Postface
p. 303-311
Texte intégral
1 Mesdames, messieurs, je ne prétends pas conclure vos travaux, je vais simplement les terminer en portant un regard sur le syndicalisme, ou plutôt sur les syndicalismes et les défis qui leur sont lancés. Ce regard n’est ni celui d’un chercheur ni celui d’un spécialiste des relations industrielles. Simplement, ma fréquentation régulière des dirigeants syndicaux et de leurs congrès m’a montré toute l’importance – aujourd’hui encore – de la symbolique, d’une logique qui se nourrissent du passé.
2Je vous propose donc de rechercher en quoi les traits historiques que vous avez dégagés présentent une certaine permanence puis d’essayer de dégager, dans les tendances actuelles, ce qui bouleverse les pratiques du syndicalisme, pour terminer par quelques réflexions sur les mutations qui attendent les organisations syndicales.
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3En ce qui concerne la permanence des grands traits historiques, j’ai relevé dans vos travaux quatre points qui méritent attention : la place respective du droit et de la convention collective ; les deux formes de représentation des travailleurs – la représentation institutionnelle et la représentation par les adhérents ; l’étendue du syndicalisme à bases multiples, comme vous l’avez indiqué dans une étude fort intéressante, et enfin les relations entre le politique et le syndicalisme ou entre les partis et les syndicats.
4En ce qui concerne le rôle respectif du droit et de la convention collective, les logiques nationales continuent de jouer à plein mais sans doute la pondération s’est-elle modifiée. Travaillant avec les Trade Unions l’an dernier, je me suis aperçu qu’ils se plaignaient beaucoup des conséquences des dernières lois syndicales qui les ont privés de la participation à différentes instances où ils pouvaient faire connaître leurs points de vue et leurs propositions. C’est donc une question de pondération qui n’est sans doute pas liée simplement aux traditions nationales, et l’on oppose trop facilement la France, haut lieu de la centralisation, de l’État républicain et du droit d’un côté, et d’autres systèmes de relations industrielles, où la convention collective joue le rôle principal. Les pondérations se sont légèrement complexifiées. Je crois que l’un des points les plus intéressants s’est produit en Suède dans les années soixante-dix. En effet, le syndicalisme du parti social démocrate suédois avait pour slogan : après la démocratie politique, la démocratie sociale et après la démocratie sociale, la démocratie économique. Les suédois ont essayé leur méthode traditionnelle, bien éprouvée depuis avant même la guerre qui consiste, pour le syndicat ouvrier LO à lancer la balle, à ouvrir la campagne comme il avait initié chaque offensive concernant la démocratie politique puis la démocratie sociale, avec l’idée que, quelque temps après le parti social démocrate se réunirait et reprendrait à son compte les grands thèmes lancés par ce syndicalisme très représentatif qui rassemble 90 % des ouvriers. La même procédure a été mise en oeuvre pour l’aspiration à la démocratie économique qui ne concernerait pas simplement le contrôle du travail à la base, car les syndicats avaient déjà obtenu des droits dans ce domaine, mais qui devrait aboutir à une forme de cogestion du pouvoir économique des entreprises. Dans les autres cas, le syndicat suédois, relayé par le parti, gardait l’initiative et très souvent les progrès, les avancées étaient obtenus par une convention collective entre LO et l’organisation patronale suédoise ; mais quand il s’est agi de partager le pouvoir économique cette méthode n’a plus fonctionné, le patronat suédois s’est raidi et en 1976, pour la première fois, le parti social démocrate a perdu le pouvoir. Dans ces conditions, les Suédois ont fait comme font les Français, ils ont fait une loi, mais elle n’a jamais fonctionné. Cela montre comment, à partir d’un certain moment, les logiques nationales se heurtent elles aussi à une opposition toujours très radicale entre le pouvoir économique d’un côté et le pouvoir syndical de l’autre et comment le recours à la loi ou à la convention collective est affaire de circonstance, et pas seulement de tradition nationale.
5Deuxième trait historique, bien étudié dans vos rapports, la représentation institutionnelle et la représentation par les adhérents. Bien sûr, dans la période que vous avez étudiée, le problème se présentait différemment. Mais au-delà de cet aspect historique, tous les experts discutent des mérites respectifs de l’adhésion et de la représentativité. L’adhésion, me semble-t-il, demeure le facteur essentiel là où le syndicalisme est fondé sur le volontarisme, et la représentativité est maximisée là où le syndicalisme s’est vu reconnaître par les institutions, la loi ou le contrat des formes d’expression ou d’influence sur la vie de l’entreprise ou sur la vie économique en général.
6En réalité, les deux directions se complètent. Je vous ai dit, tout à l’heure, que les Trade Unions britanniques se plaignaient de ne plus avoir leur mot à dire dans des instances dont certaines ont été purement et simplement supprimées, je pense notamment à celle concernant la formation professionnelle ; pourtant, même s’ils ont perdu des effectifs, ils ont encore une masse d’adhérents qu’envient les syndicats français. Mais enfin, dans le monde européen que je connais, les syndicats éprouvent la nécessité d’avoir la double reconnaissance et donc la double représentativité : celle qui vient des salariés que l’on convaincrait de revenir ou de rester au syndicat et celle qui vient de l’État et du patronat qui verraient dans le syndicalisme un élément indispensable pour la régulation économique et pour la stabilité de la société. Bien sûr, tout ce que je viens de dire en second lieu concerne toutes les institutions où les travailleurs peuvent être informés, consultés, voire participer à la décision. L’exemple français est bien entendu le plus typique, puisqu’il y a une sur-représentativité institutionnelle, avec trois organisations représentatives dans l’entreprise, alors que le syndicalisme français, du point de vue des effectifs, est le plus faible d’Europe, même quand on quitte l’Europe des quinze et que l’on regarde les pays membres de l’OCDE.
7Troisième élément, qui est toujours dans le prolongement de l’histoire telle que vous l’étudiez, l’étendue du syndicalisme à base multiple. Je crois que cette question est fort intéressante, parce que le syndicalisme britannique et le syndicalisme allemand notamment avaient développé autour de l’action purement syndicale une multitude de services collectifs ou individuels. Or la question se pose aujourd’hui. Dans un ouvrage (The Future of the Trade Unions), Robert Taylor, qui n’est pas un chercheur mais un journaliste, pose la question. Ainsi le syndicalisme voulait offrir des vacances un peu moins coûteuses aux travailleurs ; aujourd’hui, il est concurrencé par de grandes entreprises privées qui offrent le même service, parfois au même prix. Ainsi les coopératives de consommation : il est évident qu’avec le développement de la grande distribution elles sont également en difficulté. Donc la question de savoir si l’on peut maintenir une appartenance au syndicat, attirer les travailleurs par ces bases multiples, par ces services, se pose encore aujourd’hui avec bien entendu, car je n’ai pris que des exemples partiels, l’importance que revêt toujours le service individuel rendu à un travailleur pour lui permettre de défendre personnellement ses droits dans l’entreprise ou dans la société, ce que, je le crois, les Trade Unions britanniques font encore beaucoup mieux que les autres.
8Enfin, quatrième trait historique – et vous voyez que je suis toujours dans une logique nationale, puisque jusqu’à présent je n’ai mentionné que des pays – les relations entre partis et syndicats. La distinction classique c’est d’un côté, pour ne prendre que ces exemples, la Grande-Bretagne et la Suède, de l’autre la France et, au milieu, la République fédérale d’Allemagne, la Belgique – encore que tout cela mériterait d’être nuancé – les Pays-Bas et le Danemark. C’est-à-dire, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, LO a été l’avant-garde du mouvement ouvrier et politique en Suède tandis qu’en Grande-Bretagne, les Trade Unions ont poussé à la création d’un parti et l’ont longtemps dominé. Aujourd’hui d’ailleurs, ils n’ont pas tous perdu la prétention de le dominer – ce qui explique parfois les difficultés des leaders respectifs du Labour. Mais actuellement, en Suède comme en Grande-Bretagne l’emprise du syndicalisme sur le parti tend à diminuer alors qu’en Belgique et en République fédérale d’Allemagne la situation est plus nuancée car comme vous le savez dans le DGB allemand, il y a presque un tiers des travailleurs qui votent pour la CDU. Et pour la France la situation est inchangée, elle est d’une complexité telle que je ne sais pas même si un colloque suffirait à l’analyser et à la décrire.
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9J’en viens maintenant à des tendances présentes qui affectent tous les syndicats et qui montrent malgré tout certaines ruptures avec la période historique que vous avez couverte. Je ne retiendrai, là aussi, que quatre éléments : le central, le sectoriel et le local ; les rapports de force sur le marché du travail ; les structures salariales et le mode de vie et le syndicalisme face à la Politique et non pas aux partis politiques.
10En ce qui concerne le central, le sectoriel et le local, il faut faire quelques distinctions au sein d’un mouvement global d’installation progressive de l’État providence durant les cent dernières années. En général, cette installation s’est faite aux dépens des formes purement syndicales d’assurance dont vous avez montré l’importance avec les caisses mutuelles notamment. Mais, au sein même de l’État providence il subsiste, dans certains pays, des formes de cogestion par les syndicats, de l’assurance chômage ou d’autres éléments. Je ne parle pas là de la participation des syndicats aux conseils d’administration de l’office du travail de Nuremberg, je parle d’éléments de cogestion plus directs et plus reliés à la base. La question qui se pose c’est devant la crise de l’État providence si les organisations syndicales ne vont pas devoir intervenir plus activement dans le cadre de la défense des intérêts moraux et matériels de tous les travailleurs.
11D’autre part, en ce qui concerne les structures syndicales, alors que dans l’époque que vous avez choisie, il me semble que l’évolution allait du local ou du métier (du syndicat de métier) vers le national, aujourd’hui on serait plutôt en présence d’une tendance contraire, avec un déplacement de la négociation la plus concrète, du central vers le décentralisé. La pente me paraît donc inverse et, bien entendu, elle est particulièrement nette dans les pays qui avaient l’habitude de négocier les salaires au niveau national et parfois au niveau interprofessionnel. Vous connaissez sans doute la qualité économétrique du modèle mis en place par les syndicats suédois pour négocier les salaires, la détérioration très lente du système à cause des glissements de salaire et l’offensive du patronat suédois pour ramener les négociations au niveau de l’entreprise. Mais c’est une tendance que l’on voit dans des systèmes plus complexes comme le système anglais ou le système français, que l’on voit moins dans le système allemand, où notamment le syndicat de la métallurgie, le DGB, maintient – me semble-t-il – la tradition d’un processus bien établi.
12En second lieu, les rapports de force sur le marché du travail. Là, je vais sombrer dans la banalité, en vous disant que le chômage massif qui atteint nos sociétés a bien entendu modifié le rapport de force entre le capital et le travail, entre les patronats et les syndicats et que ceci, bien entendu, met les syndicats dans une situation extrêmement difficile puisqu’ils sont en présence d’un marché du travail de plus en plus fragmenté avec une grande diversité de statuts de fait et de droit, et un monde différencié de salariés où les cols bleus ont perdu leur place centrale. Ils ont perdu leur place centrale du point de vue statistique, du point de vue sociologique, mais j’ai rencontré des syndicats où l’influence de la tradition historique du col bleu demeurait dominante à la fois dans les discours et dans la pratique – là aussi, il faudrait considérablement nuancer. Mais tous les syndicats ont eu affaire bien entendu aux révolutions qui ont eu lieu dans les pratiques de gestion des entreprises et du human resource managment et cela leur a posé à eux aussi un problème qu’ils n’ont pas encore résolu.
13Autre élément de cette évolution, c’est la question suivante qui est, elle aussi, banale. Les organisations syndicales sont vraiment capables ou même ont-elles envie de s’occuper du chômage, de la marginalité, de l’exclusion sociale ? La question leur est posée.
14Mais ils ont affaire à une modification profonde des structures salariales et des modes de vie ; c’est mon troisième point. J’ai déjà parlé de la distinction entre cols bleus et cols blancs, à propos précisément de l’exclusion sociale. Je suis frappé par le fait que, contrairement à la période historique que vous avez étudiée, les syndicats ont quasiment disparu des territoires urbains, notamment dans certains pays. Il subsiste certaines bourses du travail – et j’espère que ce n’est pas, comme dans certaines églises catholiques françaises, tout simplement une grand-messe. Mais le syndicat implanté territorialement, capable d’affronter les problèmes d’un micro-marché du travail et de lutter localement contre le chômage et l’exclusion, de rendre des services à ces jeunes exclus qui sont perdus et ne savent pas à qui s’adresser, cela a pratiquement disparu. Il y a là un manque, et en tout cas en France, qui est assez manifeste.
15Enfin, le syndicalisme face à la politique. Sur ce point, ma thèse est un peu hétérodoxe. Je pense, pour ma part, que les pouvoirs politiques et économiques actuels ignorent la contribution que pourrait apporter aujourd’hui encore le syndicalisme à la stabilité économique et sociale. On en reste trop souvent – là je parle en termes behavioristes et non pas en termes scientifiques – on en reste trop souvent à l’image d’un corporatisme jugé excessif et paralysant. Or l’excès en tout est un défaut ; le corporatisme en était un, mais l’individualisation totale des rapports économiques présente bien des dangers et beaucoup de syndicalistes s’alarment que l’on passe d’une économie de marché à une société de marché. Il est vrai que la courbe de Philips ne fonctionne plus et que l’on peut avoir à la fois un taux de chômage de 7 % et des surenchères salariales, dues à un manque de main d’œuvre qualifiée ; cela se produit, actuellement notamment, dans l’Italie du Nord. Mais enfin, le syndicalisme est confronté, compte tenu de ces difficultés actuelles, à la question redoutable de faire une synthèse entre les revendications parfois contradictoires exprimées par les salariés et le réalisme économique, la recherche d’un compromis plus favorable. Et c’est pourquoi, on peut se poser la question de savoir si, en dehors de l’économie de marché il n’y a pas encore place, comme ce fut le cas dans le modèle européen et comme c’est encore le cas dans certains pays, pour un double compromis entre l’État et le marché d’un côté, le patronat et les syndicats de l’autre – je ne parle pas ici en scientifique. Or, ce modèle européen, même s’il est lézardé, continue à dominer la scène européenne et il fait, d’ailleurs, l’originalité de notre situation, notamment par rapport à la situation américaine. En Europe, les organisations syndicales, que ce soit le DGB en Allemagne, les Trade Unions en pensant à une alternative politique, LO en Suède, les syndicats belges recherchent aujourd’hui un moyen de continuer à être des partenaires dans le processus de décision macro-économique et donc dans la définition des grands termes de la politique économique et sociale. Mais elles doivent faire face à des mutations qui ne tiennent pas simplement au chômage, à la nouvelle situation du marché du travail.
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16C’est par là que je voudrais terminer, en prenant quatre éléments : la mondialisation, le progrès technique, la place du travail dans la société et la signification très discutée de l’individualisme contemporain.
17La mondialisation, vous la connaissez, je n’ai même pas besoin de la définir ; je voulais simplement attirer votre attention sur deux points. Le syndicalisme international, les confédérations mondiales doivent se mobiliser dans le cadre qui était traditionnellement le leur, celui de l’organisation internationale du travail. Je regrette d’ailleurs la perte d’impact du syndicalisme par rapport à d’autres organisations, car c’est très redoutable à un moment où les problèmes se globalisent. Mais, les syndicats doivent aussi se mobiliser, comme ils tentent de le faire actuellement, dans la nouvelle organisation mondiale du commerce qui a pris la place du GATT. Car cette organisation mondiale du commerce doit définir les conditions d’une fair competition et donc les questions liées au dumping social ou au dumping économique vont être posées dans ce cadre. Les organisations syndicales s’y intéressent beaucoup. Jusqu’où peut-on aller dans les règles du jeu sans bien entendu aller contre la théorie des avantages comparatifs ? Telle est la question qui est posée.
18Mais, faire face à la mondialisation présente un second aspect. Il se crée dans le monde des ensembles régionaux dont l’objectif purement technique est d’aider à la maîtrise des phénomènes de mondialisation. On peut prendre par exemple la construction européenne sous cet angle, mais il y a maintenant le MERCOSUR en Amérique latine, l’ALENA entre le Mexique, les États Unis et le Canada, tandis que les pays de l’ASEAN songent à faire une union de ce type. Et la question se pose de savoir quel peut être l’impact du syndicalisme au niveau de ces ensembles régionaux ? C’est pourquoi, mais je n’insiste pas, j’ai pris la responsabilité, en 1985, de renouer un dialogue qui n’existait plus entre les patronats et les syndicats européens ce qui a abouti à des avis communs, à un cadre maintenant permanent de dialogue et enfin, dans le dernier traité sur l’Union européenne, c’est-à-dire le traité de Maastricht, à la consécration de la possibilité de signer une convention collective européenne. On a échoué de peu en ce qui concerne l’information et la consultation des travailleurs dans les sociétés multinationales, mais les syndicats sont en train de négocier, et je pense qu’ils aboutiront, sur le congé parental. Ce serait donc la première convention collective européenne.
19Deuxième mutation : le progrès technique. Le progrès technique affecte les conditions de production : or les conditions de production affectent elles-mêmes la condition du travailleur et le travail demeure une des bases du syndicalisme dans sa réalité existentielle. Il ne faut donc pas sous-estimer l’évolution technique. Qu’il s’agisse de la démarche vers une société cognitive, marquée par le rôle de la science, de la place de l’immatériel dans la production, des formes étendues que prend le travail à domicile avec les ordinateurs et la société de l’information – notamment aux États Unis, où plus d’un million d’emplois ont été créés en ce domaine –. Bref, tout cela sollicite aujourd’hui une adaptation du mouvement syndical dans la mesure où il veut continuer à être une organisation collective qui s’efforce de regrouper et de faire la synthèse de toutes les préoccupations des travailleurs.
20Troisième défi : la place du travail dans la société. On devrait d’ailleurs distinguer deux questions. Quelle sera la place du travail dans la société demain ? et Y aura-t-il du travail pour tout le monde dans la société ? Je parle de travail en me fondant sur une distinction qui n’est absolument pas sophistiquée : entre l’activité, qui est libre et qui peut s’exercer du moment qu’elle respecte l’ordre public d’une part, et d’autre part le travail qui peut être un travail soit d’indépendant, soit de salarié et qui répond à une législation ad hoc et enfin, l’emploi qui est identifié au salariat.
21 La question la plus intéressante, mais elle dépasse le domaine de la sociologie et de l’histoire des relations du travail, c’est la controverse actuelle à laquelle les syndicats s’intéressent sur le rôle du travail. Les discussions célèbres entre Habermas et ses adversaires pour savoir si le travail est autre chose qu’un élément de correction sociale du capitalisme, s’il peut être un élément de réalisation de soi même concernent évidemment les syndicats. Est-ce que le travail sera demain le facteur essentiel de socialisation comme il l’est aujourd’hui ? Est-ce que notre société n’est pas en train de vivre une mutation radicale ? Voilà des questions que le syndicalisme ne peut pas ignorer.
22Et enfin, il demeure un sujet encore plus controversé qui porte sur la signification de l’individualisme contemporain. On pourrait le ramener à une seule question : est-ce que les formes d’organisations collectives que nous avons connues et notamment le syndicalisme ne sont pas rongées en quelque sorte par le repli de chacun dans sa niche, par des formes d’individualisme ? Je ne parle pas là simplement des modes de vie : il est évident, qu’aujourd’hui, il est très difficile de faire une réunion syndicale le week end avec autre chose que les militants les plus engagés. Mais il devient même très difficile de faire une réunion à la sortie du travail, vers quatre, cinq ou six heures. Les travailleurs rentrent chez eux et la multiplication des horaires flexibles ne facilite pas la tâche. Par conséquent, le syndicalisme face à cet individualisme contemporain n’est pas simplement confronté à une question philosophique, il est confronté à des questions pratiques. Comment peut-il s’adresser aux travailleurs autrement que par la circulaire, l’affiche ou bien, pourquoi pas s’il en a les moyens, des cassettes ? Mais quand peut-il les réunir pour discuter ensemble et retrouver ce qui a fait la grande richesse humaine du syndicalisme, le regroupement spontané des travailleurs, fiers de leurs métiers – ce qui était beaucoup – et en même temps heureux de se retrouver ensemble pour entreprendre un combat commun. Là évidemment, entre la période que vous avez traitée et aujourd’hui, il y a des années-lumière du point de vue de la réflexion.
23Ce qui amène certains, et ce sera ma conclusion, à dire que le syndicalisme est sur la pente du déclin. Des sociologues n’ont pas manqué d’écrire sur ce thème, voire de fustiger les syndicats comme les derniers refuges du corporatisme ou d’un groupe de pression absolument inadapté. Donc la question se pose puisque des chercheurs la posent. De nombreux hommes politiques dénoncent le syndicalisme. Pour terminer sur une note un peu humoristique, je dirai que lorsque dans un conseil européen je parlais justement des partenaires sociaux, et de ce que nous avions fait avec eux, Mme Thatcher s’énervait tout de suite et disait : moi je ne connais qu’une chose l’individu, la famille. Mais, les partenaires sociaux ? Je ne sais pas ce que c’est.
24J’espère que, dans vingt ans, les hommes politiques ne seront pas nombreux à répéter ce refrain.
Auteur
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