequel les forces et le parti qui avaient gouverné depuis 1914 avaient plongé le pays.

6Largement porté au pouvoir par la politique extérieure le S.A.P. dut sans tarder affronter de pressantes questions qui se posaient aux frontières mêmes du pays. Sans doute n’avait-il pas la responsabilité directe de la Chancellerie et du Ministère des Affaires Étrangères, mais sans sa caution aucune politique extérieure n’eût été possible. La première épreuve à laquelle le nouveau pouvoir fut soumis, dès la fin Octobre 1917, fut sans aucun doute la plus difficile à surmonter : car comment rester insensible aux voeux de la population de l’Archipel d’Åland, arrachée naguère par la force, mais restée suédoise par le coeur et par la langue ? Peut-être fut-ce l’initiative de l’Allemagne envisageant pour des raisons de stratégie générale une opération contre Åland, mais proposant d’en confier l’administration à la Suède, qui condamna les sociaux-démocrates à la timidité qui fut la leur. Les autres raisons : la crainte de se couper des puissances de l’Ouest, celle d’avoir à rendre compte un jour à une Russie retrouvée, semblent moins convaincantes. En se rabattant sur une politique de neutralisation de l’archipel, le gouvernement laissa probablement passer une chance historique de recouvrer une population dont le choix était pourtant porté par le puissant élan du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il est vrai que son appréciation de ce problème fut longtemps hypothéquée par la volonté de ménager la jeune Finlande dont il convenait de faire un État "Scandinave". Il est vrai aussi qu’il ne put jamais véritablement concilier une politique favorable au rattachement à la Suède de l’archipel et une politique de soutien à la Finlande.

7Le soutien à la Finlande... Il faut bien avouer que l’évolution de la situation politique en Finlande rendit difficile le développement d’une politique cohérente de la part du gouvernement suédois. En toute logique les sociauxdémocrates suédois auraient dû soutenir Manner, Sirola et leurs camarades socialistes. Mais tout dans leurs propres choix et dans leur propre comportement les conduisait naturellement à réprouver un soulèvement dont ils contestaient et l’opportunité et la légitimité. La collusion, réelle ou supposée, des socialistes avec les gardes rouges et avec les bolchéviques russes ne fit qu’aggraver les choses. Bien que le gouvernement blanc de Vasa fût, lui, légitime, Branting imposa une politique de prudence et de triple refus : pas d’intervention, pas d’exportation d’armes, pas de transit. Les sociaux-démocrates suédois qui ne voulaient ni d’une intervention suédoise, ni d’une intervention allemande, misèrent sur une politique totalement irréaliste de médiation suédoise. "L’expédition humanitaire" de Palmstierna dans l’archipel d’Åland témoignait de plus d’audace, mais son succès, incontestable au début, tourna court devant le débarquement allemand. De plus en plus inquiets de l’orientation germanophile du gouvernement de Vasa, qui reposait brutalement le problème de la valeur stratégique d’Åland, les sociaux-démocrates se cantonnèrent sur des positions moyennes : faire de l’archipel une zone neutre garantie par les puissances, reporter au règlement de paix final la revendication de souveraineté suédoise. La prudence des sociaux-démocrates à l’Est, permit, en un sens, plus de fermeté et de résolution à l’ouest ; d’abord avec les Scandinaves. Sans aller jusqu’à cette "nouvelle Union" que Gustave V avait appelée de ses voeux à Kristiania le 27 novembre 1917, les relations entre les trois États voisins s’améliorèrent considérablement Ainsi était satisfait un souci des sociaux-démocrates constant depuis 1914. Ensuite avec les Britanniques. Toute forme de collaboration des Suédois avec l’Allemagne, fût-ce pour combattre le bolchévisme, aurait certainement alors retardé, voire empêché les résultats atteints par la diplomatie suédoise en janvier (modus vivendi) et en mai (Grand Accord de Commerce). Ces derniers, accomplissement de l’action inlassable menée par les sociauxdémocrates depuis des mois, arrivaient à l’heure : rien n’allait plus au cours du premier trimestre 1918, en raison du brutal renchérissement des produits alimentaires.

8 Mais c’était déjà trop tard ! La volonté politique ne pesait rien devant la rigueur des mécanismes économiques et commerciaux : les bénéfices de l’accord de mai 1918 ne purent véritablement être cueillis avant la fin de la guerre mondiale. Il fallut rationner encore, et plus. Le pays connut de nouvelles vagues de détresse et de protestations. Mais les sociaux-démocrates ne pouvaient appeler des mesures trop radicales, sauf à rompre l’unité d’action avec les Libéraux, et à ouvrir une crise politique.

9Or, pour des raisons de politique étrangère, une crise politique à l’automne 1918 était inconcevable. Malgré quelques apparences de bonne volonté, les relations avec la Finlande, de plus en plus germanisée, demeuraient tendues et incertaines. Malgré le début d’une négociation tripartite sur la démolition des fortifications d’Åland, une insurmontable méfiance séparait toujours les deux Êtats. Mais ce conflit des deux nationalismes n’était pas l’essentiel : l’essentiel était la montée de la perception du danger bolchévique, danger suédois, danger européen. Les sociaux-démocrates suédois s’estimaient mieux placés que quiconque pour donner l’alarme. C’est ainsi que Branting, pendant toute la négociation de Brest-Litovsk, dut lutter de toutes ses forces pour que l’Internationale ne se mît pas au service "de la paix séparée de Lénine". C’est ainsi encore que le Parti social-démocrate soutint, dans le courant de l’été, le projet d’envoi d’une Commission internationale d’enquête en Russie. C’est ainsi enfin que Branting se montra favorable à l’invitation faite à la Suède par les Alliés d’intervenir dans les pays baltes. Seul le refus allemand, interdisant le "double mandat", le fit renoncer à ce projet extraordinaire.

10Sans prétendre que les sociaux-démocrates aient alors aventuré la neutralité suédoise, on doit constater que Branting et ses proches ont alors donné un caractère nettement plus "positif" à la politique extérieure. Trois objectifs répondirent de cette dynamisation : participer au barrage contre le bolchévisme, contribuer à l’ordre international de la prochaine Société des Nations, jouer à nouveau un rôle dans l’histoire européenne.

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