Conclusion générale
p. 237-238
Texte intégral
Que retenir ?
1A l’origine de cette recherche, personne n’avait jamais proposé, ne fûtce que sous la forme d’une hypothèse, une évaluation du chiffre de l’émigration alsacienne aux Etats-Unis au XIXe siècle (1815-1870). Aujourd’hui, on sait, grâce à l’étude systématique des "passeports" alsaciens, que 45 000 émigrants, au moins, participèrent à ce grand mouvement. Ce résultat peut faire sourire l’historien de l’immigration aux Etats-Unis, qui a l’habitude de raisonner sur des chiffres beaucoup plus considérables. Mais il faut ramener ce chiffre à l’échelle de la France qui est, traditionnellement, un pays de faible émigration. Dans le cadre français, l’émigration alsacienne aux Etats-Unis est très intéressante, car elle possède, toutes proportions gardées, les caractéristiques d’un mouvement de masse.
2Malgré les incertitudes qui entourent les chiffres annuels de l’émigration, on peut affirmer comme certain le fait que ce soit au cours de la première moitié du XIXe siècle que les Alsaciens émigrèrent le plus. En l’état actuel de nos connaissances, les chiffres complets et sûrs que nous possédons sont ceux de la fin du xixe siècle. Tels quels, ils sont nettement inférieurs à ceux du début du siècle dont nous savons qu’ils sont amputés et incomplets.
1817, plus de 5 000 émigrants aux Etats-Unis ;
1828, un peu moins de 3 500 ;
1854, environ 2 000 ;
1866, à peine 700.
3Cette tendance à la baisse différencie nettement l’émigration alsacienne des émigrations allemande ou suisse avec lesquelles l’historien a souvent tendance à les fondre, dans un grand mouvement transnational.
4En étudiant les informations de nature sociologique contenues dans les passeports alsaciens et en essayant de définir le portrait de l’émigrant, il nous a semblé que nous faisions un pas dans la bonne direction. L’émigration recruta dans la population alsacienne dans son ensemble et non dans une catégorie socio-professionnelle déterminée. Beaucoup de ruraux – travailleurs de la terre (agriculteurs ou journaliers), artisans ou ouvriers (textile et industrie mécanique), commerçants – qui exercent leur métier à la campagne, une majorité d’hommes, mais aussi des familles avec les femmes et les enfants. Une population active et relativement jeune ; des émigrants majoritairement pauvres mais aussi quelques nantis.
5L’expression "émigration de la misère", généralement employée pour la caractériser, est largement abusive. Il faudrait lui substituer l’adjectif "populaire" qui a le mérite, dans ses deux acceptions modernes, de réunir les deux visages de l’émigration alsacienne : qui concerne le peuple, d’une part, et, d’autre part, qui est vu d’un bon œil par le peuple.
6Il y a toujours, à l’origine du départ des Alsaciens, un facteur déclenchant, une agression assez violente : disette de 1817, Code forestier de 1827, crise économique de 1846-1848, guerre de Crimée... ou encore une sollicitation puissante en provenance des Etats-Unis. Les Alsaciens tiennent compte de la "réceptivité" des Etats-Unis et des opportunités économiques qui leur sont offertes. Ils évitent, quelle que soit la situation locale, d’émigrer lorsque les Etats-Unis sont en crise (1837, 1857, 1861-1865). Ils sont informés de ce qui s’y passe par leurs concitoyens déjà installés. L’existence de foyers d’émigration entretenus par des Alsaciens en relations de famille, d’amitié ou d’ancien voisinage avec des émigrés, attestés à de nombreuses reprises, explique les "poches d’émigration". La circulation de l’information est une donnée capitale de l’émigration. En cas de crise perturbant l’équilibre fragile des populations, les Alsaciens se souviennent de l’Amérique, qui leur offre les terres dont ils sont avides. Comme l’Alsace est "branchée", par l’intermédiaire du Havre, sur les routes de l’Atlantique et des Etats-Unis, l’émigration peut utiliser, à sa convenance, les circuits existants. Elle le fait avec lucidité, circonspection et indépendance, sans excès. L’idée qui domine est que les Alsaciens "choisissent" leur émigration.
7Malgré cette relative pondération, les autorités françaises – inévitablement opposées à l’émigration – sont condamnées au double langage : d’un côté, une législation officielle et nationale libérale ; de l’autre, des efforts désespérés pour convaincre les populations de ne pas partir.
8L’épisode de la colonisation du Texas par Henri Castro, extraordinaire intermède de l’histoire de l’émigration alsacienne, mouvementé, haut en couleur, est finalement ce qui a le plus marqué les mémoires et l’imaginaire collectif. Cette épopée eût pu être la grande aventure de la France aux Etats-Unis...
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