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Le Parti social-démocrate suédois et la politique étrangère de la Suède

 | 
Jean-Pierre Mousson-Lestang

Première partie. Le parti social démocrate entre la neutralité et l’unité nationale (juillet-décembre 1914)

Les problèmes de la coopération socialiste internationale

Texte intégral

Première réunion du Comité de Coopération des Mouvements Ouvriers Scandinaves (10-11 octobre 1914)

  • 1 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsensprotokoll, 9.9.1914.
  • 2 Ibid. Cependant quelques jours après, Branting s’adressa à Troelstra en suggérant que soit recherch (...)
  • 3 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsensprotokoll, 3.10.1914. C’est ce que demandait aussi le Parti socia (...)
  • 4 Komitén för Skandinaviska Arbetarrörelsens Samarbete. Il avait été constitué par les partis sociaux (...)
  • 5 Branting était d’avis qu’une coopération Scandinave ne serait pas très utile, puisqu’on était déjà (...)
  • 6 Les Socialistes anglais (The British Socialist Party) devaient faire part peu après de leur opposit (...)

1En septembre 1914, lors de la visite à Stockholm des représentants du parti Social-démocrate russe, A. Tsenkely avait proposé la réunion d’une Conférence des partis sociauxdémocrates des États neutres pour que "des pressions morales soient exercées sur la majorité du parti allemand afin qu’il n’oublie pas ses responsabilités internationales"1. Branting avait répondu que son parti ferait tout le possible pour mettre sur pied une telle Conférence quand l’heure en serait venue mais que "pour le moment ce serait vain"2. Lors de nouveaux entretiens que Branting et F. Ström eurent, le 3 octobre 1914, avec E. Lurie et Alexandra Kollontay, cette dernière insista à son tour sur la nécessité d’organiser une conférence des partis socialistes des États neutres pour "remettre l’Internationale en activité", et souhaita aussi une initiative pour un "déplacement provisoire du B.S.I.13. Ström fît alors savoir que le Comité de coopération des mouvements ouvriers scandinaves4, à l’initiative des délégués danois, avait décidé de se réunir prochainement pour traiter de ces questions5. Quant au déplacement du B.S.I., Branting révéla que les Sociauxdémocrates hollandais avaient proposé son transfert à La Haye6.

  • 7 Cf. Grass (M.) Friedensaklivität and Neutralilät… p. 82.

2Le Comité de Coopération des mouvements ouvriers Scandinaves se réunit effectivement les 10 et 11 octobre 1914 à Stockholm7. Le débat porta sur ce que les Socialistes et les syndicats Scandinaves pouvaient entreprendre pour rétablir les ponts coupés entre les parties membres de l’Internationale et pour favoriser le retour à la paix. On y prit deux décisions : la première en faveur du transfert du B.S.I. en Hollande ; la seconde d’une Conférence des Partis sociaux démocrates des pays neutres, soit à La Haye, soit à Copenhague. Le but assigné à une telle conférence était triple :

  1. rassembler et renforcer les courants d’opinion qui dans les pays neutres exigeaient la fin de la guerre pour une paix durable ;
  2. essayer d’établir les bases d’une médiation en vue d’une paix sans annexions et conforme au principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ;
  3. chercher un accord pour une démarche commune des partis sociauxdémocrates représentés à la Conférence auprès de leurs gouvernements pour que ces derniers exercent, éventuellement par une initiative commune, une action de médiation de paix.
  • 8 Albisser, Ferri, Greulich, Grimm, Naine, Pflüger, Rimalhé et Schenker pour la Suisse, Armuzzi, Bala (...)
  • 9 Les groupes parlementaires.
  • 10 Le texte de la Déclaration se trouve dans A. Rosmer, op. cit., pp. 183-185 et J. Humbert-Droz, op. (...)
  • 11 Selon Humbert-Droz, Platten avait proposé de convoquer aussi quelques "camarades d’États belligéran (...)

3Ce programme fût communiqué au Parti Social-démocrate hollandais que l’on invitait à s’associer à la préparation de la Conférence. Mais de leur côté les partis sociauxdémocrates suisse et italien s’étaient réunis à Lugano le 27 septembre 19148. La Déclaration qui y avait été adoptée condamnait sans distinction les bourgeoisies allemande, autrichienne, française et britannique et étendait cette condamnation toute égale aux classes ouvrières des pays belligérants "dont les fractions9 ont été entraînées par le courant chauvin et croient, en participant à la guerre, aider à libérer le prolétariat des autres pays de la domination sanglante des gouvernements respectifs"10. Le Comité Directeur du parti socialiste suisse avait été chargé de procéder à la convocation urgente des représentants des partis socialistes des États neutres et dans sa réunion du 2 octobre 1914 il avait accepté cette mission11. Il n’est malheureusement pas possible de savoir si l’invitation suisse fût reçue à Stockholm avant la réunion du Comité de Coopération des mouvements ouvriers Scandinaves les 10 et 11 octobre. En tout cas elle fût examinée par le Comité Directeur du Parti Social-démocrate suédois dans sa réunion du 14 octobre. Les Suédois répondirent aux Suisses en leur communiquant les décisions prises les 10 et 11 octobre : ils rejetaient le projet italo-suisse de transférer en Suisse le B.S.I. et, d’accord sur le principe d’une conférence des Socialistes neutres, entendaient en être les organisateurs. Danois et Norvégiens se prononcèrent aussi en faveur du transfert du B.S.I. à Amsterdam et, déjà, comme Branting l’avait dit à Alexandra Kollontay, le Président du Parti socialiste hollandais, Troelstra, s’était mis en relation à ce sujet avec Camille Huysmans. On se trouvait donc devant deux projets de transfert du B.S.I. et deux projets de conférences, ceux des italo-suisses et ceux des hollando-scandinaves. Les Suisses décidèrent alors de s’effacer. Le 22 octobre 1914, leur Comité Directeur se résigna à faire savoir aux Hollandais qu’ils acceptaient que le B.S.I. fût replié à Amsterdam et qu’il leur laissait le soin de choisir le lieu du congrès, Amsterdam ou Copenhague. Il estimait cependant que seuls les Neutres devaient être invités. On peut penser que cette lettre n’était pas encore connue de Branting et de Troelstra quand le Comité de coopération des mouvements ouvriers Scandinaves se réunit à nouveau à Stockhom le 24 octobre 1914.

Deuxième réunion du Comité de Coopération des Mouvements Ouvriers Scandinaves (24 octobre 1914).

  • 12 Thorwald Stauning (1873-1942), Président du Parti socialdémocrate danois. Carl Fredrik Madsen (1862 (...)
  • 13 Branting et Borgbjerg (1866-1936) étaient présents en leur qualité de rédacteurs en chef des deux g (...)
  • 14 Troelstra venait d’arriver à Stockholm après un jour à Berlin. Les Norvégiens, empêchés, s’étaient (...)
  • 15 Le télégramme suivant leur fût envoyé : "en réponse à votre appel, les travaux en vue d’une confére (...)
  • 16 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens protokoll, 24.10.1914.
  • 17 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens protokoll, 24.10.1914.
  • 18 Principalement parce que les éventuels délégués américains ne pouvaient arriver à Copenhague que pa (...)
  • 19 Le 13 janvier 1915, le Dr Studer, informait Stauning que le parti socialiste suisse, à l’unanimité, (...)
  • 20 Le Temps, 14.11.1914.
  • 21 Rosmer, op. cit., pp. 172-175.
  • 22 Il y était dit notamment : "nous ne doutons pas plus de vos intentions et de votre sincérité social (...)

4Autour du Président, Herman Lindqvist, et du Secrétaire, Fredrik Ström, s’étaient réunis les chefs de la Socialdémocratie danoise, Stauning et Madsen12, Hjalmar Branting, F.G. Borgbjerg13, ainsi que Troelstra14. On commença par écarter l’invitation du Parti socialiste américain qui, lui aussi, songeait à la convocation d’un congrès socialiste international15. Le Comité précisa ensuite que la conférence "qui pourrait se tenir vers le 10 décembre" ne comprendrait que les partis sociauxdémocrates des États Neutres, mais qu’il pourrait y avoir des rapports écrits ou oraux des Partis des pays belligérants. L’objectif de la Socialdémocrate était, par la paix, d’arriver au désarmement et à l’arbitrage international. Mais cette paix "ne devait pas survenir de façon aussi surprenante que la guerre". Cette paix devait être "telle qu’il n’en sorte aucun nouveau conflit16. Cette attitude pour le moins paradoxale pouvait s’éclairer par certaines déclarations que fît alors Troelstra. Il expliqua qu’il y avait en Allemagne, parmi les Agrariens et les Conservateurs un courant qui travaillait à la réconciliation avec la Russie et à la constitution d’une union douanière germano-russe. Pour ce courant, c’était les démocrates de l’Ouest qu’il fallait abattre, et non le tsarisme. Les partis sociauxdémocrates des États neutres devaient donc prendre garde à ces forces et "ne pas crier trop haut en faveur de la paix et de la paix immédiate17. Il est certain que déjà nombre de Socialistes, et sans doute Branting lui-même, avaient pris conscience qu’une paix prématurée favoriserait outrageusement l’Allemagne, que l’occupation de la Belgique et des départements du Nord-Est de la France plaçaient en situation de force. L’opposition irréductible des Socialistes français à une telle paix était connue. Ainsi, peut-être, peut-on comprendre la lenteur des Hollando-scandinaves à réagir aux initiatives des Italo-suisses. La lettre du Comité Directeur du Parti socialiste suisse n’eût de réponse qu’à la mi-novembre lorsque les Danois firent savoir qu’une conférence des Socialistes Scandinaves et hollandais aurait lieu le 6 décembre 1914 à Copenhague. Cette conférence devait d’ailleurs être encore ajournée et finalement fixée au 17 janvier 191518 . Les Suisses et les Américains ne devaient y être invités qu’en qualité d’observateurs. Le Parti socialiste suisse demanda que le Parti italien fût représenté et que "tous les Partis eussent les mêmes droits". On ne lui donna pas satisfaction et il ne devait pas participer à la conférence de Copenhague19. Sans doute l’attitude extrême prise à Lugano par les Italiens et les Suisses attribuant les mêmes responsabilités aux Allemands et aux Français, alors que ces derniers exigeaient qu’une distinction fût faite entre agresseurs et agressés, expliquait-elle la réserve des Scandinaves. La presse française avait vivement condamné le projet de conférence, aussitôt que connu. Le Temps avait parlé d’une "manifestation suspecte", d’une "suggestion de la Socialdémocratie allemande", cette dernière "comptait sur cette solidarité internationale cyniquement trahie pour préserver l’Allemagne du juste châtiment qui l’attendait"20. A Paris, le Comité Confédéral de la C.G.T. entendit, le 22 novembre 1914, Edmond Jouhaux lire la lettre d’invitation à la conférence de Copenhague qu’il venait de recevoir. Rosmer a laissé le récit de cette séance, et de celle du 29 novembre 1914 au cours desquelles fût présentée puis votée à une très faible majorité (22 voix contre 20 et 2 abstentions) la motion présentée pour Jouhaux et les majoritaires par la Fédération du Bâtiment. Pour les tenants de cette motion "parler de paix en ce moment, c’eût été consacrer la victoire du militarisme prussien, c’est-à-dire accepter l’annexion de la Belgique et d’une partie de nos départements. C’eût été, inévitablement, la réaction triomphant en Allemagne, comme en France et dans toute l’Europe"21. La C.G.T. ne répondit donc pas et le Parti socialiste S.F.I.O., quant à lui, devait se contenter d’envoyer au Congrès de Copenhague un banal message de sympathie22.

  • 23 Selon Rosmer (Op. cit., 2.2.1, 2.2.2), Edouard Vaillant lui-même avait dénoncé "certains Italiens e (...)

5Pourquoi Branting qui, le 9 septembre 1914, estimait "vaine" une conférence des Socialistes neutres, travailla-t-il à la préparer à partir d’octobre ? Deux explications semblent possibles. On peut penser que son attitude première fût d’abord influencée par l’action menée par les Partis socialistes italien et suisse. Il dût tenir compte aussi, sans doute, des condamnations portées par les Socialistes français contre le projet italo-suisse23.

6En octobre, l’élimination des Suisses et des Italiens permettait l’organisation d’un congrès placé sous l’influence dominante des Scandinaves. Tandis que les Socialistes Scandinaves s’apprêtaient ainsi, avec un maximum de sécurité, à rechercher à Copenhague les moyens d’une réactivation de l’Internationale, leurs gouvernements, ressuscitant les espérances scandinavistes de naguère, décidaient de se réunir de l’autre côté du Sund, à Malmö.

Notes

1 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsensprotokoll, 9.9.1914.

2 Ibid. Cependant quelques jours après, Branting s’adressa à Troelstra en suggérant que soit recherchée une plateforme commune des Neutres qui fût "acceptable pour les deux parties". Il estimait nécessaire de trouver un "compromis" ("Verständigung") et le moyen pouvait en être "une petite conférence des principaux leaders" (Amsterdam, I.I.S.G., Papiers Troelstra, vol. 543, Branting, à Troelstra, 16.9.1914).

3 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsensprotokoll, 3.10.1914. C’est ce que demandait aussi le Parti socialiste américain (lettre du secrétaire exécutif, Walter Lanfersiek, du 24 septembre 1914, Amsterdam, I.I.S.G., Collectie Tweede Internationale-Int. 26).

4 Komitén för Skandinaviska Arbetarrörelsens Samarbete. Il avait été constitué par les partis sociauxdémocrates et les confédérations syndicales de Suède, Danemark et Norvège lors d’une réunion tenue à Göteborg le 11 et 12 octobre 1913. Herman Lindqvist et Fredrik Ström en avaient été élus respectivement Président et Secrétaire.

5 Branting était d’avis qu’une coopération Scandinave ne serait pas très utile, puisqu’on était déjà à peu près d’accord, mais ne souhaitait pas faire obstacle au souhait des Danois et Norvégiens (Amsterdam, I.I.S.G., Troelstra 543, Branting à Troelstra, 3.10.1914).

6 Les Socialistes anglais (The British Socialist Party) devaient faire part peu après de leur opposition au transfert du B.S.L en Hollande "ce qui n’était ni sûr, ni convenable" et proposèrent Le Havre (Albert Inkpin à Emile Vandervelde, 4.11.1914, Amsterdam, I.I.S.G., Papiers Troelstra, 561).

7 Cf. Grass (M.) Friedensaklivität and Neutralilät… p. 82.

8 Albisser, Ferri, Greulich, Grimm, Naine, Pflüger, Rimalhé et Schenker pour la Suisse, Armuzzi, Balabanova, Defalco, Lazzari, Modigliani, Morgari, Musatti, Ratti, Serrati et Turati pour l’Italie. Benito Mussolini, qui avait aussi été désigné comme membre de la délégation italienne, n’avait pu se rendre à Lugano. Cf. Aldo Romano. Rivista storica del socialismo, 18.1.1963. Romano a utilisé le procès-verbal conservé dans les Archives Huysmans à Anvers.

9 Les groupes parlementaires.

10 Le texte de la Déclaration se trouve dans A. Rosmer, op. cit., pp. 183-185 et J. Humbert-Droz, op. cit., pp. 99-100.

11 Selon Humbert-Droz, Platten avait proposé de convoquer aussi quelques "camarades d’États belligérants à titre d’invités", mais le Comité Directeur s’y était refusé.

12 Thorwald Stauning (1873-1942), Président du Parti socialdémocrate danois. Carl Fredrik Madsen (1862-1944), Président de la Confédération des Syndicats danois L.O.

13 Branting et Borgbjerg (1866-1936) étaient présents en leur qualité de rédacteurs en chef des deux grands quotidiens socialistes de Stockholm et de Copenhague qui s’appelaient tous deux le "Socialdémocrate" (Socialdemokraten).

14 Troelstra venait d’arriver à Stockholm après un jour à Berlin. Les Norvégiens, empêchés, s’étaient excusés.

15 Le télégramme suivant leur fût envoyé : "en réponse à votre appel, les travaux en vue d’une conférence préparatoire des États neutres à La Haye semble prendre un cours favorable. Grandes chances qu’elle se tienne début décembre. Attendons votre collaboration précieuse. Votre proposition d’un grand congrès y sera débattue". Signé : conférence hollandoscandinave, Troesltra, Branting, Stauning.

16 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens protokoll, 24.10.1914.

17 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens protokoll, 24.10.1914.

18 Principalement parce que les éventuels délégués américains ne pouvaient arriver à Copenhague que par le bateau du 2 janvier (Th. Stauning, aux partis sociaux-démocrates de Suisse et de Hollande, 23.11.1914, Amsterdam, I.I.S.G., Troelstra, 406).

19 Le 13 janvier 1915, le Dr Studer, informait Stauning que le parti socialiste suisse, à l’unanimité, sauf sa propre voix, avait décidé de ne pas participer à la Conférence de Copenhague. On estimait que des "conférences partielles de ce genre étaient sans grande valeur et que tous les partis de l’Internationale auraient dû participer au Congrès" (Amsterdam, I.I.S.G., Papiers Troelstra, 406, Studer à Stauning, 13.1.1915).

20 Le Temps, 14.11.1914.

21 Rosmer, op. cit., pp. 172-175.

22 Il y était dit notamment : "nous ne doutons pas plus de vos intentions et de votre sincérité socialiste que vous ne doutez des nôtres… La paix que nous voulons, et que vous voulez ne peut être fondée que sur l’élimination du militarisme par la défaite de l’impérialisme allemand... Nous n’ajouterons qu’un mot pour vous dire que dans cette lutte défensive devenue une guerre à mort contre l’impérialisme allemand, nous avons eu, à notre grande joie, et nous voudrions que ce fût la vôtre, le concours de la grande et noble Angleterre, gardienne de la neutralité belge". (Rosmer, op. cit., p. 174).

23 Selon Rosmer (Op. cit., 2.2.1, 2.2.2), Edouard Vaillant lui-même avait dénoncé "certains Italiens et Suisses dont les tendances germanophiles se masquaient en vain d’une prétendue impartialité ou neutralité".

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