Version classiqueVersion mobile

Europe brisée, Europe retrouvée

 | 
Gérard Bossuat
, 
René Girault

Jean Monnet, un père pour la CED ?

Philippe Vial

Texte intégral

  • 1 PFLIMLIN Pierre, parlant de l’idée d’armée européenne, in Mémoires d’un Européen, Paris : Fayard, 1 (...)

« Qui fut le premier à la formuler ? Je ne m’en souviens pas. Toujours est-il que le Président du Conseil, René Pleven, la fit sienne1 »

  • 2 Le Petit Robert 2, dictionnaire universel des noms propres, sous la direction de Paul Robert, Paris (...)
  • 3 Pour plus de détails, cf. VIAL Philippe, « Redécouvrir la CED », in Matériaux pour l’histoire de no (...)

1Plus de quinze ans après la publication de mémoires pourtant fort explicites, le rôle de Monnet dans l’affaire de la CED reste encore largement méconnu. En témoigne avec éloquence sa notice dans l’un des dictionnaires français les plus répandus, qui, si elle rappelle en détail les différentes étapes de sa carrière, en particulier au service de la CECA, ne souffle mot de son engagement cédiste2. De même, nombreux sont encore aujourd’hui les historiens à minorer l’importance de son rôle alors qu’ils le reconnaissent dans toute son ampleur pour le plan Schuman3.

2Cette différence de traitement indique assez qu’il ne faut pas voir en la matière une conséquence de cette volonté, si typique de la méthode Monnet, de laisser à d’autres les mérites publics d’une initiative politique de grande portée. Le fait que Monnet ait été le premier président de la Haute Autorité de la CECA après en avoir dirigé la négociation a certainement contribué à focaliser l’attention sur son rôle en cette affaire, d’autant que Monnet n’a presque jamais exercé aucun rôle officiel dans la négociation de la CED : d’autres que lui ont conduit la négociation d’un traité qui ne fut jamais mis en œuvre. L’échec final de l’entreprise semble au total avoir été le motif le plus sérieux à la pénombre relative qui règne aujourd’hui encore sur son action. Mais ne faut-il pas y voir la marque symbolique de l’extrême ambiguïté du projet et du rôle que l’inspirateur y joua ?

3Deuxième paradoxe de départ, comment le Commissaire général au Plan a-t-il pu se retrouver au cœur d’un projet qui était a priori fort éloigné de son domaine d’activité ? Car passe encore qu’il ait eu à s’occuper des problèmes du charbon et de l’acier à l’échelle européenne, mais l’armée ! Si son action en faveur d’une CECA avait étonné – imagine-t-on aujourd’hui le Commissaire général au Plan prendre en charge une négociation de ce type ? – son engagement cédiste, lui, déconcerte...

  • 4 MONNET Jean, Mémoires, Fayard, 1976, p. 409.

4D’autant que contrairement au premier, il s’agit manifestement d’un investissement variable dans le temps. Lui-même n’en parlera-t-il pas comme d’une « trop longue histoire dont je n’ai pas vécu chaque épisode » ?4 Si sa présence est avérée au début de l’affaire, elle semble ensuite sujette à oscillations, voire à disparition après la signature du traité au printemps 1952 : le père aurait-il abandonné son enfant ? Question grave à laquelle seule une étude précise des différentes phases de l’engagement cédiste de Monnet peut répondre...

I. Un été de réflexion (juillet-août 1950)

A. L’imprévu et la nécessité

  • 5 Ibid., p. 406.

5Il est certain qu’avant que la guerre de Corée ne mette brutalement à l’ordre du jour la question du réarmement allemand, Jean Monnet n’imaginait pas que la construction d’une Europe de la Défense s’imposerait aussi rapidement. Dès sa première version (16 octobre 1950), le futur plan Pleven ne commençait-il pas par ce constat en forme de regret : « Le gouvernement français pensait que la réalisation du plan charbon-acier permettrait aux esprits de s’habituer à l’idée d’une communauté européenne avant que ne fût abordée la question si délicate d’une défense commune. Les événements mondiaux ne lui laissent pas de répit » ?5

  • 6 GERBET Pierre, La construction de l’Europe, Imprimerie Nationale, 1983, p. 124.

6En lançant quelques mois auparavant le plan Schuman, Monnet et ses collaborateurs étaient certes conscients d’enclencher un processus révolutionnaire. « La France a agi et les conséquences de son action peuvent être immenses », affirmait le préambule de la déclaration du 9 mai. Mais il ne s’agissait que d’un premier pas, d’un « premier acte » qui devait être suivi de beaucoup d’autres avant de déboucher sur l’Europe unie. Vision des choses qui était ensuite confirmée dans la déclaration, par l’exposé de la philosophie politique de ses auteurs : « L’Europe ne se fera pas d’un seul coup, ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait. »6 La méthode retenue, toute de progressivité, était donc présentée comme la seule pouvant permettre la réussite de l’entreprise envisagée. Dans ces conditions, l’Europe de la Défense ne pouvait être envisagée qu’à long terme, à très long terme...

  • 7 MONNET, op. cit., p. 396.

7D’autant que Monnet ne la concevait absolument pas comme une étape privilégiée de la construction européenne : « Je n’avais jamais pensé à aborder le problème de l’Europe par le biais de la défense, qui serait sans doute un des attributs de la fédération future, mais à mes yeux pas le plus puissant ni le plus déterminant des mobiles de l’union. »7 Le ton est donné, c’est celui du scepticisme. La question de la défense européenne est clairement désignée comme secondaire. On a même l’impression qu’il s’agit plus pour Monnet d’une clause de style que d’un facteur essentiel, car passe encore qu’elle ne soit « ni le plus puissant, ni le plus déterminant des mobiles de l’union », mais ce « sans doute » a, dans son ambiguïté, l’aspect d’un « mal nécessaire » dont on peut se demander s’il ne trahit pas chez Monnet quelque chose de plus profond.

  • 8 Idem.
  • 9 LACOUTURE Jean, De Gaulle, t. 1, Le rebelle, Seuil, 1984, p. 387.

8Lui-même conforte cette interrogation lorsqu’il déclare : « C’est la nécessité qui m’a conduit plusieurs fois de ma vie à m’occuper d’affaires militaires pour lesquelles je n’avais ni goût, ni compétence8. »« Ni goût, ni compétence » : l’aveu est de taille, même si sa seconde partie laisse rêveur, venant de la part d’un homme qui, sans parler de la CED, eut un rôle important dans la mise sur pied du « Victory Program » ! Ce trait de caractère est confirmé – délicieuse ironie de l’histoire ! – par celui qui, avant d’endosser le plan Monnet d’armée européenne, fut l’un de ses proches collaborateurs et amis. Donnant son point de vue sur la rupture entre De Gaulle et Monnet, à Londres, en juin 1940, René Pleven l’explique en partie par « l’antimilitarisme foncier de ce vieux radical charentais »9...

  • 10 MONNET, op. cit., p. 396 ; souligné par nous.

9L’idée que se fait Monnet de la construction européenne coïncide donc parfaitement avec un tempérament personnel plutôt réfractaire aux problèmes militaires. D’où un certain flottement quand la question du réarmement allemand s’impose, après l’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord en juin 1950 : « Je ne pouvais pas laisser cette nouvelle crise se développer sans intervenir, mais je ne sus pas tout de suite comment »10 : avant l’action, la réflexion.

B. Le plan Schuman, une première réponse au problème du réarmement allemand

  • 11 Note de réflexion de Jean Monnet, 3 mai 1950, AMI 4/3/6, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Lausa (...)

10Ce problème du réarmement allemand, Monnet l’avait pourtant envisagé au moment de l’élaboration du plan Schuman. Dans une note du 3 mai 1950, il exclut aussi bien une réunification, qui suppose une entente russo-américaine impossible dans le contexte actuel, que l’intégration à l’Ouest de la RFA. Cette solution entraînerait en effet un réarmement qui, pour les Soviétiques, ressemblerait fort à une provocation dont les conséquences pourraient être imprévisibles11. Au printemps 1950, Monnet cherche encore une impossible troisième voie qui permette de sauver la paix...

  • 12 MONNET, op. cit., p. 348.

11D’où le projet de CECA qui se définit d’abord comme une action politique novatrice pour sortir de cette logique de guerre dans laquelle Monnet voit le danger suprême. Dans la mesure où celle-ci conduit de manière inéluctable au réarmement allemand, le plan Schuman est dans sa philosophie une forme de réponse à ce problème. Mais il l’est d’une autre manière puisqu’il est concrètement dirigé contre toute renaissance du complexe militaro-indus-triel allemand. « Le charbon et l’acier étaient à la fois la clé de la puissance économique et celle de l’arsenal où se forgeaient les armes de la guerre »12. Créer la CECA, c’est en dénationalisant les fondements matériels du militarisme allemand, en saper à la base toute possibilité de renaissance.

  • 13 Ibid., p. 393.

12Réponse « bousculée »13 à la fin juin 1950 par l’invasion soudaine de la Corée du Sud par sa voisine du Nord, qui met brutalement à l’ordre du jour ce réarmement déjà pressenti depuis de longs mois... Monnet est pris de court : la Conférence de Paris pour la CECA vient de s’ouvrir, et s’il voit immédiatement la nature du problème, il n’en discerne pas sur-le-champ la solution. Or celle-ci doit être trouvée rapidement, car au fil des semaines de cet été 1950, les signes se multiplient qui annoncent un gigantesque effort de réarmement pour tout l’Occident, y compris la RFA.

C. Les mémorandums d’août 1950 : vers une solution atlantique

  • 14 Note sur l’obligation pour le gouvernement français d’organiser la défense de l’Ouest avec les État (...)
  • 15 Projet de mémorandum par Jean Monnet, 1er août 1950, AMI 4/2/2, FJM, ibid., p. 66.

13Monnet est bien placé pour en avoir conscience, puisqu’il est étroitement associé à l’élaboration des deux mémorandums français qui, dans la première quinzaine d’août, définissent ─ en réponse aux demandes américaines – l’importance de l’effort national. Le 1er août, Monnet reprend dans un projet les solutions envisagées dès le 17 juillet par son ami Hervé Alphand, nouveau représentant de la France au « Conseil des suppléants » de l’Alliance atlantique14 : création d’un fonds commun pour financer l’effort de l’ensemble du monde occidental, gestion et mises en œuvre assurées par un ensemble d’organismes intégrés. Mais, prévient Monnet, les grands équilibres économiques et financiers doivent être respectés sous peine de devenir également des facteurs de déséquilibre et de guerre15.

  • 16 Ministère de la Défense nationale, Mémorandum français du 5 août 1950, Service historique de l’Armé (...)

14On retrouve l’écho très net de ces préoccupations dans le mémorandum du 5 août, où il n’est pas jusqu’au style qui ne trahisse l’influence de l’inspirateur16. Après avoir fait le bilan de l’effort militaire français actuel et fixé ses nouvelles ambitions, le mémorandum débouche sur un constat cher à Monnet : « le réarmement ne doit pas avoir pour conséquence d’anéantir les efforts faits par les pays européens pour consolider leurs finances et leur économie. “Car”, est-il expliqué, la stabilité monétaire, la protection de l’équilibre budgétaire et le maintien d’un suffisant niveau de vie doivent être considérés comme des éléments capitaux du potentiel de défense ». La solution, c’est une aide américaine multiforme et conséquente, mais « pour que ce programme atteigne son nécessaire degré d’efficacité [...] il doit être conçu comme une entreprise collective des nations atlantiques et non comme une addition ou une juxtaposition d’efforts nationaux ». D’où en conclusion, un appel à une véritable intégration atlantique dont le gouvernement français annonçait qu’il en préciserait ultérieurement les contours.

  • 17 Observations sur le projet de mémorandum par Jean Monnet, 15 août 1950, AMI 4/2/8bis, FJM, cité par (...)
  • 18 Ministère de la Défense nationale, Mémorandum français du 17 août 1950, Service historique de l’Arm (...)

15Le 15 août, Monnet envoie ses observations sur le projet de second mémorandum : le ton est résolument atlantique et offensif. La France se doit désormais d’exiger un accord sur les principes d’une organisation commune qu’elle n’a fait jusqu’à présent que proposer. De même, elle doit exiger la mise sur pied, le plus rapidement possible, des structures nécessaires, en particulier d’un fonds commun destiné à garantir la stabilité des monnaies nationales par rapport au dollar et à établir une convertibilité totale entre elles, l’effort devant s’exercer sur un plan à la fois militaire, économique, financier et social17. A nouveau, la version finale du mémorandum, le 17, reprend l’essentiel des propositions avancées par Monnet, en particulier en ce qui concerne l’établissement d’un « budget commun » et d’un « organisme exécutif doté de pouvoirs de décision aussi larges que possible »18. On nage donc en pleine surenchère atlantique, ce qui ne manque pas d’interroger, venant de l’un des Pères de l’Europe...

D. Un Occidental

  • 19 VAN HELMONT Jacques, Options européennes Bruxelles-Luxembourg, Office des publications officielles (...)

16Doit-on s’en étonner ? De nombreux témoignages laissent entrevoir que Monnet fut beaucoup plus un Occidental qu’un Européen. « On pouvait observer en lui une partie de l’évolution qui a transformé des Européens de divers pays en citoyens d’adoption d’un nouveau monde », écrit Jacques Van Helmont. Et celui qui fut l’un de ses plus proches collaborateurs de préciser : « il se conduisait en citoyen occidental, il ne concevait pas, après les épreuves de la première moitié du siècle, que l’Europe et l’Amérique pussent s’engager dans des avenirs divergents, ni la France et l’Allemagne »19.

  • 20 Réflexions à la veille des consultations entre le gouvernement des États-Unis, de la Grande-Bretagn (...)
  • 21 VAN HELMONT, op. cit., p. 163.

17Sa conception même de l’Europe dépend de sa vision du monde occidental. En mai 1950 il le définira comme la réunion de trois ensembles : « L’Europe “capitaliste” d’avant-guerre – qui exclut en fait les satellites de l’URSS sauf la Tchécoslovaquie – la Grande-Bretagne et les Dominions, et les États-Unis »20. Monnet s’accommode donc parfaitement de la division Est/Ouest ; comme le note Van Helmont, « elle lui paraît concorder avec l’Europe capitaliste et l’Europe encore féodale ─ à l’exception de la Tchécoslovaquie – d’après les souvenirs qu’il garde de la Société des Nations »21.

  • 22 Cf. texte en annexe.
  • 23 MONNET, op. cit., p. 396.
  • 24 VAN HELMONT, op. cit., pp. 164-165.

18C’est donc moins en Européen qu’en Occidental que Monnet est amené à penser le problème du réarmement allemand, ce que confirme l’extraordinaire lettre qu’il envoie le 3 septembre à René Pleven22. L’objectif ultime est moins la construction d’une Europe unie que « la constitution organisée de notre monde libre, atlantique, sous les formes diversifiées qui correspondent aux trois mondes qui le composent : les États-Unis, l’Empire britannique, l’Europe continentale de l’Ouest, fédérée autour d’un plan Schuman développé ». Première mention indirecte ─ et la seule de toute cette longue lettre – de la future armée européenne, cette proposition nous place d’emblée au cœur des ambiguïtés du projet européen de Monnet. Nous sommes à la veille des grandes manœuvres de l’automne qui vont déboucher sur l’annonce du plan Pleven. Monnet sort d’une période de recueillement à l’Ile de Ré qui a duré une quinzaine de jours23. Et l’on voit bien comment Monnet en vient insensiblement au projet d’armée européenne : pas de pensée européenne préétablie ─ le concept même de pensée préétablie lui fait horreur24 – mais un cheminement progressif à partir du problème du réarmement dont celui de l’Allemagne n’est qu’un des aspects, sur fond de vision atlantique, avec la CECA en ligne de mire.

19Son atlantisme ne repose pas seulement sur la conscience d’une communauté culturelle, sur les leçons à tirer des deux conflits mondiaux, ou sur une sympathie personnelle. Non, pragmatique jusqu’au bout des ongles, Monnet sait très bien quel est le rapport des forces entre l’Europe et ces « associés » que sont les Américains. « Il se trouve qu’ils sont les plus puissants, qu’ils nous ont aidés et que sans eux, nous ne serions pas sortis de nos difficultés matérielles d’après-guerre », écrit-il à Pleven le 3 septembre. Pour reprendre son expression, l’atlantisme de Monnet a de solides bases « matérielles » auxquelles se joignent des considérations tactiques.

  • 25 ROUSSEL Eric, « Monnet et les Américains », in Bellefeuilles, Revue des débats européens, automne 1 (...)
  • 26 « Très attentif au rôle de la France dans le processus communautaire – c’était là sa forme de patri (...)
  • 27 Cf. texte en annexe.

20Néanmoins – et il faut insister là-dessus – Monnet ne conçoit absolument pas les relations américano-européennes dans une perspective de subordination25. Pour lui, le déséquilibre actuel doit être compensé, et la nature de l’aide américaine en offre une occasion rêvée : « Leur aide a été matérielle. Ils continuent à penser en termes matériels. Ce dont ils ont besoin, et nous avec eux, c’est d’une politique positive, c’est-à-dire spirituelle et morale ». D’où la responsabilité de l’Europe, et en particulier de la France26, que Monnet met en valeur quand il propose à Pleven « d’apporter à nos associés la contribution d’une pensée forte, constructive, déterminée à créer en même temps notre défense extérieure en Europe, notre développement social intérieur, la paix en Orient, la constitution organisée de notre monde libre atlantique sous les formes diversifiées qui correspondent aux trois mondes qui la composent »27. A chacun son rôle, semble dire Monnet, pour qui il appartient aux pays du Vieux Continent, d’inventer l’avenir à partir des moyens que leur offrent les Américains. Une approche que confirmera son attitude au Comité des Sages, dix-huit mois plus tard...

E. Vers une révolution dans les relations internationales

  • 28 Ibid.
  • 29 Souligné dans le texte.

21Dans cette perspective, on comprend mieux pourquoi Monnet tient autant à la CECA même s’il n’est pas à proprement parler un Européen. C’est qu’elle s’inscrit dans le cadre de ce « partnership » atlantique qu’il appelle de ses vœux, en lui fournissant l’occasion de mettre en œuvre grandeur nature deux principes qui fondent son action dans le court et le long terme. Dans l’immédiat, elle répond à la « nécessité de modifier les esprits des hommes par un acte qui “change” et qui tourne vers “la construction au lieu de la destruction” »28. Mais en posant cet acte positif qui s’inscrit en faux contre une logique de guerre de plus en plus prégnante, Monnet voit à plus longue échéance. « Le plan Schuman a prouvé, avant même d’avoir existé, qu’il était dans le sens du courant de volonté de changement qui anime les peuples de tous les pays et dont l’expression organique doit être la transformation des relations entre les pays et entre les individus ».29 Bien sûr, il y aurait beaucoup à dire sur ces « peuples de tous les pays » dont parle Monnet : ne doit-on pas ajouter « de la sphère occidentale » ? Car faut-il aller jusqu’à inclure les peuples de l’Europe de l’Est ou ceux du Tiers-Monde ? On peut néanmoins le penser, au vu de ce que Monnet dit, quelques lignes plus haut, du conflit indochinois et qui l’aurait indéniablement fait passer pour un progressiste dangereux, voire un crypto-communiste !

  • 30 Cf. texte en annexe.

22Alors, Monnet universaliste, Monnet tiers-mondiste ? On est loin de l’image d’Épinal... Citoyen et haut-fonctionnaire français, de tempérament occidental et d’ambition universaliste, Monnet ne voit dans la construction communautaire que le moyen de mettre en œuvre, dans le domaine hautement symbolique de l’antagonisme franco-allemand, une méthode dont les fins ultimes sont moins européennes qu’universelles. Mais si la construction communautaire n’est pas une fin en soi, elle n’en reste pas moins le bien le plus précieux pour l’instant aux yeux de Monnet, car elle est le premier pas indispensable, la tête de pont emblématique de ce « changement fondamental dans les relations entre les peuples résultant du principe même de supranationalité » qu’appelle Monnet30.

  • 31 Cf. MONNET, op. cit., p. 395 ou URI Pierre, Penser pour l’action, Paris, Editions Odile Jacob, 1991 (...)

23Or, cette avancée en cours – la négociation bat son plein – est gravement menacée par le réarmement allemand devenu imminent. On a vu comment, dès l’annonce de l’invasion de la Corée du Sud, Monnet avait senti le danger. Le 25 juillet, le discours de son ami McCloy, Haut-Commissaire américain en Allemagne, est perçu comme le signe évident que ses craintes vont se matérialiser. Ce n’est ni la première, ni la dernière annonce d’un réarmement national allemand, mais le fait que Monnet et ses proches le présentent dans leurs mémoires comme le déclic en la matière indique que ce signal eut une résonance spéciale dans l’entourage de Monnet31.

  • 32 Lancée publiquement à l’automne 1949 – interview au New York Times du général Lucius Clay, ancien c (...)
  • 33 VAN HELMONT, op. cit., pp. 24-25.
  • 34 MONNET, op. cit., p. 394.
  • 35 Cf. par exemple POIDEVIN Raymond, Robert Schuman, homme d’État (1886-1963), Paris, Imprimerie Natio (...)

24Or, le désarroi des élites est manifeste, comme l’atteste la multiplication des appels en faveur d’une armée européenne32 ou la visite secrète que, grâce à l’entremise de Jean Monnet, le directeur de Cabinet d’Adenauer, Blankenhorn, rend à René Pleven33. Le gouvernement français en particulier semble tétanisé devant l’échéance, ce qui se traduit par un véritable phénomène d’occultation ainsi décrit par Monnet : « c’était en effet le point le plus sensible, qu’il était convenu de n’aborder jamais au cours de nos conversations et dont la réalité même était obstinément niée par la diplomatie française. »34 Bien connue des historiens35, cette « politique de l’autruche » va déterminer Monnet à agir dans la mesure où il constate que ses mises en garde répétées se heurtent à un mur d’incompréhension.

25Encore le 19 septembre, il aura avec Schuman, sur le point de partir pour le sommet atlantique de New York, un dialogue quasisurréaliste :

26« Vous n’éviterez pas que le réarmement de l’Allemagne passe vite au premier plan de vos entretiens

  • 36 MONNET, op. cit., pp. 399-400.

27– J’en suis bien convaincu, répond Schuman, mais la position du gouvernement est simple : il ne peut être question de réarmer l’Allemagne sous quelque condition que ce soit. Je préfère penser que le problème ne sera pas posé36. »

  • 37 Le surnom est de De Gaulle ; cf. Georgette ELGEY in Histoire de la IVe République, T. 2, La Républi (...)
  • 38 MONNET, op. cit., p. 401.
  • 39 Ibid., p. 395.
  • 40 Ibid., p. 398.
  • 41 Ibid., p. 342 et pp. 396-397. Monnet partit en effet s’isoler deux semaines dans les Alpes en mars  (...)

28Tout est dit et Cassandre de se muer en Méphisto37 pour sortir le gouvernement français de « l’impasse d’un refus de principe »38. « Impasse » : le mot revient à plusieurs reprises sous la plume de Monnet pour qualifier la situation en cette fin d’été 1950 qui lui semble un retour à la case départ. « A nouveau, nous étions entourés d’impasses », constate-t-il pour clore son exposé de la situation en août 195039. L’ambiance même lui rappelle étrangement celle qui prévalait quelques mois plus tôt : « Au fond, nous étions replacés dans la situation psychologique du printemps, devant la même attente à laquelle avait répondu le plan Schuman »40. Et il n’est pas jusqu’à ce temps de « désert » à l’Ile de Ré, avant de repasser à l’action, qui n’introduise d’étonnantes similitudes avec l’épisode précédent41...

29« L’impasse », pour lui, en ce mois de septembre 1950, ne réside pas seulement dans l’antagonisme entre la volonté américaine et le refus français de réarmer l’Allemagne, parce qu’il sait que, tôt ou tard, le gouvernement français devra céder et qu’il acceptera alors la constitution de divisions allemandes dans le cadre de la future armée intégrée de l’Alliance Atlantique. Là est la véritable impasse, impasse pour la CECA, impasse pour la France.

II. La genèse du plan Pleven (septembre-octobre 1950)

  • 42 MONNET, op. cit., p. 397.
  • 43 Cf. texte en annexe.

30Début septembre, Monnet rentre à Paris après des vacances soucieuses à l’Ile de Ré où il n’est pas n’arrivé « à trouver le calme dans ses promenades habituelles »42. Sa longue lettre à Pleven du 3 septembre clôt cette période de maturation au cours de laquelle Monnet est parvenu à la conclusion qu’il faut viser « une Europe continentale fédérée autour d’un plan Schuman élargi »43. Revenu à Paris, Monnet reprend ses tâches habituelles de Commissaire général au Plan et de président de la conférence sur le plan Schuman, mais continue également sa réflexion sur le problème du réarmement allemand, tout en diffusant ses idées auprès des dirigeants français.

A. L’universelle araigne

  • 44 Cf. par exemple HIRSCH Étienne, Ainsi va la vie, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Centre de Rec (...)
  • 45 Ibid.
  • 46 ELGEY, op. cit., p. 233 et pour une perspective à plus long terme, FONTAINE Pascal, Le Comité d’act (...)

31Monnet est alors en position d’influence exceptionnelle, ce dont témoigne sa longue lettre au Président du Conseil, René Pleven. On n’a pas assez insisté sur l’extraordinaire conjoncture politique dont bénéficie Monnet en cette fin d’été 1930. Déjà, au printemps, c’est sa situation particulière en marge de l’administration française qui – au-delà de son charisme personnel – lui a permis d’inspirer le plan Schuman. Comme le souligneront plus tard de nombreux témoins44, la rue de Martignac dépendait directement du Président du Conseil et jouissait de ce fait d’une autorité et d’une liberté d’action remarquables. En outre, depuis 1946 Monnet a su rassembler autour de lui une petite équipe soudée d’où émergent en 1950 les figures d’Étienne Hirsch et Pierre Uri45. Cette garde rapprochée se double d’un réseau de collaborateurs occasionnels, de relations personnelles nationales et internationales dont l’engagement commun au service de l’idéal européen se cristallise à cette époque et que G. Elgey désignera plus tard du nom de « Société des Européens46 ».

  • 47 MONNET, op. cit., p. 285.
  • 48 Selon Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, in L’acteur et le système, Seuil, Collection « Points Pol (...)
  • 49 La formule est de Monnet. Jacques Van Helmont, qui la cite – op. cit., p. 164 – le définit comme le (...)

32Bien qu’étranger à la tradition des grands corps de l’État, Monnet le businessman a su ainsi se créer une place tout à fait à part au sein de l’administration, une sorte de petit royaume personnel, de micro-état à la mode vaticane dont l’influence nationale et internationale dépasse de beaucoup les limites officielles qui lui sont reconnues. Certes, le Commissariat du Plan est structurellement un lieu de passage, un lieu carrefour47 mais la personnalité de son premier titulaire lui a donné une aura hors du commun. En y investissant son très riche capital relationnel, issu en particulier de son expérience américaine, Monnet en a fait le lieu d’une extraordinaire alchimie de pouvoir et d’idées. Celui que l’on peut définir comme un « marginal sécant »48 tire en effet sa force de cette situation périphérique qui lui permet, sans appartenir au « cercle magique »49 mais en y ayant de nombreuses amitiés, d’influer sur le cours des événements.

  • 50 Pour l’anecdote, cf. URI, op. cit., p. 81. Sur le fond, il semble que Bidault « n’ait pas trouvé gr (...)
  • 51 Entré comme expert financier dans son équipe en janvier 1927, à Varsovie, Pleven doit en partie à M (...)

33C’est ainsi qu’au printemps 1950, son laboratoire d’idées a été capable de fournir tout prêt à Schuman le projet politique que celui-ci recherchait désespérément pour sortir du cul-de-sac où se trouvaient bloquées les relations franco-allemandes. Comment le système Monnet n’aurait-il pas fonctionné à nouveau à l’automne 1950 alors qu’une menace de mort pesait sur l’entreprise lancée au printemps ? Or les quelques mois écoulés avaient vu un renforcement sensible de la puissance de ce réseau avec le changement de Président du Conseil intervenu le 10 juillet. On connait la mésaventure du futur plan Schuman que G. Bidault laissa traîner sur son bureau en l’ignorant...50 Désormais Monnet a l’oreille du Président du Conseil, René Pleven qui, de Varsovie à Londres et d’Alger à Paris, a été, depuis près de vingt-cinq ans, un collaborateur régulier et un ami fidèle51.

  • 52 Ibid., p. 194 : « Jean Monnet, visiteur assidu qui ne passe jamais par les services ».

34Les visites de Monnet ne sont donc plus destinées au seul ministère des Affaires étrangères où Robert Schuman continue son règne52, et Monnet se retrouve dans une situation d’influence exceptionnelle puisque jamais il n’avait eu et n’aura, de manière simultanée, l’oreille du ministre des Affaires Étrangères et celle du Président du Conseil. Last but not least, Monnet en personne est désormais président de la Conférence charbon-acier où l’assistent Uri et Hirsch. C’est donc toute l’équipe de la rue de Martignac, qui a reçu une consécration diplomatique officielle, qui lui donne désormais un rôle politique supplémentaire. Ajoutons à cela la récente nomination d’Hervé Alphand comme représentant français au tout nouveau « Conseil des suppléants » de l’Alliance atlantique, et l’on aura un tableau complet de la force d’influence accrue de Monnet et de son équipe.

B. Convaincre (septembre 1950)

  • 53 Projet de mémorandum ─ non remis ─ à Robert Schuman, 9 septembre 1950, AMI 4/4/1, FJM. Texte comple (...)
  • 54 MONNET, op. cit., p. 399.
  • 55 Cité par ELGEY, op. cit., p. 234.

35Monnet va donc utiliser à fond ce formidable capital pour faire passer sa conception du réarmement allemand, une conception qui s’élabore progressivement au sein de son staff. Informé par la presse des entretiens que Schuman va avoir à New York, Monnet lui rend visite après avoir rédigé, le 9 septembre, un mémorandum dans lequel il insiste sur la nouvelle donne diplomatique53. « Vous n’éviterez pas que le réarmement de l’Allemagne passe vite au premier plan de vos entretiens », lui annonce-t-il lors de leur rencontre, « aussi la révision de son statut actuel se posera ». D’où une ligne de conduite simple : « rien ne doit être décidé là-bas en dehors du contexte du plan Schuman [...] car si les Allemands obtiennent ce qu’ils en attendent indépendamment de sa réalisation, nous courons le risque de les voir se détourner de nous ». Et Monnet de décrire pour la première fois précisément la menace de mort qui pèse sur la CECA : « La participation au réarmement sur une base nationale et la liberté d’action qui leur serait reconnue en contrepartie leur donneraient les moyens et la tentation de balancer entre l’Est et l’Ouest. Ils considéreraient que la communauté appartient au passé et la ramèneraient à une pure affaire technique »54. Conclusion logique : « La participation allemande à la défense commune ne doit pas se faire par le réarmement de l’Allemagne, mais par la participation de celle-ci à une organisation fédérée du réarmement de l’Europe de l’Ouest »55.

36On le voit, Monnet prévient plus qu’il ne propose : l’heure est moins aux propositions toutes faites qu’à une pédagogie de la vigilance qui s’explique par la situation d’expectative qui est encore celle de l’inspirateur. Il lui faut attendre que l’évolution des négociations diplomatiques lui donne raison pour que ses avis soient entendus : la réaction, déjà évoquée, de Schuman le 9 septembre le prouve assez. A ce choix tactique se joignent certainement des impératifs de réflexion : certes depuis la fin août, au moins, Monnet pense à une Europe de l’Ouest fondée autour d’un plan Schuman élargi. Mais qu’y-a-t-il derrière cette formule aussi ambitieuse que vague ? Car derrière se profile un changement de cap à 180 degrés dans le rythme de la construction européenne : est-il si facile à Monnet de se l’avouer, de l’admettre ? Lui aussi n’a-t-il pas, d’une certaine manière, besoin d’être convaincu ?

37Toute l’attitude de Monnet durant le mois de septembre tient entre ces deux exigences contradictoires : il est celui qui sait pour les autres, avant les autres, et en même temps, il doit attendre que les événements confirment ses pressentiments. Il est en même temps la vigie et le capitaine, celui qui voit les problèmes et imagine les solutions. En même temps, mais pas tout seul ; Monnet se doit également de convaincre, d’où, volens nolens, une stratégie de la tension qui est d’ailleurs aussi subie que provoquée dans la mesure où le rythme des événements internationaux ne laisse guère de répit aux dirigeants français.

  • 56 Télégramme de Jean Monnet à Robert Schuman, 14 septembre 1950, AMI 4/4/2, in MADURAUD, op. cit., p. (...)
  • 57 MELANDRI Pierre, « Les États-Unis et le plan Pleven », in Relations internationales, 1977, n° 11, p (...)

38Ainsi, le 14 septembre, Monnet envoie à Schuman un télégramme alarmiste où il lui rend compte du net changement d’attitude qu’il commence à observer au sein de la délégation allemande à la Conférence de la CECA. Conclusion sans appel de l’inspirateur : « les nouvelles perspectives qui leur sont offertes, par le fait même que la défense de l’Occident tout entier, États-Unis compris, dépende de leur seul réarmement, offre [aux Allemands] un champ quasi-illimité à leurs revendications et à leurs espoirs de les voir se concrétiser »56. Constat objectif d’une évolution de fond, mais aussi mise sous pression habilement menée qui utilise les derniers et dramatiques développements de la négociation internationale. Arrivé à New York le 10, Schuman a encaissé le 12, la doctrine du « one package » 57. Depuis deux jours donc, les Américains le mettent sous pression, et le lendemain doit s’ouvrir le sommet officiel de l’Alliance atlantique où il ne fait guère de doute que la proposition américaine va bénéficier du soutien de la majorité des participants. Dans ce contexte, le télégramme envoyé par Monnet est autant un encouragement à ne pas céder sur le refus de principe d’un réarmement national allemand, qu’une invite à envisager une solution originale pour régler ce problème en cohérence avec la nouvelle politique européenne de la France.

  • 58 Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, le 16 septembre 1950, AMI 4/4/3. Cf. MONNET, op. cit., p. 4 (...)
  • 59 Mémorandum de Jean Monnet à Robert Schuman, 16 septembre 1950, AMI 4/4/3 bis, FJM. Texte complet in (...)
  • 60 ELGEY, op. cit., p. 234.
  • 61 Ibid.
  • 62 Cf. VAN HELMONT, op. cit., pp. 163-164 : « Il ne s’intéressait pas à l’histoire, sauf contemporaine (...)
  • 63 ELGEY, op. cit.
  • 64 Ibid.

39On en a une illustration supplémentaire avec la lettre et le mémorandum que deux jours plus tard, Monnet fait transmettre à Schuman par Couve de Murville, et où Monnet enserre son correspondant dans les mailles étroites d’une rhétorique sans échappatoire : « Trois voies semblent ouvertes. Ne rien faire ? Mais est-ce possible ? Traiter l’Allemagne sur une base nationale, mais rendre alors la constitution de l’Europe et le succès du plan Schuman impossibles. Ou intégrer l’Allemagne à l’Europe par un plan Schuman élargi, en prenant dans un cadre européen les décisions qui vont être prises »58. Ce projet s’intègre dans celui plus vaste d’une communauté atlantique qui comprendrait trois pôles : les États-Unis, la Grande-Bretagne avec les Dominions et enfin les pays de l’Ouest du continent59. On en a donc la confirmation, la construction européenne n’est pas une fin en soi, elle est au service d’une entreprise d’intégration atlantique. Ce courrier constitue le texte préliminaire d’un premier mémorandum que Monnet fait parvenir à Pleven le 18 septembre, où il reprend sa proposition « d’organiser la défense européenne selon la formule supranationale du plan Schuman »60. Mais de nouvelles raisons sont invoquées qui renvoient moins à la nécessité de sauver ce dernier qu’au besoin d’intégrer fermement l’Allemagne dans le monde occidental. Ainsi, il faut fusionner les unités allemandes avec celles des autres pays « pour qu’elles ne puissent pas s’en séparer et être utilisées à d’autres fins que la sécurité de l’Europe de l’Ouest et de la communauté atlantique »61. Un impératif qui nous renvoie à une vision de l’Allemagne guère éloignée de celle du reste de la classe dirigeante française, impression confirmée par l’usage abondant que fait Monnet des références au passé. Lui d’habitude si peu soucieux des leçons de l’histoire62, évoque pêle-mêle les Saxons qui abandonnèrent Napoléon, les Anglais qui, par souci de couvrir les ports de la mer du Nord, permirent à Ludendorff de percer le front en 1918, les Belges qui capitulèrent en 1918... L’Histoire apprend le danger de la juxtaposition des armées nationales : « au moment critique, les préoccupations nationales immédiates l’emportent et la solidarité qu’on recherchait se rompt, parce qu’on n’a pas pris les moyens de la réaliser »63. On touche l’ambiguïté ou, tout au moins, la diversité des motivations de Monnet. Derrière cette révolution des rapports internationaux qu’il vise à long terme, et dont la CECA lui fournit un premier terrain d’application, derrière l’impérieuse nécessité de contrer la logique de guerre en continuant à poser des actes constructifs qui engagent la révision des rapports internationaux, il y a la peur hexagonale d’une Allemagne qui retournerait à ses « tentations traditionnelles »64, et qui constitue paradoxalement le socle d’une vision optimiste et constructive.

  • 65 Note de Jean Monnet relative au problème allemand, 22 septembre 1950, AMI 4/4/5, FJM, citée par MAD (...)

40Au cours des jours suivants, Monnet va encore préciser sa vision du problème, en particulier au travers des notes des 22 et 23 septembre qui marquent un approfondissement de son argumentation. Monnet pousse la logique de sa proposition jusqu’au bout, et fait ressortir combien sa solution au problème du réarmement allemand s’inscrit dans la logique du projet atlantique qui est à la base de la position officielle française depuis août dernier. « Il s’agit donc que l’ensemble atlantique, c’est-à-dire les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Dominions, et l’Europe prenne une forme, et qu’au sein de cet ensemble dont la Grande-Bretagne et les Dominions font partie, qu’il soit reconnu par les États-Unis et la Grande-Bretagne qu’une des lignes politiques essentielles de la communauté soit la création de la communauté européenne de l’Ouest sur la base du plan Schuman, sous la conduite de la France »65. La logique atlantique et la logique européenne sont donc loin d’être contradictoires, puisqu’elles procèdent de la même philosophie politique intégrationniste. En outre, le cadre atlantique, est d’une part le seul à pouvoir intégrer la spécificité anglaise – un pays européen mais avec des prolongements internationaux, les Dominions. D’autre part seuls les États-Unis ont la puissance matérielle nécessaire pour permettre à l’Europe de se refaire. Ajoutons à cela la relation privilégiée – tant politique que culturelle – entre ces deux pays anglo-saxons, et l’on aura compris que pour Monnet il n’est point de salut européen sans intégration atlantique.

  • 66 Note de Jean Monnet, 23 septembre 1950, AMI 4/4/6-7, citée par MADURAUD, op. cit., p. 83, et ELGEY, (...)

41On retrouve dans la deuxième note, adressée à Pleven le 23 septembre, l’écho de cet approfondissement conceptuel66. Monnet y reprend un thème déjà évoqué dans sa lettre du 3, celui de la complémentarité des rôles entre l’Europe et les États-Unis. Les Américains « trouvent les solutions techniques », écrivait-il, « mais seuls, ils ne savent pas aujourd’hui apporter la pensée politique dont le monde a besoin ». Pour conclure : « Je crois que nous pouvons apporter une contribution importante... ». Trois semaines plus tard, Monnet va plus loin en soulignant que la création des États-Unis d’Europe qu’entraîne la naissance de l’armée européenne, obligera les États-Unis et l’URSS à modifier leur politique. La construction communautaire n’est plus seulement un bon exemple à suivre : par son existence, elle imposera la modification fondamentale de la donne diplomatique que Monnet appelait de ses vœux début septembre.

  • 67 FONTAINE André, Histoire de la guerre froide, T. 2, Fayard, 1962 et « Points » Seuil, 1983, p. 47.
  • 68 ELGEY, op. cit., p. 224.
  • 69 Cf. texte en annexe.
  • 70 ELGEY, op. cit., p. 235.

42Pourquoi ce durcissement de ton ? Le Conseil atlantique, qui s’est achevé par une impasse le 18 septembre, a prouvé la détermination américaine à réarmer l’Allemagne au plus vite67. Depuis, les Américains ont maintenu la pression en exigeant la tenue immédiate d’une réunion des ministres de la Défense des Trois qui a débuté le 21 septembre, et qui est marquée par une série d’affrontements dramatiques entre les Français et les Anglo-Saxons68. Monnet est donc de plus en plus pénétré du bien-fondé de sa démarche, et sent la nécessité d’aboutir pour sortir de l’impasse dans laquelle s’enfonce le gouvernement français. Il martèle donc avec une vigueur accrue par l’urgence chacun des arguments développés dès septembre. Le « il faut » succède au « je vous propose », le ton se fait plus ferme, plus directif, la vision des choses s’élargit, en même temps qu’elle se précise. Ainsi du rôle de la France : « son gouvernement conserve une position d’autorité morale qui lui permet de parler, d’être écouté comme jamais encore depuis la Libération. Le fera-t-il ? », s’interrogeait Monnet début septembre69. Trois semaines après, l’heure n’est plus aux interrogations : « A cette fusion de l’Europe de l’Ouest, il faut un guide, un leader. Ce ne peut être ni l’Allemagne, ni l’Italie, ce ne peut être que la France »70.

43Entre le début et la fin du mois, c’est moins à l’émergence de thèmes nouveaux qu’à leur approfondissement qu’on assiste. Mis à part l’analyse du danger de mort que fait peser le réarmement national allemand sur la CECA, toutes les idées-phares de Monnet sont contenues dans sa lettre à Pleven du 3 septembre. Et l’on ne peut être que frappé, au fil des jours et des documents, par l’extraordinaire cohérence de son argumentaire, par la régularité avec laquelle chacun de ses thèmes revient, souvent dans les mêmes termes.

  • 71 MADURAUD, op. cit., p. 77 et GERBET Pierre, La construction de l’Europe, Imprimerie Nationale, Coll (...)
  • 72 Ibid.
  • 73 MOCH Jules, Histoire du réarmement allemand depuis 1950, Paris : Robert Laffont, 1965, pp. 93-94. L (...)

44Le résultat de cette pédagogie méthodique n’est pas long à venir. Dès la fin du sommet atlantique, le 18 septembre, Schuman suggère au gouvernement, dans un télégramme, de rechercher une solution au problème du réarmement allemand en conformité avec la politique menée jusqu’alors71. Quatre autres télégrammes suivront jusqu’au 25 septembre, qui recommandent une solution sur la base du plan du 9 mai, avec la France comme chef de file72. Le gouvernement refuse, mais à son retour de New York, dans les tout derniers jours de septembre, Jules Moch a la surprise d’entendre Pleven lui exposer les grandes lignes d’un projet d’armée européenne...73

C. De l’idée au plan (fin septembre – mi-octobre 1950)

  • 74 MONNET, op. cit., p. 403.
  • 75 Notes de Paul Reuter sur le projet d’armée européenne, 28-29 septembre 1950, AMI 4/4/IO-II et 4/6/2 (...)
  • 76 MONNET, op. cit., p. 404.

45Sans que l’on puisse la dater précisément, il est certain qu’en cette fin septembre, une double rupture vient de se produire. Comme il l’indique dans ses mémoires, Monnet a demandé à son équipe de se pencher sur le dossier74, et les 28-29 septembre, une note de Paul Reuter, sur la participation de l’Allemagne à la communauté atlantique, jette les bases d’un projet d’armée européenne75. C’est la première traduction concrète de cette initiative que Monnet appelle de ses vœux depuis le début du mois. On passe des considérations d’ensemble quant à la nécessité de trouver une solution originale au problème du réarmement allemand à l’élaboration de cette solution. Dans le même temps, sans qu’il soit pourtant possible d’établir un lien de cause à effet, Monnet « établit un contact personnel quotidien »76 avec Pleven qui atteste d’un premier ralliement de celui-ci aux solutions préconisées depuis un mois par l’inspirateur.

  • 77 MELANDRI, op. cit., p. 208.
  • 78 Ibid., p. 206.

46Une chose est sûre : le projet d’armée européenne sort des limbes, ne serait-ce que lexicalement, puisque celle-ci est désormais clairement nommée alors que l’on ne parlait jusque-là que de « plan Schuman élargi » ou de « solution supranationale ». Glissement de terme aussi symbolique que celui de juillet 1951 ─ quand on parlera de CED au lieu d’armée européenne – et qui marque la naissance officieuse du projet. Même si le 6 octobre, le Conseil des Ministres refuse encore de l’entériner et repousse toute décision jusqu’au 2177, on sent bien que quelque chose de décisif s’est joué à la fin septembre. C’est certainement dans l’évolution de la négociation internationale qu’il faut chercher la raison essentielle de ce tournant. Le 26 septembre, les discussions engagées entre Occidentaux le 10, se sont achevées sur un ultime Conseil atlantique et un faux compromis78. Seul acquis tangible pour la diplomatie française, un mois de répit, de sursis, diront les plus pessimistes, jusqu’au prochain Conseil atlantique, le 26 octobre, à New York : là il faudra accepter le réarmement allemand, ou à défaut proposer autre chose, car quinze jours de discussions dramatiques ont convaincu les dirigeants français qu’ils ne pourront plus temporiser : ce sera hic et nunc.

47Comment, dans ces conditions, se payer le luxe de se montrer difficile devant la solution qu’inlassablement prêche un Monnet fort du succès rencontré par sa précédente initiative en mai, et de ses avertissements prophétiques du début du mois ? Et puis, dans une négociation aussi difficile avec les Anglo-Saxons, comment négliger la parole d’un homme dont on sait qu’il est peut-être le Français le mieux introduit à Washington ? Son passé n’est-il pas garant d’un bon accueil de ses propositions outre-atlantiques ?

  • 79 MONNET, op. cit., p. 403.
  • 80 ELGEY, op. cit., p. 238.

48La personnalité de Monnet a donc joué un rôle certainement déterminant dans l’acceptation progressive de son projet par les responsables français. Elle a également entraîné une gestion originale du dossier, à bien des égards semblable à ce qui s’était déjà fait pour le plan Schuman. Comme au printemps, c’est une équipe extrêmement réduite qui élabore le projet, à l’écart des administrations qui auraient dû normalement en avoir la charge. « Cette fois encore, nous laissâmes de côté les techniciens qui rendent les choses plus compliquées et résistent aux changements », écrira Monnet dans ses Mémoires en expliquant : « Nous n’avions pas plus besoin d’experts militaires que nous n’avions eu besoin d’experts sidérurgiques pour frire que l’acier fût européen »79. Une absence de concertation confirmée par le témoignage du général Stehlin, alors en poste au ministère de la Défense, qui rapportera comment il dut, avec ses collègues officiers, donner une traduction militaire concrète au projet en l’espace d’une nuit, dans l’intervalle entre l’annonce du plan et le départ de Jules Moch pour le Conseil atlantique80.

  • 81 GUILLEN Pierre, « Les chefs militaires français, le réarmement de l’Allemagne et la CED (1950-1954) (...)
  • 82 Institut Pierre-Renouvin, Travaux et Recherches, n° 1, été 1986, « Interview de René Pleven par Ant (...)

49Une révolution dans le domaine de la défense préparée dans le dos des principaux intéressés : il y avait là de quoi nourrir bien des suspicions futures... D’autant que les chefs militaires avaient déjà préparé leurs propres plans, en étroite concertation avec leurs collègues alliés, qui prévoyaient « la constitution de divisions allemandes mises à la disposition de l’OTAN et intégrées à l’échelon du corps d’armée »81. Mais était-ce si absurde sur le moment ? Pleven insistera plus tard sur la commodité de cette solution : « Monnet avait la chance d’avoir autour de lui une équipe, un brain trust homogène, qui ne commettait pas d’indiscrétions, et dont je connaissais les éléments... De plus, le Commissariat au Plan était rattaché à la Présidence du Conseil et il était naturel qu’on confie à cette équipe des études, même sur des sujets qui n’étaient pas spécifiquement de son ressort ».82

  • 83 MONNET, op.cit., p. 403.
  • 84 Ibid., et HIRSCH, op. cit., p. 111.

50A partir de la fin septembre, le commando de la rue de Martignac travaille donc, « dans les intervalles de temps entre les séances de la Conférence »83, à donner une expression politico-juridique au principe d’armée européenne. Car comme au printemps, Hirsch, Uri, Clappier, Reuter – auxquels s’est joint Alphand84 ─ continuent à vaquer à leurs occupations habituelles, qui au Plan, qui au Conseil des suppléants. En ce qui concerne les hommes de la rue de Martignac, la situation s’est même aggravée, puisque depuis juin ils ont la charge de la conférence charbon-acier. Une double, voire triple vie, que justifient à la fois la nécessité du secret et l’urgence du moment.

  • 85 MONNET, op. cit., p. 406.
  • 86 Ibid., p. 402.

51Ainsi, alors qu’entre le 4 et le 6 octobre, Monnet et son équipe rédigent deux projets de déclaration au gouvernement américain, se noue au Tonkin le drame de la RC 4, avec l’évacuation dramatique de Cao Bang et Lang Son, qui marque le tournant de la guerre d’Indochine. Dans l’immédiat, c’est le crédit international de la France qui est sérieusement entamé, d’où la nécessité, plus que jamais, d’une action audacieuse pour « redresser son prestige en Europe »85. Surtout, depuis septembre, Monnet guette anxieusement « les signes d’une évolution au sein de la délégation allemande »86 à la Conférence des Six.

  • 87 Projet de lettre à M. le ministre des Affaires étrangères, 14 octobre 1950, AMI 4/6/1, FJM, cité da (...)

52Dès le 14, on a vu comment Monnet télégraphiait à Schuman en plein sommet pour lui faire part des premiers « symptômes de durcissement » qu’il avait cru noter. Un mois plus tard, ses craintes se sont confirmées, et dans une lettre au ministre des Affaires étrangères, Monnet analyse la situation difficile à laquelle il est confronté en tant que président de la Conférence charbon-acier : « Les Allemands jouent fort habilement sur les deux tableaux, essayant ici de profiter du renforcement de leurs positions obtenues ou espérées là-bas ». Mais ce jeu de bascule n’est pas tout : au-delà des subtilités tactiques « l’attitude négative prise par la France devant le problème du réarmement de l’Allemagne, a le double effet de frire douter les Allemands de notre volonté de coopérer, et de les laisser escompter, à notre détriment, une faveur accrue de la part des États-Unis ».87 L’entêtement sans issue des dirigeants français a donc des conséquences dévastatrices sur le plan de la confiance et touche ainsi au nouvel esprit que le plan Schuman tente d’insufler aux relations franco-allemandes.

  • 88 MONNET, op. cit., p. 404.

53Au fil des semaines de septembre et d’octobre, l’évolution des négociations charbon-acier a progressivement inscrit dans les faits ce qui n’était que de l’ordre du pressentiment durant l’été. La survie du plan Schuman – jamais mise en cause dans le courrier du 3 septembre – est devenue l’impératif numéro un à la mi-octobre, à tel point que dans sa lettre du 14, Monnet déclare faire ses propositions pour « mener à leur aboutissement les négociations du plan Schuman ».88

D. Le lancement (16-28 octobre)

  • 89 Ibid., pp. 405-406.

54On a la confirmation de cette priorité avec le récit que donne Monnet de l’entrevue décisive qu’il a le 16 octobre avec Schuman et Pleven. « Je rencontre en ce moment dans notre conférence des difficultés nouvelles qui, sous des prétextes techniques, risquent d’en retarder la conclusion ou même de l’empêcher », leur déclare-t-il. Et d’exhiber une note inédite d’Hallstein, sur les modifications que la réalisation du plan Schuman devrait permettre d’apporter au statut d’occupation. Étonnement du ministre qui n’a pas reçu la lettre, et coup de grâce de Monnet qui rétorque : « Elle m’a été remise à titre personnel, et Hallstein n’a pas insisté. Mais j’y vois un signe avant-coureur... »89.

  • 90 Ibid., p. 402 et surtout STEINERT Marlis G., « Un saut dans l’inconnu. La R.F.A. face au plan Schum (...)
  • 91 Ibid., p. 165.

55Ces craintes sont donc loin de n’être que le produit de l’imagination de Monnet. Deux jours auparavant, l’influent Industrie-Kurier a publié dans son intégralité le discours prononcé au début du mois par le président du club industriel de Düsseldorf, le Docteur Lehr.90 Celui-ci y a exprimé « les graves doutes que l’industrie sidérurgique allemande nourrit vis-à-vis de certaines tendances du plan Schuman ». Or, entre-temps, le porte-parole des industriels de la Ruhr est devenu le ministre de l’intérieur, et la publication de ces propos, le 14 octobre, n’en est que plus marquante. Bien que Bonn ait rapidement pris ses distances à l’égard des déclarations de son ministre, celles-ci trouvent « un vaste écho à l’étranger »91, dans la mesure où elles semblent symboliser le changement progressif d’attitude de l’Allemagne à l’égard du plan Schuman.

  • 92 MONNET, op. cit., p. 406.

56C’est donc à l’issue de ce qu’il ressent comme une cristallisation des réticences allemandes que Monnet, utilisant habilement les atouts que lui vaut sa position, fait monter d’un cran la pression à laquelle il soumet les dirigeants français depuis début septembre, et effectue la percée décisive. Car – si l’on suit le récit qu’en donne Monnet – c’est à l’issue de cet entretien que Pleven donne le feu vert définitif au projet d’armée européenne, l’inspirateur lui remettant à cette occasion un troisième projet de communication du gouvernement français à son homologue américain92.

  • 93 AMI 4/6/3 ; 4/6/4 ; 4/6/5 ; 4/7/1 ; 4/7/3 ; 4/7/7, FJM, cités par MADURAUD, op. cit., p. 87.
  • 94 MONNET, op. cit., p. 406.
  • 95 MADURAUD, op. cit., p. 87.

57On peut déjà y lire les premières esquisses du plan du 24 octobre, qui seront précisées – selon un processus de maturation typique de la méthode Monnet – au fil de versions successives rédigées entre le 19 et le 23 octobre par son staff93. Mais, souligne l’inspirateur, « comme dans la première version de la déclaration du 9 mai, on y trouve déjà le moteur du mécanisme »94. Car durant ces quelques jours, c’est sur la mise en forme du texte – si importante pour lui – et sur la structure juridique du projet que se concentrent Monnet et son équipe. Comme au printemps, le texte définitif est le produit de cette sédimentation puisqu’il reprend le plus souvent le plan et les formules des moutures successives du projet : « Il en est le produit, l’expression et la synthèse »95.

  • 96 ELGEY, op. cit., pp. 236-237 et MELANDRI, op. cit., p. 208.
  • 97 ELGEY, op. cit., p. 237.

58Alors que ce processus cumulatif bat son plein, le 21 octobre a lieu la troisième étape de l’acceptation du projet. Après l’accord conditionnel de la fin septembre, et celui officieux de la mi-octobre, le conseil des Ministres réuni ce jour-là se prononce à l’unanimité, mais sans enthousiasme, pour le projet96 Et le 24 octobre, du haut de la tribune de l’Assemblée Nationale, Pleven peut lancer le plan qui portera désormais son nom. Après quarante-huit heures de débat, le Président du Conseil obtient l’assentiment des députés par 343 voix contre 22597 : c’est la quatrième et dernière étape de l’acceptation du projet. L’armée européenne est devenue la position officielle de la France. Reste désormais à la faire accepter par ses alliés, Américains en tête.

  • 98 MONNET, op. cit., p. 408.
  • 99 MELANDRI, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe (1945-1954), Paris : Pedone, 1980, p. 305
  • 100 Note de Jean Monnet relatant une conversation entre John McCloy, René Pleven et Robert Schuman, 28  (...)
  • 101 MONNET, op. cit., p. 408.

59Monnet s’y emploie dès le 28 octobre en faisant rencontrer chez lui, à Houjarray, Pleven, Schuman, et McCloy, le Haut-Commissaire américain en Allemagne98. Une initiative qui est loin d’être superflue, puisque la veille, les États-Unis ont fait connaître de manière publique leur hostilité à la solution française. Les militaires en particulier, « sont furieux contre les préalables, signature et création d’une structure politique, qui leur paraissent retarder à l’excès le réarmement allemand »99. McCloy se fait leur porte-parole à Houjarray, multipliant les questions sur les délais de mise en place de l’armée européenne et sur les aspects techniques de l’opération100. Des réticences qui ne sont pas exclusivement américaines car, comme le rappelle Monnet, « McCloy était porteur à la fois des inquiétudes contradictoires d’Acheson et d’Adenauer »101. Ce dernier est manifestement troublé par la mauvaise volonté française et le caractère discriminatoire du projet pour son pays, qui, n’ayant pas d’obligation outre-mer, ne pourrait conserver d’armée nationale.

  • 102 Note de Jean Monnet..., 28 octobre 1950, ibid.
  • 103 Télégramme de René Pleven à Jules Moch, 28 octobre 1950, AMI 5/2/4 et 5/2/5, FJM, in MADURAUD, op. (...)

60Pendant toute une journée, les Français se font pédagogues, et plaident avec une telle ferveur la cause de l’armée européenne qu’ils peuvent en retirer le sentiment d’avoir convaincu. « McCloy, impressionné par notre argumentation, en rendra compte à Marshall », note Monnet en conclusion de son compte-rendu des entretiens102. Et dans la nuit du 28 au 29, Pleven adresse à Moch, reparti négocier à Washington le 26, un télégramme optimiste où il lui indique : « depuis votre départ, des indications très précises qui me sont venues d’amis américains officiels me confirment que vous avez de très bonnes chances de rallier le gouvernement américain au principe de notre projet ».103

  • 104 MELANDRI, op. cit., p. 276.

61Pourtant, il n’en est rien. Contrairement au plan Schuman, où quelques heures d’entretien le 8 mai avaient suffi à Monnet pour convaincre Acheson,104 il faudra là attendre plusieurs semaines avant que les États-Unis n’acceptent un compromis, plusieurs mois – et une seconde naissance – avant qu’ils ne reprennent à leur compte le projet, sous le nom de CED, cette fois.

III. De l’armée européenne à la CED ou les intermittences d’un engagement (novembre 1950-juillet 1951)

A. En être sans y être (novembre-décembre 1950)

  • 105 MONNET, op. cit., p. 407.

62En dépit de l’échec de la rencontre d’Houjarray, échec personnel s’il en est puisqu’elle a lieu chez lui et sous ses auspices, Monnet se désengage. Certes les Américains n’ont pas encore accepté le projet d’armée européenne, mais l’inspirateur a réussi à en faire la position officielle – même branlante – de la France. Surtout, comme il le constatera dans ses Mémoires, il n’était « malheureusement pas en mesure d’en suivre le cheminement au sein de l’énorme et pesante machinerie diplomatique dans laquelle il fut aussitôt happé »105.

63Monnet reste en effet Commissaire général au Plan et président de la Conférence des Six. Il n’est pas à même, cette fois, de prendre en charge la négociation qui se lance et de s’y investir corps et âme, avec son équipe, comme il l’avait fait pour le plan Schuman. Premier choix crucial entre ces deux projets et auquel Monnet appporte une réponse qui ne variera pas : d’abord la CECA Autant il n’a pu, et ne pourra, ignorer le problème du réarmement allemand, autant il ne saurait songer à privilégier l’armée européenne au détriment de la CECA. Et d’abord pour une simple raison d’antériorité : née plus tôt, la CECA lui a été confiée, il ne saurait l’abandonner alors même que le Traité prend forme et que les oppositions se cristallisent. Comme souvent lors d’une négociation, ce sont les points les plus délicats qui restent à régler lorsqu’approche la conclusion, et la proximité de cette échéance les rend encore plus brûlants. Phénomène aggravant dans le cas du plan Schuman, l’évolution du contexte international a joué contre lui. On a vu comment au fil de l’automne, les Allemands s’étaient montrés de plus en plus exigeants, conscients des nouveaux atouts que la nécessité de réarmer le pays leur donnait désormais dans la négociation.

  • 106 Compte-rendu d’une conversation téléphonique avec John McCloy, 6 novembre 1950, AMI 5/7/2, FJM, cit (...)
  • 107 STEINERT, op. cit., p. 167.

64L’annonce du plan Pleven n’arrange rien dans la mesure où les Allemands n’en retiennent que les aspects discriminants, comme le déclare McCloy à Monnet début novembre106. Comment dans ces conditions s’étonner que le premier projet de traité pour la CECA proposé le 9 novembre par la France ait rencontré un accueil plus que réservé107 ? Des malentendus ne font qu’aggraver l’ampleur des difficultés, et Monnet ne peut être que très pris par cette négociation, d’autant qu’on espère l’achever d’ici la mi-décembre. Pour autant, il ne peut faire une croix sur le projet d’armée européenne...

  • 108 MONNET, op. cit., p. 408.
  • 109 Ibid., et pp. 404-405.

65Dans la double incapacité de prendre en charge son suivi et de s’en désintéresser totalement, Monnet choisit de se fixer sur quelques points essentiels, et pour le reste de ne pas « se laisser entraîner dans les exercices dialectiques où vont s’engager à perte de vue diplomates et militaires »108. Ses môles de résistance ne sont guère nouveaux ; ils reprennent point par point le programme que Monnet fixait à Schuman dans sa lettre du 14 octobre : « qu’aucun arrangement, même provisoire, ne constitue un embryon, si mince soit-il, d’armée et d’État-Major allemand ; que le premier soldat enrégimenté en Allemagne soit un soldat européen ; et qu’aucune décision n’intervienne avant la signature du plan Schuman »109.

  • 110 Projet d’instruction aux représentants français au Conseil des Suppléants, 6 novembre 1950, FJM, AM (...)

66Programme simple dont on retrouve l’écho dans le projet d’instruction aux représentants français au Conseil des Suppléants que rédige Monnet le 6 novembre, en réponse au compromis proposé deux jours auparavant par le représentant américain, Charles Spofford110. Monnet reste ferme sur son refus de renoncer, même temporairement, à la structure politique du projet. Il précise même son contenu puisque, pour la première fois, il suggère d’utiliser l’assemblée parlementaire de la future CECA comme institution politique de l’armée européenne. Mais il se fait plus souple sur le reste, puisque non seulement il se montre d’accord pour accepter le combat team comme unité de base, mais suggère des mesures intérimaires pour assurer la participation rapide d’effectifs allemands, pourvu que leur existence ne fasse pas obstacle à la formation de l’armée européenne.

  • 111 Note de Jean Monnet à l’intention de René Pleven, 4 décembre 1950, AMI 5/2/17, FJM, in MADURAUD, op (...)

67Au total, une nette volonté de crédibiliser l’offre française aux yeux des Alliés, en insistant sur son efficacité immédiate – même au risque d’un embryon de réarmement allemand... – et sur le sérieux du volet politique – Monnet souligne que la signature du traité de CECA est proche. On a une nouvelle illustration de cette ligne de conduite avec la note que rédige Monnet un mois plus tard à l’intention de Pleven111. Le contexte est dramatique : les négociations n’avancent pas, et une fois encore le gouvernement est au bord de la capitulation face au compromis tentateur proposé par les Américains. Au moment décisif, Monnet une fois encore intervient, pour obliger le gouvernement Pleven à se battre sur son projet. Il faut désormais refuser le combat team ─ dans lequel Monnet ne voit plus que le cheval de Troie d’un réarmement national allemand – obtenir des Américains une prise de position publique en faveur du plan Pleven, et s’entendre avec les Allemands pour organiser au plus tôt une conférence à Paris sur l’armée européenne...

  • 112 A la mi-novembre et au début décembre, le gouvernement français a été prêt d’accepter le compromis (...)
  • 113 MOISI Dominique, La France et la défense de l’Europe, de la CED à l’armement nucléaire, réalités po (...)

68Monnet pousse donc le gouvernement à une attitude à la fois constructive et offensive, au lieu d’attendre les prochaines injonctions américaines. Tout se passe comme s’il devait rappeler que c’est en s’impliquant dans son projet que le gouvernement le rendra crédible aux yeux de ses interlocuteurs. Monnet est-il entendu ? Force est de constater que bien que menacé à deux reprises, au moins, d’être séduit par les offres de compromis américaines112, le gouvernement français tient bon dans son refus d’abandonner le plan Pleven, et que le compromis entériné le 8 décembre au Conseil des suppléants accepte que s’ouvre à Paris une négociation sur l’armée européenne...113

B. L’absence (janvier-mars 1951)

  • 114 STEINERT, op. cit., p. 170.
  • 115 VAN HELMONT, op. cit., p. 31.
  • 116 STEINERT, op. cit., p. 170.
  • 117 HIRSCH, op. cit., p. in.

69C’est un pas en avant important qui implique un début de reconnaissance de la part des Américains, même si Monnet devra encore attendre de longs mois avant d’obtenir cet imprimatur officiel qu’il appelle de ses vœux. Par contre, la négociation sur la CECA est désormais au point mort, car « la crise qui avait débuté à l’automne n’a fait que s’aggraver ».114 Plusieurs problèmes cristallisent l’opposition allemande, parmi lesquels celui de la décartellisation tient une place majeure. Selon Van Helmont, alors secrétaire de la délégation française, ils sont à l’origine d’une rupture de facto des négociations durant l’hiver 1950-1951115. Contrairement à ce qu’escomptait Monnet, la signature du traité n’a pu avoir lieu avant Noël, et lorsque débute la conférence consacrée à l’armée européenne le 15 février, Monnet en est encore à négocier avec Hallstein au sujet des fournitures de charbon de la Ruhr pour l’industrie française...116 Il est donc hors d’état de prendre en charge cette nouvelle conférence, dont la présidence est néanmoins confiée à l’un de ses plus proches collaborateurs, l’ambassadeur Hervé Alphand, alors qu’Étienne Hirsch prend la tête de la commission des armements117 : ce moindre mal n’empêche pas que la Conférence s’ouvre sur un « loupé » magistral, avec la publication par les Français d’un mémorandum aux antipodes de l’esprit du plan Pleven...

  • 118 ELGEY, op.cit., p. 243.
  • 119 Ibid., p. 236.
  • 120 MONNET, op. cit., p. 400.

70« Vouloir demain une armée européenne est certainement une utopie », y est-il déclaré dès le préambule. La contribution allemande est strictement limitée et l’Allemagne ne reçoit en échange aucun avantage. Même la réalisation d’une Europe politique s’estompe : elle n’est évoquée dans le mémorandum que pour être remise sine die.118 Mais faut-il s’en étonner ? Dès les premières indications sur les implications pratiques du plan Pleven, « la discrimination à l’égard de l’Allemagne était incontestable », comme l’écrit G. Elgey qui résume la situation en une formule saisissante : « ce que la France appelle à l’automne 1950 armée européenne, c’est grosso modo la possibilité d’utiliser, sous contrôle étroit, des unités supplétives allemandes incorporées à une armée de coalition dans le cadre du pacte atlantique »119. Le mémorandum français, remis à l’ouverture de la Conférence de Paris, ne fait que s’inscrire dans le droit fil de cette interprétation ultra-restrictive. Car depuis l’origine, la traduction concrète du plan échappe à Monnet et son staff. Elle est l’œuvre de celui qui va se révéler comme l’un des adversaires les plus résolus de la CED, le socialiste Jules Moch ; « esprit systématique, technicien, prisonnier de ses constructions a priori »,120 selon le portrait peu flatteur qu’en donne l’inspirateur, le ministre de la Défense a paradoxalement la haute main sur un projet à l’élaboration duquel il n’a été associé que sur le tard. Et, contrairement à Robert Schuman, il n’est que peu enclin à se laisser « inspirer »...

  • 121 MOCH Jules, Histoire du réarmement allemand de 1950 à nos jours, Laffont, 1965, p. 269.
  • 122 GUILLEN, op. cit., p. 11.
  • 123 ELGEY, op. cit., p. 238.

71Le mémorandum du 15 février est donc son œuvre, même s’il faut souligner qu’il a été élaboré en concertation avec Pleven et Schuman121, ce qui est révélateur des ambiguïtés de leur foi européenne à ce moment-là. Surtout ce texte porte, dans ses restrictions, la marque des recommandations très sévères adressées au gouvernement par les chefs d’État-Major, en particulier dans leur avis du 6 février122. Comment Moch pourrait-il ne pas en tenir compte, lui qui a vu le général Ely ou le colonel Stehlin le supplier à New York de ne pas rendre publique la traduction militaire du plan Pleven qu’ils avaient improvisée en l’espace d’une nuit123 ? L’armée est pour le moins reservée à l’égard d’un projet dont on l’a tenue éloignée, et Moch ne peut que se faire l’interprète de réticences qui rencontrent les siennes.

  • 124 HIRSCH, op. cit., pp. 78, 113, et entretien, 23 février 1994. Selon le témoignage de celui qui fut (...)

72Alors Monnet contre Moch ? La Société des Européens contre la société militaire ? L’opposition est trop simpliste pour être vraie, car s’il est certain que Monnet n’a jamais été un habitué des mess, il n’en reste pas moins qu’il a cherché à s’informer auprès de la haute hiérarchie militaire. Etienne Hirsch atteste de la réalité des contacts qu’eut Monnet à cette époque avec des officiers généraux, en particulier le Chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Blanc, rencontré à Alger en 1943 qui, au lendemain du désastre de Cao Bang, vient rue de Martignac lui exposer personnellement les données du problème indochinois124. Ainsi, Monnet est parfaitement conscient – comme le prouve sa lettre à Pleven du 3 septembre 1950 – de l’équation terrible à laquelle se trouve confrontée une armée à qui l’on demande dans le même temps d’assumer une guerre et un réarmement, l’un dévorant sans cesse les crédits de l’autre et réciproquement...

  • 125 Pour plus de détails, cf. GUILLEN, op. cit., p. 8.
  • 126 STEINERT, op. cit., p. 170.

73Néanmoins, le choix qui fut fait d’exclure les militaires de l’élaboration du projet n’avait pu que braquer une communauté extrêmement sourcilleuse quant à ses prérogatives, et qui n’avait dû que modérément apprécier de se sentir « doublée » par un groupuscule de civils. N’oublions pas en effet que les chefs militaires avaient de leur côté préparé depuis longtemps leurs propres solutions au problème du réarmement allemand...125 Or c’est à leur ministre que revenait le soin d’apporter une traduction concrète à cette sorte d’intrus qu’était le plan Pleven... Le mémorandum du 15 février ne pouvait donc être que fort éloigné de l’esprit novateur d’un projet dont l’auteur était, au même moment, occupé à présenter une nouvelle et dernière version du traité de CECA126.

  • 127 POIDEVIN, op. cit., p. 275.
  • 128 HIRSCH, op. cit., p. ni.
  • 129 POIDEVIN, op. cit., p. 278.

74La tonalité du mémorandum du 15 février, comme l’absence de l’inspirateur, expliquent que la négociation s’enlise immédiatement. Impossible en effet, dans ces conditions, de reprendre la méthode originale appliquée avec succès – au départ – à la CECA : « aboutir à un traité créant la Haute Autorité d’abord, et laisser à cet organisme supranational le soin de régler les problèmes techniques ensuite »127. Ce serait aller exactement à l’inverse de la démarche très progressive suggérée par le mémorandum, et il faudrait l’audace d’un Monnet pour cela. Certes, Alphand dirige la délégation française, et Hirsch le seconde efficacement128, mais l’influence paralysante de Jules Moch se fait constamment sentir : on est bien loin de la négociation sur la CECA où Monnet, a toujours bénéficié de la plus grande liberté de manœuvre...129

  • 130 Ibid., p. 378.
  • 131 Idem.
  • 132 Idem.

75Ainsi, même s’il reste présent dans l’affaire, son désengagement en hypothèque les chances de succès. C’est en effet maintenant, alors qu’il va falloir faire accepter un projet aussi révolutionnaire aux partenaires et alliés, mais également aux cadres dirigeants fiançais, que le besoin d’un maître en pédagogie communautaire se fait impérieusement sentir. Comment Monnet ne le saurait-il pas, lui qui, au moment de l’ouverture de la conférence charbon-acier, insistait sur la nécessité pour chaque délégué de prendre conscience qu’il était là « pour accomplir une œuvre commune, non pour négocier des avantages »130 ? Il y voyait la clef de la réussite, n’hésitant pas à déclarer : « c’est seulement si nous éliminons de nos discussions tout sentiment particulariste qu’une solution pourra être trouvée »131. Or, précisément, cette leçon d’européanisme est, de son propre aveu, « l’une des plus difficiles à apprendre pour des hommes formés à la défense et à la conquête d’intérêts purement nationaux »132...

  • 133 Ibid., p. 409.
  • 134 Ibid., p. 407.
  • 135 MOISI, op. cit., p. 32, note 6.

76Et pourtant, Monnet se désengage. Cet éloignement au moment crucial, alors que tout le pousse à rester, révèle la profonde ambiguïté initiale du plan Pleven, que laissait déjà présager l’examen des raisons de sa naissance. Tout se passe en effet comme si, une fois acquis que « tout accord sur le réarmement allemand serait subordonné à la mise en œuvre du plan Pleven, qui elle-même dépendrait de la signature du plan Schuman »133, Monnet considérait que l’essentiel était fait. Il peut bien se déclarer convaincu qu’il faille « aller jusqu’au bout de ce projet, et vite »134, les faits parlent contre lui. Non que l’on prête à Monnet une hypocrisie qui n’est pas la sienne : en lançant le plan Pleven, il croit à ce qu’il fait. Ce projet s’inscrit pour lui, dès le début, dans un vaste dessein, ses écrits de l’époque en témoignent. Mais les circonstances l’obligent à en lancer de manière prématurée la phase finale. Or, cette anticipation a lieu précisément au moment où Monnet n’est pas en état de l’assumer, et la conjonction de ces deux phénomènes provoque chez lui l’apparition d’un cynisme de fait. Car, objectivement, l’armée européenne n’est rien d’autre, au départ, qu’un fusible placé en urgence sur une CECA menacée de mort. Comme l’a un jour résumé crûment Monnet à Paul Reuter, « pour sauver la CECA, j’ai inventé la CED »135.

77Pourtant Monnet assume cette contradiction entre ses actes et son discours : une fois encore le poids des contraintes lui dicte sa conduite, même si celle-ci le place désormais en porte-à-faux par rapport à ses convictions. C’est bien au nom de la nécessité que Monnet cautionne l’ambiguïté de ce plan Pleven présenté essentiellement comme un pas en avant pour la construction européenne alors qu’il est d’abord une opération de secours, un fusible, disions-nous, pour la CECA.

C. Le retour au premier plan ou la seconde naissance de l’armée européenne (avril-juillet 1951)

  • 136 MONNET, op. cit., p. 412.
  • 137 MELANDRI, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe, op. cit., PP- 313-317-
  • 138 MONNET, op. cit., p. 413.

78Or, celle-ci a finalement bien du mal à naître : « depuis trois mois, le traité était sur ma table », écrira Monnet, « cent articles rédigés, mais deux frappés d’une réserve qui bloquait tout »136. Ces deux articles maudits sont bien sûr ceux réglant le problème de la décartellisation que seule une vigoureuse intervention de la diplomatie américaine va permettre de sortir de l’ornière...137 Le 14 mars, le chancelier finit par donner son accord au plan allié de déconcentration, « et aussitôt Hallstein accepte les deux articles en suspens »138. La signature du traité le 19 mars concrétise ce dénouement, qui met un terme à une négociation engagée neuf mois avant presque jour pour jour. Moins d’un an s’était écoulé depuis l’annonce du plan Schuman, un délai réduit qui témoignait d’autant plus de l’efficacité de la méthode Monnet qu’entre-temps s’était greffé le problème du réarmement allemand, qui avait menacé de tout faire échouer.

79L’aboutissement de la Conférence de Paris représente donc un indéniable succès pour Monnet et son équipe. La mise sur pied d’un traité en bonne et due forme atteste du sérieux du projet contenu dans le plan Schuman. La réussite de cette négociation constitue, après son lancement, un second pas en avant décisif pour la CECA, et au-delà pour l’armée européenne. Il est clair, en effet, que ce succès crédibilise du même coup le plan Pleven. « C’est possible », semblent dire les signataires à leurs collègues du palais de Chaillot, même si dans l’immédiat le dialogue de sourds qui s’y tient n’est guère propre à susciter l’optimisme... Mais en s’achevant, la négociation de la CECA libère Monnet et son équipe. Certes, il faut continuer à suivre ce dossier, ne serait-ce que parce que signer n’est pas ratifier, mais désormais ils peuvent à nouveau se consacrer à faire avancer cette deuxième Conférence de Paris où plusieurs d’entre eux jouent déjà un rôle majeur.

80Un des objectifs essentiels que Monnet s’est fixé à l’automne a en effet été respecté, puisque aucune décision concernant le réarmement allemand n’a été prise avant la signature du traité. L’armée européenne a bien mérité de la CECA, et il est temps de rendre toute sa cohérence à ce nouveau projet. Incapable de mener les deux de front, Monnet a en effet laissé s’instaurer un dangereux écart entre l’esprit du plan Pleven et sa traduction politico-juridique. Une faille qui s’est élargie au fil de négociations que Monnet ne peut suivre que de loin, et qu’a symbolisé le mémorandum du 15 février. Il faut agir sous peine de déconsidérer le projet politique commun qui sous-tend la CECA et l’armée européenne. Juste retour des choses, la réussite de la première va servir la seconde...

  • 139 Ibid., p. 414.
  • 140 Mémorandum à M. le Président Schuman sur la politique relative de la France et de l’Allemagne dans (...)
  • 141 ELGEY, op. cit., pp. 246-247.
  • 142 MONNET, op. cit., p. 415.

81Incapable dans l’immédiat de bousculer une négociation que verrouille Jules Moch, Monnet – en bon stratège – choisit le style indirect en cherchant à modifier les conditions extérieures de la négociation. C’est tout le sens de sa visite à Adenauer le 4 avril, lors de laquelle il lui propose « que les rapports entre l’Allemagne et la France soient régis par le principe d’égalité au Conseil comme à l’Assemblée et dans toutes les institutions européennes actuelles ou ultérieures... »139. Monnet se dit autorisé à faire cette proposition, et en rendra compte un mois plus tard à Robert Schuman dans un long mémorandum140, qui constitue un revirement complet par rapport aux orientations de celui du 15 février. Comme le souligne G. Elgey, ces deux textes « ne parlent pas la même langue : l’un établit l’égalité des droits, l’autre la proscrit »141. Fort de son succès dans la première Conférence de Paris, Monnet impose du dehors cette « Gleichberechtigung » qui constitue dorénavant la pierre d’angle des rapports franco-allemands, geste de « grande portée politique »142 qui, dans l’immédiat, met en place le dispositif de déblocage de la négociation sur l’armée européenne.

  • 143 Qui semble avoir eu pour cadre l’Hôtel Astoria à Paris, alors occupé par le SHAPE (cf. ELGEY, op. c (...)
  • 144 MASSIGLI René, Une comédie des erreurs (1943-1956), Plon, 1978, p. 382.
  • 145 Cf. MELANDRI, « Les États-Unis et le plan Pleven », op. cit., p. 224.

82Deuxième phase de cette contre-attaque, et la mieux connue : les Américains. L’épisode le plus spectaculaire en est, bien sûr, la célèbre rencontre Monnet/Eisenhower143 du 27 juin 1951, dont le généralissime atlantique ressort convaincu des mérites de l’armée européenne. Il est certain qu’il ne faut pas voir en Monnet, à cette occasion, un deus ex machina dont l’intervention miraculeuse permet de triompher d’un seul coup des réticences américaines à l’égard du plan Pleven. Cette entrevue n’est que la partie visible de l’iceberg et marque, selon la formule de René Massigli, « la fin d’une évolution »144. « En réalité », comme le rappelle celui-ci, « le principe d’une réorientation de la politique américaine était déjà acquis avant le 27 juin, et c’est parce qu’il était acquis que McCloy et Bruce [...] s’entendirent avec Monnet pour “organiser” la conversion d’Ike. » Cette idée d’un « complot » de la Société des Européens est confirmée par les détails que nous possédons sur la préparation de la rencontre et qui attestent, de manière indiscutable, son caractère hautement concerté145.

  • 146 MONNET, op. cit., p. 421.
  • 147 MELANDRI, op. cit., p. 225.

83Mais on ne peut cependant la réduire à une simple formalité. Eisenhower, par ses fonctions et son prestige personnel, représentait un enjeu exceptionnel car, comme le souligna Monnet, « ce qu’il dirait ne serait pas discuté »146. En outre, quoi qu’en dise Massigli, il n’est pas sûr qu’il ait été convaincu avant de rencontrer Monnet. La conversation avec Sulzberger, le jour même, sur laquelle Massigli appuie toute sa démonstration, n’a pas forcément eu lieu avant l’entrevue comme il l’affirme. Au contraire, si l’on suit Mélandri, on a plutôt l’impression que ce fut l’inverse, et que c’est après qu’elle se déroula. De toute manière, la réaction de Sulzberger à l’issue de l’entretien ne laisse aucun doute sur le caractère récent de la conversion d’Eisenhower : il est « pour le moins stupéfait », selon Mélandri147, ce qui ne se conçoit que s’il a été pris au dépourvu par les propos de son interlocuteur.

  • 148 La formule est de Paul DELOUVRIER in « Jean Monnet, le magicien de l’Europe », Le Monde, 9 novembre (...)
  • 149 MASSIGLI, op. cit., p. 282.
  • 150 Consacrant la victoire des thèses de Bonn, l’accord recommande la création de 12 divisions allemand (...)
  • 151 POIDEVIN Raymond, « La France devant le problème de la CED : incidences nationales et international (...)
  • 152 Ibid.

84Une fois de plus, la « persuasion séductrice »148 de Monnet a donc fait merveille, même si cette conversion a été « préparée au cours des semaines précédentes par des contacts entre des officiers du quartier général et des collaborateurs de Monnet »149. Depuis l’accord partiel réalisé le 8 juin aux négociations de Petersberg sur un réarmement atlantique allemand150, les Américains soumettent en effet les dirigeants français à une stratégie de tension qui va crescendo. Alors que les Français avaient instamment demandé que l’on tienne secrètes les conclusions de cet accord, le Haut-Commissaire américain en Allemagne, McCloy, les évoque publiquement dès le 11 juin et récidive le 26, en affirmant que la RFA participera à l’effort de l’OTAN151 Autant de déclarations-chocs qui jettent le trouble à Paris, où derrière l’indignation de façade, on commence à lâcher du lest. Ainsi, le 27 juin, alors que Monnet convertit Ike, le Conseil des Ministres réagit aux dernières propositions de McCloy en réaffirmant la nécessité d’une solution européenne pour tout réarmement allemand, mais en laissant entendre que le niveau d’intégration pourrait être supérieur à celui des « combat teams »152. Cette concession, inspirée par Robert Schuman, correspond trop exactement aux exigences américaines, telles que les précisait peu de temps auparavant McCloy à Monnet pour qu’on ne soit pas tenté d’y voir à nouveau l’influence de l’inspirateur.

85En d’autres termes, se développe depuis juin une offensive de grand style menée conjointement par Monnet et ses amis américains. L’équipe de la rue de Martignac n’est plus seule à œuvrer en faveur de l’armée européenne : pour la première fois, le projet bénéficie du soutien militant de la Société des Européens, réseau informel de relations animées par une même foi communautaire et qui s’est cristallisé lors de la négociation sur la CECA.

  • 153 MELANDRI, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe, op. cit., p. 326.
  • 154 Ibid., p. 327 et ELGEY, op. cit., p. 251.
  • 155 Ibid., p. 327.

86A partir de juillet, les événements s’accélèrent : le 3, Eisenhower rend publique sa conversion européenne dans un discours à Londres qui a un énorme retentissement, car elle signifie le ralliement officiel des États-Unis à l’armée européenne153. Simultanément, McCloy convainc les Allemands que les Français renonceront effectivement à toute mesure discriminatoire et qu’il leur faut accepter le projet d’armée européenne154. Symbole de leur revirement, le 8 juillet, les Allemands changent de négociateur à la Conférence de Paris et demandent désormais qu’un rapport intérimaire soit préparé dans les plus brefs délais155.

87Deux jours plus tard, la démission du cabinet Queuille, annoncée dès le 4 juillet, entérine le départ des socialistes du gouvernement, attendu depuis le résultat des législatives du 17 juin. Jules Moch quitte définitivement le ministère de la Défense, et avec lui disparaît l’un des plus sûrs obstacles à tout compromis. Mieux, débute une longue période de vacance du pouvoir, qui va s’éterniser jusqu’au 11 août, et donner à Alphand une nouvelle et considérable liberté de manœuvre.

  • 156 ELGEY, op. cit., p. 254.
  • 157 MONNET, op. cit., p. 419.

88Sans entrer dans les détails de son évolution personnelle, il est certain que la conviction européenne du chef de la délégation française se renforce à ce moment-là, et que comme le pressent Elgey, Monnet – l’un de ses deux maîtres en politique avec De Gaulle ─ n’y est pas étranger156. Bien que nous ne possédions que peu d’éléments sur ce sujet, il est évident que le tandem Monnet-Alphand fonctionne à plein, comme aux plus beaux jours de l’été 1950, quand il s’agissait d’établir le programme de réarmement français. Au sein de ce mouvement d’ensemble de la Société des Européens en faveur de l’armée européenne, leur action combinée en constitue l’achèvement et le moment décisif. Monnet, si discret dans ses mémoires sur cette question, finit par le reconnaître au détour d’une phrase. Parlant du problème de la taille des groupements de la future armée européenne, dont la France accepte en juillet qu’ils soient des divisions, il avoue en effet : « J’avais poussé Alphand à ce compromis qui, à la fin juillet, débloqua la conférence enlisée depuis quatre mois »157...

  • 158 Cf. ELGEY, op. cit., p. 255.

89Aux dires mêmes de son promoteur, l’armée européenne lui doit d’être sortie de l’ornière. Et même si l’évolution de la position européenne comme celle de la négociation, pour ne citer qu’elles, ont eu leur logique interne, qui fut souvent déterminante, il n’en reste pas moins que le rôle de Monnet dans la relance du projet d’armée européenne semble avoir été considérable. Le changement de terminologie qui s’opère à son instigation, en juillet 1951, symbolise mieux que toute autre chose l’ampleur de la mutation opérée : dorénavant on ne parlera plus d’armée européenne, mais de Communauté Européenne de Défense ou CED158...

  • 159 Ibid., pp. 256-257.

90Plus que d’une relance, il s’agit d’une véritable transmutation car, comme le résume très bien Georgette Elgey, « entre cette CED, qui tend à « superposer aux patriotismes nationaux un patriotisme européen élargi » et l’armée européenne définie cinq mois auparavant par le mémorandum du 15 février, il n’est pas de point commun. L’une épouse les thèses de l’Europe supranationale ; l’autre [...] se préoccupait de limiter le réarmement allemand »159. Il n’est donc pas exagéré de dire qu’à l’été 1951 l’armée européenne naît une seconde fois, et que cette nouvelle naissance est l’œuvre de Monnet et de « sa » Société des Européens. La publication du rapport intérimaire, le 24 juillet, en marque la date officielle mais clôt également cette période, entre la fin mars et la fin juillet, où Monnet s’est, pour la seconde et dernière fois, engagé tout entier dans la bataille de l’armée européenne.

IV. Le Temporary Council Comittee (TCC) : pour la CED par l’OTAN (août 1950-mai 1952) ?

A. L’heure des bilans (août 1951)

  • 160 AURIOL Vincent, journal du Septennat (1947-1954), T. V, 1951, 1975, pp. 642-645.

91Au lendemain de la signature de l’accord intérimaire, c’est l’heure des bilans. A Washington comme à Paris, on fait le point, et le 9 août, Dean Acheson envoie une longue lettre à Robert Schuman dans laquelle il lui précise ce que les Américains attendent désormais de la France dans la négociation sur l’armée européenne160. Monnet en reste l’un des acteurs essentiels, car le 11 août son ami René Pleven redevient Président du Conseil et garde aux Affaires étrangères l’inamovible Robert Schuman. Un an après, l’équipe qui a lancé le plan du 24 octobre est reformée, et il n’est pas étonnant que Monnet continue d’être associé étroitement à l’élaboration de la politique française.

  • 161 Outline of mémorandum by jean Monnet, 13 août 1951, AMI 873/7-8, FJM, in MADURAUD, op. cit., pp. 16 (...)
  • 162 Note de Tomlinson ou de Bowie, 10 août 1951, AMI 8/6/3, FJM, ibid.

92Le 13 août, il rédige pour Schuman un projet de réponse à Acheson qui reprécise la position française sur les aspects politico-juridiques du projet161. Monnet y refuse, en particulier, que le réarmement allemand ne commence avant la mise en place des autorités européennes, une demande pourtant chère à des Américains toujours soucieux d’efficacité. Mais y satisfaire reviendrait à céder sur l’un des fondements de la position française depuis l’automne, et constituerait potentiellement une menace pour la cohérence de l’ensemble du projet communautaire. Une menace parfaitement comprise par les amis américains de Monnet, qui, dans une note du 10 août, insistaient sur la nécessité de ne découpler sous aucun prétexte le début du réarmement allemand et la mise en route de l’armée européenne162. Ainsi, cette Société des Européens qui se moque des frontières continue-t-elle, autour de Monnet, à agir au service de l’entreprise commune...

  • 163 Critique des solutions proposées par la Conférence de Paris, 17 août 1951, AMI 8/3/2, FJM, ibid., p (...)

93Mais ce refus de tout découplage se double d’un non catégorique opposé à toute intégration directe des forces allemandes dans l’OTAN, qui lui donne un sens moins européen que germanophobe. Dans une note écrite quelques jours plus tard, Monnet revient sur ce rôle d’écran entre l’OTAN et la RFA qu’il assigne à la CED163 « Les relations devront passer par l’intermédiaire de l’autorité européenne qui notamment règlera les questions d’aide extérieure en matériel et en finance », écrit Monnet qui craint en effet qu’une intégration atlantique directe de l’Allemagne n’en fasse la partenaire privilégiée des Américains, au détriment de la France.

  • 164 Ibid.

94Le reste de cette note du 17 août confirme cette hantise d’un pays dont la puissance demande à être soigneusement contrôlée. Monnet y revient en effet sur les raisons profondes qui militent en faveur d’une solution strictement européenne au problème du réarmement allemand. Pour lui, elle seule peut empêcher l’Allemagne d’être à nouveau tentée de jouer les arbitres entre l’Est et l’Ouest : « elle ne peut jouer ce jeu que si elle a la libre disposition des ressources industrielles de la Ruhr et d’une armée. Le plan Schuman et le plan d’armée européenne ne lui permettraient pas de renouveler ses tentatives passées »164.

  • 165 POIDEVIN Raymond, Robert Schuman, homme d’État, op. cit., pp. 320-321.

95Ainsi, même le responsable français le plus novateur dans son approche des problèmes franco-allemands, reste-t-il profondément marqué par le syndrome de Rapallo... Alors même que la construction communautaire avance depuis un an à pas de géant, l’ultima ratio en reste pour lui, d’une certaine façon, la peur de la (toute-) puissance allemande... Une vision des choses étroitement partagée par Alphand, qui reprend mot pour mot l’analyse de Monnet dans le mémorandum qu’il remet le 18 août à Robert Schuman165, ce qui en dit long à la fois sur la connivence entre les deux hommes et sur le degré d’influence de l’inspirateur dans une négociation où il n’a officiellement aucune responsabilité.

B. Un nouvel instrument d’influence : le Temporary Council Comittee (octobre-décembre 1951)

  • 166 MADURAUD, op. cit., p. 167.

96La venue au premier plan des problèmes financiers va lui donner l’occasion d’y intervenir « es-qualités », avec la création, le 19 septembre, d’un Temporary Council Comittee (TCC) chargé par le Conseil Atlantique d’Ottawa de statuer sur la contribution respective de chaque pays à l’effort de défense. Au mois d’août, à l’heure des bilans, il est apparu à Monnet et à son équipe que l’essentiel des dispositions politico-juridiques du traité ayant été acquises, le centre de gravité de la négociation allait se déplacer vers les problèmes financiers. Or, une première étude prévisionnelle a démontré à Monnet qu’il serait très difficile d’équilibrer les contributions française et allemande, même en incluant pour la France les charges liées à la marine et à l’Indochine166. En d’autres termes, la France est, compte tenu de ses charges outre-mer, particulièrement en Extrême-Orient, dans l’incapacité de faire face aux exigences financières requises par la future CED, qui conditionnent bien évidemment tout leadership politique. Au-delà, c’est, un an après les mémorandums d’août 1950, toute la question du financement de l’effort de défense qui est à nouveau posée.

  • 167 Ibid., pp. 168, 175.
  • 168 Ibid., p. 172, note 11, et PLOWDEN (Edwin), An Industrialist in the Treasury, thePost-War Years, Lo (...)
  • 169 MELANDRI, Lw États-Unis face à l’unification de l’Europe, op. cit., P- 340.
  • 170 MADURAUD, op. cit. p. 182.

97Monnet a rencontré Bidault, Mayer et Schuman pour leur en parler167, et dès la Conférence à Trois de Washington, du 10 au 14 septembre, ces derniers demandent la création d’un comité restreint pour étudier le problème des contributions financières168. Le Sommet atlantique qui suit à Ottawa leur donne satisfaction, puisque la résolution du 19 septembre prévoit la naissance d’un Temporary Council Comittee ou Comité des Sages, qui devrait rendre un rapport au sommet du Pacte, en février, à Lisbonne. Chacun des douze pays enverra un représentant à ce comité, dont les travaux seront supervisés par un bureau exécutif composé des délégués français, américain et anglais169. Le 9 octobre, un décret gouvernemental fait de Monnet le représentant de la France dans cette nouvelle instance consultative dont il devient le vice-président170.

  • 171 Mémorandum Alphand-Monnet relatif à l’accord d’Ottawa sur une analyse coordonnée des contributions, (...)
  • 172 PLOWDEN, op. cit., p. 125.
  • 173 Institut Pierre Renouvin, Travaux et Recherches n° 2, automne 1988, « IV – Archives orales : Pierre (...)
  • 174 PLOWDEN, op. cit., p. 126.

98Entre-temps, il a contribué à en définir l’organisation avec Alphand dans un mémorandum du 25 septembre171. Compte tenu des délais restreints qui lui sont fixés ─ le Comité n’a que cinq mois pour mener à bien ce gigantesque travail d’audit – Monnet et Alphand suggèrent vivement « que le travail véritable soit effectué par le bureau exécutif [...] et non par le Comité des Douze tout entier », reprenant ainsi une suggestion faite par les Britanniques à Ottawa172. Un principe que les événements vont ratifier même si – comme le rapportera drôlement Pierre Uri – « à côté des “Sages” il y avait les “misérables” qui faisaient le travail, par exemple [...] Hirsch et moi »173. Chaque sage a en effet été pourvu d’un adjoint, et c’est Hirsch qui a été officiellement désigné pour assister Monnet174.

  • 175 HIRSCH, op. cit., p. 114.
  • 176 PLOWDEN, op. cit., p. 126.
  • 177 Ibid., p. 128.

99Remplacer, devrait-on dire, car, comme le rappellera le principal intéressé, « Monnet s’est déchargé presque entièrement sur moi d’une tâche harassante »175. Une déclaration confirmée par Plowden, qui souligne le manque d’intérêt d’un Monnet « donnant fréquemment l’impression de se croire au-dessus de tout cela ». A tel point, ajoute Plowden, que « j’en vins à plusieurs reprises à cabler à Londres mon profond découragement devant cette attitude »176. Des propos qui prennent tout leur relief quand l’on connaît l’ancienneté et la profondeur des liens qui unissaient les deux hommes, et que Plowden renforce quand il estime que le comportement de Monnet – et à travers lui celui du gouvernement français – « fut de loin la plus grande difficulté que dut affronter le TCC »177.

  • 178 Entretien avec François FONTAINE, 21 janvier 1994.
  • 179 PLOWDEN, op. cit., pp. 129-130.
  • 180 ROUSSEL, op. cit., p. 172.
  • 181 PLOWDEN, op. cit., p. 130.

100Des réticences qui s’expliquent certainement par le peu de goût de l’inspirateur pour les questions techniques178, mais aussi parce que l’OTAN n’était pour lui qu’« une alliance ancien style n’impliquant aucun abandon de souveraineté ». En outre, ajoute Plowden, « celle-ci n’était pas exclusivement européenne. Or Monnet attendait avec impatience le jour où une armée issue des États-Unis d’Europe remplirait la tâche de l’OTAN sans que les Américains s’en mêlent trop... »179. Ainsi, au moment où Monnet devient l’un des grands ordonnateurs de l’effort de défense occidentale, son engagement est-il limité – indépendamment des problèmes matériels – par sa foi européenne. Une attitude qui oblige à reconsidérer sérieusement l’atlantisme de Monnet, souvent suspecté de n’être qu’un paravent aux tentatives d’hégémonie américaines180. Le témoignage de Plowden, atlantiste militant, est sur ce point aussi clair qu’indiscutable : « l’OTAN n’était pour lui qu’un expédient à court terme. Il ne voulait pas la voir prendre une dimension qui aurait détourné les peuples européens de l’objectif d’une fédération. Quand l’OTAN prenait cette dimension – et je crois que le Comité des Sages joua un rôle essentiel dans cette perspective – Monnet en éprouvait du ressentiment »181.

101Paradoxe, car le Comité doit procéder à cette remise à plat de l’effort de défense occidentale que Monnet appelle de ses vœux depuis l’été 1950. Paradoxe, car c’est à cette occasion que Monnet va finir par intervenir officiellement dans la négociation de la CED...

C. Au service de la CED (janvier-février 1952) ?

  • 182 Le budget de l’armée européenne et la contribution allemande à la défense, note de Pierre Uri, débu (...)

102Au départ, le Comité doit définir de manière précise les moyens nécessaires à la défense de l’Europe et la contribution de chaque pays membre de l’Alliance. Il n’a donc pas à s’occuper de celle de l’Allemagne dont l’évaluation reste l’apanage de la Conférence de Petersberg, mais doit poursuivre ses travaux en étroite association avec elle. Subtil distinguo qui ne résiste pas trois mois à cette évidence : la question de la contribution allemande est indissociable du dossier OTAN dans la mesure où elle constitue désormais la clef de voûte des négociations sur l’armée européenne. D’ailleurs, dès novembre, Monnet a demandé à Uri une étude approfondie sur ce sujet182. Ses conclusions sont sans appel : le problème a été mal posé, c’est seulement en l’intégrant à celui de la défense occidentale qu’on pourra le régler ; il appartient donc au TCC de s’en charger. Il faudra pourtant attendre la fin de l’année pour que les recommandations de l’équipe Monnet prennent force de loi.

  • 183 POIDEVIN, La France devant le problème de la CED..., op. cit., p. 43.
  • 184 MADURAUD, op. cit., pp. 193-194.

103A ce moment-là, les négociations sur la CED marquent le pas, en particulier en raison de la question de la contribution financière allemande. On confie donc officiellement aux Sages le soin de régler cet épineux problème, et Monnet s’attelle pour la seconde fois à sortir l’armée européenne de l’ornière183. Ce sera fait deux mois plus tard, quand les trois Sages remettront leur rapport à Lisbonne fin février, et qu’un accord à propos de la contribution allemande sera conclu à l’arraché, lors du sommet, sur la base de leurs travaux.184 Travaux ponctués de nombreuses rencontres, comme celles qu’eurent Monnet, Plowden et Draper – ambassadeur américain auprès des organismes européens – avec les ministres allemands le 2 février.

  • 185 Souligné dans le texte. Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, 1er février 1952, AMG 28/0/8, FJM ; (...)
  • 186 Ibid.

104Travaux au cours desquels Monnet souligne les liens étroits qui unissent le problème de la défense européenne, de la contribution française et de l’Indochine. Dans une lettre adressée à Robert Schuman le 1er février 1952, à la veille des entretiens que celui-ci va avoir avec Eden et Acheson, Monnet insiste pour que « l’un et l’autre comprennent que la question d’Indochine est aujourd’hui réellement placée au cœur de la défense européenne »185. Car, martèle Monnet, « il est maintenant tout à fait évident que nous ne pouvons pas envisager en même temps de poursuivre notre effort de contribution européenne au niveau auquel il faut que nous le fassions, et en même temps de poursuivre notre effort en Indochine dans la mesure où nous le faisons »186.

  • 187 Cf. la lettre que le général Juin remet au président de la République le 4 mars 1952, ou son rappor (...)
  • 188 Jean Monnet – Robert Schuman..., op. cit., p. 130.

105Ce que révélaient les premières études prévisionnelles dès l’été 1951 se confirme, et le constat fait par Monnet rejoint celui que dresseront les chefs militaires français quelques semaines plus tard187. Mis au courant à l’automne 1950 par le général Blanc des contraintes que fait peser la guerre d’Indochine sur l’effort de défense nationale, Monnet est en effet le mieux placé ─ compte tenu de ses fonctions au TCC – pour mesurer l’articulation de ces questions avec celle de l’armée européenne. D’où l’avertissement extrêmement sévère par lequel il termine : « Bien que la question n’ait encore été soulevée par personne, nous devons déjà dans nos discussions avec les Anglais et les Américains nous prémunir contre la tentation qu’ils pourraient avoir de nous laisser poursuivre notre effort en Indochine au détriment de notre participation à la défense européenne, et de remplacer la force française sur le continent par une force d’origine allemande au sein de la communauté européenne »188.

  • 189 MADURAUD, op. cit., p. 199.

106L’espace de deux mois, Monnet est – pour la première et unique fois – intervenu directement de manière officielle dans la négociation sur l’armée européenne. Mais l’on a vu combien, depuis le départ, son action au TCC lui était liée. C’est même à partir de sa réflexion sur l’état d’avancement de la négociation que Monnet enclenche le processus qui va conduire à la naissance de cette nouvelle instance, et lui procurer une nouvelle influence. On ne peut qu’être admiratif devant la manière dont l’inspirateur génère son propre pouvoir, « pouvoir de l’imagination ou pouvoir de la compétence »189, qui le rend incontournable dans cette négociation où il pratique, avec un art consommé, le style indirect. Comme au printemps, c’est en englobant la question du réarmement allemand dans une problématique plus large ─ hier l’égalité des droits entre la France et l’Allemagne, aujourd’hui l’effort financier de l’ensemble atlantique – que Monnet dépasse les obstacles qui menacent le succès de son projet d’armée européenne.

  • 190 Résolution relative à une analyse coordonnée des plans de défense du NATO, 19 septembre 1951, AMI 8 (...)

107Dans le même temps, cette habileté tactique révèle l’extrême cohérence de sa démarche. Le Sommet d’Ottawa, dans les attendus de la résolution qui crée le TCC, reprend les principes qu’Alphand et Monnet posaient dès août 1950 à l’effort de réarmement occidental : une défense plus efficace, mais qui ne doit pas mettre en danger les équilibres socio-économiques des pays concernés190. La création de cet organe sonne donc comme la réponse tardive à la demande d’un budget atlantique commun que contenait le mémorandum du 17 août 1950.

108Désormais, c’est seulement d’un fonds commun européen dont Monnet souhaite la création, mais l’esprit reste le même, qui atteste de la continuité de sa démarche depuis l’été 1950. La construction communautaire n’est pas une fin en soi, l’essentiel est dans la méthode supranationale qui l’anime et que Monnet souhaite étendre – dans un premier temps au moins – à l’ensemble du monde occidental. Dans ces conditions, son action en faveur d’une structure comme le TCC, sa nomination, symbolisent combien son engagement européen est subordonné à un projet plus vaste de communauté atlantique, qui ne se comprend qu’intégré dans un dessein plus vaste : la révolution supranationale.

  • 191 MONNET, op. cit., p. 422.
  • 192 ELGEY, op. cit., p. 262.
  • 193 Projet de traité par Robert Bowie et William Tomlinson, 13 décembre 1951, AMI sans réf., FJM, in MA (...)
  • 194 Lettres de Jean Monnet à Robert Schuman, 19 et 20 mars 1952, FJM, AMI 17/2/2 et 17/2/5 – schéma de (...)

109Néanmoins, Monnet n’est pas homme à se perdre dans de fumeuses considérations et continue à suivre de très près la négociation sur la CED. Il a beau ne la suivre que « de l’extérieur », comme il le soulignera dans ses mémoires191, il trouve encore le temps de sermonner Alphand sur la manière dont il mène la Conférence192 ou de négocier avec lui et Hallstein sur un premier projet de traité que leur soumettent Bruce et Tomlinson193. D’une manière plus globale, il continue de veiller à la cohérence de la politique européenne de la France, et saisit l’occasion fournie par la note soviétique du 10 mars sur le problème allemand pour en réaffirmer avec vigueur les fondements dans le projet de réponse qu’il remet à Robert Schuman194. Monnet reste donc très présent même s’il ne faut pas sous-estimer le poids d’engagements dont la variété devient écrasante.

D. Les limites d’une méthode

  • 195 MONNET, op. cit., p. 422.
  • 196 Ibid.
  • 197 HIRSCH, op.cit., p. 112.
  • 198 ELGEY, op. cit., p. 277.

110« Nous ne pouvions veiller à tout », avouera Monnet à propos de la négociation sur la CED, « et à partir de septembre 1951, j’avais en plus de mes tâches de Commissaire au Plan à mener une nouvelle mission très absorbante avec le TCC. »195. Jamais, peut-être, Monnet n’a été aussi dispersé dans ses activités. Monnet et son équipe, car, comme il le reconnaîtra, ce sont les « misérables », Hirsch en particulier, qui ont assumé « le plus lourd de la tâche de ce monumental inventaire »196 demandé aux Sages. C’est ce même Hirsch qui, « en moins d’une heure », dut mettre au courant un Edgar Faure ignorant tout de la CED avant de s’en faire l’éblouissant avocat dans son discours du 13 février 1952197. Et quelques jours plus tard, c’est toute l’équipe, Monnet et Alphand en tête, qui circonvient avec succès Antoine Pinay, nouveau Président du Conseil, et s’assure ainsi une liberté de manœuvre accrue à la Conférence de Paris198.

  • 199 URI, op. cit., p. 185.

111On touche là aux limites du système Monnet. L’Inspirateur a su rassembler autour de lui à partir de 1946 une équipe d’une exceptionnelle qualité. La rue de Martignac est ainsi devenue un laboratoire d’idées qui a rendu ses hommes indispensables lorsque en 1950 la diplomatie française traverse l’année de toutes les impasses. Monnet devient alors une sorte de « Red Adair » de la diplomatie française, un pompier volant qui à la tête de son équipe accourt là où la catastrophe est pour demain. « Nous étions une sorte de commando envahissant le Quai d’Orsay », écrira plus tard Pierre Uri à propos de la préparation du plan Schuman199, rendant compte ainsi de la manière dont Monnet bouscule les hiérarchies traditionnelles.

  • 200 IRSCH, op. cit., pp. 114, 116.
  • 201 URI, op. cit., p. 94.

112Nous sommes au cœur des ambiguïtés de la méthode Monnet, car contrairement au pompier volant, l’inspirateur n’intervient pas uniquement pour réduire le sinistre. Il est là pour construire, et si la méthode commando montre toute son efficacité pour une action ponctuelle, elle est beaucoup moins adaptée à un travail de longue haleine, surtout lorsque celui-ci se dédouble... Les hiérarchies traditionnelles relèvent la tête, il faut démultiplier les efforts de persuasion. Surtout ─ même si la charge de travail est le lot de tous les hommes de pouvoir – le poids de ces engagements multiples devient rapidement écrasant. « Entre le Plan, la CECA, l’armée européenne, je n’avais guère le temps de respirer », se souviendra Etienne Hirsch qui cite comme seule innovation majeure de sa succession au Plan, à partir de septembre 1952, « le respect d’un horaire normal et de vacances sans perturbations » !200 Pierre Uri, pourtant peu impressionné par de tels défis, se référera au mois de février 1952 pour évoquer le rythme infernal imposé par Monnet à son équipe : « Rien ne traduit mieux le genre de vie que nous menions que les trois nuits successives que j’ai passées : l’une dans le wagon-lit qui me ramenait d’Essen, l’autre à la ratification du Traité par le Sénat, la troisième dans la réunion qui achevait le texte du rapport à l’OTAN »201.

  • 202 HIRSCH, op. cit., p. 114.
  • 203 VAN HELMONT, op. cit., p. 160.

113Simple surcharge conjoncturelle ? Non car, Monnet lui-même porte sa part de responsabilité dans cette course-poursuite sans fin : « la situation était aggravée par ses habitudes de travail », soulignera Étienne Hirsch. « Il n’apparaissait qu’en fin de matinée après une promenade dans les bois, plein d’idées nouvelles, et il n’y avait pas de limites aux séances du soir. Il avait particulièrement besoin de discuter avec ses hommes de confiance pendant les fins de semaine »202. Une habitude confirmée par Jacques Van Helmont pour qui Monnet « subissait les fins de semaine ou les vacances comme des interruptions qu’il faisait de son mieux pour retarder ou en tout cas abréger »203.

  • 204 MONNET, op. cit., p. 122.

114Bourreau de travail pour lui et pour les autres, véritable tyran professionnel – « Je crois que je n’étais pas toujours facile à vivre et que je demandais beaucoup à mes collaborateurs qui ne s’habituaient pas aisément à mes méthodes de travail204 » –, l’inspirateur tire ainsi le maximum d’une équipe réduite qui a pu prendre en charge la négociation de la CECA, mais sera dans l’incapacité de faire de même pour l’armée européenne. Atout précieux lorsque il s’agit de débloquer une situation par une solution audacieuse, la taille limitée de son staff interdit à Monnet de s’occuper réellement de plus d’une négociation à la fois. Ainsi se révèle le decrescendo militant et chronologique qui accompagne les entreprises communautaires de l’heure : omniprésents pour la CECA, Monnet et son équipe ne réussissent pas à s’occuper pareillement de la CED et seront absents du projet de Communauté Politique.

115Et pourtant il leur faut agir, car ils ne peuvent « oublier » la CED. Et cette impossibilité nous renvoie à l’ambiguïté initiale de ce deuxième projet communautaire, trop tôt venu et que l’on ne peut refuser même s’il reste difficile à assumer. Paratonnerre efficace pour une CECA menacée de mort par un réarmement national allemand, le projet d’armée européenne s’impose ensuite comme un complément indispensable dans la mesure où sa disparition mettrait en péril la cohérence de l’ensemble du projet communautaire, et d’abord de cette CECA qui demeure prioritaire. Ainsi, même si une hiérarchie évidente demeure entre les deux, CECA et CED forment une sorte de couple maudit de l’entreprise intégrationniste puisque le succès de la première a engendré une obligation de réussite pour la seconde. Mécanique infernale qui explique qu’en dépit de leurs impossibilités structurelles, Monnet et son équipe tentent envers et contre tout de lancer la CED comme ils l’ont fait pour la CECA L’apparente contradiction entre les ambitions affichées et l’insuffisance des moyens s’efface devant la dialectique du projet communautaire, au prix d’une course sans fin entre des objectifs à chaque fois plus prégnants. La juxtaposition des problèmes du TCC et de ceux liés à la ratification du traité de CECA en offre un nouvel exemple.

E. La difficile ratification de la CECA (automne 1951 -printemps 1952)

  • 205 MONNET, op. cit., p. 425.
  • 206 Ibid., p. 428.

116En effet, à partir de l’été 1951, s’engagent progressivement, dans chacun des six pays concernés, les débats de ratification du traité de CECA. Monnet ne les suit pas tous avec le même soin, mais, à lire ses Mémoires, il est évident qu’il accorde une attention particulière à ceux qui se déroulent à Paris et à Bonn. En Allemagne, la ratification n’est acquise, selon sa formule, qu’après « une longue et difficile procédure parlementaire » qui s’étire entre juillet 1951 et janvier 1952, voire au-delà205. Dates mises à part, ce jugement de Monnet vaut pour la France où le traité doit subir successivement l’épreuve du feu à l’Assemblée nationale, début décembre 1951, puis au Conseil de la République, fin mars 1952. A chaque fois, Monnet jette toutes ses forces dans la bataille et, comme il le reconnaît pudiquement, « se dépense beaucoup en travail de conviction »206.

  • 207 HIRSCH, op. cit., p. 110.
  • 208 Ibid.

117Ainsi, après avoir été longuement entendu par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale à l’automne 1951, Monnet poursuit activement son travail de persuasion. Non seulement il s’emploie « à répandre les explications et les bonnes paroles auprès de la presse »207, mais il veille jusqu’à la dernière minute à créer concrètement les conditions d’un succès parlementaire : il n’est pas jusqu’à Michel Debré qu’il ne tente, par l’intermédiaire d’Étienne Hirsch, de circonvenir !208

  • 209 MONNET, op. cit., p. 426.
  • 210 Ibid., p. 428.
  • 211 DEBRE Michel, Trois Républiques pour une France, Mémoires, T. II, 1946- 1958 : Agir, Albin Michel, (...)

118Même si, dès le 11 janvier 1952, Monnet a jugé l’entreprise de ratification suffisamment avancée pour, à l’issue du vote favorable du Bundestag, envoyer à Adenauer un télégramme proclamant : « la Communauté est née, vive l’Europe »209, il considère qu’en France le succès enregistré à l’Assemblée nationale, le 13 décembre, est loin d’être définitif. « Rien n’était encore gagné », affirme-t-il, et son compte-rendu de l’« assaut » donné le 25 mars 1952 par Michel Debré au Conseil de la République, prouve bien qu’il y vit plus qu’un simple baroud d’honneur210. Paradoxalement, c’est l’intéressé en personne qui confirme – pour une fois ! – les dires de cet Inspirateur tant redouté. Parlant de son audition par la Commission des Affaires étrangères du Conseil, Debré nous décrit un Monnet sur le grill, qui « se met en colère » devant certaines de ses questions. Et pour conclure son récit de la journée du 25 mars, il évoque son adversaire qui « parcourt le Palais du Luxembourg et flatte les sénateurs. Debout, dans un couloir adjacent, quand je parle de la tribune, ses yeux sont comme des fusils prêts à me mitrailler »211.

  • 212 HIRSCH, op. cit., p. 110.
  • 213 Institut Pierre Renouvin, Travaux et Recherches, n° 1, été 1986, op. cit., p. 46.

119Cette tension extrême entre les deux hommes semble moins le reflet du tempérament passionné du futur Premier ministre que de l’importance des oppositions que rencontre le projet de CECA. Comme le soulignera Étienne Hirsch, « alors que l’initiative était française, paradoxalement c’est en France que l’on rencontra le plus de difficultés. Le lobby de l’acier s’était déchaîné et faisait jouer toutes les cordes défavorables à la réconciliation avec l’Allemagne »212. Un témoignage confirmé par René Pleven qui eut, en tant que Président du Conseil, à défendre personnellement le traité : « je me vois encore à la tribune, [...] fixant le visage du secrétaire général du comité des Forges, dans les tribunes, qui suivait les débats avec une grande attention. Je me souviens du discours du député de droite André, un de leurs porte-paroles, sincère d’ailleurs. Et puis il y avait l’hostilité des gaullistes qui étaient là, de Mendès expliquant la nocivité du projet... On oublie les oppositions de l’époque ! »213

  • 214 MONNET, op. cit., p. 432.
  • 215 Ibid.
  • 216 GERBET, op. cit., p. 141.

120La bataille de la ratification fut donc rude, et si, au Conseil de la République, le débat s’achève, le 1er avril, par un net succès, il faudra attendre juin 1952 pour qu’il en soit de même en Italie. Mais, dès le vote favorable du Conseil de la République, l’essentiel est acquis et il faut désormais assurer la mise en place de la CECA « Or », comme l’explique Monnet, « il manquait quelques décisions essentielles pour lesquelles l’accord des gouvernements était nécessaire »214. Dans les mois qui suivent, il s’emploie donc à régler ces derniers problèmes qui empêchent son installation. Non sans difficultés d’ailleurs, car l’ultime conférence qui se réunit à Paris du 23 au 25 juillet « avec, comme ordre du jour, le choix du siège des institutions, des hommes, des langues et l’Europe politique »,215 est le théâtre de marchandages acharnés, en particulier sur la question du siège, qui finit par être fixé à Luxembourg. Bien que sa réserve naturelle l’empêche de le préciser, nous savons qu’en revanche la nomination de Monnet comme président de la Haute Autorité alla de soi216.

  • 217 Cf. POIDEVIN Raymond et SPIERENBURG Dirk, Histoire de la Haute Autorité de la CECA : une expérience (...)
  • 218 Les trois-quarts des dossiers du fond AMI, qui couvre l’ensemble de l’épisode de la CED jusqu’aux a (...)
  • 219 Cf. VIAL, La IVe République, son armée et la CED, op. cit., pp. 55-57, et surtout WINAND Pascaline, (...)

121Cette nouvelle fonction et le déménagement qu’elle entraîne – Monnet quitte la France pour le Grand Dûché en août 1952 – ouvrent une nouvelle phase dans son action217, durant laquelle la CED passera au second plan. Mais dès la fin de sa mission pour le TCC, il semble que son engagement en sa faveur se soit rapidement réduit... Le printemps 1952 marque bien la fin d’une époque dans les rapports entre Monnet et la CED, ses archives en portent le témoignage218. Il continuera à en suivre le dossier, mais dès lors, le traité signé, il peut considérer que l’essentiel est fait, même si – selon le mot célèbre de Vincent Auriol – « signer n’est pas ratifier ». Surtout, Monnet est désormais à Luxembourg avec la charge de mettre en œuvre le premier volet de la construction communautaire, une tâche aussi lourde de symboles que de responsabilités très concrètes qui vont l’accaparer comme jamais et l’obliger à reléguer à l’arrière-plan tout militantisme cédiste, ou du moins à l’inscrire dans une stratégie plus globale, en lien avec l’action du nouveau Secrétaire d’État américain à partir de la fin 1952, son vieil ami Foster Dulles...219.

Conclusion

122A l’issue de cette étude, une évidence s’impose : Monnet est bien le père de la CED, mais d’une manière différente de ce qu’il fut pour la CECA. Car s’il est à l’origine du plan Pleven comme à celle du plan Schuman, il n’a pu prendre en charge la négociation comme il l’avait fait pour ce dernier. Néanmoins, il n’a pas cessé de s’y intéresser, au point de jouer un rôle décisif dans sa seconde naissance à l’été 1951. S’il n’apparaît publiquement dans la négociation que durant une brève période, début 1952, en tant que vice-prési-dent du TCC, il y a toujours été très présent grâce au rôle essentiel qu’y tiennent des proches comme Hervé Alphand ou Etienne Hirsch. Pourtant cet engagement est sujet à éclipses : de novembre 1950 à février 1951, pour faire aboutir la négociation sur la CECA ; à l’automne 1951 pour s’occuper de sa ratification et de sa tâche au TCC ; et surtout à partir du printemps 1952 quand il s’agit de mettre en route la CECA, période de transition que clôt le déména-gement à Luxembourg en août : désormais Monnet se donne tout entier à la CECA, même s’il ne se désintéresse pas de la CED. L’été 1952 marque donc bien une rupture dans son action en sa faveur, même si, dès avant, celle-ci était sujette à oscillations. Au total, une paternité incontestable mais qui ne peut être du même ordre que pour la CECA, compte tenu des conditions de son engagement.

  • 220 MONNET, op. cit., p. 448 souligné par nous.

123Dès le départ, sa prééminence contraint Monnet à mener de front deux, puis trois entreprises, qui nécessiteraient chacune un suivi exclusif. Monnet tente d’y parvenir en tirant le maximum de son équipe, et en déléguant – Alphand pour la CED, Hirsch pour le TCC. Mais cette méthode a ses limites, et la CED a indéniablement souffert de ce manque de soin de la part de son concepteur. Est-ce là un facteur décisif de son échec ? Il est certain qu’à chaque fois que Monnet a dû choisir, il lui a toujours préféré la CECA, en particulier à partir de l’été 1952. « Rien ne tiendrait », déclara Monnet, « si la Haute Autorité n’affirmait pas son pouvoir de décision et l’Assemblée Commune son pouvoir de contrôle »220. L’explication a sa logique mais laisse songeur. Est-ce pour cela que Monnet a éprouvé le besoin, quelques pages plus loin, de se justifier à nouveau, assez longuement, dans un passage qui sonne comme une véritable confession et que, vu ses qualités, on se permettra de citer in extenso :

  • 221 Ibid., p. 464, souligné par nous.

124« On a pu me reprocher quelquefois de n’avoir pas agi davantage pour éviter cet enlisement. Mais j’étais loin de Paris et entièrement occupé à faire réussir une entreprise regardée par tous comme l’avant-garde de la construction européenne. Si j’avais partagé mes efforts, au risque de compromettre l’essort de la CECA, eussé-je au moins pu donner un élan nouveau à la CED déjà hypothéquée de conditions et environnée de pressions ? Je n’ai pas de réponse à cette question. Ce dont je suis sûr, c’est que travailler au succès de la CECA était mon premier devoir, et mon seul devoir s’il n’en fallait choisir qu’un »221.

  • 222 Selon François FONTAINE – alors directeur de cabinet de Monnet à Luxembourg ─ l’ambassadeur d’Itali (...)

125Le message est clair : c’est en conscience que Monnet a choisi de privilégier la CECA par rapport à la CED. Ce choix, il l’assume pleinement face à tous ceux qui lui en font grief, preuve que dès le départ son attitude a posé problème à ses contemporains222. Pourtant, il la revendique, au nom des limitations matérielles, géographiques ou autres, inhérentes à son action. Alors, constat d’impuissance de la part d’un visionnaire obligé d’admettre qu’il ne peut être partout et qui en tire les conclusions qui s’imposent ? Certes, impuissance à faire plus, impuissance à faire autrement ; mais tout n’est pas là : entrent aussi en ligne de compte les impératifs supérieurs de la construction européenne, tels que les laisse pressentir l’affirmation résolue de la priorité accordée à la CECA.

126Lorsque Monnet pose la question de fond et affirme n’avoir pas de réponse, il biaise, il triche même. Car la question est moins de se demander s’il aurait pu sauver la CED en risquant d’hypothéquer la CECA, que de savoir si, de facto, son désengagement n’a pas condamné l’armée européenne. Difficile pour lui d’y répondre honnêtement, sauf à passer pour un aveugle ou un cynique. Plaider le manque de clairvoyance n’est guère crédible pour quelqu’un qui, toute sa vie durant, en eut pour les autres. Non, force est de penser qu’à partir d’un certain moment son échec lui parut inévitable, et que c’est sciemment qu’il lui laissa suivre sa destinée. Mais peut-on reconnaître publiquement pareille chose quand on est resté officiellement, jusqu’au bout, le défenseur par excellence du traité ?

  • 223 DELOUVRIER, op. cit.

127Pourtant, c’est, semble-t-il, l’hypothèse la plus plausible pour expliquer le désengagement effectif de Monnet à partir du printemps 1952. Une confidence faite à Delouvrier au lendemain du rejet du traité par l’Assemblée nationale, le 30 août 1954, incite à le croire. Recevant son collaborateur à déjeuner, Monnet, d’emblée, attaque : « Delouvrier, pas de ressentiment, la CED était une mauvaise affaire ». Interloqué, celui-ci aussitôt se récrie : « Quatre ans d’efforts pour rien... Pourquoi donc une mauvaise affaire ? « Et la réponse fuse : « Parce qu’elle n’a pas réussi »223.

128Au-delà de la pointe de provocation qu’il y a sans doute chez Monnet, son propos nous semble pouvoir se comprendre de deux manières, qui ne s’excluent d’ailleurs aucunement. On peut se contenter d’une interprétation littérale, et n’y voir qu’un nouveau reflet de ce pragmatisme foncier dont nous avons vu qu’il était un trait saillant de sa personnalité. Mais, même corrigé par l’explication donnée à Delouvrier, on peut aussi le prendre pour ce qu’il est au départ : l’aveu du caractère prématuré de la CED.

  • 224 MONNET, op. cit., p. 465.
  • 225 Idem.

129Que Monnet en ait été convaincu avant le 30 août est clairement établi par les Mémoires. Evoquant le courrier échangé avec Mendès France à la fin du mois, Monnet déclare : « j’y revis le sentiment que nous avions d’être précipités vers un accident, et mes objurgations comme ses débats de conscience, n’y pouvaient plus rien »224. Un certain fatalisme se dégage de ces lignes, que Monnet renforce lorsque, plus loin, il écrit : « Je n’accuserai personne en particulier, aucun homme n’étant plus maître des événements lorsqu’arriva l’heure de la vérité »225. Le rejet du traité n’a donc rien pour surprendre Monnet : son opinion était déjà arrêtée. Mais depuis quand ? Là est toute la question...

  • 226 Ibid., p. 448.

130Sans revenir sur ce que son désengagement à partir du printemps 1932 révèle de sa croyance profonde, il faut quand même souligner qu’en donnant la priorité à la CECA, même sous le poids des circonstances, Monnet reconnaît de facto le caractère prématuré de la CED. N’est-ce pas ce qu’il admet implicitement quand, pour justifier sa réserve à l’égard du projet d’Europe politique il écrit : « Je savais que le chemin de l’unité européenne serait long et qu’il passerait nécessairement par des étapes mesurées, par des réalisations partielles, mais concrètes »226 ?

131Rédigée après coup, cette profession de foi ne saurait prétendre témoigner exactement de l’état d’esprit de Monnet à l’automne 1952, mais il n’empêche. On a bien l’impression qu’à partir d’un certain moment, il ne croit plus en l’accélération du processus d’intégration européenne lancée avec le plan Pleven, et en revient au rythme initial, celui du plan Schuman, qui se refusait à toute construction d’ensemble et n’entendait procéder que par étapes. Peut-être même n’y a-t-il jamais cru, ce qui serait extrêmement grave, l’armée européenne n’ayant alors été, du début à la fin, qu’un fusible pour sauver la CECA. Mais outre le fait qu’il devient difficile, dans ces conditions, de justifier le retour en force de Monnet au printemps 1951, cette interprétation ne correspond pas avec tout ce que nous savons de Monnet et de sa foi européenne.

132Plus vraisemblablement, il semble que dans l’atmosphère d’extrême urgence de l’automne 1950, Monnet ait réellement remis en cause la logique initiale de l’entreprise européenne. Son premier désengagement, une fois son projet devenu la position officielle de la France, n’est qu’un repli tactique, uniquement conditionné par les nouvelles dimensions prises par l’affaire et l’impossibilité pour lui de les assumer, vu ses responsabilités à l’égard de la CECA et l’enlisement de sa négociation. Son retour au printemps 1951 manifeste qu’à l’époque, Monnet estime toujours jouable le changement de rythme et de modalités de la construction européenne. Mais si le vice-président du TCC agit encore – et cette fois directement ! – en faveur de la CED, croit-il encore pleinement au projet ? Son analyse de la tournure prise par les négociations après l’été 1951 permet d’en douter.

  • 227 Ibid., p. 422.
  • 228 ELGEY, op. cit., p. 262.
  • 229 MONNET, op. cit., p. 422.

133La sérénité du ton y dissimule mal l’amertume et la frustration : « là où les missions étaient différentes – et on ne conduit pas la défense comme on gère le marché de l’acier – l’imagination eût dû reprendre tous ses droits, et je regrettai que personne ne fût là pour inventer au jour le jour des processus entièrement originaux comme nous l’avions fait dans la conférence du plan Schuman »227. Rédigés bien après, ces propos extrêmement sévères sur le fond sont attestés pour l’époque par J. de Bourbon-Busset. Invité à déjeûner rue de Martignac en compagnie d’Alphand, il entend celui-ci se faire sermonner par un Monnet très remonté qui finit par lui déclarer : « je vous le dis, Hervé, votre équipe ne va pas ! »228. C’est pour le moins direct, mais significatif d’une profonde insatisfaction, bien avant mai 1952, à l’égard de la tournure prise par la négociation et de son impuissance à y remédier. « De l’extérieur, je voyais la négociation remplir le cadre du plan Pleven d’une masse de détails qui le rendaient pesant et rébarbatif ». « Mais », ajoute-t-il, « nous ne pouvions veiller à tout »229...

  • 230 VAN HELMONT, op. cit., p. 47.
  • 231 Ibid., p. 464.
  • 232 Cf. VIAL, L.a IVe République, son armée et la CED, op. cit., , pp. 98-104.

134A certains égards, Monnet ne se reconnaît plus dans le traité signé en mai 1952. C’est ce que suggère J. Van Helmont lorsqu’il affirme que « Monnet ne tenta pas de conciliation parce que, doutant du gouvernement, les partisans de l’intégration européenne ainsi que les autorités américaines le pressèrent de s’en tenir au texte du traité dont il aurait voulu se dégager »230. Doit-on, pour autant, imaginer qu’il l’ait, dès sa signature, considéré comme condamné ? Ce serait admettre que ses carences suffirent à le disqualifier à ses yeux... Il semble plus plausible que ce soit la conjonction entre la formidable campagne qui se déclenche contre lui à partir de l’automne 1952, le « dégel » qui marque les relations Est/Ouest quelque temps plus tard et la confirmation, au fil des mois, de l’impuissance gouvernementale, qui aient progressivement révélé à Monnet l’échec latent de la CED. L’absence de document interdit de fixer une date à cette prise de conscience, même s’il est probable qu’après l’échec du gouvernement Mayer, au premier semestre 1953, Monnet n’y croit plus. « Joseph Laniel lui succède », écrit-il, « se garde de rien faire et dure jusqu’à Diên Biên Phu »231 : l’interprétation est erronée232 mais ne révèle-t-elle pas, justement, que pour lui tout est déjà joué ?

  • 233 EDEN Sir Anthony, Mémoires, T. Il, Plon, i960, p. 64 ; cité par MELANDRI, op. cit., p. 428.
  • 234 DE GAULLE, Discours et messages, T. II, Dans l’attente (1946-1958), Plon, 1970, pp. 590-591.

135Une confidence de Dulles à Eden, fin 1953, confirme cette idée. Rapportant une conversation qu’il venait d’avoir avec Monnet, le Secrétaire d’État déclara à son homologue britannique que selon lui, il n’y aurait pas en France de gouvernement capable de faire aboutir la CED et de gouverner en même temps233. Une manière élégante de dire, que compte tenu des rapports de force sur l’échiquier politique, la CED ne passerait pas... Pourtant, c’est au moment où Monnet se met à douter des chances de succès du traité qu’il en est publiquement reconnu comme l’auteur. Dans ce qui restera comme une exceptionnelle prise à partie personnelle, De Gaulle le désigne comme l’« Inspirateur »234, une apostrophe qui se veut infamante, mais qui est depuis devenue l’un de ses titres de gloire les plus fameux !

  • 235 FAURE Edgar, Mémoires, T. I, Avoir toujours raison... c’est un grand tort, Plon, 1982, p. 408.

136Ironie de l’histoire, ironie multiple car si le surnom est resté, la paternité à laquelle il renvoie d’abord a largement été oubliée. « Enfant de René Pleven, recueillie et légitimée par Robert Schuman », selon le mot cruel d’Edgar Faure235, l’armée européenne a eu bien du mal à se trouver un père. Une difficulté symbolique de ses ambiguïtés propres, mais aussi d’une certaine incapacité à être reconnue comme un épisode à part entière de la construction européenne, dont elle fut un moment tragique parce que prématuré.

Bibliographie

Bibliographie

I. Témoignages :

Michel Debré, Trois républiques pour une France, Mémoires, 1946- 1998 : Agir, Paris : Albin Michel, 1988, 460 p.

Étienne Hirsch, Ainsi va la vie, Lausanne, Fondation Jean Monnet pour l’Europe-Centre de recherches européennes, 1988, 250 p.

Jean Monnet, Mémoires, Paris : Fayard, 1976, 642 p.

Jean Monnet – Robert Schuman : correspondance (1949-1999), Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Centre de Recherches Européennes, Lausanne, 1986, 188 p.

Edwin Plowden, An Industrialist in the Freasury, the Post-W ar Years, Londres : André Deutsch, 1989, 220 p.

Pierre uri, Penser pour l’action, un fondateur de l’Europe, Paris : Odile Jacob, 1991, 318 p.

Jacques Van Helmont, Options européennes 1949-1989, Bruxelles : Collection « Perspectives Européennes », Commission des Communautés européennes, 1986, 186 p.

II. Études :

Pierre Gerbet, La Construction de l’Europe, Paris : Imprimerie Nationale : Collection « Notre Siècle », 1983, 498 p.

Marc Jaquet, Hervé Alphand et la Communauté Européenne de Défense, Mémoire de Maîtrise sous la direction de M. le Professeur René Girault, Université de Paris I, 1992, 143 p.

Frédéric Maduraud, Les relations franco-germano-américaines et la Communauté Européenne de Défense vues par Jean Monnet, Mémoire de Maîtrise sous la direction de M. le Professeur René Girault, Université de Paris I, 1985, 290 p.

Pierre Melandri, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe 1949- 1994, Paris : A. Pedone, 1980, 534 p.

Raymond Poidevin, Robert Schuman, homme d’État, 1886-1963, Paris : Imprimerie Nationale, Collection « Personnages », 1986, 520 p.

Éric Roussel, « Monnet et les Américains », in Bellefeuilles, revue des débats européens, autome 1993, pp. 172-175

Éric Roussel, Jean Monnet, Paris, Fayard, à paraître en 1994.

Pascaline Winand, « Jean Monnet, Foster Dulles, Ike and the Uniting of Europe : Friendships and Associations », in Hackett Cliff & Brinkley Douglas, eds., Monnet and the Americans, à paraître, en 1993.

Pascaline Winand, Eisenhower, Kennedy and the United States of Europe, New York : Saint-Martin’s Press, London : McMillan, 1993, 400 p.

Annexes

Annexe I

LETTRE DE JEAN MONNET A RENÉ PLEVEN (3 septembre 1950)236

Mon cher René,

Je vous écris d’un coin de landes charmant, tranquille, paisible, où tout va lentement, comme tout en Charentes. Je crains bien qu’il n’en soit pas de même de nos affaires. Je trouve qu’elles vont vite, trop vite, et que les situations se nouent, et que sans l’avoir décidé expressément, nous allons être enchaînés à un destin fatal.

Et cependant, à aucun moment, aucune décision d’ensemble n’aura été prise depuis qu’ont été arrêtées, voici trois ans, les notions de « containment » et de « guerre froide » sur lesquelles nous vivons.

Lorsque ces notions ont été arrêtées, elles avaient en vue le maintien de la paix. Mais leur application a entraîné une série de décisions imposées par le déroulement des faits, chacune prise pour elle-même. Nous sommes aujourd’hui face à face, avec la nécessité de nous assurer une victoire froide sur l’adversaire et de préparer la guerre. Il suffit de regarder notre propre situation pour nous rendre compte que chaque décision nouvelle s’ajoute aux décisions antérieures sans que jamais, une vue nouvelle d’ensemble ne soit prise.

Nous continuons en Indochine un effort ruineux et voué à l’échec. Pourquoi ? Au début, il s’agissait de maintenir l’Union Française. Maintenant, raccordés à la politique de « containment universel », nous prétendons contenir le communisme dans le Sud asiatique. Dans les deux cas, c’est absurde.

Pour ce qui est de maintenir l’Union Française, nous la maintiendrons en faisant quelque chose pour elle et non pas en faisant un acte d’autorité et de force contre une partie de ses habitants. Imaginez ce que nous pourrions faire pour l’Indochine et le reste de l’Union Française si nous y investissions les sommes que nous dépensons pour la guerre. Vous avez là les moyens d’y établir un accord de paix et de nous « sauver la face » et de consolider le reste de l’Union Française, en y faisant des progrès matériels considérables.

Pour ce qui est de « contenir le communisme », les méthodes atlantiques actuelles en Asie sont les meilleures pour l’y implanter définitivement : le mouvement actuel en Asie est asiatique, il est contre les étrangers quels qu’ils soient, Américains, Européens ou Russes. Les Russes l’ont compris, et habilement, encouragent toutes les occasions qui opposeront militairement les Asiatiques et les « Atlantiques ». En même temps, seuls à aider ce mouvement « asiatique » de libération, ils en profitent pour lui donner forme et direction communistes. En face d’une telle réalité, de l’expérience de Corée, des ressources humaines inépuisables de l’Asie, comment pouvons-nous espérer faire aboutir notre effort militaire en Indochine ? Et cependant, nous continuons, et pendant que nos cadres utiles de l’armée sont en Indochine, nous prétendons supporter le poids de nos dépenses militaires et navales actuelles, dont une grande partie n’est que la continuation de dépenses passées sans lien avec les nécessités des dépenses européennes, et en outre, lever et entraîner quinze divisions en Europe.

Et notre « empereur d’Indochine » est sur la Riviera française : et l’Amérique veut aider en « matériel » l’Indochine parce qu’elle aide Bao Daï mais ne veut pas nous « aider » car si nous disons, et elle parfois avec nous, que nous « contenons le communisme », elle pense que les raisons réelles de notre effort sont d’origine « impérialiste ». Par conséquent, le Congrès et l’opinion américaine ne laisseront pas partir des soldats américains pour nous aider dans notre entreprise. Et en même temps, nous devons poursuivre notre développement économique indispensable au progrès social.

En fait, nous allons combattre en Asie sous le nom de communisme, un mouvement asiatique, et nous nous interdisons de faire l’effort rapide de défense en Europe, où se trouve le vrai danger, et en voulant malgré tout le faire, ce qui dépasse nos ressources, nous allons ouvrir plus grande la porte au communisme chez nous. A mon avis, tout ceci est à contresens... et périlleux. Je n’ai pas lu les dépêches officielles de Washington sur notre deuxième mémorandum. Je n’ai lu que les journaux, mais cela me suffit. Nous sommes dans une voie, nous devons continuer, car nous ne voulons ni du totalitarisme, ni des formes monolithiques d’existence.

Dans le contexte politique actuel, l’action américaine en Corée nous a probablement sauvés d’entreprises semi-russes plus graves. Devant le mystère russe, nous devons poursuivre notre action d’armement.

Mais dans cette voie, nous sommes avec des associés. Il se trouve que ces associés sont les plus puissants et qu’ils nous ont aidés et que sans eux, nous ne serions pas sortis des difficultés « matérielles » d’après-guerre. Mais leur aide si importante a fait prendre de mauvaises habitudes à tout le monde, à eux-mêmes et à nous. Leur aide a été matérielle. Ils continuent à penser en termes matériels. Ce dont ils ont besoin, et nous avec eux, c’est d’une politique positive, c’est-à-dire spirituelle et morale. Je ne sais pas si vous avez lu les débats de Lake Success. Lisez-les, vous en aurez comme moi la nausée. Invectives, insultes des deux côtés. Et nous, où sommes-nous pendant ce temps-là ? A la suite. Mais à la suite de quoi ? Personne ne sait. Mais bientôt tout le monde saura que le monde entier est « à la suite de la guerre ». La psychologie créée, le rythme établi, les économies ajustées, l’Allemagne de l’Ouest intégrée, non pas comme nous l’aurions voulu et comme c’est encore possible, par la paix et sous la conduite de la France, mais intégrée par l’armement, rapidement, sous la conduite des militaires. Les ponts coupés avec des Asiatiques, désespérés que de nos propres mains nous les ayons définitivement mis aux mains des Russes. Alors, l’inévitable se produira, la France sera détruite, ce que nous voulons préserver, la liberté, la diversité, seront détruits dans la régimentation universelle du vainqueur. Et tout cela, parce que la pensée constructive de paix manque.

Je ne vous propose ni abandon de nous-mêmes dans une neutralité illusoire et absurde, ni un Munich fatal auquel d’ailleurs, peut-être allons-nous par nos méthodes actuelles. Je vous propose d’apporter à nos associés la contribution d’une pensée forte, constructive, déterminée à créer en même temps notre défense extérieure en Europe, notre développement social intérieur, la paix en Orient, la constitution organisée de notre monde libre, atlantique, sous les formes diversifiées qui correspondent aux trois mondes qui le composent : les États-Unis, l’Empire britannique, l’Europe continentale de l’Ouest, fédérée autour d’un plan Schuman développé. Un état de paix ainsi créé devrait nous permettre, en quelques années, de développer et de consolider nos forces et nos ressources, en même temps que nous transformerions nos conditions sociales archaïques de telle sorte que nous ririons alors de la crainte qu’aujourd’hui nous inspire la Russie.

Pour cela, il faut, pendant qu’il en est encore temps, remplacer la politique de « containment » qui met l’initiative entre les mains de Moscou, par une politique d’ensemble positive et dynamique, arrêtée en commun par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. L’objectif général, qui doit être de transformer l’esprit des hommes, de les tourner vers la destination vers laquelle ils vont, vers la construction et l’espoir, doit s’exprimer en une série d’actions concrètes tendant toutes au même but.

L’espoir de pouvoir changer ce contexte politique universel est dans le fait que les « chefs de file » sont les USA. Or, de tous les pays de l’Occident, c’est celui le plus apte à accepter un changement, à accepter qu’on lui parle directement et fortement, à condition que dans ces discussions, on apporte une contribution « constructive ». Les USA ne sont pas impérialistes. Ils sont « efficients ». Ils trouvent les solutions techniques ; seuls, ils ne savent pas aujourd’hui, apporter la pensée politique dont le monde a besoin. Je crois que nous pouvons apporter une contribution importante. Nous l’avons déjà fait, lorsque le 9 mai, le gouvernement français a soumis le plan Schuman à l’opinion publique. Mais il nous faut aller plus loin, prendre une initiative qui touche directement la conduite de la politique universelle.

Les raisons qui nous ont fait adopter le plan Schuman avant le 9 mai étaient :

  • le monde va vers la guerre – acceptation de l’inévitable ─ nécessité de modifier les esprits des hommes par un acte qui « change » et qui tourne vers « la construction au lieu de la destruction ».
    l’Allemagne ne peut pas être laissée dans la situation actuelle par laquelle il n’y a, sans le plan Schuman, que deux issues : Est ou intégration politique dans l’Ouest avec réarmement.
  • augmentation du niveau acier (l’incertitude actuelle de l’Allemagne est le plus grand danger de l’Europe) ;
  • l’Europe doit être faite autrement que par des paroles. Un acte préalable est nécessaire qui élimine l’antagonisme militaire franco-allemand.
  • les conditions de base de production européenne doivent être mises au même niveau de départ et les mauvais producteurs graduellement éliminés, condition indispensable à l’augmentation élevée des travailleurs.
  • les situations de production française et allemande doivent être mises sur le même niveau.
  • le seul moyen est de dépasser les formes anciennes d’accords basés sur les souverainetés, et d’aborder résolument la question de l’abandon de souveraineté afin d’aboutir à la création de communautés réelles d’intérêts, gérées par une autorité commune supranationale.
  • la nécessité de montrer, par un acte nouveau et courageux, à l’Europe et à l’Amérique, que les pays d’Europe ont en eux la capacité d’une pensée forte, nouvelle, révolutionnaire.
  • la détermination de la mettre en pratique – et la confiance de pouvoir apporter, non pas seulement à eux, mais à la Communauté des peuples libres, une contribution constructive et dynamique.

Voici quatre mois que la déclaration française du 9 mai a rendu publique la proposition du gouvernement français.

Depuis cette date, de nombreux événements ont confirmé et accentué les raisons qui ont amené le gouvernement français à faire sa proposition. Des leçons doivent être tirées de l’attitude des différents pays vis-à-vis du plan Schuman, et des principes qui en sont la base – en ce qui concerne les politiques atlantiques et européennes – les événements de Corée, le programme de réarmement atlantique et la sécurité de l’Europe. Le rôle de la France dans cet ensemble d’événements, et la signification réelle du plan Schuman dans le contexte de politique actuelle tel qu’il s’est transformé depuis le 9 mai.

Les événements des quatre derniers mois ont confirmé et accentué les raisons qui ont amené le gouvernement français à faire la proposition du 9 mai.

la course vers l’inévitable se poursuit. Lors de la publication de la proposition française, les esprits, partout, se sont tournés vers ce qu’elle avait d’espérance et de nouveau. L’opinion publique américaine, les déclarations Truman, les journaux [illisible], l’enthousiasme. Enfin, une actualité européenne : la remarque de Katz et Bruce, espoir pour l’Allemagne. – l’opinion publique française : la paix. Eliminer la guerre avec l’Allemagne. ─ En Grande-Bretagne, le plan Schuman tient la scène politique pendant des mois. – Pourquoi ? Parce que l’opinion publique universelle y voyait l’espoir qu’un changement fondamental dans les relations entre les peuples résultant du principe même de la supranationalité du plan Schuman, éveillait dans tous les cœurs. Le plan Schuman a prouvé, avant même d’avoir existé, qu’il était dans le sens du courant de volonté de changement qui anime les peuples de tous les pays, et dont l’expression organique doit être la transformation des relations entre les pays et entre les individus.

Tout ce qui veut préserver les formes du passé est contre ce courant universel. Tout ce qui va dans le sens de créer une communauté plus large des peuples ─ au-delà des frontières et des souverainetés passées ─ de transformer la forme capitaliste du passé dans son expression de répartition entre les citoyens du produit de leurs efforts communs, va dans le sens du courant universel et sera appuyé par l’opinion enthousiaste.

Cet enthousiasme a soutenu le plan Schuman et dans beaucoup de pays, a été associé à l’espoir que représentait pour eux la signification de l’initiative française : la France reprenait sa tradition passée. Enfin, elle redevenait le leader de l’Europe. Un espoir était né de voir la France redevenue, après 7 ans, le leader de l’Europe, etc.

– mais soudain est arrivée la Corée, les armements, la guerre. L’opinion publique est tournée vers ces problèmes. Mais cependant, aux U.S.A., encore, dans la plupart des pays et à Strasbourg, le plan Schuman et la brèche qu’il a ouvert vers l’avenir demeurent comme un des seuls espoirs concrets de transformation et de paix. Le rôle de la France et de ses délégués à Strasbourg, la souveraineté nationale, les changements, etc.

– mais la Corée et les armements entraînent les esprits vers l’acceptation de l’inévitable catastrophe. Le plan Schuman et ce qu’il représente d’espoirs constructifs, de préservation de paix, demande [illisible]. Il est évident maintenant que la transformation recherchée dès à présent, nécessite pour être obtenue, une action politique générale qui oriente l’opinion publique et les forces nationales vers la construction d’une communauté des peuples libres, l’organisation de la défense et la paix. Dans cet ensemble, le plan Schuman et son développement jouent un rôle essentiel, on a pu espérer pendant quelques semaines que seul, il parviendrait à tranformer les esprits. Les événements de Corée et l’effort d’armement montrent qu’il n’est plus suffisant, il faut sinon tourner le fond, du moins défendre une politique d’action universelle dont l’objectif sera la préservation de la paix, avec les moyens concrets adéquats.

Mais le gouvernement français conserve une position d’autorité morale qui lui permet de parler, d’être écouté comme jamais encore depuis la Libération. Le fera-t-il ? En tout cas, pour éviter la guerre vers laquelle, de nouveau, nous sommes conduits, il faut une politique universelle inspirée du même principe qui a fait le plan Schuman : « changer » l’état des choses existant.

– Lake Success : la Commission spéciale des Nations Unies composée de trois membres, et créée par l’Assemblée générale pour étudier si un cessez-le-feu en Corée pouvait être arrangé, a notifié au régime communiste chinois de Pékin qu’elle est prête à discuter des aménagements possibles à Lake Success ou ailleurs, et a insisté pour que de telles discussions aient lieu aussi rapidement que possible.

Notes

1 PFLIMLIN Pierre, parlant de l’idée d’armée européenne, in Mémoires d’un Européen, Paris : Fayard, 1991, p. 76 ; l’auteur était alors ministre de l’agriculture dans le cabinet Pleven.

2 Le Petit Robert 2, dictionnaire universel des noms propres, sous la direction de Paul Robert, Paris, 1985, 2e édition 1986, p. 1231.

3 Pour plus de détails, cf. VIAL Philippe, « Redécouvrir la CED », in Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 29, octobre-décembre 1992, p. 9.

4 MONNET Jean, Mémoires, Fayard, 1976, p. 409.

5 Ibid., p. 406.

6 GERBET Pierre, La construction de l’Europe, Imprimerie Nationale, 1983, p. 124.

7 MONNET, op. cit., p. 396.

8 Idem.

9 LACOUTURE Jean, De Gaulle, t. 1, Le rebelle, Seuil, 1984, p. 387.

10 MONNET, op. cit., p. 396 ; souligné par nous.

11 Note de réflexion de Jean Monnet, 3 mai 1950, AMI 4/3/6, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Lausanne (désormais FJM), citée par MADURAUD Frédéric, Les relations franco-germano-américaines et la CED vues par jean Monnet, mémoire de maîtrise sous la direction de M. le Professeur René GIRAULT, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 1985, p. 60.

12 MONNET, op. cit., p. 348.

13 Ibid., p. 393.

14 Note sur l’obligation pour le gouvernement français d’organiser la défense de l’Ouest avec les États-Unis, par Hervé Alphand, 17 juillet 1950, AMI 4/2/1, FJM, citée par MADURAUD, op. cit., p. 65.
Créé à la mi-mai 1950 par le Conseil atlantique de Londres, le « Conseil des suppléants » doit veiller à l’exécution des directives du Conseil atlantique dans l’intervalle de ses sessions (MELANDRI Pierre, L’Alliance atlantique, Gallimard – Julliard, collection « Archives », 1979, p. 78). Il se réunit pour la première fois le 25 juillet 1950, et la France y délègue Hervé Alphand qui n’accepte qu’à condition de pouvoir en être le représentant pour toutes les négociations concernant la défense – d’où sa désignation comme président de la Conférence sur l’armée européenne, quelques mois plus tard (JAQUET Marc, Hervé Alphand et la CED, mémoire de maîtrise sous la direction de M. le Professeur René GIRAULT, Université de Paris I, p. 36).
Jusque-là directeur général des Affaires économiques, financières et techniques du ministère des Affaires étrangères, il a été étroitement associé à la mise en place de l’OECE en 1948, puis à la négociation du plan Schuman qui lui a permis à retravailler formellement avec Monnet dont il est devenu l’un des proches depuis leur rencontre à Alger, en 1943 (JAQUET, op. cit., p. 21-22 et MONNET, op. cit., pp. 249, 266 et 378).

15 Projet de mémorandum par Jean Monnet, 1er août 1950, AMI 4/2/2, FJM, ibid., p. 66.

16 Ministère de la Défense nationale, Mémorandum français du 5 août 1950, Service historique de l’Armée de l’air – E 1565.

17 Observations sur le projet de mémorandum par Jean Monnet, 15 août 1950, AMI 4/2/8bis, FJM, cité par MADURAUD, op. cit., p. 67.

18 Ministère de la Défense nationale, Mémorandum français du 17 août 1950, Service historique de l’Armée de l’air – E 1565.

19 VAN HELMONT Jacques, Options européennes Bruxelles-Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 1986, p. 166. Jacques Van Helmont fut dès 1946 chargé de mission au commissariat au Plan, puis secrétaire de la délégation française et des réunions des chefs de délégation à la conférence sur le plan Schuman à partir de 1950.

20 Réflexions à la veille des consultations entre le gouvernement des États-Unis, de la Grande-Bretagne et la France, mai 1950, AMI 4/1/2, FJM, cité par MADURAUD, op. cit., pp. 60-61.

21 VAN HELMONT, op. cit., p. 163.

22 Cf. texte en annexe.

23 MONNET, op. cit., p. 396.

24 VAN HELMONT, op. cit., pp. 164-165.

25 ROUSSEL Eric, « Monnet et les Américains », in Bellefeuilles, Revue des débats européens, automne 1993, p. 174.

26 « Très attentif au rôle de la France dans le processus communautaire – c’était là sa forme de patriotisme... », ibid.

27 Cf. texte en annexe.

28 Ibid.

29 Souligné dans le texte.

30 Cf. texte en annexe.

31 Cf. MONNET, op. cit., p. 395 ou URI Pierre, Penser pour l’action, Paris, Editions Odile Jacob, 1991, p. 87.

32 Lancée publiquement à l’automne 1949 – interview au New York Times du général Lucius Clay, ancien commandant en chef américain en Allemagne, le 21 novembre ; interview d’Adenauer au Cleveland Plain Dealer, le 3 décembre – l’idée d’un réarmement allemand dans le cadre d’une armée européenne est reprise par Churchill dès le 16 mars 1950 dans une déclaration aux Communes, puis à nouveau par le général Clay dans un discours prononcé à New York le 7 mai. Mais c’est seulement en août 1950 que cette solution est préconisée aussi bien par le Conseil de l’Europe – sur proposition de Churchill, le 11 août – que par le général De Gaulle – déclaration à la presse du 17 août. L’administration américaine, elle, l’étudie en secret depuis au moins le printemps 1950...
Pour plus de détails, cf. VIAL Philippe, La IVe République, son armée et la CED, mémoire de DEA sous la direction de M. le Professeur René GIRAULT, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 1989, pp. 69-72.

33 VAN HELMONT, op. cit., pp. 24-25.

34 MONNET, op. cit., p. 394.

35 Cf. par exemple POIDEVIN Raymond, Robert Schuman, homme d’État (1886-1963), Paris, Imprimerie Nationale, Collection « Personnages », 1986, P- 307.

36 MONNET, op. cit., pp. 399-400.

37 Le surnom est de De Gaulle ; cf. Georgette ELGEY in Histoire de la IVe République, T. 2, La République des contradictions (1951-1954), Fayard, 1968, pp. 335-338.

38 MONNET, op. cit., p. 401.

39 Ibid., p. 395.

40 Ibid., p. 398.

41 Ibid., p. 342 et pp. 396-397. Monnet partit en effet s’isoler deux semaines dans les Alpes en mars 1950, avant de mettre sur pied le plan Schuman.

42 MONNET, op. cit., p. 397.

43 Cf. texte en annexe.

44 Cf. par exemple HIRSCH Étienne, Ainsi va la vie, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Centre de Recherches Européennes, Lausanne, 1988, p. 118 et bien sûr MONNET, op. cit., p. 285.

45 Ibid.

46 ELGEY, op. cit., p. 233 et pour une perspective à plus long terme, FONTAINE Pascal, Le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe de]ean Monnet, Lausanne, Centre de Recherches Européennes, 242 p.

47 MONNET, op. cit., p. 285.

48 Selon Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, in L’acteur et le système, Seuil, Collection « Points Politiques », 1977, pp. 73-74 – le marginal sécant est « un acteur qui est partie prenante dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres et qui peut, de ce fait, jouer le rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoires ». Cité par MADURAUD, op. oit., pp. 24, 43.

49 La formule est de Monnet. Jacques Van Helmont, qui la cite – op. cit., p. 164 – le définit comme le rassemblement des « dirigeants des gouvernements, des partis, des syndicats ouvriers » et souligne à plusieurs reprises qu’il n’en a pas fait partie : « les actions les plus importantes qu’il a entreprises ont été subordonnées à la décision des hommes au pouvoir [...] dont il n’était pas » (ibid., pp. 164-165).

50 Pour l’anecdote, cf. URI, op. cit., p. 81. Sur le fond, il semble que Bidault « n’ait pas trouvé grand intérêt à cette proposition qui n’allait pas du tout dans le sens de la solution atlantique qu’il envisageait » (POIDEVIN, op. cit., P- 2J9)–

51 Entré comme expert financier dans son équipe en janvier 1927, à Varsovie, Pleven doit en partie à Monnet de s’être lancé dans les affaires au cours des années trente. A la déclaration de guerre, celui-ci fait de lui son adjoint à Londres au sein du Comité de coordination franco-britannique qu’il préside, et le propose comme chef de la mission française qui, en décembre 1939, part négocier l’achat d’avions aux États-Unis.
Après avoir été étroitement associé à l’élaboration du projet d’union franco-britannique lancé par Monnet en juin 1940, Pleven rejoint De Gaulle tandis que Monnet part pour Washington. Mais les deux hommes se retrouvent à Alger en 1943, puis à Paris à la Libération, pour ne plus quitter les mêmes cercles de pouvoir.
Cf. MONNET, op. cit., en particulier p. 122, 133, 21, 155-157, 25 et 27, et RIOUX (Jean-Pierre), « La mort de René Pleven » in Le Monde, 16 janvier 1993, p. 12.

52 Ibid., p. 194 : « Jean Monnet, visiteur assidu qui ne passe jamais par les services ».

53 Projet de mémorandum ─ non remis ─ à Robert Schuman, 9 septembre 1950, AMI 4/4/1, FJM. Texte complet in]ean Monnet-Robert Schuman : correspondance (1947-1953), Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Centre de recherches européennes, Lausanne, 1986, pp. 53-55.

54 MONNET, op. cit., p. 399.

55 Cité par ELGEY, op. cit., p. 234.

56 Télégramme de Jean Monnet à Robert Schuman, 14 septembre 1950, AMI 4/4/2, in MADURAUD, op. cit., p. 73. Texte complet in Jean Monnet – Robert Schuman, op. cit., p. 56.

57 MELANDRI Pierre, « Les États-Unis et le plan Pleven », in Relations internationales, 1977, n° 11, p. 205.

58 Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, le 16 septembre 1950, AMI 4/4/3. Cf. MONNET, op. cit., p. 401. Texte complet in Jean Monnet – Robert Schuman..., op. cit., p. 57.

59 Mémorandum de Jean Monnet à Robert Schuman, 16 septembre 1950, AMI 4/4/3 bis, FJM. Texte complet in Jean Monnet – Robert Schuman..., op. cit., pp. 58-59.

60 ELGEY, op. cit., p. 234.

61 Ibid.

62 Cf. VAN HELMONT, op. cit., pp. 163-164 : « Il ne s’intéressait pas à l’histoire, sauf contemporaine... Ses mouvements n’étaient pas déterminés [...] par référence à un passé qu’il connaissait peu ».

63 ELGEY, op. cit.

64 Ibid.

65 Note de Jean Monnet relative au problème allemand, 22 septembre 1950, AMI 4/4/5, FJM, citée par MADURAUD, op. cit., pp. 78 ; 80-81.

66 Note de Jean Monnet, 23 septembre 1950, AMI 4/4/6-7, citée par MADURAUD, op. cit., p. 83, et ELGEY, op. cit., p. 235.

67 FONTAINE André, Histoire de la guerre froide, T. 2, Fayard, 1962 et « Points » Seuil, 1983, p. 47.

68 ELGEY, op. cit., p. 224.

69 Cf. texte en annexe.

70 ELGEY, op. cit., p. 235.

71 MADURAUD, op. cit., p. 77 et GERBET Pierre, La construction de l’Europe, Imprimerie Nationale, Collection « Notre Siècle », 1983, p. 153.

72 Ibid.

73 MOCH Jules, Histoire du réarmement allemand depuis 1950, Paris : Robert Laffont, 1965, pp. 93-94. Le ministre de la Défense est un adversaire farouche de tout réarmement allemand, et préconise « le refus pur et simple, quelles qu’en soient les conséquences » (ELGEY, op. cit., p. 235).

74 MONNET, op. cit., p. 403.

75 Notes de Paul Reuter sur le projet d’armée européenne, 28-29 septembre 1950, AMI 4/4/IO-II et 4/6/2, FJM, in MADURAUD, op. cit., p. 12.

76 MONNET, op. cit., p. 404.

77 MELANDRI, op. cit., p. 208.

78 Ibid., p. 206.

79 MONNET, op. cit., p. 403.

80 ELGEY, op. cit., p. 238.

81 GUILLEN Pierre, « Les chefs militaires français, le réarmement de l’Allemagne et la CED (1950-1954) », Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 129, p. 8.

82 Institut Pierre-Renouvin, Travaux et Recherches, n° 1, été 1986, « Interview de René Pleven par Antoine Marès » (Paris, 6 décembre 1984), p. 47.

83 MONNET, op.cit., p. 403.

84 Ibid., et HIRSCH, op. cit., p. 111.

85 MONNET, op. cit., p. 406.

86 Ibid., p. 402.

87 Projet de lettre à M. le ministre des Affaires étrangères, 14 octobre 1950, AMI 4/6/1, FJM, cité dans MONNET, op. cit., pp. 404-405. Texte complet in Jean Monnet – Robert Schuman..., op. cit., pp. 61-63.

88 MONNET, op. cit., p. 404.

89 Ibid., pp. 405-406.

90 Ibid., p. 402 et surtout STEINERT Marlis G., « Un saut dans l’inconnu. La R.F.A. face au plan Schuman, de la déclaration du 9 mai 1950 à la signature du 18 avril 1951 », in Relations internationales, 1975, n° 4, p. 165.

91 Ibid., p. 165.

92 MONNET, op. cit., p. 406.

93 AMI 4/6/3 ; 4/6/4 ; 4/6/5 ; 4/7/1 ; 4/7/3 ; 4/7/7, FJM, cités par MADURAUD, op. cit., p. 87.

94 MONNET, op. cit., p. 406.

95 MADURAUD, op. cit., p. 87.

96 ELGEY, op. cit., pp. 236-237 et MELANDRI, op. cit., p. 208.

97 ELGEY, op. cit., p. 237.

98 MONNET, op. cit., p. 408.

99 MELANDRI, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe (1945-1954), Paris : Pedone, 1980, p. 305.

100 Note de Jean Monnet relatant une conversation entre John McCloy, René Pleven et Robert Schuman, 28 octobre 1930, AMI 5/2/2, FJM, cité par MADURAUD, op. cit., p. 91.

101 MONNET, op. cit., p. 408.

102 Note de Jean Monnet..., 28 octobre 1950, ibid.

103 Télégramme de René Pleven à Jules Moch, 28 octobre 1950, AMI 5/2/4 et 5/2/5, FJM, in MADURAUD, op. cit., p. 94.

104 MELANDRI, op. cit., p. 276.

105 MONNET, op. cit., p. 407.

106 Compte-rendu d’une conversation téléphonique avec John McCloy, 6 novembre 1950, AMI 5/7/2, FJM, cité in MADURAUD, op. cit., p. 106.

107 STEINERT, op. cit., p. 167.

108 MONNET, op. cit., p. 408.

109 Ibid., et pp. 404-405.

110 Projet d’instruction aux représentants français au Conseil des Suppléants, 6 novembre 1950, FJM, AMI 5/2/9, cité in MADURAUD, op. cit., p. 109.
Le projet de compromis présenté le 4 novembre par les États-Unis prévoit que ceux-ci substituent la formation de groupements tactiques (« combat teams ») d’environ 6 000 hommes à celle de division, tandis que la France accepte de son côté de renoncer à l’infrastructure politique de son projet, bien trop longue à mettre en place (VIAL, La IVe République, son armée et la CED, op. cit., p. 78).

111 Note de Jean Monnet à l’intention de René Pleven, 4 décembre 1950, AMI 5/2/17, FJM, in MADURAUD, op. cit., p. 113.

112 A la mi-novembre et au début décembre, le gouvernement français a été prêt d’accepter le compromis américain et n’a reculé que devant la menace de démission des ministres socialistes. Pour plus de détails, cf. ELGEY, op. cit., p. 239 et MELANDRI, « Les États-Unis et le plan Pleven », op. cit., p. 214.

113 MOISI Dominique, La France et la défense de l’Europe, de la CED à l’armement nucléaire, réalités politiques et analyse stratégique, Thèse pour le doctorat de recherche en Sciences Politiques, sous la direction de M. le Professeur Pierre GERBET, I. E.P. de Paris, 1975, p. 40.
Connu sous le nom de « plan Spofford », ce compromis prévoit que Paris accepte de différer la mise en place de l’infrastructure politique de son plan ainsi que la création immédiate de « combat teams » allemands, mais sous réserve d’en négocier les modalités : ce sera l’objet de la conférence du Petersberg qui s’ouvrira le 9 janvier suivant. De leur côté, les États-Unis admettent le principe d’une armée européenne, et l’ouverture d’une négociation à ce sujet.

114 STEINERT, op. cit., p. 170.

115 VAN HELMONT, op. cit., p. 31.

116 STEINERT, op. cit., p. 170.

117 HIRSCH, op. cit., p. in.

118 ELGEY, op.cit., p. 243.

119 Ibid., p. 236.

120 MONNET, op. cit., p. 400.

121 MOCH Jules, Histoire du réarmement allemand de 1950 à nos jours, Laffont, 1965, p. 269.

122 GUILLEN, op. cit., p. 11.

123 ELGEY, op. cit., p. 238.

124 HIRSCH, op. cit., pp. 78, 113, et entretien, 23 février 1994. Selon le témoignage de celui qui fut son bras droit, Monnet aurait rencontré à la même époque les généraux de Lattre, Juin et Ely, moins pour se renseigner sur un problème précis – comme avec Blanc – que pour connaître des hommes qu’il jugeait influents.

125 Pour plus de détails, cf. GUILLEN, op. cit., p. 8.

126 STEINERT, op. cit., p. 170.

127 POIDEVIN, op. cit., p. 275.

128 HIRSCH, op. cit., p. ni.

129 POIDEVIN, op. cit., p. 278.

130 Ibid., p. 378.

131 Idem.

132 Idem.

133 Ibid., p. 409.

134 Ibid., p. 407.

135 MOISI, op. cit., p. 32, note 6.

136 MONNET, op. cit., p. 412.

137 MELANDRI, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe, op. cit., PP- 313-317-

138 MONNET, op. cit., p. 413.

139 Ibid., p. 414.

140 Mémorandum à M. le Président Schuman sur la politique relative de la France et de l’Allemagne dans la politique européenne, 8 mai 1951, AMG 28/I/I, FJM. Texte complet in Jean Monnet – Robert Schuman..., op. cit., pp. 112-114.

141 ELGEY, op. cit., pp. 246-247.

142 MONNET, op. cit., p. 415.

143 Qui semble avoir eu pour cadre l’Hôtel Astoria à Paris, alors occupé par le SHAPE (cf. ELGEY, op. cit., pp. 249-250 et Pascaline WINAND, Eisenhower, Kennedy and the United States of Europe, New York : St Martin’s Press, London : Mc Millan, 1993, p. 28), et non le Waldorf Astoria, à Paris, comme l’indiquent les mémoires de l’inspirateur (cf. MONNET, op. cit., p. 420).

144 MASSIGLI René, Une comédie des erreurs (1943-1956), Plon, 1978, p. 382.

145 Cf. MELANDRI, « Les États-Unis et le plan Pleven », op. cit., p. 224.

146 MONNET, op. cit., p. 421.

147 MELANDRI, op. cit., p. 225.

148 La formule est de Paul DELOUVRIER in « Jean Monnet, le magicien de l’Europe », Le Monde, 9 novembre 1988, p. 2.

149 MASSIGLI, op. cit., p. 282.

150 Consacrant la victoire des thèses de Bonn, l’accord recommande la création de 12 divisions allemandes, dont 3 blindées ; pour la première fois, les Français ont accepté qu’on raisonne en termes de divisions (VIAL, La IVe République son armée, et la CED, op. cit., p. 82).
Réunie concurrement à celle de Paris sur l’armée européenne, la Conférence de Petersberg voit, depuis le 9 janvier 1951, les hauts-commissaires occidentaux et les représentants de la RFA négocier sur les modalités et l’importance de la participation allemande à la défense de l’Europe (VIAL, op. cit., p. 80).

151 POIDEVIN Raymond, « La France devant le problème de la CED : incidences nationales et internationales (été 1951-été 1953) », Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, n° 129, janvier 1983, p. 36.

152 Ibid.

153 MELANDRI, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe, op. cit., p. 326.

154 Ibid., p. 327 et ELGEY, op. cit., p. 251.

155 Ibid., p. 327.

156 ELGEY, op. cit., p. 254.

157 MONNET, op. cit., p. 419.

158 Cf. ELGEY, op. cit., p. 255.

159 Ibid., pp. 256-257.

160 AURIOL Vincent, journal du Septennat (1947-1954), T. V, 1951, 1975, pp. 642-645.

161 Outline of mémorandum by jean Monnet, 13 août 1951, AMI 873/7-8, FJM, in MADURAUD, op. cit., pp. 164-166.

162 Note de Tomlinson ou de Bowie, 10 août 1951, AMI 8/6/3, FJM, ibid.

163 Critique des solutions proposées par la Conférence de Paris, 17 août 1951, AMI 8/3/2, FJM, ibid., p. 35.

164 Ibid.

165 POIDEVIN Raymond, Robert Schuman, homme d’État, op. cit., pp. 320-321.

166 MADURAUD, op. cit., p. 167.

167 Ibid., pp. 168, 175.

168 Ibid., p. 172, note 11, et PLOWDEN (Edwin), An Industrialist in the Treasury, thePost-War Years, Londres, André Deutsch, 1989, pp. 123-124.

169 MELANDRI, Lw États-Unis face à l’unification de l’Europe, op. cit., P- 340.

170 MADURAUD, op. cit. p. 182.

171 Mémorandum Alphand-Monnet relatif à l’accord d’Ottawa sur une analyse coordonnée des contributions, 25 septembre 1951, AMI 10/1/6, FJM, in MADURAUD, op. cit., p. 181.
Version légèrement différente en AMI 10/1/7, FJM, citée in extenso in]ean Monnet – Robert Schuman..., op. cit., pp. 116-117.

172 PLOWDEN, op. cit., p. 125.

173 Institut Pierre Renouvin, Travaux et Recherches n° 2, automne 1988, « IV – Archives orales : Pierre Uri a la parole », p. 95.

174 PLOWDEN, op. cit., p. 126.

175 HIRSCH, op. cit., p. 114.

176 PLOWDEN, op. cit., p. 126.

177 Ibid., p. 128.

178 Entretien avec François FONTAINE, 21 janvier 1994.

179 PLOWDEN, op. cit., pp. 129-130.

180 ROUSSEL, op. cit., p. 172.

181 PLOWDEN, op. cit., p. 130.

182 Le budget de l’armée européenne et la contribution allemande à la défense, note de Pierre Uri, début novembre 1951, AMI 11/2/3, FJM, in MADURAUD, op. cit., pp. 183-184.

183 POIDEVIN, La France devant le problème de la CED..., op. cit., p. 43.

184 MADURAUD, op. cit., pp. 193-194.

185 Souligné dans le texte. Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, 1er février 1952, AMG 28/0/8, FJM ; texte complet in Jean Monnet – Robert Schuman..., op. cit., p. 129.

186 Ibid.

187 Cf. la lettre que le général Juin remet au président de la République le 4 mars 1952, ou son rapport du 11 avril au ministre de la Défense. Pour plus de détails, cf. VIAL Philippe, Les chefs militaires français et les constructions européennes de défense, (1950-1954), mémoire de maîtrise sous la direction de M. le Professeur René GIRAULT, Université de Paris I, 1988, p. 103.

188 Jean Monnet – Robert Schuman..., op. cit., p. 130.

189 MADURAUD, op. cit., p. 199.

190 Résolution relative à une analyse coordonnée des plans de défense du NATO, 19 septembre 1951, AMI 8/13/26, FJM, in MADURAUD, op. cit., p. 181.

191 MONNET, op. cit., p. 422.

192 ELGEY, op. cit., p. 262.

193 Projet de traité par Robert Bowie et William Tomlinson, 13 décembre 1951, AMI sans réf., FJM, in MADURAUD, op. cit., p. 185.

194 Lettres de Jean Monnet à Robert Schuman, 19 et 20 mars 1952, FJM, AMI 17/2/2 et 17/2/5 – schéma de réponse à la note soviétique, 19 mars 1952, FJM, AMI 17/2/4.
Textes complets in Jean Monnet ─ Robert Schuman, op. cit., p. 134-137.

195 MONNET, op. cit., p. 422.

196 Ibid.

197 HIRSCH, op.cit., p. 112.

198 ELGEY, op. cit., p. 277.

199 URI, op. cit., p. 185.

200 IRSCH, op. cit., pp. 114, 116.

201 URI, op. cit., p. 94.

202 HIRSCH, op. cit., p. 114.

203 VAN HELMONT, op. cit., p. 160.

204 MONNET, op. cit., p. 122.

205 MONNET, op. cit., p. 425.

206 Ibid., p. 428.

207 HIRSCH, op. cit., p. 110.

208 Ibid.

209 MONNET, op. cit., p. 426.

210 Ibid., p. 428.

211 DEBRE Michel, Trois Républiques pour une France, Mémoires, T. II, 1946- 1958 : Agir, Albin Michel, 1988, pp. 174-175.

212 HIRSCH, op. cit., p. 110.

213 Institut Pierre Renouvin, Travaux et Recherches, n° 1, été 1986, op. cit., p. 46.

214 MONNET, op. cit., p. 432.

215 Ibid.

216 GERBET, op. cit., p. 141.

217 Cf. POIDEVIN Raymond et SPIERENBURG Dirk, Histoire de la Haute Autorité de la CECA : une expérience supra-nationale, Bruylant, Bruxelles, 1993, 919 p.

218 Les trois-quarts des dossiers du fond AMI, qui couvre l’ensemble de l’épisode de la CED jusqu’aux accords de Paris inclus, ne concernent en effet que la période antérieure à l’été 1952. Cf. Archives jean Monnet : inventaire du fond AMI, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Lausanne, 2 tomes.

219 Cf. VIAL, La IVe République, son armée et la CED, op. cit., pp. 55-57, et surtout WINAND Pascaline, « Jean Monnet, Foster Dulles, Ike and the Uniting of Europe : Friendship and Associations » in Hackelf Cliff and Brinkley Douglas, eds., Monnet and the Americans, à paraître en 1993.

220 MONNET, op. cit., p. 448 souligné par nous.

221 Ibid., p. 464, souligné par nous.

222 Selon François FONTAINE – alors directeur de cabinet de Monnet à Luxembourg ─ l’ambassadeur d’Italie en France, Quaroni, insistait beaucoup, à chacune de ses rencontres avec Sylvia Monnet, pour que son mari rentre à Paris s’occuper de la CED : « Il faut qu’il revienne, c’est en train d’échouer ! » (Entretien, Ph. Vial, 21 janvier 1994).

223 DELOUVRIER, op. cit.

224 MONNET, op. cit., p. 465.

225 Idem.

226 Ibid., p. 448.

227 Ibid., p. 422.

228 ELGEY, op. cit., p. 262.

229 MONNET, op. cit., p. 422.

230 VAN HELMONT, op. cit., p. 47.

231 Ibid., p. 464.

232 Cf. VIAL, L.a IVe République, son armée et la CED, op. cit., , pp. 98-104.

233 EDEN Sir Anthony, Mémoires, T. Il, Plon, i960, p. 64 ; cité par MELANDRI, op. cit., p. 428.

234 DE GAULLE, Discours et messages, T. II, Dans l’attente (1946-1958), Plon, 1970, pp. 590-591.

235 FAURE Edgar, Mémoires, T. I, Avoir toujours raison... c’est un grand tort, Plon, 1982, p. 408.

236 Archives Jean Monnet ─ fonds AMI 1950-54, CED – réf. AMI 4/3/6. Texte cité par Frédéric MADURAUD, in Les relations franco-germano-américaines et la CED vues par Jean Monnet, mémoire de maîtrise effectué sous la direction du Professeur René Girault, Université de Paris I, 1985, pp. 265-274.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search