Euratom : une organisation qui échappe à Jean Monnet ?
p. 343-356
Texte intégral
I.
1Dans ses Mémoires, Jean Monnet ébauche les origines du projet d’Euratom. Il insiste sur le fait qu’au milieu des années 50 l’exploitation de l’énergie nucléaire s’était imposée d’elle-même à l’attention des grandes nations européennes. L’énergie nucléaire apparut comme un facteur important à la fois d’un point de vue stratégique et d’un point de vue économique. Sur la base de telles hypothèses Jean Monnet écrivit : « Aborder en ordre dispersé l’avenir atomique qui nous était promis, alors que nous étions en train de réussir au prix de grands efforts le rassemblement d’anciennes structures fragmentées par les générations précédentes, eut été insensé. S’il existait un domaine sur lequel la méthode du Plan Schuman dut s’appliquer pleinement et réussir, c’était bien celui que nous offrait à l’état natif ce prodigieux succès de la technologie. Il justifiait la création d’une institution spécialisée que j’envisageai comme une Haute Autorité nouvelle pour le développement de l’énergie atomique à des fins pacifiques et dont je définis les taches. (...) Ce serait “Euratom” »1. Mais les souhaits de Monnet furent voués à l’échec. Si en mars 1957 les deux traités d’Euratom et du Marché commun furent signés à Rome par les représentants des Six, la communauté européenne atomique fut vouée à une vie obscure et à des tâches mineures2.
2Le rôle de Monnet dans le processus politique et diplomatique qui conduirait à la création d’Euratom a été présenté en détail par François Duchêne dans son Jean Monnet. The First Statesman of Interdependence 3. En outre Gérard Bossuat, dans un ouvrage récent, a écrit des pages profondes sur le projet de Monnet aussi bien que sur l’attitude de la France et de l’Allemagne sur Euratom4. Ce n’est pas mon intention d’examiner en détail une fois encore les origines et le développement du plan pour une communauté atomique européenne. Ce texte cherche, au contraire, à répondre à des questions qui semblent poser problème à ces chercheurs intéressés à la fois par la vie de Monnet et par la construction européenne. Quelles furent les racines du plan Monnet pour une communauté atomique ? Quelles furent les buts principaux de Monnet ? Pourquoi et comment Monnet perdit le contrôle sur un tel projet ? D’autres chercheurs ont été confrontés aussi à ces questions, mais une large réappréciation est certainement utile, spécialement sur la base des archives Monnet de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe5.
II.
3La plupart des historiens et biographes qui s’attaquèrent à la question des origines d’Euratom ont choisi un des arguments de Monnet en faveur de la communauté atomique européenne, à savoir la nouveauté de l’organisation. Ce facteur aurait offert aux avocats de la relance de l’Europe un moyen efficace pour surmonter les difficultés, les doutes et les vues pessimistes qui caractérisaient la scène de l’Europe de l’Ouest dans les mois qui suivirent immédiatement l’échec de la CED et celui de la CPE. Comme une communauté atomique européenne ne menaçait pas les intérêts les mieux installés, qu’elle offrait au contraire aux États d’Europe occidentale une énergie illimitée à des coûts décroissants, sa création apparaîtrait à la fois réalisable et prometteuse. Il y a beaucoup de conviction dans ces déclarations, mais certains facteurs concourent aussi à expliquer les motivations de Monnet aussi bien que l’incessant engagement pour Euratom qu’il montra jusqu’au début de 1957, parfois au détriment du projet de Marché commun. La ferme conviction de Monnet en Euratom eut ses origines dans de grandes hypothèses de caractère à la fois scientifique et économique. De plus elle s’appuyait sur son opinion concernant l’avenir de la situation internationale et celui de l’Europe de l’Ouest. Enfin et surtout les conseillers de Monnet jouèrent un rôle essentiel dans la formation des idées du leader européen.
4Jusqu’au début des années 50 l’énergie nucléaire avait été principalement regardée comme un instrument à utiliser à des fins militaires. Une telle attitude était la conséquence presque évidente du chemin suivi durant la Seconde Guerre mondiale tout autant que pendant la guerre froide par la recherche nucléaire6. Mais après la mort de Staline la peur d’un conflit ouvert entre l’Est et l’Ouest avait légèrement diminué7. De plus aux États-Unis, l’atome allait être considéré comme une source d’énergie vitale qui pouvait être exploitée aussi à des fins non militaires. Aussi, le président Eisenhower lança-t-il en décembre 1953 son projet Atoms for Peace au cours d’un discours prononcé devant les Nations unies8.
5En fait le relâchement de la tension entre Washington et Moscou qui devait caractériser le milieu des années 50 montrait que la lutte entre l’Est et l’Ouest ne serait pas engagée uniquement dans le domaine stratégique mais aussi dans le domaine technologique et économique ; de plus dans une telle situation mouvante il n’était pas difficile de prévoir que les relations internationales seraient bouleversées par les deux superpuissances qui pourraient exploiter l’énergie atomique, non seulement pour étendre leurs capacités militaires, mais aussi pour développer leurs connaissances scientifiques et leur influence économique. Le rôle de l’Europe de l’Ouest dans les affaires internationales et son système économique serait menacé par de tels développements ; l’Europe occidentale paraissait destinée à un déclin presque évident9. Un tel processus sembla être confirmé par la crise qui affectait les empires coloniaux européens. Aussi l’Europe occidentale allait perdre le contrôle direct à la fois des matières premières et du pétrole, qui prenait la place du charbon, la source d’énergie qui avait favorisé la révolution industrielle en Europe entre la fin du xviiie et le xixe siècle10. Ces questions dont l’importance était soulignée par certains conseillers de Monnet conduisit le président de la Haute Autorité à s’intéresser à l’énergie atomique autant qu’à esquisser des plans pour une communauté atomique européenne.
6Entre la fin 1954 et le début de 1955 après l’échec de la CED et de la CPE, Monnet recherchait un nouveau moyen d’entreprendre la relance de l’intégration européenne à travers une approche fonctionnaliste. Quelques conseillers de Monnet ont attiré son attention sur le rôle vital que l’énergie atomique jouerait dans un tel contexte et le lien étroit entre l’innovation technologique, le développement économique et l’équilibre international. Comme François Duchêne le dit dans sa biographie, en janvier 1955, Max Isenbergh, le conseiller juridique adjoint de l’Atomic Energy Commission américaine, « fut l’homme qui le premier fit apparaître » l’importance de l’énergie nucléaire dans l’imagination de Monnet11. Dans un court mémorandum à Monnet, Isenbergh écrivait : « ... I do not believe it to be at all extravagant to predict that the world of the year 2000 will be a vastly different from the world of 1955 as our world is different from that on the eve of the Industrial Revolution And in that transformation, atomic energy cannot fail to be a major créative influence ». Et Isenbergh de se demander : « ... Is there some way of combining the two overaching notions of our times – political fusion and atomic fission – so that they may work together consciously, deliberately, and confidently toward the amelioration of the world ? »12 Dans le même mémorandum Isenbergh mettait l’accent sur le fait qu’en quelques années l’énergie atomique remplacerait tout autre source de production électrique et ajoutait : « ... If European federalism is to remain a vigorous and progressive force, it must find a constantly expanding économie core for development » Isenbergh étendait ses remarques à des considérations politiques : « In the search for new fields to which the Community’s compétence could be extended, there is nothing on the horizon which at once captures the imagination and promises such far-reaching conséquences as does atomic energy. Moreover, it is a field in which can begin with tabula rasa. Unlike coal and Steel which started on a national basis and which presented hard faits accomplis which required readjustment and refashioning, the atomic energy industry could from ist beginning be shaped to fit into a federated European setting »13. De nombreux documents dans les archives Monnet montrent que le président de la Haute Autorité eut plusieurs réunions avec Isenbergh. Il tenait vraiment à rassembler des informations supplémentaires sur le développement de l’énergie atomique et ce n’est pas une coïncidence que son attention ait été focalisée sur les usages non militaires de la puissance nucléaire14. Fin mars 1955 il apparut que les vues optimistes d’Isenbergh furent confirmées par un des proches conseillers de Monnet à la CECA, Franz Etzel. Dans un mémorandum pour Monnet, Etzel insista sur les avantages politiques et économiques qui pourraient être le résultat de formes proches de l’intégration européenne en ce qui concerne les sources d’énergie. Le membre de la Haute Autorité de la CECA fit part de son intérêt pour l’énergie atomique dont l’exploitation apparaissait comme un but vital pour l’avenir de l’Europe. Etzel écrivit : « Le développement de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique conditionne les possibilités futures de nos pays. Si nos pays ne s’engagent pas ensemble dans ce domaine nouveau, ils s’exposent dans l’avenir à disposer de possibilités d’améliorer leur niveau de vie inférieur à celles des pays anglo-saxons ou de l’Union Soviétique et à dépendre de l’extérieur pour l’outillage et les procédés atomiques, comme les autres parties du monde ont dépendu de l’Europe pour leur équipement jusqu’à une époque récente »15. Dans son mémorandum Etzel paraissait suggérer que la CECA puisse être chargée de l’exploitation de l’énergie atomique, alors qu’Isenbergh avait vaguement fait allusion à un moyen autonome pour s’occuper de l’énergie nucléaire dans le contexte de la CECA ; d’un autre côté, Etzel suggérait que dans le domaine du nucléaire l’Europe de l’Ouest devait développer une étroite coopération avec les États-Unis. Les aspects techniques et administratifs n’étaient pas négligés par Monnet. Il fit porter son attention sur les expériences américaines et anglaises, de plus il eut la possibilité d’examiner un long papier de Louis Armand sur « La coopération économique intra-européenne dans le domaine de l’énergie » qui était en rapport avec ces sujets tout en comprenant de plus larges considérations relatives à l’exploitation des sources d’énergie16. Comme cela a été remarqué par Duchêne il est très probable que les plans de Monnet ont été influencés aussi par les opinions de personnalités politiques. Le président de la Haute Autorité ne pouvait pas négliger les sérieux obstacles politiques que les projets européens, en particulier la CED, avaient suscités dans les milieux politiques français et allemands durant les précédentes années17. Aussi la conversation qu’un autre des conseillers de Monnet, Jacques Van Helmont eut avec le chef des socialistes français, Guy Mollet, fin avril 1955, fut de quelque importance. A cette occasion Mollet avertit le conseiller de Monnet qu’en cette affaire de relance de l’Europe « ... il est nécessaire, pour obtenir le concours des socialistes, que l’intégration n’apparaisse pas comme un transfert des pouvoirs aux intérêts privés » et Mollet d’ajouter que dans la mesure où l’énergie atomique était concernée, « il lui paraît indispensable que la mise en commun des efforts dans ce domaine relève d’une autorité publique »18. Le soutien des partis socialistes d’Europe de l’Ouest comme la création d’une autorité atomique puissante deviendraient des caractéristiques propres à la stratégie de Monnet.
7En fait les projets de Monnet pour une communauté européenne de l’atome semblaient être principalement une synthèse autonome des études d’Isenbergh et d’Etzel, comme celle des nombreux contacts que Monnet a engagés entre la fin de 1954 et le début de 1955, à savoir une communauté atomique indépendante de caractère supranational dotée de pouvoirs forts étendus. En outre Monnet semblait être profondément préoccupé du rôle des États-Unis et du Royaume-Uni dans l’effort de réalisation du projet d’Euratom tout autant que pour les buts purement pacifiques qui devaient caractériser la nouvelle communauté supranationale. Au lendemain de la Conférence de Messine Monnet écrivit : « Future coopération in the peaceful application of atomic energy between European countries, the US and the UK will in part dépend on the guarantees that the European countries will be able to give, that the assistance given them will not be applied to military purposes »19. Dans le même document Monnet semblait indiquer que, d’après lui, l’Europe occidentale n’était pas dans une situation financière qui permettait de développer à la fois les aspects militaires et civiles de l’énergie nucléaire. Il déclarait avec force « que pour l’Europe d’aujourd’hui il est nécessaire pour sa survie en temps de paix d’entreprendre un effort considérable en vue de l’usage pacifique de l’énergie atomique ».
8Il est bien connu qu’à l’occasion de la Conférence de Messine les ministres des Affaires étrangères des Six, non seulement créèrent le Comité Spaak chargé de s’occuper de la création d’une communauté nucléaire européenne et d’un Marché commun, mais décidèrent de nommer René Mayer Président de la Haute Autorité de la CECA20. A partir de ce moment Monnet qui avait perdu tout rôle officiel s’attacha à créer le Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe, principalement destiné, au moins au début, à devenir un groupe de pression pour promouvoir les formes d’une communauté nucléaire européenne. Monnet et le Comité dont la première réunion se tint en janvier 1956, semblaient s’employer à minimiser le projet de Marché commun européen21. Il y avait des facteurs précis qui incitaient Monnet à pousser l’Euratom. Selon l’opinion de Monnet la question en jeu n’était pas seulement la relance de l’Europe. Monnet apparaissait de plus en plus obsédé par le destin du vieux continent qu’il liait intimement à la fois à l’avenir de l’économie ouest-européenne et aux événements internationaux. Monnet utilisait l’argument que seule la création d’une communauté atomique européenne pourrait sauver l’Europe occidentale du déclin économique et politique quasi évident. Ce n’était pas une coïncidence que dans un mémorandum préparé à l’automne 1955 en rapport avec les premières activités du Comité d’Action on y déclarait que « dès aujourd’hui la quasi-totalité des importations de pétrole brut provient du Moyen-Orient (...). Ces importations de carburant présentent pour l’Europe occidentale une importance vitale »22. Une telle situation était une sérieuse menace pour les économies de l’Europe occidentale qui étaient sujettes à la volonté de partenaires du Moyen-Orient instables et peu fiables. Le souci de Monnet, autant que sa ferme détermination envers la solution d’un Euratom, furent augmentés par la nationalisation du canal de Suez en juillet 1956. Dans un document qu’il prépara dans la seconde moitié de 1956, Monnet souligne que la crise du canal de Suez « nous a fait toucher la guerre du doigt » ; il ajouta qu’il était devenu évident que les nations d’Europe occidentale étaient les seuls États industrialisés qui ne possédaient pas l’énergie dont leurs économies avaient besoin. Monnet concluait : « [La crise de Suez] nous a fait comprendre que la création urgente d’Euratom est un élément essentiel de la paix du monde. En facilitant un développement rapide de la production atomique en Europe occidentale, l’Euratom ramènera à des proportions normales l’importance du pétrole importé et enlèvera au pétrole du Moyen-Orient cette possibilité illimitée de pression sur l’Europe de l’Ouest qui en fait un véritable danger pour la paix »23. Au lendemain des opérations militaires franco-britanniques contre l’Egypte, Monnet écrivit au syndicaliste français, Robert Bothereau : « Les événements confirment aussi malheureusement d’une façon éclatante la position prise par le Comité d’Action en septembre sur l’urgence de créer une production importante d’énergie atomique et sur les dangers de laisser la vie de l’Europe dépendre du Moyen-Orient, c’est-à-dire de lier notre sort à tous les aléas politiques que cette région du monde va certainement connaître »24. Il est très probable que le puissant intérêt de Monnet pour Euratom en tant que facteur de paix trouvait ses racines dans les changements radicaux qui avaient modifié la scène internationale au milieu des années 50 : la conférence au sommet de Genève qui a été tenue en juillet 1955 n’a pas été suivie de résultats concrets, mais elle fut largement perçue dans les milieux politiques et diplomatiques comme la fin de la guerre froide, au moins en Europe, et la coupure en deux du vieux continent était devenue un fait accompli pour Washington et Moscou25. De l’autre côté le processus de décolonisation, comme conséquence de la conférence de Bandoung, fut encore accéléré, menaçant le rôle impérial des Français et des Britanniques26. La situation internationale était largement façonnée par l’équilibre bipolaire qui favorisait le renforcement de la détente, mais un tel équilibre manifestait la baisse d’influence de l’Europe de l’Ouest non seulement d’un point de vue politique et militaire mais aussi économique. A l’évidence, la promotion de la détente et le développement économique étaient une chose positive et importante pour la plupart des responsables politiques d’Europe de l’Ouest et Monnet reconnaissait l’intérêt de tels phénomènes, mais l’Europe occidentale ne devait pas supporter les conséquences négatives de la nouvelle situation internationale qui était en train d’émerger. Dans un projet de résolution qui fut rédigée en novembre 1955, à l’aube de la première réunion du Comité d’Action, on peut lire : « Si nos pays s’engageaient dans la production d’armes atomiques, ils intensifieraient la course aux armements. A un moment où l’Est et l’Ouest cherchent à établir leurs rapports sans recourir aux menaces militaires, ils rouvriraient la guerre froide et ils ralentiraient leur développement industriel atomique pour un résultat sans efficacité militaire. La France, par exemple, ne pourrait produire que dans quelques années quelques bombes. Les armes atomiques confèrent une puissance militaire à la condition de disposer d’une production suffisamment abondante et des engins qui permettent le transport à grande distance »27.
9Dans ce contexte il est plus facile de comprendre la plupart des raisons qui ont augmenté la confiance de Monnet dans l’Euratom comme objectif vital pour le vieux continent. Un tel objectif toutefois devait répondre à des conditions précises : a) la nouvelle communauté devait disposer d’un pouvoir réel, ce qui impliquait la propriété exclusive des matériaux fissiles et un strict contrôle sur les usines nucléaires ; b) la communauté atomique européenne devait poursuivre des buts non militaires et les Six abandonner la création de forces nucléaires indépendantes, pour éviter le gâchis de ressources économiques tout autant que les dangereuses comparaisons avec les États-Unis et l’Union soviétique ; c) la Communauté devait dépendre d’un fort soutien des États-Unis et des Britanniques et d) enfin et surtout, un tel processus ne devait pas être ralenti par des tentatives d’atteindre d’autres objectifs importants.
10Sur la base de ces considérations il est possible de comprendre les caractéristiques de la stratégie que Monnet a poursuivie entre 1955 et 1957 pour réaliser ses projets concernant Euratom. Pour cette raison le Comité d’Action fut considéré par Monnet comme l’instrument principal, grâce auquel il serait possible de conduire les gouvernements des Six à éviter tout délai dans la création de l’Europe atomique. De plus l’attitude prudente de Monnet vis-à-vis du Marché commun paraît être un élément presque évident : d’après l’opinion de Monnet, d’un côté, le projet du Marché commun manquait d’implications scientifiques performantes et d’intérêt politique qu’Euratom paraissait avoir ; d’un autre côté le développement du Marché commun semblait être un travail difficile, en raison principalement de l’attitude de la France. En effet, les difficultés relatives aux négociations du Marché commun entraveraient les perspectives plus positives du schéma d’Europe nucléaire. A l’occasion d’une réunion du Comité d’Action tenue fin juillet 1956, Monnet déclara : « On ne doit pas attendre pour faire Euratom que le traité de Marché commun soit conclu28 ».
11En fait la stratégie de Monnet était condamnée au moins à un échec partiel. En dépit des rapports étroits que Monnet maintenait avec des responsables européens influents, l’ancien président de la Haute Autorité fut incapable d’exercer une influence substantielle sur le processus diplomatique et politique qui aboutit à la signature du traité d’Euratom, et la future communauté manqua de ces caractères dont l’adjonction avait été demandée fortement par Monnet et le Comité d’Action. Ainsi pour la propriété exclusive des matériaux fissiles et le contrôle des industries nucléaires, Monnet fut confronté à une vigoureuse opposition qui trouvait ses origines dans les intérêts de l’industrie privée qui craignait les conséquences de ce qu’elle percevait comme un dirigisme supranational29. Un tel problème semble avoir eu une influence forte et négative sur les cercles industriels allemands. L’opinion peu sympathique du ministre allemand de l’Économie Ludwig Erhard sur le dirigisme de Monnet est un facteur bien connu30. De plus ces préoccupations furent partagées, semble-t-il, par des éléments de l’administration Eisenhower. Dans une conversation qu’il eut avec Monnet fin avril 1956, l’amiral Lewis Strauss, président de l’AEC, « demanda si la formation d’Euratom ne signifierait pas en fait la socialisation de l’industrie atomique en Europe »31. Une remarque qui révélait la suspicion de Strauss à l’égard des motifs de Monnet. En dépit de ces oppositions, Monnet tenait pour vitale la propriété exclusive des matériaux fissiles, ce qui garantirait l’efficacité d’Euratom et à cette fin exerça des pressions très fortes sur des personnalités variées. Il n’est pas surprenant qu’en février 1957, dans une lettre à Bothereau, dans laquelle il faisait des commentaires sur le traité d’Euratom qui allait être signé dans quelques semaines, Monnet ait pu se vanter ainsi : « La propriété par Euratom des matières fissiles importées et produites, que notre Comité a demandée depuis le début de son activité, est un résultat politique majeur »32.
12Il est de quelque intérêt que dans la même lettre Monnet déclare qu’un tel succès devrait « permettre notamment l’établissement d’un contrôle européen reconnu par les États-Unis sur les matériaux que ceux-ci fourniront (...), c’est-à-dire remplacer par le contrôle d’Euratom le contrôle américain qui est actuellement prévu dans les accords bilatéraux ». Bien sûr, Monnet avait dû minimiser les clauses relatives à la propriété des matériaux fissiles qui avaient été acceptées par Mollet et Adenauer33. De plus il fit semblant d’oublier que l’exploitation effective par Euratom des matériaux fissiles était strictement liée à la bonne volonté des différents gouvernements européens, en particulier à leur attitude envers les implications militaires de l’énergie atomique et la question de la coopération avec les États-Unis.
13En fait un obstacle majeur à la stratégie de Monnet était sa déclaration concernant les buts purement pacifiques d’Euratom, qui à son avis signifiait que les Six étaient prêts à abandonner tout espoir de fabriquer des armements nucléaires. Monnet avait insisté sur une communauté de l’énergie nucléaire en dépit du fait que ce choix était un appel au leadership de la France et à son opinion publique, dont l’attitude en 1954 avait fait échouer la CED et la CPE. En fait les autorités françaises apparurent très intéressées par le projet de création d’une communauté atomique européenne car l’exploitation de l’énergie nucléaire devenait une question importante dans le débat politique, en conséquence aussi du développement des activités du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), mais de nombreux responsables politiques français ne négligeaient pas les implications militaires de l’énergie nucléaire. A la fin de 1954, le Président du Conseil d’alors, Pierre Mendès France, favorisa le lancement d’un projet secret qui permettrait aux scientifiques français de développer les applications de la recherche atomique34.
14Il est très probable que Monnet était ignorant de telles décisions. Quand il lança le Comité d’Action en 1955 il dut travailler au rapprochement des positions des socialistes français et des sociaux-démocrates allemands, d’un point de vue économique, comme celles des syndicats non communistes français et allemands qui voulaient le désarmement nucléaire international. Il apparut que l’engagement de la SFIO et du SPD en faveur des plans de Monnet était un encouragement très fort pour le succès du projet d’Euratom, comme Monnet ne pouvait pas ignorer que les oppositions à la fois du SPD et de certains secteurs de la SFIO avaient été des raisons majeures de l’échec de la CED. En janvier 1956, la désignation de Guy Mollet comme Président du Conseil fut perçue par Monnet comme un facteur qui renforcerait ses plans : le leader socialiste qui avait rejoint le Comité d’Action était un avocat d’Euratom et il proclama l’engagement de son gouvernement pour un désarmement international35. En fait selon les plans de Monnet, Euratom aurait empêcher la France d’utiliser l’énergie atomique à des fins militaires. Lors de sa désignation, Mollet prit conscience de l’engagement croissant de son pays dans la recherche militaire nucléaire et fut obligé de prendre en considération à la fois l’attitude des forces politiques et les pressions exercées par des responsables politiques de premier plan, tout autant que celles de secteurs militaires et scientifiques qui à l’évidence préféraient laisser la voie ouverte à la création d’une dissuasion nucléaire française36. En juillet 1956, à l’occasion d’un débat à l’Assemblée nationale, le gouvernement Mollet déclara publiquement que la France n’abandonnerait pas le droit de construire des armes nucléaires37. Cette déclaration causa de sérieux doutes sur les garanties que les autorités françaises pourraient offrir lors de leur adhésion au traité d’Euratom, spécialement la promesse d’une utilisation uniquement non militaire de l’énergie atomique. Bien qu’en désaccord avec la position française, Monnet fut incapable de modifier la décision des autorités de Paris, dont la pertinence, d’un autre côté, semble-t-il, était partagée par des membres français du Comité d’Action. A l’occasion d’une réunion du Comité d’Action tenue dans la seconde partie de juillet 1956, René Pleven apporta fortement son soutien à la politique du gouvernement Mollet en dépit des doutes exprimés par d’autres membres du Comité38. Dès le début de 1957, Monnet fut amené à reconnaître que les contrôles par Euratom des matériaux fissiles « iront jusqu’au moment où commence le façonnage spécial qui requiert l’utilisation militaire »39.
15La stratégie de Monnet sembla au contraire atteindre au succès à la fin 1956 quand la pression que lui et le Comité d Action exerçaient sur Mollet conduisit le président du Conseil français à donner son accord pour la création d’un « comité des trois Sages » qui serait composé de Louis Armand, Franz Etzel et du scientifique italien Francesco Giordani. D’après l’opinion du leader européen le comité des Sages était un premier pas concret dans le processus qui conduirait à la mise en place du projet d’Euratom. Le comité devait établir une étroite coopération entre l’administration américaine et les Six, et Monnet pouvait s’appuyer sur ses liens d’amitié avec Armand et Etzel ou avec Max Kohnstamm qui allait être choisi comme secrétaire du comité des Sages40.
16Alors que le comité fut rapidement créé par les Six en février 1957 et qu’il poursuivit une mission bénéfique aux États-Unis, ce groupe ne joua pas, semble-t-il, de rôle fondamental dans les étapes finales des négociations de Val Duchesse41. D’un autre côté, en dépit de l’attitude sympathique que l’administration Eisenhower montra à Armand, Etzel et Giordani, le résultat de la crise du Canal de Suez conduisait les autorités françaises à développer une attitude soupçonneuse, sinon négative, envers l’attitude américaine et britannique à leur égard. La création d’Euratom fut donc perçue par la plupart des responsables politiques français comme un instrument par lequel les Six encourageraient leur indépendance face à Washington et Londres, plus que comme facteur de coopération étroite entre l’Europe occidentale et les États-Unis, ce qui était l’un des buts principaux de Monnet42. Monnet était conscient de la détérioration des relations franco-américaines suite à la crise de Suez. Au début de janvier 1957 il écrivit à Bothereau : « Les événements récents ont créé des difficultés sérieuses dans les relations que l’Amérique et l’Europe ont entretenues jusqu’à présent. L’avenir de ces relations est évidemment un facteur essentiel pour l’action de notre Comité. Aussi il m’est apparu nécessaire d’aller maintenant une semaine aux États-Unis afin de disposer d’éléments directs d’appréciation sur les perspectives de nos relations avec l’Amérique »43. A son retour des États-Unis, Monnet écrivit une autre lettre à Bothereau et le leader européen exprima avec force les impressions qu’il avait recueillies dans son voyage : « Il y a dans l’opinion publique et ses représentants la conviction que si l’unification de l’Europe est indispensable à la stabilité et à la paix du monde, cette unification n’est pas à elle seule suffisante. Les événements des derniers mois ont fait clairement apparaître qu’en même temps que l’Europe progresse vers son unité, il faut qu’elle crée sur son sol une source d’énergie suffisante pour assurer la continuité de son développement économique et social, sans être à la merci de ses importations de pétrole et de charbon »44. Une fois encore, la création d’une communauté atomique qui entraînerait un ferme soutien américain apparaissait à Monnet comme la solution de la détresse économique et politique de l’Europe. Monnet comprit qu’une bénédiction américaine pourrait être un facteur négatif et dans sa lettre il avança l’idée « qu’une association entre les États-Unis et Euratom » conduirait à une « une association sur un pied d’égalité ». Il ajouta : « Ce serait la première fois qu’un accord de cette nature pourrait être conclu entre l’Amérique et notre vieux continent, qui n’a connu depuis la guerre que des “aides et des dons” »45. D’un autre côté, au début de décembre 1956, Monnet avait insisté dans une lettre à Guy Mollet : « Nous avons la possibilité (...) d’obtenir la reconnaissance du contrôle d’Euratom, de ne pas avoir de contrôleurs américains, ni de contrôleurs de l’ONU, c’est-à-dire d’établir une égalité entre l’Europe et l’Amérique à laquelle nous sommes tous attachés »46. Nous devons nous demander cependant si en dépit des plaidoyers de Monnet, le soutien que les Américains montraient pour le projet de communauté atomique européenne ne serait pas l’une des raisons de son échec.
17Une autre faille dans la stratégie de Monnet était les divergences d’opinion qui apparaissaient au sein du Comité d’Action sur les politiques que le Comité devait mener en relation avec le Marché commun. A l’occasion de la première réunion du Comité, des participants dirent à haute voix leur intérêt à la fois pour le Marché commun et pour un Euratom, bien que Monnet ait préféré fermement diminuer le rôle du premier. Il est important de savoir que cédant aux pressions exercées par certains membres, spécialement par le leader libéral italien Giovanni Malagodi, il ait été envisagé dans la déclaration finale une clause « prévoyant une réunion (...) visant l’action à poursuivre en ce qui concerne le Marché commun, afin de bien marquer que le Comité entend également travailler à la réalisation d’un Marché commun général »47. De plus, pendant la réunion de juillet 1956, plusieurs membres du Comité d’Action ne partagèrent pas la préférence de Monnet pour Euratom au détriment du Marché commun ; le responsable syndical allemand, Ludwig Rosenberg insista : « Je ne suis pas prêt à renoncer au Marché commun si certaines difficultés concernant l’Euratom ne pouvaient être surmontés ». Il ajouta qu’on ne peut pas « réaliser seulement Euratom » mais qu’il faut faire aussi le Marché commun »48, tandis qu’un délégué italien, le chrétien-démocrate Ludovico Benvenuti, nota : « Il ne faut pas séparer Euratom et Marché Commun49. » Il est possible qu’en raison de ces positionnements, Monnet ait été amené à nuancer son attitude : « La meilleure garantie de la réussite est l’action. (...) Si on poursuit en même temps le Marché commun et l’Euratom, que l’Euratom soit signé ou ratifié, il sera propulseur de l’action qui suivra pour le Marché commun. Les deux projets sont essentiels, ils doivent être poursuivis »50.
18En dépit de son engagement en faveur du Marché commun, la plus grande confiance de Monnet en la faisabilité du scénario Euratom était toujours évidente et son engagement encore plus fort pour la création d’une communauté atomique européenne fut confirmé durant les mois suivants. Cette conviction conduisait aussi Monnet à concentrer son attention sur Euratom après la signature des traités de Rome. En juin 1958, dans une lettre au leader MRP, Robert Lecourt, Monnet exprima son plaisir de l’accord qui conduirait à un soutien américain aux premiers projets développés par la communauté atomique européenne et manifesta l’espoir de réussir une forme de coopération entre les Britanniques et les Six dans le domaine de l’énergie atomique. En conséquence le leader européen confirma sa certitude qu’Euratom favoriserait l’établissement de « liens organiques sur une base d’égalité entre les États-Unis et l’Europe ». Il ajouta qu’un « accord entre l’Europe et la Grande-Bretagne, venant après celui entre Euratom et les États-Unis, serait l’amorce d’une véritable Communauté nucléaire à des fins strictement pacifiques »51. Il ne manque pas d’ironie que ces mots aient été écrits quelques jours seulement après le retour au pouvoir du général de Gaulle.
19Il y a un épisode ultérieur qui manifeste une certaine faiblesse de la stratégie de Monnet et qui nous conduit à nous interroger sur l’influence que le leader européen et le Comité d’Action étaient capables d’exercer sur les négociations de Bruxelles, en particulier dans leurs étapes finales. En juillet 1956, au nom du Comité d’Action, Monnet écrivit aux ministres des Affaires étrangères des Six. Dans sa lettre, l’ancien président de la Haute Autorité de la CECA plaida auprès des délégués des Six en faveur du très grand intérêt des aspects sociaux de la relance européenne. Monnet mit en avant le projet de création d’un groupe consultatif formé des représentants des syndicats autant que des patrons et des consommateurs qui serait rattaché à Euratom52. Bien plus, dans une lettre qu’il envoya à Mollet, Monnet suggéra que quelques représentants des syndicats soient impliqués dans les négociations de Bruxelles53. Il est très probable que les propositions de Monnet trouvaient leurs racines dans le soutien que les syndicats non communistes avaient manifesté au Comité d’Action, mais l’expérience de Monnet dans le contexte de la CECA jouait aussi un rôle majeur dans la formulation de son attitude sur cette question. En fait, bien que le traité de la CEE ait envisagé la création d’un Comité économique et social (CES), les représentants soit des syndicats, soit des patrons ne furent pas autorisés à rejoindre les négociations de Bruxelles et l’appel de Monnet produisit seulement quelques lettres d’approbation, alors que Mollet écrivait à Monnet courtoisement mais un peu vaguement que l’attention du gouvernement français envers l’opinion des syndicats l’avait conduit « à demander à Maurice Faure, chef de la délégation française à la Conférence de Bruxelles, de procéder à la consultation régulière de ces organisations, et particulièrement des syndicats libres »54. En fait, si Monnet maintenait des contacts étroits avec des personnalités jouant un rôle éminent dans les négociations de Bruxelles, comme Pierre Uri, et s’il est probable que ces personnalités prirent en considération à la fois les propositions de Monnet et les déclarations du Comité d’Action, elles ne purent ignorer qu’en conséquence des décisions de Messine et en dépit de son influence morale, Monnet était devenu un « simple citoyen ». Le Comité d’Action était juste un groupe de pression avec de vagues occupations et responsabilités. Donc si les opinions de Monnet furent souvent dans les esprits des négociateurs, il est douteux que ces opinions puissent être regardées comme des facteurs vitaux dans la formation des politiques poursuivies par les gouvernements des Six.
III.
20Si nous revenons sur les questions qui ont stimulé notre analyse, en particulier celle sur les relations entre la Communauté atomique européenne, telle qu’elle fut dessinée dans le traité de Rome et les activités de Monnet, il semble possible de dire que le plan pour une organisation supranationale d’exploitation de l’énergie nucléaire, en vue d’une relance européenne, avait ses racines dans les projets développés par Monnet entre la fin de 1954 et le début de 1955. On ne peut oublier le rôle joué par de nombreux conseillers et amis qui ont concouru à formaliser de nombreux traits du plan de Monnet. En tous cas, seul Monnet donna une crédibilité à ce plan et le président de la Haute Autorité put conduire les responsables du Benelux, spécialement Spaak, à partager ses vues optimistes sur le rôle clef de l’énergie nucléaire dans l’accélération du processus d’intégration. D’un autre côté, il est très probable que Monnet a exercé une influence sur les négociations de Bruxelles, spécialement en raison des liens maintenus avec des personnalités, bien que cette influence ait été de moins en moins nette. De plus, nous ne devons pas oublier les étroites relations qui liaient Monnet et Mollet et à plusieurs reprises (i.e. la création du comité des Sages), Monnet joua un rôle important et concourut à formuler une initiative gouvernementale, mais il ne serait pas possible de dire que la politique européenne de la France était celle de Monnet, pour ne pas parler des cinq autres gouvernements des Six. En dépit de ses contacts avec les autorités américaines, il a été établi par d’autres chercheurs, en particulier par Gérard Bossuat, que Washington percevait l’influence de Monnet sur les affaires européennes d’une façon moins positive qu’au début des années 50. Enfin et surtout, si Monnet a exercé une influence sur les forces politiques et les opinions publiques des Six par le Comité d’Action, des failles ont entravé l’efficacité de l’organisation de Monnet. Dans l’intervalle de Messine et Rome, Monnet a perdu le contrôle sur Euratom. La soi-disant méthode Monnet apparaît comme ayant été la plus efficace au tout début de la stratégie de Monnet, mais bientôt elle montra de sérieuses limites : Monnet n’avait plus de rôle officiel et ne jouissait plus de pouvoir réel, ainsi son influence ne pouvait être qu’indirecte. Ses objectifs étaient trop ambitieux et il avait dû prendre en considération de trop nombreux acteurs (les États-Unis, les gouvernements des Six, les diplomates, les industriels, les responsables militaires, les scientifiques) dont l’interaction, même pour un Statesman of Interdependence était impossible à contrôler. De plus il y eut des erreurs dans la politique de Monnet en particulier son manque d’intérêt pour le Marché commun, sa confiance dans une exploitation pacifique de l’énergie atomique, son engagement pour Euratom comme instrument de développement des liens entre les Etats-Unis et l’Europe occidentale, mais il serait injuste d’insister sur ces erreurs. Enfin et surtout, le Comité d’Action ne pouvait pas être un substitut de la Haute Autorité de la CECA.
21En dépit de ces faiblesses, il est impossible d’ignorer la détermination de Monnet à pousser une fois encore le processus d’intégration européenne selon une ligne fonctionnaliste, son intérêt à lier étroitement l’innovation technologique et le développement économique, sa ferme volonté de résister au déclin de l’Europe, enfin, son engagement incessant pour la paix internationale. Dans notre bilan final, l’échec de Monnet à propos d’Euratom apparaît comme un facteur définitivement mineur.
Notes de bas de page
1 Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 470.
2 Voir par exemple Pierre Gerbet, La construction de l’Europe, Paris, Imprimerie nationale, 1983, pp. 265-271. Pour une perspective plus large cf. Michel Dumoulin, Pierre Guillen, Maurice Vaïsse, L’énergie nucléaire en Europe. Des origines à Euratom, Berne, Peter Lang, 1994.
3 François Duchêne, Jean Monnet. The First Statesman of Interdependence, New York, London, W.W. Norton & Co., 1994, pp. 284-308. Voir également la biographie la plus récente de Éric Roussel, Jean Monnet, Paris, Fayard, 1996, pp. 684-717 ; cf. aussi Henri Rieben, Des guerres européennes à l’union de l’Europe, Lausanne, Fondation Jean Monnet, 1987, pp. 139- 172 ; Émile noël, « Jean Monnet et la négociation d’Euratom (1956/1957) », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, Lausanne, Fondation Jean Monnet, 1989, pp. 371-376 ; Pascal Fontaine, Jean Monnet. L’inspirateur, Paris, Jacques Grancher, 1988, pp. 81-92.
4 Gérard Bossuat, L’Europe des Français 1943-1959. La IVe République aux sources de l’Europe communautaire, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, pp. 261-358. Les rapports entre Monnet et les autorités américaines lors de la « relance européenne » ont été analysés en profondeur dans Gérard Bossuat, « Jean Monnet, le Département d’État et l’intégration européenne 1952 – 1959 », in René Girault, Gérard Bossuat (éd.), Europe brisée, Europe retrouvée. Nouvelles réflexions sur l’unité européenne au xxe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, pp. 320-337.
5 Je voudrais remercier la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, en particulier le Professeur Henri Rieben et Dr. Martin Nathusius, pour leur aide précieuse. En outre, je suis particulièrement reconnaissant envers Mme Françoise Nicod pour son aide inestimable.
6 Voir par exemple Melvyn P. Leffler, David S. Painter (éd.), Origins ofthe Cold War. An International History, London, New York, Routledge, 1994, pp. 77-123.
7 Stephen R. Ashton, In Search of Détente. The Politics of East-West Relations since 1945, London, Macmillan, 1989, pp. 66-84 ; John Van Oudenaren, Détente in Europe. The Soviet Union and the West since 1953, Durham, Duke University Press, 1991, pp. 25-63.
8 Robert A. Divine, Eisenhower and the Cold War, New York, Oxford, Oxford University Press, 1981, pp. 112-116 ; pour une analyse plus large de la politique nucléaire d’Eisenhower voir : Robert A. Wampler, « Eisenhower, NATO, and Nuclear Weapons : The Strategy and Political Economy of Alliance Security », in Gunter Bischof, Stephen E. Ambrose (éd.), Eisenhower. A Centenary Assessment, Bâton Rouge, London, Louisiana State University Press, 1995, pp. 162-190.
9 Pour une évaluation complète voir Anton W. DePorte, Europe between the Super-Powers. The Enduring Balance, New Haven, London, Yale University Press, 1979. Voir également Giuseppe Mammarella, Europa-Stati Uniti. Un’alleanza difficile 1945-1985, Roma, Laterza, 1996, pp. 123-153.
10 Daniel Yergin, The Prize. The Epie Quest for OIl, Money, and Power, London, Simon & Schuster, 1991, pp. 421-425.
11 Duchêne (voir n. 3), p. 264.
12 Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Jean Monnet Archives (ci-après AMK), 38/1/2, « Mémorandum by Max Isenbergh », 12.01.1955.
13 Ibid.
14 Voir les documents in AMK 38/1.
15 AMK 38/1/7, « Mémorandum relatif à la mise en commun de l’ensemble de l’énergie, du développement de l’énergie atomique et des transports », 26.3.1955, F. Etzel.
16 AMK 38/1/11.
17 Duchêne (voir n. 3), p. 278.
18 AMK 2/4/2, « Conversation avec M. Guy Mollet le 20 avril, à 17 h. », 21.4.1955, J. Van Helmont.
19 AMK 38/1/12, « Memorandum on the Development of Atomic Energy in Europe », 17.6.1955, J. Monnet.
20 Enrico Serra (éd.), Il rilancio dell’Europa e i Trattati di Roma, Bruxelles, Bruylant, 1989, pp. 61-191.
21 Antonio Varsori, « Jean Monnet e il Comitato d’Azione per gli Stati Uniti d’Europa dalle origini ai Trattati di Roma (1955 – 1957) », in Andrea Ciampani (éd.), L’altra via per l’Europa. Forze sociali e organizzazione degli interessi nell’integrazione europea, Milan, Angeli, 1995, pp. 139-170.
22 AMK 4/9/13, « Données relatives à l’énergie atomique », sans date, mais automne 1955.
23 AMK 6/4/4, note de J. Monnet, sans date, mais été/automne 1955.
24 AMK C 3/4/64, lett., J. Monnet à R. Bothereau, 8.11.1956.
25 Antonio Varsori, « The Western Powers and the Geneva Summit Conférence (1955) », in Idem (éd.), Europe 1945-199ÛS : The End of an Era ?, London, Macmillan, 1995, pp. 221-248.
26 Pour une évaluation complète de la retraite de la France de son empire colonial voir par exemple Jean Planchais, L’empire embrasé 1946-1962, Paris, Denoël, 1990. Pour le cas de la Grande-Bretagne voir par exemple David Sanders, Losing an Empire, Finding a Role. British Foreign Policy since 1945, London, Macmillan, 1990, pp. 74-99.
27 AMK 4/6/24, « Motifs du projet de résolution », 4.11.1955.
28 AMK 5/3/26, « Compte rendu de la session des 19 et 20 juillet ».
29 Les regards critiques des milieux industriels italiens ont été réunis dans : Documents Diplomatiques Français (ci-après DDF), 1956,1, doc. n. 75.
30 Cf. par exemple Duchêne (voir n. 3), pp. 275-276.
31 Foreign Relations of the United States (ci-après FRUS), 1955-1957, vol. IV, Western European Security and Intégration, Washington, US Government Printing Office, 1986, pp. 432-434, 433. Pour une analyse approfondie de l’attitude américaine cf. Bossuat (voir n. 4), pp. 324-337.
32 AMK C 3/4/79, lett., J. Monnet à R. Bothereau, 23.2.1957.
33 Voir les remarques dans Pierre Guillen, « La France et la négociation du traité d’Euratom », in Relations internationales 44 (1985), pp. 407-409.
34 Voir Georges-Henri Soutou, « La politique nucléaire de Pierre Mendès France », in Relations internationales 59 (1989). Pour une analyse approfondie et récente voir Dominique Mongin, La bombe atomique française 1945-1958, Bruxelles, Paris, Bruylant/L.G.D.J., 1997.
35 Pour une évaluation plus complète de la politique européenne de Mollet cf. Bossuat (voir n. 4), pp. 291-324. Sur Mollet voir aussi Denis Lefebvre, Guy Mollet le mal aimé, Paris, Plon, 1992, pp. 175-328.
36 Voir par exemple DDF, 1956, I, doc. n. 40.
37 Mongin (voir n. 34), pp. 397-421.
38 AMK 5/3/26 (voir n. 28).
39 AMK C 3/4/79 (voir n. 32).
40 Voir les documents dans AMK C 3/25. Voir aussi AMK 6/3/6, « Déclaration faite par M. Guy Mollet, Président du conseil français aux membres du Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe, Paris, Hôtel Matignon, le 20 septembre 1956 ».
41 Sur l’attitude des États-Unis envers la mission des « trois Sages » voir FRUS, 1955-57, IV, pp. 491-492, 494, 512-518, 522 et 553-554.
42 Voir par exemple les remarques dans Pierre Guillen, « Europe as a Cure of French Impotence ? The Guy Mollet Government and the Negotiation of the Treaties of Rome », in Ennio Di Nolfo (éd.), Power in Europe ? II, Great Britain, France, Germany and Italy and the Origins of the EEC 1952-1957, Berlin, New York, de Gruyter, 1992, pp. 505-516.
43 AMK C 3/4/73, lett., J. Monnet à R. Bothereau, 7.1.1957.
44 AMK C 3/4/75, lett., J. Monnet à R. Bothereau, 24.1.1957.
45 Ibid.
46 AMK C 3/25/33, lett., J. Monnet à G. Mollet, 10.12.1956.
47 AMK 4/3/11, « Aide-mémoire sur la réunion du mercredi 18 janvier 1956 ».
48 AMK 5/3/26 (voir n. 28).
49 Ibid.
50 Ibid.
51 AMK C 3/22/94, lett., J. Monnet à R. Lecourt, 17.6.1958.
52 AMK 5/8/2, lett., J. Monnet à Pineau, Spaak, Brentano, Martine, Bech, 20.7.1956.
53 AMK 5/8/1, lett., Comité d’Action à G. Mollet, 20.7.1956.
54 AMK 5/8/17, lett., Guy Mollet à J. Monnet, 15.9.1956.
Auteur
-
Antonio Varsori
Professeur à l’Université de Florence.
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