Le Parti social-démocrate suédois et la politique étrangère de la Suède
|Deuxième partie. La garde de la neutralité (janvier 1915 – octobre 1916)
La menace activiste du printemps à l’automne 1915
Texte intégral
Le S.A.P. et la situation extérieure de la Suède à l’heure de l’offensive allemande à l’Est
- 1 Sur ce sujet on ne peut disposer que de l’étude de Mats Kihlberg, Aktivismens Huvudorgan Svensk Lös (...)
1L’histoire de l’activisme suédois en 1915-1916 n’a pas été écrite, et on peut se demander si elle le sera jamais1. Les historiens suédois, pour la plupart, n’ont cessé de répéter que l’activisme avait été le fait d’une minorité, ce qui est indéniable, et que le péril réel encouru par le pays avait été négligeable, ce qui est plus douteux. Si on entend par activisme l’action, ouverte ou occulte, de ceux qui voyaient dans la guerre européenne l’occasion, pour la Suède, de mener une politique étrangère "active", propre à donner au pays des avantages que ne lui aurait pas apportés, à l’évidence, le respect strict de la neutralité, notamment en monnayant cette même neutralité hâtivement proclamée en août 1914 sans aucune contre-partie, alors il est certain que cette "minorité" n’a pas été si étroite, et qu’une partie de l’opinion, au moins tacitement, lui était ralliée. Si on entend par activisme la volonté de combattre avec l’Allemagne, à l’Est, d’y retrouver la route des "grands souvenirs", et d’en finir une bonne fois avec le "danger russe", alors on ne peut nier que cette attitude n’a été le fait que de groupes assez restreints d’officiers et d’intellectuels. Quoi qu’il en soit, le mouvement n’a valu que par l’audience qu’il a pu rencontrer. Excroissance du nationalisme, il n’était que naturel que ce fût dans le Parti Conservateur et dans la classe politique de la droite que cette audience fût la plus forte.
- 2 En tout cas la lecture de sa presse autorise à s’en convaincre.
2Or, les frontières entre la droite et l’activisme sont restées longtemps imprécises malgré telle ou telle déclaration. Dans l’ensemble, le parti gouvernemental a longtemps souhaité la victoire de l’Allemagne2, mais la conscience du possible, la crainte, le souci de trouver en Suède même l’inspiration d’un renouveau, l’ont probablement empêché d’épouser dans sa majorité les thèses de l’activisme.
- 3 "Voilà le sort qu’on nous réservait à nous", déclare à Nekludov un membre du Parti Conservateur sué (...)
- 4 Socialdemokraten, 23.2.1915, "Catastrophe russe aux lacs mazures".
- 5 Le port de Libau en Courlande, face à Gotland, avait été pris dès le 7 mai 1915, et, Windau à la co (...)
- 6 Aftonbladet, 19.08.1915. Pahnstierna, op. cit., II, p. 116, J.O., Söderhjelm, op. cit., p. 123. Sta (...)
- 7 Épuisement des combattants en ligne depuis 5 mois, difficulté des communications en automne, approc (...)
3Pourtant, en 1915, le sort des armes semblait soudain à nouveau favorable aux vainqueurs de Tannenberg. Certes, l’année avait commencé par d’appréciables succès pour les Russes : l’offensive en Galicie et la prise de Przemysl, les succès de Youdenich face aux Turcs dans le Caucase avaient ravivé des "terreurs anciennes"3.. De plus, à la lisière de monde Scandinave, le Russe campait en terre allemande, aux abords des lacs Mazoviens, devant Lötzen. A la fin du mois de janvier, Nicolas II avait pu faire un voyage triomphal à Lvow. Mais le 8 février 1915 la VIIIème armée allemande (Von Below) et la Xème (Von Eichhorn) passaient soudainement à l’offensive. Von Below perçait le front russe dans les landes de Johannisburg et poussait rapidement jusqu’à Augustowo. Plus au Nord, Von Eichhorn écrasait l’aile droite russe près d’Insterburg puis faisait la jonction avec la VIIIème armée aux abords de Grodno. La quasi totalité de la Xème armée russe (4 divisions) fut faite prisonnière. Les succès allemands dans cette bataille "des lacs mazures" fit une profonde impression en Suède4. Pourtant, lorsqu’en mars le Grand Duc Nicolas passa à son tour à l’offensive en Prusse orientale, dans la région de Przasniz, on ne put manquer d’observer que sur le plan stratégique les buts allemands n’avaient pas été atteints. L’armée russe avait certes été battue mais sa capacité d’offensive était loin d’être détruite. En fait, ce fut le second assaut allemand, de mai à août, qui vint soutenir plus durablement l’agitation activiste en Suède, Il convient de rappeler ici que le G.Q.G. allemand développa un triple mouvement contre les forces russes. Au Sud, sur le front Gorlice – Tarnow, la percée amorcée le 2 mai entraînait le 3 juin la chute de Przemsl et, le 23, celle de Lemberg. Au centre le saillant de Varsovie fût attaqué en juillet. Le août 1915 les Russes étaient contraints d’évacuer la ville. Le 26, l’armée allemande entrait à Brest-Litowsk. Le 5 septembre c’était la chute de Grodno. Au Nord, enfin, Hindenburg, en désaccord stratégique avec Falkenhayn, avait pris sur lui, de mener, avec des forces plutôt réduites, une action contre Kowno qu’il enleva d’ailleurs le 18 août. Sur son flanc gauche, l’armée du Niemen s’était avancée jusqu’à Mitau, qui était tombée le 1er août5. Simultanément, la flotte allemande attaquait les îles de Dagö et Ösel qui ferment le golfe de Riga. Elle allait jusqu’à bombarder Utö, dans l’archipel d’Åbo6 ; en Finlande même ! Au début du mois de septembre, la Xème armée s’avança en Lithuanie entre Dunaburg et Vilna, qui fut prise le 19, et arriva jusqu’à Smorgoni, mais, à la fin septembre, l’offensive allemande victorieuse depuis mai, commença à marquer le pas7.
4La série des succès allemands du printemps à l’automne 1915, et notamment les progrès rapides de ses armées en bordure de la Baltique du Niemen au Golfe de Riga, ne pouvait manquer d’influencer l’opinion suédoise. Sans eux le redoublement d’énergie de l’activisme suédois et, en conséquence, l’intensification de la résistance que lui opposèrent alors les forces qui se refusaient à toute aventure pour la Suède, se comprendraient moins bien.
- 8 Herman Gummerus, Jägare och aklivister, Helsingfors, 1927, p. 93.
- 9 Principalement dans la jeunesse universitaire (cf. T. Gihl, op. cit., p. 110).
- 10 Voir, p. 160.
- 11 Stockholm, S.A.P., Verkställande utskottetsprotokoll, 22.3.1915.
- 12 Socialdemokraten, 1.3.1915.
- 13 E. Palmstierna, op. cit., 2, p. 109.
5Pourtant, pour entraîner la Suède dans le conflit il eût fallu beaucoup plus que ces défaites russes : il eût fallu que "quelque chose se passât en Finlande"8. Depuis que s’était ouvert le conflit russo-allemand un parti activiste s’y était développé9 dont le but était d’arracher l’indépendance du pays au maître russe avec un concours extérieur qui ne pouvait être que suédois ou allemand. Dans cette conspiration l’activisme finlandais et l’activisme suédois se rejoignaient. En Finlande même, l’unanimité ne s’était pas faite sur la nécessité de profiter de la conjoncture pour donner au pays une indépendance que seule, par ailleurs, une insurrection nationale pouvait apporter. Une partie de l’opinion finlandaise redoutait tout séparatisme, soit qu’elle eût confiance et crût au retour progressif vers le statut d’autonomie du Grand Duché, soit qu’elle redoutât la pratique de la protection allemande, soit enfin qu’elle considérât que son maintien dans l’Empire russe était la meilleure garantie contre l’établissement d’une domination suédoise. Affectivement, au moins, la nation suédoise était dans son immense majorité pour la libération de la Finlande d’une domination que la "deuxième russification" avait encore rendue plus impopulaire. Mais, sans doute, beaucoup se fussent contentés d’une autonomie dont l’acquisition n’eût pas menacé la neutralité suédoise. A cet égard l’attitude du Parti Social-démocrate était alors particulièrement délicate. Il restait fondamentalement opposé au Tsarisme et à son administration oppressive du Grand Duché. Il protesta vivement, au printemps, quand cinq députés socialistes de la Douma, coupables d’avoir rédigé un rapport pour la Conférence de Copenhague10 furent déportés en Sibérie11. Mais la Russie était l’alliée des démocraties occidentales. Espérer, sinon souhaiter, la victoire de l’Entente, tout en espérant et en souhaitant le renversement de l’autocratie russe, ce fut bien alors le drame de Branting. On comprend, dès lors, qu’il se soit tourné vers les gouvernements d’Europe occidentale "dans lesquels siègent des Socialistes" pour qu’ils fissent savoir à leur allié russe "qu’il devait réviser une politique qui était un défi permanent au sentiment de justice de tous les peuples civilisés"12. De plus, il ne semble pas que Branting, quelque sympathie qu’il éprouvât pour la cause finlandaise, fût disposé à s’engager en sa faveur au-delà de la promesse d’une action diplomatique de la Suède, lors du règlement de paix13.
- 14 Cf. Rafaël Erich, La Question de Finlande, Nederlandsche Anti-Oorlog Raad, capita selecta, n° 4, La (...)
- 15 Selon L. Puntila, Hisoire politique de la Finlande de 1809 à 1955, Neuchâtel, 1966, p. 125, alors q (...)
- 16 Hermann Gummerus, op. cit., p. 153.
- 17 Id., pp. 56-57 ; cf. aussi Y.O. Ruuth, Självständighets-politik och Jägarerörelsens uppkomst", Hels (...)
- 18 Finlands öde och Sveriges Trygghet ett ord från Finland, Stockholm 1915.
- 19 E. Palmstierna, op. cit., p. 99.
- 20 H. Gummerus, op. cit., pp. 29-42 ; Walter Hom : Jägarbataljonen, 27, p. 42 ; Kai Donner, Finlands F (...)
- 21 Runar Appelberg, Pehr Norrmén, Ragnar Numelin, Rolf Piping, O. Ruuth, Yrjö Somersalo, V.E. Tiiri, H (...)
- 22 Palmstierna, op. cit., p. 90. Il commente ainsi cette démarche : "mettre en jeu l’existence de la S (...)
- 23 L. Puntila, op. cit., p. 131.
- 24 Prévu pour 200 jeunes Finlandais, le camp de Lockstedt devait finalement instruire pendant 3 ans 2 (...)
- 25 Bonn, A.A., Weltkrieg II C Geheim, Kriegsministerium, A.A., 26.1.1915.
6Or, en Finlande, depuis qu’en Novembre 1914 un vaste programme de russification14 avait été rendu public, l’ancienne tactique de la résistance passive était de plus en plus délaissée15. L’idée de l’insurrection faisait en 1915 des progrès dans tous les milieux sociaux. Les principaux chefs de la Social-démocratie finlandaise, Yrjö Mäkelin, O. Tokoi, K. Wiik s’y étaient ralliés16. Or, sans aide extérieure les chances d’une telle insurrection demeuraient réduites. Très tôt des émissaires furent envoyés en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et dans les pays Scandinaves. Dès octobre 1914, des étudiants finlandais résidant en Suède s’étaient informés des possibilités d’y recevoir une instruction militaire17. En vain. Restait donc l’Allemagne. Que la Social-démocratie finalandaise se fût, dans le courant de 1915, peu à peu ralliée, ou du moins résignée, aux nécessités de l’insurrection nationale et du concours allemand, plaçait évidemment Branting et son Parti dans une situation difficile. Il en fût de même quand, au début 1915, Eirik Hornborg publia à Stockholm un appel à la Suède intitulé "le Destin de la Finlande et la sécurité suédoise"18. Hornborg y affirmait que la russification de la Finlande n’était qu’une étape de l’expansion russe vers l’Ouest, et que, pour sa propre sécurité, la Suède devait concourir à rétablir l’autonomie du Grand Duché. Pour y parvenir, nul besoin d’entrer en guerre contre la Russie : une neutralité "active" faite de pressions politiques, militaires et commerciales y suffirait certainement, selon lui. Une telle politique pouvait rencontrer un certain écho dans la Social-démocratie suédoise, à la fois favorable à la neutralité de la Suède et à l’autonomie de la Finlande19. Mais, objectivement, elle se confondait avec la politique allemande. Cruel dilemne pour Branting et ses amis ! Pendant que le Parti se cantonnait dans cette attitude réservée, la conspiration de l’activisme finlandais se développait à Berlin et à Stockholm. A Berlin, dès Novembre 1914, s’était constitué un "comité finlandais" à l’initiative d’un magistrat d’Helsinki, Fredrik Wetterhoff. Il y fût décidé de donner une instruction militaire aux jeunes Finlandais résidant en Allemagne, et "à ceux qui viendraient à s’y trouver20. En décembre 1914, le "Comité secret étudiant" d’Helsinki avait envoyé à Stockholm deux de ses représentants, Bertil Paulig et Walter Horn, qui en compagnie d’Hermann Gummerus s’étaient adressés à l’Attaché militaire allemand, Von Aweyden, pour obtenir des armes, et la possibilité de faire instruire en Allemagne 150 à 200 étudiants finlandais. A la fin décembre, huit nouveaux émissaires furent envoyés à Stockholm par le "Comité secret étudiant"21. Le but était, comme l’un d’eux, P. Norrmén, le déclara à Palmstierna, de faire savoir que "si la Suède intervenait dans la guerre, l’insurrection contre la Russie éclaterait immédiatement en Finlande22. A la fin de Janvier 1915 les jeunes activistes finlandais regagnèrent leur pays, ayant constaté que dans l’immédiat il était impossible de compter sur un appui suédois, et que l’Allemagne était bien leur seule chance23. Le 1er février 1915 était décidée la formation du camp d’instruction de Lockstedt, aux environs de Hambourg24. Cette décision avait été prise à la suite d’une réunion tenue à Berlin entre des représentants du Ministère de la Guerre, de l’État-Major et de la Wilhelmstrasse, au cours de laquelle il avait été convenu que les jeunes volontaires finlandais seraient formés pour "des actions de sabotage et de guérilla25. Parallèlement un officier allemand avait été envoyé en Suède dans le but d’y acquérir environ 40 000 fusils pour le compte des Finlandais.
- 26 W. Carlgren, Neutralilät oder Allianz, Deutschlands Beziehungen zu Schweden in den Anfangsjahren de (...)
- 27 En français dans le texte. On sait que cet article exerça une forte influence sur le socialiste Ott (...)
- 28 Die Ideen von 1914, publié en allemand, Leipzig, 1915, cf. Le C.R. de Hermann Oncken dans Zeitschri (...)
- 29 Nekludov, op. cit., pp. 140-142.
- 30 Dagen, 1.12.1914.
- 31 J.O. Södemjelm, Démilitarisation et neutralisation des îles Åland, Helsinki, 1928, p. 123.
- 32 Mais le Socialdemokraten ne dit mot.
- 33 Stockholm, R.A., U.D., 1 0. 34, vol. 83, Wallenberg à Nekludov, 2.1.1915.
- 34 Ibid. Nekludov à Wallenberg, 8.1.1915.
7De son côté, Bethmann-Hollweg obtenait un crédit de 100 000 marks pour entretenir "l’agitation en Finlande"26. L’activisme finlandais pouvait donc escompter une aide importante de l’Allemagne, sans que pour autant cette dernière songeât à ouvrir un nouveau front dans le Nord. Il cherchait simultanément à Stockholm à mobiliser l’opinion suédoise avec l’aide des activistes suédois qui, au début 1915, se manifestaient par des écrits de combat. Adrian Molin publiait dans "Det Nya Sverige" un article retentissant intitulé "Forte ou faible neutralité", dans lequel il affirmait qu’une neutralité forte était celle qui connaissait sa limite, et que la neutralité n’avait un rôle qu’aussi longtemps qu’elle servait au mieux les intérêts du royaume. "Faible et pernicieuse" était la neutralité pour la neutralité, la "neutralité quand même"27. La place d’une Suède départie de sa neutralité ne pouvait être qu’au centre d’une "solidarité germanique et protestante", écrivait au même moment Rudolf Kjellén dans "Les idées de 1914"28. Mais, sans doute, n’était-il pas suffisant de dénoncer l’oppression tsariste sur la Finlande. Très tôt l’occasion vînt se présenter d’agiter devant l’opinion suédoise la menace directe et immédiate d’une nouvelle flambée du "danger russe". Dès le mois de Décembre 1914 avaient retenti les premiers cris d’alarme : "à 30 miles marins et à une demi heure d’aéroplane de Stockholm"29, les îles Åland, démilitarisées depuis près de 50 ans, étaient le théâtre d’activités inquiétantes. On signalait des arrivées massives de charbon à Mariehamn, et on y voulait voir la volonté de la Russie de créer dans l’archipel une base navale, à un moment où la flotte russe devait quitter Kronstadt et Reval en raison du gel, et où l’entrée du port de Libau se trouvait obstrué par des bateaux coulés par les Allemands30. En fait, dès le début de la guerre, des travaux de fortification avaient été entrepris et des troupes débarquées31. Quand ces premiers bruits devinrent une rumeur persistante, dont un nombre croissant de journaux suédois se firent l’écho32, Wallenberg demande à Nekludov de le mettre à même de la démentir, la fortification des îles Åland étant "contraire aux accords antérieurs" et constituant une "menace pour les bonnes relations entre les deux pays"33. Quelques jours après, une réponse confidentielle de Nekludov apportait au Ministre des apaisements de Sazonov : les mesures prises par la Russie étaient purement défensives et limitées à la durée de la guerre. Ce qui les justifiait, c’était l’intention de l’Allemagne d’occuper ces îles, enfin d’en faire une "base d’opération" contre la côté finnoise, et d’entraver les lignes de commerce entre la Suède et la Russie. Le Gouvernement russe espérait que, si ces mesures secrètes et prises dans l’intérêt commun des deux pays, venaient à être connues en Suède, le Gouvernement de Stockholm "s’emploierait à calmer l’opinion suédoise"34.
- 35 L’État-Major suédois, en possession du chiffre russe, a sans doute contribué à rendre crédibles les (...)
- 36 Palmstierna n’en sera informé que plusieurs mois plus tard, cf. Palmstierna, op. cit., 26.9.1915, p (...)
- 37 Encore une fois, on ne peut que supposer ce dialogue secret Wallenberg-Branting, qui n’a laissé auc (...)
8Le Ministère, pourtant, choisit le silence. Wallenberg, après un débat en conseil de cabinet réuni sous la présidence du Roi, communiqua à Nekludov que la Suède n’élevait pas de protestation contre les dispositions militaires prises par les Russes à Åland35. Il ne fit aucune déclaration au Riksdag, et aucun communiqué à la presse36. Le "Hemliga utskottet" qui ne devait pas être réuni une seule fois pendant toute l’année 1915, ne fut donc pas non plus informé des assurances données par la Russie. Pourquoi Wallenberg ne fit-il pas alors la déclaration qui eût privé la campagne activiste d’un de ses arguments majeurs, alors que cette campagne constituait une menace sérieuse pour la politique de stricte neutralité à laquelle il s’état attaché ? A-t-il préféré donner secrètement à un certain nombre de chefs de Parti les informations qu’il ne voulait rendre publiques ? Branting a-ti-l été, dès le début, tenu au courant au nom de la solidarité d’intérêts que la neutralité créait par delà les frontières visibles séparant la majorité de l’opposition ? Autant de questions auxquelles il est malheureusement difficile de répondre37, mais qui conduisent inévitablement à s’interroger sur la nature des relations qui ont alors existé entre le S.A.P. et le Ministère.
Branting, Wallenberg et les Libéraux
9Comment, en effet, ne pas constater que, en ce début de l’année 1915, la presse socialiste n’aborde quasiment jamais le problème finlandais, ni la question d’Åland, et que d’autre part le Parti ne combat que mollement la politique étrangère du Gouvernement
- 38 A. Lindman, op. cit., p. 210.
- 39 "Vårt förhållande till främmande makter är godt".
- 40 Socialdemokraten, 18.1.1915.
- 41 Socialdemokraten, 22.1.1915. "Till Remissdebatten".
- 42 L. Kihlberg, Karl Staaf Stockholm, 1963, H, p. 377.
- 43 Socialdemokraten, 25.1.1915. Cf. aussi Palmstierna, op. cit., 1, p. 92.
- 44 Le Conseil de confiance "Förtroenderådet" du groupe parlementaire réuni quelques jours auparavant, (...)
- 45 Stockholm, A.K. Protokoll, 24.1.1915 ; Socialdemokraten, 27.1.1915, Stormlklockan, 30.1.1915.
10Le discours du Trône de Gustave V, le 16 janvier 1915, pouvait pourtant inquiéter : comme le fait remarque Lindman38, pour la première fois depuis très longtemps, le Souverain ne prononça pas la phrase rituelle : "nos relations avec l’étranger sont bonnes"39. Il condamna sans équivoque, au contraire, "certaines puissances qui, en dépit du droit des gens, voulaient empêcher la liberté du commerce sur mer 1. L’allusion ne fût pas relevée par le Socialdemokraten. Ses principaux commentaires furent consacrés au projet de budget prévoyant des "économies sur toute la ligne, sauf pour la Défense"40. Branting, quelques jours après, écrivit toutefois que le Riksdag attendait du Ministre des Affaires Etrangères une communication sur les négociations de la Conférence de Malmö, comme en avaient reçu les parlements danois et norvégien41. Et ce fût tout. Comme l’a fait remarquer Leif Kihlberg, le Riksdag de 1915 fut "le plus calme de mémoire d’homme"42. Le "Socialdemokraten" écrivit lui-même que le "Remissdebatt", le 24 janvier 1915, avait été "dépourvu de passion"43. Ce n’est que sur sa politique économique que le Gouvernement Hammarskjöld fut attaqué par l’opposition sociale-démocrate44. R. Sandler, A.C. Christiernsson et F. Månsson déposèrent au nom de leur Parti plusieurs motions contre la hausse des prix. Ils réclamaient, en particulier, l’extension à toute l’année 1915 des suspensions provisoires des droits de douane sur les céréales décrétées en décembre, et l’ouverture d’une enquête sur l’établissement d’une règlementation des prix des denrées alimentaires, autrement dit d’un Maximum45.
- 46 Z. Höglund, Minnen i Fackelsken II, Stockholm, 1953, p. 131.
11Une fois de plus, c’est au groupe Höglund-Lindhagen que l’on dût que le Remissdebatt ne se terminât pas comme si la guerre mondiale n’eût pas existé. Comme l’écrivit Z. Höglund, on aurait pu s’attendre à ce que les deux chefs de l’opposition, Branting et Staaf, vinssent éclairer la position de leur Parti vis-à-vis de la guerre et des belligérants. Au lieu de cela, Palmstierna ouvrît le débat par des propos de caractère purement budgétaire. "Il n’avait rien à dire sur le malheure terrible qui frappait l’humanité et qui, directement ou indirectement, menaçait notre pays"46.
- 47 Stockholm, A.K., Protokoll, 24.1.1915.
- 48 Socialdemokraten, 25.1.1915. Majoritaires et minoritaires du Parti se retrouvèrent cependant sur un (...)
- 49 L. Kihlberg, op. cit., p. 376.
- 50 Palmstierna, op. cit., 14 et 15.1.1915, pp. 90-91.
- 51 Socialdemokraten, 26.4.1915.
- 52 Stockholm, A.K., Protokoll, 27.4.1914. Socialdemokraten, 28.4.1915.
- 53 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådet, 15.5.1915.
- 54 Stockholm, Frisinnade Landsföreningen. Förtroenderådets Protokoll, 2.5.1915. Cf. aussi H. Krister R (...)
12Ce fût Caril Lindhagen qui tenta de mettre le feu aux poudres en contestant vivement que le Riksdag ne dût pas s’occuper de politique étrangère, et que cette dernière eût à être abandonnée "à la dynastie, aux généraux, et aux diplomates"47. Z. Höglund de son côté, malgré les décisions prises par son groupe parlementaire le 20, combattit la politique militaire du Gouvernement et, en plein Riksdag, s’en prit même à Branting, lui rappelant son apostrophe célèbre du Remissdebatt de 1897 : "aussi peu que possible au militarisme, de préférence rien ! 1. Branting dût intervenir pour affirmer, sans doute davantage à l’adresse des Libéraux qu’à celle de Höglund, que l’attitude de son Parti à l’égard de la loi militaire était inchangée ; il ajouta, pour Höglund et ses amis : "sous la pression des circonstances présentes, nous avons appris à voir les choses autrement qu’avec les yeux de nos désirs"48. A ce moment, ce qui animait principalement les majoritaires, c’était, manifestement, le souci de ne pas nuire à la politique étrangère de Wallenberg, et la volonté de vaincre définitivement les réticences des Libéraux à leur endroit. Or, à cet égard, peu de progrès avaient été accomplis. Dans la biographie qu’il lui a consacrée, L. Kihlberg dit de K. Staaf qu’il éprouvait alors "une méfiance croissante envers la tactique de rétractations (underbudstaktik) des Sociaux-démocrates" et "le leadership élastique" (tänjbar) de Branting49. Les Libéraux confirmèrent, cependant, qu’ils souhaitaient une négociation avec le S.A.P.50, peut-être sur la pression de leur propre aile gauche formée des "Radicaux de Norrland" et d’un reliquat de paysans hostiles aux charges militaires. Le Parti Social-démocrate resta, jusqu’à avril 1915, trop absorbé par le conflit opposant les majoritaires à l’aile radicale pour négocier sur le fond avec les Libéraux. De plus, la question militaire demeurait un sérieux obstacle au rapprochement. Le 25 avril 1915, le Gouvernement demandait au Riksdag de lui consentir les moyens de former, par une instructin de 42 jours, 4 300 officiers et sous-officiers destinés à encadrer la Landstorm en cours de réorganisation51. Lors du débat préalable au renvoi devant les Commissions du budget et des lois, le S.A.P. avait déjà manifesté son opposition au projet. Rydén avait déclaré que rien ne justifiait cette demande "la guerre s’éloignant vers le Sud, et les fronts étant stabilisés". Thorsson s’était ensuite élevé contre la façon dont le projet serait financé, et qui consistait "à s’en remettre à l’avenir". Avant de voter de nouveaux crédits, il demandait à connaître le montant exact des dépenses militaires engagées au 31 décembre 191452, Quand le projet d’instruction immédiate de cadres pour la Landstorm était arrivé en Commission, la Gauche unanime s’y était opposée. Mais, ensuite, les Libéraux avaient changé d’avis, probablement en raison d’une rumeur selon laquelle le Gouvernement faisait du projet une question de confiance53. De décembre 1914 à mai 1915, la négociation entre Sociaux-démocrates et Libéraux n’avait donc pas progressé. Les propos sévères tenus par Staaf devant le Conseil de confiance de son Parti n’ont pas lieu de surprendre : il y déclara que "les événements de 1914 n’étaient pas oubliés" et que la méfiance à l’égard de la Social-démocratie "était profondément ancrée" chez lui. Évoquant l’hypothèse d’un Ministère de coalition, il ajouta qu’elle "ne jouissait pas de la moindre sympathie" dans le Parti Libéral54. On ne pouvait être plus clair.
- 55 Cf. E. Palmstierna, op. cit., 6.5.1915, p. 103.
- 56 L. Kilhlberg, op. cit., p. 376 ; Palmstierna, op. cit., 22.5.1915, p. 107.
- 57 Stockholm, A.R.A., Brantings Samling, Supplément, vol. II, Uttalande efter förhandlingar mellan Soc (...)
- 58 On peut penser que l’existence au sein du S.A.P. de la "phalange Höglund" a contribué à entretenir (...)
13Il n’est pas sûr que la Social-démocratie suédoise ait alors exactement mesuré les sentiments du Parti Libéral et de son chef à son égard. Palmstierna, dans ses notes consacrées à cette réunion du 2 mai, semble en avoir une impression plutôt positive. Il écrit en particulier que "l’unité semble s’y être faite sur l’abolition de "l’échelle des 40 voix"55, ce qui avait été jusqualors, en politique intérieure, le principal obstacle à la collaboration. La première réunion des deux délégations eût lieu le 22 mai 1915. Staaf y déclara que, faute d’un accord complet sur un programme, son Parti ne serait pas disposé (obenägen) à former un Ministère de coalition. Il appartiendrait donc alors au S.A.P. de former, tout seul, un éventuel nouveau Gouvernement56. Les libéraux refusèrent d’adopter le prgramme détaillé présenté par les Sociaux-démocrates, et estimèrent que le mieux était de manifester leur accord autour de quelques points. On trouve dans les notes manuscrites de Branting le contenu de cet accord limité : les deux parties continueraient à lutter sans faibilir pour le maintien de la neutralité intégrale, et, en conséquence, à s’opposer à la moindre tentative de s’en écarter. Comme le Gouvernement avait montré qu’il partageait cette opinion et comme, pour de nombreuses raisons, il aurait été inopportun de changer de Gouvernement dans les circonstances présentes, Sociaux-démocrates et Libéraux étaient décidés à conserver leur soutien au Ministère pour la poursuite d’une politique de neutralité. Cependant, ils demeuraient fidèles au principe selon lequel le Gouvernement du pays "doit être constitué sur la confiance de la majorité de sa population". Dans le domaine de la Défense, Sociaux-démocrates et Libéraux s’accordaient pour rester loyaux à l’égard de la loi de 1914. Ils se réservaient cependant d’étudier attentivement les expériences que la guerre pouvait apporter, et de s’opposer à de nouvelles constructions de matériel militaire entraînant de nouvelles dépenses, sauf pour les mesures provisoires de Défense de la neutralité57. Cet accord voilait à peine la persistance d’une méfiance réciproque58 et laissait présager bien des difficultés d’interprétation : comment en effet apprécier dans l’unanimité ce que seraient "les tentatives de s’écarter de la neutralité ?" Comment être sûr que les crédits militaires demandés par le Gouvernement seraient véritablement consacrés à la "Défense de la neutralité" ? Il n’est pas douteux que l’impossibilité de former un front étroitement uni avec les Libéraux a lourdement pesé sur la capacité du S.A.P. à s’engager contre le Gouvernement On constate en tout cas que le groupe parlementaire Social-démocrate n’a pas cessé de redouter l’alliance des Libéraux et des Conservateurs. Dans ces conditions, le contrôle que le Parti pouvait exercer sur la politique étrangère du Ministère manquait de fondements solides. De plus, le Ministre des Affaires Etrangères, sinon le Cabinet, passait aux yeux de nombreux responsables du Parti pour sincèrement attaché à la neutralité.
- 59 Torsten Gihl, op. cit., p. 49.
- 60 Socialdemokraten, 14.1.1915.
- 61 La transmission directe était devenue impossible pour l’Allemagne parce que d’une part la Compagnie (...)
- 62 Selon les révélations que fit plus tard, en 1917, l’Amiral Lindman devant le Hemliga Utskottet, il (...)
- 63 Si l’on en croit K. Bäckström (op. cit., II ; p. 205), les télégrammes russes envoyés par les câble (...)
- 64 En effet, les Services secrets britanniques entrèrent en possession du Code allemand et laissèrent (...)
- 65 Et Palmstierna le fut, de son propre aveu, lors de son voyage à Londres en novembre 1915 (E. Palmst (...)
14Cependant, jusqu’à l’été 1915, la politique extérieure du Gouvernement fut à plusieurs reprises combattue par les Sociaux-démocrates. Ce fut le cas lorsque, le 9 janvier 1915, le Ministère interdit le transit par le territoire suédois d’armes, de munitions et de matériels ad usum belli. Plusieurs communiqués officiels vinrent souligner que le transit d’armes n’était pas compatible avec la neutralité du pays. En fait, cette mesure pénalisait essentiellement la Russie et aucunement les Empires centraux. L’opinion suédoise dans sa majorité approuva, il est vrai, son Gouvernement dont l’attitude correcte fût opposée à celle d’un autre neutre, les Etats-Unis, qui n’hésitait pas à exporter de grandes quantités d’armes et de matériel de guerre vers la Grande-Bretagne et la France59. Mais l’attitude du S.A.P. fut beaucoup plus réservée, bien qu’on y reconnût que la tâche du Gouvernement était extrêmement difficile "entre les intérêts divergents des belligérants". Le Socialdemokraten écrivit que le Ministère était allé "à l’extrême limite de la neutralité en favorisant les intérêts allemands"60. En effet, d’après les Conventions de La Haye, il n’y avait pour un neutre aucune obligation juridique à interrompre ce transit. Cependant, Wallenberg ne pouvait pas ne pas mécontenter l’un des camps. Laisser se poursuivre le trafic c’était favoriser l’Entente, l’interdire, donner satisfaction à l’Allemagne. La Suède resta neutre, mais Wallenberg choisit encore que cette neutralité fut "bienveillante" à l’Allemagne. Il renouvela cette bienveillance en acceptant de mettre, dans le plus grand secret, les légations suédoises à la disposition de Berlin pour des transmissions télégraphiques entre la Wilhelmstrasse et les représentations diplomatiques allemandes Outre-Atlantique, via Stockholm61. Commencées dès 1914, notamment vers et de Washington, ces transmissions furent effectuées en 1915 entre Berlin et Buenos Aires (Janvier), Mexico (Février) et Rio de Janeiro (Mars). Averti par ses ambassadeurs à Washington le 7 avril, et à Londres le 11 mai, que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne étaient parfaitement au courant du trafic qu’ils considéraient comme un manquement à la neutralité, Wallenberg feignit de croire que ces puissances souhaitaient seulement l’interruption des transmissions de et vers Washington, et laissa se poursuivre les communications en chiffre allemand entre Berlin et ses ambassades à Buenos Aires, Mexico et Rio, toujours pas l’intermédiaire de U.D. et des légations suédoises62. Ces transmissions permirent à l’Allemagne de recevoir de ses agents Outre-Atlantique des renseignements de première importance touchant au commerce avec les Pays de l’Entente et à la guerre navale63. Cette attitude de Wallenberg, dont ni Londres ni Washington ne furent dupes64, ne trompa, semble-t-il, le Parti Social-démocrate que quelques mois. En effet, il y a de fortes raisons de penser que Branting fut informé des agissements du Ministre lors des voyages qu’il fit à Londres et à Paris en juillet 191565. Pourquoi donc malgré la duplicité de Wallenberg, Branting a-t-il continué à lui faire confiance ?
Les raisons du soutien de Branting à la politique extérieure du Ministère
- 66 A la demande du Président de la Première Chambre, Afzelius, il y eut cependant, le 3 février 1915, (...)
- 67 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådets protokoll, 25.2.1915. Selon Parlmstierna, op. cit., p. 94, Wall (...)
- 68 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådets protokoll, 4 mars 1915.
- 69 Wilhelm Carlgren, Ministären Hammarskjöld… p. 107.
- 70 Palmstierna, op. cit., p. 100.
- 71 Cf. Supra, p. 96.
- 72 Conclu le 16 mars 1915. Cf. Infra p. 178.
15Ceci est d’autant plus incompréhensible que la collaboration entre le Gouvernement et le Riksdag restait mauvaise en ce début de 1915 ; le Ministère, en particulier, s’était refusé à constituer un Comité secret (Hemliga Utskottet) pour 191566. A la veille de la côture du Riksdag, en mai 1915, il s’opposa à sa mise en congé avant dissolution (Förpuppning), artifice qui eût permis une convocation de l’Assemblée en cas de besoin. Ces refus, il est vrai, la Gauche pouvait les imputer au seul Hammarskjöld. Mais Wallenberg lui-même, pressé depuis Janvier de faire une déclaration sur la Conférence de Malmö, persistait à faire la sourde oreille. Il déclara enfin à Branting qu’il ne se refusait pas à faire une communication au Riksdag mais qu’il lui fallait d’abord conférer avec les autres membres du Gouvernement67. Puis il se rétracta : il voulait bien indormer la Conférence des Présidents de Chambres et de Partis, non le Riksdag in corpore68. Cette déclaration, ce fut Hammarskjöld qui la fit quelques jours après69. Sociaux-démocrates et Libéraux continuèrent cependant à exiger que le Riksdag suédois ne fût pas moins bien traité que le Storting norvégien. Finalement, Wallenberg dût se résigner à parler de la Conférence de Malmö devant le Riksdag, mais à huis clos, le 22 mars. Il en profita pour annoncer de "façon théâtrale’’70 que l’Allemagne venait de suspendre les mesures du 23 novembre 191471 qui avaient paralysé l’exportation du bois suédois depuis plusieurs mois (Holzabkommen)72. Encore une fois, Wallenberg mentit par omission, puisqu’il se garda bien de révéler qu’en échange de cet accord la Suède s’était engagée à envoyer 10 000 chevaux en Allemagne.
- 73 Tout en taisant que la note allemande disait "aussi longtemps que la Suède n’entreprendrait rien d’ (...)
- 74 Socialdemokraten, 21 et 22.5.1915.
- 75 Arbetarbladet, 25.5.1915, Norrkensflamman, 25.5.1915.
16En Mai, enfin éclata l’Affaire Primrose. Le 12 mai, Howard, Nekludov et Thiébault avaient renouvelé à Wallenberg les assurances données par les Alliés en août 1914, selon lesquelles l’indépendance et l’intégrité de la Suède seraient respectées aussi longtemps qu’elle resterait neutre. Le but de cette démarche était d’agir sur l’opinion suédoise à un moment où les pressions sur certains Neutres, comme l’Italie, s’intensifiaient et où, en Suède, l’activisme s’enhardissait chaque jour à la mesure des succès de la seconde offensive allemande dans les Pays Baltes. Or Wallenberg se refusa à rendre publiques les assurances que venaient de lui apporter les Ministres de l’Entente à Stockholm. C’est alors, le 19 mai 1915, qu’à la suite d’une interpellation apparemment fortuite à la Chambres des Communes le Sous-secrétaire d’État au Foreign Office, Neil Primrose, révéla les assurances données par la France la Grande-Bretagne et la Russie dans les premiers jours d’Août 1914, et depuis tenues secrètes. Wallenberg dût alors convenir que ces assurances avaient bien été données, non seulement par les trois Puissances de l’Entente, mais aussi par l’Allemagne73. Le Socialdemokraten se contenta de rendre compte des déclarations Primrose et Wallenberg, sans formuler aucun reproche à l’égard du Ministre des Affaires Étrangères74. Pourtant, comme le déclara Lindhagen le 24 mai au cours d’une conférence devant la section sociale-démocrate de Gävle, sans le silence de Wallenberg, on aurait pu sensiblement "réduire la mobilisation de la Landstorm"75, à laquelle le Parti venait précisément de s’opposer. Pourquoi donc Branting n’a-t-il pas retiré sa confiance à Wallenberg ?
- 76 C’est ainsi que Branting donna son adhésion à un projet de négociation entre membres de la Douma et (...)
- 77 Cf. S.A. Söderpalm, op. cit., p. 33. Sur les intérêts financiers et commerciaux de la Stockholms En (...)
- 78 Socialdemokraten, 6.4.1915 "Uppslaget för Finland".
- 79 Stockholm, R.A., U.D., 40 L. 82. aussi K. Hildebrand, op. cit., p. 193. Jusqu’alors la voie ferrée (...)
- 80 Socialdemokraten, 14.4 et 17.5.1915.
- 81 Nekludov, op. cit., p. 117.
- 82 Aschberg avait foné en mai 1912 la "Nya Banken" qui, avec la collaboration du mouvement ouvrier, de (...)
- 83 Socialdemokraten, 1.4.1915. Il est curieux d’observer que, quand, peu après l’Ambassadeur allemand (...)
- 84 Olov Aschberg, op. cit., p. 123.
- 85 Socialdemokraten, 17.6.1915.
17Il y a à cela, sans doute, deux raisons principales, d’une par la politique de détente avec la Russie que poursuivait alors le Ministre des Affaires Étrangères, et d’autre part la continuation de la collaboration Scandinave dont ce dernier avait pris l’initiative par la Conférence de Malmö. En ce qui concernait la politique russe de la Suède, Branting et Wallenberg s’accordaient objectivement pour éviter que la question finlandaise ne vînt mettre le feu aux poudres entre Pétrograd et Stockholm76. Il ne manqua pas alors de voix pour insinuer, et même pour dire que cette politique était grandement dictée par les intérêts financiers de la Stockhoms Enskilda Bank et de la famille Wallenberg. Adrian Molin put écrire dans Det Nya Sverige que la politique étrangère du pays reposait sur un "Pactum turpe" entre le radicalisme politique de Branting et l’affairisme conservateur de Wallenberg, tous deux liés aux puissances de l’Ouest, le premier par ses intérêts politiques, le second par ses intérêts économiques77. Pour Branting, si une partie de la presse de Droite continuait à suspecter tout rapprochement avec la Russie, c’était surtout par crainte de voir affaiblir la politique militaire de la Suède, justifiée, précisément, par la crainte de la Russie78. Les milieux économiques suédois, dans leur majorité, pesaient dans le sens du rapprochement L’occasion s’offrait en effet à la Suède de supplanter l’Allemagne sur le marché russe, et de tirer profit de la fonction de transit entre les Franco-britanniques et leur allié de l’Est que la géographie lui assignait. Coupée au Sud de ses partenaires par l’entrée en guerre de la Turquie et de la Bulgarie, la Russie ne pouvait assumer ces importations que par Arkhangelsk, port fermé par les glaces pendant cinq mois de l’année, et relié au reste de la Russie par une seule voie à faible débit. Des négociations engagées entre Stockholm et Pétrograd aboutirent à la décision de raccorder les réseaux ferrés suédois et filandais dans la région d’Haparanda, grâce à la construction d’un pont sur le fleuve Torneå. Le 16 mai, le Riksdag adoptait le projet et votait un crédit pour le début des travaux. Dès juin la voie ferrée suédoise était provisoirement prolongée jusqu’à Haparanda79. Cette décision qui favorisait non seulement le transit, mais aussi le commerce suédo-russe fut soutenue par le S.A.P.80. De fait, les commandes russes à l’industrie suédoise "machines de toutes espèces, billes rotatives, coques de bateaux, turbines, tuyaux d’acier de fer, presses, réseaux métalliques, et surtout des tours"81 contribuaient à assurer un haut niveau d’emploi en Suède. Ainsi peut-on comprendre aussi le soutien apporté par Branting au financier Olov Aschberg82 qui, en mars 1915, fonda avec le banquier Kyhlberger la Compagnie suédo-russe-asiatique (Svensk Rysk Asiastiska Kompaniet) bientôt en relations étroites avec la banque russo-asiatique de Pétrograd (Rysk Asiatiska Banken)83. C’est d’ailleurs grâce à Aschberg, qui se rendit alors à deux reprises aux Etats-Unis, que le groupe Morgan devait consentir par la suite un prêt de 50 millions de dollars à la Russie, et un de 5 millions de dollars à la Rysk Asiatiska Banken, pour l’achat de marchandises aux Etats-Unis84. En juin 1915, le Socialdemokraten était en mesure de publier un rapport du Consul général de Suède à Pétrograd, Widerström, destiné au Ministre des Affaires Etrangères, Knut Wallenberg. Widerström y soulignait que l’heure était venue pour la Suède de prendre la place de l’Allemagne sur le marché russe, non seulement pour y exporter ses propres produits, mais aussi comme intermédiaire dans le commerce transocéanique. A cet effet, il insistait pour que la Suède créât chez elle un "port franc" (frihamn). Outre que l’on pouvait faire différentes hypothèses sur la manière dont ce rapport était parvenu au Socialdemokraten, il apparaissait que le journal ne rejetait aucunement les objectifs proposés par Widerström85.
- 86 Rysslands framträngande till Atlanlen oc h de Rysk-svenska relationernas framtid, Svar på "Ett varn (...)
- 87 Le futur Mourmansk. La voie ferrée devait être terminée à la fin de 1916.
- 88 Socialdemokraten, 3.6.1915. Sazonov devait déclarer peu après : "qu’une attaque de la Russie contre (...)
- 89 Notamment lorsqu’en avril parut dans la presse nrovégienne la nouvelle que le Grand Duc Nicolas ava (...)
- 90 Lorsqu’en mai, le bruit courut que le Tsar allait lever en Finlande une contribution de guerre de 1 (...)
- 91 Voir Infra p. 179.
- 92 Quatre cuirassés russes avaient poursuivi le mouilleur de mines allemand Albatross jusque dans les (...)
- 93 C’est ce que Wallenberg fit remarquer à son ambassadeur à Pétrograd, Brändström, le 21.8.1915 "nos (...)
- 94 A la différence de ce qui s’était passé en 1856 et en 1908.
- 95 Stockholm, R.A., U.D., 1.0.34, 83, Wallenberg à Brändström, 21.8.1915. La réponse devait venir beau (...)
18La Russie, de son côté, contribuait au même moment à l’amélioration de ses relations avec la Suède en entreprenant la constrution d’une voie ferrée reliant Pétrograd aux ports généralement libres de glace de la Côte Mourmane. Dans un livre âprement discuté qu’il publia à Helsingfors en mai 191586, l’ingénieur russe Nicolaj Emilijanov démontrait à l’opinion suédoise que les craintes d’un établissement russe sur la côté atlantique étaient sans fondement La Russie, expliquait-il, n’avait aucunement besoin de Narvik, à 1780 km de Pétrograd, alors qu’Alexandrovsk87, port libre de glace sur la Côte Mourmane et terme de la nouvelle voie ferrée en construction, n’en était distant que de 1 300. Une tonne de céréales expédiées par chemin de fer de Pétorgrad à Narvik coûtait 28 couronnes, alors que son transport par mer de Pétrograd en Grande-Bretagne ne revenait qu’à 6 ou 7 couronnes. Enfin, Emilijanov rappelait que le réseau ferré finlandais, dont la construction avait tant alarmé l’opinion suédoise bien avant 1914, était destiné "à la défense contre l’Allemagne, non à l’agression contre la Suède". Cette agression devenait d’ailleurs de plus en plus improbable à mesure que la Russie voyait surgir sur son flanc Sud de nouveaux adversaires. Rendant compte du livre dans le Socialdemokraten, Erik Hedén, se montra "totalement convaincu de la sincérité des deux arguments", l’économique et le stratégique. Les deux réserves qu’il formula cependant exprimaient bien la persistance d’une méfiance encore largement répandue au sein du S.A.P. : la politique russe en Finlande demeurait "inacceptable" ; la volonté de conquête des "cercles militaires russes" pouvait un jour prévaloir sur les véritables besoins économiques de la Russie88. Espérant toujours une libéralisation du régime politique de la Finlande89, les Sociauxdémocrates suédois ne pouvaient que constater le maintien et même l’aggravation de l’état de guerre dans le Grand Duché90. Mais, grâce à Wallenberg et à Nekludov les relations entre Stockholm et Pétrograd demeurèrent bonnes pendant toute cette première moitié de l’année 1915, et ne furent momentanément assombries que par la décision suédoise du 4 mai 1915 apportant des restrictions au transit91, et par l’incident de l’Albatross du 2 juillet92, pour lequel d’ailleurs la Russie présenta des excuses93. Dans le courant de l’été, Wallenberg offrit à Sazonov la conclusion, sans participation d’aucune autre Puissance94, d’une convention suédo-russe. Par cette convention la Russie se serait engagée pour l’avenir à ne plus fortifier Åland, et à n’y maintenir aucun établissement militaire. Wallenberg souhaitait que cet accord pût se faire "dès maintenant", auquel cas il aurait pu "être tenu secret jusqu’à nouvel ordre"95. Branting fut-il tenu au courant de cette démarche ? Aucun document n’est là pour répondre à cette question mais il est plus que probable qu’il aurait approuvé l’initiative du Ministre.
- 96 Socialdemokraten, 20.2.1915. La délégation suédoise à cette conférence comprenait : l’Ambassadeur à (...)
- 97 Palmstierna, op. cit., p. 95. Sur l’aggravation du blocus allemand et britannique, voir Infra p. 17 (...)
- 98 Palmstierna, op. cit., p. 104. En fait, c’est l’opposition de la Grande-Bretagne qui fit échouer le (...)
- 99 Mais amputé de 4 membres de "la jeune droite" (4 Unghögermän). Sans qu’ils fussent désignés, on peu (...)
- 100 Arbetet, 2.6.1915, "Oro i landet" ; Socialdemokraten, 3.6.1915.
- 101 Comme celle de A.C. Christiemsson, député de Hälsingborg, et Directeur de Skånska Socialdemokraten, (...)
- 102 Dagens Nyheter, 10.6.1915.
- 103 Cf. Wiehelm Carlgren, Ministären Hammarskjöld…, pp. 110-111. Lucien Maury, de son côté, a déploré " (...)
19La collaboration Scandinave, quant à elle, ne donna lieu à cette époque qu’à l’adoption de quelques mesures modestes que le Parti soutint, tout en regrettant que le Ministère n’eût pas une politique Scandinave plus ambitieuse. C’est ainsi que, du 13 au 15 février se tint à Kristiania une conférence réunissant des représentants des États-Majors des trois marines. On y adopta différentes dispositions pour lutter contre le danger des mines dans le Skagerrak et dans le Kattegatt. Quelques jours après, à Copenhague, des délégués suédois, danois et norvégiens étudièrent en commun les mesures à prendre pour la protection du trafic maritime des Neutres en Mer du Nord96. Le 20 février, le Gouvernement suédois semblait se décider à faire convoyer ses bateaux de commerce par sa flotte de guerre97. Branting réclama une "neutralité armée". Mais le Danemark et la Norvège se refusèrent à participer aux convois jusqu’en Ecosse. En ce cas "la flotte suédoise ne suffisait pas"98. Sans être reniée, la collaboration Scandinave resta donc faible en 1915. En ce domaine aussi la majorité du Riksdag fit preuve de passivité, et laissa les mains libres au Ministre. Cette résignation était pourtant critiquée jusque dans l’entourage immédiat de Branting. C’était le cas notamment de Värner Rydén lequel, tout en reconnaissant que Wallenberg était une garantie contre "la Camarilla de la Cour et des Militaires", réclama en juin, le remplacement du Ministère Hammarskjöld, délégation d’une minorité amenée à la gérance des affaires publiques par une sorte de coup d’état, par un "Ministère de coalition". La plupart des pays d’Europe ne venaient-ils pas de faire appel à des Ministères de concentration ? Ce ministère de coalition eût pu réunir les éléments les plus sûrs du Ministère en fonction99 et les membres favorables à la neutralité du précédent Hemliga Utskottet. Alors, estimait Rydén, "l’inquiétude s’apaiserait", et la nation entière serait derrière un tel ministère, sauf la clique qui veut la guerre"100. Malgré quelques voix isolées101, Rydén ne put toutefois faire triompher son point de vue au sein de son Parti. Ce fut aussi peut-être parce que les Libéraux ne se montrèrent pas favorables à ce projet102. Ainsi le contrôle parlementaire sur la politique étrangère du pays ne s’exerçait-il guère à un moment où l’Allemagne commença à déployer vers la Suède une offensive diplomatique de grande envergure103.
Les offres d’alliance allemandes et la campagne activiste
- 104 Ludvig Douglas (Comte, 1849-1916), ancien Ministre des Affaires Etrangères (1895- 1899), Maréchal d (...)
- 105 Torsten Gihl, op. cit., p. 142, a été le premier à présenter au public suédois la démarche Douglas (...)
- 106 Depuis le 4 février 1915, l’Allemagne avait établi un blocus sous-marin de la Grande-Bretagne. Les (...)
- 107 Wilhelm Carlgren, Neutralität oder Allianz… p. 117.
- 108 Die Internationale Beziehungen im Zeitalter des Imperialismus, II.7,1, Gustav V à Nicolas II, 16.2. (...)
- 109 Il faut observer ici que la paix séparée germano-russe ruinait ipso facto tous les plans d’interven (...)
- 110 T. Gihl, op. cit., pp. 128-132 ; W. Carlgren, Neulralität oder Allianz… pp.77-80. Ce dernier a démo (...)
- 111 Bildt (Baron Carl, 1850-1931) Ambassadeur de Suède à Rome depuis 1905.
- 112 Tous les documents sont à Stockholm, R.A., 21. U.1., Rome. Wallenberg est bien l’auteur de la dépêc (...)
- 113 Et pourtant, comme l’a fait remarquer W. Carlgren (Neutralität oder Allianz… p. 80) l’Allemagne ne (...)
- 114 Die Internationale Beziehungen…, 11.7.... 2, Sonnino à Carlotti, 26.4.1915. Il y eût un deuxième té (...)
- 115 Ibid, 3.5.1915.
- 116 Ibid.
20Après la désillusion d’août 1914, il semblait pourtant que Berlin se fût satisfait de la "neutralité bienveillante" de la Suède et eût renoncé à son concours militaire. Mais au début de Mai 1915, l’Allemagne révisait sa politique suédoise. Ses armées faisaient irruption dans les pays baltes. L’action militaire suédoise vers Pétrograd, à travers une Finlande qu’on jugeait toute prête à l’insurrection, eût probablement entraîné d’un coup l’effondrement du Front russe du Nord-Ouest. L’effort d’armement intensif mené par la Suède pendant l’automne 1914 et le printemps 1915 rendait cette action possible, et même plausible. Rallier la Suède devenait même nécessaire, dès lors que l’Italie, et peut-être la Roumanie, risquaient d’être attirées vers l’Entente. En juin et juillet 1915, l’Allemagne fit des offres secrètes d’alliance à la Suède. Le 17 mai, le sous-secrétaire d’État Zimmermann recevait à Berlin le Maréchal Ludvig Douglas104, et lui confirmait les propositions que venait de lui faire un intermédiaire officieux, Max Schiff-Drost : débarquement allemand dans les îles Åland, coopération de deux corps d’armée allemands avec l’armée suédoise dans une action commune contre la Russie, désintéressement allemand en Finlande, renonciation réciproque à toute paix séparée avec la Russie, enfin conclusion d’un traité d’alliance défensive entre Stockholm et Berlin auquel les autres états Scandinaves auraient été invités à se joindre105. De retour à Stockholm, Douglas demanda immédiatement audience à Gustav V. Mais ce dernier éclata en reproches contre les Allemands qui "rendaient incroyablement difficile aux Suédois de leur montrer leur sympathie"106. Le Souverain ajouta que la Suède n’avait aucune raison de faire la guerre, et que si elle en provoquait une, alors "on aurait tout le peuple contre soi". Devant ces propos inattendus, Douglas pensa qu’il valait mieux ne pas faire état de l’offre dont il était porteur107. Cette "sympathie" que les Allemands rendaient si difficile, Gustav V l’avait manifestée, en effet, à deux reprises, et de façon éclatante. Le 16 février 1915, sans avoir apparemment consulté son Cabinet, il avait écrit à Nicolas II pour lui offrir ses services en vue de la conclusion d’une paix séparée avec l’Allemagne108. Or, depuis la bataille de la Marne et la faillite du Plan Schlieffen, il apparaissait à beaucoup que seule une paix séparée sur l’un des fronts pouvait rendre à nouveau l’Allemagne victorieuse. C’était l’avis de Falkenhayn et de Zimmermann, et ce n’était pas un secret à Berlin. Gustav V ne pouvait pas l’ignorer. Son offre de médiation de paix était donc indiscutablement une action favorable à l’Allemagne109. Il en fut de même, en avril, quand à l’initiative de Gustav V, la Suède intervint à Rome pour tenter d’empêcher que l’Italie ralliât le camp de l’Entente. Ces faits ont été définitivement établis par T. Gihl d’après les archives suédoises, puis repris et complétés par W. Carlgren d’après les documents allemands110. Il est donc possible de s’en tenir ici à l’essentiel de ce que fut "la démarche Bildt"111. Le 24 avril 1915, Wallenberg avait envoyé à son ambassadeur Bildt le télégramme suivant : "les rumeurs intenses concernant une participation de l’Italie à la guerre causent au Roi de sérieux soucis car, notre neutralité serait alors extrêmement difficile à maintenir. Sa Majesté vous prie de le faire savoir aussi bien au Roi d’Italie qu’à son Ministre des Affaires Étrangères avec la prière pressante, dans l’intérêt de toute l’Europe, de chercher à prévenir de nouvelles complications112. Les 25 et 26 avril 1915, Bildt communiqua ce message à Sonnino et au Roi Victor-Emmanuel. Ses interlocuteurs, quelque peu surpris, répondirent que l’Italie n’avait pas encore arrêté ses positions, et qu’on ne voyait pas en quoi la décision qu’elle prendrait pourrait en quoi que ce soit influer sur la neutralité de la Suède. Le 29 avril 1915, dans un nouveau télégramme à Bildt, Wallenberg expliqua ainsi la position de la Suède : "nous ne renoncerons pas volontairement à notre neutralité, mais il doit vous être connu que dans de nombreux milieux allemands, notamment militaires, on tenait pour évident que la Suède participerait à la lutte pour le germanisme. Cette opinion demeure et devient naturellement plus intense et plus pressante à mesure que l’Allemagne compte de nouveaux ennemis. Plus il y a de nations qui entrent en guerre, plus réduites sont les chances de maintenir la neutralité et la paix". Cette "démarche italienne" qui ne rencontra à Rome qu’un immense étonnement fut, de plus, effectuée trop tard : le 26 avril 1915, le jour même où Bildt était reçu par Victor-Emmanuel, l’Italie signait le Traité de Londres. Ce fut donc une maladresse diplomatique, dont le seul effet fut de jeter le discrédit sur la Suède aux yeux de l’Entente113. Sazonov en fut informé instantanément puisque tous les télégrammes entre Rome et l’Ambassadeur Carlotti à Pétrograd étaient déchiffrés préalablement par les Russes. Ce fut le cas de la dépêche de Sonnino, le 26 avril, informant son ambassadeur de la démarche Bildt114. En possession de ces dépêches, Sazonov s’empressa d’en communiquer la teneur à ses ambassadeurs à Londres et à Paris, Benckendorff et Iswolski115, ainsi qu’à Nekludov qui, le 7 mai 1915, lui télégraphia "qu’il avait fait part à Wallenberg de l’inquiétude causée par la démarche Bildt"116.
- 117 Paris, A.E., Guerre 1914-1918, Pays Scandinaves, Suède I, août 1914-mai 1915.
- 118 T. Gihl, op. cit., p. 131.
- 119 Löwgren, Gunnar (1881-1958), Rédacteur en chef du journal social-démocrate de Malmö "Arbetet". Il v (...)
- 120 Sur le voyage de Branting à Paris, en juillet 1915, cf. Infra p. 373-376.
- 121 Palmstierna, op. cit., p. 121.
- 122 Stockholm, R.A., N.F.C. Wikstrandssamling, Journalen 1915, 10.9.1915.
- 123 Poincaré a consacré dans ses Notes Journalières quelques lignes à l’entretien qu’il eût le 16 juill (...)
21De son côté Thiébaut fut informé par Delcassé de la "démarche italienne" le 5 mai 1915117. Ce qu’il est plus difficile de savoir, c’est si cette information passa alors des ambassadeurs de l’Entente aux chefs de l’opposition suédoise. T. Gihl a parlé à ce propos de "rumeurs dans les milieux diplomatiques et dans la presse étrangère118, mais sans préciser à quel moment ces rumeurs étaient apparues. Le seul témoignage laissé par les responsables sociaux-démocrates est celui de Palmstierna et il est seulement du 10 septembre. Il a noté, à cette date, qu’un bruit circulait à Stockholm selon lequel "par une lettre manuscrite personnelle", Gustav V aurait fait savoir qu’il serait impossible à la Suède de rester neutre, si l’Italie entrait en guerre. Cette information était arrivée "via Gunnar Löwgren119 et la légation à Paris". Mais ce qui est plus important, c’est que Palmstierna affirmait que Branting en avait été informé à Paris120 par Poincaré lui-même, alors que, jusqu’à ce voyage, il avait tout ignoré121. Ce témoignage se trouve d’ailleurs confirmé par celui qu’un haut fonctionnaire de U.D., N.F.C. Wikstrand, a laissé dans son journal. Il écrit, lui aussi, à la date du 10.9.1915 qu’il venait de rencontrer Wämer Rydén "fort mécontent du Roi, à cause de la démarche de Bildt à Rome". Rydén lui déclara alors : "Poincaré en avait avisé Branting, lors de la visite de ce dernier à Paris au mois de Juillet"122. Comme Rydén et Palmstierna étaient tous deux très proches de Branting, on peut accorder du crédit à cette information, même si elle n’a laissé aucune trace dans les papiers de Branting, ni dans ceux de Poincaré123.
- 124 Stockholm, R.A., Knut Wallenberg Privatarkiv, Sverige-Tyskland, 8.6.1915. On peut se demander, avec (...)
- 125 Malgré les succès de l’offensive autro-allemande en Galicie et en Pologne qui avait tempéré l’ardeu (...)
- 126 Aftonbladet, 8.6.1915.
- 127 1867-1929, cousin de la Reine Viktoria de Suède, épouse de Gustave V, et fille du Grand Duc Frédéri (...)
- 128 Stockholm, R.A.K. Wallenberg Privata Arkiv, Sverige-Rumänien, 1915-1916.
- 129 On ignorait que le 1er octobre 1914 la Roumanie avait conclu avec la Russie une convention qui lui (...)
- 130 Stockholm, R.A., K. Wallenberg Privata Arkiv, Hammarskjöld à A. Taube 24.6.1915. La Suède n’avait p (...)
- 131 Delcassé et Asquith s’étaient résignés à lui accorder le Banat et Bratianu accepta le principe de l (...)
- 132 Dans les deux cas, les compensations de la proposition Douglas (Åland, autonomie de la Finlande) ét (...)
- 133 On peut penser que Wallenberg sous-estimait volontairement l’importance de l’armée suédoise. Quelqu (...)
- 134 Bonn, A.A., Politische Abteilung, Schweden 56 : 1, Eventuelles Eingreifen Schwedens in den Weltkrie (...)
- 135 Bonn, A.A., Politische Abteilung, Schweden 56 : 1, Eventuelles Eingreifen Schwedens in den Weltkrie (...)
- 136 Bonn, A.A., Politische Abteilung, Schweden 56 : 1, Eventuelles Eingreifen Schwedens in den Weltkrie (...)
- 137 Notamment après la conclusion d’une convention militaire avec la Bulgarie le 6 septembre 1915.
- 138 Ancien ambassadeur d’Allemagne à Stockholme. Les 24, 25 et 26 août, Wedel rencontra, en outre, la R (...)
- 139 Bonn, A.A., Politische Abteilung, Schweden 56 : 1, Karl Wedel, Notizen über meine Unterredungen in (...)
22On ne peut donc nier que le roi en février et en avril 1915, avait donné de sérieux gages de sympathies à l’Allemagne. L’irritation à l’égard des brimades allemandes qu’il manifesta devant Douglas, se comprenait donc aisément. Le 8 juin Douglas fut reçu par Hammarskjöld et Wallenberg auxquels il renouvela l’offre d’alliance de Zimmermann. Les notes prises lors de l’entretien par le Ministre des Affaires Étrangères indiquent qu’il y fut ajouté la promesse de la rétrocession, aux bons soins de la Suède, du Nord-Schleswig annexé par Bismark en 1864124. Mais ce fut en vain. Les hommes d’État suédois se refusaient à abandonner la neutralité. Ce refus fut d’autant plus sensible à Berlin qu’on y redoutait de plus en plus l’intervention roumaine125. Le projet d’associer la Suède et la Roumanie qui, toutes deux, ne manquaient pas de raisons de redouter la Russie, avait été nourri dès l’Automne 1914, en particulier par l’Ambassadeur de Suède à Berlin, Arvid Taube, en collaboration avec l’Ambassadeur de Roumanie, Beldiman. A l’époque de la mission Douglas, ces projets étaient à nouveau discutés par la presse activiste de Stockholm126. A Berlin, faute de pouvoir compter sur son alliance militaire, on songea alors à utiliser les bons offices de la Suède pour faire pression sur Bucarest. L’instrument de cette démarche fut le Prince Max de Bade127, qui écrivit le 21 juin à Gustave V128. Il lui suggéra un rapprochement suédo-roumain et évoqua, mais sans insister, l’intérêt qu’aurait représenté, pour la paix et pour la Suède, une intervention militaire conjointe de la Suède et de la Roumnaie aux côtés de l’Allemagne. Ce que l’Allemagne attendait de la Suède c’était, au moins, qu’elle amenât la Roumanie "envahie par l’or et les agents de la Triple Entente" à une neutralité bienveillante aux Empires centraux129. Le 24 juin Gustave V convoqua Hammarskjöld à sa résidence de Tullgarn et établit un projet de télégramme au Roi Ferdinand, dont le texte était le suivant : "pour l’avenir de mon pays, la victoire des puissances centrales est d’une importance décisive. Comme je crois qu’à cet égard nous avons des intérêts communs, je propose que nous entrions en conversation avant de prendre une position définitive. Si tu es en principe d’accord, nos gouvernements pourraient entrer en pourparlers". Mais Hammarskjöld, ainsi que Wallenberg et le Ministre de l’Intérieur, Von Sydow, qui l’avaient accompagné, en déconseillèrent l’envoi. On décida cependant qu’on donnerait satisfaction à l’Allemagne, et qu’on tenterait d’agir sur la Roumanie. Ce fut le Ministre de Suède à Berlin, Taube, qui fut chargé de faire savoir à Bucarest – via Beldiman – qu’il était "de la plus grande importance que les puissances encore neutres se missent en relation et évitassent de prendre, sans consultation préalable, des décisions irréversibles, dangereuses pour la neutralité des autres"130. Avant de répondre, Bratianu fit demander si la Suède pouvait compter sur la neutralité bienveillante de la Norvège et du Danemark. On comprit alors à Stockholm que les Roumains avaient vu, dans la démarche suédoise, une offre d’entrer en pourparlers pour une action militaire commune. La Suède fît alors connaître clairement sa volonté de rester neutre. La Roumanie ne répondit pas sur le fond à la démarche Taube, et il n’y eut pas de négociations suédo-roumaines. Comme pour la "démarche italienne", la Suède s’était ainsi compromise inutilement131. Quelques jours après, à peine, l’Allemagne fit une nouvelle tentative pour entraîner la Suède. Le banquier de Hambourg, Max Warburg, qui depuis de nombreuses années était en relation d’affaires avec Wallenberg, se rendit à Stockholm dans les premiers jours de juillet, porteru d’une nouvelle offre de Zimmermann, En échange de son intervention, la Suède recevrait le concours de troupes allemandes, et pourrait exercer son hégémonie sur une Fédération Scandinave, comprenant aussi les Pays Baltes. Toutefois, à défaut d’une intervention militaire suédoise, les deux pays auraient pu conclure une alliance, dont la seule nouvelle n’aurait pas manquer d’influer sur la Russie, déjà malmenée par l’Offensive allemande132. Enfin, reprenant le projet de Max de Bade, Warburg devait suggérer à nouveau la conclusion d’une alliance suédo-roumaine qui démontrerait que ces deux puissances se tenaient aux côtés de l’Allemagne. Son premier entretien avec Wallenberg eût lieu le 5 juillet. Les efforts de Warburg furent tout aussi infructueux que l’avaient été ceux de Douglas. Le Ministre suédois affirma vivement la faiblesse d’une armée qui ne pouvait vraiment compter que sur 100 000 hommes133 et qui manquait d’artillerie, excluant toute intervention militaire en Finlande. Mais, ajouta-t-il, "nous souhaitons la victoire des puissances centrales tout simplement parce que leur victoire est dans l’intérêt de la Suède”134. Une neutralité bienveillante était donc préalable à une faible alliance. Il y avait encore une autre possibilité pour la Suède d’être utile à l’Allemagne ; Wallenberg qui "jouissait en Russie de suffisamment de confiance" s’offrait à être l’honnête courtier d’une paix séparée russo-allemande. Deux conditions, selon lui, devaient être d’abord remplies : il fallait que l’Allemagne occupât au plus vite Riga et Réval, puis, lors de la négociation, se contentât de très légères modifications de frontières, afin de ne pas créer une nouvelle Alsace-Lorraine. Dans cette hypothèse, la Suède pourrait envisager une mobilisation générale qui "aiderait à secouer l’arbre, les pommes étant mûres". Cette proposition sortait évidemment du cadre de la mission confiée par Zimmermann à Warburg, mais le 12 juillet, lors de son dernier entretien avec Wallenberg, Warburg pouvait lui communiquer la réponse de Bethmann-Hollweg : l’Allemagne se satisferait des retouches de frontières stratégiquement nécessaires et d’un traité de commerce135. Mais, à Berlin, faute sans doute de pouvoir convaincre les Russes, on persistait à attendre des Suédois autre chose que leurs bons offices pour une paix séparée. A la fin de juillet, à la veille de son départ pour Stockholm, l’Ambassadeur de Suède Taube, reçu par Zimmermann et Bethmann-Hollweg, était chargé de dire encore à Gustave V qu’une alliance défensive entre les deux pays leur semblait "souhaitable d’urgence". Mais, pour que la Suède intervint, il eût fallu, comme Gustave V le déclara à Taube, "une raison plausible". Or celle-ci ne pouvait naître que d’un débarquement allemand à Åland, et d’un soulèvement en Finlande. S’ils se produisaient, des forces si puissantes se mettraient en mouvement en Suède que même les "amis de la paix” seraient entraînés136. C’était, cependant, revoyer toute initiative à l’Allemagne, à un moment où l’État-Major et Falkenhayn s’apprêtaient à concentrer leurs efforts sur la campagne des Balkans137. Peu après, Gustave V développa les mêmes arguments devant le Prince Karl Wedel138, sans insurrection en Finlande, rien n’était possible car "on n’aurait pas le peuple derrière soi". Si la Finlande se soulevait, la sécurité obligerait la Suède à la mobilisation générale "qui ne pourrait se tourner que contre la Russie"139.
- 140 C’est le cas d’Ernst Trygger qui, au courant de la mission Douglas, écrivit à Taube qu’une "entrée (...)
- 141 C’est ce que fait justement remarquer W. Carlgren, Ministären Hammarskjöld… p. 111.
- 142 Sauf la mention d’une éventuelle visite à Stockholm de Demburg, dont la nouvelle venait d’un articl (...)
- 143 Sam Clason (1867-1925). Professeur d’Histoire à l’Université de Lund (1904). "Un des meilleurs hist (...)
- 144 Stockholm, R.A., Sam Clasons Samling, Stenografiska Anteckningar, 23.7.1915.
23Ainsi donc, à cinq reprises, de mai à août 1915, l’Allemagne avait-elle essayé d’entraîner la Suède dans son alliance. Bien que ces démarches se fussent limitées à un très petit nombre de personnes, un certain nombre d’hommes politiques en furent informés140. On ne peut croire qu’aucune rumeur n’ait atteint les chefs des Partis de Gauche141. Pourtant la lecture de la presse socialiste, et notamment du Socialdemokraten, est particulièrement décevante. On n’y trouve pas la moindre allusion à toutes ces démarches du printemps et de l’été 1915142. Ce silence troublant, on peut penser qu’il fut délibéré. On a en effet sur cette période les notes journalières de Sam Clason143. Ce dernier eût lieu le 23 juillet 1915 un entretien avec la Reine Viktoria au cours duquel il fut question de l’offre d’alliance allemande apportée par Douglas. "La note, écrit Clason, serait venue en mai et le Ministre des Affaires Étrangères se serait aussitôt rendu chez le Roi qui, tout de suite après, au cours d’une audience, aurait manifesté une très grande agitation. Quant à Wallenberg, il aurait immédiatement après rendu visite à Branting"144. En ce cas l’objet de cette visite ne fait guère de doutes. Une fois de plus, Branting estima sans doute que la cause de la neutralité suédoise serait mieux défendue, à ce niveau, par l’habilité sans fracas du Ministre que par une campagne publique de l’opposition.
- 145 Voir ci-dessous, p. 180.
- 146 Mats Kihlberg, Aktivismens Huvudorgan Svensk Lösen…, pp. 9-14.
- 147 "Le Feu", dont la parution avait cessé à la fin de 1914.
- 148 Dont les principaux animateurs étaient G.A. Gripenberg, H. Gummerus, A. Mörne, P.H. Normén, et R. P (...)
- 149 Cf. Michael Shepard, Adrian Molin, Study of a Swedish Rightwing Radical, Thèse multigraphie, Evans (...)
- 150 Kihlberg cite cette lettre significative de Norström à Molin datée du 15.7.1915 (Stockhom, K.B., Ad (...)
- 151 Ivar Andersson, Otto Järte, En man för sig, Stockholm, 1965, pp. 158-159.
- 152 Cf. Ivar Andersson, ibid.
- 153 Ivar Andersson, ibid.
- 154 Par sa femme, Oscara von Sydow.
- 155 Gustav Siösteens, Dagboksanteckningar, 19.6, 26.6, 10.7.1915 (Cf. Å. Lilliestam, Historisk Tidskrif (...)
- 156 Ivar Andersson, op. cit., p. 160.
- 157 D’après ses Notes de 1917 (K.B.) cf. Ivar Andersson, ibid.
- 158 De même que l’été suivant elle prit partie contre sous l’influence de l’offensive Broussilov.
24Ce qui importait davantage c’était de refouler l’offensive que l’activisme avait lancée pour rallier l’opinion suédoise. L’activisme se trouvait alors comme porté par les succès militaires allemands sur le front oriental, et par l’impopularité croissante de l’Angleterre, en raison des restrictions commerciales imposées à la Suède145. Le concours de ces circonstances éminemment favorables pouvait compenser le petit nombre de ceux qui souhaitaient "activer" la politique suédoise. Mats Kihlberg146 a montré qu’au printemps 1915 le groupe de pression activiste était issu de trois courants. Le premier était celui de ceux qui autout d’Adrian Molin, de Rudolf Kjellén, de Sven Hedin et d’Otto Järte souhaitaient une communauté politique et culturelle avec l’Allemagne. Dans le second, plus modéré, plus universitaire, se retrouvaient les disciples de Harald Hjärne groupés dans plusieurs sociétés d’étudiants, comme la Heimdal à Uppsala. Ses membres avaient participé naguère au "Mouvement pour la Défense nationale" (Försvarsrörelsen) et plusieurs d’entre eux avaient été les collaborateurs de son organe "Vårdkasen"147. Dans ce milieu on éprouvait, certes, des sympathies pour l’Allemagne, mais on s’était beaucoup moins engagé dans le débat moral entre l’Allemagne et les Démocraties occidentales. Comme chez leur maître à penser, Harald Hjärne, la crainte de la Russie et le souci de la refouler primaient, quoique sans l’exclure, le sentiment de la communauté germanique. Enfin, l’activisme finlandais, dont la plupart des animateurs appartenaient à la minorité suédoise de Finlande qui avait abandonné la tactique de la résistance passive et préparait maintenant l’insurrection avec le concours allemand. Le "Comité Finlandais"148 à Stockholm se trouvait en relations permanentes, notamment dans le cadre du "Pelikanklubb", avec les activisites suédois Otto Järte, Yngve Larsson, les frères Forsell, Sven Lidman, Nils Ahnlund, Erland Hjärne. Sans que ce Parti activiste fût véritablement organisé, il subissait notablement l’influence d’Adrian Molin149, représentant de la Jeune Droite de Göteborg qui avait eu pour maîtres Rudolf Kjellén et Vitalis Norström150. Molin a écrit dans ses Notes qu’au printemps et au début de l’été 1915 le Mouvement activiste "abandonna l’antithèse" faible ou forte neutralité" pour une antithèse, dure, "neutralité ou pas"151. S’il en fut ainsi, c’est que très tôt les activistes se trouvèrent informés de l’offre d’alliance allemande. Dès le 30 mai 1915, Douglas en avait parlé à Otto Järte, sans omettre la promesse du Sönder Jylland (Nord-Schleswig), et sans omettre aussi qu’en cas de paix séparée russo-allemande, Berlin ferait connaître son "désintéressement" dans la question du Nord Scandinave152. On peut penser aussi, qu’après la visite de Douglas, le 8 juin, Wallenberg "qui n’avait pas pris la chose très au sérieux"153 avait eu l’occasion d’en parler à un activiste proche de Järte, le professeur Gustav Steffen, dont il était parent154. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que Steffen et Järte se rendirent à Berlin en juin avec d’autres membres de la Commission suédoise du ravitaillement (Livsmedelskommission). Steffen y fut reçu le 19 juin par Südekum qui lui affirma que l’Allemagne pourrait débarquer 120 000 hommes en Finlande, mais qu’elle ne le ferait pas sans le concours de la Suède. Dans les premiers jours de juillet, c’est Zimmermann qui déclara à Steffen et à Järte qu’il fallait travailleur à une coopération entre la Suède et la Roumanie qui permettrait à l’Allemagne de "rejeter la Russie dans ses limites ethnographiques". Zimmermann ne manqua pas non plus de souligner le danger d’une paix séparée russo-allemande qui se ferait "aux dépens de la Suède". Le 10 juillet, enfin, c’était au tour de Bethmann-Hollweg de dire à Steffen que "la Suède avait l’issue de la guerre dans ses mains"155. Comme l’a écrit Ivar Andersson, "les activistes vécurent au début de l’été 1915 dans l’impression que de grandes choses étaient en cours et que c’était le moment de briser les résistances à l’entrée en guerre de la Suède"156. Selon Adrian Molin157, cette dernière eût immédiatement soulevé la Finlande. Soutenue par un débarquement allemand à Åland, puis sur les côtes finnoises, l’année suédoise aurait rapidement progressé à travers le Grand-Duché, tandis que Hindenburg marchait sur Litau et Riga, Pétrograd menacée et bientôt investie, et c’était la Roumanie qui prenait partie pour les Empires centraux158. La Russie, alors, aurait été abatttue. La Suède eût gagné Åland, le droit de décider du sort de la Finlande, et celui de restier au Danemark le Nord-Schleswig. Bon gré, mal gré, la Norvège aurait été finalement obligée de suivre le sillage de la Suède et du Danemark. Ainsi auraient été créées des bases solides pour une politique nordique sous la direction de la Suède.
- 159 Dont les Allemands venaient de prendre le contrôle financier (Leif Kihlberg, Dagens Nyheter och Dem (...)
- 160 Après avoir été refusé par les deux principaux éditeurs de Stockholm, Bonnier et Nordstedt, l’ouvra (...)
- 161 Cf. Mats Kihlberg, op. cit., pp. 18-20 ; Ivar Andersson, op. cit., p. 157 et sq.
- 162 Sveriges utrikespolitik i världskrigets belysning, Stockholm, 1915, p. 71.
- 163 Sveriges utrikespolitik i värkdskrigets belysning, Stockholm, pp. 72-73, L. Maury, op. cit., p. 181
- 164 Ce mouvement était animé principalement par Signe Bergman et Agda Montelius. Wallenberg qui avait d (...)
- 165 C’est au cours de son séjour que 23 avions français vinrent bombarder Karlsruhe, et que le château (...)
- 166 Berliner Tageblatt, 28.6.1915. Le propos fut ensuite démenti, mais sans grande conviction. C.N. Car (...)
- 167 Socialdemokraten, 29.6.1915.
25Naturellement, ce rêve d’hégémonie suédoise en Scandinavie devrait, dans l’immédiat, demeurer secret. Aussi bien la campagne de presse lancée par l’activisme le fût-elle d’abord sur le thème de la "Neutralité active". Les principaux instruments de cette campagne furent, à Stockholm, le "Det Nya Sverige" d’Adrian Molin, l’Aftonbladet159 de Harald Sohlman et le Nya Dagligt Allehanda de Léonard Ljunglund, et, en province, le Göteborgs Aftonblad, le Helsingborgs Dagblad et le Smålands Allehanda. Tous les arguments développés par la presse activiste furent rassemblés dans un livre habile publié dans les premiers jours de juillet 1915, sans nom d’auteur, "la politique étrangère de la Suède à la lumière de la guerre mondiale" (Sveriges Utrikespolitik i världskrigets belysning). Nous savons aujourd’hui, d’après les papiers de Molin et de Järte, qui furent les auteurs de ce livre160. C’est Adrian Molin qui semble avoir été le maître d’oeuvre de l’entreprise. Rudolf Kjellén en écrivit l’introduction, Otto Järte le chapite consacré aux relations politiques de la Suède avec les puissances de l’Ouest et avec l’Allemagne, et Yngve Larsson celui consacré à "La Guerre Mondiale comme Kulturkampf". Le chapitre central dans lequel étaient analysées les ressources de la Suède, armée, flotte, économie (våra maktmedel) était dû à la collaboration de deux officiers supérieurs le Lieutenant Colonel Axel Hultcrantz et le Capitaine de vaisseau Claes Lindström, ainsi qu’à celle de l’économiste Eilif Sylwan161. Ce que l’opinion retint, dans l’instant, c’était l’appel à un "courageux ralliement à l’Allemagne" (modig uppslutning vid Tysklands sida). Selon les auteurs, la politique de neutralité menée jusqu’alors par la Suède s’était laissé dicter par la "pusillanimité de l’opinion et par un optimisme de surface" ; elle n’avait réussi ni à protéger les intérêts économiques immédiats du pays, ni à assurer l’avenir politique de la nation face à la Russie. La Suède devait donc se rallier à l’Allemagne. Tout l’y invitait : la géopolitique, les liens du sang, la défense commune de "la plus haute culture" contre les Slaves inférieurs, la nécessaire protection de l’Allemagne contre la Russie. De plus l’Allemagne n’avait aucun intérêt vital en Scandinavie du Nord, et par conséquent il lui serait "indifférent" si, au règlement de paix, la Russie s’installait sur les mines de fer suédoises ou sur la côte norvégienne162. Au contraire, si la Suède intervenait, peut-être même si seulement elle menaçait en mobilisant, alors son avenir serait assuré. N’était-ce pas la promesse de la Finlande libérée, la Baltie de l’Ordre de l’Épée restaurée, la Pologne de Jean Sobieski, l’Ukraine d’Yvan Mazeppa ressuscitées ? Reprendre l’oeuvre de Gustave Adolphe, faire revivre les idées anéanties dans la sanglante nuit d’été de Poltava, réparer le reniement de Fredrikshamn un siècle plus tard, et, dix ans après la rupture de l’Union, montrer aux frères nordiques que la Suède voulait remédier aux faiblesses de jadis et se donner à la mission qui l’attendait dans le Nord163 ; de tels buts n’étaient-ils pas dignes que l’on consentît des sacrifices ? Ces propos inquiétèrent d’autant plus les milieux sociaux-démocrates que l’on redoutait quelque dangereuse initiative du pouvoir royal. La Reine Viktoria avait pris dès le début de 1915 une attitude publique sans équivoque. Au nouvel An, elle était personnellement intervenue pour stopper les préparatifs d’une grande manifestation pour la paix organisée par des associations féminines en Suède, ainsi d’ailleurs qu’au Danemark et en Norvège164. En mai avait éclaté l’affaire de la "Couronne de Fer" ; ce trophée exécuté avec du matériel de guerre pris en Belgique fut remis solennellement à la Reine par le régiment de fusiliers de Stettin, dont elle était colonel d’honneur depuis plusieurs années. En juin, enfin, au retour d’un nouveau voyage à Karlsruhe165, elle fut, à Berlin, l’objet de grandes manifestations de sympathie de la part des étudiants allemands. Le "Berliner Tageblatt" rapporta qu’elle avait déclaré "mes sympathies vont à l’Allemagne, vous pouvez le clamer au monde entier"166. Branting, pourtant si réservé quand il s’agissait de la dynastie, s’indigna : "nous n’avons pas une Reine suédoise, mais une Princesse allemande aux côtés de notre Roi", tout en faisant observer que tout cela n’aurait, au reste, aucune influence sur la politique de paix autour de laquelle la nation s’était rassemblée. La Suède n’était pas un pays "dont le destin était décidé par la voix d’une Reine"167.
- 168 Selon W. Carlgren, Neutralität oder Allianz...., p. 112, Viktoria exerçait sur lui "une influence n (...)
- 169 On observa que le Socialdemokraten rendit compte du discours le 4 mai, en atténuant tout ce qu’il p (...)
- 170 Cf. supra p. 150.
26Mais Gustave V lui-même était-il plus sûr ?168. Le 3 mai 1915, il se rendit à Göteborg pour présider au lancement du cuirassé "Sverige", construit grâce à la souscription nationale de 1912. Il y tint des propos alarmants, reproduits avec complaisance par toute la presse activiste : "si, Dieu nous en préserve, la situation devenait telle que je croie devoir appeler les fils du pays à défendre la liberté et l’indépendance de notre chère patrie, je ne doute pas que le peuple de Suède se lèverait comme un seul homme et suivrait son Roi pour mener la lutte jusqu’à une fin heureuse"169. Trois mois plus tard, Arvid Taube, de retour à Stockholm, faisait savoir à Bethmann-Hollweg que Gustave V lui semblait maintenant moins réticent à l’idée de l’intervention. Toutefois en raison "des divisions de l’opinion et des objections de ses ministres", il fallait "une raison plausible", pour dresser le pays170. Plus grave encore était que le Ministère semblait moins ferme dans la conduite de la politique de neutralité. On eût brusquement le sentiment que tous les refus pouvaient n’être pas définitifs, et que le pays pouvait encore basculer devant la guerre.
Le pouvoir ébranlé
- 171 En particulier Aftonbladet, le 18.7.1915.
- 172 Et pas seulement par les seuls activites. Le Secrétaire du S.A.P. lui-même, Fredrik Ström, écrivit (...)
- 173 Socialdemokraten, 19.7.1915. La presse de l’Entente s’efforça, de même, de minimiser l’inquiétude q (...)
- 174 Stockholms Tidningen, 14.8.1915. Quelques jours après, le 22.8., le Ministre de l’Intérieur Von Syd (...)
27Le 17 juillet 1915, Hammarskjöld fit une grande déclaration pour éclairer l’opinion sur le véritable sens de la neutralité suédoise : certes, le plus cher désir du Gouvernement était le maintien de la paix et à ce but il voulait travailler de toutes ses forces ; mais il devait aussi compter "avec des éventualités qui, malgré tous ses efforts, rendraient la paix impossible pour la Suède". Quelles pouvaient être ces éventualités ? Il s’agissait d’abord du cas extrême : une invasion du pays. Mais il fallait envisager aussi "d’autres cas, de nature comparable". Enfin, Hammarskjöld lança un avertissement répercuté par toute la presse : "on a beaucoup parlé, ces derniers temps, du danger de présenter la guerre comme souhaitable ; il y a là un véritable danger, si s’enracinait la conviction que la Suède désire la guerre. Mais il est aussi néfaste de laisser croire à certains que la Suède veut la paix à tout prix et qu’on peut par conséquent la maltraiter sans risque". Tandis que la presse activiste171 voyait dans ce discours la promesse du changement de politique étrangère tant attendu, le Socialdemokraten s’efforça de montrer que les propos de Hammarskjöld étaient "mal interprétés"172. Est-ce qu’un gouvernement suédois, quel qu’il fût, ne devait pas compter, dans la situation présente, avec le risque d’être entraîné malgré lui dans la guerre ? "Etre prêt au pire c’est le devoir du gouvernement"173. Peu après Wallenberg fit savoir que le Cabinet et lui-même approuvaient entièrement l’attitude du Premier Ministre174
- 175 Au même moment, Höglund était sollicité par le Social-démocrate allemand A.L. Helphand (Parvus) don (...)
- 176 Stockholm, A.R.A., Brantingssamling, Südekum à Branting, 11.6.1915.
- 177 Entretien Südekum-Steffen du 19.11.1915.
- 178 Lucius, qui avait précédemment été secrétaire d’ambassade à Pétrograd, avait fait venir à Stockholm (...)
- 179 R. Anderson, Svenska Dagbladet och Del Poliliska livet.1897-1918. Stockholm, 1952, pp. 323-325. Un (...)
- 180 Hammarskjöld lui-même se prêta-t-il à ce projet de médiation ? Selon les rumeurs de presse (Skånska (...)
- 181 Mats Kihlberg, op. cit., pp. 23-26.
- 182 Cf. p. ex. Örebro Kuriren du 5.7.1915.
- 183 Stockholm, R.A., Sam Classons stenografiska anteckningar, 23.7.1915.
28Pendant que se développait la campagne de presse activiste, et que le pouvoir semblait irrésolu devant leurs arguments, le Parti social-démocrate était à nouveau l’objet des efforts de propagande de la Social-démocratie allemande. En juin 1915, Südekum s’adressait de nouveau à Branting. Une fois encore il recourait "au danger russe". "Une Russie victorieuse, lui disait-il, ne se laissera pas couper de l’Atlantique par l’indépendance de la Suède et de la Norvège. Pas davantage qu’elle ne se laissera couper de Constantinople par une Roumanie indépendante. Si l’Allemagne était vaincue dans cette guerre les États Scandinaves, commes les États balkaniques, ne seraient plus que des "satrapies russes"175. Ce que Südekum attendait alors de Branting, c’était qu’il prît l’initiative de rechercher "les bases d’une compréhension pacifique et d’une négociation entre les peuples et les partis socialistes176. L’appel à cette médiation de paix n’empêcha cependant pas Südekum, quelques jours après, d’envisager à nouveau une intervention suédoise, condition sine qua non au débarquement d’un corps allemand de 120 000 hommes en Finlande177. Il semblait donc que l’Allemagne menait simultanément deux politiques. La paix séparée avec la Russie, c’était la politique que depuis le début de 1915, l’Ambassadeur Von Lucius cherchait à faire prévaloir à Berlin178. Il est certain qu’elle répondait aux voeux d’une bonne partie de la Droite suédoise dont les sympathies allaient à l’Allemagne, sans que pour autant elle acceptât de prendre les armes à ses côtés. Ragnar Andersson a montré le rôle joué à cet égard par le directeur du grand quotidien de Stockholm Svenska Dagbladet, le Dr Helmer Key. Dès la fin de décembre 1914, Key et Théodor Eklund, le directeur du "Svenska Telegrambyrå1 s’étaient mis en relation avec l’agent de presse russe à Stockholm, le Conseiller Markow, lui aussi gagné à cette idée179. Wallenberg lui-même qui, de son propre aveu, menait "une politique alimentaire" (en matnyttig politik) partageait ces vues180. Si on en croit H. Key, aux côtés du Svenska Dagbladet, la Revue "Svensk Tidskrift" qui, autour de Harald Hjärne, regroupait une phalange de jeunes intellectuels conservateurs comme Eli Heckscher, Gösta Bagge, Herman Brulin, Nils Wohlin, s’était aussi distancée de l’activisme. Sans doute considérait-on, comme l’écrivit Hjärne, que "les Allemands et leurs alliées combattaient aujourd’hui pour les mêmes buts que jadis la Suède". On mettait cependant en garde contre une "guerre de chapeaux", contre toute action privée du soutien de l’opinion publique181. Si l’idée de la guerre restait le fait d’une minorité, celle de la médiation de paix, favorable dans le fond à l’Allemagne, se dissimulait sous toutes sortes de raisons humanitaires et rencontrait un écho jusque dans certains milieux Sociaux-démocrates182. Selon Clason, Ernst Trygger, le leader de la Droite, était aussi partisan de cette politique : maintenir la neutralité, servir d’intermédiaire à une paix bienveillant à l’Allemagne et puis "rejoindre son camp"183. Mais, dans l’immédiat, pour Branting et pour son parti c’était le "ralliement courageux" à l’Allemagne qu’il fallait prévenir. Si on croyait toujours pouvoir faire confiance en Wallenberg, Hammarskjöld semblait faible et on pouvait tout redouter du "Parti de la Cour".
- 184 Tidens Tegn, 1.7.1915.
- 185 Les hommes, âgés de 31 ans, soit la dernière année du premier ban de la disponibilité (Beväring).
- 186 Socialdemokraten, 14.1.1915.
- 187 Socialdemokraten, 10.6, 12.6., 14.7.1915. Il s’agissait de l’armée de terre. Dans la marine, les co (...)
- 188 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådet, 28.4.1915.
- 189 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådet, 14.5.1915 ; Rikdsdagsgruppen, 17.5.1915.
- 190 La plupart des témoignages concourent à monter l’impréparation totale de la Landstorm suédoise en a (...)
- 191 Toutefois, on se mit d’accord au sein de la Commission du Budget (Statsutskottet) pour réserver la (...)
- 192 L’année budgétaire allait du 1er juillet 1915 au 30 juin 1916. Ce budget, adopté en mai 1915, s’éle (...)
- 193 La flotte suédoise, au début de 1915, comptait une centaine de bâtiments, pour la plupart de déplac (...)
- 194 Socialdemokraten, 20.5.1915. Nekludov exprima à Wallenberg l’inquiétude de la Russie devant ces mes (...)
- 195 Paris, Archives de la guerre. E.M.A.T.O.E. 16. N. 29-34, et E.M.A. 7 N 835, 9.12.1915.
- 196 Cf. Infra, p. 195. Le bruit courut même, à la suite d’informations parues dans la presse britanniqu (...)
- 197 On estimait que l’entrée en guerre de la Bulgarie, l’échec de l’entreprise alliée centre les Dardan (...)
- 198 Bengt Holtze, Några Militära Bedömningar, 1915, avseende Sverige, Aktuellt och Historiskt, Meddelan (...)
- 199 Bulletin de renseignements de l’État-Major russe n° 443 du 30.9.1915. Paris, Archives de la guerre, (...)
29On comprend, dès lors, que le S.A.P. ait suivi avec une extrême attention la réorganisation et le développement de l’armée suédoise, prévus par la loi du 12 septembre 1914. Or, dans le courant 1915, sans recourir jamais à la mobilisation générale, le gouvernement Hammarskjöld fit de cette armée "une armée de campagne" que personne "ne souhaitait avoir pour adversaire"184. Toutes les anciennes classes de la disponibilité furent peu à peu appelées à faire des périodes, en commençant par les plus anciennes. Ainsi, dès le 26 janvier ce fut le cas de la classe 1904 (infanterie)185, maintenue sous les armes jusqu’au 13 mars186. En juin, c’était le tour des classes 1908 et 1909, en juillet des classes 1910 et 1912187. En avril, déjà le "Förtroenderådet" s’était inquiété "de la poursuite des mesures de mobilisation" et avait chargé Branting de demander des explications au Gouvernement188. Peu après, Branting faisait part de la réponse, négative, du Ministre de la Guerre : en raison de la situation militaire internationale, il était impossible de diminuer les effectifs des troupes de protection189. Dans l’ensemble, pourtant, le Parti ne semble pas avoir manifesté beaucoup d’opposition à toutes ces mesures. Curieusement, c’est à l’égard des projets de renforcement de la Landstorm190 que la S.A.P. fut le plus réticent. Simultanément le Gouvernement accroissait la production des matériels militaires. Le 16 avril, lors du débat sur le budget de la Marine, le Ministre D. Broström faisait savoir au Riksdag que les moyens financiers réservés le 14 septembre 1914, soit 4 millions de couronnes, seraient consacrés à la construction de nouveaux sous-marins. Ce projet ne pouvait que rencontrer l’assentiment du Parti Social-démocrate191. Peu après, le Gouvernement saisissait le Parlement d’une demande d’avances de crédits sur le budget de 1916192. La Commission du Budget accorda près de 30 millions de couronnes, dont 11 345 064 pour l’armée de terre, près de neuf millions pour la marine193 et 5,5 millions pour l’artillerie. Les Sociaux-démocrates s’opposèrent alors à ces novueaux crédits194. Le Parti restait fidèle à la loi du 12 septembre 1914, mais se refusait à de nouvelles charges militaires qui eussent accrû le risque d’une intervention de la Suède dans le conflit. De fait, le renforcement de l’armée suédoise dans le courant de l’année 1915 modifiait l’équilibre militaire en Europe du Nord. Les services de renseignement britanniques et français s’accordaient alors pour estimer que l’armée suédoise régulière se composait de plus d’un demi million d’hommes, dont environ 350 000 pour l’active et 175 000 pour la Landstorm195. L’accroissement de la force militaire suédoise, justifié d’abord par le "danger russe", le fut ensuite en 1915 par la tension avec la Grande-Bretagne résultant de la sévérité croissante du blocus appliqué à la Suède. Effet de la crise, il vint alors s’ajouter aux causes de cette crise, surtout quand l’Allemagne poussant son offensive à l’Est chercha à mettre cette nouvelle force à son service. En octobre, le danger de guerre s’était fortement accrû. Les négociations commerciales avec Londres, commencées sans enthousiasme en juin, furent rompues196. L’offensive allemande s’arrêta devant Riga, ce qui eût pour effet de redoubler les efforts des activistes finlandais. Une députation, conduite par Axel Lille, et mandatée par tous les partis finnois, y compris le parti social-démocrate, arriva à Stockholm et fut notamment reçue par le Roi, par la Reine et le Maréchal Douglas. La Norvège, de son côté, renforça son dispositif militaire dans la région de Björnefjeld-Hunddalen à l’ouest du terminus suédois de la voie ferrée vers Narvik. Les documents de l’État-Major suédois révèlent qu’on redouta alors une action britannique destinée à prévenir une paix séparée russo-allemande197. Un débarquement britannique à Narvik, auquel les préparatifs norvégiens semblaient donner quelque vraisemblance, aurait eu alors pour but d’établir une liaison directe avec la Russie, soit par Boden, soit par Gällivare-Överkalix. Du même coup, l’Allemagne eût été coupée de son ravitaillement en fer. En cette hypothèse, on tenait pour certaine une invasion russe par Torneå198. Au même moment, l’État-Major de Nicolas II s’attendait à une offensive suédoise, en décembre "quand les lacs et rivères seraient gelés en Finlande"199. Tout était donc possible et on était à la merci d’un incident.
- 200 En novembre, Falkenhayn avait laissé espérer aux activistes finlandais, sans doute par Wetterhoff q (...)
- 201 W. Carlgren, Neutralität oder Allianz… pp. 176-189, 197-200, E. Palmstierna, op. cit., I, p. 133.
- 202 Ulf. Brandell, Dagens Nyheter, 30.1.1958 "Det tyska alliansbudet". W. Carlgren, Neutralitât oder Al (...)
- 203 Les îles Åland, une Finlande autonome intégrée dans une fédération Scandinave dont Stockholm aurait (...)
30Le climat était favorable à de nouveaux efforts allemands pour entraîner la Suède200. Comme au printemps, plusieurs émissaires se rendirent à Stockholm : le Prince Karl Wedell, à la fin d’août, Max Warburg, pour la seconde fois, du 27 au 29 septembre, et Paul Rohrbach, dans les premiers jours d’octobre201. La tentative la plus sérieuse fut faite par Max de Bade au cours du séjour qu’il fit à Stockholm du 15 au 20 novembre 1915, à l’occasion d’une conférence de la Croix-Rouge pour l’échange des prisonniers de guerre. Ce que Max de Bade proposa alors, en accord avec Guillaume II, Von Falkenhayn et Von Jagow était moins rien qu’une alliance formelle, assortie d’une convention militaire202. Cette démarche fut d’abord faite, le 15 auprès de Gustave V et de la Reine Viktoria, à l’insu de Hammarskjöld et de Wallenberg. Mais, une politique personnelle du Roi était-elle alors vraiment possible ? La fortune des armées allemandes, les avantages escomptés pour son pays203, ses affinités, pouvaient certes l’incliner à la guerre. Mais il lui fallait compter avec l’opinion et avec la résistance des Partis. On peut penser que le sort de la Suède a assez largement dépendu de l’appréciation que le Souverain pouvait alors faire de la capacité des Partis de Gauche à mobiliser le pays contre l’abandon de la neutralité.
La mobilisation contre la menace de guerre
- 204 Cf. Supra, p. 62, note 1.
- 205 Stockholms Socialdemokratiska-och-Ungsocialistiska klubbars Samarbetskommitté. Ce comité inaugura s (...)
- 206 Stockholm, S.A., Kriminalavdelningen, ibid 19 et 21.2.1915.
- 207 Berättelse över Socialdemokratiska Ungdomsförbundets Verksamhet år 1915, Oskarshamn, 1916.
31Curieusement, Branting a tardé à s’engager contre l’activisme et contre le risque de guerre. Ce n’est qu’en août qu’il l’a fait. A ce moment, cette lutte avait été déjà engagée et menée, pour l’essentiel, par deux forces bien différentes. Les clubs jeunes socialistes et la S.S.U. poursuivaient et amplifiaient l’action commencée à l’automne 1914204. Dans certains cas, comme à Stockholm, ils collaboraient au sein d’un "comité unitaire"205. Les rapports de police permettent de suivre la fréquence, l’audience, et le contenu de la plupart de ces réunions. Pour se limiter à Stockholm, une des premières réunions fut tenue le 19 février 1915 par les clubs jeunes socialistes. Au cours de cette réunion, Einar Ljungberg développa le thème "pas un homme, pas un centime au militarisme". Deux jours plus tard, au nom du "Comité Militaire Jeunes Socialistes" Artur Brandt et Gustav Svensson traitaient respectivement les sujets suivants "nihilisme de la défense et force de la législation" et "massacre sur commande". Cette réunion attirait 1 200 auditeurs "dont 20 marins"206. De nouvelles réunions eurent lieu à Stockholm, notamment les 2 et 19 mars et les 18 et 25 avril. A Göteborg, le 26 juillet, Z. Höglund fit adopter une résolution contre "l’hystérie de guerre". Dans son rapport annuel publié au début de 1916207, la S.S.U. affirma avoir organisé dans l’ensemble du pays, en 1915, et principalement pendant l’été, 1000 réunions d’agitation ayant rassemblé environ 100 000 auditeurs. Si toutes ces réunions eurent bien pour objet la lutte contre "le risque de guerre et l’activisme", bon nombre d’entre elles étaient également dirigées contre la politique militaire du Gouvernement Il n’est pas étonnant, dès lors, de constater que le Parti Socialdémocrate prit très tôt ses distances à l’égard de ce mouvement, et que, ni Branting, ni Thorsson, ni Rydén, ni Palsmtierna ne lui ont apporté leur concours. Lorsque, au cours de la manifestation traditionnelle du 1er mai 1915, apparurent les drapeaux noirs des jeunes socialistes et le slogan "en cas de guerre, grève générale contre la mobilisation", la dernière chance de voir s’organiser une campagne commune au Parti et à la S.S.U. s’évanouit.
- 208 Socialdemokraten, 4.5.1915. Selon les rapports de police, la manifestation réunit à Stockholm 8 000 (...)
- 209 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens Verkställande Utskottet. 10.8.1915. Ce fut notamment le cas des (...)
- 210 Il faut dire cependant que quelques majoritaires avaient participé à des réunions contre la guerre (...)
- 211 Socialdemokratiska Partistyrelsens Berättelse för år 1915, pp. 18-19.
- 212 De plus, le désaccord sur la défense nationale persistait et la perception accrue du risque de guer (...)
32Or, seuls le Parti et la L.O. étaient capables de mettre dans la rue, dans tout le pays, comme ce fût d’ailleurs le cas le 1er mai, "des centaines de milliers de manifestants"208. Dans le courant de l’été, plusieurs sections, dans lesquelles la tendance de gauche était dominante209 réclamèrent auprès du Comité Directeur, l’organisation d’un grand mouvement d’opinion contre l’activisme. Le Comité Directeur adressa alors, le 16 août 1915, une circulaire à tous les Comités Directeurs de District (Distriktstyrelserna), qui exprimait un refus catégorique de s’engager dans cette voie210. Mobiliser les forces du Parti, organiser de grandes manifestations de rue, n’aurait-ce pas été, en réalité, par la réclame qui lui serait faite en Suède et à l’étranger, et par l’importance qui lui serait ainsi reconnue, servir les objectifs mêmes de l’activisme ? L’opinion étrangère n’en tirerait-elle pas la conclusion que la Suède était bien à la veille de se ranger sous les drapeaux allemands ?211. Ces arguments, pour n’être pas sans valeur, ne rendaient pas compte de tous les motifs qui expliquaient ce refus ; il est certain, d’une part, qu’on continuait à estimer que la présence de Wallenberg aux Affaires Étrangères était une garantie sérieuse contre l’abandon de la neutralité. D’autre part, la mobilisation des militants du S.A.P. comportait le risque redoutable de voir rapidement s’enfler l’influence de l’aile gauche du Parti, de la "phalange Höglund". Personne autour de Branting n’était disposé à conspirer à sa propre perte212.
- 213 L. Kihlberg, Karl Staaf, II, Stockholm, 1963, pp. 394, 399.
- 214 Ernst Wigforss, Minnen, Stockholm, 1951, II., p. 37. Staaf prononça encore plusieurs discours en ao (...)
- 215 E. Palmstierna, op. cit., p. 116.
- 216 E. Palmstierna, ibid., 17.8. et 28.8.1915, pp. 116-117.
- 217 Socialdemokraten, 9.8.1915. Branting approuva sans réserve Wallenberg, mais blâma le langage énigma (...)
- 218 Cette conférence fut peu après éditée sous forme de brochure, intitulée "la classe ouvrière et la s (...)
- 219 Paris, Archives de la guerre, E.M.A., 2ème Bureau, 7. N.835. Thomas à Ministre de la guerre, 4.2.19 (...)
33La seconde force qui, avant Branting, se jeta de tout son poids dans la lutte contre l’activisme, ce fût Karl Staaf. Pourquoi Staaf, usé par des années de lutte politique, malade, accablé par la campagne de diffamation dont il avait été l’objet, entreprit-il, à la veille de sa mort, un véritable tour de Suède contre l’activisme ? Peut-être fût-il alors informé de la démarche Douglas, ou de la démarche Bildt, comme Branting le fut, semble-t-il, peu après à Paris ? En tout cas, "l’agitation finlandaise" ne lui était pas inconnue. Le danger lui parut grave et imminent. Dès le 27 juin 1915 ; il ouvrit sa campagne par un grand discours à Hässleholm. En juillet, il tint personnellement une douzaine de réunions213 en particulier le 25 à Grävsnäs et Herrljunga, le 26 à Sollebrunn et le 30 à Nässjö214. L’engagement personnel de Staaf, d’avantage que l’action de harcellement des agitateurs jeunes socialistes, fit une profonde impression dans le pays. Dans les premiers jours d’août, Branting revint de son voyage à Paris et à Berlin "abattu et pessimiste"215. Il se jeta immédiatement dans la campagne anti-activiste, tout en se refusant, comme on l’a vu, à mobiliser massivement les militants du Parti. Plusieurs explications peuvent être données à ce durcissement d’attitude. Très certainement informé à Paris de la "démarche italienne", Branting a pu y recevoir encore d’autres informations qui l’auraient conduit à abandonner sa relative passivité de naguère. En second lieu, on pouvait redouter un certain désarroi de la classe ouvrière suédoise si, la campagne anti-activiste s’amplifiant en dehors ou à la lisière du Parti, Branting et ses collaborateurs n’apparaissaient pas à la tête du mouvement. Enfin, Branting pouvait-il laisser Staaf faire cavalier seul ? Certes le mobile de Staaf n’était pas l’ambition politique. Mais pouvait-on, sans danger, laisser le Président du Parti libéral donner à son seul Parti tout le bénéfice moral d’une résistance publique au parti de la guerre ? Ce qui frappa jusqu’aux proches de Branting, c’est qu’à sa semi-passivité du printemps succéda, en août, un acharnement implacable216. C’est ainsi qu’il déclara à Sundsvall, le 8.8.1915, "les activistes doivent être traités comme des créatures dangereuses qui parlent notre langue mais ne pensent pas nos pensées"217. De plus, la réfutation de l’activisme s’accompagna progressivement chez lui d’une critique plus ouverte de l’Allemagne. Ainsi, le 15 août 1915, lors d’une manifestation à Hornsbergs Hage, il révéla que lors de son passage à Berlin, on ne lui avait pas caché que "la Baltique devait devenir un lac allemand interdit à la Russie"218. Branting a-t-il alors surestimé le risque de guerre ? C’est bien douteux. Car ce qui était possible, c’était un coup d’État, c’est-à-dire un coup de force contre le Parlement, contre le Gouvernement, que la minorité activiste, avec ses vastes complicités dans l’armée et dans l’administration, eût pu accomplir, à condition que le Roi se résolût à en prendre la tête. Comme Staaf lui-même le déclara à Nässjö le 30 juillet, pour une nation qui venait de vivre le coup d’État du 6 février 1914, (Borggårdskuppen), ces craintes n’étaient pas sans fondement. Certes, contre la mobilisation générale, il se serait trouvé probablement, une majorité dans les Chambres pour rejeter les crédits nécessaires. Mais, fermement résolue à la guerre, la Couronne n’aurait pas hésité à dissoudre le Parlement Avant de nouvelles élections, la mobilisation aurait pu être ordonnée par simple décret Cette analyse était faite par la plupart des observateurs occidentaux à Stockholm et en particulier par l’Attaché militaire français, le Commandant Thomas219.
- 220 Die Internationale Beziehungen.. II.8. : 2. Nekludov à Sazonov, 24.8.1915.
- 221 L. Kihlberg, Karl Staaf… p. 394.
34Pouvait-on, en pareil cas, compter avec des émeutes, avec un soulèvement parlementaire et populaire ? A part quelques insoumis, la loi martiale et l’application de procédés coercitifs auraient paralysé toute opposition. A la fin d’août, déjà, Nekludov redoutait "un changement de gouvernement par lequel les partisans de l’Allemagne arriveraient au pouvoir, la proclamation de la mobilisation, l’état de siège, la propagande parmi la population rurale au nom du Roi et de la religion, toutes choses qui pouvaient briser l’opinion et réduire le Parlement au silence"220. L’inertie du Riksdag, la discrétion des partis, la montée des sentiments anti-britanniques, la fortune des armes allemandes avaient troublé les esprits. L’opinion était incertaine, désemparée, instable (en labil opinion)221. Tandis que les amis de l’Allemagne autour de la Reine cherchaient l’occasion de placer la Suède devant un fait accompli, le Roi semblait hésiter.
- 222 Le même jour Wallenberg note : "après que sa Majesté eût communiqué au Premier Ministre et au Minis (...)
- 223 Fïscher-Lossainen (Rheinhold, Siegfried, Gustaf von) cf. Bengt Holtze, Några militära bedömningar 1 (...)
- 224 Bonn, A.A., Abteilung IA. Politische Abteilung, Schweden 56 : 1. Eventuelles Eingreifen Schwedens i (...)
- 225 Stockholm, R.A., Ernst Trygger Samling, Ernst Tryggers Dagbok, 19.11.1915.
35Que Gustav V, finalement, se soit alors refusé à l’aventure, s’explique d’abord par la campagne d’opposition à la guerre, surtout depuis que Staaf et Branting en avaient pris la tête. C’est ce qu’il déclara d’ailleurs à Max de Bade le soir du 20 novembre 1915222, après avoir "à son grand regret" décliné l’offre allemande : il était impossible d’entraîner le pays sans une "raison plausible" qui pût unir la nation entière. Cette "raison plausible", l’insurrection de la Finlande, seul un débarquement allemand à Åland et en Finlande aurait eu quelque chance de la susciter. Or, l’armée allemande piétinait devant Riga et son offensive générale s’était infléchie vers le Sud-Est de l’Europe. Déjà, en août, un plan de débarquement à Åland préparé par l’Attaché Naval allemand à Stockholm, Fischer, et soutenu par Bethmann-Hollweg avait été rejeté par Falkenhayn223. Ce que l’État-Major allemand souhaitait, c’était une coopération germano-suédoise en Courlande. Mais à aucun moment les Suédois n’y furent résolus, ni les Allemands au débarquement en Finlande. C’est en bonne part en raison de cette divergence stratégique que la collaboration des deux armées ne s’est pas réalisée. Mais surtout comment présenter comme défensive une guerre contre la Russie, dès lors que cette dernière n’était aucunement menaçante et que, parmi les belligérants, elle était de loin celui avec lequel la Suède éprouvait le moins de difficultés ? Gustave V ne cacha pas qu’entrer en guerre avec un "mauvais prétexte" (en skenorsak) entraînerait "une puissante opposition des partis de gauche, grosse de dangers pour la monarchie224. Ce jugement rejoignait parfaitement celui d’Ernst Trygger qui, entendant Max de Bade présenter, le 19.11.1915, son projet d’alliance chez Ludwig Douglas rappela l’opinion unanime du peuple suédois contre une guerre offensive et l’attribua à la campagne des Partis de gauche225. C’est sur cette crainte qu’Hammarskjöld et Wallenberg jouèrent aussi : les manifestations qui se déroulaient dans tout le pays, l’attitude des Partis montraient qu’en cas de guerre la monarchie et la dynastie seraient "aventurées". Il est donc certain que l’opposition populaire, appelée d’abord par les jeunes socialistes, puis conduite ensuite et en quelque sorte maîtrisée par Staaf et par Branting a dissuadé Gustave V de prendre la décision fatale. Mais il demeure un profond doute sur ce qui ce serait passé s’il l’avait prise.
36Cette force de dissuasion populaire qui, en 1915, a préservé la neutralité suédoise, nul ne doutait qu’elle s’identifiait principalement aux socialistes, seuls capables d’organiser l’opposition de la rue. De plus, la mort de Staaf en octobre 1915 vint affaiblir encore un peu le Parti libéral et fit brusquement de Branting le Chef maintenant incontestable de la Gauche suédoise. A ce moment, pourtant, la guerre, que le Parti Social-démocrate avait largement contribué à écarter, avait provoqué de profondes déchirures en son sein, et Branting n’avait maintenu l’unité qu’au prix de lourds sacrifices.
Notes
1 Sur ce sujet on ne peut disposer que de l’étude de Mats Kihlberg, Aktivismens Huvudorgan Svensk Lösen, Stockholm, 1961, dans laquelle l’auteur étudie l’action de l’hebdomadaire activiste Svensk Lösen (le Mot d’ordre suédois), fondé en 1916. En raison de l’absence ou de l’indigence des archives et de la rareté des témoignages qu’il a laissés, c’est surtout aux réactions qu’il a suscitées, à l’intérieur et à l’étranger, qu’on peut essayer d’apprécier le rôle historique qu’il a joué. Plus récemment l’étude de Inger Schuberth (Schweden und das Deutsche Reich im Ersten Weltkrieg. Die Aktivistenbeweging 1914-18. 174 p., Bonn, 1981) apporte d’intéressantes précisions sur l’activité des services officiels allemands à Stockholm, en particulier sur le rôle de von Lucius et de Friedrich Stieve.
2 En tout cas la lecture de sa presse autorise à s’en convaincre.
3 "Voilà le sort qu’on nous réservait à nous", déclare à Nekludov un membre du Parti Conservateur suédois quand on apprit à Stockholm la défaite décisive des Turcs et l’avance russe en Arménie. (Nekludov, op. cit., p. 132).
4 Socialdemokraten, 23.2.1915, "Catastrophe russe aux lacs mazures".
5 Le port de Libau en Courlande, face à Gotland, avait été pris dès le 7 mai 1915, et, Windau à la corne occidentale du Golfe de Riga, le 18 juillet. Une lutte résolue s’engagea pour la possession du Golfe de Riga. Les Allemands débarquèrent même des troupes à Pemow, en arrière des lignes russes, et aux abords de Reval, base de la flotte russe chargée de verrouiller l’entrée du Golfe de Finlande (cf. Youri Danilov, La Russie dans la guerre mondiale, 1914-1917, Paris, 1927, p. 454).
6 Aftonbladet, 19.08.1915. Pahnstierna, op. cit., II, p. 116, J.O., Söderhjelm, op. cit., p. 123. Staël Von Holstein, Sverige och Åland, Lund, 1916, p. 40.
7 Épuisement des combattants en ligne depuis 5 mois, difficulté des communications en automne, approche de l’hiver interdisant des mesures d’envergure, attaques alliées d’Artois et de Champagne, nécessité d’intervenir dans les Balkans (cf. L. Koeltz, La Guerre de 1914-1918, les Opérations militaires, Paris, 1966, pp. 213-215 et 250- 255).
8 Herman Gummerus, Jägare och aklivister, Helsingfors, 1927, p. 93.
9 Principalement dans la jeunesse universitaire (cf. T. Gihl, op. cit., p. 110).
10 Voir, p. 160.
11 Stockholm, S.A.P., Verkställande utskottetsprotokoll, 22.3.1915.
12 Socialdemokraten, 1.3.1915.
13 E. Palmstierna, op. cit., 2, p. 109.
14 Cf. Rafaël Erich, La Question de Finlande, Nederlandsche Anti-Oorlog Raad, capita selecta, n° 4, La Haye, 1917, pp. 9-12.
15 Selon L. Puntila, Hisoire politique de la Finlande de 1809 à 1955, Neuchâtel, 1966, p. 125, alors qu’au début de la guerre la Russie avait promis aux Polonais la réunification et le rétablissement de leurs droits, le Tsar avait confirmé, en Automne 1914, le programme de russification complète du Grand Duché. Les premiers succès remportés contre les Allemands avaient rendu les Russes "arrogants" et, contre toute sagesse diplomatique, ils avaient communiqué ce programme secret à la presse finlandaise, dans laquelle il avait été publié le 17 novembre 1914.
16 Hermann Gummerus, op. cit., p. 153.
17 Id., pp. 56-57 ; cf. aussi Y.O. Ruuth, Självständighets-politik och Jägarerörelsens uppkomst", Helsingfors, 1919, p. 63 et E. Homborg : Från Jägarerörelsens till blivelsetid, skrifter utgivna av Svenska Literatursällskapet i Finland, Helsingfors, 1956, p. 401.
18 Finlands öde och Sveriges Trygghet ett ord från Finland, Stockholm 1915.
19 E. Palmstierna, op. cit., p. 99.
20 H. Gummerus, op. cit., pp. 29-42 ; Walter Hom : Jägarbataljonen, 27, p. 42 ; Kai Donner, Finlands Frihetskrig skildrat av deltagare.
21 Runar Appelberg, Pehr Norrmén, Ragnar Numelin, Rolf Piping, O. Ruuth, Yrjö Somersalo, V.E. Tiiri, Henrik Zilliacus.
22 Palmstierna, op. cit., p. 90. Il commente ainsi cette démarche : "mettre en jeu l’existence de la Suède pour la Finlande divisée, dont on n’est même pas sûr qu’elle accueillerait avec joie cette action, serait par trop aventureux I ".
23 L. Puntila, op. cit., p. 131.
24 Prévu pour 200 jeunes Finlandais, le camp de Lockstedt devait finalement instruire pendant 3 ans 2 000 cadres de l’année finlandaise.
25 Bonn, A.A., Weltkrieg II C Geheim, Kriegsministerium, A.A., 26.1.1915.
26 W. Carlgren, Neutralilät oder Allianz, Deutschlands Beziehungen zu Schweden in den Anfangsjahren des ersten Weltkrieges, Stockholm, 1962, pp. 91-92.
27 En français dans le texte. On sait que cet article exerça une forte influence sur le socialiste Otto Järte (cf. Ivan Andersson, Otto Järte, en man för sig, Stockholm, 1965, pp. 152-153).
28 Die Ideen von 1914, publié en allemand, Leipzig, 1915, cf. Le C.R. de Hermann Oncken dans Zeitschrift für Polütik, Berlin, 1916, I, pp. 156-160.
29 Nekludov, op. cit., pp. 140-142.
30 Dagen, 1.12.1914.
31 J.O. Södemjelm, Démilitarisation et neutralisation des îles Åland, Helsinki, 1928, p. 123.
32 Mais le Socialdemokraten ne dit mot.
33 Stockholm, R.A., U.D., 1 0. 34, vol. 83, Wallenberg à Nekludov, 2.1.1915.
34 Ibid. Nekludov à Wallenberg, 8.1.1915.
35 L’État-Major suédois, en possession du chiffre russe, a sans doute contribué à rendre crédibles les assurances apportées par Nekludov.
36 Palmstierna n’en sera informé que plusieurs mois plus tard, cf. Palmstierna, op. cit., 26.9.1915, p. 129.
37 Encore une fois, on ne peut que supposer ce dialogue secret Wallenberg-Branting, qui n’a laissé aucune trace dans les papiers des deux hommes, mais dont quelques témoignages extérieurs nous révèlent, par à coups, l’existence. Cf. Palmstierna, op. cit., pp. 94 et 99.
38 A. Lindman, op. cit., p. 210.
39 "Vårt förhållande till främmande makter är godt".
40 Socialdemokraten, 18.1.1915.
41 Socialdemokraten, 22.1.1915. "Till Remissdebatten".
42 L. Kihlberg, Karl Staaf Stockholm, 1963, H, p. 377.
43 Socialdemokraten, 25.1.1915. Cf. aussi Palmstierna, op. cit., 1, p. 92.
44 Le Conseil de confiance "Förtroenderådet" du groupe parlementaire réuni quelques jours auparavant, avait décidé que le Parti interviendrait sur "la politique des prix et les empiètements militaires" (Stockholm, S.A.P., Förtroenderådets Protokoll, 20.1.1915).
45 Stockholm, A.K. Protokoll, 24.1.1915 ; Socialdemokraten, 27.1.1915, Stormlklockan, 30.1.1915.
46 Z. Höglund, Minnen i Fackelsken II, Stockholm, 1953, p. 131.
47 Stockholm, A.K., Protokoll, 24.1.1915.
48 Socialdemokraten, 25.1.1915. Majoritaires et minoritaires du Parti se retrouvèrent cependant sur un thème mineur : la protestation contre l’expulsion de la socialiste russe Alexandra Kollontay qui avait écrit dans deux journaux anti-militaristes.
49 L. Kihlberg, op. cit., p. 376.
50 Palmstierna, op. cit., 14 et 15.1.1915, pp. 90-91.
51 Socialdemokraten, 26.4.1915.
52 Stockholm, A.K., Protokoll, 27.4.1914. Socialdemokraten, 28.4.1915.
53 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådet, 15.5.1915.
54 Stockholm, Frisinnade Landsföreningen. Förtroenderådets Protokoll, 2.5.1915. Cf. aussi H. Krister Rönblom, Frisinnade Landsföreningen, 1901-1927, thèse Stockholm, 1925, p. 62.
55 Cf. E. Palmstierna, op. cit., 6.5.1915, p. 103.
56 L. Kilhlberg, op. cit., p. 376 ; Palmstierna, op. cit., 22.5.1915, p. 107.
57 Stockholm, A.R.A., Brantings Samling, Supplément, vol. II, Uttalande efter förhandlingar mellan Soc. Dem. och De Frisinnade, 22 mai 1915.
58 On peut penser que l’existence au sein du S.A.P. de la "phalange Höglund" a contribué à entretenir cette méfiance chez les Libéraux. L’un d’eux, Erik Röing, déclara à F. Ström "ne voyez-vous pas que ce Höglund est un nouveau Robespierre ? C’est un homme dangereux". (F. Ström, op. cit., p. 59).
59 Torsten Gihl, op. cit., p. 49.
60 Socialdemokraten, 14.1.1915.
61 La transmission directe était devenue impossible pour l’Allemagne parce que d’une part la Compagnie des Câbles avait reçu l’ordre de Londres de refuser les télégrammes destinés aux puissances centrales, et que d’autre part le Gouvernement américain avait interdit à la station de Radio-télégraphie de Sayville de transmettre, à l’usage des belligérants, des messages qui ne fussent pas en clair. (Stockholm, R.A., U.D., 21.u.8.y.).
62 Selon les révélations que fit plus tard, en 1917, l’Amiral Lindman devant le Hemliga Utskottet, il y eut en tout 1 250 télégrammes transmis, et 1 286 si l’on en croit les informations transmises à Konstitutionsutskott, le 6.5.1918.
63 Si l’on en croit K. Bäckström (op. cit., II ; p. 205), les télégrammes russes envoyés par les câbles suédois en vertu d’un accord ancien étaient déchiffrés au passage et remis aux Allemands.
64 En effet, les Services secrets britanniques entrèrent en possession du Code allemand et laissèrent se poursuivre le trafic dont ils tiraient de précieuses informations et dont l’unique victime fut le commerce des Neutres (cf. J.P. Mousson-Lestang, La Politique étrangère de la Suède pendant la Première Guerre Mondiale. L’affaire Luxburg, d’après les documents suédois, R.H.M.C., avril-juin 1973, pp. 286-300). Dans ses souvenirs (The Eyes of the Navy, Londres, 1955, p. 131) l’Amiral William James, alors collaborateur direct de l’Amiral Hall, chef des services de renseignements de la Royal Navy, a écrit que le décodage s’était fait en décembre 1916. Or le 11 mai 1915 Wrangel télégraphiait à Wallenberg que les Britanniques avaient la preuve que le gouvernement allemand correspondait en chiffre avec son ambassade à Washington par l’entremise de la légation de Suède (Stockholm. R.A.U. D/ 21 U5y, I, Wrangel à Wallenberg, 11.5.1915) c’est donc que les services britanniques du "Bureau 40" avaient identifié le code allemand dès le printemps 1915 et on peut penser qu’ils l’avaient aussi déchiffré, même si la preuve formelle manque.
65 Et Palmstierna le fut, de son propre aveu, lors de son voyage à Londres en novembre 1915 (E. Palmstierna, op. cit., I, p. 200).
66 A la demande du Président de la Première Chambre, Afzelius, il y eut cependant, le 3 février 1915, une réunion entre le Premier Ministre, les Présidents de Chambres et les Chefs de Partis. Mais cette réunion n’apporta aucune amélioration.
67 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådets protokoll, 25.2.1915. Selon Parlmstierna, op. cit., p. 94, Wallenberg aurait aussi envisagé de faire un compte-rendu de la Conférence devant le groupe parlementaire social-démocrate, " bien qu’au fond il n’y eût rien à dire".
68 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådets protokoll, 4 mars 1915.
69 Wilhelm Carlgren, Ministären Hammarskjöld… p. 107.
70 Palmstierna, op. cit., p. 100.
71 Cf. Supra, p. 96.
72 Conclu le 16 mars 1915. Cf. Infra p. 178.
73 Tout en taisant que la note allemande disait "aussi longtemps que la Suède n’entreprendrait rien d’inamical à l’égard de l’Allemagne, et lui témoignerait au contraire une neutralité bienveillante" (Stockholm, R.A., U.D., 21. U.3, Reichenau à Wallenberg, 10.8.1914). Le "livre blanc" promis par Wallenberg ne vit jamais le jour.
74 Socialdemokraten, 21 et 22.5.1915.
75 Arbetarbladet, 25.5.1915, Norrkensflamman, 25.5.1915.
76 C’est ainsi que Branting donna son adhésion à un projet de négociation entre membres de la Douma et du Riksdag pour trouver une solution à la question finlandaise "après la guerre". (Socialdemokraten, 3.4.1915).
77 Cf. S.A. Söderpalm, op. cit., p. 33. Sur les intérêts financiers et commerciaux de la Stockholms Enskilda Bank et de la famille Wallenberg on pourra consulter O. Gasslander, op. cit., passim.
78 Socialdemokraten, 6.4.1915 "Uppslaget för Finland".
79 Stockholm, R.A., U.D., 40 L. 82. aussi K. Hildebrand, op. cit., p. 193. Jusqu’alors la voie ferrée suédoise atteignait Karungi à 30 km au Nord d’Haparanda, où les marchandises devaient être transbordées.
80 Socialdemokraten, 14.4 et 17.5.1915.
81 Nekludov, op. cit., p. 117.
82 Aschberg avait foné en mai 1912 la "Nya Banken" qui, avec la collaboration du mouvement ouvrier, des coopératives et des "Folketshus", se proposait de collecter l’épargne ouvrière notamment pour donner des crédits à la construction. Dans le conseil d’administration de la banque, le Président était Herman Lindqvist, Président de LO, tandis que Gerhard Magnusson, Rédacteur au Socialdemokraten, assistait Aschberg à la Direction (Olov Aschberg, Memoarer, Vol. I, En vandrande jude från Glasbruksgatan, Stockholm, 1946, p. 98 et sqq.).
83 Socialdemokraten, 1.4.1915. Il est curieux d’observer que, quand, peu après l’Ambassadeur allemand à Stockholm, Von Lucius, dresse la liste des Socialistes suédois favorables à l’Allemagne (Deutschfreundliche), il y inclût Aschberg "Socialiste pacifiste, presque anarchiste, utilisant la guerre pour faire des affaires avec les deux camps, surtout avec la Russie" (Bonn, A.A.A. 102/4, 6384/H.057755, 8.9.1915).
84 Olov Aschberg, op. cit., p. 123.
85 Socialdemokraten, 17.6.1915.
86 Rysslands framträngande till Atlanlen oc h de Rysk-svenska relationernas framtid, Svar på "Ett varningsord" av Sven Hedin. (La poussée russe vers l’Atlantique et l’avenir des relations russo-suédoises. Réponse au "mot d’avertissement" de Sven Hedin). Helsingfors.
87 Le futur Mourmansk. La voie ferrée devait être terminée à la fin de 1916.
88 Socialdemokraten, 3.6.1915. Sazonov devait déclarer peu après : "qu’une attaque de la Russie contre la Suède était aussi impensable qu’une attaque contre la lune " (Socialdemokraten, 19.6.1915 ; Palmstierna, op. cit., p. 111). Naturellement la presse germanophile de Stockholm contesta les arguments d’Emilijanov. En Norvège, par contre, on les confirma et on rappela que dès 1870 les professeurs J.A. Früs et L.K. Daaé avaient donné de la région Mourmane une description analogue "En Sommar i Finmarken, Ryssisk Lapland, og Nord-Karelen" et "Skisser fra Lapland, Karelstranden og Finland", Kristiania 1870.
89 Notamment lorsqu’en avril parut dans la presse nrovégienne la nouvelle que le Grand Duc Nicolas avait persuadé Nicolas H de rétablir la constitution et l’armée finlandaise (Bergens Aftenblad, 22.4.1915 ; Socialdemokraten, 23.4.1915).
90 Lorsqu’en mai, le bruit courut que le Tsar allait lever en Finlande une contribution de guerre de 11 millions de marks, le Socialdemokraten fit observer que la Finlande payait déjà un "impôt de remplacement" déjà lourd par rapport à la richesse du pays, et que, si on n’avait pas étendu la conscription à la Finlande, c’était parce que "le Gouvernement russe y regardait à deux fois avant d’armer la jeunesse finlandaise". (Socialdemokraten, 5.5.1915).
91 Voir Infra p. 179.
92 Quatre cuirassés russes avaient poursuivi le mouilleur de mines allemand Albatross jusque dans les eaux territoriales suédoises, si près de la côte de Gotland que ce dernier s’y était échoué.
93 C’est ce que Wallenberg fit remarquer à son ambassadeur à Pétrograd, Brändström, le 21.8.1915 "nos relations avec la Russie ont été jusqu’ici bonnes, exceptées l’affaire de l’Albatross et celle du transit dont la Russie doit incriminer l’Angleterre, et non pas nous". (Stockholm, R.A., U.D., 1.0.34, Vol 83,Åland).
94 A la différence de ce qui s’était passé en 1856 et en 1908.
95 Stockholm, R.A., U.D., 1.0.34, 83, Wallenberg à Brändström, 21.8.1915. La réponse devait venir beaucoup plus tard par une note que Nekludov à son retour de Pétrogard transmit à Wallenberg le 6 mars 1916 : Sazonov se déclarait d’accord avec la proposition du ministre suédois et "ferait tout pour sa réalisation s’il était encore au pouvoir à la fin de la guerre" (Stockholm, R.A., U.D., 1.0.34 et Nekludov, op. cit., p. 202).
96 Socialdemokraten, 20.2.1915. La délégation suédoise à cette conférence comprenait : l’Ambassadeur à Copenhague, Günther, le secrétaire général de U.D., O. Ewerlöff, et le capitaine de vaisseau, J. Ankarcrona.
97 Palmstierna, op. cit., p. 95. Sur l’aggravation du blocus allemand et britannique, voir Infra p. 178.
98 Palmstierna, op. cit., p. 104. En fait, c’est l’opposition de la Grande-Bretagne qui fit échouer le projet (Neutralitätsvakt. Redogörelse… p. 72).
99 Mais amputé de 4 membres de "la jeune droite" (4 Unghögermän). Sans qu’ils fussent désignés, on peut penser qu’il s’agissait de Westman, Vennersten, Hasselrot, et Linnér.
100 Arbetet, 2.6.1915, "Oro i landet" ; Socialdemokraten, 3.6.1915.
101 Comme celle de A.C. Christiemsson, député de Hälsingborg, et Directeur de Skånska Socialdemokraten, dans lequel il écrivait sous le pseudonyme de Lukas.
102 Dagens Nyheter, 10.6.1915.
103 Cf. Wiehelm Carlgren, Ministären Hammarskjöld…, pp. 110-111. Lucien Maury, de son côté, a déploré "la longanimité d’un Parlement insuffisamment informé de sa mission, ou trop peu soucieux de responsabilité" (L. Maury, op. cit., p. 284).
104 Ludvig Douglas (Comte, 1849-1916), ancien Ministre des Affaires Etrangères (1895- 1899), Maréchal du Royaume (Riksmarskalk), le plus haut dignitaire de la Cour. Douglas avait largement participé au "Mouvement pour la Défense Nationale" et à la prise de conscience du "danger russe" (cf. son ouvrage de 1889 "Hur vi Förlorade Norrland"). Il était considéré comme un des éléments les plus sûrs du Parti germanophile.
105 Torsten Gihl, op. cit., p. 142, a été le premier à présenter au public suédois la démarche Douglas de mai-juin 1915. Mais il ne lui a consacré qu’une dizaine de lignes, faute de pouvoir utiliser l’ensemble des archives allemandes. Une étude minutieuse, et peut-être définitive, de ces contacts officieux a été faite en 1962 par Wilhelm Carlgren (W. Carlgren, Neutralität oder Allianz… pp. 102-130).
106 Depuis le 4 février 1915, l’Allemagne avait établi un blocus sous-marin de la Grande-Bretagne. Les captures et les déroutements vers Swinemünde se multipliaient. Le 18 avril encore, l’Allemagne avait aggravé les règles concernant la contrebande conditionnelle et sensiblement élargi ses listes de contrebande (cf. Infra pp. 178-
107 Wilhelm Carlgren, Neutralität oder Allianz… p. 117.
108 Die Internationale Beziehungen im Zeitalter des Imperialismus, II.7,1, Gustav V à Nicolas II, 16.2.1915 ; Stockholm, R.A., U.D., 21. U.50. La réponse qui renvoyait les bons offices suédois à la conclusion de la paix parvint en mars à Stockholm. (Cf. Å. Liliestam. Gustaf Siösteens Dagboksanteckningar, 1915, rörande den svenska aktivismen. Historisk Tidskrift, 1959, p. 309.
109 Il faut observer ici que la paix séparée germano-russe ruinait ipso facto tous les plans d’intervention armée de la Suède que nourrissaient les activistes. Dans ces milieux on s’était déjà inquiété du remplacement, en janvier 1915, de l’Ambassadeur allemand. Von Reichenau, qui "avait tout misé sur l’intervention prochaine de la Suède", par von Lucius suspecté d’être partisan d’une paix séparée avec la Russie (H. Gummerus, op. cit., p. 44). Les offres d’alliance allemandes de 1915 furent faites à l’insu de l’Ambassade d’Allemagne à Stockholm (cf. Nekludov, op. cit., pp. 120-124).
110 T. Gihl, op. cit., pp. 128-132 ; W. Carlgren, Neulralität oder Allianz… pp.77-80. Ce dernier a démontré, d’après la correspondance Wallenberg-Bildt et d’après les rapports de Von Luicius à A.A., que Gustav V était bien à l’origine de cette démarche. Il n’en reste pas moins qu’il l’a bien fait avec l’accord de Wallenberg, puisque U.D. a été l’instrument de cette action, et avec l’approbation de Hammarskjöld qui déclara par la suite devant le Hemliga Utskottet que "la démarche était pleinement justifiée". (Stockholm, R.A. Hemliga, Utskottets Protokoll, 10.2.1916).
111 Bildt (Baron Carl, 1850-1931) Ambassadeur de Suède à Rome depuis 1905.
112 Tous les documents sont à Stockholm, R.A., 21. U.1., Rome. Wallenberg est bien l’auteur de la dépêche, mais il est établi que c’est Gustav V qui prit l’initiative de la "démarche italienne" (cf. la lettre de Wallenberg à Bildt du 3.5.1915, ibid).
113 Et pourtant, comme l’a fait remarquer W. Carlgren (Neutralität oder Allianz… p. 80) l’Allemagne ne manifesta aucune gratitude à la Suède.
114 Die Internationale Beziehungen…, 11.7.... 2, Sonnino à Carlotti, 26.4.1915. Il y eût un deuxième télégramme le 2 mai.
115 Ibid, 3.5.1915.
116 Ibid.
117 Paris, A.E., Guerre 1914-1918, Pays Scandinaves, Suède I, août 1914-mai 1915.
118 T. Gihl, op. cit., p. 131.
119 Löwgren, Gunnar (1881-1958), Rédacteur en chef du journal social-démocrate de Malmö "Arbetet". Il venait de publier en 1915 "Franska Stämningar" (L’état d’esprit en France).
120 Sur le voyage de Branting à Paris, en juillet 1915, cf. Infra p. 373-376.
121 Palmstierna, op. cit., p. 121.
122 Stockholm, R.A., N.F.C. Wikstrandssamling, Journalen 1915, 10.9.1915.
123 Poincaré a consacré dans ses Notes Journalières quelques lignes à l’entretien qu’il eût le 16 juillet 1915 avec Branting "amené par Sembat", mais ne dit rien de l’affaire italienne (Paris, B.N., NAF, 16 030, Papiers Poincaré, Notes Journalières, Tome XXIX).
124 Stockholm, R.A., Knut Wallenberg Privatarkiv, Sverige-Tyskland, 8.6.1915. On peut se demander, avec Carlgren (op. cit., p. 119) si Douglas était vraiment habilité à offrir une portion du territoire du Reich allemand.
125 Malgré les succès de l’offensive autro-allemande en Galicie et en Pologne qui avait tempéré l’ardeur guerrière à Bucarest, la Roumanie s’opposait toujours aux transit du matériel de guerre vers la Turquie. De plus, ses "aspirations nationales" lui assignaient l’Autriche-Hongrie pour adversaire.
126 Aftonbladet, 8.6.1915.
127 1867-1929, cousin de la Reine Viktoria de Suède, épouse de Gustave V, et fille du Grand Duc Frédéric de Bade et de la Princesse Louise de Prusse. Une vieille amitié le liait à Gustave V.
128 Stockholm, R.A.K. Wallenberg Privata Arkiv, Sverige-Rumänien, 1915-1916.
129 On ignorait que le 1er octobre 1914 la Roumanie avait conclu avec la Russie une convention qui lui assurait, en échange d’une neutralité bienveillante, l’intégrité territoriale et le droit d’annexer les parties roumaines de la double monarchie. Au moment de l’intervention de Max de Bade, d’âpres marchandages se déroulaient entre Sazonov et Bratianu. Ce dernier réclamait maintenant la Transylvanie et la totalité de la Bukovine jusqu’à la frontière russe du Prut.
130 Stockholm, R.A., K. Wallenberg Privata Arkiv, Hammarskjöld à A. Taube 24.6.1915. La Suède n’avait pas de représentation diplomatique à Bucarest.
131 Delcassé et Asquith s’étaient résignés à lui accorder le Banat et Bratianu accepta le principe de l’intervention roumaine, le 23 juillet 1915.
132 Dans les deux cas, les compensations de la proposition Douglas (Åland, autonomie de la Finlande) étaient maintenues (W. Carlgren, Neutralität oder Allianz..., p. 132).
133 On peut penser que Wallenberg sous-estimait volontairement l’importance de l’armée suédoise. Quelques jours auparavant, le 24 juin 1915, l’Ambassadeur britannique, Sir Esme Howard, dans un rapport à Grey, avait estimé les forces suédoises, après la réforme de 1914, à 728 000 hommes, y compris la Landstorm. (Londres, P.R.O., F.O., 371/2473). L’Attaché militaire français à Copenhague, le Colonel Walwrin Taylor, signalait en Novembre "des échanges de vues entre états-majors suédois et allemands au cours desquels la Suède avait fait savoir que sur un maximum de 500 000 hommes, elle ne pouvait disposer en dehors de ses frontières que de 200 000 hommes" (Paris, A.G., E.M.A., 7. N, 834, Colonel Taylor au Ministre de la Guerre, 18.11.1915).
134 Bonn, A.A., Politische Abteilung, Schweden 56 : 1, Eventuelles Eingreifen Schwedens in den Weltkrieg, Rapport Max Warburg, 6.7.1915.
135 Bonn, A.A., Politische Abteilung, Schweden 56 : 1, Eventuelles Eingreifen Schwedens in den Weltkrieg, Bethmann-Hollweg à Warburg, 10.7.1915. Cf. Ulf Brandell, Dagens Nyheter, 21.2.1958.
136 Bonn, A.A., Politische Abteilung, Schweden 56 : 1, Eventuelles Eingreifen Schwedens in den Weltkrieg, Bethmann-Hollweg à Guillaume II, 11.8.1915, cf. Ulf Brandell, Dagens Nyheter, 28.1.1958.
137 Notamment après la conclusion d’une convention militaire avec la Bulgarie le 6 septembre 1915.
138 Ancien ambassadeur d’Allemagne à Stockholme. Les 24, 25 et 26 août, Wedel rencontra, en outre, la Reine Viktoria, Hammarskjöld, Wallenberg, Gustaf Steffen et les leaders filandais Castrén et Gummerus (W. Carlgren, Neutralitât... pp. 180-186) ; H. Gummerus, op. cit., p. 102.
139 Bonn, A.A., Politische Abteilung, Schweden 56 : 1, Karl Wedel, Notizen über meine Unterredungen in Stockholm, 27.8.1915. Par Wallenberg et par Von Lucius, Wedel fut aussi informé qu’en Finlande l’opinion était loin d’être unanime en faveur d’une séparation de la Russie.
140 C’est le cas d’Ernst Trygger qui, au courant de la mission Douglas, écrivit à Taube qu’une "entrée en guerre délibérée de la Suède était maintenant impossible, en raison de la manière malheureuse dont la Suède était traitée par l’Allemagne. L’opinion publique toute entière soutenait la politique de neutralité du Gouvernement" (Stockholm, R.A. Ernst Trygger Samling, Trygger à Arvid Taube, 9.6.1915).
141 C’est ce que fait justement remarquer W. Carlgren, Ministären Hammarskjöld… p. 111.
142 Sauf la mention d’une éventuelle visite à Stockholm de Demburg, dont la nouvelle venait d’un article du Petit Journal. Après avoir rappelé l’échec de sa mission aux Etats-Unis, le Socialdemokraten écrivait : "s’il venait faire de l’agitation contre le Ministère Hammarskjöld avec le Parti militaire, il apprendrait vite que la Suède n’est pas la Turquie". (Socialdemokraten, 7.6.1915).
143 Sam Clason (1867-1925). Professeur d’Histoire à l’Université de Lund (1904). "Un des meilleurs historiens de sa génération", selon Torvald Höijer. Membre conservateur de la Première Chambre depuis 1907. Clason a laissé un Journal Politique (Politiska Dagboksanteckningar), écrit en sténographie (système Arend) dont la première partie a été transcrite par T. Holm. La véracité de ces notes ne semble pas devoir être mise en cause.
144 Stockholm, R.A., Sam Clasons Samling, Stenografiska Anteckningar, 23.7.1915.
145 Voir ci-dessous, p. 180.
146 Mats Kihlberg, Aktivismens Huvudorgan Svensk Lösen…, pp. 9-14.
147 "Le Feu", dont la parution avait cessé à la fin de 1914.
148 Dont les principaux animateurs étaient G.A. Gripenberg, H. Gummerus, A. Mörne, P.H. Normén, et R. Pipping.
149 Cf. Michael Shepard, Adrian Molin, Study of a Swedish Rightwing Radical, Thèse multigraphie, Evans ton, 1969.
150 Kihlberg cite cette lettre significative de Norström à Molin datée du 15.7.1915 (Stockhom, K.B., Adrian Molins Samling) "une alliance avec l’Allemagne aurait des conséquences désastreuses en cas de victoire de l’Entente, mais, dans le cas contraire, offrirait des perspectives brillantes à la Suède. Alors nous aurions des amis qui ne nous abandonneraient pas et qui assureraient à la Suède un véritable avenir. Alors nous retrouverions une place en Europe. Mais si l’Allemagne est victorieuse sans nous, alors tout le monde pourra, sans la moindre gêne, nous traiter à sa guise. Il n’y a donc qu’une alternative : ou bien un ami fidèle avec un risque, ou bien aucun ami, et avec un risque plus grand encore".
151 Ivar Andersson, Otto Järte, En man för sig, Stockholm, 1965, pp. 158-159.
152 Cf. Ivar Andersson, ibid.
153 Ivar Andersson, ibid.
154 Par sa femme, Oscara von Sydow.
155 Gustav Siösteens, Dagboksanteckningar, 19.6, 26.6, 10.7.1915 (Cf. Å. Lilliestam, Historisk Tidskrift, 1959).
156 Ivar Andersson, op. cit., p. 160.
157 D’après ses Notes de 1917 (K.B.) cf. Ivar Andersson, ibid.
158 De même que l’été suivant elle prit partie contre sous l’influence de l’offensive Broussilov.
159 Dont les Allemands venaient de prendre le contrôle financier (Leif Kihlberg, Dagens Nyheter och Demokratins Genombrott, Stockholm, 1960, II, pp. 121-123).
160 Après avoir été refusé par les deux principaux éditeurs de Stockholm, Bonnier et Nordstedt, l’ouvrage connut un succès énorme qui rappelait celui rencontré naguère par le " Mot d’avertissement" de Sven Hedin.
161 Cf. Mats Kihlberg, op. cit., pp. 18-20 ; Ivar Andersson, op. cit., p. 157 et sq.
162 Sveriges utrikespolitik i världskrigets belysning, Stockholm, 1915, p. 71.
163 Sveriges utrikespolitik i värkdskrigets belysning, Stockholm, pp. 72-73, L. Maury, op. cit., p. 181.
164 Ce mouvement était animé principalement par Signe Bergman et Agda Montelius. Wallenberg qui avait d’abord autorisé la manifestation dut déclarer, sur la pression du Roi, qu’il la considérait comme "pour le moment inopportune". (Palmstierna.op. cit., p. 95 ; L. Kihlberg, Karl Staaf.... p. 383).
165 C’est au cours de son séjour que 23 avions français vinrent bombarder Karlsruhe, et que le château où elle résidait fut légèrement endommagé.
166 Berliner Tageblatt, 28.6.1915. Le propos fut ensuite démenti, mais sans grande conviction. C.N. Carleson écrivit alors dans "Stormklockan" un article d’avertissement intitulé "l’Allemande".
167 Socialdemokraten, 29.6.1915.
168 Selon W. Carlgren, Neutralität oder Allianz...., p. 112, Viktoria exerçait sur lui "une influence non négligeable". Cf. aussi Franklin Scott, Gustave V and Swedish attitudes towards Germany 1915, Journal of Modem History, 1967, XXIX, pp. 113-116.
169 On observa que le Socialdemokraten rendit compte du discours le 4 mai, en atténuant tout ce qu’il pouvait comporter de belliqueux.
170 Cf. supra p. 150.
171 En particulier Aftonbladet, le 18.7.1915.
172 Et pas seulement par les seuls activites. Le Secrétaire du S.A.P. lui-même, Fredrik Ström, écrivit de Göteborg à Carl Lindhagen le 20.7.1915 : "je viens de lire le discours du Premier Ministre. C’est vraiment terrible. Un vrai coup d’épaule aux activistes et aux partisans de la guerre. Il semble bien que les Allemands ont pris Hammarksjöld dans leur filet". (Stockholm, S.A., Carl Lindhagen Samling, Vol. 43).
173 Socialdemokraten, 19.7.1915. La presse de l’Entente s’efforça, de même, de minimiser l’inquiétude que pouvait provoquer ce discours. Le Temps écrivit le 23.7.1915 qu’il n’avait pour but que d’opposer "des considérations dictées par les circonstances aux utopies du pacifisme intégral", et dénia qu’il pût être interprété comme un avertissement à la Russie et à l’Angleterre "comme l’avaient fait les feuilles allemandes". Le Novoie Vremia du 21.7.1915 demanda avec ironie si "le ministre président avait fait allusion aux nombreux cas de violation systématique des droits de la Suède par les sous-marins allemands qui coulaient les navires marchands sans se soucier des équipages".
174 Stockholms Tidningen, 14.8.1915. Quelques jours après, le 22.8., le Ministre de l’Intérieur Von Sydow vint confirmer et préciser les déclarations de Hammarskjöld dans un discours prononcé à Råneå ; personne au gouvernement n’était pour une "politique d’aventure". Mais on pouvait se trouver devant une situation où les "intérêts vitaux" du pays étant violés, on ne pourrait maintenir la neutralité "sauf reniement total". Von Sydow avait conclu "nous voulons la neutralité jusqu’à l’extrême limite, mais pas plus loin". (Socialdemokraten, 23.8.1915).
175 Au même moment, Höglund était sollicité par le Social-démocrate allemand A.L. Helphand (Parvus) dont il avait traduit en 1912 le livre "La lutte des classes et le Prolétariat". Juif russe, Helphand avait collaboré dès 1890 aux activités de la S.P.D. Revenu en Russie lors de la Révolution de 1905, arrêté et déporté en Sibérie, il avait réussi à s’évader et à gagner la Turquie où il se trouvait à la déclaration de guerre. Y ayant fait fortune "dans des conditions douteuses" il avait lancé en Allemagne la Revue "Die Glocke", puis s’était rallié à la guerre "par haine du Tsarisme". Pour lui aussi la victoire contre ce dernier devait être aussi "celle de la Démocratie en Allemagne". (Z. Höglund, Minnen i Fackelsken, 2, 1953, pp. 156-158).
176 Stockholm, A.R.A., Brantingssamling, Südekum à Branting, 11.6.1915.
177 Entretien Südekum-Steffen du 19.11.1915.
178 Lucius, qui avait précédemment été secrétaire d’ambassade à Pétrograd, avait fait venir à Stockholm, dans le courant de l’hiver, le journaliste Kolyshkov du "Rousskoie Slovo" et des marchandages avaient eu lieu, quoique sans résultat, pour la création d’un journal russe de tendance "paix séparée". (Paris, Archives de la Guerre, E.M.A., 2ème B., 7 N 835. Commandant Thomas à Ministre de la Guerre "Note au sujet des tentatives de rapprochement russo-allemand à Stockholm 31.1.1917).
179 R. Anderson, Svenska Dagbladet och Del Poliliska livet.1897-1918. Stockholm, 1952, pp. 323-325. Un mémoire fut rédigé qui fixait les conditions de paix offertes à la Russie : ouverture des Dardanelles, rectification de frontières en Galicie, abandon par la France des emprunts russes. Mais Sazonov ne voulut même pas l’examiner. Selon Thomas (rapport du 31.1.1917), en juillet 1915 le banquier Kylberg, apparenté à Arvid Taube, reprit la tentative Key-Eklund. On envisageait alors de donner Constantinople à la Russie, la Turquie étant dédommagée par l’annexion de l’Egypte.
180 Hammarskjöld lui-même se prêta-t-il à ce projet de médiation ? Selon les rumeurs de presse (Skånska Aftonbladet, 20.5.1915 ; Gävle Posten 28.5.1915), Hammarskjöld au retour de son voyage à Berlin (cf. Infra p. 406) se serait arrêté à Malmö et y aurait rencontré des représentants de l’Autriche et de la Russie pour étudier les possibilités de paix séparée entre ces deux pays (Hugo Hamilton, Dagböcker, 1955, I, 28.5.1915).
181 Mats Kihlberg, op. cit., pp. 23-26.
182 Cf. p. ex. Örebro Kuriren du 5.7.1915.
183 Stockholm, R.A., Sam Classons stenografiska anteckningar, 23.7.1915.
184 Tidens Tegn, 1.7.1915.
185 Les hommes, âgés de 31 ans, soit la dernière année du premier ban de la disponibilité (Beväring).
186 Socialdemokraten, 14.1.1915.
187 Socialdemokraten, 10.6, 12.6., 14.7.1915. Il s’agissait de l’armée de terre. Dans la marine, les conscrits des classes 1911-1912 furent rappelés le 15 avril et restèrent sous les drapeaux pour des durées sensiblement plus longues.
188 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådet, 28.4.1915.
189 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådet, 14.5.1915 ; Rikdsdagsgruppen, 17.5.1915.
190 La plupart des témoignages concourent à monter l’impréparation totale de la Landstorm suédoise en août 1914. Olof Aschberg (op. cit. p. 113) écrit : "notre uniforme était constitué de vêtements civils, d’un tricorne et d’un brassard”. Probablement inspirée de la "Pansarbåtsförening" qui, en 1912, avait lancé la souscription nationale pour la construction du nouveau cuirassé (F-Båten), s’était constituée une association pour la Landstorm (Landstormförening), dont la Reine Viktoria était la Présidente.
191 Toutefois, on se mit d’accord au sein de la Commission du Budget (Statsutskottet) pour réserver la moitié de cette somme, en attendant "les enseignements de la guerre". (Socialdemokraten, 12.5.1915).
192 L’année budgétaire allait du 1er juillet 1915 au 30 juin 1916. Ce budget, adopté en mai 1915, s’élevait à 400 582 400 couronnes dont 104 123 700 allaient à la défense du titre du chapitre 4 du budget et 29 577 064 constituaient des crédits exceptionnels.
193 La flotte suédoise, au début de 1915, comptait une centaine de bâtiments, pour la plupart de déplacement faible et de construction assez ancienne. Des 12 cuirassés de première classe dont elle disposait, six dataient de la fin du XIXème siècle (1886- 1899), certains, il est vrai, ayant été modernisés à des dates plus récentes comme le Thule en 1903 et le Svea en 1904. Les six cuirassés construits en 1901 et 1907 (Dristigheten, Äran, Vasa, Tapperheten, Manligheten, Oskar II) étaient de faible tonnage (de 3 600 à 3 800 tonnes, sauf le Oskar II qui en jaugeait 4 658). C’est pourquoi la Suède avait entrepris la construction de 3 cuirassés de 7 100 tonnes, le Sverige (qui devait être lancé en mai 1915), le Gustav V et le Drottning Viktoria. D’évidence, la flotte suédoise eût été dans l’impossibilité de briser le blocus britannique.
194 Socialdemokraten, 20.5.1915. Nekludov exprima à Wallenberg l’inquiétude de la Russie devant ces mesures qui survenaient peu après la démarche Bildt à Rome et le discours de Gustav V à Göteborg. (Die Internationale Beziehungen… II : 7 : 2, Nekludov à Sazonov, 7.5.1915).
195 Paris, Archives de la guerre. E.M.A.T.O.E. 16. N. 29-34, et E.M.A. 7 N 835, 9.12.1915.
196 Cf. Infra, p. 195. Le bruit courut même, à la suite d’informations parues dans la presse britannique qu’une cinquantaine de bateaux suédois séjournant dans des ports américains étaient sur le point d’être vendus à des acheteurs d’Outre-Atlantique, pour éviter d’être saisis dès que la Suède serait entrée en guerre (cf. Göteborgs Handelstidningen, 23.9.1915).
197 On estimait que l’entrée en guerre de la Bulgarie, l’échec de l’entreprise alliée centre les Dardanelles qui rendit impossible le ravitallement de la Russie par le sud, et la saison des glaces qui fermait Arkangelsk, renforçaient en Russie les partisans de la paix séparée.
198 Bengt Holtze, Några Militära Bedömningar, 1915, avseende Sverige, Aktuellt och Historiskt, Meddelande från militärhistoriska avdelningen vid Kungl. Militärhögskolan, 1969, p. 102.
199 Bulletin de renseignements de l’État-Major russe n° 443 du 30.9.1915. Paris, Archives de la guerre, E.M.A., T.O.E., 16. N.29-34. Les services de renseignement russes avaient notamment signalé les réparations hâtives de toutes les routes de la région d’Umeå et la réduction des attributions de munitions aux Sociétés de Tir.
200 En novembre, Falkenhayn avait laissé espérer aux activistes finlandais, sans doute par Wetterhoff qui l’avait rencontré à plusieurs reprises au G.Q.G. de Pless, qu’une fois la Serbie abattue et la liaison avec la Turquie établie, l’offensive vers Riga, Reval et Pétrograd pourrait reprendre, vraisemblablement au printemps 1915. (Herman Gummerus, op. cit., p. 163).
201 W. Carlgren, Neutralität oder Allianz… pp. 176-189, 197-200, E. Palmstierna, op. cit., I, p. 133.
202 Ulf. Brandell, Dagens Nyheter, 30.1.1958 "Det tyska alliansbudet". W. Carlgren, Neutralitât oder Allianz… pp. 213-229.
203 Les îles Åland, une Finlande autonome intégrée dans une fédération Scandinave dont Stockholm aurait été le centre, une position dominante sur le marché russe.
204 Cf. Supra, p. 62, note 1.
205 Stockholms Socialdemokratiska-och-Ungsocialistiska klubbars Samarbetskommitté. Ce comité inaugura son activité par une grande réunion qui se tint le 7 février 1915 à Folkets Hus, qui fut consacrée à la question militaire et animée par Axel Holmström et Einar Ljungberg (Stockholm, S.A. Kriminalavdelningen, Anteckningsbok angående möten, 1912-1917, D XXX a),
206 Stockholm, S.A., Kriminalavdelningen, ibid 19 et 21.2.1915.
207 Berättelse över Socialdemokratiska Ungdomsförbundets Verksamhet år 1915, Oskarshamn, 1916.
208 Socialdemokraten, 4.5.1915. Selon les rapports de police, la manifestation réunit à Stockholm 8 000 personnes, "contre la guerre et la vie chère". Après un discours dans lequel Branting expliqua à nouveau le déferlement de la guerre par la faiblesse du socialisme européen, on entendit C.G. Liljeros déclarer "qu’il fallait donner acte au Gouvernement de sa politique de neutralité" (Stockholm, Rikspolisensstyrelsen, R.P.S., Rapporter och P.M. angående politiska och andra möten, 1.5.1915).
209 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens Verkställande Utskottet. 10.8.1915. Ce fut notamment le cas des sections de la ville de Stockholm, de la province de Stockholm et de Göteberg. La majorité qui s’exprima par Lindqvist et Wickman estima "qu’il n’y avait pas de danger". Branting fit décider "qu’on ne ferait aucun meeting tant que dureraient les négociations commerciales avec l’Angleterre".
210 Il faut dire cependant que quelques majoritaires avaient participé à des réunions contre la guerre : ainsi Jakob Larsson à Stockholm, le 23 juillet, J.H. Eriksson à Orbyhus et Palmstierna à Sundsvall (Alnön) le 25. (Socialdemokraten, 24.7. et 27.7.1915).
211 Socialdemokratiska Partistyrelsens Berättelse för år 1915, pp. 18-19.
212 De plus, le désaccord sur la défense nationale persistait et la perception accrue du risque de guerre ne l’avait en rien atténué. Le 8 août encore, à Homsbergs Hage, à Stockholm, les jeunes socialistes organisaient avec Artur Brandt une grande manifestation antimilitariste (Stockholm, R.P.S., Rapporter och P. M… 8.8.1915).
213 L. Kihlberg, Karl Staaf, II, Stockholm, 1963, pp. 394, 399.
214 Ernst Wigforss, Minnen, Stockholm, 1951, II., p. 37. Staaf prononça encore plusieurs discours en août, notamment le 21 à Vämamo et à Reftell (Socialdemokraten, 23.8.1915).
215 E. Palmstierna, op. cit., p. 116.
216 E. Palmstierna, ibid., 17.8. et 28.8.1915, pp. 116-117.
217 Socialdemokraten, 9.8.1915. Branting approuva sans réserve Wallenberg, mais blâma le langage énigmatique et inquiétant du Président du Conseil aux délégués du Congrès de Varberg. Comme le fit remarquer l’Ambassadeur Thiébaut "les appréciations de Branting sur les propos tenus par Hammarskjöld étaient loin de s’accorder avec celles que le Socialdemokraten lui-même formulait au lendemain du discours". (Paris, A.E., Guerre 1914-1918. Suède. Thiébaut à Delcassé, 11.8.1915).
218 Cette conférence fut peu après éditée sous forme de brochure, intitulée "la classe ouvrière et la situation mondiale" (Arbetareklassen och Världsläget, Stockholm, Tidens Förlag, 1915). Au même moment les attaques allemandes contre Dagö et Ösel n’étaient pas sans donner quelque crédit à ces ambitions.
219 Paris, Archives de la guerre, E.M.A., 2ème Bureau, 7. N.835. Thomas à Ministre de la guerre, 4.2.1916. Thomas ajoute : "les Socialistes suédois et leur chef M. Branting plus enclin à devenir un homme d’État qu’un révolutionnaire, sont prudents et même pusillanimes". Il est curieux d’observer que, selon Thiébaut, Branting aurait peu après déclaré "un coup de folie est toujours possible, mais si l’on tentait d’entraîner le pays dans une guerre offensive, il y aurait d’abord une révolution". (Paris, A.E., Guerre 1914-1918. Suède. Thiébaut à Delcassé. 7.6.1915).
220 Die Internationale Beziehungen.. II.8. : 2. Nekludov à Sazonov, 24.8.1915.
221 L. Kihlberg, Karl Staaf… p. 394.
222 Le même jour Wallenberg note : "après que sa Majesté eût communiqué au Premier Ministre et au Ministre des Affaires Etrangères la démarche de Max de Bade, la question fut débattue au Conseil des Ministres où aucune voix ne s’éleva pour l’abandon de la neutralité". (Stockholm, R.A., K.A. Wallenberg Privata Handarkiv).
223 Fïscher-Lossainen (Rheinhold, Siegfried, Gustaf von) cf. Bengt Holtze, Några militära bedömningar 1915 avseende Sverige, Aktuellt och Historiskt, 1969, 110-111.
224 Bonn, A.A., Abteilung IA. Politische Abteilung, Schweden 56 : 1. Eventuelles Eingreifen Schwedens in den Weltkrieg. Rapport du Colonel Von Hammarstein, 22.11.1915.
225 Stockholm, R.A., Ernst Trygger Samling, Ernst Tryggers Dagbok, 19.11.1915.
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