Introduction
p. 13-41
Texte intégral
Le Parti social démocrate et les origines de la neutralité suédoise
1Pour définir la situation internationale de la Suède à la veille de la première guerre mondiale, et replacer le Parti social-démocrate dans l’évolution dont elle était le terme provisoire, il faut nécessairement rappeler1 que, naguère toute bruissante d’armes, la Suède traversait depuis 1814 un siècle de paix absolue. L’Europe des conflits et des impérialismes nationaux avait cessé de compter avec elle. L’histoire glorieuse du XVIIème siècle suédois, la folle épopée de Gustave II Adolphe et de Charles XII n’était plus qu’une belle saga. Cette "ère de grandeur" (Storhetstiden) où de Breitenfeld à Narva, la Suède – quelques milliers d’hommes – avait fait irruption dans l’histoire de l’Europe ne semblait avoir laissé aucune trace, sinon dans la conscience profonde de son peuple et de ses élites. Trop faiblement peuplée, trop démunie de ressources, la Suède ne pouvait à la longue par la seule valeur de ses chefs et de ses soldats maintenir sur le continent cet empire suédois transbaltique que la mort de Charles XII au siège de Fredrikshald le 30 novembre 1718 condamnait à tout jamais. Avec lui disparaissait non seulement "l’ère de la grandeur" mais aussi l’absolutisme royal, inséparable de l’expansion militaire.
2La Suède de 1718, exsangue, ruinée, n’était pas sans rappeler la France de 1715, mais mieux qu’elle, elle sut mettre un terme au pouvoir absolu du souverain. Alors s’ouvrit "l’ère de la liberté" (frihetstid, 1718-1773), où les États, les quatre ordres du Riksdag, substituèrent partiellement leur volonté à celle du prince et esquissèrent la première ébauche d’un parlementarisme encore très rudimentaire, comparé au modèle britannique. Cet apprentissage a tourné court : le conflit des partis – bonnets et chapeaux – les aventures extérieures dans lesquelles l’entraînèrent des chefs qui n’étaient plus ni Torstensson, ni Wrangel, ni Oxenstierna provoquèrent une crise de régime et un retour victorieux de l’absolutisme, déguisé un moment en despotisme éclairé sous Gustave III (1772- 1792) et sous Gustave IV Adolphe (1792-1809). En fait, malgré "l’autocratie gustavienne" le combat pour la liberté n’avait cessé de se poursuivre, stimulé par les courants d’idées venus de France. Plus grave est que la Suède entra à contretemps dans le conflit européen. En 1805 elle se joignit à la 3ème coalition, mais les troupes suédoises n’eurent pas le temps de franchir la Baltique que l’Autriche était écrasée à Austerlitz. Après Iéna, les Suédois se trouvèrent forcés d’abandonner tout ce qu’il leur restait de Poméranie, sauf Stralsund. Victime, Gustave IV Adolphe le fut une seconde fois, quand après Tilsit Alexandre I frappa dans la Suède l’alliée peut-être trop naïve de l’Angleterre. La Finlande, envahie en 1808, était bientôt perdue, et le Russe prit même pied dans les îles Åland, face à l’archipel de Stockholm. Déjà chassée de Poméranie, le "boulevard de la Suède", la nation dut signer le 17 septembre 1809 l’accablant traité de Fredrikshamn. Du lac Ladoga aux fleuves Torneå et Muonio, nouvelle frontière en Bothnie et Laponie, ce fut le reflux suédois, le point le plus bas jamais atteint par l’histoire nationale. Il ne s’agissait plus cette fois de l’abandon de dominations éphémères et artificielles : soudée physiquement à elle, politiquement fondue dans le royaume, pénétrée profondément depuis 1150 par sa culture, sa religion, ses structures sociales, et même sa langue, peuplée d’une forte minorité suédoise, la Finlande était véritablement un membre du corps suédois. Sa perte fut ressentie comme une amputation et elle laissa la Suède à nu : déjà campé devant Stockholm depuis qu’il s’était installé à Åland, le Russe était maintenant à 100 km de Kiruna et de Gellivaraa. L’absolutisme n’a pas survécu à cette humiliation. Après la déposition de Gustave IV Adolphe, Charles XIII dut accepter la constitution adoptée par les États le 6 Juin 1809 : l’impôt désormais serait voté par le Riksdag, sérieux contrepoids à des pouvoirs royaux demeurés encore importants. Le dernier Vasa, Charles XIII, régna jusqu’en 1818, mais le vrai maître était le nouveau prince héritier Carl Johan (Bernadette), élu par le Riksdag le 21 août 1810, pour réaliser la revanche à l’est, mais qui arracha la Suède au vertige russe. En 1814, avec la Russie, et non contre elle, il rendit à la Suède un semblant de grandeur : l’union avec la Norvège qu’il fallut imposer par les armes aux Danois, les anciens maîtres, et aux Norvégiens, unanimes à demander l’indépendance, semblait réorienter toute la politique de la Suède, de tous temps dirigée vers le sud et vers l’est. Le royaume ne serait plus jamais cette couronne de terres ceignant les côtes de la Baltique et du Golfe de Bothnie. Totalement péninsulaire, c’est vers l’ouest qu’il s’ouvrait désormais largement Fin des chimères allemandes et du rêve démesuré d’un empire baltique, défaite accablante et repli devant l’expansion russe, union imposée à une Norvège rétive, recul progressif de l’absolutisme devant la "liberté", c’était la fin d’une époque précipitée par la forte personnalité d’un souverain à qui, peut-être pour le bonheur du pays, manquait la sensibilité suédoise.
3Après 1815 s’ouvrit une nouvelle période où l’histoire de la Suède cessa définitivement d’être celle de ses rois ; une ère sans éclat où le pays choisit la neutralité et la paix, renonça à la revanche et oublia son traité de Francfort. Le règne de Charles Jean2 (1818-1844) est, de ce point de vue, décisif : ce parvenu des armes sera le premier roi de Suède dont le règne ne connût pas de guerre, soucieux qu’il fût toujours de ménager également la Russie et l’Angleterre. A l’intérieur s’affirma un libéralisme bourgeois de "type européen" (Sten Carlsson), montant à l’assaut de la bureaucratie royale et réclamant de plus en plus un régime parlementaire. Des courants nouveaux, qui cheminaient souterrainement depuis une décennie, firent surface sous le règne de son fils Oskar I (1844-1859). L’heure fut au scandinavisme : toute la "jeune Suède" rêvait de la nouvelle union de Kalmar que le Danois Carl Ploug avait réclamée dès 1843. Mais au nord du Sund on assignait à ce nouvel empire de contenir la Russie et de retrouver la Finlande. Au sud, c’était le Schleswig qu’il fallait maintenir terre Scandinave face au mouvement unitaire allemand. Le conflit dano-prussien (1848-1849) conduisit au traité de Londres (1852) qui donnait momentanément gain de cause à Copenhague, mais, malgré le concours militaire suédois qu’Oskar I avait arraché non sans peine aux États, le scandinavisme subit un échec. La dynastie des Bernadotte ne recueillit pas l’héritage de Fredrik VII : les scandinavistes danois et suédois avaient laissé passer une chance unique de réunir les trois royaumes sous une même couronne. Ce ne fût pas la seule occasion manquée de cette époque si décevante pour la politique étrangère de la Suède. Depuis 1826 le Finmark coupait aux migrations des Lapons de Finlande de vastes zones de pêche et de pâturages, et peut-être aussi la voie de l’océan arctique et de l’Atlantique que l’Angleterre soupçonnait la Russie de vouloir emprunter en sous main. A partir de 1851 cette situation, et les arrières-pensées que les deux parties se prêtaient, ont jeté la discorde entre Stockholm et Saint-Pétersbourg. Quand en 1854 la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre à la Russie, une grande partie de l’opinion suédoise "activiste" pensa avoir enfin trouvé la chance historique de réparer la mutilation de 1809 ; de son côté Palmerston qui semblait avoir sérieusement redouté la volonté de la Russie de s’établir sur la côte norvégienne, pressa Oskar I de tirer l’épée. Ce dernier, favorable sans doute au fond de lui-même à l’intervention, tergiversa, posa des conditions trop ambitieuses, des troupes et des subsides, – ce qui était possible –, le retour de la Finlande, – ce qui était envisageable –, l’entrée dans la coalition de l’Autriche, – ce qui était exclu –. La chance passa. C’est Sébastopol que les Anglo-Français attaquèrent et non Saint-Pétersbourg, et le coup de main fiançais sur Åland ne fut qu’un simulacre sans effets et sans lendemains. Trahi par ses militaires qui n’osaient pas, et par ses marchands auxquels le transit profitait et qui craignaient de perdre le marché russe, indécis lui-même, Oskar I accepta d’en rabattre de ses ambitions : le traité de novembre 1855 (November traktaten) assura au royaume uni de Suède et de Norvège la garantie de son intégrité territoriale par la France et la Grande-Bretagne, Stockholm s’engageant à ne concéder à la Russie aucun territoire, aucun droit de pêche ou de pâturage. La hantise de Londres de voir un port russe en eau libre dans le fjord de Varanger s’évanouit, mais pour la Suède le bénéfice était maigre. Toute velléité d’Oskar I s’écroula brutalement quand en janvier 1856 la Russie accepta les conditions des Occidentaux. La Finlande resta russe et le seul succès diplomatique de la Suède fut de voir la Russie à la Conférence de Paris se résigner à la "Servitude d’Åland", par laquelle elle s’engageait à ne pas fortifier l’archipel qui cependant restait en sa possession. Le règne de Charles XV (1859-1872) fut en politique extérieure une suite de maladresses et de désillusions ; conflit avec les Norvégiens, dont le Parlement (Storting) avait réclamé à plusieurs reprises, mais en vain, la suppression de la charge de gouverneur du royaume uni à Kristiania : tolérée jusqu’alors l’union devint à partir de 1862 fortement impopulaire en Norvège ; désillusion amère du scandinavisme : à Copenhague les nationaux-libéraux conduits par Hall tentaient en 1863 de rattacher au Danemarck le Schleswig en partie de langue danoise, c’est-à-dire de porter la frontière à l’Ejder ; mais quand les Austro-Prussiens emportèrent en 1864 la ligne fortifiée de Danevirke, le Danemark ne reçut pas l’aide militaire de la Suède promise par Charles XV mais que le Riksdag refusa, animé par la prudence toute nationale de Gripenstedt et de Geer. La paix de Vienne fut pour les Danois une sorte de traité de Fredrikshamn qui l’amputait du Schleswig, du Holstein et du Lauenburg3 : c’était la fin de l’État dano-allemand, mais on ne peut douter que ce fut en même temps un coup irrémédiable porté au scandinavisme4 ; tension avec la Russie depuis le soulèvement polonais de janvier 1863 en faveur duquel l’opinion suédoise s’était enflammée ; Charles XV crût sonnée l’heure de la croisade contre le Tsar et tel Cavour espéra trouver le concours des armes françaises ; Manderström et le gouvernement suédois évitèrent finalement une nouvelle aventure, mais la Russie garda rancoeur à la Suède polonophile, plus peut-être que l’empire allemand n’en manifesta à la Suède dont les sympathies françaises s’étaient hautement manifestées lors de la guerre de 1870/71. Eût-il été plus fort au dehors, il est douteux que ce règne eût pu s’opposer à l’assaut généralisé de la bourgeoisie et de la roture contre les privilèges et le système des Etats, porté par la formidable expansion démographique de la Suède depuis la seconde décennie du siècle. En 1865 ce mouvement aboutit à l’abolition des États remplacés par un Riksdag à deux chambres élues par un système fortement censitaire.
4En 1872 commença avec le règne Oskar II (1872-1907) une nouvelle période pour la politique étrangère de la Suède. L’orientation vers la paix et la neutralité s’affermit, c’est la croissance intérieure qui mobilisait l’essentiel des initiatives, en particulier la révolution des transports et l’industrialisation d’un pays encore presque totalement rural. Cet abandon d’une politique étrangère active ne signifiait pas l’isolement de la Suède dont l’économie, de plus en plus, dépendait de celle de l’Europe, tout à la fois sa cliente (Grande-Bretagne), son fournisseur (Allemagne), et sa créancière (France). Ce qui frappe surtout, cependant, c’est le recul brutal de l’influence française après la défaite de 1870 et la progressive conversion de la Suède, du moins officielle, au germanisme (Bekehrung zum Germanismus). Fléchissement de l’Esprit national ? Désaffection en profondeur pour le scandinavisme ? Conviction, après les déceptions occasionnées naguère par la France et l’Angleterre, que seule la nouvelle puissance économique, navale et militaire qui s’affirmait sur le continent pouvait être la protectrice de la Suède contre la Russie et le Slavisme ? Le fait est là, l’armée, l’université5, l’administration, l’économie furent de plus en plus pénétrées d’influences, d’intérêts et de goûts allemands6. Dans certains milieux socialistes même, malgré l’hostilité à l’empire des Hohenzollern, on admirait la politique sociale de Bismarck et on cherchait des modèles à Berlin. Ce règne fut tout entier occupé par le conflit avec la Norvège. Au cours d’une première phase (1873-1884) Oskar II dut céder devant le Storting et, malgré son veto, accepter la démission du premier ministre norvégien Selmer (1880-1884) et se résigner à la formation d’un ministère de gauche, et nationaliste, dirigé par Johan Sverdrup (1884-1889). Cet épisode (Statsrådssaken) prit une double signification. D’une part, bien avant la Suède, la Norvège connut un premier triomphe du parlementarisme. D’autre part il était apparu que les forces politiques de la Suède étaient hostiles à une politique dure à l’égard de la Norvège, notamment le Parti des paysans, traditionnellement hostile aux charges militaires, et assez largement solidaire des pays norvégiens. Après cette alerte le conflit s’engagea véritablement à partir de 1892 quand le Storting, où la gauche était devenue fortement majoritaire, décida que la Norvège établirait à l’étranger ses propres consulats, puis affirma à plusieurs reprises de 1893 à 1898 son intention de doter le pays d’un pavillon purement norvégien7.
5C’est alors, dans la fin de cette décennie, que le dogme de la neutralité désarmée de la Suède se trouva assez brutalement remis en cause. La persistance et l’aggravation de la crise entre Stockholm et la Norvège, soupçonnée de mener une politique d’armements secrets, fut contemporaine de l’entreprise de russification du Gand Duché de Finlande et de la détérioration des relations avec la Russie accusée en outre de jeter ses espions (sågfilarna) sur le territoire suédois et de vouloir accéder à l’Atlantique sur la côte norvégienne. Déceler dans cette double menace qui l’enveloppait à l’est et à l’ouest l’action des grandes puissances en train de se regrouper en deux camps sur le continent, ce fut un pas aisément franchi ; ainsi l’Angleterre et la Russie furent-elles suspectées dans certains milieux politiques de Stockholm de susciter ou de soutenir le séparatisme norvégien. L’Angleterre, il est vrai, depuis Palmerston redoutait toujours un coup de main de la Russie, qui, en Finlande n’était séparée de la mer libre que par un écran de quelques 20 ou 30 kilomètres de terre norvégienne dans la région de Skibotn-Tromsö et en arrière du Varangerfjord. Cette préoccupation rejoignait celle de l’Allemagne et expliquait que Guillaume II, en particulier lors de sa visite à Stockholm en juillet 1895, avait encouragé Oskar II à la fermeté, la dissolution de l’Union risquant à ses yeux non seulement d’entraîner l’établissement d’une tête de pont russe à Tromsö ou à Narvik, mais aussi, par contre-coup, l’occupation britannique de Bergen. Pour la Russie c’était essentiellement la crainte de voir se nouer une alliance suédo-allemande, qui eût fait peser une terrible menace sur Saint-Pétersbourg, qui entretenait l’attention de plus en plus vigilante qu’elle portait à sa voisine de l’ouest. Enfin à partir de 1898 l’intérêt politique et stratégique de la Suède se doubla d’un intérêt économique quand Boström eut fait décider par le Riksdag la construction d’une voie ferrée destinée à exporter le minerai de fer de Laponie, produit en quantités croissantes, en direction de la frontière norvégienne et, au delà, de Narvik. C’est alors que le "mouvement pour la défense nationale" (försvarsrörelsen) commença à entraîner l’opinion suédoise, ce qui permit au gouvernement von Otter de faire adopter par un Riksdag qui se départit de ses réflexes paysans la loi militaire de 1901 qui supprimait le vieux système de l’armée "indelta", établissait la conscription nationale et portait le temps de service de 90 à 240 jours. La vieille conception stratégique de "défense centrale" était abandonnée au profit d’une "défense périphérique" proche des adversaires potentiels et dont un des chaînons essentiels devait être les fortifications de Boden, sorte de Belfort suédois flanquant le Norrland et ses gisements de fer face à une agression débouchant de Finlande. Enfin, depuis que la presse nationaliste et notamment le "Nya Dagligt Allehanda" avait commencé en 1890 à dénoncer le "danger russe"8 (den ryska faran) la conviction s’était répandue qu’un renforcement militaire resterait insuffisant à assurer la sécurité du pays face aux menaces de l’est et qu’il devait être complété par une politique étrangère active. Neutralité ou alliance ? Voilà le grand thème débattu par d’innombrables brochures et articles au tournant du siècle. Réaffirmation de la neutralité suédoise ? Déclaration commune de la neutralité permanente de la Suède, de la Norvège et du Danemark ? Alliance défensive Scandinave ? Toutes ces solutions avaient leurs partisans, mais des voix de plus en plus nombreuses s’élevaient, à gauche et à droite, pour demander l’alliance avec une grande puissance, et dans la plupart des cas avec l’Allemagne.
6C’est donc une Suède en voie de renforcement militaire, et sur laquelle l’attraction de l’Allemagne s’exerçait proportionnellement à la croissance du "danger russe" qui allait affronter la dernière phase de la crise unionelle. Une fois dissipées les espérances suédoises d’arriver à un compromis sur la question des consulats en spéculant sur la fidélité à l’Union de la droite norvégienne et sur les difficultés économiques du pays, la sécession devint un fait accompli quand le Storting proclama le 7 juin 1905 que "le pouvoir royal norvégien avait cessé d’exercer ses fonctions". Malgré le maintien sous les drapeaux au-delà du temps légal des recrues suédoises, malgré une mobilisation partielle en Norvège, et malgré une campagne de la presse patriotique à Stockholm, la menace d’un conflit armé se dissipa très vite quand la conférence de Karlstad se fut réunie le 31 août 19059 et que la Norvège eut réussi à se couvrir de "l’amical conseil" que les puissances, Russie, France et Angleterre, donnèrent à Stockholm de traiter la Norvège avec courtoisie, tandis que l’opinion suédoise dans sa majorité, réprouvait l’idée d’une expédition punitive contre le partenaire défaillant. La convention de Karlstad (octobre 1905) légalisa le divorce suédo-norvégien que la montée sur le trône de Norvège du gendre d’Edouard VII, le prince Carl de Danemark (Håkon VII), rendit son appel. Certes, cette sécession eut pour cortège l’amertume de tous ceux qui, exaspérés par l’ingratitude de la Norvège, avaient souhaité "parler suédois aux Norvégiens", mais il ne manqua pas de voix pour se réjouir que la Suède eut recouvré sa liberté d’action et pût désormais conduire une véritable politique étrangère. La "crise de l’Union" (Unionupplösning) a été sans contredit la plus grande césure dans l’histoire extérieure de la Suède contemporaine : elle marque le terme ultime de ce lent mouvement de reflux, de rétrocession des terres non suédoises commencé à la disparition tragique de Charles XII et dont le traité de 1809 avait vu passer le plus grand flot. Désormais, l’objet de la politique étrangère suédoise n’était plus que la protection du territoire national. Alors que continuait à peser la menace réelle ou supposée du voisin russe, qui commandait les relations avec le parent allemand, il fallait aussi songer à la sécurité de la frontière occidentale du pays. En 1905 les conditions de la politique étrangère suédoise étaient déjà posées, pour l’essentiel, telles qu’elles devaient se présenter en 1914 : défense sur les frontières par une armée encore en pleine réorganisation, isolement diplomatique total, prise de conscience de plus en plus aiguë du "danger russe", amertume persistance contre la Norvège.
7La crise de l’Union, la première crise politique impliquant la Suède depuis 50 ans qui eût comporté un vrai risque de guerre, entraîna pour la première fois le Parti social-démocrate suédois sur le terrain de la politique étrangère. Au Comité Directeur (partistyrelsen) des voix s’élevèrent pour demander la grève et le refus d’incorporation en cas de mobilisation suédoise, attitude extrême que firent écarter Hjalmar Branting, le président du Parti, et Fredrik Thorsson, jeune député de Scanie. Le Parti publia pourtant un appel au gouvernement en faveur d’une "politique raisonnable” à l’égard de la Norvège, tout en désavouant la Fédération des Jeunesses Sociales Démocrates (Sveriges Socialdemokratiska Ungdomsförbundet, S.S.U.), qui avait lancé un manifeste retentissant (1 A bas les armes, Paix avec la Norvège") exhortant les travailleurs à s’opposer, éventuellement par la force, à toute action militaire entre la Norvège – modération remarquable pour ce parti à qui la maturité semblait innée.
8C’est en effet en 1889 au congrès de Stockholm que l’époque des pionniers du socialisme suédois, notamment August Palm10 se termina par la constitution du Parti social démocrate de Suède (Sveriges Socialdemokratiska Arbetareparti, S.A.P.).
9Dans un pays encore fortement rural, malgré les progrès de l’industrialisation depuis 1870, le Parti, en dépit de ses journaux "Socialdemokraten" et "Arbetet", ne comptait alors que 14 sections et 3 194 membres, jeunes ouvriers en grande majorité, mais aussi quelques intellectuels comme Axel Danielsson et Hjalmar Branting. Il est vrai qu’ensuite l’essor fut rapide, les effectifs doublant de 1889 à 1890 pour atteindre 44 000 adhérents en 1900, répartis en 72 sections. Le congrès de Stockholm n’adopta pas de programme à proprement parler, bien que les statuts adoptés parlassent du "programme du Parti"11 dont on ne trouve pas trace dans le procès-verbal. Plusieurs déclarations y furent cependant votées, qui révélaient les objectifs du Parti naissant. La première visait l’extension du droit de vote, car "il est injuste que la plus grande partie12 des citoyens majeurs soient privés de toute influence sur l’élaboration des lois auxquelles ils doivent obéir et sur l’utilisation des impôts qu’ils doivent payer". Sur ce point le vieil utopiste A. Palm rejoignait le jeune Hjalmar Branting pour réclamer le suffrage universel et abandonner tout romantisme révolutionnaire au profit de la voie parlementaire rejetée cependant par une minorité active autour de Axel Danielsson et de Hinke Bergegren. Cette minorité se retrouva plus forte pour s’opposer à la résolution favorable à la collaboration avec les partis qui "souhaiteraient sérieusement défendre et élargir les droits du peuple". Les autres questions discutées par ce congrès furent les problèmes de la violence et de l’alcoolisme, la question religieuse, et la création d’une législation du travail. Ni la politique étrangère ni même la question de la défense nationale ne retinrent l’attention des congressistes à un moment pourtant où commençait à se répandre la crainte de la Russie et où Ludvig Douglas publiait son pamphlet d’anticipation "Comment nous avons perdu le Norrland"13. En politique étrangère seule la question douanière, thème important entre 1885 et 1895, intéressait quelque peu la socialdémocratie où on avait jusqu’alors souvent considéré que le conflit entre libre-échangistes et protectionnistes ne concernait pas la classe ouvrière puisqu’il s’agissait d’une lutte d’intérêts entre deux groupes de la classe dominante, les propriétaires fonciers et la bourgeoisie industrielle, tous deux hostiles au prolétariat Cependant, à côté de cette attitude de principe défendue par les idéologues du S.A.P., comme A. Danielsson, apparurent dès l’époque du congrès de Stockholm des positions plus pragmatistes. D’une façon générale la presse du Parti se rangeait dans le camp libre-échangiste et s’en prenait vivement aux taxes douanières qui aggravaient la condition ouvrière14. Par contre le problème de la défense nationale ne fut pas abordé par les congressistes. Sans doute existait-il depuis 1812 un embryon de service militaire (beväring)15 fixé à 12 jours, puis à 30 en 1857 après la guerre de Crimée, et à 42 en 1885. Mais ce bref temps de service n’était pour la plupart des conscrits issus du milieu ouvrier que "quelques belles semaines d’été"16. En fait l’armée suédoise était une armée professionnelle constituée selon l’ancien système de "l’indelningsverk", chaque paroisse ayant à charge de fournir un contingent, de sorte que pour les militants socialistes le problème militaire était plutôt affaire à régler entre le gouvernement et le Parti paysan. Le congrès toutefois avait demandé à tous les amis du Parti de s’opposer à ce que "les citoyens en uniforme, quelles que soient les circonstances, ne soient entraînés à commettre des actes de violence contre la liberté et le droit d’autres citoyens". Le Parti, sans représentants au Riksdag, éprouvait à l’égard de ce dernier la plus grande méfiance en raison de son opposition aux réformes sociales et à l’élargissement du droit de vote. Dans sa résolution sur la violence il avait affirmé qu’il ne cherchait pas à donner le pouvoir par la force à la classe ouvrière, mais par les moyens "qui correspondent aux droits naturels du peuple". Dans l’immédiat, de plusieurs côtés, était demandée la réunion annuelle d’un "Riksdag populaire" (folkriksdag)17 qui pût donner son avis sur l’oeuvre législative du Riksdag légal et censitaire, et faire pression sur la Suède officielle pour l’introduction dans le pays du suffrage universel, conformément aux résolutions prises antérieurement De 1889 à 1897 le Parti fut tout entier occupé de problèmes intérieurs. Le congrès de Norrköping (1891) et celui de Göteborg (1894) débattirent en priorité du problème électoral. Ayant condamné l’anarchisme et choisi d’éprouver la voie parlementaire avant de recourir à la "violence organisée" afin de "changer fondamentalement la société" et de mettre un terme à "la souffrance du prolétariat", le S.A.P. décida de réunir à Stockholm en 1893 un Riksdag populaire parallèlement à la session du Riksdag légal et envisagea une grève générale pendant l’été 1893, au cas où ce dernier persisterait dans son refus d’adopter le suffrage universel. Dans sa résolution sur la grève générale le congrès de Norrköping avait précisé que l’utilisation de cette arme se ferait quand les circonstances politiques et économiques le permettraient, réserve compréhensible de la part d’un parti qui ne comprenait encore que 7 500 membres. Le Folkriksdag de 1893 estima que les conditions n’étaient pas réunies pour proclamer la grève générale, et ses efforts pour faire adopter le suffrage universel restèrent vains. Le congrès de 1894 décida la réunion d’un nouveau Folkriksdag pour 1896, tout en affirmant qu’il fallait "faire autre chose dans le pays que d’élire des Riksdags populaires" : l’idée de la grève générale comme instrument de conquête du suffrage universel se trouvait reprise. Mais ce Riksdag populaire fut une nouvelle déception si bien que le Parti lors de son 4ème congrès (1897) remit en cause sa participation à un 3ème essai en 1899 et décida d’organiser à ce sujet un référendum interne. Entièrement occupé à mener l’assaut contre la classe politique dominante et à lui arracher le suffrage universel par la réunion de Riksdags populaires répétés et par la menace d’une grève générale qu’il était d’ailleurs encore incapable d’organiser, le S.A.P. demeurait sans influence aucune sur la politique étrangère du pays, notamment dans ses démêlés avec la Russie et la Norvège, ni sur le problème de la défense nationale18. Quand en 1892 le service militaire fut porté de 42 à 90 jours, alors qu’était maintenue l’armée "indelta", le parti protesta sans pour autant faire de l’agitation contre ces nouvelles charges. En 1891 déjà le congrès avait exhorté les travailleurs à entrer dans les sociétés de tir (skytteföreningar), mais il y a tout lieu de penser que les conflits sociaux plus que la défense nationale étaient l’objet de cette recommandation. Et il est vrai que des voix de plus en plus nombreuses, influencées sans doute par l’attitude des partis socialistes étrangers, s’élevaient pour réclamer la suppression des armées permanentes et l’adoption d’un véritable système de milice. Cependant, quand au congrès de 1894 fut présentée une motion demandant que fût précisée l’attitude du Parti "à l’égard du militarisme et en cas de guerre", une majorité se dégagea pour considérer que le S.A.P. ne devait pas se consacrer à cette question "dénuée pour l’instant de tout intérêt"19. C’est lors du congrès de Stockholm (1897) que. pour la première fois, le Parti formula un programme politique complet, inspiré en partie du programme d’Erfurt, et dont le principal rédacteur fut Axel Danielsson. Si l’article I reprenait le leitmotiv des luttes des années précédentes et exigeait "le suffrage universel et direct", l’article II se faisait l’écho des préoccupations naissantes de la Socialdémocratie en matière de politique étrangère et de défense nationale : la micile populaire (folkbeväpning) remplacerait les armées permanentes ; des tribunaux d’arbitrage régleraient les conflits internationaux ; le Riksdag et en dernier lieu le peuple par référendum décideraient de la paix et de la guerre. Le caractère encore très utopique de ce programme est relevé par Gustav Möller20 qui observe qu’on pouvait douter qu’un "ennemi éventuel attendît le résultat d’un référendum en Suède avant de passer à l’attaque". On peut alors penser que cette formulation ne concernait que les cas où la Suède eût pris l’initiative de la guerre. Cependant, les principaux animateurs du Parti, Branting, Danielsson, Sterky furent, dans les dernières années du siècle, conduits à nuancer leur analyse du problème militaire et de la situation internationale de la Suède. Il leur fallait bien, d’abord, prendre acte de l’échec du mouvement des Riksdags populaires, qui avait perdu toute sa force, notamment en raison de l’opposition entre socialistes et libéraux sur le problème de la transition entre système censitaire et suffrage universel. Le risque d’isolement politique à l’intérieur était d’autant plus grand que dans les milieux bourgeois on ne cessait de répéter que l’opposition des travailleurs aux charges militaires prouvait leur absence de maturité politique et le caractère prématuré de l’introduction du suffrage universel. D’autre part, le conflit avec la Norvège, avec les craintes et les arrière-pensées qu’il suscitait, et surtout, depuis 1890, la tension croissante avec la Russie qui culmina quand en 1899 Saint-Pétersbourg suspendit la constitution finlandaise au terme d’une politique de russification du pays menée depuis plusieurs années, ne manquèrent pas de réagir sur l’attitude du S.A.P. Certes, sa presse ne cessait de protester contre la progression diffuse d’un sentiment collectif de haine à l’égard de la Russie et de méfiance à l’égard de la Norvège, mais c’est surtout parce qu’elle redoutait de voir se créer dans l’opinion les conditions propres à permettre à la Suède l’initiative d’une guerre préventive contre la Russie et d’une guerre répressive contre la Norvège. Dans le fond la crainte du danger russe avait aussi gagné la socialdémocratie : "si nous devenions une satrapie russe, la classe ouvrière suédoise perdrait le peu de liberté et les quelques droits qu’elle possède", écrit très tôt le "Socialdemokraten"21. Branting élu en 1896 au Riksdag, où pendant plusieurs années il devait rester le seul représentant de son Parti, avait pu tout à la fois s’y convaincre des nécessités objectives d’une politique de défense et du risque d’isolement et d’étouffement du S.A.P. Lorsqu’à la suite des difficultés de la Suède avec ses deux voisins, le gouvernement prépara dans le courant de l’année 1900 un nouveau projet de loi militaire dont on disait qu’il supprimait l’armée de métier et introduisait un service militaire national obligatoire porté à un an, Branting publia dans son journal un article remarqué intitulé "Conscription et droit de vote"22 dans lequel il s’opposait vivement au nihilisme antimilitaire de certains radicaux et à leur mot d’ordre "pas un jour, pas un centime de plus" et appelait une armée qui fût "un peuple en armes", force de défense pure développée loin des casernes, à l’école et dans les villages, inutilisables pour la classe dirigeante en vue de l’agression extérieure et des conflits sociaux. Branting d’autre part semblait admettre un renforcement de la défense sans qu’au préalable la réforme électorale eût été obtenue23. Le congrès de Malmö (1900) sans prendre position sur les problèmes politiques extérieurs ratifia l’attitude de Branting dans le problème militaire. Le Parti rappela son opposition au militarisme mais non "à une armée populaire et démocratique sur le modèle suisse" et affirma sa volonté de défendre l’indépendance, la liberté et la culture de "la vieille Suède dans laquelle les travailleurs veulent bâtir leur nouvelle société", tout en rejetant par avance le projet de service militaire d’un an "exemple remarquable de la façon dont la question de la défense ne doit pas être traitée". Immédiatement après, de nombreux congressistes, hésitant devant le caractère à leurs yeux trop positif de cette résolution, cherchèrent à nouveau à lier étroitement extension du service militaire et extension du droit de vote, et obtinrent que le congrès affirmât que toute défense efficace, surtout chez un petit peuple, dépendait de l’esprit de sacrifice des citoyens et que ce dernier était impossible sans la jouissance des droits civiques. Dans ces conditions, c’étaient les classes dirigeantes qui, par leur refus égoïste et à courte vue, aventuraient l’indépendance nationale. Le congrès suivit finalement Branting pour décider que le Parti serait consulté lorsque la proposition de loi militaire serait connue avec précision. Quand en novembre 1900 l’Etat-Major suédois fit connaître au gouvernement son projet de réorganisation militaire, comprenant notamment le service d’un an, le débat qui s’ensuivit au sein du Comité Directeur24 montra que, face à un courant nihiliste et à un courant qui exigeait le suffrage universel avant toute nouvelle charge militaire, Branting dut recourir à toute l’habilité dont lui faisait obligation son sens de l’unité, pour imposer sa politique de lutte simultanée, mais indépendante, sur les deux fronts, réforme militaire et réforme électorale. Le Manifeste publié peu après par le S.A.P. condamnait le projet comme "militariste”, et proposait à la place un système de milice avec une très brève "école de recrues" (rekrytskola), suivie de périodes militaires, et surtout des exercices "loin des casernes, dans les écoles et dans les sociétés de tir locales”, le soldat recevant son arme en dépôt de l’Etat. C’était, résumée, la doctrine militaire "plus suisse que prussienne" qui s’était peu à peu dégagée des débats des premiers congrès. Pour le cas où le gouvernement aurait accepté de reprendre à son compte les propositions de l’Etat-Major, sans que les droits électoraux des citoyens appelés à supporter la loi militaire fussent pleinement reconnus, le Manifeste appelait les travailleurs à exiger le suffrage universel par des manifestations de rue, quand le Riksdag aurait à se prononcer25.
10A la veille d’engager cette première grande épreuve de force, le Parti socialdémocrate représentait déjà un mouvement politique remarquablement organisé dont les effectifs avaient plus que décuplé en 10 ans. Cette croissance avait accompagné celle de l’industrialisation de la Suède. Lennart Jörberg26 a montré que la décennie 1890-1900 est celle où le nombre d’ouvriers a augmenté le plus en pourcentage, 30,4 % de 1889 à 1898,26,4 % de 1894 à 1903. De 1904 à 1912 cet accroissement retomba à 5,9 %. En valeur absolue et en chiffres annuels moyens la classe ouvrière suédoise représentait 212 000 individus pour 1889-1898, 310 000 pour 1899-1908. En 1898 la plupart des fédérations syndicales qui s’étaient constituées depuis 1886 s’unirent dans une Confédération Nationale, la "Landsorganisation" (L.O.) qui regroupait environ la moitie des ouvriers suédois27 et décidait l’adhésion automatique de ses membres au Parti socialdémocrate dans un délai de 3 ans. Cependant les élections de 1899 à la 2ème chambre laissaient toujours Branting seul représentant socialiste au Riksdag, bien que la haute conjoncture économique eût permis à 30 000 salariés de franchir l’échelle censitaire des 800 kr, apport précieux pour le courant libéral qui en 1900 se constitua en "Parti d’union libérale" (Liberala samlingspartiet). L’adoption par le Riksdag de la loi militaire de 1901 aurait dû, de l’avis général, entraîner un élargissement du droit de vote, et le premier Ministre von Otter sur interpellation de Branting avait promis le 29 mai 1901 que le gouvernement ferait en ce sens une proposition au prochain Riksdag. Lors de la session du printemps 1902, le gouvernement proposa en effet une loi électorale nouvelle rédigée par le juriste Hjalmar Hammarskjöld et prévoyant le droit de vote masculin selon le sens communal pour tous les citoyens s’étant acquitté de leurs obligations militaires et ayant payé leurs impôts à l’Etat et à la commune pendant les deux années précédentes. La limite d’âge était relevée à 25 ans et les hommes mariés ou âgés de 40 ans jouissaient d’un double droit de vote (graderad skala). Ce projet se heurta à de vives résistances aussi bien chez les conservateurs du Parti paysan que chez les Libéraux, tandis que pour les sociaux démocrates Branting demandait à nouveau le suffrage universel, et que Lindhagen plaidait pour le droit de vote des femmes. Le "mouvement libéral" (Frisinnad landsförening) et le journal "Dagens Nyheter", par des réunions et par une campagne de presse se firent les défenseurs d’un suffrage encore élargi, et même du suffrage universel à la proportionnelle28. De leur côté, le S.A.P. et L.O. organisèrent pendant le débat du Riksdag une grève générale de 3 jours. Cette grève générale, qui était la première démonstration de la force grandissante du Parti, paralysa Stockholm, entraîna des mesures de défense du gouvernement et du patronat, mais resta sans influence sur le Riksdag, qui finalement se prononça pour une solution dilatoire, le recours à une commission d’enquête chargée de présenter un rapport au Riksdag de 1904. Les élections à la deuxième chambre qui se déroulèrent peu après virent, comme celles de 1899, de nouveaux groupes de salariés accéder au cens électoral et un déplacement de sièges vers la gauche, les conservateurs perdant 18 mandats, et les libéraux en gagant 15. Le S.A.P., toujours représenté depuis 1896 par le seul Branting, fit entrer au Riksdag 3 nouveaux députés. En 1904 le nouveau Ministère Boström déposa, comme prévu, une proposition de loi électorale favorale au suffrage universel à 25 ans et à la proportionnelle, mais entre-temps les Libéraux et les Socialistes s’étaient prononcés pour le scrutin majoritaire, de sorte que, ni en 1904 ni en 1905, le Riksdag ne pût s’accorder sur une nouvelle loi électorale29.
11Concentré depuis 1901 sur sa lutte pour le suffrage universel, et accessoirement sur les problèmes sociaux, le Parti, qui n’avait tenu aucun congrès de 1900 à 1905, avait mis quelque peu en sourdine le débat sur la question militaire. Il est indéniable pourtant que l’adoption de la loi militaire de 1901, sans que simultanément ne fût consentie la moindre réforme électorale, avait renforcé en son sein le courant nihiliste, notamment parmi les jeunes socialistes dont le congrès, en 1903, avait affirmé dans sa résolution finale que "le prolétariat n’avait rien à défendre" et qu’il devait avec tous les moyens disponibles "s’opposer au mal de la guerre, quelle que soit l’apparence dont elle se couvre, le militarisme ou l’armement du peuple". Ces positions extrêmes avaient entraîné un certain nombre de clubs à quitter les jeunes socialistes et à fonder, peu après le congrès de 1903, une nouvelle organisation la "Fédération des Jeunesses sociales démocrates" (Socialdemokratiska ungdomsförbundet, S.S.U.) qui approuva le programme du Parti et commença à publier la revue "Fram" qui, tout en critiquant la loi de 1901, rejetait tout nihilisme en matière militaire. C’est en 1905, à l’occasion du 7ème Congrès (17-25 Février) que la question militaire revint au centre du débat et que les problèmes de politique étrangère, jusqu’alors absents des congrès, firent irruption dans le vie du Parti. Le Comité Directeur y proposa une nouvelle formulation du programme militaire dans laquelle l’expression "armement du peuple" (Folkbeväpning) était abandonnée au profit d’une définition plus large "un système de défense démocratique" (Ett folkligt försvarssystem) dans laquelle on pouvait craindre une régression de l’idée de milice. Le programme maintenait son attachement aux arbitrages internationaux (Mellanfolklig skiljedom) mais abandonnait l’exigence de 1897 selon laquelle "le Riksdag et en dernier lieu le peuple par référendum décide de la paix et de la guerre". Dans une formulation nouvelle le projet de programme parlait de "luttre contre le militarisme", ce qui, sans représenter une idée vraiment neuve dans le débat militaire, n’avait jamais été formellement exprimée. Mais de nombreuses motions furent présentées qui réclamaient "la lutte contre l’armée quelle qu’en fût la forme", de sorte que le Comité Directeur accepta la modification proposée par un délégué d’Örebro, Karl Eriksson, visant à remplacer l’expression "lutte contre le militarisme" par "lutte contre l’armée" entendue au sens d’armée permanente. Branting s’opposa à ce nihilisme affirmant que le but était bien le désarmement international, mais que le Parti, par mesure de transition, devait s’en tenir à l’idée d’armement populaire (folkbeväpning). A ceux qui, sous la conduite de Hinke Bergegren, A.J. Christiernsson et V. Rydén répétaient que la Suède n’avait, en aucun cas, la capacité d’une défense efficace et que le système de l’armement du peuple ou de la milice serait aussi mauvais que l’organisation militaire existante, Branting, dans un souci manifeste de compromis, déclara expressément que le programme proposé par le Comité Directeur ne visait pas à exclure les nihilistes et que "ceux qui voulaient rejeter toute forme d’armée avaient aussi bien leur place dans le Parti que les partisans de la défense nationale". Finalement le programme fut adopté mais avec la faible majorité de 18 voix : la minorité nihiliste demeurait puissante, ce dont d’ailleurs Branting se réjouit à l’issue du vote, car il y voyait pour le S.A.P. un moyen de pression sur les Libéraux et sur les Conservateurs. La présence au congrès de représentants du parti socialdémocrate norvégien, Alfred Eriksen et Magnus Nielsen, donna au parti son premier débat de politique étrangère. Leur plaidoyer en faveur de la rupture de l’Union fut accueilli par des ovations. Plusieurs sociaux démocrates, tels Christiernsson, Lindley et Rydén critiquèrent l’attitude de Branting qui s’était montré favorable au maintien de l’Union, puis à son élargissement en une confédération Scandinave, et qui, au congrès encore, voyait dans une "véritable union" le moyen de s’opposer au "danger russe". Branting cependant s’était, dès 1892 prononcé contre la politique "grande suédoise" (storsvenska) et dans son discours du 1er mai 1895 avait mis en garde le gouvernement. Si "on faisait marcher les armes suédoises vers l’Ouest" il y aurait tout lieu de craindre "qu’une balle partie sans ordre (en kula utan order) vienne empêcher que des milliers de balles tirées par ordre ne mutilent et ne massacrent des amis et des frères"30. Poursuivi pour incitation à la violence, Branting avait été condamné à 3 mois de prison, peine ramenée en cassation à une amende de 500 kr. Hostile à l’action militaire contre la Norvège préconisée par ceux qui "voulaient parler suédois aux Norvégiens", Branting espérait encore des négociations en cours entre Stockholm et Kristiania un accord pacifique qui eût maintenu l’Union "garantie et sécurité pour l’indépendance des deux nations"31. Le Congrès dans sa résolution finale resta à mi-chemin entre Branting et ses opposants, reconnaissant seulement "le droit du peuple norvégien à se prononcer sur son destin librement et sans ingérence extérieure", mais se prononçant très clairement contre toute solution violente" du conflit inspirée par des intérêts "grands suédois ou dynastiques", qu’il se déclarait prêt à combattre par tous les moyens existant "avec notre parti-frère norvégien". Quand le Storting norvégien proclama le 7 juin 1905 la dissolution de l’Union, et qu’une partie de l’opinion et de la presse suédoises réclamèrent un ordre de mobilisation, le Comité Directeur publia le Manifeste "Justice pour la Norvège – Paix avec la Norvège"32, sans pour autant menacer explicitement d’avoir recours au refus d’incorporation ou à la grève générale. Par contre la S.S.U., réunie en congrès en pleine crise du 11 au 13 juin, avait lancé, on l’a vu, sa retentissante proclamation "A bas les armes" (Ned med vapnen) exhortant les travailleurs de Suède à refuser une éventuelle mobilisation, conscients qu’ils étaient "que si les armes devaient être tournée contre quelqu’un, ce n’était certainement pas contre les Norvégiens". Au sein même du Comité Directeur des voix s’étaient élevées pour s’informer sur les possibilités d’arrêts du travail et de grèves militaires en cas de guerre, hypothèses combattues par Branting et Thorsson et rejetées33. Dans tout le pays se multiplièrent réunions et manifestations contre la guerre où les jeunes de la S.S.U. et les majoritaires du Parti unirent leurs efforts, et on peut penser que la perspective de graves troubles intérieurs en Suède a puissamment contribué à soutenir tout à la fois la vigueur du nationalisme norvégien et la prudence du gouvernement suédois34. Quand le Riksdag extraordinaire réuni le 21 juillet décida, tout en repoussant la guerre, que l’Union ne pouvait être dissoute unilatéralement et que des négociations devraient s’engager sur les conditions suédoises, en particulier la nécessité de procéder à un référendum en Norvège, et d’établir le long de la frontière commune une zone totalement démilitarisée, Branting se joignit à la majorité parlementaire, ce qui lui fut vivement reproché par la social-démocratie norvégienne35. Force est de constater en définitive que dans cette grande crise internationale le risque de guerre eût été infiniment plus grand sans l’opposition socialiste36. Cependant cette opposition a manqué d’unité, la S.S.U. et une minorité du Parti étant pour l’indépendance immédiate et inconditionnelle de la Norvège, la majorité et son président Branting, après avoir souhaité le maintien de l’Union par des accords pacifiques, acceptant la sécession, tout en veillant à ce que les intérêts suédois fussent préservés.
12De 1905 à 1914 le S.A.P. prit une importance croissante dans la vie politique du pays. Il s’organisa et devint plus nombreux, atteignant en 1905 67 325 adhérents, 133 388 en 1907, ce qui reflète bien la haute conjoncture économique de 1906-1907. Cette ascension géométrique fut brisée par la dépression qui s’amorça à l’automne 1907, et par l’échec de la grève générale de 1909. En 1910 il ne comptait plus que 55 248 membres. Il reprit ensuite lentement pour atteindre 80 330 adhérents au premier trimestre 1914. Simultanément le nombre de travailleurs syndiqués à L.O., et dans quelques syndicats parallèles, après avoir atteint 230 000 en 1907, s’était effondré à 115 000 en 1910, puis s’accrût à nouveau jusqu’en 1914, sans retrouver pourtant le chiffre de 1907 qui ne devait être atteint et dépassé qu’en 1916/1917. Les progrès rapides de l’industrialisation jusqu’en 1907, puis à nouveau à partir de 1910, et l’accroissement des salaires consécutif, firent que en dépit de l’absence de réformes électorales, un nombre grandissant de travailleurs franchirent la barrière censitaire des 800 kr. Lors des élections à la 2ème chambre qui, en 1905, se firent en pleine crise norvégienne, les Libéraux du "Samlingsparti" devinrent le premier parti du Riksdag, tandis que le S.A.P. voyait ses représentants passer de 4 à 13, donnant ainsi la majorité à la gauche, ce qui permit au leader libéral Karl Staaf de bâtir son premier ministère (1905-1906). En 1908 le groupe parlementaire socialdémocrate comptait maintenant 34 députés, sans qu’eût été encore appliquée la réforme électorale enfin votée par le Riksdag en 1907, qui portait le corps électoral de la 2ème chambre à 1 million au lieu de 400 00037, réduisait sensiblement le vote plural des électeurs aux conseils généraux et aux conseils municipaux des villes (échelle des 40 voix, "fyrtiogradig skala"), et introduisait le proportionnalisme. Mais en 1911 les effets de la réforme furent appréciables ; alors que les Libéraux maintenaient le nombre de leurs mandats (101), 30 sièges étaient arrachés à la droite par le Parti socialdémocrate, représenté maintenant par 64 députés. Le corps électoral élargi par l’élévation des revenus et la réforme électorale n’avait pas reflété la désaffection passagère de la classe ouvrière pour le S.A.P. et pour la L.O.38. Enfin, lors des élections d’avril 1914, le parti de Branting fît élire à la seconde chambre 73 députés, soit une nouvelle progression de 9 sièges au détriment, cette fois, des Libéraux qui rétrogradaient de 101 à 71 mandats, et dont le recul profitait plus encore à la droite. Passant ainsi successivement de 13 à 34, puis à 64, et enfin à 73 mandats de 1905 à 1914, le Parti était amené par son seul poids à exercer une influence de plus en plus grande et de plus en plus responsable sur les grands problèmes politiques du moment, et notamment sur les problèmes de politique étrangère, de plus en plus pressants en cette décennie de course aux alliances, de conflits des nationalismes, et de montée de la guerre.
13Les lendemains de l’indépendance norvégienne furent aussi pour la Suède ceux de la défaite russe face au Japon, du dimanche rouge de Saint-Pétersbourg et du Manifeste d’octobre. Dans les premiers jours de novembre 1905 la vague des grèves révolutionnaires russes avait gagné la Finlande, déjà sensibilisée par la récente libération norvégienne. Après que la grève générale eut paralysé le pays, le pouvoir bascula dans les mains des sociaux-démocrates qui constituèrent un gouvernement provisoire présidé par Yrjo Sirola. Nicolas II dût accorder à la Finlande le suffrage universel, y compris le vote des femmes, et lors des élections de 1906, le Parti socialdémocrate finlandais emporta 80 des 200 sièges du Lantdag, et les dissolutions parlemntaires ultérieures, loin de l’abattre, confirmèrent et renforcèrent son audience. En 1910 le Parti de Sirola eût 86 sièges. C’était un nouvel aspect de la question finlandaise pour la socialdémocratie suédoise, jusqu’alors essentiellement préoccupée du problème militaire et stratégique qu’y posait le "danger russe". "Ce peuple pour qui les conditions de développement d’une société moderne et libre étaient bien pires que chez nous, nous dépasse", écrivit C.N. Carleson dans "Socialdemokraten"39, "nous n’avons plus de temps à perdre". La sympathie admirative avec laquelle le S.A.P., et plus encore la S.S.U., avait suivi de 1905 à 1910 la lutte de la socialdémocratie finnoise était naturellement loin d’être partagée par la droite et par une partie notable des libéraux. Le gouvernement russe, qui depuis ses revers de 1905 avait quelque peu lâché prise en Finlande, jouait de cette crainte, comme il jouait du mécontentement contre l’Angleterre qui se développait dans de larges couches de l’Opinion suédoises en raison de l’évolution de la situation internationale de la Norvège40. Car la naissance d’une Norvège indépendante eût pour Stockholm d’importantes conséquences diplomatiques qui, selon le mot d’Harald Hjärne risquaient d’amener la Suède "à se perdre dans le labyrinthe de la politique des grandes puissances". En effet, le traité de novembre 1855 (novembertraktaten) qui accordait la garantie franco-britannique à l’Union suédo-norvégienne devenait caduc dès lors que cette dernière avait cessé d’exister. Les Norvégiens, peut-être par crainte d’une revanche suédoise, plus sûrement par souci de ne pas voir la Norvège devenir théâtre d’opérations en cas de guerre anglo-allemande, entreprirent immédiatement une action diplomatique pour obtenir non plus seulement de la France et de l’Angleterre, mais aussi de la Russie et de l’Allemagne la garantie et de leur neutralité et de leur intégrité territoriale. Mais l’Angleterre, consciente de l’intérêt stratégique de la Norvège en cas de conflit avec l’Allemagne, refusa de s’engager sur la neutralité norvégienne. C’est donc la garantie de la seule intégrité de la Norvège qui fit l’objet d’âpres négociations dans le courant de 1907, le gouvernement suédois Trolle-Lindman voyant, quant à lui, dans ce projet "aussi superflu qu’offensant" une humiliation pour la Suède. Cependant le projet devint traité le 2 novembre 1907, malgré l’opposition du ministère suédois. La presse de Stockholm, celle du S.A.P. exceptée, laissa libre cours à une violente amertume contre la fourberie du peuple frère qui anéantissait pour toujours les derniers espoirs scandinavistes. Mais elle réserva peut-être ses meilleurs coups à la diplomatie britannique, principal instrument du traité. Ainsi, tandis que la crainte du "danger russe" demeurait diffusément à fleur de la sensibilité nationale, se développait un courant anglophobe. L’isolement et l’impuissance de la Suède étaient cruellement ressentis. "Nous avions échoué à l’Est et à l’Ouest" diront en 1915 ceux qui chercheront à renouer avec la grande politique suédoise en participant à la Croisade allemande contre la Russie.
14Neutralité ou Alliance ? L’Allemagne avec laquelle tant de liens économiques, politiques, culturels, familiaux, se tissaient dans ces années exerçait sur la Suède une attraction grandissante. Le 7 novembre 1907 le prince héritier Gustave se rendit à Berlin avec les pleins pouvoirs du gouvernement pour discuter d’un projet qui donnerait la garantie des puissances au statu quo dans la Baltique et qui associerait la Suède, l’Allemagne, et aussi la Russie. Le gouvernement suédois n’ignorait pas – Izvolski l’avait dit à Trolle le 24 septembre à Karlsbad41 – que la Russie souhaitait à cette occasion voir abandonner la servitude d’Åland. Par contre il ignorait que depuis le 29 octobre 1907 l’Allemagne et la Russie avaient signé un accord sur le statu quo, dont un article laissait à Saint-Pétersbourg les mains libres dans la question d’Åland. Les négociations secrètes montrèrent le cabinet suédois divisé, le roi Gustav V42 et le Ministre des affaires étrangères Trolle prêts à faire des concessions sur Åland. Quand au début de janvier 1908 elles commencèrent à être connues, la presse et l’opinion suédoises se déchaînèrent contre toute politique entraînant la Suède dans un système d’alliance, et qui, surtout fût payée de la remilitarisation de l’archipel d’Åland par la Russie. C’est alors que Branting parla dans "Socialdemokraten" d’une nouvelle flotte russe de la Baltique dans un nouveau Port Arthur à 6 heures de Stockholm", ville dans laquelle "le ministre de Russie pourrait parler comme dans un Etat vassal". Il est certain que le Parti socialdémocrate a alors puissamment contribué à l’expression de cette unanimité nationale qui a raffermi la diplomatie suédoise, tout en gagnant à la Suède le concours jusqu’alors indécis de la Grande-Bretagne et de la France. Finalement par le Traité de la Baltique (Östersjötraktaten) signé à Saint-Pétersbourg le 23 avril 1908, la Suède, l’Allemagne, la Russie et le Danemark se garantissaient mutuellement leurs possessions dans la région baltique "sur le continent aussi bien que dans les îles". Pour le reste Izvolski avait échoué, Åland ne serait pas la base avancée de l’armée et de la flotte russe. Le même jour était conclu le Traité de la mer du Nord (Nordsjötraktaten), maintenant là aussi le statu quo et signé par l’Allemagne, l’Angleterre, la France, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas. Il était admis que l’ensemble des deux traités couvrait les Belts et l’Öresund, portes de communication entre les deux mers.
15Au cours de ces trois années 1905-1908, où la Scandinavie devient le théâtre d’une intense activité diplomatique, et où la Suède se trouva impliquée dans le jeu triangulaire Saint-Pétersbourg-Berlin-Londres, la question de la défense nationale, provisoirement réglée par la loi de 1901, revint au centre du débat politique intérieur, avec d’autant plus de nécessité que la sécession de la Norvège en 1905 conduisait inévitablement la Suède à réorganiser son armée sur des bases strictement nationales. Dès 1906 le Riksdag avait accordé d’importants crédits au premier ministère Staaf (1905-1906) dont 4,5 millions de couronnes pour les constructions navales, et ce dernier avait demandé aux chefs d’Etat-Major de l’armée un nouveau plan de défense pour l’examen duquel fut créé en 1907, sous le ministère Lindman, une commission parlementaire présidée par l’ancien premier ministre Kristian Lundeberg. Or, l’opposition nihiliste d’une partie de la socialdémocratie suédoise, en particulier celle de la section de Stockholm et celle de la S.S.U., n’avait cessé de se durcir en raison des réticences du pouvoir à accorder le suffrage universel, de l’emploi de l’armée dans les conflits du travail, et de la condamnation à la prison de Z. Höglund pour le Manifeste "Paix avec la Norvège" de 1905. Cette agitation antimilitariste conduisit le Riksdag, malgré l’opposition des 14 sociauxdémocrates et de 38 libéraux, à voter les "lois Staaf"43, dont le but était d’interdire la propagande pacifiste dans l’armée et dans la marine. La S.S.U. réunie en congrès du 19 au 22 mai 1907 réitéra sa volonté "de mener une puissante agitation antimilitariste avec pour but l’abolition totale des armées", après avoir échoué, lors de la réunion d’un congrès extraordinaire et secret du Parti le 24 avril, dans sa tentative de faire adopter la grève générale pour obtenir la réforme constitutionnelle. Cependant, lorsque en 1908 s’ouvrit le 7ème congrès du S.A.P., la tendance majoritaire du Comité Directeur autour de Branting, de Thorsson et de Lindqvist, s’opposa fermement au radicalisme de la S.S.U.44. Si l’accord se fit sur la neutralité Scandinave permanente, la démocratisation de la défense, les arbitrages internationaux obligatoires, et l’organisation de la classe ouvrière contre la guerre, par contre les motions favorables au "désarment immédiat" furent écartées au profit de la thèse majoritaire sur la "réduction progressive des charges militaires jusqu’au désarmement". Branting toutefois, malgré tout son prestige, ne peut empêcher la minorité de faire abandonner les articles du programme favorables à la milice (Folkligt försvarssystem), ni l’adoption de la résolution Weidenhayn condamnant les sociétés de tir (skytterörelse)45, dans lesquelles jusqu’alors on avait vu un contrepoids populaire possible à l’armée encadrée, encasernée et partiellement professionnelle.
16L’heure, il est vrai, était encore à la détente avec la Russie, toujours affaiblie par ses épreuves de 1905. Ce climat s’altéra toutefois dans les années 1908- 1910, quand, par crainte de la puissance renforcée de l’Allemagne, et notamment de son développement naval, la Russie fut conduite à donner plus d’importance à la Finlande dans son dispositif de défense.
17Doutant, non sans raisons, de la loyauté du pays à son égard elle entreprit de russifier le Sénat finlandais et prononça à deux reprises la dissolution de la Chambre des Représentants (mars 1909, octobre 1910). En 1910, enfin, la Douma décida à une énorme majorité d’étendre la législation impériale au Grand Duché, tandis que l’armée finlandaise dissoute en 1901 n’était pas reconstituée, la défense étant assumée par la troupe russe. Cette "seconde russification" fut suivie avec une attention douloureuse par le Parti social-démocrate suédois qui, le 6 juin 1910, envoya une lettre de protestation au Président de la Douma46.
18Malgré les réticences d’une partie de la droite suédoise à dénoncer le "danger russe" dès lors que les succès de la social-démocratie lui rendaient la cause finlandaise moins sympathique, la tension alla en s’accroissant, les "Sågfilarna" réapparurent, ainsi que les projets prêtés aux Russes d’établir des bases militaires à Åland. La Norvège aussi s’inquiétait. Des voix s’èlevaient, en particulier au printemps 1911 celle, prestigieuse, de Sigurd Ibsen, pour demander une collaboration militaire défensive des pays Scandinaves. Ces idées, favorablement accueillies par le Socialdemokraten firent cependant long feu tant restaient présents les souvenirs de 1905 et de 1907.
19Ce qui se développait un peu plus, en revanche, c’était le rapprochement avec l’Allemagne47. Sans aller jusqu’à une alliance politique formelle que réclamaient certains milieux à Berlin et à Stockholm, ni même à la signature d’une convention militaire que von Kiderlen-Wächter proposa à Trolle le 26 août 1910, et à laquelle se refusa le premier ministre Lindman. Gustave V cependant décida que le chef d’Etat-Major suédois Knut Bildt se rendrait à Berlin et y négocierait avec von Moltke une éventuelle collaboration militaire des deux pays, pour le cas où la Suède serait attaquée de l’Est, tout en instruisant Trolle de rappeler à von Kiderlen-Wächter l’attachement de la Suède à une pure et impartiale neutralité. La rencontre secrète Bildt-von Moltke, le 17 novembre 1910 à Berlin, fut l’occasion d’une assez large concertation stratégique, mais les Suédois se refusèrent à signer une convention militaire contraignante. Les liens économiques avec l’Allemagne continuaient parallèlement à se tisser. En juillet 1909 Gustave V avait inaugué la ligne régulière par ferry-boat Trelleborg-Sassnitz, et en 1911 le traité de commerce germano-suédois de 1906 était renouvelé et élargi48.
20Cependant la haute conjoncture du début du siècle et la hausse des salaires réels qui avaient permis à une part croissante de la classe ouvrière de franchir le cens électoral furent sérieusement freinées en 1907-1908. La stagnation et la réduction des salaires entraînèrent des grèves et des lockouts. La violence se développa surtout en 1908, "année de la lutte des classes”, selon Bäckström. Certains patrons firent appel à des briseurs de grève racolés en Angleterre. La troupe fut engagée et tira à Lysekill. Le 12 juillet 1908 enfin l’émotion fut à son comble quand, dans le port de Malmö, fut perpétré un attentat à la bombe contre le vapeur "Amalthea". Tout en désavouant cette violence, le Comité Directeur ne pouvait ignorer la radicalisation rapide des milieux ouvriers, qui culmina lorsque en juillet 1909 les deux principales associations patronales "Svenska Arbetsgivare Föreningen" et "Verkstadsföreningen" mirent à pied 250 000 salariés. Le 4 août c’était la grève générale (Storstrejken) proclamée par L.O., "la plus grande mobilisation prolétarienne dont nous ayons été témoins jusqu’à nos jours", écrivit Jaurès dans l’Humanité. La solidarité socialiste internationale apporta au fonds de grève de L.O. 2,5 millions de couronnes, dont près de 1,2 millions donnés par les syndicats allemands. Mais cette action, à laquelle le président Herman Lindqvist s’était, semble-t-il, tout d’abord opposé, était prématurée. La majorité de l’opinion la condamna49. L’unité ouvrière se trouva très vite brisée par des reprises partielles de travail, et nombre de services troublés par la grève générale prit fin en septembre, aux conditions du patronat, l’affaiblissement du mouvement ouvrier suédois était énorme. L.O. avait perdu 80 000 adhérents. Renvois et listes noires entraînèrent une nouvelle vague d’émigration vers les Etats-Unis. Puis l’amélioration de la conjoncture économique à partir de 1910 diminua l’acuité du problème social. Quand le Riksdag se réunit en janvier 1910, il était visible que, malgré quelques combats d’arrière-garde menés par Branting et Lindqvist, le centre d’intérêt allait se déplacer à nouveau vers la question militaire, car dans la Commission Lundeberg un conflit inscluble opposait les membres libéraux Staaf, Kvarnzelius et D. Persson à la droite et aux experts militaires. Lorsque en novembre 1910 la Commission de la Défense du Riksdag (Försvarskommitte), dont les 3 membres libéraux avaient démissionné depuis juillet, conclut à la nécessité d’une nouvelle extension du service militaire et d’une augmentation des crédits militaires pour la construction d’une nouvelle flotte cuirassée (F-bâten), l’opposition social-démocrate fut immédiate. Thorsson et Rydén demandèrent l’ouverture d’une enquête sur la possibilité d’alléger les charges militaires, en particulier par la réduction du budget de la défense de 80 à 60 millions de couronnes et par l’abaissement à 6 mois de la durée du service militaire. Branting et Thorsson réaffirmèrent cependant l’attachement de leur parti au principe de la défense nationale, ce que Z. Höglund définit ironiquement comme "un antimilitarisme à 25 %". On peut penser que pour les majoritaires du Parti la construction d’une flotte cuirassée lourde, peut apte à manoeuvrer dans l’archipel de Stockholm, théâtre d’opérations principal en cas de conflit, laissait présager dans les classes dirigeantes une volonté plus ou moins déterminée de participer à une action offensive contre la Russie. Or, si les Sociaux-démocrates éprouvaient avec certains la haine du tsarisme et avec tous la crainte du "danger russe", il n’était pas question pour eux d’accepter une entreprise de toutes façons vouée à l’échec, sauf à remettre la Suède dans le présent à l’hégémonie des militaires et, en cas de conflit, à celle de l’Empire allemand. D’autre part l’argument maintes fois répété, d’après lequel les charges militaires imposées à la nation par l’impôt direct et indirect pesaient déjà trop lourdement sur les masses laborieuses, n’était pas de pure rhétorique. Ces contingences, et peut-être aussi la mesure de la force réelle du Parti après l’échec de la grève générale de 1909, expliquaient sans doute "l’anti-militarisme à 25 %" de Branting, pris entre les feux croisés de son extrême-gauche et de la majorité conservatrice-libérale du Riksdag, qui, en mai 1911, accorda le crédit de 4 millions de couronnes que le gouvernement Lindman demandait pour la mise en construction du F-bâten50.
21Peu avant ce vote s’était tenu, du 9 au 16 avril, le VIIIème congrès du Parti. L’opposition nihiliste, dominante au sein de la section de Stockholm (Stockholms Arbetarekommunen), y attaqua vivement le groupe parlementaire et le Comité Directeur, demandant, dans une motion, le remplacement des trois premiers points du programme de 1908 par la formule unique "suppression totale des armées". Si les nihilistes échouèrent dans cette tentative51, le congrès adopta cependant la Résolution Vennerström52 très proche des thèses nihilistes de la S.S.U. La contradiction entre ces deux votes n’est qu’apparente : tout donne à penser qu’un certain nombre de délégués ne votèrent pour la ligne Branting lors de la reconduction du programme de 1908 qu’à la condition que leurs idées pussent s’exprimer dans la résolution présentée par Vennerström. La position de Branting demeurait incertaine quand s’ouvrit la campagne électorale pour le renouvellement de la seconde chambre, en pleine crise marocaine (septembre 1911). En fait cette crise européenne fut assez peu évoquée dans le débat pré-électoral, au cours duquel le "danger russe" lui-même fut moins agité que naguère. Ce sont essentiellement les nouvelles dispositions électorales de 1907 et le doublement du corps électoral qui expliquent le succès de la gauche, la confirmation du Parti libéral (102 mandats) et le bond en avant des Sociaux démocrates passant de 35 à 64 sièges. Gustave V tenta d’abord de s’opposer au retour de Karl Staaf, en songeant à un ministère libéral modéré sous Louis de Geer, puis, résigné à Staaf, en essayant ensuite de conserver Taube aux Affaires Etrangères. En vain. Staaf imposa Albert Ehrensvärd qui passait pour avancé et s’était montré critique à l’égard de la politique de Lindman, notamment de sa politique norvégienne. Tout en refusant de participer au cabinet, les sociaux démocrates promirent leur bienveillance. Staaf décida le 1er décembre de créer 4 commissions de la défense extraordinaires (Försvarsberedningar)53, chargées d’étudier respectivement la capacité financière du pays, l’équilibre entre la flotte et l’armée de terre, les économies possibles dans l’organisation mise en place par la loi de 1901 et la durée du service militaire. Il appela le concours du Riksdag, en affirmant qu’un peuple qui veut préserver sa liberté et son indépendance nationale doit consentir de substantiels sacrifices, mais qu’il était tout aussi nécessaire que la nation pût mener une fructueuse politique sociale. L’équilibre à réaliser entre ces deux missions, tel était l’objet de l’enquête des Försvarsberedningarna. Malgré les protestations des nihilistes, le S.A.P. délégua alors 4 des siens dans ces commissions : Branting, Thorsson, Rydén et Christiernsson. Mais ce qui donna une nouvelle acuité au débat, ce fût la décision prise par le ministère de suspendre la construction du F-båten en attendant les résultats de l’enquête. A partir de ce moment et jusqu’à février 1914 la lutte politique intérieure se durcit considérablement. Dans certains milieux patriotiques l’idée surgit que devant la carence de l’Etat, le peuple lui-même entreprendrait la construction de la flotte cuirassée remise en cause par le ministère de gauche. Lancée en janvier 1912, une souscription nationale réunit en quelques mois plus de 17 millions de couronnes ; L’intensification du débat militaire, qui a dominé entièrement les années 1912/1913, a naturellement réagi sur l’opinion publique, chez qui le sentiment de l’insécurité extérieure du pays se trouva de plus en plus accrédité par l’exaspération des passions nationalistes et la multiplication des crises en Europe. Mais le sentiment patriotique sincère qui accompagna le "Mouvement pour la défense nationale" (Försvarsrörelse) profita en même temps à ceux qui souhaitaient une politique étrangère "active”, c’est-à-dire d’abord la reprise des contacts germano-suédois de 1910. En ce sens travaillait le courant "activiste", dont les principaux propagandistes étaient Sven Hedin, les professeurs Pontus Fahlbeck et Rudolf Kjellén, Adrian Molin du "Det Nya Sverige", et Leon Ljunglund du "Nya Dagligt Allehanda". Leur but, c’était l’alliance allemande, ou du moins une neutralité armée propre à distraire, à paralyser autant que possible la force russe dans son combat contre le germanisme. Mais, armer la Suède "avant-poste de la culture face à la barbarie orientale", selon le mot de Harald Hjärne, c’était aussi la rendre "allianzfähig". Quant à lui, le gouvernement Staaf poursuivait, avec l’appui de la socialdémocratie et conformément à une tradition séculaire, une politique de stricte neutralité, sans pour autant enfermer le pays dans une neutralité permanente que le ministre Ehrensvärd condamna le 20 mai 1912 au Riksdag. Convaincu de la nécessité de l’armement de la Suède, il veillait à ne pas se laisser entraîner plus loin. Il dût pourtant se résigner à quelques compromis, tant le parti activiste jouissait de complicités ouvertes ou tacites dans l’administration, dans l’armée et à la cour. Ainsi, en 1912, dut-il renvoyer comme ambassadeur à Berlin, l’ancien ministre des Affaires Etrangères Arvid Taube, qui, jusqu’à sa mort en 1916, devait rester convaincu du salut de la Suède par le glaive allemand. Le pays était alors sous l’effet de l’opuscule que Sven Hedin venait de publier en janvier 1912 "Un mot d’avertissement" (Ett Varningsord)54, où dans une mise en scène théâtrale étaient repris les vieux airs du répertoire : la Russie et son besoin de port en eau libre, le Norrland et son fer convoité, la Finlande opprimée et meurtrie, présage de ce qui serait réservé à la Suède. "La Finlande, telle un sarcophage couvert de crèpes dans l’Est…". Un million d’exemplaires de l’ouvrage furent publiés en peu de temps, et il n’est guère de foyers suédois qui n’en aient eu connaissance. Au cours d’innombrables conférences, dans les villes, les villages, les casernes, les églises, les mess d’officiers, Sven Hedin, en 1912- 1913, contribua, plus que tout autre, à faire de la crainte diffuse et imprécise du "danger russe" une terreur immédiate, apparemment justifiée par le renforcement des garnisons russes de Finlande, le développement de voies ferrées impériales vers Torneå et le Nord finnois – sans valeur autre que stratégique – et la réapparition, à point nommé, des "affûteurs de scie" (Sågfilarna). Les manifestations bruyantes de sympathie que le public suédois réserva à la délégation finlandaise, lors des Jeux Olympiques de Stockholm en juillet 1912, montrèrent bien, s’il en était besoin, que cette campagne rencontrait de profonds échos55. "La peur a les yeux énormes", dit un proverbe russe56. L’opinion et le gouvernement vivaient dans l’attente du résultat des travaux des "Försvarsberedningarna", mais la première guerre balkanique conduisit, malgré tout, le ministère Staaf à prendre certaines dispositions navales, et à proclamer la neutralité de la Suède (octobre 1912). Peu après, grâce à l’impulsion de Ehrensvärd, les trois pays Scandinaves parvinrent à se mettre d’accord sur les règles de neutralité communes (21.12.1912). A l’étranger, on put penser que ce n’était qu’un pas vers une alliance défensive, mais, lors d’un débat du Riksdag au début de 1913, Ehrensvärd donna l’assurance que l’accord n’impliquait aucun devoir d’assistance. Bienveillants au ministère, les sociaux-démocrates n’en conservaient pas moins leur indépendance dans plusieurs grandes questions d’ordre intérieur, révision constitutionnelle, législation du travail, utilisation de l’armée pour le maintien de l’ordre, politique douanière, questions dont le Riksdag eût à débattre en 1912 et 1913. Même dans la question de la défense nationale cette bienveillance restait précaire : consentir à une augmentation des charges militaires eût été une "trahison pure et simple" en raison des promesses électorales de 1911, estimait Branting, et le journal socialiste de Göteborg "Ny tid" menaçait du retrait des commissaires socialistes des Försvarsberedningarna, si leurs membres libéraux se laissaient convaincre par la droite. Telle était l’attitude inconfortable des responsables du Parti, entre l’antimilitarisme intégral de son aile nihiliste et l’audience de plus en plus grande du "Mouvement pour la défense nationale" dans une opinion publique sensibilisée par l’espionnage russe57, notamment lorsque à l’automne 1913, les activités de l’attaché militaire russe à Stockholm, le colonel Assanovitch, conduisirent le gouvernement suédois à demander son rappel. Que le ministère Staaf ait, dans une certaine mesure, partagé les craintes de l’opinion, ressort de la démarche qu’il fit faire en décembre 1913 par son ministre à Londres, Herman Wrangel, auprès de Sir Edward Grey, afin d’obtenir la promesse que l’Angleterre ne consentirait pas à une modification du statu quo en Scandinavie, et que Grey finit par donner, après avoir d’abord objecté que son pays n’était pas signataire du traité de la Baltique (Östersjötraktaten) de 190858. C’est dans ce climat que, par un discours appelé à devenir historique, prononcé à Karlskrona le 21 décembre 1913, Karl Staaf définit le programme militaire de son gouvernement, fondé sur les conclusions préliminaires des Försvarsberedningarna. D’une façon générale, Staaf, visiblement impressioné par les travaux des commissions, s’y montrait favorable à un renforcement de l’armée et de la marine, notamment par l’allongement du service militaire dans toutes les armes exceptée l’infanterie, à un budget annuel de 5 à 6 millions de couronnes pour la construction d’une flotte cuirassée, et à la construction de nouvelles fortifications en Norrland. Par contre, dans la question essentielle, la durée du service militaire dans l’infanterie, Staaf, tout en admettant le principe de son accroissement, estimait qu’en raison des engagements électoraux de 1911, aucune décision ne pouvait être prise avant les élections législatives de septembre 1914. En ne se ralliant véritablement à aucun parti, Staaf les mécontentait tous, sans même faire l’unité du sien. Branting exprima son refus "des sommes énormes" qu’exigeait un programme militaire "tout-à-fait insensé"59, dont le Parti se distançait par un Manifeste qui, tout en réaffirmant la volonté des sociaux-démocrates de défendre le pays contre une agression, estimait que le premier ministre "avait été beaucoup trop loin"60. Une "marche des paysans" vers Stockholm s’organisait dans le pays (Bondetåget)61, dont le but était de dire au roi la volonté de la nation de supporter les sacrifices qu’imposait le renforcement de la défense nationale. Le 6 février 1914, 30 000 paysans convergèrent vers le château royal et écrivirent une des pages les plus controversées de l’histoire nationale. Gustave V prononça le "discours de la cour du château" (Borggårdstalet)62 où, sans l’avoir consulté ni prévenu, il exprimait son désaccord avec Staaf et déclarait que la question du service militaire dans l’infanterie ne devait pas être ajournée et que la question de la défense nationale "devait être réglée maintenant, sans délai et d’un seul coup". Un moment surpris, le S.A.P. organisa le surlendemain un cortège ouvrier de protestation (Arbetartåget), qui surpassa en nombre le "Bondetåget". Conflit militaire, conflit constitutionnel, conflit de classes : dans tout autre pays que la Suède auraient été réunies les conditions d’une guerre civile. Mais le S.A.P., après avoir déclaré inconstitutionnelle et "inconvenante" (otillständigt) l’attitude de Gustave V63, engagea le Parti libéral à "abandonner les responsabilités gouvernementales à ceux qui se tiennent en dehors des partis de gauche"64. Staaf, qui avait souvent affirmé que son gouvernement était celui du Riksdag, et plus particulièrement celui de la chambre "élue par le peuple", se plia pourtant à la volonté royale et remit la démission du cabinet le 10 février 1914, malgré ceux qui voulaient "mobiliser le peuple contre le pouvoir personnel". En fait, les articles 4 et 109 de la Constitution de 1809 donnaient bien au souverain le droit de renvoyer le cabinet, et même de disssoudre le Riksdag, et déjà en mai 1906, lors de son premier ministère, Staaf en conflit avec Oskar II, avait dû se retirer. Le "coup d’Etat" de Gustave V n’en était donc un que dans la mesure où il violait la loi non écrite, c’est-à-dire la pratique parlementaire à l’anglaise65. Or, cette dernière, malgré tous les efforts de Staaf, restait loin d’être établie et reconnue unanimement Il n’en reste pas moins vrai que les socialistes et les libéraux, pourtant majoritaires au Riksdag, refusaient l’épreuve et laissaient la couronne mettre le parlement "hors du jeu, comme dans la Prusse des Hohenzollern"66, et constituer un ministère sans majorité parlementaire, présidé par le juriste Hjalmar Hammarskjöld avec le banquier Knut Wallenberg aux Affaires Etrangères, et plusieurs représentants de la grande industrie aux postes clefs. "Le service des titres de la Stockholms Enskilda Banken quelque peu amélioré", dira le socialiste Otto Järte. Ce ministère, appelé à titre provisoire pour amener à son terme la réforme de la défense nationale dans l’esprit du "Bondetåget" devait se perpétuer jusqu’au printemps 1917, avec le seul soutien de la droite, dans une situation dénoncée par le leader libéral Nils Edén comme "déraisonnable et contre nature", alors que, pour les chefs conservateurs Lindman et Trygger elle était simplement celle d’un "cabinet minoritaire". Après la dissolution du Riksdag, le 5 mars, s’engagea une campagne électorale très vive dont le débat portait non seulement sur le problème militaire, mais aussi sur le problème constitutionnel, sans doute maladroitement suscité par la conduite – impulsive comme celle de tous les Bernadotte, dira le ministre des Affaires Etrangères de Norvège Claus Ihlen – du roi Gustave V à un moment où le règlement du problème militaire aurait trouvé une majorité. Dans ce débat apparurent les craintes de la gauche de voir le "ministère du roi" (Kungaministären) donner un nouveau cours à la politique étrangère du pays, c’est-à-dire aventurer sa neutralité. Le Parti socialdémocrate qui ne pouvait pas ne pas tenir compte des courants d’opinion, décida, après avoir entendu ses commissaires membres des Försvarsberedningarna, de se prononcer ouvertement pour la première fois en faveur d’un programme militaire "positif" (Manifeste du 7 mars 1914), tout en s’opposant ostensiblement aux exigences attribuées à la droite : le service d’un an dans l’infanterie, une grande flotte cuirassée, un budget militaire de 100 millions de couronnes ; Branting le déclara devant le Comité Directeur "Nous ne pouvons pas, par une critique purement négative, nous placer en dehors de toute influence sur la solution du problème"67. Un corps électoral encore réduit (1.062.454 inscrits, 763 423 votants) donna, fin mars – début avril 1914, 86 mandats à la droite (plus 21), 73 au S.A.P. (plus 11) et 71 aux libéraux (moins 30) : ces derniers avaient perdu leur place de premeir parti au bénéfice des Conservateurs, pour avoir placé au centre de leur campagne le problème constitutionnel, alors que c’était la question de la Défense nationale qui avait passionné le pays légal, auquel Sven Hedin venait de donner son "Second avertissement68 (Andra varningen). Aucun des trois partis, toutefois, n’était à lui seul assez fort pour imposer sa solution. Deux voies étaient alors possibles : l’union des libéraux et des sociaux-démocrates pour renverser Hammarskjöld, un compromis entre le gouvernement et les libéraux sur la question de la Défense nationale. Staaf qui au cours de la campagne électorale avait subi, ainsi que son ministre de la guerre David Bergström, des attaques furieuses allant jusqu’à la diffamation, et qui constatait la débacle de son parti, ne pouvait envisager dans l’immédiat de constituer un ministère. Il préfèrait attendre l’automne, quand, une fois la question de la Défense nationale résolue, les élections ordinaires à la seconde chambre ne manqueraient pas de confirmer, dans un climat plus serein, la majorité de gauche. Ayant fait triompher, au sein du Comité directeur, la "ligne positive" en matière de défense, Branting de son côté voyait sa position consolidée face à l’opposition irréductible des nihilistes, malgré les hésitations de ceux qui, tels V. Rydén, P.A. Hansson et I. Neumann pouvaient n’apparaître qu’à demi acquis à la voie dans laquelle le Parti semblait s’engager, dès lors que l’opinion s’était apparemment prononcée en faveur d’un renforcement de la Défense nationale. Cette évolution se confirma quand, en mai 1914, au nom de la "Commission du Programme", A.C. Lindblad obtint du Comité Directeur qu’il recommandât au prochain congrès l’abandon des résolutions Weidenhayn de 1908 et Vennerström de 191169. A n’en pas douter, les principaux responsables du Parti partageaient les craintes que l’opinion nourrissait à l’égard du "danger russe", tout en redoutant que de cette crainte ne naquît le sentiment qu’une politique d’alliance avec l’Allemagne fût nécessaire ; de là une attitude jugée contradictoire, à la fois favorable à la Défense et à sa réduction, et l’opposition intransigeante à la flotte cuirassée, arme offensive, et par ailleurs coûteuse, à laquelle on préfèrait des sous-marins en plus grand nombre.
22Lorsque, le 28 juin 1914, s’ouvrit la crise européenne, le problème se trouvait dans une impasse totale, chacun des trois partis demeurant sur ses positions. Le pays était neutre et libre d’alliances, "le renforcement de notre défense n’a pas d’autre but que d’assurer notre neutralité et notre indépendance", venait de déclarer au Riksdag, le 27 mai, le ministre K. Wallenberg. Mais l’Allemagne, depuis les contacts d’État-Major de 1910, comptait sur une fraternité d’armes en cas de conflit, et dans toutes les classes de la société suédoise, milieux ouvriers compris, son influence était profonde. Le gouvernement de Saint-Pétersbourg, par sa politique finlandaise et par les maladresses accumulées à l’égard de la Suède, ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même du sentiment anti-russe qui s’était développé chez son voisin. Pourtant le "Mouvement pour la Défense nationale", plus qu’une réaction à ses propres mesures, lui semblait une menace largement inspirée par l’intrigue allemande, et depuis 1910 son État-Major comptait qu’en cas de guerre la Suède apporterait son concours naval et terrestre à Berlin. Ses plans de mobilisation étaient conçus en fonction de cette menace70. La France mesurait le danger qu’il y aurait pour l’Entente si l’armée russe devait distraire une partie de ses forces pour faire face à la Suède. Dès mai 1914, avec le concours des ambassadeurs de France en Suède et en Russie, Thiébaut et Paléologue, Viviani organisa l’étape que le président Poincaré et lui feraient à Stockholm, au retour de Saint-Pétersbourg "pour détourner la Suède de sa tentation de s’inféoder complètement à la politique germanique"71. Cette préoccupation rejoignait parfaitement celle du Parti socialdémocrate suédois, conscient du réveil des sentiments nationaux dans le pays, et de la difficulté de maintenir la neutralité officielle dans un conflit germano-russe. Nul ne doutait en effet que si le pays, sous des pressions extérieures ou intérieures, était contraint à renoncer à sa neutralité, ce serait l’Allemagne que la raison lui ferait choisir. Le Parti social-démocrate suivait donc le développement de la crise avec la plus grande appréhension.
Notes de bas de page
1 Sous peine d’être par trop allusif, la nécessité s’impose d’éclairer le sujet par une introduction historique qui retrouve les courants essentiels de l’histoire internationale du pays à l’époque contemporaine et rappelle les principaux engagements diplomatiques qui pèse sur lui en 1914.
2 Carl XIV Johan.
3 Hagenach (H) Die nationale Bewegung in Schleswig-Holstein. Zeitschrift der Gesellschaft für schleswig-holsteinische Geschichte. 5.6.1927.
4 Holmberg (Å) Skandinavismens Kris. Alliansfrågan våren och sommaren 1863. Scandia XVII. 1946.
5 Sten Carlsson rappelle justement que la nouvelle université inaugurée à Uppsala en 1887 est fortement inspirée de celle construire par les Allemands à Strasbourg après 1871.
6 Jacobson (G) Svensk opinion om Frankrike och Tyskland efet 1870. Svensk . Tidskrift, 1929.
7 Lindberg (F.) Tyskland och den svensk-norska Unions frågan in Kunglig utrikespolitik, Stockholm, 1950. Weibull (J.) Inför unionsupplösning 1905 – Konsulatfrågan. 1962.
8 Lindberg (F) Den ryska faran. Dagens Nyheter 12 et 15 février 1958.
9 Wåhlstrand (A) Karlstadkonferensen 1905. in Skrifter utg. av Statsvetenskapliga föreningen i Uppsala 33. 1953.
10 August Palm (1849-1922) ouvrier tailleur, parti de Suède pour faire sa tournée de Compagnon, traversa le Danemark, puis s’établit dans le Nord-Schleswig. Après avoir adhéré en 1873 à la section allemande de l’Internationale ouvrière fut expulsé d’Allemagne et se fixa au Danemark où il fonda une Association socialiste. Il regagna la Suède en 1881 et tint à Malmö, devant 130 personnes, le premier discours socialiste de l’histoire de Suède : "Que veulent les Socialistes ?" (Cf. Hvad vil socialdemokraterna ? Föredrag i Malmö…1881 . Skrifter utg. av. Arbetarnas Kulturhist. Sällskap 3 : 3, Stockholm, 1932. Cf aussi Ur en agitators liv 1905 et J. Lindgren. Socialdemokratiska arbetarpartiets uppkomst i Sverige 1881-1889. Stockholm 1927, passim.
11 Ce programme implicite serait celui de Gotha, selon Gustav Môller (När vi började, Stockholm, , p. 67), celui adopté par le parti d’Autriche et de Bohème à Hainfeld au début de janvier 1889, selon G. Hilding Nordstrom (Sveriges Socialdemokrastika arbetare parti under genombrottsåren 1889-1894, Stockholm, 1938, pp. 111-113).
12 79 % selon Sten Carlsson (Sveriges Historia, Stockholm 1970, II, p. 411). Le système censitaire mis en place par la loi de 1866 attribuait le droit de vote aux détenteurs d’un revenu d’au moins 800 kr, aux propriétaires immobiliers taxés à 1 000 kr ou aux bénéficiaires d’un "arrende" de propriété foncière taxés à 6 000 kr (Cf. Ekman (S) Slutstriden om representationsreformen. Studia Historica Upsaliensia. 22. 1966).
13 Hur vi förlorade Norrland, Stockholm 1889.
14 Socialdemokraten, 2.2.1889.
15 Branting lui-même en a donné une définition dans un article de 1890 : "La conscription ne produit qu’une sorte de milice, une levée en masse qui vient appuyer l’armée de métier à l’heure du danger" (H. Branting, Tal och Skrifter, Stockholm 1929, V, p. 27).
16 G. Hilding Nordström, op. cit., p. 144.
17 Fridholm (R) Folkriksdagama 1893 och 1896. Statsvetenskaplig Tidskrift. 1927.
18 Nordström (G.H.) Den svenska socialdemokratins försvarspohtiska inställning i början på 1890 talet. Statsvetenskaplig Tidskrift 1935, pp. 393-414.
19 Herbert Tingsten, op. cit.. II, p. 135.
20 Gustav Möller, op. cit., p. 108.
21 Socialdemokraten, 5.11.1892
22 Socialdemokraten, 1.5.1900. Rösträtt och värnplikt.
23 Cf. Edenman (R) Brantings första riksdagsåar 1897-1902. Skrifter utg. av. Statsvetenskapliga föreningen i Uppsala. 20. 1944.
24 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens Redogörelse, 1900, p. 9.
25 Tingsten fait remarquer les contradictions del ’attitude de Branting estimant dans son article du 1er mai 1900 que le parti devait collaborer au renforcement de la défense même sans adopter le suffrage universel, puis considérant en 1901 qu’aucune réforme militaire ne pourrait être acceptée hors d’une société pleinement démocratique. Pour Tingsten seules des considérations tactiques expliquent le revirement de Branting : en l’absence de concessions gouvernementales, il revint à une attitude "plus agressive" (Tingsten, op. cit., p. 153).
26 Lennart Jörberg, Growth and Fluctuations of Swedish Industry, 1896-1912, Stockholm 1962.
27 En 1907 sur 390 000 ouvriers d’usine 186 000 environ sont membres de L.O. (K. Hildebrand, Sveriges Historia, Stockholm 1926, p. 37).
28 Dagens Nyheter, 18.5.1902.
29 Wåhlstrand (A) 1905 års ministärkriser. Uppsala, 1941.
30 Socialdemokraten, 3.5.1895, cf. Knut Bäckström, Arbetarrörelsen i Sverige, Stockholm 1971, II p. 34.
31 Gustav Möller, op. cit., p. 205.
32 Partistyrelsens verkställande utskott, 13.6.1905.
33 Partistyrelsens verkställande utskott, 28.7.1905.
34 S.J. Boethius, Sveriges Historia, Stockholm, 1925, XIII, p. 226.
35 Koht, Det norske arbeiderpartis historie, Oslo, 1937, I, p. 282.
36 Le VIIème congrès socialiste international réuni à Stuttgart du 16 au 24 août 1907 reconnût que "l’intervention vigoureuse de la classe ouvrière de Suède" avait empêché "l’attaque contre la Norvège".
37 Suffrage universel, à l’exclusion du vote féminin. Cf. E. Timelin, Ministären Lindman och representationsreformen 1907-09, Stockholm, 1928 et E. Thermaenius, Statsvetenskaplig Tidskrift, 1929.
38 Cf. infra p. 87.
39 Socialdemokraten, 9.11.1905.
40 Lindberg (F) Englands nordiska politik sommaren 1905. Historiska Studier tillägnade Nils Ahnlund, 1949.
41 Folke Lindberg, op. cit., p. 198.
42 Oskar II était mort le 8.12.1907.
43 Öman (I) Karl staafs första ministär. Stockholm 1923.
44 Selon Knut Bäckström, op. cit., la S.S.U. aurait eu alors 300 clubs et 15 000 membres.
45 2306 sociétés avec 186 128 membres, tous volontaires, à la veille de la guerre.
46 Folke Lindberg, Der Svenska Utrikespolitikens Historia, Stockholm, III, 1958, p. 247.
47 Folke Lindberg, De svensk-tyska generalstabsförhandlingama år 1910, Historisk Tidskrift, 1957.
48 Hubatsch (K.W.) Das deutsch-skandinavische Verhältnis im Rahmen der europaïschen Grossmachtspolitik 1890-1914. Berlin 1941.
49 Palme (S.U.) Karl Staaf och storstrejken 1909. Stockholm 1959. Liedholm (A) Året 1909. Uppsala Nya Tidning. 12.1.1960.
50 Braun (C.A. von) Striden om F. bâten. Tidskrift i Sjöväsenhet. 122.1959.
51 Ils ne réunirent que 48 voix, alors que 84 délégués votaient pour le maintien du programme de 1908 soutenu par les majoritaires. Il semble cependant que plusieurs "anti-militaristes" se soient joints à eux, par unique souci de préserver l’unité du Parti.
52 La résolution rappelait que le but fondamental était le désarmement, tandis que la réduction progressive des charges militaires n’était que le moyen d’atteindre ce but "de la façon pour l’instant la meilleure". Pour les signataires de la résolution Vennerström les majoritaires avaient donc tendance à confondre la fin et les moyens.
53 Schulzenheim (H. Von) Om Karl Staaf och 1911 års försvarsberedningar. Personliga hågkomster. Ny Milittär Tidskrift. 22. 1949. pp. 248-257.
54 Cf. Hedin (Sven) Försvarstriden 1912-14. Stockhom 1951. C.R.E.O. Löfgren in Historisk Tidskrift 73. 1953.
55 Peu auparavant, le 18 mai 1912, le journal "Aftonbladet" avait révélé l’existence d’un manuel militaire russe sur la Suède, avec cartes et lexique.
56 Nekludov, op. cit., p. 31.
57 Lindberg (F) Var Sågfilama ryska Spioner ? Hörde Ni 1953. pp. 341-47.
58 Le 23 janvier 1914. Peu avant, le 9, Ehrensvärd avait reçu un rapport des plus alarmants de son ambassadeur à Saint-Pétersbourg qui se déclarait "absolument convaincu que la Russie prépare une attaque contre nous" (cf. F. Lindberg, op. cit., p. 290).
59 Socialdemokraten, 29.12.1913.
60 Socialdemokraten, 21.1.1914.
61 Frykberg (R) Bondetåget 1914. Stockholm 1959.
62 Brusewitz (A) Borggårdskuppen. Dagens Nyheter. 8.6.1948.
63 Stockholm, A.K. 7.2.1914.
64 Stockholm, S.A.P., Förtroenderådets protokoll, 7.2.1914.
65 Lagerroth (F) Gustav V och Sveriges författning. Statsvetenskaplig Tidskrift. 54. 1951.
66 E. Palmstierna, op. cit., I, p. 15.
67 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens protokoll, 7.3.1914.
68 "La terreur inspirée par la Russie a marqué de son empreinte les élections et a mobilisé la majorité silencieuse des campagnes", écrit Palmstierna, op. ci., I, p. 26.
69 Stockholm, S.A.P., Partistyrelsens protokoll, 11.5.1914.
70 A. Karlgren, Dagens Nyheter, 9/11.8.1933.
71 Paris, A.E., N.S. Suède. Viviani à Paléologue, 19.5.1914.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L’Europe des Français, 1943-1959
La IVe République aux sources de l’Europe communautaire
Gérard Bossuat
1997
Les identités européennes au XXe siècle
Diversités, convergences et solidarités
Robert Frank (dir.)
2004
Autour des morts de guerre
Maghreb - Moyen-Orient
Raphaëlle Branche, Nadine Picaudou et Pierre Vermeren (dir.)
2013
Capitales culturelles, capitales symboliques
Paris et les expériences européennes (XVIIIe-XXe siècles)
Christophe Charle et Daniel Roche (dir.)
2002
Au service de l’Europe
Crises et transformations sociopolitiques de la fonction publique européenne
Didier Georgakakis
2019
Diplomatie et religion
Au cœur de l’action culturelle de la France au XXe siècle
Gilles Ferragu et Florian Michel (dir.)
2016