Chapitre VIII. L’organisation du commandement et des forces armées de l’Union soviétique et du pacte de Varsovie
La structure opérationnelle
p. 275-308
Texte intégral
1Dix-neuf grades séparent le soldat soviétique du « Generalissimus », le grade le plus élevé dans la hiérarchie civile et militaire, institué par Pierre le Grand, aboli – comme tous les grades – par la révolution de 1917 et restauré par décret du Présidium du Soviet suprême de l’URSS sous l’appellation de « Generalissimus de l’URSS », afin d’être conféré à Staline, le 27 juillet 1945, en tant que chef du Parti, de l’Etat et de toutes les Forces armées soviétiques, victorieuses dans la guerre contre l’Allemagne1. Ce grade, dans toute l’histoire de la Russie impériale n’a eu que quatre titulaires ; dans celle de l’Union soviétique, un seul, Staline, donc. Le grade de généralissimus marque ainsi le sommet de la hiérarchie militaire et souligne le concept d’un commandement suprême investi de tous les pouvoirs militaires et civils afin de préparer et de conduire la guerre.
2A la centralisation, recherchée dans le commandement opérationnel encore plus que dans les autres domaines, s’opposait la diversité de la géographie des théâtres d’opérations et des modalités d’action incombant aux forces. Cependant, la centralisation la plus stricte est apparue aux yeux des Soviétiques comme une nécessité absolue afin d’être en concordance avec l’hypothèse majeure retenue par leur concept de défense. Une deuxième donnée militait dans le même sens : l’ère nucléaire exige une prise de décision immédiate suivie, tout aussi immédiatement, de l’exécution. L’acuité du problème est apparue avec la décennie soixante.
3En son principe, aucun responsable politique ou militaire ne contestait la nécessité de mettre sur pied une structure opérationnelle du commandement des forces armées, dès le temps de paix. Que le Parti et l’Armée ne fassent qu’un et que le Parti puisse contrôler étroitement l’Armée, comme d’ailleurs toute autre institution soviétique, était également un principe admis. Par contre, établir une direction suprême unique du Parti et de l’Armée, à l’instar de ce qui avait existé dans les circonstances exceptionnelles de la guerre de 1941 à 1945, se heurtait au principe de la collégialité du pouvoir. Cela revenait, en effet, à investir d’une puissance exorbitante un organisme distinct de celui du Bureau politique. Or, quel que soit le degré de concentration des pouvoirs auquel sont parvenus des secrétaires généraux du Parti comme Staline ou Brejnev, la collégialité, en son principe au moins, ne pouvait être transgressée. Par ailleurs, une concentration trop forte des pouvoirs politiques et militaires pouvait mettre en péril le rôle dirigeant du Parti, puisque celui-ci ne pouvait assumer cette concentration. En effet, le Parti, en tant que tel, est incapable de mener la conduite opérationnelle des armées, mais il doit pouvoir la contrôler.
4Il y a lieu de souligner que la différenciation des structures administratives et gestionnaires, assurées par le ministre de la Défense, de celles opérationnelles n’est pas une spécificité soviétique. Pour d’autres raisons, notamment techniques, il en est de même pour les démocraties occidentales. La différence intervient sur le degré d’aptitude des structures opérationnelles à remplir ou non leur fonctionnement en permanence, aussi bien en temps de paix que de guerre.
5Après bien des controverses qui se sont déroulées d’une manière diffuse, presque à huis clos, les Soviétiques ont trouvé des solutions et les ont matérialisées dans le courant des années soixante-dix et quatre-vingt pour aboutir à un système qui, étendu au pacte de Varsovie, en a constitué la direction militaire effective.
6Il s’agissait d’instituer dès le temps de paix un Conseil de défense et des commandements opérationnels intermédiaires relevant d’un nouveau concept mis en application : le théâtre de guerre et le théâtre d’opérations. Ce système de commandement à deux niveaux est en cohérence absolue avec l’aptitude opérationnelle des forces.
7L’examen s’attache à ces trois aspects ainsi qu’à leur évolution et à l’héritage légué par le pacte de Varsovie.
Le Conseil de défense
8Instance établie à titre permanent, « le Conseil de défense est l’organisme suprême de la direction de la défense du pays »2. Plus précisément, « le Conseil de défense centralise la coordination de l’activité des organismes de l’Etat soviétique dans le domaine de la défense et confirme les orientations fondamentales du développement de nos Forces armées »3. Conformément à la Constitution, jusqu’en 1988, il était mis en place par le Présidium du Soviet suprême qui, par ailleurs, « approuvait sa composition »4. Les amendements constitutionnels, en date du 1er décembre 19885, stipulent que, désormais, c’est le Soviet suprême qui « procède à la constitution du Conseil de défense de l’URSS et valide sa composition »6.
9Le fonctionnement et la composition du Conseil de défense ne sont pas officiellement connus, ce qui a laissé le champ libre à toute une série de supputations de la part des analystes occidentaux. Seul, le président du Conseil de défense a fait l’objet de déclarations officielles : il s’agit du personnage le plus élevé dans la hiérarchie du Parti, et donc de l’Etat soviétique, en l’occurrence du Secrétaire général du CC du PCUS qui, à plusieurs reprises, a publiquement rappelé sa fonction à la tête de ce Conseil afin d’insister sur sa responsabilité. Ainsi, entre autres, L.I. Brejnev, en 1979, affirmait, « en tant que Président du Conseil de défense de l’URSS », que la quantité de missiles à portée intermédiaire n’avait pas été augmentée dans la partie européenne de l’URSS depuis une dizaine d’années7. La nomination à la tête du Conseil de Défense est toujours intervenue au profit de celui qui accédait à la direction du Parti – à l’exception de K.U. Tchernenko – et qui avait donc la réalité du pouvoir d’Etat, puisque le parti communiste de l’URSS « est le noyau de son système politique, des organisations d’Etat et des organisations sociales »8. C’est ainsi qu’en 1964, L.I. Brejnev devint président du Conseil de défense en même temps que Premier secrétaire du CC, puis Secrétaire général du CC en 19669, lors du rétablissement du secrétariat général par le XXIIIe congrès du Parti, sanctionnant ainsi ses pleins pouvoirs à la tête du Parti10. Il en fut de même pour Y.V. Andropov, Secrétaire général du CC en novembre 1982 et président du Conseil de défense en 198311
K.U. Tchernenko, Secrétaire général du CC à partir de février 1984, n’a pas pris la tête du Conseil de défense12, vraisemblablement parce que sa mort en 1985 n’a pas laissé de temps pour sa désignation. Mais M. Gorbatchev accéda simultanément aux postes de Secrétaire général du CC et de président du Conseil de défense13, sans pour autant être président du Présidium du Soviet suprême, c’est-à-dire formellement chef de l’Etat. Le fait indiquait nettement que la réalité du pouvoir se situait au niveau du secrétariat général du Parti.
10Cependant, en 1988, la réforme constitutionnelle, en même temps qu’elle faisait du président du Soviet suprême de l’URSS le chef de l’Etat soviétique14, liait cette fonction avec celle de président du Conseil de défense. En effet, désormais, la Constitution amendée précisait que le président du Soviet suprême « est à la tête du Conseil de défense »15. Opérant ainsi la concentration des pouvoirs exécutifs et législatifs sur sa personne, M. Gorbatchev, en tant que Secrétaire général du Parti, président du Soviet suprême de l’URSS et du Conseil de défense, voyait son rôle de principal responsable de la Défense souligné de plus par un autre amendement constitutionnel : le président du Soviet suprême « présente au Congrès des députés du peuple de l’URSS et au Soviet suprême de l’URSS des rapports sur la situation du pays et sur les questions importantes concernant la politique intérieure et extérieure de l’URSS, concernant le maintien de la capacité défensive et de la sécurité de l’URSS »16. En résultat net, une longue pratique, instaurée au début des années soixante, liant de fait la présidence du Conseil de défense à la plus haute charge de l’Etat, avait reçu, en 1988, une sanction constitutionnelle.
11L’institution d’une charge de président de l’URSS au profit de M. Gorbatchev ne modifiait en rien le système, le président de l’URSS devenant automatiquement président du Conseil de défense en lieu et place du président du Soviet suprême. C’est encore cette même optique qui conduisait, entre autres, M. Gorbatchev à défendre son projet de traité d’union. En effet, dans ce projet, le président de l’Union l’était aussi du Conseil de défense, dont la composition était certes modifiée, mais dont l’institution et les pouvoirs restaient entièrement préservés.
12A la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, M. Gorbatchev fit mettre sur pied un Conseil présidentiel, un Conseil d’Etat, ainsi que, sur le modèle américain, un Conseil de sécurité qui auraient pu interférer avec le Conseil de défense. Il s’agissait aussi bien de renforcer la crédibilité et l’efficacité des fonctions du président de l’URSS que de trouver un substitut à l’effacement des instances du Parti, chargées de la direction générale du pays et plus particulièrement des affaires de sécurité, comme le Bureau politique et les départements spécialisés en la matière. Le Conseil de défense, dont la composition est modifiée en fonction des responsabilités dévolues à de nouvelles personnalités, conserve, cependant, toute son importance et l’ensemble de ses prérogatives, d’autant plus que plusieurs de ses membres le sont aussi du Conseil présidentiel et du Conseil de sécurité. En outre, les trois conseils ont le même président, en l’occurrence M. Gorbatchev, qui pouvait veiller à l’absence d’empiètement. Par ailleurs, le rôle spécifique du Conseil de défense – traiter des affaires stratégiques et, éventuellement, conduire la guerre au plus haut niveau – limitait les interférences.
13La disparition de l’URSS n’amène pas celle du Conseil de défense, mais il n’existe plus qu’au niveau de la Russie. Par le biais de la Communauté des Etats indépendants et de ses forces armées, B. Eltsine aurait bien voulu maintenir l’institution d’un Conseil de défense avec la plénitude des prérogatives portant sur l’ensemble de la Communauté. Cette question posait problème, car il n’a pas été prévu d’instituer un président de la Communauté de crainte de limiter la souveraineté des Etats de la Communauté. D’autre part, le maintien du Conseil de défense, avec pour président B. Eltsine, à l’échelle de la Communauté, conduisait également à une limitation de souveraineté des Etats. Notamment, ces Etats se refusaient à subordonner les forces armées qu’ils souhaitaient constituer à une quelconque autorité qui ne soit pas la leur. La question donc du Conseil de défense fut ainsi l’une des raisons amenant la dilution du projet de Communauté des Etats indépendants. Par contre, au niveau de la Fédération de Russie, le système militaire reste régi par un Conseil de défense, transposé à partir du modèle soviétique.
14Dans l’organisation mise sur pied par les Soviétiques, le Conseil de défense est donc une institution permanente, constitutionnellement établie, dont le fonctionnement et la composition ne bénéficient pas de plus d’éclaircissements officiels. Il y a lieu de remarquer qu’en la matière, les autres pays ne procèdent pas d’une autre manière en couvrant du secret le plus rigoureux les délibérations et les décisions d’organismes du même genre. Les discussions internes au Conseil de défense ne transpercent que très rarement le mur du silence, parce que les responsables soviétiques se montrent toujours d’une rare discrétion et les décisions n’apparaissent au jour que par leurs effets ou à la suite d’une analyse. Par contre, le secret qui entoure la composition du Conseil ne résiste pas à un examen prenant en compte la logique du système soviétique. Comme tous les organismes dotés de la réalité du pouvoir dans les pays du pacte de Varsovie, le Conseil de défense est une émanation très directe du Bureau politique du Parti. De fait, il est formé des membres du Bureau politique, titulaires et suppléants, concernés par les questions de défense avec toutes leurs interpénétrations dans la vie soviétique, c’est-à-dire la quasi-totalité du Bureau. A ces personnalités détenant un rôle dirigeant, s’ajoutent des militaires de haut rang, soit déjà membres du Bureau politique, soit en vertu de leurs fonctions – c’est le cas du ministre de la Défense – soit encore cooptés en raison d’une qualification particulière. Les militaires, quand ils ne sont pas membres titulaires ou suppléants du Bureau politique, le sont pour le moins du Comité central. Le Conseil de défense compte ainsi de l’ordre d’une quinzaine de membres, dont les ministres de l’intérieur et des Affaires étrangères, le chef du KGB, le responsable du Département du Comité central en charge de l’établissement de la politique de défense du Parti, ainsi que celui spécialisé dans les industries relevant de la Défense... La variation du nombre de militaires au sein du Bureau politique n’a aucune incidence sur la composition du Conseil de défense, seul habilité à prendre les décisions en la matière. Il en découle que l’accession ou le retrait d’un militaire du Bureau politique n’a pas d’autre signification que personnelle et, en tout état de cause, ne fait pas ressortir une augmentation ou une diminution de l’influence de l’Armée au sein de l’appareil gouvernemental. C’est donc en toute logique qu’à la suite de la violation de la frontière soviétique par un petit avion de tourisme ouest-allemand, il a fallu une réunion du Bureau politique, tenue le 30 mai 1987, afin de destituer pour « négligence » et « manquements sérieux »17, le maréchal Sokolov, ministre de la Défense et membre suppléant du Bureau politique ce qui lui permettait surtout de faire partie ès qualités du Conseil de défense. Le ministre de la Défense et le chef de la PVO, également destitué, avaient été rendus responsables de l’absence d’interception qui aurait dû être réalisée « sans recourir aux moyens de combat »18. Pour faire image, le Conseil de défense fait son apparition publique, lors de chaque défilé des troupes sur la place Rouge à Moscou : c’est lui qui se tient de part et d’autre du Secrétaire général sur le mausolée de Lénine !
15La confirmation du rôle de direction suprême dans les affaires militaires et de la composition du Conseil de défense peut être obtenue par un examen de sa genèse et des organismes remplissant le même objet qui l’ont précédé.
16Dès leur prise du pouvoir en 1917, les bolchéviks durent improviser à la hâte des institutions militaires en remplacement du système jeté à bas par la Révolution. Le gouvernement révolutionnaire ne fut pas long à assimiler la réalité, à faire œuvre de pragmatisme et à modifier ses conceptions forgées uniquement par des études théoriques. En l’espace de moins de trois mois – de novembre 1917 à janvier 1918 – le gouvernement révolutionnaire abandonna le concept du Parti en armes représenté par une Garde rouge formée des membres du Parti aptes à servir en campagne, puis le concept d’une armée prolétarienne composée de la Garde rouge et de volontaires. L’Armée rouge des ouvriers et des paysans, créée en janvier 1918 sur la base de la conscription, excluant cependant du service armé les classes de la population réputées contre-révolutionnaires, reprit la structure des unités et la tactique de l’ancienne armée.
17Il n’en fut pas de même en ce qui concerne le système de commandement à tous les niveaux. Schématiquement, il y avait opposition entre deux tendances. La première, illustrée par Trotsky, prônait une armée milicienne, non permanente, avec un recrutement régional, fondée sur la base des enseignements d’Engels. La deuxième, mise en avant par Lénine, offrait une conception plus centralisée avec un noyau permanent. Principe immuable dans les deux tendances, le contrôle absolu du Parti sur l’armée devait être réalisé.
18La désignation des chefs militaires, à tous les niveaux, se faisait à l’origine par voie élective. Cette modalité ne fut abandonnée qu’en 1919, par décret du Comité central exécutif du 22 avril, devant les inconvénients rencontrés : élections plus ou moins entachées de démagogie conduisant à la désignation d’un chef non nécessairement compétent, dissensions diverses à la suite de candidatures multiples dont découlait un manque de cohésion des unités. Ces problèmes ont été rencontrés par toutes les armées révolutionnaires, aussi bien par l’armée française de la Première République que par l’armée communiste chinoise, et ont abouti au même résultat : l’abandon de la procédure élective dans la désignation du personnel de commandement. Mais, à ces inconvénients s’en ajoutait un autre, majeur aux yeux des bolchéviks, la procédure élective pouvait ne pas respecter le choix du Parti ainsi que l’a démontré la révolte des marins de Cronstadt, en 1920.
19La direction de la défense et le haut-commandement opérationnel, avec un personnel désigné donc à l’origine par voie élective, furent assurés dans un esprit collégial qui engendra une floraison d’organismes aussi bien à l’échelon local que national. « Les rapports entre ces organismes n’étaient pas nettement définis et il en résultait une certaine confusion dans le commandement des troupes, ce qui affaiblissait la défense de la République »19. Il s’avérait indispensable, à l’évidence, d’établir « un centre de Direction unifiée de l’action militaire de l’Armée rouge ». C’est ainsi qu’émergèrent d’autres organismes dont le rôle s’affirma. La direction générale des armées fut réalisée par un Commissariat du peuple pour les Affaires militaires avec Trotsky à sa tête, tandis que le commandement opérationnel était assumé par un Conseil militaire révolutionnaire20 ayant autorité sur un commandant en chef et disposant d’un état-major. Cette structure par des séries de transformations successives donnera naissance au ministère de la Défense et à l’Etat-major général. Un collège pan-russe pour la formation de l’Armée rouge, devenu Etat-major principal pan-russe, était chargé de coordonner l’activité des organisations locales, des Conseils, ayant mission du recrutement, de l’instruction et de l’approvisionnement des troupes. Cet organisme, par la suite, sera englobé par l’Etat-major général et en constituera sa partie gestionnaire. Le décret du Conseil des commissaires du peuple en date du 15 janvier 1918, portant création de l’Armée rouge, précisait que l’organisme supérieur de direction des Forces armées était ce même Conseil. Le parti communiste avait l’autorité suprême sur l’ensemble de l’appareil militaire et avait constitué à cet effet un Comité central militaire exécutif, en tant que département du Comité central, avec pouvoir de décision. En dépit de ces efforts de réorganisation et de centralisation, le trop grand nombre d’instances nuisait à l’efficacité du commandement. C’est pour cela que l’autorité effective passa au commissariat du peuple pour les Affaires militaires qui ne parvint cependant pas à contrôler et à diriger tous les domaines intéressant la défense, notamment les fabrications d’armements et de munitions. Aux fins d’une unification des efforts, le Comité central militaire exécutif institua, le 30 novembre 1918, un Conseil de défense des ouvriers et des paysans, sous la présidence de Lénine. Ce Conseil avait théoriquement les pleins pouvoirs pour diriger la lutte armée dans son ensemble. De fait, « son domaine d’activité majeure concernait l’approvisionnement en vivres, la mobilisation des transports, celle de l’industrie, des ressources en combustibles et l’organisation du ravitaillement militaire »21. Les membres composant le Conseil de défense provenaient « du Comité central militaire exécutif, du Conseil militaire révolutionnaire, du Commissariat du peuple chargé des communications et de l’industrie, de la Commission extraordinaire chargée de l’approvisionnement en vivres de l’Armée rouge. Ce Conseil de défense préfigure ainsi celui qui entrera en activité sous l’égide de Staline et ses successeurs.
20Le système de commandement mis en place par les Soviets présentait des déficiences évidentes. En effet, à travers ces organismes se faisait déjà sentir l’opposition entre Trotsky, commissaire du peuple pour les Affaires militaires et chef effectif de l’Armée rouge en campagne, et Lénine, dirigeant suprême du Parti et de l’Etat issu de la Révolution d’Octobre. L’analyse du problème fut effectuée par des théoriciens et des praticiens qui, tels Chapochnikov, Frounzé ou Thoukhatchevsky, occupaient des postes de direction et s’étaient attelés à faire prévaloir les solutions qu’ils avaient retenues22. Le manque de coordination stratégique et des fautes de commandement étaient responsables des succès obtenus par les Blancs avec leur Armée de volontaires, sous le commandement du général Wrangel, lors de ses offensives, en 1920, sur le Dniepr inférieur et dans le Kouban, à partir de la Crimée. Pour une part même, la victoire remportée contre les Blancs de Dénikine, en 1919, était due à des dissensions au sein de son état-major et du gouvernement contre-révolutionnaire23. Par ailleurs, la défaite en Pologne, en 1920, était un révélateur inexorable.
21Conçu comme un organisme extraordinaire pour la durée de la guerre, le Conseil de défense des ouvriers et des paysans ne disposait pour remplir son office que du seul secrétariat du Conseil des commissaires du peuple, ce qui se révéla manifestement insuffisant. Sans état-major spécifique, la portée de l’œuvre du Conseil de défense ne pouvait être que limitée, ne serait-ce que faute de pouvoir contrôler l’application des directives élaborées. En outre, les membres du Conseil de défense restaient peu ou prou prisonniers des organismes dont ils étaient issus et auxquels ils continuaient d’appartenir. Très rapidement, le Conseil de défense apparut comme une émanation du Conseil des commissaires du peuple, ce qui fut officialisé en 1920, lorsqu’il changea son appellation en Conseil du travail et de défense24. Ce Conseil agissant en tant que commission du Conseil des commissaires du peuple eut des attributions encore plus larges pour embrasser tous les domaines de l’économie et de la défense du pays. La direction effective des forces armées resta aux mains du commissariat du peuple aux Affaires militaires, préfiguration du ministère de la Défense, dédoublé à plusieurs reprises au cours de son histoire en deux commissariats, l’un spécialisé dans les forces terrestres et l’aviation, l’autre dans la marine.
22Les principes dégagés lors des études entreprises durant les années vingt allaient devenir la charte de l’armée soviétique25. En dehors d’un contrôle absolu des Forces armées par le Parti, la direction des forces devait être centralisée à tous les niveaux, ce qui amenait à affaiblir les pouvoirs collégiaux dans l’armée pour les réduire à des organismes consultatifs afin de préserver l’unicité du commandement. Par étapes, toute idée d’armée de milice fut abandonnée au profit d’une armée permanente de conscription, d’active et de réserve, avec un encadrement professionnel. Une discipline militaire, mais qui se voulait consciente et soutenue par le Parti, devait régir sans entraves les rapports entre supérieurs et subordonnés.
23Restait à trouver surtout une solution au problème de la direction stratégique de la conduite de la guerre. En l’absence d’hostilités ouvertes, le besoin n’apparaissait pas urgent. Aussi, lorsqu’en 1937, le Conseil du travail et de défense fut supprimé en liaison avec les purges qui frappèrent les armées, la nécessité d’une instance suprême réglant toutes les questions de défense était bien présente dans les esprits, notamment dans celui de Staline. C’est pourquoi fut institué, « auprès du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, un Comité de défense de l’URSS, aux fins de l’unification de toutes les mesures et affaires relevant de la défense du pays »26. L’organisme n’eut toutefois qu’une existence toute théorique, mais son principe était parfaitement établi. Autre point qui mérite d’être souligné, le concept d’un organisme de direction indépendant, comme l’avait été tout au moins formellement le Conseil de défense des ouvriers et des paysans, avait été abandonné : en conformité avec la pratique, le nouvel organisme avait pris la dénomination de « comité »– non plus de conseil donc – et était une émanation du Conseil des commissaires du peuple au profit de qui il aurait dû agir.
24Les mesures de réorganisation et les études furent accélérées dans la deuxième moitié des années trente. Les Soviétiques voulaient tirer des leçons des conflits et encore plus des échecs, conformément à la pratique marxiste-léniniste de la critique et de l’autocritique. C’est encore ainsi que la guerre d’Espagne, de 1936 à 1939, fut étudiée en détail, non seulement au plan tactique, mais aussi sous l’angle des systèmes de commandement. Et du 26 au 28 mars 1940, « se tint un plénum du Comité central du Parti afin d’examiner les résultats et les leçons de la guerre soviéto-finlandaise et de fixer les moyens d’augmenter la disponibilité opérationnelle de l’Armée rouge »27. Cependant, les réformes envisagées, et alors partiellement mises en œuvre avant l’attaque allemande de juin 1941, ne s’appliquèrent qu’à des niveaux intermédiaires du commandement, qu’au raffermissement de l’unicité du commandement et qu’à des questions d’organisation des Grandes Unités.
25Le problème d’un organisme spécifique omnipotent chargé de la conduite du pays en guerre restait entier. La création d’un tel organisme se heurtait, toujours, au principe de la collégialité demeuré très vivace malgré la prédominance de Staline, en même temps qu’à des difficultés de mise sur pied d’une structure opérationnelle permettant au Parti de conserver son rôle dirigeant.
26La perspective d’un désastre consécutif à l’attaque allemande du 22 juin 1941 devait lever les derniers obstacles. Il fallut, cependant, à cet effet, une résolution commune du Présidium du Soviet suprême, du Comité central du parti communiste et du Conseil des commissaires du peuple qui, en date du 30 juin 1941, « prenant en compte la situation exceptionnellement instaurée et aux fins de la mobilisation de toutes les forces des peuples de l’URSS pour rejeter l’adversaire qui a traîtreusement attaqué notre Patrie, ont reconnu indispensable de créer le Comité d’Etat de défense28 sous la présidence de J.V. Staline. Le Comité d’Etat de défense concentre entre ses mains la plénitude du pouvoir de l’Etat »29. Outre donc Staline, en tant que président, devinrent membres du GKO, « V.M. Molotov (vice-président), K.E. Vorochilov, G.M. Malenkov ; ensuite entrèrent dans le GKO, N. A. Boulganine, N.A. Voznesensky, L.M. Kaganovitch, A. 1. Mikoyan »30. Staline était déjà Secrétaire général du Comité central et président du Conseil des commissaires du peuple qui allait changer, en 1946, sa dénomination en Conseil des ministres ; Molotov était commissaire du peuple aux Affaires étrangères ; Vorochilov, maréchal de l’Union soviétique, avait été commissaire du peuple aux Affaires militaires et navales et président du Conseil de défense créé en 1937 ; Malenkov avait été chef du secrétariat personnel de Staline et était spécialisé dans la production aérienne ; Boulganine était vice-président du Conseil des commissaires du peuple ; Voznesensky était président du Gosplan et vice-président du Conseil des commissaires du peuple ; Kaganovitch était également président du Conseil des commissaires du peuple et spécialiste des combustibles et de la production pétrolière ; Mikoyan était commissaire du peuple au Commerce extérieur et intérieur et président du Comité chargé de l’approvisionnement industriel en matières premières31. Ainsi, les membres du GKO occupaient des postes essentiels dans l’appareil gouvernemental. Mais à travers la diversité des fonctions, un facteur commun les réunissait tous : l’appartenance au Parti, à son Comité central et surtout à sa plus haute instance dirigeante qu’est le Bureau politique, que ce soit comme membre titulaire ou suppléant. Le GKO n’est donc pas autre chose que l’émanation du Bureau politique chargée de la conduite de la guerre et investie, à cet effet, des pleins pouvoirs.
27Le GKO assura non seulement la mobilisation et la gestion de l’ensemble des ressources de l’Union soviétique lancée dans la guerre, mais encore, à la différence du Conseil de Défense des ouvriers et des paysans, ne se contenta pas d’un rôle nominal ou politique dans la conduite des opérations. Il en assuma effectivement la direction stratégique. Dans ce but, le GKO prit sous son autorité le Grand Quartier Général du Haut-Commandement32, créé et investi de la direction des Forces armées de l’URSS, le lendemain de l’entrée en guerre, par une résolution du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et du Comité central. Ce Grand Quartier Général, la « Stavka » en russe dont la signification en vieux russe, « la tente du chef », explique le sens dérivé moderne, n’était pas une création « ex nihilo ». Il représentait le fruit des réflexions des réformateurs de l’Armée rouge des années vingt et avait déjà existé en Russie impériale, durant la Première Guerre mondiale, sous une forme voisine en tant que Grand Quartier Général du Commandant Suprême33. Cet organisme, dont même la dénomination abrégée de « Stavka » allait passer dans le vocabulaire soviétique, concentrait tous les pouvoirs de conduite opérationnelle de la guerre sous l’autorité du commandant en chef34. Que les réformateurs des années vingt se soient inspirés, consciemment ou inconsciemment, du système mis au point par l’armée impériale n’a rien d’étonnant, ils y avaient appartenu, sans compter la multitude d’officiers de l’ancienne armée passés du côté communiste. Ceux-ci, nécessairement, influencèrent des personnalités comme Frounzé qui, « révolutionnaire professionnel »35, n’avait d’autre formation militaire que celle donnée par le Parti. Or, ces réformateurs n’avaient cessé de promouvoir le concept d’un haut-commandement centralisateur et en avaient étudié et planifié la création et les modalités. C’est pour cela que la Stavka put être mise sur pied un jour après le début des hostilités. Au concept de « centralisation », les réformateurs joignaient celui de « direction par le Parti », ce qui amena tout naturellement à prévoir de placer la Stavka sous l’autorité du GKO, à en faire plus exactement son bras séculier.
28La Stavka du Haut commandement, selon la résolution du 23 juin 1941, était composée « du maréchal Timochenko, président et commissaire à la Défense, du chef de l’Etat-major général Joukov, de Staline, de Molotov, du maréchal Vorochilov et du commissaire à la Flotte de guerre, l’amiral Kouznetsov »36. L’ordre dans lequel est donnée cette composition n’est pas innocent et a une signification très précise : non seulement Staline n’en était pas le président, mais encore n’en était pas la première figure. Le maréchal Boudienny y siégeait en tant que vice-commissaire du peuple à la Défense. Tous les membres de la Stavka à l’exception du maréchal Timochenko appartenaient au Bureau politique37 et étaient donc des militaires de carrière en dehors de Staline et de Molotov. Une centralisation encore plus accentuée fut réalisée par la transformation de la Stavka du Haut commandement en Stavka du Haut commandement suprême. La modification de dénomination prend tout son sens, car Staline en fut le président avec comme vice-président, Molotov. Chapochnikov, bientôt chef de l’Etat-major général en remplacement de Joukov, y entra38. Le 8 août 1941, la concentration la plus extrême des pouvoirs était effectuée par la désignation de Staline comme commandant suprême et « tous les ordres de la Stavka du Haut commandement suprême devaient comporter les signatures du Commandant suprême J. Staline et du Chef de l’Etat-major général B. Chapochnikov »39. La composition de la Stavka fut remaniée à plusieurs reprises durant la guerre, mais sa fonction demeura intégralement. « La Stavka agissait sous la direction du Bureau politique du CC du PCUS et du GKO, ce qui garantissait l’exécution du principe léniniste de l’unicité de la direction politique et militaire de la lutte armée en correspondance avec les buts politiques de l’Union soviétique en guerre ».
29La Stavka assumait la conduite stratégique directe des groupements d’armées formés en « fronts », des flottes et de l’aviation à grand rayon d’action, en organisant leur coopération et interaction. Dans la première période de la guerre, lors de modifications impromptues de situation, furent institués des commandements intermédiaires sous la forme de « commandements principaux de directions stratégiques » groupant plusieurs fronts. Cette pratique, cependant, ne fut pas maintenue : dès que possible, le commandement direct et totalement centralisé des fronts fut intégralement rétabli. La Stavka, aux fins d’un contrôle, n’hésitait pas à détacher, auprès des Grandes Formations du type du front, des représentants qui même, en cas de besoin, prenaient le commandement de l’opération en se servant sur place des états-majors existants. « Il y eu toutefois certaines erreurs commises dans les activités des représentants de la Stavka qui se substituaient aux commandants des troupes des fronts dont ils contrecarraient l’initiative, de même que dans la reconstitution préférentielle de troupes et de matériel sur un front donné au détriment d’un autre, et sur insistance des représentants de la Stavka »40. Si la Stavka et ses représentants possédaient une meilleure connaissance d’ensemble des opérations, cela n’était pas nécessairement vrai d’une situation locale toujours appréciée à distance. De là provenaient les erreurs. Il n’en demeure pas moins qu’« en correspondance, il est devenu indispensable de conduire simultanément plusieurs fronts en des opérations coordonnées par une idée de manœuvre et par un plan unique sous la direction de représentants de la Stavka du Haut commandement suprême. Ainsi est née une nouvelle forme d’opérations, à savoir l’opération de groupe de fronts »41. Appartiennent à ce type d’opérations, celles de Stalingrad, de Koursk, de Vistule-Oder, entre autres.
30Par ailleurs, le problème de l’éloignement et de la diversité des théâtres d’opérations méritait d’être pris en compte. C’est pour cela qu’à l’occasion de l’ouverture des hostilités contre le Japon en 1945, la Stavka créa spécifiquement, le 1er août, un Haut commandement pour l’Extrême-Orient, auquel étaient subordonnées toutes les forces aéroterrestres opérant dans la région et la Flotte de l’océan Pacifique42. Aux fins du maintien de la centralisation la plus étroite, ce commandement intermédiaire fut cependant dissous le 20 décembre 1945, au plus vite donc, peu de temps après la capitulation du Japon, pour être rétabli lors des hostilités en Corée. Les Américains qui, à l’époque, ignoraient le système de commandement opérationnel soviétique et cherchaient à en percer les mystères, ont eu cependant connaissance de ce que les Soviétiques « venaient également de réunir leurs forces de Sibérie sous un commandement unique, ce qui n’était pas dans leurs habitudes et demandait à être surveillé de près »43.
31La Stavka traduisait donc en termes de stratégie opérationnelle les directives du GKO et avait besoin d’un outil de travail à l’échelon subalterne. Ce fut l’Etat-major général. « Depuis le début de la Grande Guerre patriotique, l’Etat-major général fut subordonné au Commandement suprême et se révéla l’organisme essentiel de travail au niveau opératif pour la Stavka du Haut commandement suprême en ce qui concerne la planification stratégique et la direction des forces armées sur les fronts »44. Moins encore que la Stavka, cet Etat-major général n’est une création « ex nihilo ». Aussi, dès l’origine, l’Armée rouge s’est-elle dotée d’un état-major général, quel que soit le nom qui lui ait été donné. Chapochnikov ne cessait de répéter, dans le courant des années vingt et trente, qu’il fallait bien un cerveau à l’armée. Après une période de tâtonnement inévitable, la structure fut stabilisée par Frounzé, en 1924 et en 1925, lorsqu’il fut chef de l’Etat-major général et qu’il entreprit les premières réformes qui conduisirent l’Armée rouge à prendre sa physionomie définitive45. Par ailleurs, il existait un état-major général dans l’ancienne armée impériale et il eut été profondément anormal que le modèle qu’il fournissait n’ait pas été pris en compte.
32A l’époque de la guerre, très vite, l’Etat-major général se spécialisa en deux grandes composantes. La première, l’outil de travail opérationnel de la Stavka, proposait des plans ou élaborait des idées de manœuvre et une planification à partir des directives de la Stavka. A l’instar de la Stavka, l’Etat-major général envoyait des représentants auprès des états-major de Grandes Unités, tant afin d’obtenir une information correcte que pour vérifier l’exactitude des compte-rendus et l’exécution des ordres donnés. Le domaine d’action couvrait également la logistique et les troupes de l’arrière. Le commandement soviétique attachait une importance primordiale au problème des arrières et de l’approvisionnement parce qu’il avait été, durant la Première Guerre mondiale, le point extrêmement faible de l’armée impériale russe et le facteur décisif de son effondrement.
33La deuxième composante était tournée vers la formation d’unités nouvelles et la gestion des forces de réserve générale. Dépendaient donc de ce département, le recrutement, l’instruction et l’entraînement des troupes ainsi que leur acheminement vers la zone de combats. Schématiquement, le GKO prévoyait de lancer une offensive stratégique, comme lors de l’opération Vistule-Oder en janvier 1945, ou d’engager des opérations défensives dans une région particulière, comme lors de la bataille de Stalingrad. La Stavka traduisait, alors, le concept en directives opérationnelles. L’Etat-major général établissait une planification dont une partie, et certes non la moindre, concernait la formation et la concentration des unités nouvelles livrées en temps voulu aux états-majors opérationnels. Cette distribution schématique des fonctions subsistera après 1945 et demeure de règle dans le deuxième quart du xxe siècle au sein de l’Etat-major général. La première composante appartient ainsi à la structure opérationnelle dont le sommet est représenté par le Conseil de défense. La seconde composante trouve sa tête dans le ministère de la Défense, successeur, depuis 1946, du Commissariat du peuple aux Affaires militaires.
34Le 4 septembre 1945, par décret du Soviet suprême, le GKO a été supprimé. La victoire rendait sa fonction désormais sans objet. Quelle que soit l’ampleur de la concentration des pouvoirs aux mains de Staline, il était insupportable de conserver une institution douée de pouvoirs aussi discrétionnaires, voire dictatoriaux, alors que la situation ne l’exigeait plus, alors que le GKO avait été fondé à titre extraordinaire sous le poids des évènements. Dans une suite logique, l’Etat-major général retourna entièrement sous la subordination du ministère de la Défense, nouvelle et plus classique dénomination du commissariat du peuple aux Affaires militaires. Aucun décret de dissolution n’a officiellement touché la Stavka du Haut commandement suprême. Mais l’organisme, privé en amont et en aval tant du GKO que de l’Etat-major général, tandis que ses membres étaient pris par d’autres fonctions, devint vide de sens et tomba rapidement en désuétude. Cette situation du Haut commandement soviétique ne fut d’ailleurs absolument pas analysée par les Occidentaux. Elle dénotait cependant, à l’époque, par disparition de toute structure opérationnelle de commandement stratégique, l’absence d’intention des Soviétiques d’engager un nouveau conflit, la priorité étant donnée à la reconstruction et à l’organisation du camp socialiste. Si le fait avait été perçu par les Occidentaux, nul doute que leur optique de la guerre froide et de la volonté agressive des Soviétiques eut été autre !
35Ce n’est qu’avec les années soixante que le problème de cette vacance surgit avec acuité. Il fut posé par les militaires et l’élaboration de sa solution s’étendit par étapes jusqu’au milieu des années quatre-vingt. En effet, la mise sur pied permanente d’une structure opérationnelle du Haut commandement revenait à une gigantesque concentration des pouvoirs civils et militaires dès le temps de paix, à banaliser la circonstance exceptionnelle qu’était la guerre et qui, seule, justifiait l’instauration d’une instance extraordinaire.
36Les prises de position des dirigeants militaires soviétiques sont une conséquence directe de l’évolution du concept stratégique de l’URSS. Des personnalités aussi marquantes que le maréchal Sokolovsky, qui fut chef de l’Etat-major général puis inspecteur général, fondaient leur opinion sur l’indispensable nécessité d’une disponibilité opérationnelle immédiate des forces afin de répondre au défi d’une guerre éventuelle marquée par le fait nucléaire et par l’importance primordiale de sa phase initiale. « La période initiale de la guerre future sera d’importance décisive et chacun des adversaires s’appliquera à en tirer le maximum de résultats par un maximum d’efforts »46. Dans une déduction logique, il était préconisé de doter l’URSS d’un organisme politico-militaire au niveau suprême, apte à prendre en permanence les décisions immédiates qu’appelait la nouvelle configuration stratégique. En effet, « la concentration de la Direction du pays et des forces armées dans les mains de l’organe politique de contrôle gouvernemental le plus élevé, comme pendant la dernière guerre, est une condition capitale de la conduite victorieuse d’une guerre, si les impérialistes agressifs la déclenchent »47. Il s’agissait donc de reconstituer un organisme analogue à celui du GKO : ce sera le Conseil de défense. L’institution ne pouvait cependant remplir son office qu’à la condition d’avoir son complément opérationnel, un commandement des forces armées au plus haut niveau qui « appartiendra comme avant à la Stavka du Haut commandement suprême ». Cette nouvelle Stavka, selon les conceptions définies par la science militaire soviétique, « sera un organe collégial de direction sous la présidence du commandant en chef suprême », en l’occurrence le secrétaire général du Parti. Il en découlait qu’un critère de choix supplémentaire présidait désormais à la désignation du secrétaire général : une compétence militaire affirmée, ce qui avait manqué à Khrouchtchev accusé d’avoir commis des erreurs stratégiques, entre autres, par excès de « subjectivisme et de volontarisme »48.
37Restait à doter la Stavka d’un outil de travail. Ce ne pouvait être qu’un état-major général, toujours sur le modèle de la Seconde Guerre mondiale puisqu’il s’était avéré efficace. Mais, « contrairement aux dispositions de la dernière guerre, où la structure de l’Etat-major général était conçue pour diriger principalement les actions militaires des troupes terrestres, l’état-major général devra assumer la direction de tous les types de forces, et spécialement des Troupes de fusées et des Troupes de défense antiaérienne (PVO) »49. L’Etat-major général remanié retrouvait ainsi ses deux grandes fonctions : la première, gestionnaire et administrative, axée sur la formation et l’organisation des troupes ; la seconde, opérationnelle, en charge de l’emploi des forces.
38La même centralisation devait être réalisée au niveau du pacte de Varsovie, et à cet effet, « l’organe politique supérieur de coordination de tous les efforts du camp socialiste peut être le Comité politique consultatif (PKK) créé selon les dispositions du pacte de Varsovie »50. Quant aux troupes alliées, elles seraient englobées dans des commandements opérationnels, eux-mêmes subordonnés « au Haut commandement suprême des forces armées soviétiques sous lequel opèreraient les représentants du Haut commandement suprême des pays alliés ». La direction stratégique opérationnelle suprême des forces du pacte de Varsovie relevait ainsi du seul Haut commandement soviétique.
39Le système fut mis en place progressivement, non sans lenteurs et non sans tâtonnements, contre lesquels se sont périodiquement élevés les responsables militaires. C’est ainsi qu’en 1974, à l’occasion d’une réédition, certes calculée, des travaux de Chapochnikov, le chef de l’Etat-major général soulignait l’exigence de l’unité de la direction politique et militaire des forces armées, ainsi que de « sa matérialisation dans une organisation effective »51. En corrélation, les missions de l’Etat-major général dépassent le simple cadre technique : il participe à « l’analyse et à la détermination de la situation politique et militaire, il définit les directions selon lesquelles se développent les moyens militaires et les méthodes de leur emploi, il organise l’entraînement des forces armées ». En 1975, le ministre de la Défense tirant, une fois de plus, les leçons de la Seconde Guerre mondiale, attribuait, pour une très large part, la victoire à « l’organisation correcte de la gestion de l’Etat et de la direction des opérations »52, concentrées « dans un seul organisme, le Comité d’Etat de défense ». Or, dans la situation, telle qu’elle apparaît, dans le courant de la décennie soixante-dix, « les Forces armées soviétiques sont obligées d’être en état d’alerte permanente, de posséder une haute disponibilité opérationnelle »53. Et le pays, dans son ensemble doit être apte à soutenir une guerre totale. Il en découle le renforcement d’organisations adéquates. Il ne peut en être autrement pour l’ensemble de la coalition que forme le Pacte.
40Au début des années quatre-vingt, le chef de l’Etat-major général, le maréchal Ogarkov, revenait à la charge pour insister sur la nécessité « d’un système stable de commandement centralisé et d’une coordination plus étroite entre l’action du Parti, du gouvernement, de l’industrie et de l’armée »54. En 1984, au même poste de responsabilité, le maréchal Ogarkov, animant un courant de réflexion, prolongeait le débat en incluant le problème d’une direction suprême politique et militaire centralisée dans celui plus vaste d’un remaniement de l’ensemble du haut commandement. A cet effet, il rappelait « le grand rôle qu’a joué, en ce qui concerne la victoire sur l’ennemi, le haut niveau d’organisation et d’activité pratique de la Stavka du Haut commandement suprême avec à sa tête J.V. Staline et ses adjoints G.K. Joukov et A.M. Vassilievsky, de même que l’organisme fondamental de la direction de la Stavka du GKO, l’Etat-major général »55. Et il invitait à en tirer la leçon, « car il vaut mieux tester de nouvelles configurations en temps de paix que de procéder à des recherches en temps de guerre ».
41En octobre 1984, le maréchal Ogarkov quittait sa fonction à la tête de l’Etat-major général. Cependant, l’ensemble des remaniements du système du haut commandement aboutissait à la mise en place du projet qu’il avait préconisé. L’organisation du Conseil de défense et de la Stavka ainsi que le nouveau fonctionnement de l’Etat-major général s’inscrivaient alors dans une vaste réforme dépassant largement celle de la direction suprême des forces armées.
42La création et la mise en place, dès le temps de paix, d’un Conseil de défense avec les organismes qui en résultaient, la Stavka et un état-major général opérationnel, s’étaient heurtées à deux séries d’obstacles. En premier lieu, il s’agissait d’avoir un conseil de défense effectif et non une institution purement formelle à l’instar du Conseil de défense crée en 1937. Or, l’existence d’un tel système équivalait à une fantastique concentration des pouvoirs difficilement admise en dehors de circonstances exceptionnelles. C’est pourquoi la Constitution de 1977 donne son label législatif au Conseil de défense. Et c’est dans le même esprit que le Secrétaire général du Parti, L.I. Brejnev, fit reconnaître ses compétences en matière militaire par son grade de maréchal de l’Union soviétique, afin de justifier par cette nomination sa nouvelle fonction de chef suprême des armées et de président du Conseil de défense. Restait en outre à donner au système une réelle efficacité. Pour cela, il fallait doter le Conseil de défense, formé à partir du Bureau politique, d’un secrétariat et de conseillers, donc d’une armature distincte de celle du Bureau politique. Il en était de même de la Stavka qu’il fallait créer de toute pièce. Or, il s’agit là d’un appareil assez lourd, dont l’efficacité dépend pour une très large part de sa structure propre qui doit être opérationnelle dès le temps de paix. La Stavka de l’armée impériale, en 1917, ne comportait pas moins de 2 000 hommes, celle de l’Armée rouge, de 1941 à 1945, n’avait pas un effectif moindre. Il ne faut pas se contenter de prendre en compte uniquement le personnel de direction, mais aussi les états-majors. S’y ajoute le personnel nécessaire aux études, aux transmissions, à l’infrastructure. Il s’agit donc bien d’un appareil lourd qui demande une volonté politique affirmée pour avoir une existence réelle. L’Etat-major général, dans la foulée, a dû subir également des remaniements pour s’adapter au nouveau système. Il y avait à surmonter le conservatisme inhérent à toute administration existante, qu’elle soit civile ou militaire. Et la bureaucratie soviétique n’est pas un vain mot ! Une deuxième série d’obstacles, d’ordre politique devait être dépassée. Les alliés du Pacte ne voyaient pas de gaieté de cœur leur souveraineté militaire disparaître, aussi bien dans les faits que dans la forme, au profit d’un Conseil de défense, soviétique, omnipotent, au sein duquel ils n’avaient même pas de représentation.
43Quant à l’organisation du Haut commandement suprême, elle s’insère dans un nouveau système marqué par la prédominance des théâtres de guerre et d’opérations.
Théâtres de guerre, théâtres d’opérations, puissance immédiate et montée en puissance
44A la fin des années quarante, forts de leur expérience centralisatrice tirée de la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques rejetaient toute conception de commandement opérationnel intermédiaire et subordonnaient directement la totalité de leurs forces à leur Etat-major général. Ils avaient dû, cependant, toujours admettre un commandement particulier pour la marine. En 1954, il leur a fallu en faire autant pour les Troupes de la défense antiaérienne nationale, la PVO, parce que la complexité des moyens alloués à cette force, ainsi que sa mission, exigeait un état-major et un commandement spécifiques. Les mêmes raisons conduisirent dès leur création, en décembre 1959, les Troupes de fusées stratégiques à avoir un commandement opérationnel propre. L’Etat-major général continuait à régir la planification et le contrôle de ces forces, mais ne les avait plus sous sa subordination directe qui passa à la Stavka et au Conseil de défense.
45Par contre, l’Etat-major général conserva sous son commandement opérationnel direct l’ensemble des forces terrestres et de l’aviation adaptée à ces forces jusqu’au milieu de la décennie quatre-vingt. Ce commandement s’exerçait à la hauteur du groupe d’armées, ou front selon la terminologie soviétique, comme durant la Seconde Guerre mondiale.
46La réflexion stratégique soviétique a ouvert un débat dès les années soixante sur l’opportunité de créer des hauts commandements permanents regroupant des forces supérieures au front, voire des groupes de fronts, plutôt que d’avoir une subordination directe des fronts au Haut commandement suprême. Le débat prit une acuité plus forte avec la fin des années soixante-dix, lorsqu’il fut mené par la nouvelle école de pensée stratégique que dirigeait le maréchal Ogarkov. Le clivage ne se produisit pas entre civils et militaires, mais entre conservateurs et modernistes, quelle que soit leur appartenance professionnelle. Chaque courant groupait ainsi aussi bien des militaires que des membres de l’appareil du Parti.
47Déjà, au cours de la Seconde Guerre mondiale, il avait fallu unifier les efforts de plusieurs fronts sous un commandement unique, certes temporaire, pour la durée d’une l’opération, et assumé par un représentant de la Stavka. De plus, l’éloignement, comme les caractéristiques spécifiques du champ d’action, avaient obligé à constituer, en 1945, un haut commandement particulier d’Extrême-Orient, auquel était subordonné l’ensemble des forces de terre, de l’air et de mer opérant contre le Japon. Dissous dès la fin des hostilités, en décembre 1945, ce haut commandement renaissait de 1947 à 1953, au titre des mesures prises pour faire face à un éventuel conflit découlant de la crise de Berlin et de la guerre de Corée. La portée en était plus restreinte puisque n’y était pas subordonnée la flotte du Pacifique, mais étaient néanmoins placées sous sa direction « les troupes des régions militaires de la zone côtière et de Transbaïkalie. Son état-major était à Khabarovsk. Il fut supprimé le 23 avril 1953 »56, avec la fin de la guerre de Corée.
48Cependant, dans le cadre offert par la décennie soixante-dix, les possibilités de manœuvre, la puissance de feu, la mobilité des forces ont considérablement accru leur capacité, agrandi leur sphère d’action, raccourci les délais de décision. « En relation avec ces données, en qualité d’opération de base, il y a lieu désormais de considérer non plus l’opération de front ni même l’opération de groupe de fronts, mais une forme plus moderne, plus accomplie, sur une plus grande échelle, à savoir l’opération de théâtre d’actions militaires »57. Les termes d’« opération »58 et de « théâtre d’actions militaires »59 ont dans la pensée militaire soviétique un sens très précis et représentent deux concepts liés qu’il convient d’examiner afin de saisir l’évolution conceptuelle qui a conduit à l’instauration d’un système de haut commandement intermédiaire.
49Par « opération », la stratégie soviétique entend « l’ensemble, concerté et corrélé en fonction du but, des missions, du temps et de l’espace de l’opération que représente la totalité des batailles, combats, accrochages et manœuvres des troupes (forces) de toutes les armes et qui est mené simultanément et successivement selon une idée de manœuvre et une planification unique afin de remplir une mission sur un ou des théâtres d’actions militaires, sur une direction stratégique ou opérationnelle (dans la zone opérationnelle) durant une période de temps déterminée »60. Une variation dans cette définition n’est apportée que par une précision supplémentaire visant la généralisation de sa portée : la mission assignée à l’opération peut être soit d’ordre stratégique, soit opérativo-stratégique, soit encore opérative61. Le niveau tactique, en ce qui concerne les forces terrestres, celui de la division et au dessous, trop peu important, n’est pas du ressort d’une opération qui engage donc des Grandes Unités de la taille de l’armée qui réunit plusieurs divisions, du front ou du groupe de fronts. L’opération se qualifie en fonction de la nature de l’espace de sa mise en œuvre : terre, air, mer avec la combinaison désormais d’au moins deux éléments dont l’un est obligatoirement l’air. Par ailleurs, l’opération se distingue par le type de la mission, offensive ou défensive. Mis à part son caractère extrêmement normatif, inhérent à son mode de pensée, le concept soviétique d’opération est compris de la même manière par les Occidentaux. Il reste à définir exactement un deuxième cadre conceptuel, celui du théâtre d’actions militaires dans lequel se place le concept d’opération, ainsi que le précise la définition.
50Dans la deuxième moitié de la décennie quatre-vingt, les Soviétiques ont défini le théâtre d’actions militaires comme « une vaste partie d’un territoire continental avec ses mers bordières ou l’étendue d’un océan (d’une mer) avec les îles et les rivages continentaux contigus, de même que l’espace aérien et cosmique qui les surmonte, dans les limites desquelles sont déployés des groupements stratégiques de forces armées (forces terrestres, aviation, marine, forces maritimes de guerre) et peuvent être menées des actions militaires d’échelle stratégique. Les frontières et la composition des théâtres d’actions militaires sont déterminées par la direction politique et militaire d’un Etat (d’une coalition d’Etats) »62. Dans cette détermination, les critères retenus relèvent des forces militaires présentes au premier chef, mais aussi de facteurs tels que la géographie physique et économique, la démographie, le degré d’urbanisation, la structure politique, sociale et militaire du territoire qui peut comprendre plusieurs pays. Et « d’après leur situation géographique, les théâtres d’actions militaires peuvent être continentaux, océaniques ou maritimes »63, selon la dominante.
51Le terme de théâtre d’actions militaires est inconnu dans la terminologie occidentale et plutôt que d’employer une traduction littérale, les analystes ont préféré soit se servir de son sigle russe, TVD, après l’avoir défini, soit utiliser une expression équivalente. Le terme qui revêt une signification très proche est celui de théâtre d’opérations, à la condition d’avoir présent à l’esprit que la stratégie soviétique est très normative, alors que les stratégies occidentales le sont beaucoup moins et qu’il s’agit d’un concept. Le théâtre d’opérations, selon les Soviétiques, forme donc un ensemble tridimensionnel comprenant l’espace aérien et aussi cosmique. Ces deux espaces se définissent par les vaisseaux qui peuvent les parcourir, l’espace aérien étant du domaine de l’avion, tandis que l’espace cosmique est du ressort du satellite et de la fusée. Les Français auraient tendance à parler de l’espace extra et endo-atmosphérique. Ce point a son importance militaire, au plan du commandement notamment, puisque la responsabilité d’un théâtre d’opérations, en incluant l’espace cosmique, va donner au titulaire la possibilité de l’utiliser, entre autres, sous forme de satellites mis à sa disposition et le devoir de mettre en œuvre des contre-mesures pour se garder des satellites adverses.
52Les Occidentaux, avec leur conception de théâtre d’opérations ont une compréhension beaucoup plus restrictive que les Soviétiques avec leur TVD. Cela n’est pas sans incidences politiques au niveau des systèmes de commandement dans une alliance !
53Les Soviétiques distinguent des subdivisions au théâtre d’opérations. « La direction stratégique » est « une partie du théâtre d’opérations comprenant une vaste zone de terrain avec les espaces maritimes (océaniques) adjacents et l’espace aérien et cosmique qui la surmonte. Dans les limites de la direction stratégique, de forts groupements de forces interarmées appartenant aux parties opposées ont pris position et se déploient pour mener en temps de guerre des opérations. La direction opérationnelle est une partie de la direction stratégique »64. La précision du vocabulaire employé est totale et c’est à dessein qu’il est question d’une « direction opérationnelle »65, et non « opérative »66, pour bien signifier que la zone considérée est celle d’une opération et non le champ d’action d’une ou de plusieurs Grandes Unités déterminées que la terminologie soviétique qualifie d’opératives ou de stratégiques. Il y a cohérence absolue avec la définition donnée au terme d’opération.
54Le concept de théâtre d’opérations apparaît ainsi comme la clé de la pensée stratégique soviétique, car tous les autres concepts se définissent par rapport à lui : une opération se place dans ses limites et les directions stratégiques et opérationnelles n’en sont que des subdivisions. En outre, la détermination des limites du théâtre d’opérations est faite à partir de l’analyse des facteurs militaires et socio-politiques qui forment les fondements mêmes de la stratégie soviétique. Comme ces facteurs sont mouvants, le concept de théâtre d’opérations est susceptible de variation. Il est ancien, date, selon les Soviétiques, du début du xixe siècle et ne prenait en compte à l’origine que des caractéristiques géographiques. Le développement des moyens de combat a élargi ce concept. C’est ainsi que « dans la définition classique, le théâtre d’opérations militaires était un territoire (ou une région maritime) où avaient lieu des opérations militaires directes »67. Le fait nucléaire, l’introduction de systèmes d’armes dont les portées peuvent être intercontinentales, la mobilité généralisée des troupes, l’absence prévisible de lignes de front figées au profit d’une guerre de mouvement ont considérablement reculé les limites d’un théâtre au point qu’il y a eu transfert du critère principal. Au lieu d’être défini fondamentalement par la géographie, le théâtre d’opérations l’est par l’objectif stratégique visé, qu’il s’agisse de l’anéantissement des forces ou de l’occupation d’une capitale politique et administrative. Ainsi, « le concept moderne peut englober tout le territoire d’un adversaire ou d’une coalition, des continents entiers, de grandes étendues maritimes, d’immenses régions de l’atmosphère, y compris l’espace ». Dans les années soixante et soixante-dix, l’espace en tant qu’élément constitutif d’un théâtre d’opérations ne représentait qu’une possibilité, une prévision. Les définitions officielles données au début des années quatre-vingt n’en font pas plus mention68, malgré la généralisation et le progrès en matière de satellites et de transmission de données. L’espace cosmique ne fait son apparition dans la définition d’un théâtre d’opérations qu’avec la deuxième moitié des années quatre-vingt69. Cela dénote toute l’importance que vont désormais y attacher les Soviétiques.
55A la fin des années quatre-vingt, les Soviétiques avaient délimité une dizaine de théâtres d’opérations continentaux et quatre théâtres d’opérations océaniques.
56En parallèle avec l’importance accrue qu’ils donnaient au concept de théâtre d’opérations, les stratèges soviétiques soulignaient les difficultés croissantes que le Haut commandement suprême devait rencontrer dans l’exercice direct de sa fonction opérationnelle. Certes, les moyens d’aide à la décision et les systèmes de transmission avaient été considérablement développés. En revanche, la complexité des opérations aéroterrestres et aéronavales, l’apparition de la dimension spatiale, l’irruption de l’atome sur le champ de bataille, l’éventuel affrontement nucléaire intercontinental avec l’application de plans de frappe multiples à partir de vecteurs tirés du sol, de la mer et de l’air, rendaient la conduite des opérations de plus en plus difficile. Même avec des moyens renforcés, le complexe du Haut commandement suprême – Conseil de défense, Stavka, Etat-major général – ne pouvait plus assurer sa tâche comme durant la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, la difficulté devenait d’autant plus grande qu’à l’inverse de la guerre de 1941-1945 où l’URSS n’avait eu à se battre qu’à l’ouest, l’hypothèse majeure retenue par le concept général soviétique prévoyait de faire face à une éventuelle guerre nucléaire intercontinentale, ou tout du moins à sa menace, et simultanément à un conflit aéro-terrestre et aéronaval se déroulant en Europe, au Proche et au Moyen-Orient, et en Extrême-Orient. Le Haut commandement suprême soviétique avait ainsi en perspective à gérer une guerre de coalition multidimensionnelle embrassant plusieurs continents. La démultiplication du commandement dépassait le cadre des théâtres d’opérations.
57C’est pourquoi, déjà dans le courant des années soixante, des penseurs soviétiques soulignaient l’existence chez l’ennemi occidental d’un commandement centralisé, mais avec des échelons intermédiaires aptes à conduire la bataille à leur niveau70. S’appuyant sur cette considération, ils demandaient la mise en œuvre de la même mesure. Certes, « la guerre future ne pourra être menée avec succès que si les opérations stratégiques sont strictement mises en corrélation sur la base d’un seul plan stratégique et d’un commandement centralisé unifié »71. Mais, il était préconisé de démultiplier ce commandement centralisé en établissant des théâtres de guerre, englobant chacun éventuellement plusieurs théâtres d’opérations, en créant donc des hauts commandements de théâtres de guerre relevant directement de la Stavka et mis en place dès le temps de paix. Les mêmes arguments ont été repris dans le courant des années soixante-dix pour faire ressortir « la nécessité d’assurer un commandement ferme et permanent des forces armées et de leurs groupements dans les théâtres d’opérations, même en temps de paix, et particulièrement au début des actions militaires »72. Cherchant à contrer les lenteurs qui s’opposaient à la mise en place effective d’un système de commandement réorganisé, le chef de l’Etat-major général, au début des années quatre-vingt, abandonnait toute réserve pour fustiger le conservatisme d’une partie du commandement en déclarant qu’« à peine était-il possible d’appliquer les succès de la technique et, de fait, à peine étaient-ils appliqués – presque de force, et souvent à l’encontre de la volonté du commandement militaire – qu’ils appelaient immédiatement des changements et même des bouleversements dans le mode de la conduite du combat »73. Le chef de l’Etat-major général avait cependant pris la précaution de se couvrir de l’autorité du Secrétaire général du Parti, K.U. Tchernenko, en rappelant avec force que celui-ci avait invité les militaires à « surmonter d’une manière décisive tout conservatisme et toute routine ».
58C’est ainsi que, durant la seconde moitié des années soixante-dix et durant la première moitié des années quatre-vingt, fut mis en place progressivement un système de commandement intermédiaire sous la forme d’un « Haut commandement »74 qui est défini comme « un organisme de direction, réalisant la conduite des forces armées sur les directions stratégiques ou dans les limites des théâtres d’opérations. A sa tête se trouve un Haut commandant auquel sont subordonnés un état-major et les commandants des Grandes Unités opératives des forces terrestres, aériennes et de la marine »75, autrement dit des fronts et de leurs équivalents dans la marine, les flotilles. Il s’agissait donc d’un seul niveau intermédiaire supplémentaire puisqu’il ne concernait que la direction stratégique ou le théâtre d’opérations. Il est en effet très rare qu’un théâtre d’opérations puisse compter plus d’une direction stratégique selon la planification soviétique et, en ce cas, le commandement centralisé reste unique à l’échelle du théâtre d’opérations. Les lenteurs de la mise en place du système s’expliquent par des réticences, bien que « le Parti enseigne de se libérer hardiment de la prison de l’inertie et des intérêts de chapelle »76, mais aussi par les difficultés rencontrées pour doter les états-majors de théâtres d’opérations des moyens nécessaires en personnels qualifiés et en matériel informatisé. De son côté, la Stavka devait également s’équiper en concordance avec le nouveau système.
59A compter du milieu des années quatre-vingt, les souhaits des réformateurs de la décennie soixante furent exaucés au delà de la création des hauts commandement de théâtres d’opérations. Prenant en considération la complexité croissante et, encore plus, prévisible de la direction des opérations ainsi que la profondeur accrue des zones opérationnelles englobant les arrières stratégiques, les réformateurs se sont penchés sur la perspective d’ensembles plus vastes que les théâtres d’opérations. C’est ainsi qu’ils reprirent la possibilité de théâtres occidental, proche-oriental et extrême-oriental déjà évoquée au début des années soixante-dix77. La perspective débouchait, à nouveau, sur un élargissement du concept de théâtres d’opérations. La solution proposée fut de coiffer les théâtres d’opérations, délimités en fonction d’une grande mission stratégique, par un haut commandement selon les trois théâtres de guerre aéroterrestres principaux que déterminait l’hypothèse de menace majeure.
60C’est ainsi qu’en octobre 1984, le maréchal Ogarkov quitta son poste de chef de l’Etat-major général et, quelques temps après, prit le commandement du théâtre de guerre « Ouest » nouvellement créé à la suite de ses patientes et tenaces propositions, commandement qu’il céda au général d’armée Postnikov en 198878. Certains analystes occidentaux prirent ce changement de fonction pour un limogeage ! Or, le maréchal Ogarkov prenait un commandement opérationnel dont l’importance et l’étendue sont sans commune mesure avec tous ceux qui avaient pu exister ! Aux yeux de la direction soviétique, le maréchal Ogarkov n’avait certes pas démérité ! Parallèlement, dans les mêmes conditions, il fut procédé à l’établissement des théâtres de guerre « Extrême-Orient » et « Sud ». La totalité de la menace aéroterrestre était couverte par ces théâtres, actifs dès le temps de paix.
61Le concept de théâtre de guerre est simple dans son principe, mais son application pratique est très peu connue, car les données disponibles à ce sujet sont rares. La réflexion stratégique soviétique a d’ailleurs employé souvent comme synonyme du terme de « théâtre de guerre »79 celui de « théâtre d’opérations principal »80, en sous-entendant ainsi l’élargissement du TVD. Avant la mise en œuvre du système, « le concept de théâtre de guerre était parfois utilisé pour signifier un théâtre d’opérations (TVD), par exemple le théâtre de guerre de l’Atlantique »81. Cependant, l’idée d’un vaste ensemble divisible en théâtres d’opérations était admise par référence à la perception que les Soviétiques se faisaient du système de commandement de l’OTAN en Europe. Par ailleurs, il est certain que le cas de l’Atlantique a fait aboutir la réflexion soviétique, car il était patent de ne pouvoir laisser la responsabilité d’y mener des opérations qu’au seul commandement de la marine. Or, le théâtre atlantique se divisait en une série de théâtres d’opérations navales – ne serait-ce qu’en ce qui concerne les débouchés de Mourmansk – dont il fallait assurer la concordance par un système de commandement coiffant l’ensemble. Dans la deuxième moitié des années quatre-vingt, les Soviétiques donnent du théâtre de guerre une définition beaucoup plus précisé. Il s agit d « un concept, employé dans une série de pays, sous-entendant un territoire de terre ferme, l’étendue d’un océan et l’espace aérien et cosmique les surmontant, dans les limites desquelles les forces armées des Etats (des coalitions d’Etats) peuvent mener la guerre ou des opérations d’échelle stratégique. Il n’a pas de frontières rigoureusement déterminées ; habituellement, le théâtre de guerre comprend un continent avec les espaces maritimes le bordant ou un océan avec la zone côtière, les archipels et les îles ; le théâtre de guerre peut inclure plusieurs théâtres d’opérations »82. Les Soviétiques étaient arrivés à cette même définition au début des années quatre-vingt, mais sans référence à l’espace cosmique83.
62Il y avait eu, en définitive, création d’un deuxième système de hauts commandements intermédiaires sous la forme de théâtres de guerre, continentaux et maritimes, coiffant les théâtres d’opérations aéroterrestres et aéronavals. Les trois théâtres de guerre continentaux, immédiatement opérationnels étaient placés sous l’égide de l’armée de terre. La direction centralisée de la conduite de la guerre a été renforcée par la création de ces théâtres de guerre. En effet, chaque théâtre d’opérations, en restant sous la seule autorité de la Stavka, aurait bénéficié d’une latitude plus forte, faute pour la Stavka de pouvoir maîtriser dans ses détails une situation planétaire mouvante. Par contre, la Stavka peut logiquement parvenir à diriger les théâtres de guerre. Le souci qui l’a emporté, sur toute autre considération, dans la constitution du système, est celui de son maintien en état de disponibilité opérationnelle immédiate et permanente.
63La structure opérationnelle du commandement, ainsi définie, est indépendante de la nature offensive ou défensive du concept général stratégique. Elle s’applique avec la même efficacité dans tous les cas de figure. Et, en 1987, les Soviétiques pouvaient modifier leur concept stratégique, sans mettre en cause la nouvelle structure opérationnelle des forces mise au point tout au long de la décennie quatre-vingt.
64Le résultat conduit à enserrer les forces alliées du Pacte dans un très étroit maillage de subordination aux diverses instances du commandement soviétique, aussi bien militaires que politico-militaires, au point que ces forces échappent totalement à leurs gouvernements respectifs. La véritable intégration des forces du pacte de Varsovie atteint sa plénitude à l’extrême veille de l’effondrement du Pacte !
65L’organisation du haut commandement des théâtres de guerre et des théâtres d’opérations fixe le cadre opérationnel dans lequel s’incorporent les troupes mises à sa disposition. Il s’agit impérativement en premier lieu d’avoir des forces dans le même état de disponibilité opérationnelle que le système de commandement, c’est-à-dire donc dans un état de disponibilité immédiate afin de faire face à toute surprise. En second lieu, le commandement doit pouvoir conduire la guerre jusqu’à sa fin victorieuse, ce qui peut dépasser en durée une phase initiale de quelques jours ou de quelques semaines.
SYSTÈME DE COMMANDEMENT OPÉRATIONNEL DES FORCES SOVIÉTIQUES ET ALLIÉES DU PACTE DE VARSOVIE

66Dans ce but, les troupes des fusées stratégiques, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins à la mer et l’aviation de bombardement nucléaire sont en alerte permanente, prêts notamment à intervenir sur le théâtre d’opérations nord-américain en assenant les frappes nucléaires planifiées. Il en est de même pour les troupes de la PVO nationale.
67Les trois théâtres de guerre continentaux actifs, et notamment le théâtre de guerre « Ouest », disposent de troupes de catégorie A, prêtes à se déployer dans leur dispositif de combat. C’est le cas des forces soviétiques implantées en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie, en Pologne et en Hongrie. Ces forces sont alimentées en effectifs par la conscription à raison de deux relèves par an organisées par les régions militaires d’URSS. Compte tenu de la durée du service dans l’armée de terre, cela conduit à un renouvellement d’un quart des effectifs tous les six mois. Les meilleurs matériels, les plus modernes, sont affectés aux unités de catégorie A et en priorité à celles implantées dans les pays alliés du pacte de Varsovie, unités qui sont réparties en quatre groupements, ceux du Nord, du Centre, d’Allemagne et du Sud84. Le groupement le plus puissant est celui de RDA et lui est subordonnée la 16e armée aérienne85. Cette structure est le pendant exact de celle des troupes implantées dans les régions militaires soviétiques. Le passage de la structure administrative à la structure opérationnelle est instantané par regroupement des Grandes Unités en fronts avec adjonction des forces de catégorie A des alliés du Pacte. Le stationnement des troupes est, par ailleurs, réalisé dans les limites du théâtre d’opérations, ce qui conditionne la possibilité d’un déploiement opérationnel immédiat. Avec des forces soviétiques de même catégorie implantées dans les régions militaires baltes et de Léningrad, l’ensemble de ces Grandes Unités constitue le premier échelon stratégique du théâtre de guerre « Ouest ». Ce premier échelon est apte à fournir sa pleine puissance en 48 heures, 4 jours tout au plus, et est donc à même de riposter instantanément à toute attaque par surprise comme de prononcer une attaque par surprise.
68Un deuxième échelon est formé par des unités de catégorie A et B implantées dans les régions militaires frontières de l’URSS et dans celles des alliés du Pacte.
69Les unités de catégorie C fournissent la relève des unités qui seraient exsangues à la suite des combats. Ainsi est pris en compte d’une part l’allongement de la durée de la guerre, d’autre part « la possibilité de grandes pertes et, en relation, la nécessité de rétablir rapidement la capacité de combat des troupes »86.
70Dans les régions militaires centrales, non frontières de l’URSS, des unités de catégorie A, B et C forment les Réserves générales du Haut commandement suprême, à la disposition donc de la Stavka87.
71Le front a tendance à devenir une formation dont le volume devient invariable. En effet, la région militaire doit se soumettre à une planification rigoureuse. Ses limites territoriales ont été définies afin de pouvoir soutenir un front aussi bien au plan des matériels que des effectifs. Or, la planification a été conçue en fonction d’un front d’un volume donné et d’une composition donnée, non à la demande. Il s’en déduit que la planification ne peut faire face à une modification brutale de cette composition. Le Haut commandement suprême a bien pris en compte cette rigidité inhérente au système et c’est afin d’y répondre qu’existent les Réserves générales. Par ce moyen, la Stavka peut renforcer un théâtre d’opérations dans le but de marquer un effort. Il n’en demeure pas moins un manque de souplesse, car le commandant du théâtre de guerre doit s’adresser à la Stavka pour obtenir un renforcement et celle-ci a une forte propension à n’user des réserves qu’en dernière extrémité. Par ailleurs, comme elle contrôle l’ensemble des théâtres de guerre, elle établit des ordres de priorité.
72Comme la même organisation en catégories A, B et C se retrouve au niveau des alliés du Pacte, le système général est ainsi unifié, étroitement normalisé. Les différents ministères nationaux de la Défense ont pour mission de mettre sur pied des forces en fonction du modèle soviétique, sous la supervision et le contrôle du commandement du pacte de Varsovie. C’est là le rôle du commandement militaire du Pacte et non de réaliser une quelconque structure opérationnelle qui est aux mains des forces soviétiques. Ainsi, les gouvernements alliés, et plus particulièrement leurs ministères de la Défense, remplissent à l’égard de leurs propres forces nationales la même fonction que le ministère de la Défense soviétique à l’égard de ses forces, en l’occurrence donc une fonction administrative et gestionnaire, sous le contrôle du Commandant en chef des forces du pacte de Varsovie.
73A cette identité des systèmes, il y a cependant une exception notoire : les alliés ne disposent pas de composante nucléaire stratégique, de Troupes de fusées stratégiques, ce qui accroît encore leur subordination au système soviétique. La complète intégration des défenses antiaériennes et antimissiles sous commandement soviétique concourt à cette même subordination.
74L’intérêt du Pacte réside pour les Soviétiques dans ce système de contrôle, au plan militaire, et dans le système politique que représente le Comité politique consultatif.
75Le commandement opérationnel des forces du Pacte est ainsi assumé entièrement par les Soviétiques jusqu’à un très bas niveau par intégration des forces alliées dans les différents théâtres d’opérations que couronne le théâtre de guerre « Ouest » lui-même dirigé par l’Etat-major général soviétique, la Stavka et le Conseil de défense soviétique.
76Et ce qui est vrai de la composante aéroterrestre l’est aussi de la composante aéromaritime. Les forces navales alliées sont intégrées dans les théâtres d’opérations maritimes conçus par les Soviétiques et placés sous leur commandement. Par ce biais, elles relèvent au plan opérationnel également de la Stavka et du Conseil de défense soviétique. Il en découle, en définitive, que les alliés du Pacte, au plan militaire, n’ont aucune autonomie.
77C’est la très claire conscience de cette absence radicale d’autonomie frappant les forces alliées au sein du Pacte qui a guidé les gouvernements des républiques anciennement soviétiques dans leur refus d’accepter la structure unifiant leurs armées nationales, ainsi que le proposait le gouvernement russe, notamment lors de la conférence de Minsk, le 14 février 1992. En effet, B. Eltsine flanqué du maréchal Chapochnikov, le commandant en chef des armées de la CEI envisageait un décalque des structures du pacte de Varsovie appliqué à ces armées nationales qu’avaient décidé de lever les gouvernements, après avoir repoussé le premier projet d’une armée unique communautaire. Le refus de ces gouvernements était dicté par l’expérience, sachant que la structure proposée par les Russes revenait à placer l’ensemble des forces sous leur égide. Et si, finalement, un commandement unifié des forces stratégiques a été accepté, c’est uniquement au niveau nucléaire, parce que les Etats, sur le territoire desquels étaient implantés les sites nucléaires, percevaient bien qu’ils étaient totalement dénués de moyens de commandement aptes à coiffer les forces nucléaires. Il n’en demeure pas moins que ces Etats entendent bien ne pas laisser la Russie seule maîtresse du potentiel nucléaire de l’ex-URSS en exerçant un droit de veto sur l’emploi des forces en question. Mais alors se pose, derechef, le problème de la structure qu’il convient d’adopter : le réalisme oblige, alors, de reconnaître que la Russie est la seule héritière de l’Union soviétique tant en ce qui concerne le siège au Conseil de sécurité de l’ONU que le potentiel nucléaire. Il ne s’agit pas seulement de disposer des moyens de lancement et de la munition, faut-il encore avoir les systèmes de commandement et de planification du tir. Ceux-ci étaient aux mains du Conseil de défense soviétique et ont été dévolus à son successeur, le Conseil de défense russe. Il reste aux républiques nucléaires à se doter de tels systèmes.
78Au bilan, l’analyse du système du commandement opérationnel des Forces armées soviétiques et alliées, au titre du pacte de Varsovie, permet donc de mettre en lumière une structure distincte coiffée par le Conseil de défense. Cette structure comprend différentes composantes stratégiques : des composantes offensives et défensives axées sur le domaine nucléaire, ainsi que des composantes aéroterrestres et aéromaritimes axées sur la conduite d’une guerre conventionnelle et nucléaire menée par les commandements des théâtres de guerre et d’opérations à dominante terrestre ou maritime.
79La structure opérationnelle est donc profondément distincte de la structure administrative et gestionnaire du ministère de la Défense, tout en prenant directement sous sa coupe deux départements identifiés au sein du ministère de la Défense : les Troupes de fusées stratégiques et la PVO nationale qui représentent, pour une large part, les composantes stratégiques offensives et défensives.
80L’armée de l’air bénéficie d’une organisation propre au sein du ministère de la Défense, mais pas au niveau de la structure opérationnelle. Elle entre, en effet, en combinaison avec les forces terrestres et les forces navales dans les théâtres d’opérations.
81C’est dans cette optique d’ensemble qu’il convient d’apprécier l’application de la stratégie militaire de l’Union soviétique et du pacte de Varsovie. Au préalable, cependant, il y aurait lieu de procéder à une rapide évaluation du niveau opérationnel des forces.
L’évaluation du niveau opérationnel des forces
82La détermination du niveau opérationnel des forces soviétiques et des alliés du pacte de Varsovie a fait l’objet d’un litige constant parmi les analystes occidentaux. Le débat n’est pas totalement objectif, car il est obscurci par deux sortes de prises de position. En premier lieu, essentiellement sous influence américaine, il y a épisodiquement une tendance à exagérer la puissance militaire soviétique, ou tout du moins à la présenter sous l’aspect le plus redoutable qui soit. Le but est de démontrer qu’il s’agit d’équilibrer cette puissance et donc d’obtenir du Congrès des Etats-Unis les crédits nécessaires à un budget de la Défense conséquent. Le cas a été particulièrement net lors des discussions mettant en ligne, dans la première moitié des années quatre-vingt, l’administration Reagan et les parlementaires de la Commission de défense du Congrès. Comme le Congrès possède ses propres bureaux d’analyse, le débat a tourné rapidement à la querelle d’experts. En second lieu, durant la même époque, le problème a été compliqué par la perspective des négociations sur le désarmement et la réduction des forces. Alors, aussi bien du côté du pacte de Varsovie que de celui de l’OTAN, sans oublier les Chinois, il y a tendance à minimiser le niveau des forces amies et à augmenter celles de l’adversaire.
83Les Américains ont eu également besoin de prouver que quel que soit le niveau quantitatif de leurs forces en Europe, notamment lorsqu’ils le diminuaient, ils étaient toujours capables d’acheminer, à partir des Etats-Unis, les renforts nécessaires dans des délais compatibles avec la montée en puissance militaire de l’Est. De là, ont découlé des analyses contradictoires communiquées par les Américains sur les capacités de montée en puissance des forces de l’URSS comme du pacte de Varsovie. Le but poursuivi était toujours de justifier la nécessité d’un commandement américain à la tête de l’OTAN, quel que soit le niveau des contingents américains présents sur le sol européen.
84L’erreur est de se baser sur les données uniquement quantitatives fournies par la publication de référence de l’institut international d’études stratégiques, quel que soit le caractère indiscutablement sérieux des analyses et du recueil des informations. En effet, il est impossible de prendre en compte des explications résumées complétant trop succinctement les données quantitatives, sans y ajouter l’organisation de la structure opérationnelle des forces du pacte de Varsovie. C’est ainsi que les Soviétiques eux-mêmes, lors de la réunion du Comité consultatif politique du pacte de Varsovie, tenue à Berlin, en 1987, ont reconnu qu’il y avait asymétrie dans le rapport des forces et se sont exprimés publiquement à ce sujet. Entre autres, les Soviétiques ont établi un tableau comparatif des différentes données quantitatives concernant le nombre de divisions prêtes au combat, selon leur critère en disponibilité opérationnelle de catégorie A ou 1. Les données comparées sont issues de trois sources : soviétique, américaine du secrétariat à la Défense des Etats-Unis et celle de l’institut international d’études stratégiques. D’après leur propre source, les Soviétiques créditent l’organisation du traité de Varsovie de 68 divisions prêtes au combat et l’OTAN de 84 divisions. Le rapport des forces, qui se déduit implicitement, mérite d’être fortement nuancé, car si les forces du pacte de Varsovie sont bâties uniformément sur un modèle unique, le modèle soviétique, il n’en est pas de même des forces de l’OTAN. En effet, ces dernières comprennent des divisions appartenant à tous les pays de l’OTAN, y compris donc des divisions grecques et portugaises, qui n’offrent pas toutes la même puissance qu’une division américaine, loin s’en faut, et qui, de plus, ne sont pas toutes présentes en Centre-Europe. Pour finir, ces forces que les Soviétiques qualifient de « prêtes au combat » sont certainement dans un état de disponibilité opérationnelle qui ne répond pas aux critères retenus par les Soviétiques pour leur catégorie A. Les Occidentaux, d’ailleurs, estiment qu’ils auront toujours un préavis de plusieurs heures, voire de quelques jours, en cas d’attaque de l’Est, parce qu’ils pourront déceler les préparatifs de l’attaque. En revanche, comme le concept soviétique privilégie l’hypothèse d’un engagement par surprise, sans préavis, le niveau d’aptitude de leurs forces a été mis en cohérence avec leur concept.
85Les 68 divisions de l’Organisation du traité de Varsovie concernent le 1er échelon du théâtre de guerre « Ouest » composé des forces soviétiques implantées en Europe de l’Est et dans les régions militaires baltes et de Léningrad ainsi que des forces de catégorie A des alliés du Pacte. Cet ensemble est en état de disponibilité opérationnelle immédiate et est, objectivement, parfaitement apte à prononcer ou à subir une attaque par surprise. Le constat de l’aptitude à une telle manœuvre ne préjuge en rien d’une volonté d’agression. Par contre, il y a concordance avec la stratégie soviétique prônant la valeur primordiale de la phase initiale d’une guerre et la nécessité de l’offensive pour remporter la victoire.
86Il est également nécessaire de ne pas oublier que la capacité des Soviétiques à mobiliser rapidement leurs forces a été attestée lors de l’attaque allemande du 22 juin 1941. Surpris par cette attaque, dans les pires conditions donc, en proclamant le 23 juin 1941 la mobilisation des réservistes nés de 1905 à 1918, en une semaine, les Soviétiques sont parvenus à rappeler 5,3 millions d’hommes pour compléter les effectifs de 96 Grandes Unités et les rendre ainsi aptes au combat88.
87En prenant, par ailleurs, au pied de la lettre, les données quantitatives de l’institut international d’études stratégiques de Londres, il est nécessaire de remarquer que les délais de mise en œuvre opérationnelle des unités sont des moyennes, axées toutes sur un acheminement en Centre-Europe et les délais de cet acheminement sont compris dans le décompte. Or, les trois théâtres de guerre continentaux ont des forces propres qui leur sont affectées et qui ne sont pas interchangeables dans le concept soviétique. Le deuxième échelon stratégique du théâtre « Ouest » est composé de divisions soviétiques de catégorie A et B implantées dans les régions militaires occidentales de l’URSS ainsi que des forces nationales de la même catégorie des alliés du Pacte. Ce deuxième échelon en distance moyenne devrait être à quatre ou cinq cents kilomètres en arrière du 1er échelon et, en délai d’intervention, cela correspond à environ une semaine, après l’engagement du 1er échelon. Le premier échelon des forces est à pied d’œuvre et les stationnements correspondent aux places dans le dispositif opérationnel. Une autre partie, le deuxième échelon, devrait faire un mouvement important, mais parfaitement compatible avec les délais d’une mise en place inférieure à une semaine. La norme retenue par les Soviétiques pour une progression dans les conditions d’un déploiement opérationnel sans combat est, en effet, au moins d’une distance franchie de 100 kilomètres par jour, tout en étant en but à des attaques par missiles et avions.
88Ce serait, surtout, une profonde erreur de penser que la stratégie soviétique prévoit d’attendre que l’ensemble des forces ait atteint sa pleine puissance pour engager les opérations, en prenant pour hypothèse la décision de la direction politique et militaire du pacte de Varsovie de se lancer dans une agression. Quelles que soient les conditions de l’ouverture des hostilités, l’organisation du commandement et des forces soviétiques est conçue de manière à ce que l’action puisse être lancée à la demande, instantanément. La montée en puissance des forces est prévue pour se réaliser graduellement, en des temps aussi réduits que possible qu’autorisent les transports, les communications et le passage du pays à l’état de guerre totale, mais ceci intéresse le 2e échelon.
89C’est pour cette raison que les Soviétiques ont fini par adopter une structure de direction et de commandement qui est opérationnelle dès le temps de paix et qui se superpose à la structure administrative. En temps de guerre, les deux structures se complètent d’autant plus facilement qu’elles coexistent dès le temps de paix.
90Ce genre de controverse, en tout état de cause, n’a plus d’autre intérêt qu’historique après l’effondrement du pacte de Varsovie et de l’URSS, si ce n’est que les Russes conservent le modèle. En leur temps, les Soviétiques se sont interrogés sur les raisons de telles discussions parmi les Occidentaux, discussions qui ont totalement disparu dans les premières années de la décennie quatre-vingt-dix, avec la désagrégation politique de l’Union soviétique et la disparition de la menace militaire qu’elle présentait. Elle incite, cependant, à tenir compte de la relativité des données quantitatives en matière de forces militaires. A près de deux siècles de distance, les évaluations quantitatives de la Grande Armée ayant engagé l’offensive, lors de la campagne de Russie, en 1812, oscillent encore entre 500 000 et 1 million d’hommes !
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91Au sein du système militaire soviétique, comme dans celui du pacte de Varsovie, les seuls liens organiques institutionnels, qui existent entre les deux structures de commandement administrative et opérationnelle, se trouvent au niveau de l’Etat-major général. Il est le seul organisme qui soit commun à ces deux structures, mais les départements qui relèvent de la structure opérationnelle sont distincts de ceux de la structure administrative. La coordination est donc faite par le seul chef de l’Etat-major général, ce qui lui donne un rôle prééminent et souligne l’importance de l’Etat-major général.
92L’Etat-major général n’est cependant qu’un organisme technique, sans pouvoir de décision. Les autres liens sont d’ordre personnel, en ce sens que le ministre de la Défense, qui a autorité sur l’Etat-major général, est aussi membre titulaire ou suppléant du Bureau politique du CC du PCUS et donc membre du Conseil de défense. Il y a autorité commune aux deux structures lorsque le Président du Présidium du Soviet suprême, ou le Président de l’URSS, chef nominal de l’Etat soviétique, et le Secrétaire général du CC du Parti et Président du Conseil de Défense ne font qu’un. Ce fut le cas, notamment pour Brejnev et Gorbatchev. Un problème institutionnel, un conflit de compétence ne peut donc se poser. En effet, la réalité du pouvoir est aux mains du Parti et la fonction de Secrétaire général du Parti l’emporte sur toute autre considération. Le seul conflit de compétence qui puisse se produire est au sein du Parti et donc, au niveau des armées, au sein du Conseil de défense, voire de la Stavka dont le président est le même que celui du Conseil de défense. Par construction spécifique, inhérente au système soviétique dans son ensemble, la décision suprême n’appartient qu’au Conseil de défense. La structure opérationnelle joue un rôle dirigeant, comme le Parti.
93Le système soviétique est parachevé par celui des alliés du pacte de Varsovie construit exactement sur le même modèle. C’est ainsi qu’existent en Pologne un équivalent du Conseil de défense soviétique, le Comité de défense du pays et un état-major général89 remplissant des fonctions identiques à celles remplies par les mêmes organismes en URSS. Et il en est de même dans les autres pays du Pacte. Mais ces structures politico-militaires se sont révélées sans aucune efficacité, parce que, de fait, subordonnées au Comité politique consultatif du pacte de Varsovie, en vertu de la prééminence du parti soviétique.
94Les armées du pacte de Varsovie sont intégrées, mais l’intégration n’est pas réalisée par la structure du Pacte, mais par celle du Haut commandement du théâtre de guerre « Ouest ». Les Grandes Unités aéroterrestres des alliés se retrouvent avec les formations soviétiques coiffées par le commandement d’un front qui est soviétique et intégrées dans un théâtre d’opérations dont le commandement est également soviétique. Des officiers d’état-major assurent les liaisons, mais sans avoir voix d’autorité. Au niveau du Haut commandement du théâtre de guerre, le même modèle est encore reproduit. Et comme le théâtre de guerre dépend étroitement de la Stavka, les troupes alliées, de fait, échappent à leurs autorités nationales politiques et militaires.
95La concertation n’est structurellement possible qu’au niveau du Comité politique consultatif du pacte de Varsovie.
96En dehors de la volonté politique et de la structure opérationnelle dans laquelle sont placées les forces alliées, leur intégration est dictée par l’absence d’organisation, de moyens de commandement et d’états-majors capables d’organiser la logistique des forces en campagne. Cette absence intervient à partir du niveau du front et au delà. Les Grandes Unités sont donc dans l’incapacité d’avoir une action coordonnée efficace en dehors du système opérationnel soviétique.
97Il en est de même pour les marines nationales dont aucune opération d’une quelconque envergure ne peut être conçue en dehors des commandements des flottes soviétiques de la Baltique et de la mer Noire.
98Le théâtre de guerre « Ouest », englobant trois théâtres d’opérations aéroterrestres axés sur l’espace occidental européen et les deux théâtres d’opérations maritimes que constituent la Baltique et la mer Noire avec leurs détroits, assure l’intégration de l’ensemble des forces du Pacte sous le même commandement opérationnel. La structure du Pacte proprement dite, comme celle du ministère de la Défense soviétique, fournit, donc, un système administratif et de contrôle.
99Fait prédominant, qui découle directement de la disparition du pacte de Varsovie, toute structure opérationnelle du commandement suprême n’existe plus, au début de la décennie quatre-vingt-dix, qu’au niveau de la Communauté des Etats indépendants et même, avec sa déliquescence, qu’au niveau de la Russie. Or, une structure opérationnelle de commandement exige des moyens importants pour être effective, tels que des systèmes sophistiqués de transmission et de planification. Toute improvisation en ce domaine est impossible pour mener des opérations d’une quelconque envergure.
100En conséquence, les anciens alliés de l’URSS au sein du Pacte, comme les nouveaux Etats indépendants qui entraient dans la composition de l’Union soviétique, sont radicalement incapables de faire face à une menace militaire majeure. Ils possèdent bien des troupes, mais avec une ossature de commandement qui les réduit à un rôle mineur, en aucun cas apte à conduire des opérations coordonnées. En Europe, seule la Russie, par héritage de l’Union soviétique, a de telles capacités avec les Etats occidentaux. Une telle situation de déséquilibre militaire est la source potentielle de tous les désordres et certainement pas de la paix.
101Le regroupement, au sein d’une force stratégique de prévention, des Troupes de fusées stratégiques et de la composante antimissile et anticosmique de la PVO nationale ne change en rien les capacités de l’ensemble. Les anciens alliés, par définition, ne sont pas nucléaire ! Quant aux républiques anciennement soviétiques et nucléaires, telles l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan, elles ont bien des systèmes nucléaires installés sur leur territoire, mais sans pouvoir les mettre en œuvre, puisqu’elles ne possèdent aucune structure de commandement apte à les coiffer. Ceci n’est pas vrai des systèmes nucléaires tactiques qui équipent les unités à l’instar d’une super-artillerie et qui échappent donc à une direction centralisée. Il est clair que tous les incidents sont possibles, aussi bien à ce dernier niveau qu’en ce qui concerne les évasions de matières fissiles à partir de systèmes stratégiques non contrôlés.
102En définitive, à l’est de l’Oder-Neisse se crée ainsi un vide militaire où ne surnage, au plan opérationnel, que l’ossature des forces qu’avaient conçues l’URSS et qui, désormais, passent à la Russie.
103Quant au pacte de Varsovie, il s’effondre au moment où l’ensemble de ses structures atteignent leur plus haut degré d’adaptation. Toutes choses étant égales, le système militaire du bloc de l’Est n’est pas loin de la perfection lors de la chute du Pacte ! Il se vérifie donc bien que l’effondrement du Pacte n’est pas dû à des raisons militaires structurelles.
104Il n’a jamais manqué à Rome de légions ! Rome disparaît faute de volonté et de capacités politiques !
105La disparition du Parti affecte certes l’armée russe, mais ses structures opérationnelles comme celles administratives restent intactes. L’Etat russe étant déliquescent, l’armée reste la seule institution organisée.
Notes de bas de page
1 Cf. l’Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1976. T. 2, p. 508.
2 Dictionnaire militaire encyclopédique. Moscou, 1986. p. 684.
3 Maksimov. Les bases de la législation militaire soviétique : manuel. Moscou, 1978. p. 50 et p. 51.
4 Article 121, paragraphe 14 de la Constitution de 1977.
5 In Pravda du 3 décembre 1988.
6 Article 113, paragraphe 3 de la Constitution de 1977 amendée en 1988.
7 Discours à Berlin, le 6 octobre 1979, à l’occasion du 30e anniversaire de la DDR. L.I. Brejnev. Par la voie de Lénine. Moscou, 1981. T. 8, p. 145.
8 Article 6 de la Constitution de 1977 amendée en 1988.
9 Cf. le Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 99 et 100.
10 Cf. Pravda du 1er avril 1966.
11 Cf. le Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 36.
12 Ibidem, p. 807.
13 Ibidem, p. 202.
14 Article 120 de la Constitution de 1977 amendée en 1988.
15 Article 121, paragraphe 5 de la Constitution de 1977 amendée en 1988.
16 Ibidem, paragraphe 2.
17 Agence Tass, 1er juin 1987.
18 In Les nouvelles de Moscou du 7 juin 1987.
19 Sokolovsky. Stratégie militaire. Paris, 1984. p. 463.
20 « Revojěnsovět ».
21 Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 684.
22 Cf. Chapochnikov. Sur la Vistule. Moscou, 1924. Le cerveau de l’armée. Moscou, 1929. Souvenirs. Travaux scientifico-militaires. Moscou, 1974.
Cf. Frounzé. Œuvres complètes. Moscou, 1929. Œuvres choisies. Moscou, 1957 et 1977.
Cf. Thoukhatchevsky. Œuvres choisies. Moscou, 1964.
23 Cf. Grey. Mon père, le général Dénikine. Paris, 1985.
Cf. Wrangel. Mémoires. Paris, 1930.
24 Cf. l’Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1979, T. 7, p. 410.
25 Cf. Gretchko. Les forces armées de l’Etat soviétique. Moscou, 1975. Chapitre I.
26 Korotkov. Histoire de la pensée militaire soviétique. Moscou, 1980, p. 265.
27 Ibidem, p. 267.
28 En russe « Gosudarstvennyj Komitět Oborony », ou selon son sigle GKO.
29 Le PCUS et les Forces armées de l’Union soviétique. Moscou, 1981. p. 299.
30 Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1976. T. 2, p. 622.
31 Cf. le Dictionnaire encyclopédique. Moscou, 1953, 1954, 1955. T. 1, T. 2 et T. 3.
Cf. le Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986.
32 « Stavka Glavnogo Komandovanija ».
33 « Stavka Verkhovnogo Glavnokomandujušego ».
34 Cf. le Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 703.
35 Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1980. T. 8, p. 342.
36 Résolution du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et du Comité central du parti communiste du 23 juin 1941 sur le Grand Quartier Général du Haut Commandement des Forces armées de l’URSS. In Le PCUS et les Forces armées de l’Union soviétique. Moscou, 1981. p. 294.
37 Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1979. T. 7. p. 511.
38 Cf. la Résolution du Comité d’Etat de Défense du 10 juillet 1941. In Le PCUS et les Forces armées de l’Union soviétique. Moscou, 1981. p. 303.
39 Résolution du Présidium du Soviet Suprême de l’URSS, du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et du Comité central du parti communiste du 8 août 1941 sur le commandement suprême. In Le PCUS et les Forces armées de l’Union soviétique. Moscou, 1981. p. 308.
40 Sokolovsky. Stratégie militaire. Paris, 1984. p. 480.
41 Ogarkov. L’histoire enseigne la vigilance. Moscou, 1985. p. 47.
42 Cf. le Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 194.
43 Truman. Mémoires – Années d’épreuves et d’espérance. L’affaire de Corée. 1950- 1952. Paris, 1956. p. 157.
44 Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1976. T. 2, p. 512.
Dictionnaire encyclopédique militaire, Moscou, 1986. p. 186.
45 Cf. Garejev, Frounzé, théoricien militaire. Moscou, 1985.
46 Sokolovsky. Stratégie militaire. Paris, 1984. p. 513.
47 Ibidem, p. 482.
48 Dictionnaire militaire encyclopédique. Moscou, 1986. p. 798.
49 Sokolovsky. Stratégie militaire. Paris, 1984. p. 482.
50 Ibidem, p. 483.
51 In Pravda du 13 novembre 1974. Koulikov, Le cerveau de l’armée.
52 Gretchko. Les forces armées de l’Etat soviétique. Moscou, 1975. p. 88.
53 Ibidem, p. 109.
54 In Kommunist du 2 juillet 1981.
55 In L’étoile rouge du 9 mai 1984.
56 Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 194.
57 Ogarkov. L’histoire enseigne la vigilance. Moscou, 1985. p. 47.
58 En russe « Opéracija ».
59 En russe « Těatr Vojennykh Děl », ou selon son sigle TVD.
60 Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 514 et 515.
61 Cf. l’Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1978. T. 6, p. 64.
62 Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 732.
63 Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1980. T. 8, p. 8.
64 Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 711.
65 En russe « Operacijonnoje napravlenijé ».
66 En russe « Opérativnojé ».
67 Sokolovsky. Stratégie militaire. Paris, 1984. p. 33.
68 Cf. l’Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1980. T. 8, p. 8.
Cf. le Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1984. p. 732.
69 Ibidem, 1986. p. 733.
70 Cf. Sokolovsky. Stratégie militaire. Paris, 1984. p. 445 à 458.
71 Ibidem, p. 381.
72 Lomov. Le progrès scientifique et technique et la révolution dans les affaires militaires. Moscou, 1973. Washington, USA. p. 138.
73 In L’étoile rouge du 9 mai 1984. Entretien avec le maréchal Ogarkov.
74 En russe, « Glavnoje Komandovanije » et selon son sigle GK.
75 Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1976. T. 2. p. 562.
76 Ogarkov. Toujours prêts à la défense de la patrie. Moscou, 1982. p. 35.
77 Cf. Sokolovsky. Stratégie militaire. Paris, 1984. p. 33.
78 Cf. la Revue internationale de défense. Edition en anglais. Décembre 1988. n° 12/1988 p. 156.
79 En russe, « Těatr Vojny », ou selon son sigle TV.
80 En russe, « Glavnyj Těatr Vojennykh Děl », ou selon son sigle GTVD.
81 Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1980. T. 8. p. 9.
82 Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1986. p. 733.
83 Cf. le Dictionnaire encyclopédique militaire. Moscou, 1984. p. 732.
84 Cf. Babakov. Les forces armées de l’URSS. Moscou, 1987. p. 88.
85 Cf. la Revue internationale de défense. Genève. n° 5/1987. p. 553 à 563.
86 Gretchko. Les Forces armées de l’Etat soviétique. Moscou, 1975. p. 353.
87 Cf. la Revue internationale de défense. Genève. N° 4/1986. p. 419 à 426.
88 Cf. l’ Encyclopédie militaire soviétique. Moscou, 1978. T. 5, p. 343.
89 In Kultura, revue mensuelle éditée en polonais en France. N° 4/475. Paris, 1987. La guerre contre la nation vue de l’intérieur. Entretien avec le colonel Richard Kuklinsky, passé en dissidence, p. 6, 7 et 8.
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