Jean Monnet, le Département d’État et l’intégration européenne (1952-1959)
p. 307-345
Texte intégral
1L’action de Jean Monnet pour développer des institutions communautaires européennes entre 1955 et 1959 s’inscrit dans un contexte général de guerre froide et de relations atlantiques privilégiées. La diplomatie américaine n’a cessé depuis 1945 de réclamer des formes d’unité européenne. Elle a échoué à les imposer au temps du plan Marshall. Elle s’est réjouie de l’offre Schuman-Monnet du 9 mai 1950. Elle a défendu contre vents et marées la CED et la Communauté politique européenne. Monnet, Acheson, Dulles et les responsables politiques américains proches des Présidents ou des Secrétaires d’État se connaissaient bien. Nous avons cherché à retrouver d’après les archives du gouvernement américain la part de Monnet, celle du Département d’État et de l’Ambassade américaine en France dans la création des institutions communautaires européennes de 1957, surtout l’Euratom. La proximité de pensée de Monnet et de Dulles nous invitait à identifier plus précisément les intentions de l’un et de l’autre. Le débat sur la supranationalité se posait à travers la notion ambiguë d’intégration européenne, constamment utilisée par la diplomatie américaine. Monnet aussi l’utilise, mais est-ce dans le même but ? La création d’Euratom occupe l’essentiel du matériel documentaire consulté. Ce n’est pas l’effet d’une sélection volontaire des sources même si toute la documentation se rapportant au Marché commun n’est pas disponible. Il faut reconnaître qu’Euratom passionne la diplomatie américaine et Monnet. L’avenir allait à l’énergie atomique. Le charbon européen s’épuisait. L’Europe avait intérêt à passer à l’électricité d’origine nucléaire. C’était là le projet très pacifique de Monnet. Or la question de l’utilisation de l’atome pour des objectifs militaires ne pouvait être éludée. Monnet comme les Américains devaient apporter une réponse. Cette réponse aurait des conséquences politiques durables. Le destin de l’Europe ne serait pas le même si elle disposait d’armes nucléaires. Un jour elle se passerait de la protection des États-Unis, elle romprait le monopole nucléaire des États-Unis sur l’Alliance atlantique. Les responsables européens, les Français surtout, en raison de l’avance de la France dans ce domaine, devaient donner une orientation claire à la communauté atomique européenne. L’intérêt de ces sources est de montrer l’interaction de trois groupes : celui de Monnet et de ses amis du Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe (CAEUE), celui des diplomates américains du Département d’État et des ambassades américaines en Europe, celui des Six européens et plus précisément des Français. La dynamique qui s’établit entre eux au moment de la naissance d’Euratom et du Marché commun est riche d’intérêt pour comprendre quels furent les ressorts de l’action de chaque partie.
I. Formes d’unité européenne et diplomatie américaine
2Un document du 12 septembre 1952 résumait ainsi les objectifs américains d’intégration européenne : « L’intégration européenne n’est pas une fin en soi ; elle est défendue comme un moyen d’obtenir des bénéfices pour les États-Unis »1 Le texte précise même : « Nous ne pourrions encourager la prolifération institutionnelle sans l’assurance que les bénéfices que nous avons à l’esprit seront réellement réalisés ». On était alors en pleine bataille pour la Défense européenne et le Département d’État se demandait sous quelle forme une CED pourrait le mieux satisfaire les intérêts de l’Amérique. Il répondait ceci : « Les États-Unis ne veulent probablement pas une politique “européenne” indépendante vis-à-vis du monde soviétique », pas plus qu’ils ne veulent « un pouvoir militaire européen fort, disposant de toutes les armes modernes, capable d’action, indépendamment des États-Unis ». Ainsi le PPS donnait-il le sens suivant aux institutions européennes : l’OECE et l’UEP ouvraient la voie à la multilatéralisation des paiements et des échanges, la CECA était le moyen de réduire les barrières économiques et de développer l’amitié franco-allemande, la CED mettrait à la disposition de l’Ouest la puissance allemande en des termes acceptables pour la France. L’APE et le Conseil de l’Europe pourraient offrir aux Anglais la possibilité de participer aux affaires continentales. Une telle façon de concevoir l’intégration européenne servait d’abord les intérêts du pays leader de la Communauté atlantique. L’autonomie de l’Europe de l’Ouest était inimaginable. La thèse d’une Europe communautaire satellisée par les États-Unis était parfaitement exprimée dans ces documents de travail confidentiels. En novembre 1952, les spécialistes de l’Europe au Département d’État confirmaient, qu’à la différence du temps du plan Marshall, les États-Unis devaient rendre les membres de la communauté Nord-Atlantique interdépendants à long terme. L’indépendance européenne était un concept dépassé2. Aussi n’était-il pas étonnant que Th. Achilles, un haut fonctionnaire américain en poste à Paris, spécialiste des questions européennes, posât une question simple : « Voulons-nous réellement que l’Europe s’unisse ? » Curieuse question tout de même, puisque l’Administration Truman n’avait cessé de réclamer cette unité depuis 1947. L’Administration américaine avait évolué. Elle avait désormais conclu que l’unité européenne « hors du cadre de la Communauté atlantique ne serait pas de notre intérêt ». Le spectre d’une Europe neutraliste, dans la mains des Soviétiques hantait le Département d’État.
3Cependant le Bureau des affaires européennes (EUR/RA) du Département d’État sentait que cette méfiance posait problème. Il se rassurait ainsi : « Si nous croyons ce que nous avons dit dans le passé à propos de l’héritage, des attitudes, des buts communs, etc. des pays formant la Communauté atlantique, nous ne devrions pas être trop abattus à propos du problème à venir du maintien d’une harmonie de base entre les USA et une Europe unie3 ». Quelques fonctionnaires du Département d’État étaient même prêts à accepter une Europe troisième Force sans défaillir : « Je pense que nous devons4 accepter comme un fait qu’une Europe unifiée peut devenir une troisième force et que sa taille et son développement lui donneront une indépendance par rapport à la domination et le contrôle américains. J’ai suffisamment confiance dans la puissance et la sagesse de ce pays pour ne pas être trop ennuyé par cette “troisième force ’’. »
4La première vision américaine doit donc être corrigée. La vigueur des constructions européennes en 19525 donnait l’impression que la Fédération européenne était possible, ce qui rassurait le Département d’État en dépit de certains risques centrifuges. La solution était de renforcer les relations avec les Six et les Anglais. Pour éviter l’aventurisme de certains États européens, le Département d’État prônait de nouvelles institutions supranationales européennes, mais il incitait ses ambassadeurs à ne pas intervenir dans leur élaboration6. Il manifestait donc une grande prudence sans doute pour ne pas nourrir un anti-américanisme prompt à s’exprimer comme ce fut le cas en France lors des incidents Dunn-Pinay d’octobre 19527. Retenons que la forme des institutions européennes était un sujet de préoccupation pour les Américains.
5Un Européen pouvait-il accepter in extenso la problématique américaine, même s’il était un inconditionnel de l’Atlantisme ? Pour être secrets les documents du Département d’État n’en établissaient pas moins la dépendance de l’Europe comme donnée fondamentale de la politique des États-Unis en Europe. On comprend mieux alors les réactions violentes des Américains face à la volonté de Pinay, de Mendès France puis de Guy Mollet de développer une politique française plus autonome. Comment Monnet pouvait-il réagir à cette interprétation américaine du concept « d’intégration européenne » ?
6Nous pouvons repérer le comportement de Monnet au moment où les Anglais tentèrent d’empêcher le développement d’une Autorité Politique Européenne au printemps 1952. L’idée anglaise de faire coiffer par le Conseil de l’Europe les institutions européennes (CECA, CED, APE) fut repoussée par le Département d’État alors qu’elle aurait réuni les Anglais avec les continentaux, au prix d’une disparition des pouvoirs supranationaux de la CECA8. Washington soutenait donc les partisans d’une petite Europe supranationale, en dépit de l’intérêt d’un rapprochement des Anglais avec le continent. D’après Tomlinson, Monnet fit savoir qu’il souhaitait une association très étroite des États-Unis et de la Grande-Bretagne avec les Six au fur et à mesure que la Fédération européenne se constituerait9. Il laissa entendre que la solution était d’utiliser les institutions de la Communauté Atlantique10. Il déniait au Conseil de l’Europe le droit de faire l’unité de l’Europe. Il s’appuyait sur le fait que les Américains n’étaient pas représentés au Conseil de l’Europe11. Il affichait donc un atlantisme très net, même si nos sources le montrent hésitant à appuyer une association des États-Unis avec la CECA12. Mais le faisait-il par volonté d’adhérer aux thèses du PPS ou pour sauver la supranationalité en Europe ? D’après ses interlocuteurs américains, Monnet estimait qu’une communauté européenne ne pouvait vivre seulement de ses liens intereuropéens. Elle devait se développer dans le cadre plus large de l’OTAN. Dans quelle mesure une adhésion anglaise aux communautés continentales aurait pu modifier son opinion ? Il n’y a pas de réponse. Monnet ne concevait pas une Europe des Six autonome. Il était européo-atlantiste, résolument acquis à une entente institutionnelle avec les États-Unis, sinon à une fusion économique atlantique.
7Même si l’intervention américaine dans les questions d’APE resta discrète, elle fut réelle. Un groupe informel de fonctionnaires américains de Paris autour de Tomlinson, Cleveland et Fischer reçut l’ordre de se faire reconnaître par les Européens comme le truchement américain officieux. Les diplomates américains déplorèrent que les Français et d’autres gouvernements n’eussent pris aucun contact avec eux, alors que les négociations intereuropéennes, disaient-ils, affectaient considérablement « nos politiques envers l’Allemagne, l’Europe et la communauté atlantique »13. En revanche, Monnet, au titre de Président de la Haute Autorité, avait maintenu des contacts étroits avec la diplomatie américaine. Mais il ne pouvait pas influencer les négociations en cours entre les Six autant que les Américains le croyaient. Monnet restait toutefois dans une position clef à cause de ses capacités à inventer des solutions et en raison du succès de la CECA. Il bénéficia de tous les égards. A sa demande, il vit le Secrétaire d’État, Dean Acheson, le 14 et le 15 décembre 1952 à Paris14.
8La crise de l’intégration européenne était latente en décembre 1952. Elle apparut au grand jour lors de l’investiture de René Mayer le 6 janvier 1953. René Mayer demanda la négociation de protocoles additionnels au traité de CED et un statut pour la Sarre avant la ratification du traité par l’Assemblée Nationale. Adenauer, malgré un premier refus, accepta de renégocier, puis fît volte face créant une grande confusion. Les Américains comprirent que les Français continuaient d’avoir peur de l’Allemagne. Monnet renforça Acheson dans ses positions « cédistes » et insista sur le thème de la supranationalité. Il lui dit combien il était soucieux de faire naître une Autorité Politique européenne pour mettre les généraux de la future CED sous la coupe d’un pouvoir politique européen. Monnet voulait répondre aux risques d’une direction allemande de la future armée européenne. Il exprimait ainsi les craintes du SPD et des syndicats allemands, tout autant que des Français. Il défendit évidemment l’élection au suffrage universel d’un Parlement Européen disposant d’un réel pouvoir dans les domaines de compétence du plan Schuman et de la défense européenne. Monnet se garda de faire de la surenchère supranationale vu l’état des esprits sur la CED en France, en Allemagne ou en Belgique. La question de la participation des Britanniques était la plus importante. Si des nuages noirs existaient sur l’Europe, Monnet fît partager au Secrétaire d’État un optimisme communicatif sur son avenir.
9Le secrétaire d’État Dean Acheson apporta le soutien américain à une communauté européenne politiquement unifiée et forte militairement. Il insista sur la participation militaire des Européens au combat pour la liberté. La création de la CED était la pièce maîtresse de l’effort européen de défense, mais aussi la condition du maintien des USA en Europe. Il nous semble qu’Acheson exprima sous une forme civilisée la doctrine proposée par le PPS. C’est là que Monnet se démarqua d’une vision américaine purement utilitariste de la CED. Il insista sur les fonctions politiques des institutions européennes, mais il ne put obtenir d’Acheson une déclaration qui vint appuyer ce choix. Les diplomates américains s’en excusèrent prétextant qu’à trop intervenir dans les affaires européennes, ils donneraient le « baiser de la mort » aux projets d’unité. Ils avaient peur de renforcer l’unité politique européenne. D’un autre côté cette administration américaine était lasse d’avoir prodigué tant de conseils d’unité sans suite. Les incidents Dunn-Pinay d’octobre 1952 avaient contribué à rendre les Américains plus prudents tant il était vrai que les Européens et pas seulement les Français étaient prompts à manifester un anti-américanisme ravageur. Enfin Acheson allait céder la place à Dulles. Acheson accepta seulement de lancer une campagne de presse en faveur de la Haute Autorité de la CECA auprès des grands journalistes de Time, Newsweek, Life, Fortune pour marquer le chemin parcouru.
10Pour donner un avenir politique à l’Europe des Six, Monnet approuva l’élection au suffrage universel de l’Assemblée européenne. Il escomptait même organiser ces élections dans l’année 1953 (un député pour 500 000 citoyens). Alors le nouveau Parlement européen nommerait un exécutif ayant pouvoir sur la CECA et la CED. Il jugeait que les institutions créées pour la CECA et la CED (des exécutifs, une Cour de justice, une Assemblée commune) étaient suffisantes. Monnet n’était pas en phase avec les Hollandais qui voulaient des transferts précis de souveraineté dans le domaine économique général (plan Beyen de Marché commun), ni avec les Fédéralistes qui voulaient des transferts immédiats de souveraineté dans les domaines des Affaires Étrangères et des Finances et le droit pour le Parlement européen de décider de nouveaux transferts de souveraineté15. Monnet était plus réaliste que les « fous d’Europe » de l’Assemblée Ad Hoc. Le projet de la Commission constitutionnelle de l’Assemblée Ad Hoc le déçut. Teitgen comme Monnet et d’autres auraient voulu un papier court portant sur les principes essentiels d’une Communauté politique européenne, réaffirmant seulement la supranationalité16. Or le Conseil exécutif européen prévu par la Commission aurait été subordonné au Conseil des Ministres nationaux. Des compétences nouvelles de l’Union, comme l’économie par exemple, seraient exclues du champs de pouvoir du Conseil exécutif européen supranational17.
11A la fin de cette année 1952 si intéressante puisqu’elle a représenté l’acmé des constructions européennes supranationales, Monnet s’ingéniait à développer les formes d’unité supranationale imaginées en 1950. Était-il conscient que le développement d’une unité politique européenne pouvait gêner la politique américaine ? De son point de vue sûrement pas, car il ne concevait guère l’unité sans une profonde entente institutionnelle avec les Américains dans la Communauté Atlantique. Ne voyait-il pas qu’une unité politique de l’Europe des Six pouvait la conduire à définir ses intérêts autrement qu’à l’ombre de l’Amérique ? Cette possibilité ne l’effleura pas, tandis que les experts du Département d’État en étaient conscients. Ils insistaient plus sur l’Europe de la Défense que sur l’Europe politique. L’Atlantisme de Monnet n’était pas exactement celui de Washington.
II. Réévaluation de la politique européenne des États-Unis par Dulles
12Les difficultés pour créer une Autorité politique européenne et pour faire ratifier la CED incitèrent la nouvelle administration américaine à préciser sa politique d’intégration européenne au début de l’année 1953. La suppression des obstacles aux échanges prenait une place importante dans les motivations américaines en faveur de l’intégration européenne. L’administration américaine fit pression sur les Européens pour faire retirer du traité de CED les articles 13 et 107, que les Français n’aimaient pas18.
13Ces pressions américaines en faveur de la ratification de la CED pesèrent sur Mayer, nouveau Président du Conseil, quand il rendit visite à Eisenhower en mars 1953. Les six protocoles additionnels qu’il avait présentés le 12 février 1953 rendaient beaucoup plus difficile une ratification rapide du traité. Ces protocoles tendaient à affaiblir le caractère supranational du traité et à lui donner la fonction de contrôler l’Allemagne. Bruce jugeait que le gouvernement français ne savait pas bien ce qu’il voulait pour la CED et l’APE19. Il avait tout à fait raison. Le Président des États-Unis qui reçut Mayer à bord du M/S. Williamsburg l’avertit clairement que l’aide américaine à la France serait comptée si le gouvernement reportait le vote sur la CED. Mayer fît une profession de foi atlantiste à propos de la CED. De tels propos, qui allaient dans le sens de la politique américaine en Europe, étaient attendus20. Mayer espérait obtenir en échange davantage d’aide à l’Indochine et surtout la reconnaissance de la pérennité du rôle mondial de la France.
14Monnet refusait l’échec de la CED. Mais comment véritablement influencer les décisions ? Fallait-il insister sur une construction politique pour y subordonner la CED ? Monnet et ses amis américains de Paris ou de Luxembourg tentèrent de justifier la création de la CED et de la CPE par le danger allemand. Les généraux (allemands) de l’Armée européenne seraient sous direction politique. La réunification allemande, souhaitée et attendue, constituerait un danger que seule une communauté politique européenne pourrait éloigner dirent-ils. La seule solution était de réaliser l’intégration européenne sous une Autorité Supranationale21. Était-ce bien la pensée du Département d’État ? Mais Monnet se prit à douter des intentions américaines vis-à-vis de l’Allemagne. Des voix s’élevaient aux États-Unis pour promouvoir un réarmement unilatéral de l’Allemagne et un développement de l’industrie lourde allemande hors du contexte de l’unification européenne22. Le Département d’État, favorable à la CED, hésitait toujours sur le projet d’Union Politique.
15La colère contre les Français évita aux Américains de lever l’ambiguïté. Elle éclata quand il fut évident que l’Assemblée Nationale française et le gouvernement Laniel n’étaient pas disposés à ratifier le traité de CED ni à défendre les projets d’Autorité Politique Européenne. Les délibérations du Conseil des ministres français du 16 septembre 1953 sur la position française pour la conférence des Six à Rome furent connues de Monnet par un coup de téléphone de Teitgen puis de Maurice Schumann. Le cabinet, comprit-il, s’était prononcé pour un Exécutif européen supranational et pour l’élection immédiate d’un Parlement européen au suffrage universel23. Il est à peu près sûr que Monnet a informé ses amis américains auprès de la CECA. Mais il avait été, comme d’habitude, trop optimiste. Les anti-cédistes avaient gagné du terrain. La menace de démission de Paul Reynaud n’avait pas eu d’effets. Debré a même accusé W. Tomlinson et d’autres fonctionnaires d’avoir tenté d’acheter des députés français pour qu’ils votent en faveur de la CED et contre l’investiture de P. Mendès France24. C’est invérifiable. L’administration américaine soutenait désormais l’idée d’une CPE supranationale où l’exécutif aurait été responsable devant un Parlement élu au suffrage universel. Cependant proposer Monnet comme Président d’une conférence destinée à rédiger le projet du Traité d’APE témoignait d’un grand irréaliste25.
16La pression sur Laniel et Bidault s’amplifia aux Bermudes. Les mises en garde allèrent des plus simples aux plus solennelles. Le gouvernement français était morigéné comme un collégien fautif. Laniel n’avait rien compris de l’urgence de faire la CED, récriminaient les Américains. L’administration américaine se déclara prête à discuter avec les Français du niveau des troupes américaines en Europe si le Parlement français décidait de ratifier la CED au Printemps 195426. Le 5 décembre 1953, Eisenhower et Dulles, devant Bidault, Laniel, Alphand, Parodi et Roland de Margerie, plaidèrent intensément la cause de la CED, flattant et menaçant à la fois la France. Dulles dit qu’un échec de la CED entraînerait « une réévaluation complète de toute notre politique étrangère »27. Eisenhower ajouta même qu’il n’avait pas demandé au Premier ministre français et à M. Bidault « de faire une conférence sur l’importance de la CED », mais de surmonter les obstacles. Il était de l’intérêt de la France de préparer son avenir dans une institution européenne dès lors que les « prétentions françaises à être une grande puissance sont irréalistes... » ajoutait-on au Département d’État28. Ainsi donc, les espoirs français de redevenir une grande puissance s’effondreraient avec l’unité européenne. Cette équation était inacceptable pour les Français, alors qu’Eisenhower et Dulles étaient frappés par l’inconscience du gouvernement Laniel des dangers réels que courait le monde29. L’allié français n’était pas sûr.
17En conséquence une mise en garde solennelle de Dulles à la France fut rendue publique le 15 décembre 1953 lors d’une réunion de l’OTAN. Ces réactions des plus hauts responsables américains étaient liées à une analyse du danger soviétique en Europe et du danger communiste en général dans le monde. Dulles menaçait-il de réexaminer radicalement la politique européenne des États-Unis au point d’abandonner l’Europe continentale ? Au moment de quitter ses fonctions, W. Draper n’a pas cru nécessaire d’évoquer l’unité de l’Europe mais l’Alliance atlantique. La paix dans le monde serait maintenue par l’unité politique des Occidentaux au sein de l’OTAN, par l’équilibre économique entre l’Europe et l’Amérique et par la création d’une force capable de dissuader une agression soviétique30. L’unité européenne n’était plus prioritaire aux yeux des Américains, mais l’avait-elle jamais été ? A la faveur de la crise de la CED, l’administration américaine révélait le sens profond de sa politique européenne. L’unité européenne n’avait de sens que si elle servait les intérêts du monde occidental, exprimés par les États-Unis, dans le cadre de la confrontation Est-Ouest.
18Les pressions américaines continuèrent après les Bermudes selon des instructions très précises de Dulles31. Dans un télégramme du 16 février 1954, avant la visite à Washington du général Ely et de Pleven, Dulles expliquait ceci : les États-Unis ont tout fait pour faire comprendre aux Européens que la France avait un rôle de leadership en Europe continentale et qu’elle partageait la direction du Monde Libre avec les USA et la Grande-Bretagne. Cette dernière affirmation nous paraît fausse. Mais Dulles avertit aussitôt que si la France rejetait la CED « il serait impossible de maintenir la fiction que la France est capable du rôle de leadership dans les affaires mondiales et européennes ». En conséquence les États-Unis coordonneraient leur action avec les seuls Anglais comme durant la seconde guerre32. Il s’agissait donc d’un véritable avertissement que l’ambassade de Paris devait avoir en tête. Dulles demandait au Département d’État de faire délivrer cet avertissement par le Président Eisenhower à René Pleven. Lui même se chargerait de Bidault.
19En dépit de ces pressions, la CED fut rejetée et la CPE enterrée en 1954. Comment se comporter vis-à-vis de l’Europe après le rejet de la CED ? Le NSC consulté en septembre 1954 conseilla de poursuivre les mêmes objectifs qu’auparavant. La sécurité des États-Unis supposait la préservation et le développement de l’Europe de l’Ouest33. N’était-ce pas alors contester « l’agonizing reappraisal » qui n’était peut-être qu’un bluff médiocre de Dulles ? Ailleurs à Washington, on insistait sur le renforcement de l’Alliance atlantique sans références précises à l’unité européenne34. Mais les États-Unis se préparaient à intégrer l’Allemagne fédérale dans la défense atlantique en imaginant de signer avec elle et les Britanniques un nouveau pacte de défense mutuel. Un tel projet avait pour effet de faire pression sur les Français pour qu’ils acceptent l’entrée de la RFA dans l’OTAN. La méfiance franco-américaine se développa. Dulles évita soigneusement Paris lors d’un voyage en Europe. Dillon accusa Mendès France de soutenir une campagne de presse anti-américaine. L’ère du soupçon continuait35. Rapidement pourtant Dulles soutint la position de Mendès France sur l’Agence d’armements prévue dans le cadre de la nouvelle UEO. Il comprenait la nécessité d’établir un garde-fou contre l’Allemagne36. Dulles avait été troublé par l’échec de la CED, mais en dépit de ses menaces, il n’avait pas de politique de rechange. L’imagination n’était pas au pouvoir au Département d’État en matière d’intégration européenne. En effet ses conseillers recommandaient au Secrétaire d’État de défendre toutes les formes d’unité européenne existantes37. On rassemblait cette politique sous le terme d’intégration européenne, ce qui ne signifiait rien pour l’unité européenne, mais beaucoup pour la défense du monde occidental contre l’URSS.
20Était-ce la pensée de Monnet à ce moment-là ? Il est difficile de suivre les réactions de Monnet face à l’action de Dulles. Dans les Mémoires, Monnet parle de la nécessité d’organiser l’Europe unie, sans s’interroger sans cesse sur les réactions des Russes38. Est-ce une critique contre l’anticommunisme virulent de Dulles ? Monnet était opposé au neutralisme et il craignait l’Allemagne, mais il avait foi en la sagesse d’Adenauer. Monnet démissionna de la présidence de la Haute Autorité le 9 novembre 1954. Il le fît pour protester contre la politique nationaliste de Mendès France, lit-on dans des sources américaines39. Est-ce l’écho de ses confidences à ses amis américains ? Dans ses Mémoires il écrit : « Je n’accuserai personne en particulier, aucun homme n’était plus maître des événements lorsqu’arriva l’heure de vérité »40. Monnet souhaitait relancer l’unité européenne, il était plus libre de le faire hors de la Haute Autorité. Il est sûr que Monnet a voulu une APE et la CED. En revanche les Américains étaient davantage intéressés par une CED. Il y a là une différence d’approche entre Monnet et Dulles sur les questions d’intégration européenne qui traduit les divergences d’intérêt des États-Unis et de Monnet.
III. La Relance à la Monnet
21Neuf mois après le rejet de la CED, c’était la relance de Messine. La diplomatie américaine a été stupéfaite de ce nouveau départ. Les Américains ont pris conscience assez vite que Monnet y jouait un rôle essentiel et exprimé la crainte que le gouvernement d’Edgar Faure ne réduise à néant les efforts de Spaak et de Monnet. Ils ont suivi avec intérêt le « feuilleton » de la succession de Monnet à la tête de la Haute Autorité. Ils ont appris fin mars 1955 que Monnet était prêt à reprendre son poste de Président de la Haute Autorité en raison du renouveau de l’idée européenne41. Monnet a-t-il jugé bon de tester l’idée auprès de ses amis américains avant de la livrer aux gouvernements européens ? Monnet le leur confirma confidentiellement le 12 avril, ajoutant qu’il avait le soutien de Pinay et d’Adenauer. Il veut être sûr que les Six ont vraiment le désir de relancer l’intégration et de lui donner le mandat de le faire. Mais que savent les Américains et que disent-ils des 8 avant- projets Monnet-Uri du mémorandum des pays du Bénélux dont parle Pascal Fontaine ?42 Rien d’après les archives consultées. Ils ne sont pas intervenus dans la rédaction des textes préparés pour Messine.
22Le 2 avril 1955 Spaak relançait l’idée européenne auprès de Pinay, Adenauer et Martino. La réponse fut dilatoire. Les diplomates américains apprenaient le 12 avril, grâce aux confidences de Monnet au « réseau américain » de Luxembourg, que les Six étaient disposés à avancer sur la route de l’Europe unie, sous la forme d’un élargissement de la CECA à l’énergie pétrolière, à l’électricité, à l’atome civil et aux transports43. Ils ont approuvé les tentatives de relance sans exprimer de volonté particulière concernant les formes de l’unité européenne44. C’est une indication que seule leur importait une unité utile pour renforcer le bloc atlantique.
23Les tentatives de Monnet pour reprendre sa démission du poste de Président de la Haute Autorité s’expliquent certainement par sa volonté de diriger la relance, contrairement aux explications de J. Van Helmont45. Monnet a confié à Joseph Bech avant Messine qu’il était étonné du refus d’Edgar Faure d’appuyer son retour à la tête de la Haute Autorité46. Mais Monnet avait contre lui le patronat de l’industrie de l’acier, Kœnig et Palewski, gaullistes, membres du gouvernement47. En fait cela signifiait que la relance ne se ferait pas dans la forme de la CECA ou de la CED. Monnet aurait-il encore du poids dans les négociations pour imposer la supranationalité ?
24Les Américains ont pris conscience que la relance se présentait autrement que par le passé à la suite des premiers compte-rendus sur Messine. Les questions atomiques avaient pris une importance de premier ordre48. Les Français avaient demandé aux Belges de mettre en pool européen leur réserve d’uranium du Congo. Mais les contours de la relance n’étaient pas encore bien définis. Monnet profita du succès de Messine pour populariser ses idées sur les formes de la relance européenne par la presse et ses réseaux personnels. Dans un long article du 15 juin 1955, publié par le New York Times, il défendit l’idée d’une délégation de souveraineté des Six à une Autorité commune dans les seuls domaines de l’énergie atomique et du Marché commun. Un conseil des Ministres « coordonnerait les politiques qui restent une prérogative nationale avec l’action fédérale européenne ». Il voyait dans l’association de la Grande-Bretagne avec la CECA à la fin de l’année 1954 le début d’un mouvement vers les États-Unis d’Europe49, « Monnet Appeals for a “United States of Europe” ». Le terme plaisait aux Américains. Monnet était en accord avec Dulles qui demandait à ses ambassadeurs en Europe occidentale « d’encourager et de soutenir les Allemands et les autres Européens défendant de telles vues »50. Mais l’ambiguïté demeurait à propos du degré d’autonomie de cette Europe unie dans l’Alliance atlantique.
25Le développement des négociations sous la direction de Spaak fit comprendre aux Américains que les Français espéraient bien accéder à l’uranium belge grâce à ce pool atomique européen dont on parlait tant51. Ils espéraient aussi obtenir communication des informations techniques américaines encore classifiées et enserrer dans le filet européen les efforts allemands de développement atomique52. Brusquement les Américains se sentirent concernés par les formes de l’unité européenne en discussion. Fallait-il laisser se développer une Europe capable de mettre en cause le monopole atomique américain ?
26Monnet n’entrait pas encore dans ce débat, mais il devait nécessairement en avoir connaissance. Il préféra créer une structure spécifique d’action en faveur de l’unité européenne, un comité Monnet comme dit Dillon, le fameux Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe que Dulles fut invité à soutenir53. Monnet rencontra Dulles à l’ambassade américaine de Paris le 25 octobre 1955. Il défendit les projets de pool atomique, en argumentant sur le danger allemand. Il expliqua à Dulles que les industriels allemands tentaient de réserver le domaine atomique à l’industrie privée. Il trouvait cela dangereux, d’autant plus qu’il les croyait capables de coopérer avec les États-Unis. Dulles le rassura, affirmant que les USA étaient désireux de soutenir une Agence européenne. Mais tout dépendait aussi des formes de cette Agence54. On pouvait donc compter sur un soutien de Dulles à des institutions européennes capables de contrôler l’Allemagne, ce que Monnet désirait. Mais le soutien américain dépendrait de la structure, des pouvoirs et des objectifs de la nouvelle Agence atomique européenne. Ils attendaient que cette Agence soit dotée d’une Autorité qui conduise l’Europe à l’intégration. En ce cas le gouvernement américain serait disposé à engager le Congrès dans une action de coopération incluant la livraison de matériaux atomiques55. Lors d’une autre rencontre avec Monnet, le 16 novembre 1955 à Genève, le Secrétaire d’État l’encouragea à poursuivre l’intégration européenne y compris par une Euratom. Il savait Adenauer et Von Brentano favorables à une agence supranationale56.
27En conséquence le Département d’État commença à définir avec l’Atomic Energy Commission (AEC) de l’Amiral Lewis Strauss la politique américaine d’intégration atomique européenne. Plusieurs pistes étaient envisagées : contribution à la création d’une usine de séparation isotopique, livraisons d’U 235 américain aux Européens. La première piste se révélait dangereuse. Elle risquait de rendre les Européens indépendants des Américains. La technologie atomique américaine pouvait éventuellement tomber aux mains de la subversion communiste, tel était l’argument retenu pour repousser la divulgation des connaissances en matière de concentration d’uranium. Des questions importantes surgirent : les Allemands n’exigeront-ils pas des Français le droit de détenir et de fabriquer des armes nucléaires si les Français en ont ? Devait-on partager l’uranium du Congo avec les Européens ? Les formes de l’unité européenne, telles qu’elles se profilaient en décembre 1955 étaient complexes. Elles n’avaient plus la simplicité de la défunte CED. Une interrogation revenait encore, écho des préoccupations du PPS de septembre 1932 : « L’objectif d’une organisation supranationale pour l’énergie atomique est-il si important pour les USA qu’ils en payent le prix fort pour la créer ? »57. Il y a donc une différence entre les pétitions de principe de Dulles en faveur d’une Euratom à la Monnet et la réalité du dossier étudié par le Département d’État ou dans les ministères français et allemands. Cependant on ne peut douter que Dulles et Monnet se sont retrouvés pour appuyer la création d’une Euratom aux contours encore flous. Sans cette volonté initiale d’avancer qui est le privilège des hommes d’action, il n’y aurait pas eu d’Euratom ni, par ricochet, de Marché commun.
IV. Échec de l’Euratom de Monnet et des Américains
28Face à la relance européenne, le Département d’État restait plus prudent que le Secrétaire d’État. Eisenhower affirma sa confiance dans l’unité européenne devant le National Security Council (NSC) le 21 novembre 1955. Les services américains développaient l’idée que plus Euratom serait supranationale, mieux ce serait. En revanche les diplomates américains en Europe expliquaient que cela diminuerait les chances d’une ratification58. Où étaient les intérêts américains dans cette affaire ? Sûrement pas dans un développement national de l’usage du nucléaire par les Européens. Dulles vit les leaders européens ainsi que Monnet fin décembre 1955 à Paris. Il donna son appui et celui du Président aux gouvernements pour l’achèvement de l’unité européenne selon les termes suivants : arrimage de l’Allemagne à l’Ouest, construction d’une structure d’intégration atomique en Europe capable de contrôler l’usage des matériaux nucléaires. Dulles n’excluait pas cependant d’organiser une Europe atomique plus large par l’OECE59. Il salua le rôle éminent de Jean Monnet et de P-H Spaak dans cette nouvelle aventure de l’unité. Bref, l’avenir de l’union européenne paraissait très prometteur en ce début de janvier 1956. Dulles croyait encore à la vertu de l’unité par secteur, sous l’effet de son propre jugement, mais, n’en doutons pas, sous l’influence aussi de Jean Monnet et du CAEUE. Il partageait avec Monnet et d’autres la certitude que l’énergie atomique offrait le moyen adéquat pour mener à bien l’unité européenne, sous certaines réserves.
29Il est difficile de repérer l’influence que Dulles a exercée sur Monnet et réciproquement dans les négociations des Traités de Rome. Elles représentaient pour Dulles le début des « États-Unis d’Europe » comme il l’écrivait à Eisenhower le 9 janvier 1956. Il demanda au Président de donner ordre à l’AEC et au Département d’État de commencer des études sur le soutien américain à cette communauté européenne atomique60. Eisenhower en fut d’accord. Monnet donnait le ton sur les futures institutions le 18 janvier 1956. Mais quand le CAEUE proposa de faire voter par les Parlements des Six une résolution en faveur de l’intégration atomique pacifique et supranationale, l’ambassade américaine de Paris fut réticente. Les projets de Monnet et du CAEUE impliquaient l’abandon par Euratom de la production d’armes nucléaires ce qui n’était pas prévu par le rapport originel de Bruxelles. Ils définissaient une autorité supranationale et un marché commun dans le domaine atomique. Pour assurer le succès de cette future autorité atomique européenne, Monnet exerça des pressions constantes sur l’ambassade pour que les États-Unis ne concluent pas d’arrangement bilatéral sur les transferts de technologie nucléaires civiles en particulier avec l’Allemagne ou avec la France. Monnet demanda aux États-Unis de revoir leur accord bilatéral avec la Belgique sur la fourniture d’uranium et le partage des connaissances techniques. Il était inimaginable de créer une Europe atomique dans laquelle l’un des membres aurait une situation particulière vis-à-vis des États-Unis.
30Réagissant aux projets de Monnet, les diplomates américains en poste à Paris affirmèrent qu’ils voyaient mal les puissances européennes renoncer ensemble à la fabrication des armes atomiques. Pour préserver les intérêts des États-Unis, ils conseillèrent de s’assurer du contrôle des matériaux fissiles et d’offrir en échange aux Européens les informations disponibles pour la fabrication de produits nucléaires61. Sans le dire ainsi, il s’agissait d’une fabrication sous licence d’armes nucléaires américaines. Ils prenaient conscience aussi des réactions dépitées des Allemands face au succès du Pool atomique, alors que le Marché commun les motivait davantage62. Or Dulles venait d’écrire : « Les États-Unis n’attachent pas aux propositions de Marché commun la même signification politique et de sécurité immédiate que pour Euratom »63. Dulles et Monnet marchaient ensemble pour une Euratom encore mal définie.
31Une réunion au plus haut niveau rassemblant Dulles et les gens de l’AEC autour de l’Amiral Lewis L. Strauss avec leurs collaborateurs se tint le 25 janvier 1956. L’Amiral Lewis L. Strauss, directeur de l’AEC, ne partageait pas l’ardeur pro européenne de Dulles. Il avait rencontré Monnet à Genève en août 1955 et n’avait pas été convaincu. Strauss s’était même demandé si Monnet n’agissait pas pour se refaire une santé politique. La thèse d’un Monnet ambitieux par carriérisme est à écarter. Mais cette réaction de L. Strauss apporte la preuve que les idées de Dulles et de Monnet en faveur de l’intégration européenne n’étaient pas partagées par des secteurs importants de l’Administration américaine. Strauss était avant tout sensible aux risques de dissémination des matériaux nucléaires et des armes atomiques. Il savait bien que les Français voulaient produire des armes atomiques et l’industrie allemande développer les applications civiles du nucléaire ce qui ferait naître des tensions franco-allemandes. Ces éléments d’appréciation et non pas le désir de complaire à Monnet avaient empêché les États-Unis de signer avec la France et l’Allemagne un accord bilatéral sur le nucléaire. Pour réduire le risque de dissémination, Merchant et Bowie appuyaient la création d’une institution supranationale de type CECA. De plus, comme dans le domaine des industries lourdes, la rivalité franco-allemande dans le nucléaire entrait dans la réflexion des Américains pour justifier la création d’institutions européennes supranationales. L’Amiral Strauss et ses collaborateurs découvrirent d’ailleurs que la CECA avait ce caractère, six ans après la déclaration Schuman ! Bowie leur dit aussi combien les Européens désiraient être indépendants dans le domaine atomique et combien ils désiraient la construction d’une usine de séparation isotopique. Mais sur ce point les services américains formulèrent clairement leur opposition à la production d’armes atomiques par les Européens64.
32Euratom sera donc une institution pacifique, privant les États européens d’armes nucléaires ! Monnet le désirait, tout comme l’intérêt américain le commandait. Mais l’ambassadeur américain à Paris, Douglas Dillon, confirma que « les Français ont déjà ou sont sur le point d’avoir la capacité de fabriquer des armes atomiques et c’est seulement à ce propos que leur position est présentement plus favorable que celle des Allemands ». Le Département d’État comprit très vite que Debré, Juin et Weygand s’opposeront vigoureusement à la proposition Monnet d’Euratom pacifique. Insister serait conduire Euratom à l’échec et faire naître une tempête anti-américaine en France. Dillon s’était montré fin connaisseur des Français. Il proposa implicitement de sacrifier l’unité d’action des Américains avec Monnet pour prendre prudemment en considération la position des Français65. Il ne fut pas immédiatement suivi par Dulles qui encouragea en février le CAEUE de Monnet à être l’interlocuteur privilégié des États-Unis en Europe comme s’il pouvait parler officieusement au nom des Six !66
33Le 4 février 1956, Christian Pineau, Ministre français des Affaires Étrangères, informait Dillon que les armées françaises n’étaient pas prêtes à renoncer à l’usage des armes nucléaires67. Il confirmait les tendances pressenties antérieurement. Monnet se rendit compte qu’une renonciation à l’armement atomique était trop risqué. Il tenta alors d’en réserver l’usage à Euratom seule68. Ce n’était pas la position du CAEUE du 18 janvier qui stipulait un usage strictement pacifique de l’atome. Devant le comité intergouvernemental de Bruxelles, Uri et Armand proposèrent une renonciation « à l’usage unilatéral de l’énergie nucléaire pour des objectifs militaires » par les pays membres, ce qui pouvait ouvrir la voie à une sorte de CED nucléaire. Monnet vit Dillon le 6 février. Il plaida encore pour la paix et un abandon unilatéral de la construction des armes atomiques par l’Europe, mais il le dissuada d’exercer une quelconque pression sur les Six en ce sens, comme si Dillon y était disposé. En revanche il espérait encore que les Français renonceraient d’eux-mêmes, alors que Dillon n’y croyait plus69. Le « plan Monnet » d’Europe atomique pacifique était attaqué aussi par Franz-Joseph Strauss, le ministre allemand des Questions Atomiques puis de la Défense. La déclaration de Paris du CAEUE du 18 janvier signifiait à ses yeux la neutralisation de l’Europe. Strauss comparait d’ailleurs le projet Monnet à un livre de prières qui aurait contenu de la pornographie et des « dirty jokes » ! L’interdiction de produire des armes atomiques aurait pour effet de placer l’Europe « de façon permanente dans la position d’un vassal militaire de seconde classe des États-Unis et de la Grande-Bretagne ». F.-J. Strauss s’opposa aussi à Monnet sur le rôle de l’Autorité atomique. Il lui déniait le droit de propriété des licences (patents) à finalité atomique. Strauss accusa le « plan Monnet » d’être un complot socialiste destiné à garder l’industrie atomique allemande sous contrôle70. En somme, F.-J. Strauss était contre une Euratom pacifique parce que l’Europe se verrait privée d’armes atomiques et parce que le Marché commun n’avançait pas.
34Peu ou prou, par divers canaux, le Département d’État et Jean Monnet apprenaient au début de février 1956 que tous les gouvernements des Six s’opposeraient à une renonciation unilatérale à la fabrication des armes atomiques par Euratom. Toutes ces informations ont incontestablement contraint le Département d’État à la prudence à propos du caractère pacifique d’Euratom. D’un autre côté les Américains ne pouvaient pas oublier les conséquences d’une fabrication nationale de plutonium ou d’uranium 235 en Europe. Peut-être faudrait-il se résigner à voir des armes atomiques en Europe ? Mais qu’au moins les États-Unis contrôlent les matériaux fissiles comme l’U 235 utilisés en Europe ! L’offre d’Eisenhower de 20 tonnes d’U 235 à des fins pacifiques du 22 février 1956 répondait à cet objectif. Le Conseil des Ministres des Six réuni à Bruxelles en février 1956 refusa de renoncer aux armes atomiques. Christian Pineau avait déclaré qu’il faisait une réserve sur la formule de Spaak favorable à une renonciation unilatérale à l’usage de l’énergie nucléaire à des fins militaires. Les Français avaient parlé d’un moratoire de quelques années sur la fabrication d’armes atomiques espérant qu’un accord général de désarmement serait signé71. Il est difficile d’apprécier la sincérité d’une telle proposition. Toutefois elle était bien dans l’esprit de la politique de Guy Mollet. Joseph Bech insista pour ne pas exclure les applications militaires de l’Europe atomique. Les Six ne renonçaient ni à la production de moteurs atomiques pour navires et avions ni même à celle d’armes atomiques de « caractère opérationnel », ce qui ne faisait pas beaucoup de différence avec les armes de destruction massive72. Malgré cette évolution des Six, Monnet resta encore accroché à l’idée d’une Euratom pacifique. Il le redit à Dillon le 17 février. Il crut pouvoir convaincre Mollet contre Pineau73. Toutefois, le 1er mars, il informait l’ambassade américaine de Paris qu’il renonçait à la clause de non fabrication des armes nucléaires par Euratom. Il proposait un moratoire de 8 ans sur la fabrication de telles armes à la demande de Bowie, pour inciter les socialistes allemands à soutenir Euratom74. L’ambassade américaine fut soulagée du recul de Monnet, car après tout l’autorité atomique européenne pourrait toujours contrôler l’usage militaire des matériaux fissiles. Elle empêcherait l’aventure atomique militaire nationale en Europe et contiendrait les Français. La décision des Six ruinait les efforts de Monnet et du CAEUE. Monnet avait entamé son crédit auprès de Dulles.
35A la veille de la présentation par Uri, Van der Grœben, Hupperts et Guazzugli du rapport final sur le Marché commun et l’Euratom, la question de la propriété des matériaux fissiles distribués par Euratom n’avait pas été tranchée. Les Français penchaient pour la location, Euratom restant propriétaire, les Allemands pour la vente. Celle de la production d’armes atomiques n’était pas claire. Les chefs de délégation avaient parlé de bannir la production d’armes atomiques par Euratom et par les nations elles-mêmes pendant 5 ans environ. Au-delà, la production serait possible si 3 membres de la communauté atomique européenne donnaient leur accord. Cependant devant les difficultés d’accorder tout le monde sur les différents usages de l’énergie nucléaire, Spaak envoya une lettre aux ministres des Affaires Etrangères les informant que la discussion restait ouverte. La construction d’une Europe atomique n’était pas aussi simple que Monnet le pensait. Dulles et le Département d’État devraient s’accommoder des dérapages récents. Les Américains souhaitaient la Relance pour retenir l’Allemagne à l’Ouest et développer la viabilité de l’Alliance Atlantique. Ils voulaient, afin de rendre cohérente l’Alliance, créer une Autorité centrale supranationale en Europe qu’ils pensaient pouvoir contrôler. Euratom devait nécessairement avoir autorité sur le matériau fissile sinon en avoir la pleine propriété. Ils repoussaient l’idée que les États européens puissent se procurer des matériaux fissiles en dehors d’Euratom. Dulles était opposé à la production d’armes atomiques par Euratom ou par une nation européenne, mais il affirma ne pas vouloir trancher en considération de la position française. Sa générosité résultait d’une juste appréciation des rapports de forces en Europe. Il savait bien que refuser à l’Europe atomique le droit de développer des armes atomiques aurait compromis l’intégration européenne, car il ne croyait pas au caractère intégrateur du Marché commun75.
36Les Américains furent heureusement surpris des positions françaises lors de la conférence de Venise, puisque le gouvernement Mollet avait accepté les rapports sur Euratom et le Marché commun comme bases des négociations. Pourtant, un doute s’insinua. Les Français voulaient-ils vraiment de nouvelles constructions européennes ? Ils remarquèrent les nouvelles exigences de Pineau sur une Eurafrica. Ils remarquèrent aussi que « les “ultra-européens” hors du gouvernement, tels que Teitgen ou Jean Monnet lui-même, ont concentré leurs efforts sur le projet à court terme d’Euratom et n’ont pas essayé de se coltiner à préparer une bonne présentation du Marché commun à l’opinion publique française »76. Mais ils confirmèrent qu’ils n’étaient plus opposés à la fabrication d’armes atomiques par l’Europe77, non pas qu’ils approuvassent, mais ils gardaient l’espoir qu’Euratom ou l’AEC contrôleraient l’emploi des matériaux nucléaires (d’origine américaine). Ainsi ils espéraient pouvoir interdire ou permettre en dernier ressort cette fabrication. S’ils modifièrent leur position de principe, il le firent sans doute sur la foi d’informations prétendant que les Français ne seraient pas en état de construire des armes atomiques. S’agissait-il d’une désinformation volontaire de la part des Français ? Il est impossible de l’affirmer. Louis Armand avait seulement dit à ses interlocuteurs américains que « les Français renonceraient à la construction des bombes dans les deux ou trois ans »78. Fort du succès de Guy Mollet devant l’Assemblée Nationale dans l’été 1956 sur la poursuite des négociations d’Euratom, Monnet soutint les positions du gouvernement français sur l’intégration atomique européenne tout en ignorant les ambitions françaises concernant les armes nucléaires. Il rassura Dulles affirmant péremptoirement « que le programme militaire atomique français est un mythe »79. Euratom pouvait être construite désormais, sans que la question des ambitions nucléaires françaises ait été vraiment posée.
37La forme institutionnelle d’Euratom n’avait pas été définie à Venise, alors que le principe d’un abandon unilatéral de la fabrication des armes nucléaires en Europe avait été rejeté. Restaient en suspens les questions des pouvoirs d’Euratom sur le commerce des matériaux nucléaires, sur leur propriété, et sur le rôle que l’institution européenne pourrait jouer dans la fabrication des armes nucléaires ou à défaut sur le contrôle qu’elle pourrait exercer sur les industries nationales. Bien entendu il fallait aussi préciser la façon dont Euratom organiserait la recherche dans les domaines civils de l’énergie nucléaire et comment elle contrôlerait les usages civils des matériaux fissiles. En septembre 1956 la négociation connaissait des jours délicats en raison de l’opposition entre Français et Allemands sur le rôle de l’Euratom. Les Allemands refusaient qu’Euratom dispose du monopole de la fourniture et de la propriété des matériaux fissiles. Les Français pour des raisons de sécurité et sans doute aussi par peur d’une concurrence de l’industrie nucléaire allemande en étaient partisans. De plus les Allemands suspectaient les Français d’ignorer le Marché commun auquel les Allemands tenaient et qui, de plus, refusaient d’acheter des minerais d’uranium français trop chers par rapport aux prix mondiaux80. F. Joseph Strauss croyait voir, encore et toujours, le complot des socialistes (allemands), de Mollet, Spaak et Monnet dans cette organisation européenne centralisatrice ! De plus les Allemands contestaient fortement les requêtes françaises concernant la législation sociale du Marché commun, demandes « déraisonnables et arbitraires », dirent-il, telles que l’introduction de la semaine de 40 heures comme référence de base, l’égalité des salaires masculins et féminins, le paiement de vacances pour tous les travailleurs. La négociation était donc en crise en septembre 1956.
38Ces polémiques ont inquiété Dulles qui demanda à ses ambassadeurs de réagir officieusement. Il fît préparer une intervention discrète en direction d’Adenauer81. Aucun transfert de matériau ne serait possible des États-Unis vers Euratom si les États-Unis ne pouvaient en conserver la propriété82. Dulles n’entendait pas laisser l’U 235 vagabonder librement en Europe. Monnet s’est chargé de porter le message à Adenauer. Il lui a demandé de réviser l’attitude allemande sur Euratom au nom de l’intégration européenne. Adenauer était personnellement convaincu, encore fallait-il qu’il puisse réellement démentir les prises de positions antérieures de membres éminents de son Cabinet83. Monnet n’a pas eu tout le succès escompté et il a été déçu par Von Brentano. Il en profita pour protester contre l’idée du moratoire de 5 ans, car à son terme Euratom cesserait d’être propriétaire des matériaux fissiles. L’intégration européenne serait affadie84. Monnet avait raison de s’inquiéter.
39Les propositions françaises pour la rencontre des Six de la Celle-Saint-Cloud en octobre 1956 s’articulaient autour du moratoire. Il n’y aurait pas d’explosion atomique non contrôlée par l’Europe dans les 4 ans à venir ; la poursuite des recherches sur les moteurs atomiques serait autorisée ; au bout de 4 ans chaque pays européen aurait le droit de faire des expérimentations nucléaires à des fins militaires sous réserve de consulter ses partenaires85. A notre avis l’avantage pour les Français était le suivant. Ils conservaient le droit d’utiliser pleinement le plutonium de Marcoule et de développer l’industrialisation d’un programme nucléaire militaire de façon à pouvoir tester les bombes au bout de 4 ans. Réagissant à ces informations les Américains affirmèrent qu’ils ne voulaient pas se mêler de cette histoire. Us laissaient les Européens décider de leur avenir atomique militaire.
40La rencontre entre Mollet et Adenauer le 6 novembre 1956, en pleine crise de Suez, résolut les problèmes franco-allemands et ouvrit la voie à la rédaction d’un traité d’Euratom et de Marché commun. Les Allemands acceptèrent le monopole d’Euratom sur la propriété des matériaux fissiles, sauf en cas de hauts prix et de pénurie. On s’accorda pour permettre à la France de développer des armes atomiques et procéder à une explosion dans les 4 ans à venir, mais sous le contrôle de la Communauté européenne. Un accord sur la politique sociale dans la future CEE fut trouvé. L’accord entre Mollet et Adenauer a été facilité par l’annonce d’un soi-disant plan Radford qui aurait entraîné une diminution du nombre de soldats américains en RFA. L’Europe était pour le Chancelier la réponse aux risques de désengagement américain en Europe86. Allait-on vers une entente atomique militaire franco-allemande ? La question ne peut être ignorée même si les archives américaines consultées ne sont pas déterminantes. Un document du National Security Council du 30 septembre 1957 y fait allusion de la manière suivante87 : « En l’absence d’alternatives acceptables, telles qu’un accord de désarmement prochain ou un accès satisfaisant à des armes nucléaires d’autres sources, la France s’engagera presque certainement dans la fabrication d’armes nucléaires, en possible collaboration avec l’Allemagne »88. La rencontre du 6 novembre avait manifesté le souci d’Adenauer de renforcer les moyens propres de l’Europe pour assurer sa sécurité. Si les accords de Paris interdisaient à l’Allemagne de produire sur son sol des armes ABC rien ne lui interdisait d’en produire ailleurs ou en collaboration ou d’en détenir, fournies par un pays tiers ami. A l’automne 1956 l’Europe se construisait sur le couple franco-allemand, une Europe peut-être dotée d’armes nucléaires européennes. On était déjà loin des résolutions du CAEUE.
41Le dénouement relativement heureux de la négociation franco-allemande, les événements de Suez, conduisirent Monnet à souffler aux Américains une stratégie profitable à tous. Il leur demanda de proposer une aide technique massive à Euratom, mais surtout de confier les procédures de contrôle aux Européens et de modifier en conséquence la législation américaine89. Dillon écrivit à Dulles une lettre personnelle dans laquelle il lui suggéra de reconquérir en France et en Europe le prestige perdu des États-Unis après Suez en apportant à Euratom le soutien enthousiaste des États-Unis90. C’est pourquoi Monnet insista pour que les trois Sages chargés de définir les possibilités de développement de l’énergie atomique en Europe, Armand, Etzel, Giordani, soient reçus le plus rapidement possible par le Département d’État comme des représentants officiels de l’Europe. Dillon approuva chaleureusement cette nouvelle idée de Monnet auprès de Dulles91 . La question du contrôle de l’usage des matériaux fissiles importés des États-Unis était essentielle. Monnet, mais aussi Butterworth, l’ambassadeur américain auprès de la CECA, avertirent le Département d’État que si les Américains devaient contrôler eux-mêmes les matériaux importés, le traité échouerait. Monnet a suggéré que les Européens et les Américains acceptent la juridiction d’un tiers en cas de conflit. Résoudre le problème des contrôles renforcerait la position américaine en Europe à un moment très délicat pour les relations franco-américaines et même européo-américaines.
42La question des négociations bilatérales avec les États-Unis resurgit quand le CEA fît sentir à Guy Mollet qu’il était dangereux que de telles négociations se développent entre les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie et pas avec la France. En juillet 1956 en effet les Italiens désiraient la livraison de 5 tonnes d’U 235 américain et les Allemands avaient demandé en mai 1956 l’ouverture de négociations bilatérales pour leur programme nucléaire. Le 12 décembre 1956 ils voulaient négocier un accord pour un programme de réacteurs de technologie encore classifiée. Or l’AEC se disposait à négocier bilatéralement avec l’Allemagne. La France avait entre-temps signé un accord bilatéral avec les États-Unis concernant la livraison de 40 kg de matériaux fissiles pour un réacteur de recherche. Il fut mis en application le 20 novembre 1956. Un élargissement de l’accord avait été demandé en octobre pour un réacteur plus puissant, de technologie classifiée. L’ambassade française aux États-Unis avait d’ailleurs commencé des négociations sans en référer au gouvernement qui les fît stopper au début janvier 1957 pour donner toutes ses chances aux traités92. Dulles cependant demanda aux Six de s’entendre préalablement avant toute démarche bilatérale et de prendre en considération le projet d’Euratom. Monnet n’était pas satisfait, bien que Dulles aille dans son sens, car il persistait à repousser absolument tout accord bilatéral. Dulles le renvoya à Adenauer pour en discuter, ce qui pouvait signifier qu’il s’en désintéressait. Dulles consentit seulement à ralentir l’élaboration d’un accord bilatéral avec l’Allemagne pendant une semaine. Monnet revit encore une fois Dulles le 18 janvier 1957 après avoir rencontré l’Amiral Strauss. Il lui avait expliqué ce qu’était Euratom lors d’un dîner de 7 heures à minuit. Il chercha à le convaincre de signer un accord avec Euratom (en gestation) plutôt qu’avec la seule Allemagne. Monnet estima qu’il avait convaincu Strauss de retarder la signature des accords bilatéraux93. Les administrations américaines ont partagé l’idée que céder aux Allemands serait dangereux pour les négociations sur les traités. Un compromis d’origine française fut offert aux Allemands et aux Italiens de poursuivre bilatéralement les négociations avec les États-Unis et de déclarer que les dispositions arrêtées bilatéralement seraient reprises par Euratom. Les Français avaient peur d’être « doublés » par l’Allemagne auprès des États-Unis.
43Pendant ce temps les militaires français faisaient pression sur le gouvernement pour obtenir davantage de liberté pour la fabrication des armes atomiques dans le cadre d’Euratom. La raison donnée était en rapport avec les menaces pesant sur la France et l’Europe à la suite de l’échec de Suez. C’est sans doute à la suite de ces pressions internes que le gouvernement français évolua sur la question de la propriété des matériaux fissiles par Euratom. Il n’y était plus autant intéressé qu’auparavant, mais il était délicat de se déjuger face aux Allemands. Maurice Faure voulait priver les opposants à Euratom d’un argument selon lequel les armes atomiques françaises seraient de fait la propriété d’Euratom si l’organisation avait la propriété du matériau fissile. Il ne fallait pas recréer une CED atomique. Aussi, début 1957, les Français ont demandé à leurs partenaires que les matières fissiles de leurs armes soient propriété française. Les Américains crurent qu’il y avait eu compromis entre les Français et les Allemands94. Ils marquèrent leur déception, car les Allemands seraient alors fondés à exiger la propriété privée ou au moins la propriété nationale des matériaux fissiles utilisés en Europe. Euratom en sortirait affaiblie. La sécurité de l’exploitation des matériaux fissiles n’était plus assurée. Butterworth à Luxembourg suggéra que les Français continuent de défendre la propriété d’Euratom sur les matières fissiles jusqu’au moment où elles seraient transformées en armes atomiques95. Spaak soutint Mollet à Washington dans cette affaire, parce que, dit-il, tant que Mollet sera au gouvernement il n’y aura pas « d’atomic weapons business ». En dépit des risques inhérents à la propriété nationale des matériaux fissiles à usage militaire en Europe, Dulles n’exclut pas de coopérer avec Euratom car il pouvait croire encore que le programme français d’armements atomiques, ─ ou un programme franco-allemand –, serait contrôlé par l’UEO. Une occasion se présenta de tester la bonne volonté de Dulles envers Euratom : la révision de l’accord bilatéral américano-belge. L’uranium du Congo pourrait-il prendre la route de l’Europe ? La première réponse de Dulles et de Strauss fut encourageante. L’AEC répondit que les États-Unis étaient prêts à coopérer avec Euratom si celle ci s’assurait que les matériaux fissiles n’avaient pas de destination militaire. Belgique et AEC acceptaient que 550 tonnes d’uranium naturel soient mises à la disposition d’Euratom au 1er juillet 195896.
44Finalement les dispositions retenues pour Euratom ont paru satisfaire les États-Unis tant au niveau des contrôles que du fonctionnement de la Commission. Le traité ne contint plus de limites au droit de fabriquer des armements atomiques. L’organisation mit en commun les ressources nucléaires à des fins pacifiques97. Euratom aurait dû exercer son contrôle sur toutes les matières fissiles, y compris celles destinées aux armes, jusqu’au moment où elles entraient dans les ateliers destinés à les transformer en armes98. En février 1957 la presse française, sûrement orientée, annonça que la France pourrait produire des armes atomiques avant 18 mois, soit août 1958. Ce fut début 1960. Les Américains pensaient non sans raison que la production française d’armes atomiques pourrait se faire avec l’aide des Allemands99. Les États-Unis n’avaient pu forcer la France et les Européens à renoncer à des armes nucléaires d’origine européenne. Derrière la crainte de la dissémination, il y avait celle de la contestation de la direction américaine du monde occidental. Mais les Américains se rassuraient, jamais les Français ne parviendraient à un niveau crédible de puissance nucléaire militaire.
V. Le soutien de Monnet et des Américains aux Traités
45Les traités de Rome une fois signés, les États-Unis ont décidé de soutenir leur ratification. Monnet aussi. Euratom contribuait d’une façon décisive à l’unité et au renforcement de l’Alliance atlantique. Elle permettait la création d’une industrie atomique civile au bénéfice mutuel des Européens et des Américains. Le problème de la dissémination des matériaux nucléaires était traité par une institution européenne, en dépit de la possibilité offerte de construire des armes nucléaires. L’enthousiasme était moins évident à propos du Marché commun. Certes il faisait partie des objectifs américains mais il posait d’importants problèmes de relations commerciales avec les pays tiers dont aurait à connaître le GATT100.
46Euratom prit un mauvais départ pour les intégrationnistes. En août 1957 l’Assemblée Nationale française votait la seconde loi de programmation nucléaire de 5 ans. 500 millions de francs étaient attribués aux activités de la France dans Euratom sur un ensemble de crédits atteignant environ FF 50 milliards sur 5 ans. Le gouvernement français avait choisi de développer un programme nucléaire national civil et militaire. L’accord bilatéral franco-américain du 3 juillet 1957 procurerait 2,5 tonnes d’U 235 pour les recherches françaises, mais manifestement il ne répondait pas aux ambitions françaises. La question des armes atomiques françaises était dans tous les esprits sans jamais être posée sur la place publique. Or à quoi pouvaient bien servir les réacteurs de Marcoule et l’usine chimique sinon à développer un programme militaire ? Le gouvernement Guy Mollet avait empêché Euratom de bloquer la recherche de puissance nationale par la réalisation d’un programme nucléaire militaire français. Son successeur cherchait maintenant à obtenir d’Euratom la construction d’une usine de séparation isotopique permettant de disposer d’uranium 235 (usage pacifique et militaire). Bientôt, devant l’évidence que les Français se préparaient à produire des armes atomiques, les Américains tentèrent de décourager leur production en en proposant à leurs Alliés de l’OTAN101. Mais les conditions n’étaient pas précisées encore.
47En dépit de ce climat délétère pour Euratom, les Américains ont continué de soutenir l’organisation européenne. Ils y étaient encouragés par Monnet qui estimait illusoire l’espoir des Français de voir Euratom construire une usine de séparation isotopique. Il avait raison et cela réjouissait les Américains. De plus il ne croyait pas à la capacité française de mener la construction de cette usine sur une base nationale faute de ressources financières. Il se trompait lourdement102. En fait Monnet voyait s’écrouler son projet d’Euratom pacifique et d’intégration européenne par l’usage commun de l’atome. Il déplorait, impuissant, le développement du nationalisme atomique et militaire français. Il refusait de voir son échec en déniant à la France la possibilité de réussir le développement d’un programme militaire nucléaire. Il estima que la France ne réussirait probablement pas à devenir une « puissance militaire majeure ». Mais surtout il prêtait d’étranges intentions aux gouvernants français, d’après les Américains, estimant que la France dotée de l’arme nucléaire serait « moins prudente à manier des jouets dangereux que les Américains et les Russes ne l’avaient été ». Monnet a été incapable de mesurer l’impact des forces nationales sur ses projets. C’est un fait qui a beaucoup diminué son influence. Dulles réaffirma à ses ambassadeurs que la décision de construire ou non une usine de séparation isotopique était du ressort des 6, mais que tout militait contre elle : 6 ans de travaux, consommation énorme d’électricité, technique de diffusion gazeuse classifiée, prix de l’U 235 américain très bas. Toutefois Dulles précisa que si les Français restaient intransigeants, il préférait une usine européenne plutôt qu’une usine française103. Finalement Dulles s’accommodait mieux que Monnet d’une Euratom tronquée, impuissante à limiter la dissémination nucléaire militaire. Monnet venait de perdre une seconde bataille après l’échec de la CPE et de la CED. Si Dulles était moins dépité que Monnet c’est parce qu’il pensait que seuls les États-Unis pouvaient fournir les matières premières de base d’une bombe atomique. De plus le succès du Marché commun ouvrait des perspectives heureuses d’union européenne.
48Les diplomates américains approuvèrent la nomination de grands européens, W. Hallstein, L. Armand et Paul Finet à la tête des 3 exécutifs européens et de Pietro Campilli à la tête de la BEI. Ils y virent le point de départ d’une unité économique et politique plus étroite en Europe104. Monnet avait joué encore un rôle en sous-main pour préparer les nominations dans les 3 exécutifs et pour avoir le soutien des États-Unis105. Sans mandat particulier il rencontra le Président des États-Unis le jeudi 30 janvier 1958 à la Maison Blanche pour envisager avec lui la coopération entre Euratom et les États-Unis. Les États-Unis se tenaient prêts à engager avec Euratom un programme de construction de plusieurs grands réacteurs de type US pour une production d’environ I million de Kwh106.
49Les événements du 13 mai 1958, le coup d’État de l’armée d’Algérie, la prise de pouvoir par de Gaulle pouvaient tout changer. Comme d’habitude les Américains écoutèrent Monnet. Le 21 mai, ce dernier avait conseillé à Pflimlin, chef du Gouvernement, la fermeté et la réforme de la constitution afin d’assurer à la France des institutions plus fortes. Les Américains se gardèrent de donner le moindre conseil dans le domaine européen estimant que cela provoquerait des réactions déplaisantes. Ils s’attendaient à des contre-propositions du général de Gaulle en faveur d’un système d’alliance européenne remplaçant les formes d’intégration en cours. Qui plus est, ils pensaient que de Gaulle avait le soutien de Von Brentano et peut-être d’Adenauer. Le thème d’une entente privilégiée germano-française restait ancrée dans les esprits, avant toute gesticulation significative de de Gaulle107. Dans ces circonstances il pouvait être compréhensible que les partisans d’un accord formel entre Euratom et les USA pressent le pas. C’est pourquoi Monnet, à côté de la commission d’Euratom, est intervenu en faveur d’un accord de coopération entre les États-Unis et Euratom. Cet accord prévoyait la livraison de 30 tonnes d’U 235, voire davantage, et un crédit de $133 millions. Des résistances étaient réapparues du côté américain en raison sans doute du retour de de Gaulle. L’Amiral Strauss a voulu réintroduire le droit pour les États-Unis d’inspecter les installations d’Euratom. Il ne pouvait en être question pour les Européens108. Néanmoins elles furent surmontées puisque Dulles et Strauss demandèrent le 12 juin 1958 au Président d’approuver l’accord109. Des lettres d’interprétation de l’accord seraient toutefois échangées qui ne modifieraient pas les dispositions concernant l’inspection par les Européens. Le gouvernement français a accepté ces explications, ce qui ouvrait la voie à la signature de l’accord110. Le 19 juin Eisenhower soumettait l’accord au Congrès. L’accord Euratom-USA fut signé le 8 novembre 1938. Il ne fut pas le départ d’une grande aventure européenne. L’accord avec les USA stipulait que des réacteurs ayant fait leur preuve aux États-Unis seraient installés en Europe pour 1000 MW. Le combustible nécessaire serait fourni par les États-Unis pendant 20 ans. Il y aurait un prêt à long terme. Un programme commun de recherche et de développement serait élaboré. Les installations seraient contrôlées par Euratom. Deux réacteurs ont été installés, l’un en Italie, l’autre à la frontière franco-belge. Il avait fallu se battre contre le CEA. Le programme commun de recherche sous la direction de Jules Guéron a été un succès. Euratom a pu fournir aussi des matières fissiles spéciales intéressant les Français. En revanche les contrôles sur les matières fissiles fournies par Euratom au CEA n’ont pas été réalisés car la France a refusé de donner les renseignements demandés par la Commission d’Euratom. On trouvera dans les Mémoires de Hirsch le compte-rendu de sa rencontre avec de Gaulle du 17 mars 1961 qui ne manque pas de sel et qui éclaire parfaitement les rapports de de Gaulle avec Euratom111. Monnet annonça en octobre 1958 que le gouvernement français proposait de remplacer Armand par Hirsch à la tête d’Euratom112. En fait le gouvernement français était partagé. En attendant de trancher, comment donner du lustre à la signature de l’accord USA-Euratom si Armand, malade, ne pouvait se déplacer à Washington, ou être remplacé rapidement ?113
50En revanche le 21 novembre de bonnes nouvelles tombaient à propos de la première étape du Marché commun. Les Français s’apprêtaient à honorer leurs engagements au 1er janvier 1959. Ils ne recourraient pas aux clauses échappatoires ou à un prêt à long terme de l’Allemagne. En même temps des rumeurs circulaient sur une éventuelle dévaluation du franc et sur des risques de conflits entre la CEE et les États-Unis au GATT. Les Français estimaient que les États-Unis soutenaient moins qu’avant la CEE en raison de leur politique commerciale. Il est vrai que les États-Unis étaient de plus en plus inquiets de la montée des protectionnismes en France après le départ de Maurice Faure et de Robert Marjolin. Sollicité de juger le gouvernement, Monnet refusa de mettre en cause des individus au sein du gouvernement français. Il insista au contraire sur la décision de passer à la première étape du Marché commun comme réponse au danger soviétique. Plus intéressant encore, Monnet s’attendait à une initiative de de Gaulle pour développer l’intégration européenne : « Le Général, dit-il avec conviction, était en train de réaliser que l’avenir de l’Europe ne résidait pas dans la souveraineté individuelle des États mais dans une intégration générale »114. Comment Monnet a-t-il pu arriver à une telle conclusion ? Cette confiance n’était pas partagée par ses interlocuteurs américains de l’ambassade. Il jugea positivement pour l’Europe la rencontre de Gaulle-Adenauer. Mais les Américains s’inquiètaient toujours d’une dérive protectionniste de l’Europe du Marché commun115. Certes l’affaire du mémorandum de de Gaulle sur l’OTAN en septembre 1958 rafraîchit quelque peu les enthousiasmes. Que voulait de Gaulle ? Monnet répondit que des forces puissantes d’intégration avaient été mises en mouvement le 1er janvier 1959 en dépit des critiques gaullistes sur l’OTAN. L’ambassadeur américain Houghton écrivit que la décision française d’entrer dans le Marché commun le 1er janvier 1959, sans mesures de sauvegarde, avait été une décision historique. Aussi conseilla-t-il de ne pas trop attaquer la CEE au Gatt pour ne pas indisposer le gouvernement français116. Pourtant Monnet ne pouvait pas ignorer les interventions de la presse et de la radio gouvernementales françaises en faveur d’une élimination des aspects supranationaux des Traités. L’approche quasi théologique de Monnet en cette affaire ne lui permit pas de saisir l’évidence désagréable que le gouvernement actuel voulait altérer la marche vers l’intégration117. Les réactions optimistes de Monnet n’ont pas convaincu l’ambassade (Tuthill). Elle estimait que le gouvernement français avait accepté les avantages immédiats de l’Europe des Six sans pour autant renoncer à empêcher l’intégration politique de l’Europe. Monnet s’est trompé sur de Gaulle. Monnet poursuivait ses pèlerinages mondiaux en faveur de l’unité européenne. Il était reçu comme un ambassadeur officieux de l’Europe au Canada. Il pouvait appeler au téléphone les dirigeants du monde occidental, mais il n’avait pas la réalité du pouvoir, ni en France, ni en Europe.
51Le comportement français envers les communautés variait, troublant les observateurs. Ainsi le 15 janvier 1959 Monnet annonçait à l’ambassade américaine que le gouvernement français avait nommé Hirsch membre de la commission d’Euratom et qu’il espérait le voir nommer Président. Le vent européen soufflait donc sur Paris. Au même moment, les Français firent une démarche pour négocier un accord bilatéral portant sur de l’U 235 destiné à un moteur de sous-marin sans en référer à Euratom118. Devant la désapprobation de Butterworth à Luxembourg119, les Français cherchèrent à rassurer les Américains sur leur entente avec Euratom. Parfois de Gaulle semblait marcher sur les traces de ses prédécesseurs, parfois non. Il existait une profonde interrogation sur l’avenir. Monnet a cherché à rassurer les Américains. Lui-même paraissait admettre que de Gaulle s’était converti à l’intégration européenne telle qu’il en avait été le promoteur.
Conclusion
52Les responsables américains du Département d’État (EUR), de l’ambassade américaine de Paris, des services américains en Europe, ceux de Luxembourg auprès de la CECA ou du Consulat américain à Strasbourg ont admiré et soutenu les efforts de Jean Monnet en faveur d’une solution supranationale et fonctionnelle de l’intégration européenne. Ils l’ont admiré parce qu’ils appréciaient sa méthode consistant à faire fonctionner la Haute Autorité avec une petite équipe dirigeante et à consulter des experts en dehors de l’institution. Ils ont apprécié que ces équipes soient composées de représentants des gouvernements, des industriels et des syndicats. Ils l’ont admiré surtout parce leur souhait en matière d’institutions européennes rencontrait ceux de Monnet. Leur intervention dans le débat européen en 1955-1957 n’a pas été pour autant envahissante. Certes ils ont déploré les réserves de la France en matière de supranationalité. Mais ils ont observé avec prudence les rapports de forces au sein du gouvernement français. Les Américains voulaient faire sentir aux Européens que leur sécurité serait d’autant mieux assurée qu’ils s’uniraient, que l’aide militaire américaine serait donnée en fonction de leur unité. Ils ont donc soutenu les formes d’unité qui répondaient le mieux à l’objectif politique de mobilisation contre le danger soviétique120. L’Europe des Six était la plus efficace, mais ils n’ont négligé aucun des deux autres cercles de l’unité européenne : les institutions intergouvemementales telles que l’OECE ou le Conseil de l’Europe, l’Alliance Atlantique. L’important était que l’Europe s’unisse, quelle qu’en soit la forme. Mais l’unité européenne devait en aucun cas préparer l’Europe à agir d’une façon autonome dans les affaires du monde. Toute déviation française ou franco-allemande dans ce sens était suspecte.
53Quel rôle Monnet a-t-il joué dans la définition de la politique américaine en Europe et inversement le Département d’État a-t-il manœuvré Monnet ? Il fut un temps où Monnet parut être le seul interlocuteur des Américains pour les affaires d’unité européenne. Mais son influence avait diminué en 1957. Dulles osa presque interdire d’ambassade américaine de Paris à son « vieil ami ». Il lui semblait essentiel de ne pas donner l’impression qu’il pouvait influencer la politique américaine en France. En conséquence « il serait mieux qu’il ne devienne pas un habitué de l’ambassade »121. Le déclin était à la mesure de l’échec de l’Euratom à la Monnet. Cependant Monnet a toujours été présent dans les négociations des Traités de Rome sans pour autant les plier à son désir.
54Monnet et Dulles se sont rencontrés pour défendre l’intégration européenne supranationale. Monnet a bien vu que l’Euratom n’était pas ce qu’il voulait qu’elle fut. Dulles s’en est accommodé, faisant la part du feu à propos du programme d’armements nucléaires français, peut-être trompé par Monnet et par le lourd secret français. Il y avait des différences entre les conceptions des deux hommes. Dulles voulait essentiellement mobiliser l’Europe occidentale contre le monde communiste au nom de l’idée européenne. Monnet poursuivait un objectif plus large, celui de conduire les Européens puis les citoyens du monde atlantique à s’unir. Les deux ambitions se rejoignaient sans se confondre. Monnet ne pouvait pas penser un instant que Dulles et ses amis américains puissent nourrir de fâcheuses intentions à l’égard de l’Europe. Sa confiance en eux était immense. L’avenir de l’Europe était dans l’atlantisme conçu non pas comme un système politique mais comme une fusion naturelle des peuples libres des deux rives. Mais Monnet n’a pas apprécié correctement la force des intérêts politiques européens, français et allemands surtout, et américains. L’Europe et les États-Unis pouvaient être amis sans fusionner. Son idéal de supranationalité européenne aurait sans doute séduit davantage les réalistes qu’étaient de Gaulle ou Adenauer s’il avait été mis au service d’un projet politique d’autonomie européenne et d’égalité avec les États-Unis. Mais Monnet ne posait pas les problèmes de cette façon122. C’est pour cette raison qu’il transcende les catégories habituelles du raisonnement politique. Monnet a échoué sur Euratom, il n’a pas été l’inspirateur du Marché commun. Il a mal jugé les intérêts en jeu, sous-estimant les réalités nationales légitimes, méconnaissant l’importance de l’unité des marchés économiques. Est-il un dangereux idéaliste égaré en politique ? N’est-il pas plutôt un mutant politique, le premier citoyen de l’Europe libérée des fers de l’intolérance nationaliste, le premier citoyen d’une Démocratie atlantique ? Monnet agissait pour transformer le court terme, il était taillé en fait pour le temps long. En avait-il vraiment conscience ?
Notes de bas de page
1 RG 469, USRO, Exec. Sec., box 13, secret, security information, Plans and Policy Staff, 12 september 1952, 7 pages, subject : “What can We Do to help European Institutions for Integration and to Insure that they Develop in a Manner Consistent with Our Policy Toward Atlantic Community”.
Remarque : cette étude a été faite en utilisant des sources américaines non publiées, consultées à Washington (DC) et à Suitland (Va). Grâce à une aide du Woochon Wilson International Center for Scholan et de la Commission franco-américaine d’échanges universitaires et culturels.
2 RG 469, Office of European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files 1948-53, Box 20, H.D. Owen, State department, John Hulley, MSA, US Objectives for Western Europe, November 24, 1952.
3 Lot 55 D 115, box 4 ; “Evaluation of our policy toward Europe as of december 19521, 5 p. Th. Achilles ; “Comments on Achilles’evaluation of our policy toward Europe as of december 1952”, 2 p., RA-Mr Parsons, RA-Mr Adair, December 31, 1952, secret, security information.
4 Must.
5 Naissance effective de la CECA, ratification prochaine de la CED croyait-on, travaux constitutionnels de l’Assemblée Ad Hoc.
6 Lot 55 B 105, box 14553, circular telegram, secret, security information, EUR/RA, M. Camp, 12/4/52, 6 pages.
7 Voir Richard Kuisel, Seducing tbe French, the dilemona of Americanization, California Pren, 1993, Gérard BOSSUAT, la France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954. 2 volumes, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Imprimerie Nationale, 1992.
8 RG 469, Special Representatives in Europe, Office of the General Counsel, 1948-1953, Subject files, box 45, Acheson, Washington, action Paris 6487, May 2 (1952), 8 pm.
9 RG 469, Mission to France, Office of the Director General, Subject Files 1948-1955, European Cooperation, Box 10, To the Ambassador, front W.M. Tomlinson, July 5, 1952.
10 J. C. Dunn, embtel n° 288, july 11 1952, to the Department of States, secret RG 84 Paris Embassy, classified general Records, 1948-1953, Box 135.
11 RG 469, USRO, exec. sec. box 13, Office of the US special Representative in Europe, office of the Executive Secretary, august 27, 1952, memorandum for the Record ; subject : memorandum of Conversation with M. Jean Monnet in the Office of Amb. Draper, August 27, 1952.
12 RG 469, USRO, Exec. Sec. box 13, memorandum, from Tomlinson to ambassador Draper, subject : your talks with Monnet, August 27, 1952.
13 RG 469, Spécial Représentatives in Europe, Office of the general Counsel, subject files, 1948-53, box 42, telgr. from Achilles, Amembassy Paris to Sesctate Washington 1453, sept. 7, 1952, 6 pm. control 403, subject EPC.
14 RG 469, USRO, exec. Sec., Box 13, telgr. n° 3507, Dec 16, 1952, from Amembassy Paris, Dunn, to secstate Washington, top secret, security Information ; Lot file M-88, box 75, J.C. Kitchen, memorandum of conversation, December 15, 1952 ; Lot 55 D 105, box 41, december 15, 1952, memorandum of conversation, Monnet, Acheson ; december 14, 1952, memorandum of conversation ; RG 84, Paris Embassy, classified General Records, 1948-53, Box 134 ou RG 469, Mission to France, Office of the Director, Genral Subjects Files 1948-56, Economie conditions/ Eur Cooperation, Box 8, telgr. n° 3507, Dec 16, 1952, from Amembassy Paris, Dunn, to secstate Washington, top secret, security Information.
15 RG 469, Spécial Représentatives in Europe, Office of the general Counsel, subject files, 1948-53, box 42, ou RG 84, Paris Embassy, Records pertaining to the EDC and International Organizations, Box 16, Telegr. ; American Embassy Paris, to Washington 2021, october 2, 1952, 5 pm., control 118, subject is European Political Community.
16 RG 469, Office of European Operations Regional Organizations Staff, subject Files, 1948-53, Box 19, telegr. from Luxembourg, Mesta, to Secretary of State, n° 118, december 23, noon.
17 RG 84, Paris Embassy, Records pertaining to the EDC and related international Organizations, 1951-1955, box 18 ; Andrews, from Strasbourg to amembassy Paris, from Tomlinson, 7 January, 1953 ; AMJ 5/7/3, Jean Monnet à P-H Spaak, 6 janvier 1953.
18 L’article 13 interdit à un signataire de retirer ses forces de la CED sans la permission du Commandement suprême allié en Europe, l’article 107 interdit aux signataires de produire ou d’exporter des armes sans l’approbation du Commissariat de la CED.
19 RG 84, Paris Embassy, Records pertaining to the EDC and International Organizations, 1951-56, box 9, amembassy Paris, Bruce, to Dept coled 30, NIACT, control 691, subject is European Defense Community, secret, security information.
20 RG 43, Lot M-88, box 75, Dulles to Amembassy Paris, 4992, 3-26-1953.
21 RG 84, Paris Embassy, Records pertaining to the European Coal and Steel community (ECSC), 1952-1955, Box 15, W. Tomlinson to Mr Robert Bowie jr, director, Policy Planning Staaff, D of S. ; August 6, 1953.
22 RG 469, Office of European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files, Box 23, From R. Eisenberg to M. Tomlinson, March 12, 1953, subject : Meeting of Mr Robertson and Mr Seip of the German Evaluation Team, with Mr. Monnet, Mr Finet, Mr Spierenburg and Mr Giacchero.
23 RG 84, Paris Embassy, Classified General Records, 1953, box 171, Telegr, from Luxembourg, Bruce to Washington, control 1310, 9/17/53, 8 pm.
24 RG 84, Paris Embassy Records pertaining to the EDC and related International Organizations, 1951-1955, Box 14, Memorandum of conversation, 9 November, 1953.
25 RG 84, Paris Embassy, Records pertaining to the EDC and related international Organizations, 1951-1955, box 18 ; Mémorandum, from S.M. Cleveland, to Mr David K.E. Bruce, subject : Notes on EPC for your conversation with the Chancellor, october 13, 1953.
26 RG 59, Box 75, Records of the PPS, 1947-1953, memorandum of conversations, Laniel, Douglas Mac Arthur II, December 4, 1953, Bermudes.
27 RG 59, Box 75, records of the PPS 1947-53, Memorandum of conversations in President Eisenhower’s quarters, Bermudes, December 5, 1953.
28 RG 84, Paris Embassy, Records pertaining to the EDC, and Related International Organizations, 1951-55, Box 13, Th. C. Achilles to Secretary, décember 15, 1953, “Mr. secretary...”, draft.
29 Eisenhower Diaries, Reel 2, Library of Congress, Ike to Captain E.E. Hazlett, Chapel Hill, North Carolina, December 24, 1953, personal and Confidential.
30 RG 59, Box 2, lot 55 D 115, W. Draper, june 5 1953, to The President, The White House, secret, security information.
31 RG 84, Paris Embassy Records pertaining to the EDC and related International Organizations, 1951-1955, Box 14, Dulles to Paris, prity 3399, March 31, 1954, 3 pm.
32 RG 84, Paris Embassy, top secret General records, 1954, Box 20, Dulles from Berlin to D of S., Dulte 83, febr. 16, 1954.
33 NSC 5433, copy n° 64, 16 september 1954, Immediate US Policy toward Europe.
34 RG 84, Paris Embassy, top secret General records, 1954, Achilles to J.W. Jones, director, Office of Western European Affairs, Department of State, Washington DC, september 30, 1954.
35 RG 84, Paris Embassy, top secret General records, 1954, Dulles to Paris, 552, 12 august, 1954.
36 RG 84, Paris Embassy, top secret, General records, 1934, Dulles, to Paris 2306, december 23, 1954.
37 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organisations Staff, Subject Files, 1948-57, box 73, J.J. Kaplan, 1/10/55, 11 jan. 1955, to the Director, What next in theeconomie integration of Western Europe ?
38 Mémoires, p. 592, Livre de Poche, tome 2, Fayard 1976.
39 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organisation Staff, Subject Files, 1953-57, Box 60, Report to Director ICA, from director USOM/ France, 12 july 1955.
40 Mémoires 2, p. 590 ; Livre de Poche, Fayard, 1976.
41 850.33/3-2455, Eisenberg, from Luxembourg, to S. of S., Colux 32, March 24, 5 pm.
42 Le CAEUE de jean Monnet, Lausanne, 1974, p. 28.
43 840.00/4-1255, from Mr. Merchant to the Secretary ; subject : Mr. Monnet’s Personal plans and his views regarding progress in European Integration, publié par FRUS IV 1954-1957, p. 279, n° 89.
44 « However Dept considers it vital that choice of institutional means for achieving European unification should be decision by Europeans countries themselves », RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files, 1948-57, Box 60, from D. of State, Hoover, EUR, Barnett, 5/30/55, to Amembassy Rome, 3849.
45 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files, 1948-57, Box 60, memorandum, US Representatives to the ECSC, Luxemburg, June 3, 1955, to Mr. Eisenberg, from William F. Miller, Conversations with Van Helmont.
46 850.00, box 4556, Buchanan, Luxembourg to S. of S., 25/05/1955, n° 125.
47 751.00/3315, USarma Paris, to D. of S., 29 May 55.
48 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files, 1948-57, Box 60, Eisenberg, from Luxembourg to Secretary of State, colux 50, june 6, 2 pm., subject : Messina Conference of CSC Foreign Ministers.
49 New York Times du 16 juin 1955.
50 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organization Staff, Subject Files, 1953-57, Box 60, Dulles, to Amembassy Bonn, 3889, 29 september, 1955.
51 En juin 1939, Frédéric Joliot avait obtenu 5 tonnes d’oxyde d’uranium du Congo pour l’expérimentation nucléaire au Collège de France par accord avec l’Union Minière du Haut-Katanga.
52 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organization Staff, Subject Files, 1953-57, Box 60, Report to Director ICA, from director USOM/ France, 12 july 1955.
53 340.00/10-2055, Dillon, from Paris, to S. of S., n° 1922, October 20, 6 pm.
54 840.1901/10-2555, memorandum of conversations, october 25, 1955, Jean Monnet, The Secretary, Mr Merchant, publié dans FRUS IV, 1954-57, n° 124, P- 337-
55 840.00/10-1355, 13 october 1955, D. of S., Hoover, RA-BEL Timmons, to Paris, TOSEC 7, for Secretary and Merchant.
56 840.00/11-1955, from Bonn, Conant, to S. of S., n° 1652, november 19, 1 pm.
57 840. 1901/12-855, Gérard C. Smith, D. of S., to Mr Merchant, subject : Euratom, december 8, 1955.
58 840.1901/12-2355, Th. Achilles, The Foreign Service of the USA, American Embassy, Paris, December 23, 1955.
59 840.00/12-2755, D. of S., to Paris 2401, 12/27/55.
60 RG 469, Office of African and European Operations, Régional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, JF Dulles mémorandum for the President ; subject : European Integration and Atomic Energy.
61 840.1901/12-2755, H.A. Robinson to Robert Bowie, PPS, 27 december 1955.
62 840.1901/1-2456, Dowling, from Bonn to S. of S., n° 2449, january 24, 5 pm.
63 RG 469, Office of African and European Operations, Régional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, ou 840.1901/1-2456, Dulles, 1956, jan. 25, to London 4157, Paris 2708 etc.
64 RG 469, Office of African and European Operations, Régional Organizations Staff, Subject Files, 1948-57, Box 62 ou Box 67, Memorandum of conversation, january 25, 1956, subject : Atomic Energy and European Integration, participants : The Secretary of State, Admiral Lewis L. Strauss, Chairman Atomic Energy Commission, Mr Thomas Murray, AEC, Mr. Willard F. Libby, AEC, Mr John Hall, AEC, Mr Gerald Smith, special assistant for Atomic Energy Matters, Mr Robert Bowie, Director, Policy Planning Staff, Mr Livinstone Merchant, Assistant Secretary, Mr Joseph Palmer and, EUR/RA, Mr Robert Barnett, EUR/RA.
65 RG 469, Office of Aftican and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, ou 840.1901/2-356, Dillon to Secretary of State, n° 3467, February 3, 2 pm.
66 Elsa Guichaoua, « Le CAEUE et son influence sur la presse (1955-1957) », Maîtrise d’Histoire, Paris-1, Institut Pierre Renouvin, direction R. Girault et G. Bossuat, octobre 1992, p. 92, 166 p. dactylogr.
67 840.1901/2-456, from Paris to Secretary, n° 3490, February 4, 4 pm.
68 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, Eisenberg, from Luxembourg, to S. of S., colux 76, February 5, noon.
69 RG 469, Office of African and European Operations, Régional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, Dillon, to S. of S., n° 3498, February 6, noon.
70 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, ou 840.1901/2-656, from amembassy Bonn, O’ Shaughnessy, to The Department of State, February 6, 1956, despatch n° 1622, subject : conversations with minister Strauss on European Atomic Intégration.
71 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, Summary of Official minutes, ECSC Foreign Ministers’ Meeting, Brussels, Feb 11-12, 1956, colux D 20, March 9,
72 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, Butterworth, from Luxembourg, to Secretary of State, colux 4, march 20, Noon.
73 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, Dillon, from Paris to S. of S., n° 3722, February 17, 5 pm.
74 840.1901 /3-156, Dillon to S. of S., n° 3952, March 1, 6 pm.
75 RG 469, Office of African and European Operations, Régional Organizations Staff, Subject Files, 1948-57, box 67 D. of S., Dulles to Paris n° 4387, 1956, May 24.
76 840.00/6-156, from Harry H. Bell, second secretary of Embassy, to S. of S., June 1, 1956, subject : France, the Common Market, and the Franc Area.
77 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files 1948-57, Box 67, Joyce, from Paris to D. of S., 6083, june 21, 7 pm.
78 840.1901/5-756, Léon Goldenberg, memorandum of conversation, Paris, May 7, 1956, subject : Euratom.
79 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations staff, Subject Files 1953-57, Box 68, ou 840.1901/7-1856, Memorandum of Conversation with Mr. Monnet on European Integration, Amembassy, The Hague, july 18, 1956.
80 RG 469, Office of African and European Operations, Régional Organizations Staff, Subject Files 1953-57, Box 68, Memorandum of conversation, Euratom and Common Market, July 26, 1956, Dr Guenther Harkort, chief, Commercial Policy Division, Fonoff, Mr Leon Goldenberg, AE attaché, American Embassy, Bonn.
81 840.1901/9-2656, Elbrick, EUR, to S ; of S., subject : proposed Approach to Adenauer on Euratom, September 26, 1956.
82 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organisations staff, Subject Files 1953-57, Box 68, Dulles, D. of State, 1956 sep 30, to Paris 1200 and other Embassies.
83 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files, 1948-57, Box 61, telegram, Matthews, La Hague, to S of S., n° 446, September 19, 4 pm.
84 840.00/10-2456, from Paris, Dillon, to S. of S., n° 1934, October 24, 8 pm.
85 840.1901/1-1053, memorandum of conversation, Euratom, especially Military Uses, Van Baarda, Netherlands, Cleveland- RA, october 10, 1956.
86 740.00/1-857, from O’Shaughnessy, to D. of S. German Policy regarding West European Integration from september-december, 1956, January 8, 1957.
87 Gérard BOSSU AT, « Les armements dans les relations franco-allemandes (1945-1963). Les nationalismes à l’épreuve des temps nouveaux », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, janvier-mars 1994.
8889 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations staff, Subject Files 1953-57, Box 68, Dillon to S. of State, 2460, November 10, Noon, front Paris.
90 840.1901/11-1956, Dillon, “dear Foster...”, Paris, November 19, 1956.
91 840.1901/11-2956, Dillon, Paris, to Secretary of State, n° 2661, November 29, 1956, Noon ; J. Van Helmont, Options européennes, 1945-1985, Perspectives Européennes, commission des Communautés, 1986, p. 66.
92 611.0097/1-2557, memorandum, january 25, 1957, subject : Department Tactics With respect to Western European Power Bilateral Agreements.
93 840.1901/1-1057,J.F. Dulles, memorandum of Conversation with Mr Jean Monnet, une page, january 1957, secret ; 840.1901/1-1857, J.F. Dulles, Mémorandum of conversation with Mr. Jean Monnet January 18, 1957.
94 RG 469, Office of African and European Operations, Régional Organizations Staff, Subject Files, 1953-57, box 68, from Paris to S. of S., n° 3354, january 10, 1 am.
95 RG 469, Office of African and European Operations, Régional Organizations Staff, Subject Files, 1953-57, box 68, Butterworth, Luxembourg to S. of S., n° Colux 118, january 16, 4 pm.
96 840.1901/3-757, Strauss to Secretary, March 7, 1957.
97 C. Pineau, C. Rimbaud, Le grand pari, l’aventure du traité de Rome, Fayard, 1991, p. 237.
98 J. Van Helmont, op. cit., p. 64.
99 NSC 5721, sept. 30,1957 US Policy to France, draft, statement of US Policy on France ; voir l’historiographie de la question dans Revue d’Histoire diplomatique, 1990, n° 1-2, Colette Barbier, « Les négociations franco-germano-italiennes en vue de l’établissement d’une coopération militaire nucléaire au cours des années 1956- 1958 », p. 81.
100 RG 469, Office of African and European Operations, Regional Organizations Staff, Subject Files, 1948-57, Box 62, Nato ministerial Meeting, Bonn, May 2-4, 1957, position Paper, Euratom and the Common Market, F.E. Maestrone, S/S-RO, April 19, 1957.
101 NSC, OMN, 34oth meeting, box 67, 17 octobre 1957, 9 : 00 am.
102 840.1901/11-2757, Isenbergh, Paris to S. of S., despatch n° 87, november 27, 1957, subject : conversation with M. Jean Monnet.
103 840.1901/12-757, Dulles, to the Hague 1049, 1957, Dec 7.
104 840.1901/1-858, memorandum, jan 8 1958, Elbrick to S. of S. Decisions of the Foreign Ministers of the Community of Six on the membership and location of the institutions of the Common Market and Euratom.
105 840.1901/1-1758, memorandum of conversation, january 17, 1958, to the Secretary, from EUR-C. Burke Elbrick, subject : your conversation with Jean Monnet january 18.
106 840.1901/1-2458, C. Herter, memorandum for the President jan. 28 1958, subject : US cooperation with the European Atomic Energy Community.
107 751.00/6-258, memorandum of conversation, policies toward France under de Gaulle, june 2, 1956, Manlio Brosio, C. Perrone-Capano, C. Burke Elbrick, R.M. Service ; le gouvernement de Gaulle est constitué le 1er juin 1958.
108 840.1901/6-1057, memorandum for the Secretary, June 10, 1958 from Philip J. Farley, subject : US-Euratom Joint Program-Replies to Telegrams from Heinsz Krekeler and Jean Monnet.
109 840.1901/6-1258, memorandum for the President, subject : US-Euratom Nuclear Power Program, Jun 12, 1958.
110 840.1901/6-1258, june 12, 1958, memorandum of conversation, subject : The US-Euratom Program ; Herter, Alphand, Lucet, Pelen, Timmons, Schaetzel.
111 E. Hirsch, Ainsi va la vie, Lausanne, 1988, p. 168.
112 840.1901/10-258, from Butterworth to S. of S., Colux 74, Luxembourg, october 2, 10 pm.
113 840.1901/10-758, Butterworth, Luxembourg, to S. of S., Colux 81, october 7, 5 pm.
114 840.00/11-1458, memorandum of conversation, november 12, 1958, Jean Monnet, John W. Tuthill, European Integration.
115 Tuthill, Paris, Memorandum of conversation, November 25 1958, Jean Monnet, John W. Tuthill
116 840.00/1-2859, from Paris to S. of S., n° 2764, january 28, 8 pm.
117 740.00/5-1259, from Amembassy Paris to S. of S., May 12 1959.
118 840.1901/1-2459, Dulles, D. ofS. to Brussels 105, 1959, jan 24.
119 840.1901/1-2759, Butterworth, Luxembourg, to S. of State, Colux 147, January 27, 2 pm.
120 RG 469, USRO, exec. sec., box 13, William Koren jr., Martin J. Hillenbrand, 11 december 1952, European integration and United States policy, dec 21, 1954.
121 651.11, 1955-59, Box 2507, memorandum of conversation, 1er April 1957, S. of S., A. Houghton, Mat. Looram.
122 Gérard BOSSUAT, Les fondateurs de l’Europe contemporaine, Histoire, Sup, Paris, BELIN 1994.
Auteur
Université de Paris I Panthéon – Sorbonne
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