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Le Parti social-démocrate suédois et la politique étrangère de la Suède

 | 
Jean-Pierre Mousson-Lestang

Première partie. Le parti social démocrate entre la neutralité et l’unité nationale (juillet-décembre 1914)

Les élections législatives de l’automne 1914

Texte intégral

Le Parti Social-démocrate devient le premier Parti de la Seconde Chambre

  • 1 F. Ström, op. cit., p. 24.
  • 2 Socialdemokratiska Partistyrelsens Berättelse för kr 1914, Göteborg, 1915, p. 44.
  • 3 Ibid., p. 45.
  • 4 Le Manifeste fut antérieur de quelques jours au vote de la loi militaire du 12 septembre 1914.
  • 5 Aftonbladet, 1.9.1914.
  • 6 Arvid Lindman, op. cit., p. 204 ; Erik Palmstierna, op. cit., p. 61.
  • 7 Notamment, l’échelle des 40 voix (den 40-gradiga röstskalan) en vigueur depuis 1909 pour les électi (...)
  • 8 Manifeste aux électeurs suédois, 2 septembre 1914.
  • 9 Par exemple, dans le Socialdemokraten du 25 septembre (jour des élections à Stockholm) qui écrit : (...)
  • 10 Socialdemokraten, 27.8.1914.
  • 11 Ce dernier resta formellement en session (förpuppad) jusqu’en décembre.
  • 12 Sven-Ulrik Palme, På Karl Staafs tid, Stockholm, 1964, p. 219.
  • 13 Socialdemokraten, 5.8.1914.
  • 14 Article de Branting dans le Socialdemokraten du 4.7.1914.

1Gardien de la neutralité et de l’indépendance nationale, pacifiste et patriote, défiant à l’égard des partis bourgeois mais partisan de la défense et de l’unité nationales, le Parti Social-démocrate ne risquait-il pas d’être la victime de ces apparentes contradictions ? Quand s’ouvrit la période électorale, au début de septembre, beaucoup pensaient que la droite verrait confirmer son succès du scrutin extraordinaire de mars-avril puisque les débuts de la crise, puis de la guerre européenne, venaient donner raison aux forces politiques qui n’avaient cessé de réclamer un renforcement de la puissance militaire de la Suède. C’était probablement même la conviction de Branting1. Ce qui explique que l’activité électorale du Parti n’avait quasiment pas cessé d’avril à septembre2 mises à part les deux semaines consécutives à la déclaration de guerre où la mobilisation suédoise désorganisa l’action des Comités de propagande. Pendant l’été, le S.A.P. tint 3 000 réunions3 et toute la campagne électorale eût pour thème majeur la politique étrangère sous ses trois aspects essentiels : la neutralité, la politique militaire, la sécurité du commerce extérieur. La droite cherchait à maintenir le courant "priorité à la défense" (Försvaret fråmst), qui lui avait si bien réussi au printemps et son Manifeste électoral soulignait qu’en raison desdangers que la Suède encourait du fait de la guerre, l’effort national devait surtout porter sur le renforcement de l’armée4. Le 1er septembre, Hammarskjöld avait déclaré au journal Aftonbladet que le gouvernement, pour continuer à assumer sa tâche, avait besoin de "l’appui absolu" du Riksdag et qu’une victoire électorale de la gauche pourrait signifier le retrait du Gouvernement et des risques pour la neutralité5. Cette déclaration provoqua de vives polémiques dans les milieux libéraux et socialistes6, ce qui témoignait que le véritable objet de la campagne était bien la neutralité. S’adressant au corps électoral, les Sociauxdémocrates rappelèrent qu’en raison de la guerre et de la nécessité de l’unité nationale (Inre Samling) ils avaient décidé d’apporter leur concours à un gouvernement "dont la seule existence, en temps normal, eût été un défi au peuple”. En fait, la droite rendait impossible l’unité nationale en poussant à l’extrême des dépenses militaires déraisonnables par l’excès de la charge fiscale pesant sur la nation et par l’impossibilité qu’elles créaient de mener une politique de réformes sociales. Or, estimait-on encore, la droite en s’opposant aux réformes intérieures, à l’extension du droit de vote7 et à l’humanisation de la législation sociale, affaiblissait la capacité de la nation à se défendre contre une agression ; enfin, une victoire de la droite risquait de "donner de la force aux plans les plus fous de ceux qui veulent engager la Suède dans la guerre des grandes puissances"8. Il faut donc observer ici que si le gouvernement et le Parti Social-démocrate s’étaient accordés depuis les premiers jours d’août sur la neutralité, ils se suspectaient mutuellement devant le corps électoral de l’aventurer. Les Sociauxdémocrates, quoique sans doute sans vraie conviction, cherchaient à confondre dans l’esprit des électeurs les voix qui, venues pour la plupart de la droite, parlaient de défense commune du germanisme, avec l’ensemble du Parti de Lindman, malgré les déclarations de ce dernier en faveur de la neutralité9. Cette défiance, qu’elle fût véritablement éprouvée ou seulement affichée, explique l’acharnement du Parti à obtenir la "permanence du Riksdag" (Riksdagens Förpuppning)10, dont la dernière session plénière devait se tenir le 30 septembre11. Un moyen de se prémunir contre ce danger eût été un rapprochement et une lutte commune avec le parti libéral. Or, ce dernier, tantôt considéré comme "parti bourgeois, tantôt comme parti de gauche, était loin de présenter la cohésion du parti conservateur ou de la Socialdémocratie. Les débats sur la question militaire l’avaient encore démontré. En ce domaine, comme on l’a vu, la distance entre Libéraux et Conservateurs était bien moins grande qu’entre Libéraux et Socialistes. De plus ces derniers continuaient à réclamer la suspension des lois Staaf votées en mai 1905, pour interdire la propagande antimilitariste dans l’armée, par la grande majorité du parti libéral12 malgré l’opposition des Sociauxdémocrates : le 4 août, la Commission des Lois (Lagutskottet) rejetait encore une motion Socialdémocrate réclamant leur abrogation par le Riksdag13. En d’autres domaines encore, touchant à la politique étrangère du pays, les deux partis suivaient des voies différentes : ainsi en matière de politique douanière le S.A.P. était-il partisan de la suppression des droits sur les céréales et même d’un libre-échange total alors qu’à ce sujet le Parti libéral se partageait en trois groupes14.

  • 15 Mais il en avait eu 20, lors des élections d’avril.
  • 16 F. Ström, op. cit., p. 24.
  • 17 Socialdemokratiska Partistyrelsens Berättelse för är 1914, Göteborg 1915, p. 30.
  • 18 Selon K. Bäckström, op. cit., p. 185, Branting s’engagea personnellement pour empêcher un meilleur (...)
  • 19 K. Bäckström, op. cit., p. 185.
  • 20 Stockholm, A.R.A., Socialdemokratens Styrelsens Protokoll, 16.9.1914.

2Socialistes et Libéraux allèrent donc séparément au devant des suffrages, sauf dans sept circonscriptions où furent présentées des listes communes15. Cependant, à l’intérieur même du Parti Social-démocrate se déroula au préalable une lutte acharnée pour la désignation des candidats16. En effet, les candidats officiels du Parti étaient choisis par les sections locales (Arbetarekommunen) et classés par ordre de préférence par le vote de tous les adhérents (provval) avant d’être présentés aux électeurs. Le classement des candidats provoquait le heurt des tendances. Déjà, au printemps, Z. Höglund avait été relégué à la sixième place de la liste officielle de la première circonscription de Stockholm (Stockholm sud)17 et avait tenté en vain de se faire élire sur une liste "sauvage" (särlista)18. Dans le courant du mois d’août, l’aile gauche du Parti tenta dans plusieurs circonscriptions de placer en bonne position ses candidats sur les listes officielles. C’est ainsi que, le 18 août, le "Provval" de la première circonscription de Stockholm, qui était celle de Branting, permit à Höglund d’obtenir la quatrième place avec 532 voix sur 1 041, après Branting (696), H. Lindqvist (610) et E. Söderberg (560), mais avant le député sortant K. Tengdahl. Branting, dont le nom avait été rayé sur environ un tiers des listes, fit dans le "Socialdemokraten" quelques réflexions acerbes sur le comportement des "Jeunes gens" du Parti19. Quelques jours avant les élections à Stockholm, lors d’une réunion du Comité Directeur du "Socialdemokraten", Branting fût interpelé par Ström au sujet de ses déclarations dans le journal concernant le "Provval". Ce dernier lui demanda si "le Socialdemokraten" entendait travailler pour les listes de candidatures "officielles". Branting déclara alors que le résultat du "Provval" de la première circonscription de Stockholm, où Z. Höglund avec quelques voix de plus avait été placé au quatrième rang devant Tengdahl, "ne lui semblait pas l’expression véritable de la majorité des électeurs". Il estimait pourtant "qu’une action unie permettrait de prendre 5 sièges, ce qui résolvait le problème20. Pourtant on a vu que Branting était beaucoup moins optimiste quant au résultat de son Parti pour l’ensemble du pays.

3Le Parti Social-démocrate, contre toute attente, remporta le plus grand succès de son histoire et devint le premier parti de la deuxième Chambre.

4La répartition des sièges fut la suivante :

Élections Législatives (A.K.) de Septembre 1914 : SIÈGES

Élections Législatives (A.K.) de Septembre 1914 : SIÈGES

et celle des voix :

  • 21 Statistisk årsbok 1920, p. 302-303, De allmänna valen till riksdagens andra kammare Valkretsvis… So (...)

Élections Législatives (A.K.) de Septembre 1914 : VOIX21

Élections Législatives (A.K.) de Septembre 1914 : VOIX21
  • 22 Socialdemokraten, 1.10.1914.
  • 23 "Branting n’était pas particulièrement heureux de cette grande victoire... il voulait nous dissuade (...)
  • 24 K. Hildebrand, Sveriges Historia… p. 128.
  • 25 La réforme électorale de 1907, entrée en vigueur en 1909, avait donné le droit de vote pour les éle (...)
  • 26 Otto Jârte et Fabian Von Koch, Arbetslöshets politik, 1914-1924, in Eli F. Heckcher et alli, Bidrag (...)

5La droite, tout en perdant quelques milliers de voix, maintenait le nombre de ses élus. Par contre, les Libéraux qui avaient déjà perdu 32 députés en avril, en perdaient encore 13, et cette fois au profit unique des Sociauxdémocrates. Certes, le Parti libéral fût, comme au printemps, défavorisé par le système électoral à la proportionnelle, si bien que les Sociauxdémocrates eux-mêmes constatèrent qu’il avait fallu 3 449 électeurs pour un député libéral, mais seulement 3 117 pour un député conservateur et 3 054 pour un député socialiste22. Il n’en reste pas moins qu’il y eut, à l’intérieur d’un corps électoral stable depuis 1911, un important transfert de voix des Libéraux vers les Socialistes, ce qui signifie qu’à l’occasion de ces élections le S.A.P. recueillit une partie des voix des classes moyennes et de la petite bourgeoisie, électorat de tradition du parti de Staaf. Comment ne pas penser que Branting, malgré la surprise embarrassée qu’il afficha23, cueillait les fruits de son habileté politique, pour avoir su rassurer l’opinion sur l’appartenance du Parti à la communauté nationale depuis le télégramme de Kisa, sur sa volonté de résister à une agression depuis l’adoption d’un programme positif de défense nationale, en même temps que sur sa détermination à s’opposer à l’entrée de la Suède dans le conflit des grandes puissances. En effet, dans l’électorat de gauche on avait surtout rédouté la faiblesse du Gouvernement devant les intrigues de ceux qui souhaitaient que la Suède participât à la guerre. Or, les reniements successifs du Parti libéral lors du débat militaire des semaines précédentes laissèrent à nombre d’électeurs l’image de sa faiblesse plutôt que celle de son esprit de sacrifice24. Enfin, et surtout on peut penser que le parti libéral perdit lors de ces élections les voix ouvrières qu’il avait pu encore mobiliser en 191125. La crise économique d’août-septembre 1914 explique grandement ce reflux. L’arrêt brutal des importations qui entraîna des hausses de 50 à 100 % pour certaines matières premières, la flambée de certains prix alimentaires due à la spéculation mais aussi à la sècheresse inhabituelle de l’été 1914, les réductions de travail et le chômage qui se développèrent brutalement dans le courant du mois d’août et dont on redoutait qu’ils prissent une ampleur plus grande encore, créèrent un véritable "climat de panique"26.

  • 27 F. Ström, op. cit ; p. 25.
  • 28 R. Eronn, E.A. Hage, Z. Höglund, C.H. Johansson, C. Lindhagen, K. Lundberg, M. Bengtsson, C. Ericss (...)
  • 29 Les anciens députés socialistes de la minorité s’étaient constitués en un "groupe de gauche" (Vänst (...)
  • 30 F. Ström, ibid.

6Le Parti Social-démocrate fit alors le plein des voix de tous ceux que la crise frappait ou menaçait et qui découvraient brusquement que le Parti de Branting pouvait être tout à la fois le défenseur de la classe ouvrière et de la patrie. Alors que les élections d’avril avaient été celles de la défense nationale, celles de septembre furent incontestablement celles de la neutralité. C’est peut-être en grande partie grâce à ce nouveau courant, que la peur de la guerre faisait passer dans l’opinion, qu’au sein même du Parti la minorité se trouva renforcée27 au point de pouvoir compter sur une quinzaine de députés du groupe parlementaire28 dont plusieurs venaient d’être élus en septembre29. Parmi ces derniers, Z. Höglund fût certainement celui dont l’élection causa la plus forte sensation. Autour de lui, C. Lindhagen, F. Ström, F. Månsson et I. Vennerström formaient le coeur de l’aile gauche du parti, aussi intransigeante que la majorité dans la défense de neutralité, mais de plus fidèle à son action en faveur du désarmement du pays, et irréductoblement décidée au maintien du Parti dans l’opposition. Pour Branting la victoire de septembre, avant tout, accroissait les possibilités de faire pièce à l’agitation activiste, et comme, dans l’immédiat, c’était le but essentiel, cette victoire lui apparaissait revêtir une "importance historique’’30. Mais ensuite le S.A.P. ne pouvait éviter de se trouver confronté à son rôle politique à venir dans un Riksdag dont il était devenu la première force au détriment d’un parti libéral dont nombre de députés risquaient de subir l’attraction de la droite. Empêcher le glissement des Libéraux, rechercher en même temps avec eux les conditions d’un rapprochement durable, en un mot ancrer sur la gauche la majorité du Riksdag, voilà quelles étaient assurément alors les préoccupations des principaux chefs du S.A.P.

Le problème du socialisme ministériel

  • 31 Palmstierna, op. cit., p. 65. Staaf de son côté, dans un discours à l’Auditorium avait souhaité un (...)
  • 32 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsen, 4.10.1914.
  • 33 Stockholm, A.R.A., Stockholms Arbetare Kommunens Styrelsens sammanträdesprotokoll, 21.10.1914.
  • 34 Ibid.
  • 35 Socialdemokraten, 23.10.1914. Il est évident que la Section de Stockholm comprenant au dernier trim (...)
  • 36 Cf. Socialdemokraten, 19.10.1914.
  • 37 Tous deux nés en 1860.

7Branting estimait-il que son Parti, de par son propre poids, devait dès lors accéder au pouvoir ? C’est ce qu’affirma Palmstierna, selon qui Branting aurait souhaité un gouvernement de coalition libéral-socialiste dont Staaf eût été le premier ministre "ce qui valait mieux que de le laisser en dehors libre de mener la critique"31. Mais dans la presse libérale, en particulier Dagens Nyheter, les railleries n’étaient pas épargnées aux Sociauxdémocrates accusés de rechercher "le pouvoir sans la responsabilité" (makt utan ansvar). Peu après les élections, le Comité Directeur du S.A.P. se trouva donc tout naturellement saisi de la question du socialisme ministériel32. Branting lutta avec la dernière énergie pour imposer son point de vue. Pour lui, il s’agissait d’abord de réaliser avec les Libéraux un accord sur une "plateforme de gauche", et seulement ensuite d’ouvrir la négociation en vue d’une collaboration gouvernementale. Thorsson souligna que cette dernière était inévitable à la longue, puisque le Parti avait choisi la conquête du pouvoir par la voie parlementaire. Ne pas prendre d’initiative, ajouta Bernhard Eriksson laisserait aux Sociauxdémocrates la totale responsabilité de la constitution d’un ministère de droite, ou de la reconduction du Cabinet Hammarskjöld. Le vote donna une large majorité (16 voix contre 5) à Branting. Les minoritaires (Månsson, Neuman, Sandler, Ström et Vennerström) avaient en vain objecté qu’il valait mieux pour le Parti demeurer dans l’opposition jusqu’en 1917, en particulier en raison de la difficulté à s’entendre avec les Libéraux sur la question de la Défense. Mais une résolution fût adoptée affirmant la loyauté du Parti à la loi du 12 septembre "à condition que les dépenses fussent maintenues dans le cadre fixé". Cette décision pouvait laisser bien augurer de la négociation à venir. Pour la mener à bien le Comité Directeur désigna une Commission spéciale de 5 membres comprenant Branting, Palmstierna, Ingvarson, Sven Persson et, concession à la minorité, Richard Sandler. Cette commission fût mandatée, en cas d’accord sur un programme, pour offrir d’abord aux Libéraux de former le gouvernement avec soutien du S.A.P., puis en cas de refus, de constituer un cabinet de coalition et, en dernière analyse, un ministère Social-démocrate homogène. Il ressort donc clairement que le Parti Social-démocrate était disposé dès l’automne 1914 à assumer sous une forme ou sous une autre les responsabilités gouvernementales pour réaliser les grandes réformes intérieures qui figuraient à son programme, et plus encore peut-être pour maintenir la neutralité et l’indépendance internationale du pays. Mais il lui fallait compter sur les harcellements incessants des nihilistes. La section de Stockholm où leur influence était prédominante protesta violemment contre les décisions du Comité Directeur. A la suite du rapport de Gottfrid Björklund elle justifia son refus en soulignant que même si un programme d’action commun avec les Libéraux pouvait être mis sur pied sur "quelques points d’accord préalable", le Parti "dans toutes les questions extérieures à cet accord serait complètement à la merci des Libéraux’’33. On craignait qu’un Ministère socialiste ne pût exister que par des compromissions politiques telles que la méfiance ne tarderait pas à s’installer dans les masses. Certes "le but de la Socialdémocratie était la prise du pouvoir" rappelait la déclaration finale adoptée le 21 octobre, "mais pas au prix de l’abandon de notre programme34. Le surlendemain, en présence du leader socialiste hollandais Troelstra, Branting dût s’employer à réfuter les objections de Lindhagen, pour qui les Libéraux devaient accepter le programme Socialdémocrate, de Vennerström, qui continuait à contester que le Parti dût rester loyal à la loi militaire de septembre, et de C.N. Carleson qui estimait que toute communauté d’action avec les Libéraux était impossible et que, minoritaire dans les deux chambres, le S.A.P. restait livré au bon vouloir du parti de Staaf35. Or, dans ce dernier, nombre de parlementaires restaient réticents à l’égard d’une éventuelle collaboration avec les sociauxdémocrates. Le "Dagens Nyheter" lui-même observait ironiquement que le Parti Social-démocrate était divisé en fait en quatre groupes : ceux qui "combattaient toute hypocrisie parlementaire, ceux qui par principe étaient hostiles au socialisme ministériel, ceux qui s’y résigneraient en cas exceptionnel, et ceux qui se reconnaissaient les mêmes responsabilités parlementaires que les autres partis démocratiques. Il conseillait donc aux Libéraux d’attendre que fût faite l’unité des Sociauxdémocrates36. Quelles étaient les relations exactes de Branting et de Staaf ?37

La négociation Branting-Staaf

  • 38 Palmstierna, op. cit., p. 68.
  • 39 Stockholm, A.R.A., Branting à Staaf, 28.10.1914. La lettre est reproduite in extenso dans l’ouvrage (...)
  • 40 Hälsingborg, le 29.10, Örebro le 3.11, Enköping et Sundsvall le 18.11.
  • 41 Socialdemokraten, 5.11.1914.
  • 42 Socialdemokraten, 18.11.1914.
  • 43 Stockholm, A.R.A., Staaf à Branting, 20.11.1914.

8Palmstierna a estimé que dans ce moment Branting faisait des efforts évidents pour s’assurer la direction de la gauche suédoise38. Pourtant, chef d’un parti battu mais indispensable à toute majorité, deux fois déjà Premier Ministre, Staaf, plus que Branting jouait à l’automne 1914 le premier rôle dans ce qui pouvait constituer la majorité de gauche. Vers la fin d’octobre 1914, c’est Branting qui prit l’initiative de lui écrire pour lui offrir d’entrer en négociations, conformément aux décisions du Comité Directeur39. Quelques jours auparavant les membres du Conseil de Confiance (Förtroende Rådet) du groupe parlementaire avaient à leur tour désigné un Comité restreint (Branting, Lindqvist, Palmstierna, Rydén et C.G.J. Wickman) chargé d’entrer en négociations avec les parlementaires libéraux et de leur faire connaître les bases d’un programme d’action commune comportant, à l’intérieur, la réforme électorale et en particulier l’abolition de l’échelle des 40 degrés et à l’extérieur la neutralité et la fidélité du programme de défense nationale fixé par la loi du 12 septembre 1914. Plusieurs sections importantes du Parti réagirent favorablement à ces initiatives40. A la section de Stockholm les débats furent particulièrent vifs et la résolution finale "sans rejeter l’idée d’une collaboration de la gauche ni celle d’un programme d’action commun ’exprima toutefois son refus de toute "collaboration ministérielle formelle et contraignante’’41. Cette résolution fût aussi adoptée par les sections de Linköping et de Varberg42. Seul le Congrès prévu pour le 23 novembre pouvait mettre fin à la controverse. Staaf répondit alors à la lettre de Branting du 28 octobre. Il faisait valoir que les Libéraux sentaient le devoir de combattre la domination de la droite et de mener une politique de progrès. "Si votre projet gagne la majorité à votre prochain congrès, ajoutait-il, les Libéraux l’examineront avec le plus grand soin". Mais Staaf tenait à rappeler que son Parti s’était engagé pour les 3 années à venir à "exécuter scrupuleusement" ce qui avait été décidé en matière de défense. Or l’attitude des Sociauxdémocrates lui semblait obscure : "je n’ai pas compris exactement le contenu de la résolution qu’a publiée votre Comité Directeur au sujet de la Défense, et ne puis donc juger dans quelle mesure elle se conforme à notre programme ou s’en sépare"43 . A la veille du IXème Congrès les chances du Parti Social-démocrate d’accéder au pouvoir étaient donc en fait quasiment nulles.

9Le Ministère Hammarskjöld était assuré du soutien des Conservateurs et des Libéraux dans la politique militaire, et même les Sociauxdémocrates ne pouvaient qu’approuver à ce moment sa politique de neutralité. L’accord entre le parti de Branting et celui de Staaf restait à faire, et rien de décisif ne pouvait être conclu avant l’épreuve du Congrès.

Notes

1 F. Ström, op. cit., p. 24.

2 Socialdemokratiska Partistyrelsens Berättelse för kr 1914, Göteborg, 1915, p. 44.

3 Ibid., p. 45.

4 Le Manifeste fut antérieur de quelques jours au vote de la loi militaire du 12 septembre 1914.

5 Aftonbladet, 1.9.1914.

6 Arvid Lindman, op. cit., p. 204 ; Erik Palmstierna, op. cit., p. 61.

7 Notamment, l’échelle des 40 voix (den 40-gradiga röstskalan) en vigueur depuis 1909 pour les élections communales et cantonales.

8 Manifeste aux électeurs suédois, 2 septembre 1914.

9 Par exemple, dans le Socialdemokraten du 25 septembre (jour des élections à Stockholm) qui écrit : "il faut écraser la droite, Sven Hedin et les autres apôtres d’une politique d’alliance".

10 Socialdemokraten, 27.8.1914.

11 Ce dernier resta formellement en session (förpuppad) jusqu’en décembre.

12 Sven-Ulrik Palme, På Karl Staafs tid, Stockholm, 1964, p. 219.

13 Socialdemokraten, 5.8.1914.

14 Article de Branting dans le Socialdemokraten du 4.7.1914.

15 Mais il en avait eu 20, lors des élections d’avril.

16 F. Ström, op. cit., p. 24.

17 Socialdemokratiska Partistyrelsens Berättelse för är 1914, Göteborg 1915, p. 30.

18 Selon K. Bäckström, op. cit., p. 185, Branting s’engagea personnellement pour empêcher un meilleur classement de Höglund lors du Provval.

19 K. Bäckström, op. cit., p. 185.

20 Stockholm, A.R.A., Socialdemokratens Styrelsens Protokoll, 16.9.1914.

21 Statistisk årsbok 1920, p. 302-303, De allmänna valen till riksdagens andra kammare Valkretsvis… Socialdemokratiska Partistyrelsens Berättelse för är 1914, pp. 47-48.

22 Socialdemokraten, 1.10.1914.

23 "Branting n’était pas particulièrement heureux de cette grande victoire... il voulait nous dissuader de la surestimer et déclarait qu’il était beaucoup plus facile de porter des défaites que des victoires". (F. Ström, op. cit., p. 25).

24 K. Hildebrand, Sveriges Historia… p. 128.

25 La réforme électorale de 1907, entrée en vigueur en 1909, avait donné le droit de vote pour les élections à la deuxième Chambre aux hommes de 24 ans révolus s’étant acquittés de leurs impôts d’Etat et communaux au cours des 3 années précédentes. Ceux qui n’étaient pas en règle avec le fisc, restaient exclus d’un système qui apporta cependant en 1911 un doublement du corps électoral.

26 Otto Jârte et Fabian Von Koch, Arbetslöshets politik, 1914-1924, in Eli F. Heckcher et alli, Bidrag till Sveriges… p. 298. Ces auteurs estiment, à la suite des syndicats, que le chômage était passé de 3 % au 31 juillet à 8,1 % au 31 août, pour atteindre 15 % au 31 décembre, sur une population ouvrière estimée à environ 400 000 individus.

27 F. Ström, op. cit ; p. 25.

28 R. Eronn, E.A. Hage, Z. Höglund, C.H. Johansson, C. Lindhagen, K. Lundberg, M. Bengtsson, C. Ericsson, H. Eriksson, F. Månsson, F. Ström, K.V. Skareen, I. Vennerström, T. Widlund, C. Winberg.

29 Les anciens députés socialistes de la minorité s’étaient constitués en un "groupe de gauche" (Vänsterförening) depuis le 28 mars 1912 (C. Lindhagen, Memoarer, Stockholm, 1936, II, p. 173.

30 F. Ström, ibid.

31 Palmstierna, op. cit., p. 65. Staaf de son côté, dans un discours à l’Auditorium avait souhaité un ministère socialdémocrate homogène, avec soutien libéral. Dans certains milieux libéraux on avait même suggéré la constitution d’un gouvernement de coalition unissant la droite, les Libéraux et les Sociauxdémocrates, ce que Branting avait refusé (Ström, op. cit., p. 26).

32 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsen, 4.10.1914.

33 Stockholm, A.R.A., Stockholms Arbetare Kommunens Styrelsens sammanträdesprotokoll, 21.10.1914.

34 Ibid.

35 Socialdemokraten, 23.10.1914. Il est évident que la Section de Stockholm comprenant au dernier trimestre 1914 16 945 des 84 410 adhérents du Parti, ne pouvait manquer de peser d’un poids tout particulier.

36 Cf. Socialdemokraten, 19.10.1914.

37 Tous deux nés en 1860.

38 Palmstierna, op. cit., p. 68.

39 Stockholm, A.R.A., Branting à Staaf, 28.10.1914. La lettre est reproduite in extenso dans l’ouvrage de John Lindgren, Per Albin Hansson, Stockholm, 1950, I, 200.

40 Hälsingborg, le 29.10, Örebro le 3.11, Enköping et Sundsvall le 18.11.

41 Socialdemokraten, 5.11.1914.

42 Socialdemokraten, 18.11.1914.

43 Stockholm, A.R.A., Staaf à Branting, 20.11.1914.

Table des illustrations

Titre Élections Législatives (A.K.) de Septembre 1914 : SIÈGES
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Titre Élections Législatives (A.K.) de Septembre 1914 : VOIX21
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