Version classiqueVersion mobile

Jean Monnet

 | 
Gérard Bossuat
, 
Andreas Wilkens

Troisième partie. La part de Jean Monnet dans l’unité européenne

De la surenchère atlantiste à l’option européenne : Monnet et les problèmes du réarmement occidental durant l’été 1950

Gérard Bossuat et Philippe Vial

Texte intégral

1 On sait qu’à l’automne 1950, Jean Monnet n’hésita pas à bousculer le rythme initial de la construction communautaire en proposant à René Pleven une solution européenne au problème du réarmement allemand. Négocié à partir de février 1951, ce projet allait donner naissance à un traité qui, bien que signé en mai 1952, fut finalement rejeté par l’Assemblée nationale, après deux ans de valse-hésitation qui déconsidérèrent pour longtemps la France aux yeux de ses alliés. Le crime du 30 août signa l’échec définitif de cette Communauté européenne de Défense et marqua, avec celui de la Communauté politique qui lui avait été adjointe, la fin dramatique de la première phase de l’Europe communautaire.

  • 1 Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? », in Gérard Bossuat, René Girault (éds.), Euro (...)

2Il ne s’agit pas dans cette communication de revenir sur la genèse immédiate de la future CED, dont il est aujourd’hui clairement établi que l’homme de la rue de Martignac fut le père : il y eut un plan Monnet-Pleven comme il y avait eu, quelques mois plus tôt, un plan Monnet-Schuman1. Mais, on ne peut être que frappé, voire déconcerté, de le trouver associé, dans les semaines qui précédèrent le début de sa croisade en faveur d’une armée européenne, à l’élaboration de l’ambitieux partenariat atlantique proposé au gouvernement américain par son homologue français. Les 5 et 17 août 1950, le cabinet Pleven, en réponse aux demandes formulées fin juillet par Washington, avait en effet précisé l’importance de la contribution supplémentaire que Paris était disposé à apporter au réarmement occidental. Mais il en profitait pour lier cet effort à un renforcement considérable de l’organisation atlantique. La création d’un budget commun et d’un fond de stabilisation monétaire constituaient les aspects phares d’un projet développé depuis déjà plusieurs semaines, mais qui trouvait là une consécration solennelle. Contrairement à l’idée de haut conseil atlantique, lancée par Bidault à la mi-avril 1950, et qui resta un ballon d’essai, cet ensemble cohérent de propositions fit l’objet d’une offensive diplomatique de grand style qui, jusqu’en septembre, vit les représentants français plaider sans relâche en sa faveur à Londres, New York et Washington.

3Sans que l’on puisse, pour l’instant, déterminer définitivement les responsabilités des uns et des autres dans ce projet, il est certain que Monnet fut loin d’être étranger à cette entreprise. René Pleven, Maurice Petsche et Hervé Alphand, qui apparaissent aux avant-postes, ne comptaient-ils pas tous parmi ses proches ? Par ailleurs, l’étude détaillée des propositions comme des arguments développés par l’équipe française atteste indéniablement son influence. Mieux, les archives conservées à Lausanne, comme les témoignages recueillis par ailleurs, indiquent clairement que Monnet eut sa part dans l’élaboration de ce « premier plan Pleven », marqué du sceau de la surenchère atlantiste.

  • 2 Monnet ne souffle mot de cette offensive atlantiste dans ses mémoires. René Pleven et Bernard Clapp (...)
  • 3 Les deux récentes biographies publiées sur Jean Monnet en ont donné les premiers éléments d’interpr (...)
  • 4 Cf. Guy Rousseau, « Etienne Clémentel, un inspirateur méconnu de Jean Monnet », in Guerres mondiale (...)
  • 5 « Jamais je ne l’avais encore vu dans un tel état », racontera Eric Westphal, seul auprès de lui du (...)

4L’objet de cette communication est donc de préciser le rôle joué par Monnet durant cette période qui précéda son engagement en faveur d’un « plan Schuman élargi ». Comment le même homme put-il, en l’espace de quelques semaines, s’associer au grand dessein atlantique du nouveau gouvernement avant de s’orienter en faveur d’une solution européenne ? Ironie de l’histoire, c’est René Pleven, pourtant à l’origine de cette surenchère atlantiste, que Monnet allait convaincre d’endosser la paternité officielle de la future CED ! Minoré, voire occulté, par les acteurs2, peu étudié par les historiens, l’été 1950 est pourtant un moment important pour saisir la continuité de la vision monnetiste3. Y sont à l’œuvre des logiques dont il n’est pas exagéré de dire que certaines remontent à la Première Guerre mondiale4. Les permanences ainsi mises à jour offrent les clefs nécessaires pour ressaisir dans une nouvelle globalité le devenir d’un projet dont on sait que l’échec affecta gravement l’inspirateur5.

  • 6 « Le nouveau président du Conseil était un Européen fervent, davantage encore peut-être un admirate (...)
  • 7 Pierre Guillen, « La France et la question de la défense de l’Europe occidentale, du Pacte de Bruxe (...)
  • 8 Cette recherche a été grandement facilitée par le concours de la Fondation Jean Monnet, en particul (...)

5 Mais l’analyse de son rôle durant cette brève période est aussi une occasion unique de compléter notre connaissance du jeu diplomatique français dans cette phase cruciale. La surenchère atlantiste à laquelle Monnet participe trouve son origine dans le constat de carence dressé par nombre de dirigeants français à l’égard de l’Union occidentale. Encore peu explorée, cette volonté de renforcer l’intégration atlantique, patente dès le début de l’année 1950, se cristallise en cet été où le déclenchement de la guerre de Corée vient bouleverser la donne. Or, par sa position, l’homme de la rue de Martignac est au cœur de l’élaboration de la politique extérieure française. Sans en être l’unique « inspirateur », il est certain que la situation d’influence renforcée que lui procure l’avènement du cabinet Pleven, en fait l’un des acteurs essentiels du système6. Occultée dans les meilleurs récits de cette période7, l’étude de son action est pourtant indispensable : n’est-il pas, in fine, celui qui donnera au gouvernement les moyens de sortir de l’impasse où l’a enfermé l’échec de son dessein atlantiste ? Loin de se limiter à un simple récit événementiel, ce coup de projecteur sur une période charnière, offre ainsi l’occasion d’éclairer à la fois les tendances lourdes d’un homme et d’une politique8.

La guerre de Corée relance le jeu

  • 9 George Ball, Les États-Unis face à leur puissance, Paris, Laffont, 1968, pp. 66-67.
  • 10 Vial (voir n. 1), pp. 200-201.
  • 11 Note de réflexion de Jean Monnet, 3 mai 1950, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Lausanne (désorm (...)
  • 12 Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 409.

6Au dire du témoignage célèbre de George Ball, présent à Houjarray le 25 juin 1950, Monnet pressentit immédiatement les conséquences du déclenchement de la guerre de Corée sur la question du réarmement allemand9. Incontestablement, celle-ci se posait déjà depuis plusieurs mois aux yeux du Commissaire général du Plan. Le plan Schuman avait été largement conçu en fonction d’elle et comme un moyen de l’éviter10. Le 3 mai, Monnet avait justifié l’initiative qu’il s’apprêtait à proposer en soulignant qu’elle constituait la seule alternative à une intégration complète de la RFA au camp occidental. Or celle-ci entraînerait une renaissance militaire allemande qui, aux yeux des Soviétiques, aurait toutes les apparences d’une provocation, aux conséquences imprévisibles11. Dans sa logique politique, le plan Schuman était donc un moyen d’éviter un réarmement allemand qui n’aurait fait qu’aggraver cette logique de guerre que Monnet cherchait désespérément à enrayer en ce printemps 1950. Par ailleurs, le projet de pool charbon-acier était concrètement dirigé contre toute renaissance de la puissance militaire allemande. Comme le soulignera plus tard, dans ses Mémoires, l’Inspiratem en personne, « le charbon et l’acier étaient à la fois la clé de la puissance économique et celle de l’arsenal où se forgeaient les armes de la guerre »12. En dénationalisant ses fondements matériels, la création de la CECA sapait à la base toute possibilité de renouveau d’un complexe militaro-industriel indépendant et dangereux.

  • 13 Ibid., p. 406. Un aveu confirmé des années plus tard dans ses mémoires : « Je ne pouvais pas laisse (...)

7Le déclenchement de la guerre de Corée prend donc Monnet à contre-pied : il croyait avoir trouvé avec le plan Schuman le moyen d’enlever au réarmement allemand son caractère inéluctable, et l’accélération imprévue de la Guerre froide relance le jeu. Même clairvoyant, Monnet est lui aussi pris au dépourvu, comme le reste des dirigeants français. Il le reconnaîtra indirectement, quelques semaines plus tard, dès la première formulation de ce qui deviendra la déclaration Pleven et en restera la formule-clef : « Le gouvernement français pensait que la réalisation du plan charbon-acier permettrait aux esprits de s’habituer à l’idée d’une communauté européenne avant que ne fût abordée la question si délicate d’une défense commune. Les événements ne lui laissent pas de répit... »13.

  • 14 Cf. le récit édifiant de la crise que fait Vincent Auriol in Mon septennat, 1947-1954, Paris, Galli (...)

8De fait, lorsqu’éclate le coup de tonnerre de l’invasion nord-coréenne, la conférence de Paris vient à peine d’ouvrir ses travaux, et Monnet peut difficilement rêver pire enchaînement. La veille, le gouvernement Bidault est tombé, ajoutant un facteur de complexité à une négociation qui n’en manque pas. Pendant deux semaines, alors que l’actualité internationale est d’une rare gravité, la France reste dans un entredeux gouvernemental peu propice au suivi attentif que requiert l’urgence de la situation14. Le désarroi institutionnel offre un écho singulier au trouble des esprits, et il est certain que le Commissaire général du Plan a d’autres priorités immédiates que d’examiner le problème du réarmement allemand.

  • 15 Ball (voir n. 9).
  • 16 Melvyn P. Leffler, A Prépondérance of Power. National Security, the Truman Administration and the C (...)

9Il faut donc poser des limites claires à la lucidité de Monnet : si celui-ci comprend immédiatement que l’agression nord-coréenne va pousser les Américains à « insister davantage sur une participation plus importante de l’Allemagne à la défense de l’Occident »15, il songe d’abord à une contribution économique et financière. Ne serait-ce que parce que la renaissance d’une force militaire allemande proprement dite n’a pas encore été décidée à Washington, où il faudra attendre le début août pour que le Rubicon soit franchi16. Face à l’aggravation brutale du risque de guerre, la priorité va d’abord au renforcement des programmes de réarmement en cours dans les pays de l’ Alliance, avant de poser la question brûlante du réarmement allemand.

10Monnet va donc être naturellement conduit à appréhender la situation à la lumière de ses expériences précédentes, celles des années de guerre, où il a à chaque fois contribué à la mobilisation économique et financière, mais aussi celle plus récente du Commissariat général du Plan, où il n’est pas resté à l’écart des questions de défense. Riche, varié, cet ensemble cohérent forme le substratum méconnu de l’été 1950 et, globalement, d’une implication qui perdurera jusqu’à la mi-1952 dans la mise en route de l’organisation atlantique. Une action qui s’appuie sur des contacts, voire des amitiés, plus nombreuses qu’on ne pourrait le croire, au sein des élites militaires.

Monnet et les militaires

  • 17 Cité par Jean Lacouture, De Gaulle, t. I, Paris, Seuil, 1984, p. 387.
  • 18 Roussel (voir n. 3), p. 566. « Je ne veux plus en entendre parler, les raisonnements n’y sont pas n (...)
  • 19 Cf. les souvenirs de Louis Joxe sur la période algéroise : « Chez Jean Monnet, que j’ai beaucoup vu (...)

11Certes, que Monnet n’ait jamais été un habitué des mess est indéniable : son « antimilitarisme foncier », pour reprendre une expression de René Pleven17, ne le prédisposait pas à les fréquenter. « Il est peu à son aise dans un monde pétri de valeurs assez éloignées des siennes, nourri dans le culte de la souveraineté nationale », note fort justement Eric Roussel18. Ardent républicain, il éprouve une méfiance viscérale à l’égard de tout césarisme, ce qui a dressé entre de Gaulle et lui une barrière à bien des égards infranchissable19. Pour autant, et contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, son expérience des officiers ne se limite pas à quelques rencontres de circonstance durant les années de guerre.

  • 20 « Algiers was the gathering ground for exiles homing in on the future France. By going there at the (...)
  • 21 Roussel (voir n. 3), pp. 280-367, et bien sûr Monnet (voir n. 12), pp. 213-251.
  • 22 Monnet l’atteste en tout cas pour Juin ; Monnet (voir n. 12), p. 243.
  • 23 Bossuat (voir n. 18), p. 75.

12Indéniablement, le second conflit mondial a marqué pour lui une rupture en la matière, bien davantage que le précédent. Pour la première fois, il a eu l’occasion de se confronter, voire de se lier avec de hauts responsables militaires, tant français qu’étrangers. Alger constitue de ce point de vue comme pour d’autres, la période la plus riche20. C’est en partenariat avec Catroux et sous le regard d’Eisenhower, qu’il arbitre l’affrontement entre les deux généraux qui se disputent le leadership de la France combattante, au milieu d’entourages où les uniformes prédominent21. C’est également durant cette période qu’il aperçoit sans doute pour la première fois les figures montantes que sont Juin, De Lattre ou Gruenther22. Oui, même en ce qui concerne les militaires, « le monde d’Alger de 1943-1944 est un vivier pour les réseaux Monnet »23.

  • 24 Déjeuner le 29 novembre 1949. Les informations concernant les rendez-vous et les contacts de Monnet (...)
  • 25 Entretien de l’auteur avec Étienne Hirsch, 23 février 1994.
  • 26 Hirsch (voir n. 25), a assisté à chacune de ces rencontres, mais seules celles avec Juin sont réper (...)
  • 27 Entrevue impossible ; remplacée par un entretien téléphonique, le 10 juillet 1950. Agenda (voir n.  (...)
  • 28 Entrevue avec Guillaume, nouveau résident général au Maroc, à la fin novembre 1951, ibid.

13Si la fin de la guerre signifie naturellement la mise en sommeil de beaucoup de ces nouveaux liens, il n’y a pas tarissement pour autant. Le Commissaire général du Plan continue à voir occasionnellement des officiers, ne serait-ce que de vieilles connaissances comme Catroux24. Par ailleurs, sa volonté de connaître ceux qui comptent dans tous les milieux l’amène à pratiquer une politique de contacts systématiques, dont les chefs militaires ne sont pas exclus25 : De Lattre, Juin sont ainsi reçus rue de Martignac26. Parfois, ce sont même eux qui sollicitent une entrevue, à l’instar de Béthouart, haut-commissaire en Autriche27. D’autre part, les questions de développement sont sans doute à l’origine de ses rencontres avec certains proconsuls, Juin encore, ou Guillaume28. Rien de ce qui touche aux grands équilibres économiques et financiers n’est étranger au Commissariat du Plan. Et en ces temps de pénurie, le poids des dépenses de défense ne peut que préoccuper les hommes de la rue de Martignac. L’aggravation de la Guerre froide, à partir de la fin des années quarante, va considérablement renforcer leur implication.

  • 29 Entrevues le 13 mars (avec le général Blanc et Alphand), et le 8 novembre 1950, ainsi que les 15 (a (...)
  • 30 Déjeuner chez Pleven (avec Bidault et Mayer) le 24 août, entrevue le 4 septembre 1951. Ibid.
  • 31 Entrevues les 19 juillet., 11, Met 19 août 1951,plus nombreux entretiens téléphoniques durant toute (...)
  • 32 Entrevues les 18 et 23 août 1951. Ibid.
  • 33 Un constat déjà dressé par Massigli. Cf. Bossuat (voir n. 18), p. 77.

14Jusqu’au départ de Monnet pour Luxembourg, à la mi-1952, son équipe apporte sa contribution à la mise en défense du camp occidental. Les visites de responsables militaires se font plus nombreuses, de nouveaux visages apparaissent comme ceux du général Ély29 ou du préfet Jean Mons, nommé au printemps 1950 à la tête du tout nouveau Secrétariat général permanent de la Défense nationale. Surtout, les liens tissés à Alger se renouent, et de vieilles connaissances refont leur apparition. Eisenhower bien sûr, qui revoit Monnet à plusieurs reprises après le célèbre déjeuner où celui-ci l’a converti à la CED30. Gruenther, qui est de loin le plus régulier31 mais aussi, parmi bien d’autres, le colonel Goodpaster ou le général Schuyler32. Dans cet aréopage renouvelé de militaires, à forte coloration interalliée33, deux noms émergent qui, à eux seuls, suffiraient à prouver l’existence de contacts en profondeur entre Monnet et la haute armée. Avec les généraux Blanc et Linarès, celui-ci dispose en effet d’informateurs de premier ordre.

  • 34 Roussel (voir n. 3), pp. 308-310.
  • 35 Monnet (voir n. 12), p. 222.
  • 36 André Cousine, « Linarès (François de) », in Philippe Masson (dir.), Dictionnaire de la Seconde Gue (...)
  • 37 Il reçoit le commandement des forces françaises du Viêt-nam du Nord et de la zone opérationnelle du (...)

15Rencontré à Alger dans l’entourage de Giraud, dont il était devenu le chef de cabinet après l’avoir fait évader d’Allemagne, Linarès est un parfait représentant de cette armée d’Afrique qui a fourni le socle du renouveau après la défaite34. Dans le climat si tendu de cet été 1943, cet « esprit droit et ouvert »35 s’est vite révélé un intermédiaire précieux. Une véritable amitié est née entre les deux hommes, qui ne se démentira jamais. Après s’être illustré avec Juin en Italie, il s’est fait à nouveau remarquer en Provence, sous les ordres de De Lattre cette fois, dont il est devenu le chef d’état-major début 194536. Apprécié à la fois de ces deux grandes figures, Linarès est un officier d’avenir dans l’armée d’après-guerre. Commandant d’une division, puis d’une région militaire, il va rejoindre De Lattre en Indochine, début 1951, et sera avec Salan l’un de ses plus proches collaborateurs durant cette année d’anthologie37. Politique à ses heures, l’homme est également un opérationnel réputé, à la différence de Blanc, plus féru de logistique, mais qui n’est autre que le chef d’état-major général de l’armée de Terre !

  • 38 Le colonel Blanc, alors sous-chef de l’état-major général « Guerre », assurait les liaisons avec Mo (...)
  • 39 Il a succédé en décembre au général Revers, écarté à la suite de « l’Affaire des généraux ». Jean P (...)
  • 40 Pour la seule année 1950, l’agenda de Monnet porte la trace de huit rendez-vous avec le général Bla (...)
  • 41 En voie de marginalisation depuis le départ du général Juin, au printemps 1947, la fonction de chef (...)
  • 42 La défense de la frontière de l’Est a en effet le plus souvent primé sur le développement du Sea Po (...)
  • 43 Vial, « De l’impuissance à la renaissance... » (voir n. 41), p. 51. Léchères demeurera en poste de  (...)

16Découvert lui aussi à Alger, où il s’occupait déjà du réarmement38, ce polytechnicien est devenu un familier de la rue de Martignac depuis que, fin 1949, il a accédé aux plus hautes fonctions39. Monnet, qui a gardé un excellent souvenir de lui, a immédiatement pris l’initiative de renouer, et les entrevues sont devenues régulières40. Étienne Hirsch met en avant le souci de son patron d’en savoir plus sur le conflit indochinois. Sans doute faut-il également tenir compte de ses préoccupations en matière de réarmement. La nomination de Blanc intervient au moment où les programmes décidés fin 1948 n’ont cessé d’être étoffés, alors que leur financement demeurait toujours aussi problématique. Le Commissaire général du Plan est certainement désireux d’en savoir davantage, et ne peut que saisir l’extraordinaire opportunité que lui offre l’accession de cette vieille connaissance au poste le plus élevé de l’appareil militaire. Pour l’instant dépourvu d’un chef d’état-major interarmées41, celui-ci est en effet dominé par le responsable d’une armée de Terre qui représente traditionnellement, en France, l’essentiel des forces et des dépenses42. Blanc, comme ses collègues, Léchères à l’armée de l’Air ou Lemonnier, puis Nomy, à la Marine, va constituer l’une des figures essentielles de ce groupe encore peu connu de chefs d’état-major, plus gestionnaires que stratèges qui, au tournant de la décennie, vont mener à bien le réarmement des forces armées que l’aggravation de la Guerre froide rend indispensable43.

  • 44 Agenda (voir n. 40). Cf. Vial, « De l’impuissance à la renaissance... » (voir n. 41), p. 46.

17Or, une question domine toutes les autres : où trouver l’argent ? Un souci que ces chefs partagent avec le Commissaire général du Plan, dont les objectifs de stabilité socio-économique sont évidemment menacés par la flambée des dépenses de défense, on y reviendra. D’ailleurs, en ce mois de juillet 1950, c’est le colonel Gallois, chef de cabinet de Léchères, qui, le 20, prend rendez-vous pour ce dernier, vraisemblablement pour venir présenter la grande loi-programme aéronautique qui sera votée le 19 août suivant44. Dans ce contexte, Monnet, qui a apprécié à Alger la droiture et l’efficacité de Blanc, trouve chez lui un interlocuteur rêvé. D’ailleurs celui-ci, loin de se dérober, accepte immédiatement de jouer le jeu. Une fois encore, l’inspirateur a su repérer the right man, in the right place, at the right time.

  • 45 Philippe Vial, Claude d’Abzac-Epezy, « Les Europe des militaires : forces armées et enjeux européen (...)
  • 46 Georges-Henri Soutou, « La sécurité de la France dans l’après-guerre », in Maurice Vaisse, Pierre M(...)

18Proche lui aussi de De Lattre, dont il a été l’adjoint à l’inspection générale de l’armée de Terre, puis le chef d’état-major lorsqu’il a pris le commandement des forces terrestres de l’Union occidentale, fin 1948, Blanc appartient de facto à cette mouvance euro-atlantiste dont le futur maréchal de France est l’une des têtes pensantes45. Georges-Henri Soutou avait, le premier, relevé « l’extraordinaire convergence de [sa] réflexion » avec celle de Monnet46. Blanc, comme Linarès, est un relais possible entre les deux hommes. Si seul ce dernier a conservé des relations avec le Commissaire général du Plan dans l’immédiat après-guerre, Blanc a au moins pu témoigner auprès de De Lattre de la qualité du travail accompli par l’équipe Monnet à Alger. A partir de la fin 1949, on l’a vu, les choses changent, et il serait étonnant que le nouveau chef d’état-major ne se soit pas entretenu avec son ancien patron de sa collaboration avec l’Inspirateur

  • 47 Bossuat (voir n. 18), p. 77.
  • 48 Ibid., p. 74.
  • 49 « Monnet avait-il un réseau chez les militaires français ? », s’interroge Gérard Bossuat. « Ses rap (...)
  • 50 Cf., à propos de l’Algérie, le témoignage du général Le Diberder qui, jeune officier des Affaires i (...)

19Personnage discret mais essentiel, le général Clément Blanc témoigne de ce que « le choix de l’influence à travers de hauts personnages » que relève Gérard Bossuat47, s’étend également aux élites militaires, et pas seulement françaises. Car là aussi, là surtout, compte tenu du contexte, le réseau de Monnet est « profondément international »48. Avec Blanc et Linarès, Gruenther apparaît comme l’une des figures centrales de cet ensemble de relations. Certes, sa faiblesse relative interdit sans doute de parler de « réseau » au sens strict du terme49. Les contacts de Monnet en la matière sont beaucoup moins développés qu’avec le monde de la finance ou de la politique, on ne se refait pas. Mais lorsque le besoin s’en fait sentir, l’homme de la rue de Martignac, avec le sens de l’opportunité qui le caractérise, sait réactiver d’anciennes relations ou en créer d’autres50. Et puis leur qualité compense leur petit nombre. L’anonymat dans lequel a sombré le général Blanc ne doit pas aboutir à sous-estimer l’importance de son action durant la période, à tout prendre aussi déterminante que celle d’un Juin ou d’un De Lattre.

Monnet et les questions de défense

  • 51 Entretien avec l’auteur (voir n. 25).
  • 52 Cf, à titre d’exemple, Philippe Vial, Arnaud Balvay, « Les administrations militaires et la reconst (...)

20Il faut donc nuancer sérieusement l’idée, trop souvent répandue, d’un Monnet peu au fait des questions militaires. Si l’art de la guerre lui est étranger, tout ce qui ressort de l’effort de défense l’intéresse, pour une raison simple, que rappelait Étienne Hirsch51 : il veut savoir où va l’argent. Grand ordonnateur de l’effort de reconstruction nationale depuis 1945, le Commissaire général du Plan n’ignore pas que celui-ci se nourrit en bonne part de la cure d’austérité imposée aux forces armées52.

  • 53 Commissariat général du Plan, Note sur les demandes militaires considérées dans le cadre des possib (...)
  • 54 Gérard Bossuat, « Paul Ramadier et le plan Marshall : une rupture en politique étrangère », in Serg (...)
  • 55 Commissariat général du Plan, Note sur les demandes (voir n. 53).
  • 56 Comité central d’Enquête sur le coût et le rendement des Services publics (désormais CCE), Note de (...)
  • 57 CCE, Conclusions sur le problème des effectifs des armées françaises et l’institution d’un service (...)

21Il a lui-même été appelé à étudier la question, début 1947, à la suite d’une conférence interministérielle consacrée aux budgets de la Défense53, sans doute à relier à la situation de grave pénurie qu’a trouvée Paul Ramadier en s’installant à Matignon, le mois précédent54. Au cours de cette réunion, Monnet a en effet été chargé par le Président du Conseil de « situer les demandes des départements militaires dans le cadre général des possibilités du pays en crédits, en hommes et en matières »55. Réalisée en collaboration avec le Secrétariat général du ministère des Armées, cette étude de fond, appelée à faire référence56, préconisait des réductions drastiques, tant sur le plan financier que sur celui des ressources en métaux ferreux ou en main d’œuvre. Estimés à 670 000 hommes, les effectifs des forces armées devaient ainsi être ramenés à 510 000 à la fin de l’année pour ne pas « entraver le recrutement de la main d’œuvre civile et, par suite, le redressement économique du pays »57.

  • 58 Ibid.
  • 59 CCE, Note de M. Garnier (voir n. 56).
  • 60 CCE, Conclusions (voir n. 57).

22Loin d’être isolée, cette démarche participait d’une volonté de rationaliser les dépenses militaires, marquée, dès cette époque, par d’autres tentatives d’évaluation. Dans le cadre du Comité central d’Enquête sur le coût et le rendement des Services publics, une « Mission Armées », composée de deux conseillers référendaires à la Cour des Comptes, d’un conseiller d’État et d’un inspecteur des Finances, produisit plusieurs études décapantes, en particulier sur le coût du service national58. S’appuyant sur les conclusions du rapport Monnet, cette mission reprenait à son compte ses propositions de réduction d’effectifs, soulignant à son tour qu’elle « exercerait certainement une influence notable sur le redressement économique »59. Elle n’hésitait d’ailleurs pas à suggérer d’affecter la moitié du contingent à des travaux d’intérêt général pour « donner à l’économie française l’appoint de main d’œuvre mobile qui lui [faisait] (...) défaut dans les secteurs clefs »60.

  • 61 Charles S. Maier, « Finance and Defense : Implications of Military Intégration, 1950- 1952 », in Fr (...)
  • 62 Note sur l’effort de réduction des dépenses militaires, signée Philippe Huet, conseiller chargé des (...)
  • 63 « Vous m’avez demandé de rechercher certains renseignements concernant les dépenses militaires, le (...)
  • 64 Etude sur le pourcentage du revenu national consacré aux dépenses militaires en France et à l’étran (...)

23Il faudrait bien sûr disposer de plus amples informations pour pouvoir mesurer la signification réelle de ces divers audits. Pourtant il semble bien qu’au lendemain de la guerre, la nécessité de comprimer énergiquement les budgets militaires ait suscité une prise en compte nouvelle de la globalité de l’effort de défense. Née de la pénurie, cette évolution allait prendre toute sa dimension à l’occasion du réarmement, quelque temps plus tard. Comme l’a montré Charles Maier, la mise en route de l’OTAN fut marquée par un effort de rationalisation sans précédent, à l’échelle des nations atlantiques, de la gestion des dépenses militaires61. Mais force est de constater que ce mouvement était à l’œuvre depuis déjà plusieurs années au sein d’une partie de l’administration française. L’adoption du PNB comme critère normalisé pour mesurer l’effort de défense de chaque pays, que Charles Maier retient comme l’un des signes les plus tangibles de cette évolution, est patente dès 194762. Deux ans plus tard, la mise en route du réarmement s’accompagne d’un vigoureux effort d’information, pour lequel on n’hésite pas à solliciter l’INSEE63. L’approche internationale est désormais privilégiée, et donne lieu à des études très fouillées, où le PNB est un élément de comparaison essentiel64.

  • 65 Le 4 avril 1950, par exemple, c’est Hirsch qui représente le Commissariat à la réunion organisée à (...)

24Compte tenu de son rôle, le Commissariat général du Plan ne pouvait être étranger à cette évolution, qui cadrait parfaitement avec l’appréhension globale des forces et faiblesses de l’économie française à laquelle il s’essayait chaque jour. La Victoire n’a donc pas mis fin à l’implication de Monnet dans les questions de défense, bien au contraire. Il continue à sa manière d’être un expert reconnu, dont les avis sont écoutés. Outre des missions ponctuelles comme celle de février 1947, des liens structurels existent entre la rue de Martignac et les instances militaires, par l’entremise de plusieurs comités interministériels. Des représentants du Commissariat participent ainsi régulièrement à la Commission de Défense nationale des Transports65.

  • 66 L’Ing. gai du Génie maritime Balland à M. le Ministre de la Défense nationale, 16 août 1949, ADA, 5 (...)
  • 67 Le Ministre de la Défense nationale à M. l’Ing. gai du Génie maritime Balland, 16 août 1949, ADA, 5 (...)

25Surtout, Monnet lui-même siège au Comité spécial des Investissements qui, sous la présidence du Gouverneur de la Banque de France, Wilfrid Baumgartner, s’intéresse de près à ceux consacrés au secteur de la Défense. Sa participation y est tout, sauf nominale. « Je dois signaler que MM. Baumgartner, Monnet et Goetz ont beaucoup insisté pour que les investissements soient présentés non seulement par nature d’opérations, mais également par missions », rapporte l’ingénieur général Balland en août 1949. « J’ai senti en particulier que M. Monnet considérait comme très important que ressortent nettement les dépenses correspondant au poste « Indochine »66. Un souci du détail au demeurant fort peu prisé de Ramadier, alors en poste rue Saint-Dominique, défenseur intransigeant de ses prérogatives ministérielles67.

  • 68 Guillen (voir n. 7), p. 93.
  • 69 CCE, Note d’information sur le coût et le rendement des armées françaises en 1948, sans date, mais (...)
  • 70 Ibid.

26Il est vrai que dès cette époque l’emballement des dépenses militaires tend l’atmosphère. Lors de deux réunions successives à Londres, puis à Luxembourg, les membres de l’Union occidentale ont décidé, au printemps 1949, de programmes additionnels d’armement, qui viennent s’ajouter à ceux envisagés depuis l’automne 1948 en France, et dont le financement s’avère déjà hautement problématique68. La vigilance de Monnet s’exerce dans ce contexte, et ne se relâchera pas. Elle ne peut être qu’alimentée par le constat sans appel, dressé à maintes reprises par les services centraux du ministère de la Défense. « Les pouvoirs publics n’ont actuellement qu’une influence lointaine et spasmodique sur les départements militaires, dont l’action se développe dans une quasi-indépendance » relève, fin 1948, la mission « Défense nationale » du Comité central d’Enquête69. Il est vrai que la complexité des dossiers n’encourage guère les non-initiés à s’y aventurer. « Les militaires le savent, et ont toujours réussi, depuis trois ans, à conserver le monopole des conseils et des décisions.70 »

  • 71 Anonyme, Note préliminaire aux budgets militaires de l’exercice 1949, sans date, mais vraisemblable (...)
  • 72 Ibid.

27Gestionnaire sourcilleux des ressources nationales, le Commissaire général du Plan ne peut rester indifférent à cet état de fait, à l’heure où les dépenses de ce secteur vont s’emballer. Car l’état des forces armées est pitoyable, leur sous-équipement en particulier n’est pas sans rappeler les plus mauvais souvenirs des années de guerre. « Le capital des armées françaises a été détruit, le matériel terrestre et l’aviation en 1940, la flotte en 1942 », résume la mission « Défense nationale ». « Le matériel actuel n’est qu’un agglomérat de reliquats infimes et de cadeaux disparates ». Les besoins sont vertigineux, et leur satisfaction exigera des sommes colossales que les budgets nationaux sont incapables de fournir. Dès la fin 1948, il est notoire que « la France est incapable de financer son réarmement »71. Car, souligne une note du cabinet de Ramadier, « les charges financières de l’année en cours ont été supérieures de plus de 50 % à ce que la Nation pouvait supporter sans aggraver sa décadence... Il n’y a dans ce domaine d’autre solution que l’aide interalliée »72.

  • 73 Agenda (voir n. 24).
  • 74 Ibid.
  • 75 Guillen (voir n. 7), note 46, p. 90.
  • 76 Maier (voir n. 61), pp. 337 et 341.

28Comment Monnet ne serait-il pas aux avant-postes ? L’ami des Américains, l’inspirateur du Victory Program, celui qui à des titres divers a participé à l’effort militaire français des deux guerres mondiales, a quelques titres à faire valoir. Les 13 et 14 avril 1950, il rencontre Pleven, qui a succédé à Ramadier rue Saint-Dominique, pour parler spécialement des programmes du Pacte de Bruxelles73. Aux mêmes dates, il est en contact soutenu avec le général Blanc74, mais aussi avec Alphand qui achève de formuler ses projets de réforme atlantique75. Une activité intense, sans doute à mettre en rapport avec l’adoption par l’OTAN, à ce moment précis, du Medium Term Defense Program, qui conduit à l’élaboration par le gouvernement d’un nouveau « programme prioritaire » d’armement76.

  • 77 Ministère de la DN, Comité technique des Programmes des Forces armées, Rapport sur les dépenses d’i (...)
  • 78 Et de tous les responsables occidentaux comme le souligne Alan Milward in « NATO, OEEC, and the Int (...)

29Bien avant la genèse du plan Pleven, l’Inspiratem est donc associé de près à la gestion des questions de défense. Le lancement de programmes de réarmement sans cesse plus ambitieux ne saurait se faire sans lui, d’autant que, comme le rappelait un rapport de septembre 1949, « leur exécution ne doit pas compromettre la stabilité des monnaies ni l’économie générale des pays de l’Union occidentale, non plus que leur effort de redressement »77. Un objectif qui va devenir le leitmotiv des dirigeants français durant l’été 195078, et renvoie à ce qui est depuis cinq ans, la raison d’être du Commissariat général du Plan.

  • 79 Hitchcock (voir n. 7), p. 387.
  • 80 Ibid., p. 389.

30Or, comme le souligne William Hitchcock, l’explosion des dépenses militaires intervient au moment où l’effort entrepris porte enfin ses fruits. « La stabilité économique, si fuyante jusqu’alors, avait commencé à s’enraciner au cours de l’année 1950 ; l’appareil productif avait été tellement revigoré par les apports massifs en capitaux du plan Monnet que les exportations allaient bientôt compenser les importations ; et le plan Schuman apparaissait offrir à la France et à l’Allemagne le moyen de résoudre leur différents politiques sur un plan économique, tout en contribuant à la stabilisation de l’Europe »79. Le déclenchement du conflit coréen va catalyser les menaces que font planer depuis la fin 1948 l’accumulation des plans de réarmement, et que dénoncent déjà vigoureusement de nombreux experts, tel Olivier Wormser, qui a remplacé Alphand, en mai, à la tête du Service de Coopération Économique80. Le déficit de la balance des paiements risque de se creuser de manière vertigineuse, l’inflation de repartir. Vraiment, pareil effort militaire n’est guère compatible avec l’édification de l’économie libérale et ouverte que la France cherche à établir en Europe.

31Au-delà du plan Schuman, qui n’en est jamais qu’un des aspects, c’est donc toute l’œuvre de reconstruction entreprise depuis cinq ans, qui est remise en cause. Lorsque le déclenchement de la guerre de Corée bouscule les échéances, à la fin juin 1950, l’urgence pour Monnet est constituée moins par le problème du réarmement allemand que par la manière dont la France va pouvoir assumer le sien.

Au cœur du pouvoir

  • 81 Une nouveauté toute relative, puisque Schuman, Petsche et Edgar Faure gardent leurs portefeuilles r (...)
  • 82 L’ensemble de ce développement est inspiré de Jean-Pierre Rioux, « La mort de René Pleven », in Le (...)
  • 83 Duhamel (voir n. 82), p. 801.

32Cette hiérarchie des priorités, Monnet la partage indéniablement avec la nouvelle équipe dirigeante81. Formé le 10 juillet, le cabinet est présidé par un homme que tout son itinéraire a préparé à assumer les exigences du moment. Ancien candidat malheureux à l’inspection des finances, René Pleven a fait carrière jusqu’en 1939 dans le monde des affaires, au service de grandes compagnies américaines82. Monnet en a parrainé les débuts, après l’avoir accueilli dans son équipe comme expert financier en 1927, à Varsovie. Sous son autorité, il est à partir de 1939 l’un des responsables du Comité de coordination franco-britannique, qui gère l’ensemble des importations alliées. Aux avant-postes de l’économie de guerre, il assume la direction de la mission d’achat installée à Washington, qu’il ne quitte que pour rejoindre de Gaulle, dès juin 1940. Membre éminent de la France libre, il y exerce des responsabilités variées qui lui donnent une expérience gouvernementale très complète, en particulier sur le plan financier. Titulaire du portefeuille de décembre 1944 à janvier 1946, Pleven, contrairement à beaucoup de dirigeants français de l’époque, est donc un familier de ces questions, au point qu’on l’assimile parfois – comme son mentor ! – à un businessman américain. Mais la comparaison n’est pas exclusive puisque les mêmes en font également, entre autres, un officier de carrière83.

  • 84 Mais il y reviendra en mars 1952 pour y demeurer – sous trois cabinets différents – jusqu’en juin 1 (...)

33A défaut d’avoir embrassé comme son père le métier des armes, le nouveau président du Conseil s’est frotté depuis longtemps aux questions militaires. Pendant le dernier conflit, bien sûr, puisque, selon la formule célèbre « l’argent est le nerf de la guerre ». Mieux, c’est en s’installant à l’Hôtel de Brienne qu’il a renoué avec la carrière ministérielle, en octobre 1949 ; il ne le quittera, en juillet 1950, que pour rejoindre Matignon84. En charge de la Défense dans le cabinet Bidault, René Pleven a donc eu huit mois pour prendre la mesure des problèmes vertigineux que pose le réarmement en cours. Il a en particulier vécu les débuts trop lents de l’aide militaire américaine, et les limites criantes d’un système de sécurité qui juxtapose l’insuffisance de l’Union occidentale aux balbutiements de l’OTAN.

  • 85 Ibid., p. 803. On notera que cette préoccupation a joué dans son refus initial d’aller à Matignon : (...)
  • 86 Ce qui constitue une première, dont Pleven restera toujours très fier. Cf. son interview à la FJM, (...)

34« Traumatisé comme la plupart des hommes de sa génération par l’effondrement de 1940 », le nouveau président du Conseil va subordonner toute son action à l’impératif de défense de la nation85. Dix ans après, dans des circonstances vécues comme pratiquement similaires, il se retrouve une fois encore aux côtés de l’inspirateur qui, de Maurice Petsche, le ministre des Finances, à Robert Schuman ou Guy Mollet, ministre d’État chargé du Conseil de l’Europe86, compte de très nombreux amis et appuis au sein du gouvernement.

  • 87 Analyse détaillée dans Vial (voir n. 1), pp. 208-210.

35Il faut le souligner : rarement Monnet aura été en pareille situation d’influence87. Pour la première fois, et l’une des seules de sa carrière, il a simultanément l’oreille du ministre des Affaires étrangères et du président du Conseil. C’est donc tout naturellement qu’il est associé à la définition de la position française face au problème du réarmement occidental. S’il en fallait une preuve formelle, un simple coup d’œil à son agenda, ou aux blocs-notes téléphoniques de son secrétariat, attesterait immédiatement la fréquence de ses rencontres avec la plupart des poids lourds de ce gouvernement. Nous ne possédons malheureusement pas le compte rendu des multiples entretiens qui en résultèrent, mais certains indices donnent, à l’occasion, une illustration concrète du travail d’inspiration mené par Monnet.

  • 88 New York, Simon and Schuster, 1949, 270 p.
  • 89 Le 24 juillet, le secrétariat de Monnet demande à celui de Pleven que Modem Arms and Free Men soit (...)
  • 90 Leffler (voir n. 16), p. 384.
  • 91 Bush (voir n. 88).
  • 92 Ibid., p. 8.

36On note ainsi que le livre de l’Américain Vannevar Bush, intitulé Modem Arms and Free Men. A Discussion of the Rôle of Science in Preserving Democracy 88, a circulé dans de nombreuses mains gouvernementales. Pleven, Mollet et Clappier ont emprunté rue de Martignac l’ouvrage publié l’année précédente par l’ancien président du National Defense Research Committee durant la guerre89. Difficile d’imaginer que Monnet n’ait pas croisé à l’époque celui qui était l’un des grands responsables de l’effort de défense. En cette période où démarre le réarmement, Bush demeure un expert écouté90, dont l’ouvrage se veut « un examen de la grande mutation par laquelle la science et la démocratie affectent toutes deux la nature de la guerre »91. Selon lui, les succès foudroyants de la science n’ont pas seulement modifié les conditions de l’affrontement, mais également « la philosphie sous-jacente avec laquelle les hommes abordent les problèmes de leur organisation, de leur gouvernement et de chacun des aspects de leur existence »92. Une vision des choses dont le caractère radical n’est pas sans annoncer quelques-uns des postulats qui vont fonder les positions défendues par les Français, à partir de la fin juillet.

Une certaine idée de l’Alliance

  • 93 Cf. Maurice Vaisse, « L’échec d’une Europe franco-britannique ou comment le pacte de Bruxelles fut (...)
  • 94 Guillen (voir n. 7), pp. 80-89.
  • 95 Ibid., pp. 89-91. Alphand, lui-même, a évoqué son rôle moteur durant cette période. « J’avais rédig (...)

37Ces dernières sont l’aboutissement d’une réflexion collective de leurs élites dirigeantes, née de la déception provoquée par le pacte de Bruxelles. Patente dès sa mise en place93, celle-ci n’a fait que s’aggraver au cours de l’année 1949, et a amené Paris à prôner un développement sans précédent de l’intégration atlantique94. Plusieurs notes d’Hervé Alphand, rédigées entre la fin février et le début avril 1950, en constituent actuellement la meilleure formulation connue95.

  • 96 Ministère des Affaires étrangères, Note de la Direction politique pour le ministre, 10 avril 1950. (...)

38« A la base », note Pierre Guillen, « une conviction et une constatation ». La conviction que, seul, un renforcement du potentiel de l’Europe occidentale peut avoir un effet dissuasif sur une URSS qui sera capable d’entrer en guerre d’ici cinq ans. La constatation que les efforts accomplis par les pays de l’Union occidentale restent dérisoires, et que l’état précaire de leurs finances les empêche d’assumer seuls le coût faramineux du réarmement. Une seule solution, poser le problème à l’échelle atlantique, en n’hésitant pas à envisager des limitations de souveraineté pour donner à l’effort collectif toute l’efficacité nécessaire. La création d’un budget intégré, permettant une répartition équitable des charges, apparaît dès lors comme un élément central du dispositif. Elle doit s’accompagner de l’instauration, à la tête de l’Alliance, d’un organe moteur, doté de pouvoirs de décision, capable d’exercer une « autorité supranationale fondée sur l’intérêt commun »96.

  • 97 Guillen (voir n. 7), et « Les militaires français et la création de l’OTAN », in Vaïsse, Mélandri, (...)
  • 98 Wall (voir n. 7), pp. 276-77 ; L’Année politique 1950, Paris, Éditions du Grand Siècle, 1951, pp. 9 (...)
  • 99 « Il n’a pas d’idées arrêtées concernant la composition d’une pareille instance ou les principes qu (...)
  • 100 Guillen (voir n. 7), p. 90.
  • 101 Note de réflexion, 3 mai 1950, FJM, AMI 1/4/1.

39Partagée tant par les autres responsables du Quai d’Orsay que par les chefs militaires97, cette analyse trouve une première expression publique à la mi-avril, avec la proposition Bidault de « Haut Conseil de l’Atlantique pour la paix »98. Son caractère vague, qui traduit le fait que l’administration est encore en pleine réflexion99, ne doit pas masquer que ce ballon d’essai reflète, au contraire, l’effervescence atlantiste qui caractérise à cette époque les cercles dirigeants français. Pleven est déjà au cœur de ce mouvement100, tout comme Monnet. En témoigne sa note de réflexion du 3 mai, on ne peut plus explicite : « Nous passons graduellement de la phase d’organisation de l’Europe, avec l’assistance des États-Unis, dont les instruments étaient le plan Marshall, le pacte à Cinq, Strasbourg, à une organisation dite atlantique, dont l’objet est d’inclure les forces économiques et militaires des Etats-Unis dans un groupement atlantique comprenant l’Europe de l’Ouest, la Grande-Bretagne, les États-Unis et les dominions britanniques »101.

  • 102 Et que l’on retrouve dans l’un des rares documents que l’on possède pour les semaines qui précèdent (...)

40L’essentiel est dit. Monnet ne variera pas dans cette typologie des trois mondes, formulée pourtant à la veille du lancement de la construction communautaire. Elle va constituer le cadre conceptuel de son action durant toute l’année 1950, puisque c’est encore elle qu’il invoquera, le 3 septembre, dans sa lettre fondatrice à René Pleven102. Il serait donc vain d’opposer un Monnet atlantiste à un autre, européen : Monnet est atlantiste parce qu’il est nécessaire de l’être pour devenir européen. Les conditions historiques sont telles que les deux sont aussi indissociables que... différents.

  • 103 Interview de Milton Katz à la FJM, 8 janvier 1988.

41Dînant à la même époque en tête-à-tête avec le très influent Milton Katz, qui a succédé à Harriman comme représentant spécial pour l’European Recovery Program, le Haut-Commissaire du Plan ne mâche pas ses mots, c’est le moins qu’on puisse dire. Interrogé par l’ambassadeur sur ses motivations profondes dans la genèse du plan Schuman, il lui répond tout à trac : « La France a été occupée par les Allemands. Puis elle l’a été par vous »... Il m’a montré du doigt, se souviendra Katz, en me disant : « Vous êtes des gens bien, et vous nous aidez à nous en sortir, mais le fond de l’affaire c’est que vous faites la loi chez nous, et pas nous. Les Allemands sont occupés par vous et par les Russes. Quelle est la source de l’attachement d’un Français à la France et d’un Allemand à l’Allemagne ? C’est une combinaison de sécurité et d’honneur, voyez-vous. Eh bien, comment un Français pourrait-il se sentir sérieusement en sécurité, ou attaché à son pays, après que celui-ci a été occupé par tout le monde ? Comment un Allemand peut-il se sentir en sécurité, et attaché à son pays, quand celui-ci est occupé par tout le monde ? Nous avons besoin d’une plus grande unité. Et ce doit être la nôtre, et vous n’avez pas à y être. Dès que vous êtes quelque part, vous faites la loi. Nous avons besoin d’une unité qui soit la nôtre »103.

  • 104 « Chacun a ses caractéristiques fondamentales dues à un long passé, à une histoire que les plus gra (...)
  • 105 Lettre de Jean Monnet à René Pleven, 3 sept. 1950, FJM, AMI 4/3/6. Ce texte a été publié pour la pr (...)

42Difficile d’être plus clair ! La lucidité décapante de Monnet au sujet des rapports de force euro-atlantiques n’a rien à envier à celle d’un De Gaulle. A dire vrai, ces propos ne sont pas pour surprendre. Ils expriment sans fard une vision des choses qui transparaît déjà dans sa note du 3 mai, lorsqu’il souligne avec force les différences irréductibles des trois mondes constituant le « groupement atlantique » qu’il appelle de ses vœux104. Début septembre, il sera encore plus explicite lorsqu’il résumera à René Pleven son projet politique. « Devant le mystère russe, nous devons poursuivre notre action d’armement. Mais, dans cette voie, nous sommes avec des associés. Il se trouve que ces associés sont les plus puissants, et qu’ils nous ont aidé, et que sans eux nous ne serions pas sortis des difficultés « matérielles » d’après-guerre. Mais leur aide, si importante, a fait prendre de mauvaises habitudes à tout le monde, à eux-mêmes et à nous. Leur aide a été matérielle. Ils continuent à penser en termes matériels »105. La reconnaissance des mérites de l’assistance américaine n’entraîne aucune complaisance. Au contraire, l’analyse de ses limites débouche sur une critique de fond, qui induit un renversement des rôles. « Je vous propose d’apporter à nos associés la contribution d’une pensée forte, constructive, déterminée à créer en même temps notre défense extérieure en Europe, notre développement social intérieur, la paix en Orient, la constitution organisée de notre monde libre atlantique, sous les formes diversifiées qui le composent : les Etats-Unis, l’Empire britannique, l’Europe continentale de l’Ouest, fédérée autour d’un plan Schuman développé ».

43En bon businessman, Monnet ne voit dans les Américains que des « associés », partenaires indispensables s’il en est, mais qu’il faut traiter avec le détachement ordinaire du monde des affaires. S’il ne dénonce pas cette fois leur hégémonisme, sa répartition des rôles indique assez qu’il récuse toute subordination à leur égard. Plus inspirateur que jamais, le Commissaire général ne propose rien de moins que de transposer sa pratique au cœur des rapports franco-américains ! Et, démiurge jusqu’au bout, il entend régler ainsi l’ensemble des problèmes, qu’il s’agisse de la guerre d’Indochine ou du réarmement en Europe, dont le coût – leitmotiv chez Monnet – ne doit pas mettre en danger les équilibres sociaux et économiques, quelles que soient les pressions américaines en faveur d’un effort de défense accru.

  • 106 Cf. également la brillante démonstration d’Éric Roussel (voir n. 3), p. 570.
  • 107 La mauvaise volonté manifeste de Monnet devait profondément décevoir ses deux collègues anglo-saxon (...)

44Alors, peut-on encore en faire un agent de l’impérialisme yankee ? L’injustice de l’accusation est patente106, comme le prouvera son attitude au sein du Comité des Sages, institué en septembre 1951 pour rationaliser les dépenses des pays membres de l’OTAN107. Un faux procès qui ne doit pas seulement aux polémiques. Il renvoie également au climat de Guerre froide, à la tension idéologique et politique du moment, peu propice aux analyses nuancées. L’atlantisme de raison dont Monnet fait preuve passe facilement pour une dévotion aveugle, voire complice, aux intérêts américains. Un amalgame que favorise la multiplication des projets d’union. La montée des périls rend urgente aux yeux de la plupart la nécessité de renforcer la cohésion du camp occidental. L’heure est à l’invention de nouvelles formules, et ce bouillonnement conceptuel favorise toutes les confusions. Les mêmes termes de communauté, de fédération sont ainsi employés dans des sens très différents selon les acteurs, et les procès d’intention vont de paire !

  • 108 Bruce, par exemple, évoque à cette date « les discussions et spéculations de tous ordres auxquelles (...)
  • 109 Le 23 avril, Bruce recommande ainsi à Acheson de substituer à la politique d’intégration européenne (...)
  • 110 Milward (voir n. 78), pp. 241-243.
  • 111 C’est d’ailleurs l’un des seuls mérites que Bruce reconnaît à la proposition Bidault : « Une initia (...)
  • 112 Bruce conclut d’ailleurs son compte-rendu de l’initiative Bidault en soulignant l’anxiété du présid (...)

45Car, loin d’être isolées, les réflexions atlantistes des élites françaises s’inscrivent dans un contexte occidental au diapason108. A la même époque, les responsables américains sont eux aussi convaincus du besoin d’aller plus loin en matière d’intégration109, et comme l’a montré Alan Milward, l’OTAN apparaît désormais à nombre d’entre eux comme le vecteur le plus adapté110. Mais ils hésitent, pour beaucoup inquiets devant la dimension supranationale des organismes projetés. Surtout, Français et Américains ne visent pas exactement la même chose. Washington cherche d’abord un moyen d’intégrer la RFA à la communauté atlantique111, Paris, comment gérer un réarmement dont le coût donne des sueurs froides à ses dirigeants112.

  • 113 Cf. le résumé des propositions françaises que fait l’ambassadeur à Londres. Douglas to Acheson, Apr (...)

46Dans ces conditions, le sommet de Londres, début mai, ne permet guère de décisions spectaculaires, en dépit de propositions françaises ambitieuses. Sans réclamer encore explicitement la création d’instances supranationales, Paris demande que l’organisation soit doté d’un exécutif permanent, de manière à coordonner action politique, financière et militaire. Si le concept de budget commun demeure dans l’ombre, Paris en avance indirectement l’idée en posant la question de la répartition des coûts113. La création du Conseil des Suppléants marque, elle, un réel succès des thèses françaises. Mais elle ne doit pas dissimuler que les analyses de fond, quant au devenir de l’Alliance, sont potentiellement toujours aussi divergentes. « Durant la discussion, les Britanniques ont affirmé catégoriquement que (...) leur conception de la communauté atlantique n’est pas celle d’une fédération, mais se fonde sur des accords de coopération », rapporte Acheson, en évoquant les conversations préparatoires qui se sont tenues, fin avril 1950, entre dirigeants anglais et américains. Ces derniers sont-ils si éloignés de cette vision des choses ?

  • 114 Wall (voir n. 7), p. 278.
  • 115 Milward (voir n. 78), p. 245.

47La proposition Monnet-Schuman, quelques jours plus tard, déplace l’attention générale et relègue au second plan, pour un temps, les questions atlantiques. Il est vrai que Washington y trouve ce qui a jusqu’alors toujours fait défaut aux propositions françaises. Comme l’a souligné Irwin Wall, « ce plan [propose] un mécanisme permettant d’intégrer l’Allemagne à l’Europe occidentale, et de refaire d’elle une grande puissance économique, sinon déjà militaire »114. Il constitue de ce fait « la pierre d’angle que la diplomatie américaine [a] jusqu’alors été incapable de mettre en place »115.

  • 116 Lors de la réunion des ministres de la Défense des Cinq à Fontainebleau, le 20 juillet, les Britann (...)
  • 117 Alphand (voir n. 2), p. 219.

48Le déclenchement de la guerre de Corée, l’accélération du réarmement et l’arrivée au pouvoir de René Pleven, vont donner un deuxième élan aux propositions françaises, et cristalliser cette réflexion atlantiste en germe depuis plusieurs mois. D’autant que les Britanniques se montrent toujours des partenaires aussi peu fiables au sein de l’Union occidentale, même dans le contexte de crise provoqué par le conflit coréen116. Désormais au pied du mur, les dirigeants français vont voir dans leur projet de réforme atlantique une solution globale à tous leurs problèmes. Symbole de cette détermination nouvelle, c’est Alphand, l’homme à avoir le premier formulé des propositions cohérentes en ce sens, qui est nommé le 22 juillet au Conseil des Suppléants, à la demande expresse et insistante de René Pleven117.

49Trois mois à peine avant le lancement du plan d’armée européenne, l’homme qui donnera son nom au projet, et celui qui le négociera, s’apprêtent à unir leurs forces pour faire advenir un développement sans précédent de l’Alliance atlantique. Singulier paradoxe de l’été 1950 ! Trait d’union entre ces deux hommes, qui chacun lui vouent respect et admiration, le futur père de la CED ne peut rester étranger à l’entreprise. Au cœur du jeu diplomatique depuis quelques semaines, il va y être étroitement associé, non sans très tôt en réaliser les limites, et prendre une avance qui lui permettra de proposer les solutions nécessaires, après l’échec de ce premier plan Pleven.

Monnet et le grand dessein de René Pleven

  • 118 Rendez-vous prévus les 10, 11 et 13 juillet. Agenda (voir n. 24).
  • 119 Alphand, Note sur l’obligation pour le gouvernement français d’organiser la défense de l’Ouest en c (...)

50Dès le 12 juillet, une note rédigée par Alphand, à un moment où il ne cesse de voir Monnet118, rappelle les bases de la démarche. Doit-on s’étonner de la trouver dans les archives de l’inspirateur ? En moins de deux pages, les principes essentiels de la position française sont présentés, tels qu’ils vont perdurer jusque début octobre, spécialement en ce qui concerne la mobilisation économique induite par l’accélération du réarmement119. La production des équipements militaires nécessaires « doit être répartie entre les industries des pays membres » et « les charges financières afférentes à l’exécution de ces tâches doivent être distribuées entre ces pays ». En conséquence, « l’organisme international destiné à exécuter ces missions et à définir constamment la stratégie occidentale doit être mis en place, étant reconnu », précise Alphand, « que les Comités existants du Pacte de Bruxelles et du Pacte de l’Atlantique n’ont ni l’autorité, ni les pouvoirs suffisants ». Une réunion au sommet des ministres des Affaires étrangères, de la Défense et des Finances doit permettre aux trois Grands d’entériner au plus vite la création de cette nouvelle instance.

  • 120 Spofford to Acheson, July 28, 1950, in FRUS 1950, pp. 148-150. Cf. aussi la dépêche du 31 qui est l (...)
  • 121 Bruce to Acheson, July 20, 1950, ibid., p. 135.
  • 122 Spofford to Acheson, August 2, 1950, ibid., p. 179.
  • 123 Roussel (voir n. 3), pp. 276-277.

51Le « la » est donné, comme le prouve la comparaison avec les propos que tient à Londres, quinze jours plus tard, le nouvel ambassadeur120. Et des indices concordants laissent penser que l’Inspiratem tient sa place dans le concert atlantique que les représentants français vont, avec une rare constance, offrir à leurs interlocuteurs américains. Il n’est certes pas en première ligne, mais ne semble jamais très loin non plus. Le 20 juillet, rendant compte d’une conversation qu’il vient d’avoir avec Alphand, l’ambassadeur américain à Paris, David Bruce, note qu’il a déjà entendu chez Monnet l’idée avancée par son interlocuteur, de créer à Washington, « où les vraies décisions seront prises » un équivalent civil au Standing Group121. Quelques jours plus tard, alors qu’Alphand a rejoint son poste au Conseil des Suppléants, il emploie devant Charles Spofford, le représentant américain, des arguments qui ne sont pas sans suggérer l’influence du Commissaire général du Plan122. Soulignant la nécessité de préparer sur le champ les listes d’armements essentiels à produire en urgence, le diplomate français ne se réfère-t-il pas à celles établies en 1942 par Roosevelt, à l’instigation de Monnet, et qui ont symbolisé le Victory Program123 ?

  • 124 Bruce to Acheson, August 9, 1950, in FRUS 1950, pp. 196-197.
  • 125 Spofford to Acheson, August 2, 1950, ibid., p. 179.
  • 126 Spofford to Acheson, July 28, 1950, ibid., p. 149.

52Indéniablement, Monnet n’est pas étranger à l’offensive lancée fin juillet à Londres par Alphand, à l’occasion de la première session du nouveau conseil, et qui touche également l’ambassade américaine à Paris. Encore le 9 août, le télégramme envoyé par Bruce au Département d’État est largement au diapason des analyses du Commissaire général. La nécessité de ne pas lever les limitations à la production d’acier allemand avant la conclusion du plan Schuman, en est l’écho le plus évident124. Une revendication présentée à Spofford par Alphand une semaine auparavant125, et qui témoigne vraisemblablement de la manière dont Monnet cherche à peser sur le processus en cours126.

  • 127 Bruce et Katz rencontrent une délégation française plus qu’étoffée. Présidée par Pleven en personne (...)
  • 128 Agenda (voir n. 24).
  • 129 Bruce to Acheson, August 1, 1950, ibid., pp. 169-172.

53Ces présomptions d’influence permettent de mieux cerner son implication dans une entreprise dont il laisse à d’autres le leadership, mais où l’on retrouve en permanence sa trace et celle de ses réseaux. Les représentants de la Société des Européens sont nombreux, qu’il s’agisse d’Alphand ou Pleven, et même si Schuman apparaît en retrait. Côté américain, Bruce et McCloy sont incontestablement aux premières loges. Et si dans la nuit du 31 au 1er, tous les protagonistes présents à Paris se réunissent sans lui127, il a dîné le soir même avec Katz128 qui, quelques heures plus tard, va délivrer aux responsables français un message sans ambiguïtés129.

  • 130 Bruce to Acheson, July 20, 1950, ibid., p. 135.
  • 131 Bruce to Acheson, July 28, 1950, ibid., pp. 151-159.

54Entre deux initiatives signées Monnet, c’est bien le Gouvernement qui tente de reprendre l’initiative, emmené par le nouveau président du Conseil. A peine investi, celui-ci est passé à l’action, et dès le 20 juillet, Bruce rend compte à Acheson des premiers échos de l’offensive130. Il est vrai que l’actualité n’autorise guère les atermoiements, mais il faut également y voir la preuve que le grand dessein atlantique est arrivé à maturité, en particulier dans l’esprit de celui qui en avait jusqu’alors suivi la genèse, rue Saint-Dominique. Bruce ne s’y trompe pas qui, fin juillet, notant son rôle moteur, souligne que Pleven mûrissait cette idée depuis un certain temps déjà, et a profité de son arrivée au pouvoir pour imposer son concept de budget commun131. Pour autant, l’ambassadeur est frappé par « l’étonnante unanimité » qui règne au sein du gouvernement à ce propos. Petsche, le ministre des Finances, et dans une moindre mesure, Jules Moch, qui a succédé à Pleven à la Défense, en sont eux aussi, avec des nuances, de fervents partisans.

  • 132 Roussel (voir n. 3), pp. 555-566.
  • 133 Dîner le 20 juillet ; rendez-vous prévus les 4, 7, 8, 11 et 15 août 1950. Pour toute cette période, (...)
  • 134 Le Secrétaire d’État avait demandé à chaque pays européen d’avoir défini pour le 5 août la nature d (...)

55Ainsi donc, c’est un scénario inverse de celui à venir qui se joue. Pleven mène, et Monnet suit. Comment expliquer cet engagement en demi-teintes de l’inspirateur ? La surchauffe provoquée depuis plusieurs semaines par la conjonction du plan Schuman et des activités ordinaires, déjà fort prenantes, du Commissariat du Plan, n’est sans doute pas à négliger. D’autant qu’on le sait, la négociation est loin d’être facile avec des partenaires aussi coriaces que Spierenburg ou Quaroni132. En retrait, Monnet n’en apparaît pas moins à l’unisson du gouvernement, contrairement à ce qui prévaudra début septembre. Maître d’œuvre de cette surenchère atlantiste, le président du Conseil l’associe en effet étroitement à la gestion de l’opération, comme le prouvent leurs contacts incessants durant cette période133. L’élaboration des deux mémorandums d’août, en réponse à la demande formulée par Acheson le 22 juillet134, en offre une saisissante illustration. Deux textes particulièrement importants dans la mesure où ils vont figer les propositions de réforme atlantique qui ont été développées tout au long du premier semestre et que, depuis la seconde quinzaine de juillet, les dirigeants français essaient de vendre aux Américains comme le seul moyen de réussir le réarmement occidental.

  • 135 Alphand (voir n. 2), p. 219.
  • 136 Auriol (voir n. 14), p. 281.
  • 137 De la fin juillet au début août, le nouvel ambassadeur se trouve à Londres pour participer à la pre (...)

56Si l’on en croit Alphand, il lui serait revenu de rédiger les deux textes, sous la direction de René Pleven135. Vincent Auriol rapporte que celui du 5 août a été mis au point la veille par le conseil de cabinet, lors de deux séances successives136. Des témoignages qui se complètent, mais où il n’est jamais question de Monnet. L’examen des archives déposées à Lausanne incite pourtant à nuancer sérieusement cette présentation des faits. D’abord parce que si les contacts avec Alphand semblent limités aux seuls échanges téléphoniques137, il n’en est rien pour Pleven, qui ne cesse de le rencontrer. Difficile de ne pas y voir un rapport de cause à effet, compte tenu de l’importance de ces textes et des enjeux qui leurs sont attachés.

  • 138 Anonyme, Projet, 1er août 1950, FJM, AMI 4/2/2. Ce texte est accompagné d’une annexe non datée, mai (...)
  • 139 Texte intégral in L’Année politique 1950, pp. 364-365.
  • 140 FJM, AMI 4/2/3.

57Par ailleurs, on trouve dans les papiers de l’Inspiratem un « projet » anonyme, en date du 1er août, qui semble constituer ce que l’on pourrait appeler le mémorandum matrice 138. Chacun des deux textes à venir en reprendra en effet textuellement plusieurs passages. Ainsi la conclusion du premier est une copie conforme des points 4 et 5 de ce projet originel : « Le nouvel effort de défense doit donc être conçu comme une entreprise collective des nations atlantiques et non comme une addition ou une juxtaposition d’efforts nationaux. Le caractère collectif de cette entreprise devrait être matérialisé par l’institution d’organes centraux de conception et de direction, à la fois dans le domaine politique et économique, par l’unité du commandement militaire et par l’établissement d’un système financier destiné à centraliser et à gérer de la façon la plus efficace la plus grande partie possible des ressources consacrées par chacun des pays aux besoins de la défense »139. De même, l’annexe de celui du 17 consacré à la « Politique monétaire commune destinée à garantir la stabilité des monnaies communes » reprend, pratiquement à l’identique, la seconde partie de l’annexe du texte initial140.

  • 141 C’est l’hypothèse retenue par Roussel (voir n. 3), p. 573, ou Vial (voir n. 1), p. 201.
  • 142 Le document lui-même n’est pas signé, mais une annotation manuscrite de l’époque l’identifie comme (...)
  • 143 Anonyme, Observations sur le projet de mémorandum du 12 août, 15 août 1950, FJM, AMI 4/2/9.

58Peut-on aller jusqu’à dire que ce dernier est l’œuvre de Monnet et de son équipe141, ou faut-il n’y voir qu’un document communiqué par Pleven ? La seconde hypothèse semble aujourd’hui la plus probable, en l’état de nos connaissances. Le président du Conseil est le meneur de jeu, et Alphand son bras droit. Mais la participation constante de Monnet à cette entreprise semble évidente, la présence dans ses archives de ce mémorandum matrice l’atteste clairement. D’autant que d’autres documents étayent cette interprétation. Ainsi le projet de mémorandum Alphand du 12 août, que l’on peut clairement identifier comme un brouillon de celui du 17142. Annoté par Monnet lui-même, il est accompagné d’une fiche d’observations en date du 15143. L’ensemble confirme l’implication de l’Inspirateur et permet d’en savoir un peu plus sur ses préoccupations du moment.

  • 144 Une revendication appuyée sur un rappel des expériences des deux guerres mondiales qui n’est pas, e (...)
  • 145 La formule entre parenthèses a été raturée par Monnet.

59Deux points essentiels apparaissent. En premier lieu, la nécessité de s’organiser d’urgence pour éviter la répétition des retards passés, sources de destructions inutiles. Lorsque le projet du 12 souligne qu’« il faut dès le temps de paix et pour sauvegarder la paix, mettre en place un système collectif plus poussé et éviter les lourds sacrifices qu’ont entraîné au cours des deux dernières guerres, une organisation insuffisante et tardive... »144, Monnet rajoute dans la marge : « dont le résultat a été que certains des associés [ont] été au départ envahis et que l’effort des autres (au lieu de prévenir la catastrophe)145 a dû consister à les libérer ». Deuxième accroche, la nécessité de rester dans une logique de paix. Plus loin en effet, quand le mémorandum détaille en son point 5 les dispositions nécessaires pour renforcer l’unité de commandement, le Commissaire général souligne avec force les phrases clefs et insiste : « Préparation et mise en place des mesures pour préserver la paix et pas faire la guerre ! »

  • 146 Une annotation manuscrite de Jacques Van Helmont permet de penser qu’il s’agit d’un produit de l’éq (...)
  • 147 Souligné dans le texte.
  • 148 Bossuat (voir n. 18), p. 69.

60Cet ensemble d’intuitions est repris, et systématisé, dans les Observations sur le projet de mémorandum du 12 août. Rédigées trois jours plus tard, vraisemblablement par un ou des membres de son équipe146, elles constituent la seule analyse complète que nous possédions en provenance de la rue de Martignac. « Pas d’organisation possible avant l’acceptation du principe proposé de mise en commun des efforts et des ressources » titre la première partie, qui recommande que ce principe, seulement suggéré par le mémorandum du 5, soit désormais une condition sine qua non. En outre, « l’objet de cet effort doit être clairement précisé aux yeux de l’opinion publique. Ce n’est pas la préparation à la guerre, c’est l’organisation d’une défense suffisante pour préserver la paix »147. Si Monnet n’a pas signé cette note, la parenté avec ses observations manuscrites est indéniable. D’autres éléments permettent d’étoffer le constat, comme la demande d’un « bilan des armements existant, en cours de construction, et devant être livrés en 1950 et 1951 », qui renvoie à son goût bien connu pour les balance sheets 148. Dernier exemple, le lien essentiel entre tous les grands équilibres de la nation. « Dans cet effort, les pays participants ne se préoccupent pas seulement d’une défense contre une agression militaire éventuelle ; ils se préoccupent également de défendre leurs conditions de vie intérieure et d’assurer à leurs populations un développement économique sans lequel la défense extérieure ne pourrait pas être préparée ». Un souci qui n’a rien de surprenant si l’on se souvient de la manière dont l’Inspiratem a toujours abordé les questions de défense, spécialement depuis qu’il est installé rue de Martignac. Il constitue le postulat de départ, exprimé dans des termes identiques, du mémorandum rédigé le même jour sur cet aspect des choses, preuve s’il en était de l’importance du travail d’équipe dans la maison Monnet.

  • 149 Mémorandum, 15 août 1950, FJM, 1re version : AMI 4/2/10, 2e version : AMI 4/2/11. Anonyme, The Fren (...)
  • 150 Ibid., 2e version : AMI 4/2/11.

61Cette fois le « je » est de rigueur, même si une note rédigée en anglais, sans doute par Tomlinson ou Ball, en constitue manifestement la version originelle : le travail d’équipe, toujours149. Au menu, la répartition des investissements pour l’année 1951 qui, compte tenu de l’ampleur du réarmement, exige un réexamen minutieux de l’ensemble des dépenses prévues. Le Commissaire général du Plan en a déjà entretenu le Gouvernement et, au moment où il lui transmet – ainsi qu’à la Commission des Investissements – ses propositions pour 1951, il choisit de résumer « sa conviction profonde » en quelques feuillets150. Sa thèse tient en peu de choses : un effort de défense accru, quelle que soit l’urgence de la situation, ne va pas sans le maintien du développement socio-économique. En d’autres termes, il n’est pas question de sacrifier les investissements productifs sous prétexte de dégager des financements supplémentaires pour les budgets militaires.

  • 151 Ibid., souligné dans le texte.
  • 152 Ibid., 1re version : AMI 4/2/10.
  • 153 Ibid., 2e version : AMI 4/2/11.

62« Loin de s’opposer aux objectifs de défense, les investissements productifs en sont la condition nécessaire, aussi bien dans l’ordre matériel que sur le plan de l’équilibre économique, financier et social » 151. Et Monnet de souligner que nombre d’entre eux, en particulier dans le secteur de l’industrie et de l’énergie « sont essentiels à l’exécution du programme d’armement »152. Quant aux autres, ils portent sur des activités – agriculture, industries de transformation – dont le développement concourt directement à l’équilibre de la balance des comptes et à l’élévation du niveau de vie de la population. Or, la première de ces deux exigences est plus que jamais impérative à l’heure où l’aide Marshall va diminuer rapidement, et quand certaines importations (matières premières, biens d’équipements spécialisés) vont sensiblement augmenter... « Quant au second objectif, il est clair qu’il conditionne tout notre équilibre intérieur », constate Monnet. « En effet, les fabrications d’armement n’ajoutent rien au revenu national réel, mais procurent des revenus monétaires à ceux qui les produisent, constituant de ce fait une menace d’inflation. Si le supplément de revenus ainsi distribués (...) ne trouve pas à s’employer en une masse elle-même accrue de biens de consommation industriels et agricoles (...), c’est tout l’équilibre économique, social et financier qui est compromis »153.

63On le voit, c’est d’abord l’impact du réarmement sur les grands équilibres socioéconomiques qui semble retenir l’attention du Commissaire général du Plan. Il faudrait certes disposer de l’ensemble des archives de son équipe pour pouvoir être plus catégorique, mais ce qui nous est parvenu laisse peu de doute sur la hiérarchie de ses préoccupations. En cet été 1950, la question du réarmement allemand ne s’est pas encore imposée. Face à l’aggravation de la Guerre froide, la nécessité de rationaliser les efforts du monde atlantique prime tout. Car elle doit permettre, dans un même élan, de renforcer sa capacité dissuasive, de préserver son développement et de rester dans une logique de paix.

  • 154 L’Année politique 1950 (voir n. 98), p. 181.

64Dans ces conditions, Monnet ne peut être qu’à l’unisson du reste de la classe dirigeante, et n’a pas à monter au créneau comme il l’a fait ou le fera. S’il prête indéniablement la main à l’offensive diplomatique du nouveau gouvernement, il n’en est pas pour autant l’un des leaders. Les deux mémorandums, contrairement au plan Schuman et au futur plan Pleven, ne sont pas livrés clefs en main par la rue de Martignac. D’autres influences y sont à l’œuvre, que ce soit celles de l’administration des Finances ou de la Défense. En témoigne l’énumération à laquelle se livre L’Année politique, quelques mois plus tard, à propos du premier texte : « M. Pleven a consulté, avant de lui donner sa forme définitive, MM. Moch, Petsche, Edgar Faure, M. Mons, secrétaire général de la Défense nationale, le général Léchères, président du Comité des chefs d’état-major, M. Parodi secrétaire général du Quai d’Orsay, M. Alphand et enfin le Président de la République »154. Ne manque qu’un nom, celui de l’Inspirateur pourtant familier, on l’a vu, de la plupart des responsables cités.

65Or, alors que ces deux documents vont constituer la pierre d’angle des positions françaises jusqu’à la fin septembre, dès le début de ce mois Monnet va faire entendre avec insistance une petite musique de plus en plus dissonante. Que s’est-il donc passé qui justifie pareil changement ?

Vers une solution européenne

  • 155 Monnet (voir n. 12), p. 397.
  • 156 Lettre de Jean Monnet à René Pleven (voir n. 105).

66Notons tout d’abord que la publication du second mémorandum a correspondu à une double rupture. L’une publique et personnelle : la conférence de Paris s’est ajournée pour quinze jours, et Monnet en profite immédiatement pour prendre du champ en se réfugiant à l’île de Ré155. Première pause depuis le lancement du plan Schuman, ces vacances vont lui permettre de ressaisir sa réflexion après quatre mois d’activité fébrile et de bouleversements. De ce temps de désert naîtra l’extraordinaire lettre à René Pleven du 3 septembre, qui contient la première formulation datée du projet d’armée européenne156.

  • 157 Pierre Mélandri, « Les États-Unis et le plan Pleven », in Relations internationales 11 (1977), p. 2 (...)
  • 158 Leffler (voir n. 16), p. 384.
  • 159 Douglas to Acheson, July 12, 1950, in FRUS 1950, pp. 131-132.
  • 160 « Plonger l’Allemagne dans cette question trop tôt, avant que nous nous soyons nous-mêmes engagés e (...)
  • 161 Acheson to Bruce, August 1, 1950, ibid., pp. 172-173.

67Deuxième rupture, et non des moindres : Washington a pris la décision de demander à ses alliés le réarmement de la RFA Pressé depuis plusieurs mois par ses chefs d’état-major, qui avaient déjà réclamé l’inscription de cette question à l’ordre du jour du sommet atlantique de Londres, en mai157, le gouvernement américain a franchi le Rubicon durant l’été. La lecture des télégrammes échangés entre le Département d’État et les grandes ambassades en Europe donne la mesure de l’évolution. Le 12 juillet, énumérant les trois objectifs qui, selon lui, « devraient être atteints au plus vite », Douglas, l’influent responsable du poste de Londres158, parle simplement de « l’utilisation du potentiel militaire de l’Allemagne », non sans souligner que l’on ne pourra l’envisager qu’une fois acquis le renforcement de la défense occidentale, et tout spécialement celui des forces françaises159. Trois semaines plus tard, l’ambassadeur recommande encore la plus grande prudence en la matière160. La veille, dans les instructions envoyées à Spofford, le représentant américain au Conseil des Suppléants, Acheson lui a seulement demandé d’insister sur l’utilisation de la capacité industrielle ou productive de l’Allemagne161.

  • 162 McCloy to Acheson, August 3, 1950, ibid., pp. 180-182, et Acheson to McCloy, August 4, 1950, ibid., (...)
  • 163 Mélandri (voir n. 157), pp. 203-204.
  • 164 Dans son télégramme du 7 à Byroade, McCloy mentionne également Bruce parmi les personnes avec lesqu (...)
  • 165 Douglas to Acheson, August 8, 1950, ibid., p. 190-192.

68Mais en ce début août, les choses ont déjà commencé à changer, et vont s’accélérer. McCloy, très en pointe depuis qu’il a envisagé publiquement, le 23 juillet, un réarmement de la RFA à des fins défensives, recueille l’assentiment complet du Département d’État, le 4 août, avec son plan d’armée européenne intégrant des contingents allemands162. Bien sûr, cela fait déjà plusieurs semaines que les experts s’activent en coulisses pour parachever les projets auxquels le déclenchement du conflit coréen a donné une nouvelle urgence. Mais on sent bien qu’en ce début août le vent forcit, et que les décisions capitales ne vont plus tarder à être prises163. Ainsi, le 7, McCloy présente sa proposition d’armée européenne à ses collègues Spofford et Douglas164, et emporte leur adhésion. Conquis, le prudent ambassadeur en Grande-Bretagne conclut même : « Je crois qu’il faut agir rapidement »165. Plus que jamais cette préoccupation est désormais essentielle aux yeux des dirigeants américains, et va tout emporter.

  • 166 Mémorandum of Conversation of August 10 between the Secretary of State and various Members of Congr (...)
  • 167 McCloy to Acheson, August 11, 1950, ibid., p. 206.

69Le 10, lors d’une réunion tenue entre les responsables du Département d’État et des membres du Congrès, Acheson a terminé son intervention en soulignant à nouveau combien, pour lui, le facteur temps était la dimension essentielle de la situation internationale. « Je ne peux m’empêcher d’éprouver le sentiment que notre politique devrait se concentrer sur les points les plus cruciaux de la défense commune, et remettre à plus tard les autres développements institutionnels possibles »166. Une hiérarchie des priorités qui condamne la démarche française, et qui est partagée par ceux-là même qui n’y sont pas hostiles a priori, comme le Haut-Commissaire en Allemagne. « L’incertitude de la situation, le temps disponible pour renforcer la défense européenne et le fait qu’il soit éminemment souhaitable d’avoir les forces les plus conséquentes possibles d’ici l’été prochain, rendent chaque mois trop précieux pour que l’on prenne du retard » insiste McCloy, le 11167.

  • 168 Matthews to Bums, August 16, 1950, ibid., p. 211.
  • 169 Leffler (voir n. 16), p. 386.
  • 170 Cf, par exemple, Johnson to Acheson, August 17, 1950, FRUS 1950, p. 227.
  • 171 Les partisans d’une solution purement européenne s’opposent encore à ceux qui recommandent un scéna (...)

70« Tout indique que les décisions nécessaires doivent être prises sans perdre de temps », renchérit le sous-secrétaire d’État Matthews, quelques jours plus tard, dans un courrier adressé au général Bums, chargé des questions internationales et d’aide militaire au Pentagone168. Le mémorandum qui l’accompagne est d’ailleurs consacré à la création d’une Force européenne de défense, comprenant des contingents allemands. L’heure n’est plus à s’interroger sur la nature de la contribution demandée à la RFA ou sur le meilleur moment pour poser ce problème169. Il y aura un véritable réarmement allemand, et c’est hic et nunc que son principe doit être accepté par les alliés. En cette première quinzaine d’août, quelque chose d’essentiel s’est joué. Les dirigeants américains ont enfin pris la décision pressentie depuis de longs mois, et développent désormais des analyses convergentes sur la question170, quelles soient leurs ultimes hésitations sur le cadre dans lequel doit s’insérer l’apport militaire de la RFA171.

  • 172 Monnet voit Tomlinson seul les 13, 15 et 16 août. Il le rencontre avec Ball les 31 juillet, 7, 9 et (...)
  • 173 Bruce rencontre Monnet le 21 juillet, ainsi que les 2, 7 et 15 août. Agenda (voir n. 24).
  • 174 Roussel (voir n. 3), pp. 109, 482-483 et 589.
  • 175 Vial (voir n. 1), p. 206.
  • 176 Acheson to Douglas, August 21, 1950, in FRUS 1950, p. 231.

71Difficile d’imaginer que, très vite, Monnet n’ait pas été mis au courant par ses nombreux amis d’outre-atlantique. « Je n’ai pas lu les dépêches officielles de Washington sur notre deuxième mémorandum », écrira-t-il à Pleven, le 3 septembre : en avait-il besoin ? De jeunes diplomates américains, Tomlinson et Ball, assurent une liaison constante entre l’ambassade et la rue de Martignac172. Son locataire est d’autre part en contact suivi avec Bruce173 qui, comme McCloy, compte parmi ses proches174. C’est d’ailleurs le 8, au lendemain de cette réunion avec Douglas et Spofford au cours de laquelle le Haut-Commissaire en Allemagne leur a vendu son plan d’armée européenne, que Monnet rencontre son vieil ami ! Et dès la fin juillet, son engagement public en faveur du réarmement allemand a été perçu, rue de Martignac, comme un tournant175. En cette période où les grands ambassadeurs américains en Europe ne cessent de se concerter, le Commissaire général fait manifestement partie du jeu. « J’ai été impressionné par l’unanimité qui règne entre vous concernant les étapes essentielles pour faire avancer la situation en Europe », cable Acheson à Douglas, McCloy et Bruce le 21 août176. Alors, oui, Monnet peut-il ignorer longtemps le tournant de la position américaine ? A-t-il besoin d’attendre la réponse officielle aux deux mémorandums français pour comprendre qu’ils ne répondent pas à ce qui est désormais la question centrale aux yeux de Washington : comment réarmer l’Allemagne ?

  • 177 Bruce to Acheson, July 28, 1950, ibid., pp. 196-197.
  • 178 « Moins on en parle, mieux c’est ». Acheson to Bruce, July 21, 1950, ibid., p. 135.
  • 179 Bruce to Acheson, August 1, 1950, ibid., p. 169.
  • 180 Spofford to Acheson, August 24, 1950, ibid., pp. 246-248. Cf. aussi son télégramme préparatoire du  (...)
  • 181 Spofford to Acheson, August 31, 1950, ibid., pp. 253-255.

72D’ailleurs, avant même leur publication, les jeux sont faits. Son ami Bruce peut bien, le 9 août, plaider encore en faveur du dessein atlantique des Français177, depuis le début les dirigeants américains se montrent intraitables à l’égard de ce qui en constitue le noyau dur, ce projet de budget commun assorti d’un Standing Group politique. « Less said about it, the better », câblait sèchement Acheson à l’ambassadeur dès le 21 juillet178. Et dix jours plus tard, lors de la réunion au sommet au cours de laquelle les responsables français essaient de convaincre Bruce et Katz, ce dernier est on ne peut plus clair. Compte tenu de la législation actuelle réglant l’assistance militaire, il est « excessivement douteux » qu’elle puisse être versée, tout ou partie, à un budget atlantique commun179. Un mois plus tard, les propos tenus par Spofford à Alphand le 27 août, en réaction au deuxième mémorandum, ne font que confirmer ce refus180. Et dans les jours qui suivent, le représentant américain fait manifestement tout son possible pour limiter l’offensive d’Alphand181.

  • 182 Ibid., p. 255.

73Loin de s’incliner, celui-ci cherche à contourner le blocage américain en ralliant les suffrages du Conseil des Suppléants. Il obtient même le 1er septembre le vote d’une résolution demandant à ce que le Comité de Défense se saisisse d’ici la mi-octobre des propositions contenues dans le mémorandum du 17 août182. Une attitude qui annonce celle des dirigeants français lors des sommets atlantiques de septembre. Indéniablement, ces derniers font le forcing, contrairement à Monnet qui a compris, dès cette époque, qu’il vaut mieux préparer une position de repli.

  • 183 Cf. en particulier les projets de réponses de Spofford les 22 et 24 août, ibid., pp. 237- 238 et pp (...)
  • 184 Bruce to Acheson, August 9, et McCloy to Acheson, August 11, 1950, ibid., pp. 196- 197 et 205-207.
  • 185 Les télégrammes envoyés par Spofford à Acheson les 22 et 24 août, la réponse d’Acheson en date du 2 (...)
  • 186 Leffler (voir n. 16), pp. 388-389.

74Pourtant, officiellement du moins, les responsables américains ne contestent pas les mérites intellectuels de cette vision du réarmement183. Des diplomates américains se font, peu ou prou, les avocats des thèses françaises. Bruce, bien sûr, mais aussi McCloy, ne manquent pas d’en relever les points intéressants184. Néanmoins, les hommes de Washington retiennent d’abord leur complexité, qui aboutirait à retarder dangereusement la mise en œuvre effective du renforcement militaire occidental185. Une critique qui annonce d’ailleurs leur désapprobation initiale à l’égard du futur plan Pleven186, et ne peut que se développer à partir du moment où ils ont décidé de réclamer un réarmement effectif de la RFA. Dans la mesure où les thèses françaises ont été élaborées à un moment où cette exigence n’avait pas encore été formulée, elles font l’impasse sur la question, et se trouvent donc largement hors-sujet à partir de la mi-août.

  • 187 PAM : Programme d’Aide Mutuelle ou Plan d’Assistance Militaire.
  • 188 Cf. Philippe Vial, « L’aide américaine au réarmement français (1948 – 1956) », in Vaisse, Mélandri, (...)
  • 189 C’est l’un des arguments essentiels développés par Katz lors de la réunion qui a lieu le 31 juillet (...)

75Derrière ces raisons où le pragmatisme le dispute au bon sens pour disqualifier la vision innovante des Français, se dissimulent des arrière-pensées moins avouables. L’instauration d’un budget commun, auquel chacun participerait selon ses ressources, aboutirait à faire financer par le Trésor américain le déficit chronique de la balance des paiements français et à reporter sur lui le coût faramineux de la guerre d’Indochine, au moment où l’engagement coréen s’aggrave chaque jour un peu plus. Pareille organisation obligerait l’administration américaine à ne plus se limiter à de simples livraisons de matériels, de type PAM187, mais à faire droit à l’une des plus anciennes revendications françaises en versant des dollars sonnants et trébuchants à la caisse commune188. Pire, ce serait quitter le cadre souple des négociations bilatérales périodiques pour inscrire la gestion de l’aide militaire dans la durée et dans un cadre multilatéral contraignant, ce qui reviendrait pour les Américains à accepter de se dessaisir d’une bonne partie de son contrôle. L’arme politique que représente la gestion de l’aide serait ainsi singulièrement émoussée, sans parler des problèmes juridiques considérables que pareille solution soulèverait par rapport au Congrès189. Par ailleurs, l’instauration d’un Standing Group civil reviendrait à accorder enfin aux Français cette égalité de statut avec les deux Grands anglo-saxons qui constitue l’obsession des dirigeants français depuis 1945, et plus encore depuis le début des pourparlers atlantiques, en 1948.

  • 190 Le budget commun « permet la limitation de la participation physique et matérielle de l’Allemagne d (...)

76Non, décidément, compte tenu du rééquilibrage politique majeur qu’elles induiraient dans les relations transatlantiques, les propositions de Paris sont dès le départ inacceptables aux yeux des dirigeants américains. Inversement, on comprend mieux l’insistance avec laquelle les responsables français défendent leurs thèses, l’unanimité qu’elles suscitent parmi eux et les raisons pour lesquelles Monnet en est l’un des avocats. Vus de Paris, les avantages de cette relance atlantique sont si divers qu’elle en devient idéale. Elle permet en particulier, d’organiser une mobilisation atlantique efficace sans recours direct au réarmement de l’Allemagne, mais non sans lui faire supporter sa part de l’effort économique190. Mieux, elle évite de remettre en question le rythme initial de la construction communautaire, tel qu’il a été défini au moment du plan Schuman. En rejetant le problème de la défense au niveau atlantique, les mémorandums d’août s’abstiennent de bousculer le lent processus d’une intégration sectorielle très progressive. Tout réarmement direct de l’Allemagne de l’Ouest étant exclu, l’intégration européenne continue d’être le seul moyen pour Bonn de retrouver peu à peu sa pleine souveraineté, et le projet de CECA conserve tout son intérêt à ses yeux.

  • 191 Mémorandum by Mr. John Foster Dulles, Consultant to the Secretary of State, to the Under Secretary (...)

77Loin de s’opposer à la nouvelle politique européenne de la France, les mémorandums d’août préservent son rythme comme sa raison d’être, et garantissent son développement. Inversement, force est de constater qu’en cet été 1950 l’accent est beaucoup plus mis, y compris par Monnet, sur le rôle de la France comme l’un des trois Grands atlantiques que sur son partenariat européen avec Bonn. Comment en serait-il autrement à l’heure où la Gleichberechtigung est encore loin d’être acquise ? Comme l’avait très bien noté Dulles dès le 21 avril, en réaction à la proposition Bidault de haut conseil, jamais les Français n’accepteront l’entrée de la RFA dans l’OTAN191. Le fond du problème est là, qui explique la surenchère atlantique de l’été 1950 comme la formulation initiale, extrêmement limitée, du plan Pleven, qui n’a rien d’une véritable Communauté européenne de Défense.

  • 192 On en trouve en effet plusieurs dans ses archives, preuve de l’importance qu’il lui accorda. Brouil (...)
  • 193 Analyse complète in Vial (voir n. 1), pp. 203-205, et Roussel (voir n. 3), p. 577.

78En cette seconde quinzaine d’août, à la faveur du recul que lui donne son séjour à l’île de Ré, Monnet a compris que la position française n’est plus tenable. Dès le 23, preuve de la précocité de son aggioramento, il jette sur le papier une première version de sa lettre fondamentale du 3 septembre192. Certains ont pu s’étonner qu’il n’y parle pas encore explicitement d’une armée européenne, s’en tenant à la formulation fugace et indirecte d’un « plan Schuman élargi ». Il faut au contraire souligner qu’il s’agit de la première acceptation implicite d’une égalité des droits globale avec l’Allemagne. Il est vrai qu’il s’agit avant tout d’une réflexion générale sur l’état du monde, de l’exposé d’une pensée pour l’action, et non de l’analyse détaillée des problèmes que pose la renaissance militaire, désormais proche, de la RFA193.

  • 194 Encore le 2 septembre, dans un discours à Strasbourg, le président du Conseil rappelle que la Franc (...)
  • 195 « La participation éventuelle de l’Allemagne... » et « Nous avons un objectif commun... », notes ma (...)

79Une orientation qui s’explique peut-être par les réticences que Monnet ressent chez Pleven à envisager autre chose que son grand dessein atlantiste194, dont il sait pourtant qu’il est d’ores et déjà caduque. Sans parler du fait que le deuxième mémorandum vient à peine d’être transmis aux Américains, et qu’il faut attendre de connaître leur réaction officielle... C’est la raison pour laquelle l’on doit se tourner vers d’autres documents, moins formels, pour connaître l’analyse de l’Inspiratem sur la question du réarmement allemand. Deux notes de sa main – dont l’une sur papier à en-tête du cabinet du ministre des Affaires étrangères, un symbole ! – sont aujourd’hui tout ce que nous possédons195. Mais même non datées, elles peuvent raisonnablement être considérées comme contemporaines de la lettre en préparation, dont elles constituent le complément indispensable.

  • 196 « La participation éventuelle de l’Allemagne... » (voir n. 195).

80Au départ, un double postulat, impératif, qui resitue nettement l’atlantisme de Monnet : « La participation éventuelle de l’Allemagne à la défense de l’Europe occidentale est une affaire qui concerne au premier chef les Européens eux-mêmes, et doit être étudiée et réglée dans un cadre européen. C’est la raison pour laquelle il appartient à la France de prendre l’initiative des discussions »196. Le Commissaire général peut bien préciser que l’accord final de ses partenaires américains et britanniques sera recherché, la direction est claire : vers l’Europe, une Europe continentale, et par la France !

  • 197 Cette citation, et les suivantes, sont tirées de « Nous avons un objectif commun... » (voir n. 195)

81C’est elle en effet qui, en lançant le plan Schuman, a renversé la logique séculaire des rapports européens. Or, la création d’une armée atlantique, intégrant des contingents allemands, aboutira à briser cette dynamique. Et Monnet de se faire lyrique : « Une telle décision éveillera dans l’âme de l’Europe désunie et dévastée [durant] mille ans, au lendemain d’un passé récent et si difficilement effacé, des sentiments que justement, en ce moment, le gouvernement français s’efforce d’éliminer et de remplacer par un sentiment d’appartenance à une même communauté »197. La sauvegarde de ce nouveau cours de l’histoire européenne exige donc que l’on en préserve la première étape, mieux que l’on en assure l’achèvement. En lui-même, celui-ci représente déjà une contribution centrale à la sauvegarde de la paix, objectif qui aux yeux de Monnet dépasse et englobe tous les autres. « [Sa] réalisation assurera pour la première [fois] dans l’histoire de ces peuples constamment désunis le premier lien organique assurant une communauté d’intérêts fondamentaux qui devra rendre entre eux la guerre impossible. C’est lorsque cette réalisation aura été faite que ces peuples pourront alors aborder la mise sur pieds d’une armée commune, unissant pour la première fois les éléments humains qui depuis toujours se sont opposés ».

  • 198 « Vous ne comprenez pas ce dont il s’agit. L’armée européenne ne dépend pas du nombre des divisions (...)

82Utopie ? Rêve impossible ? Non, car souligne Monnet, « la force défensive de l’Ouest ne dépend pas seulement du nombre de divisions d’une Europe divisée, mais bien au contraire de la volonté commune d’une Europe unie ». La dimension spirituelle prime tout : l’argument essentiel, qui touchera le cœur d’Eisenhower quelques mois plus tard, est déjà là198. L’ordre des priorités aussi, qui soumet la résolution de l’ensemble des questions en suspens à l’avènement de la CECA. Symbole du nouveau cours des relations européennes, celui-ci garantit la préservation de la logique de paix grâce à l’Europe, lancée par la France.

83La rigueur de la démarche, sa cohérence, impressionnent. Pourtant, au moment précis où il évoque, pour la première fois, le projet d’une armée européenne, Monnet en reconnaît simultanément le caractère prématuré. « Le gouvernement français pensait que la réalisation du plan Schuman permettrait aux esprits de s’habituer à l’idée d’une communauté européenne avant que ne soit abordée cette question si délicate d’une défense commune. Mais les événements ne lui laissent pas de répit. Aussi, confiant dans la destinée pacifique de l’Europe et pénétré de la nécessité de donner à tous nos peuples le sentiment de sécurité, le gouvernement français est résolu, après que les premières assises européennes auront été réalisées par le plan Schuman, de poursuivre sa voie, et d’inviter les six pays à participer avec eux à la création de l’armée européenne ».

  • 199 Monnet (voir n. 12), p. 406.

84Avec deux mois d’avance, c’est pratiquement mot pour mot le passage-clef de la déclaration Pleven du 24 octobre, celui que Monnet présentera comme le « moteur du mécanisme »199. Sa présence, dans ce que l’on peut considérer comme l’une des deux plus anciennes réflexions de l’Inspiratem sur la question du réarmement allemand, prouve bien que, dès les origines, le caractère prématuré de son initiative hante le père de la CED. La formulation de l’une entraîne l’aveu de l’autre. Quel meilleur symbole de l’ambiguïté fondatrice de cette entreprise ?

  • 200 Vial (voir n. 1), pp. 210-216.
  • 201 Envisagé jusqu’alors du point de vue de Monnet et grâce à ses archives, ce problème demanderait auj (...)

85« On ne naît pas européen, on le devient », disait Philippe Mioche en paraphrasant Simone de Beauvoir. La formule vaut pour la genèse complexe et délicate du projet d’armée européenne. L’essentiel du mois de septembre va être consacré à sa maturation intellectuelle. Le dialogue incessant, et souvent tendu, entre Monnet et les dirigeants français – sur fond de sommets atlantiques – va progressivement permettre de rapprocher des points de vue désormais divergents200. Il ne s’agit pas ici de disséquer la manière dont René Pleven et ses ministres ont fini par abandonner temporairement leurs options atlantistes pour se rallier à la démarche suggérée de manière de plus en plus insistante par la rue de Martignac201. Mais deux courriers échangés courant septembre au sein de l’équipe Schuman, permettent d’entrevoir le processus.

  • 202 Lettre de B. Clappier à R. Schuman, 12 sept. 1950, FJM, Archives R. Schuman, 3/1/111.
  • 203 Cf. aussi le message de Schuman que Bruce a transmis à Acheson le 7 sept., in FRUS 1950, pp. 269-27 (...)

86Le 12 septembre, Clappier, directeur de cabinet du ministre, lui transmet une note dans laquelle il analyse les différentes options possibles face à la renaissance militaire de la RFA, désormais programmée par Washington202. Après avoir écarté l’idée d’un refus de principe, il recommande de proposer pour ce réarmement des « modalités permettant un contrôle suffisant de la part du gouvernement français sur le gouvernement allemand ». Pourtant, loin de se rallier au projet américain ou d’anticiper une solution européenne, Clappier croit encore aux mérites du grand dessein de René Pleven203. « Si l’on adoptait les conceptions françaises en matière de défense atlantique et en matière de financement de l’effort de défense, le réarmement allemand pourrait être accepté avec beaucoup moins d’hésitations ». Il est donc « infiniment souhaitable que les propositions françaises relatives à l’organisation de la défense atlantique soient acceptées dans leur ensemble ».

  • 204 Lettre de B. Clappier à J. de Bourbon-Busset, 21 sept. 1950, FJM, Archives R. Schuman, 3/3/8.
  • 205 « Cette articulation donnerait aux organes actuels de la communauté atlantique, avec les révisions (...)
  • 206 Entre le 18 et le 25 septembre, Schuman envoie à Paris une série de cinq télégrammes dans lesquels (...)

87Moins de dix jours plus tard, le changement est patent. Le 21, Clappier transmet à son adjoint, qui a accompagné Schuman à New York, une note de Petsche sur « le problème brûlant ». « Telle qu’elle est présentée, [elle] n’a certainement aucune chance de succès, en ce sens qu’il est infiniment peu probable que l’Angleterre et les États-Unis acceptent jamais le le budget commun tel qu’il est proposé. Mais, même limité à la seule Europe continentale, le budget atteint le même but et garde son efficacité en tant que moyen de contrôle204. » Le rêve atlantiste est en passe de s’évanouir, mais sa logique perdure qui prépare la voie à la solution européenne. Puisqu’une intégration de grand style est définitivement impossible à l’échelle occidentale, pourquoi ne pas se rabattre sur une solution continentale ? Les garanties à l’égard du réarmement allemand seront du même ordre et, ce que ne relève pas Clappier, mais qui obsède Monnet, les enjeux de la CECA seront préservés. Un consensus se dessine donc en faveur de ce « plan Schuman élargi » que le Commissaire général appelle de ses vœux depuis le début du mois, et dont il souligne à l’envie qu’il s’inscrit parfaitement dans le cadre des projets d’intégration atlantique du Gouvernement205. « Par-là d’ailleurs, [le budget commun] rejoint assez exactement les suggestions du télégramme de M. Schuman », conclut Clappier. Au même moment, le ministre commence en effet à reprendre à son compte les suggestions de Monnet206. Il faudra encore quelques jours pour que la décision soit acquise, mais les faits sont là : à bien des égards, la future CED est un projet européen par défaut.

  • 207 En italiques dans le texte.
  • 208 Bulletin du Centre d’histoire (voir n. 2), p. 32.
  • 209 « J’en escompte un ajournement sensible, peut-être définitif, du réarmement allemand », Moch (voir (...)
  • 210 Vial (voir n. 1), pp. 229-234.

88Une caractéristique d’autant plus fondatrice qu’elle ne se limite pas à sa genèse diplomatique. Des années plus tard, René Pleven se souviendra : « Nos discussions sur le plan qui porte mon nom se déroulèrent avec ceux dont il fallait emporter l’adhésion (Jules Moch, Guy Mollet, les ministres socialistes), qu’il fallait convaincre non parce que le plan était européen 207, mais parce qu’il se proposait de résoudre le problème de la participation allemande à la défense de l’Europe208. » Un aveu conforté par les souvenirs d’un Jules Moch, par exemple, pour qui ce projet était avant tout une superbe manœuvre dilatoire209. Que ce soit sur le plan international ou sur celui de la politique intérieure, le plan d’armée européenne est frappé dès sa conception d’une double ambiguïté que la re-naissance du printemps 1951 ne suffira pas à faire disparaître210.

89L’enchaînement précipité des événements, comme l’imbrication des différents dossiers, ont abouti à rejeter dans la pénombre ce moment atlantique crucial dans la genèse du plan Pleven. Or l’offensive ratée de l’été 1950 apparaît essentielle pour saisir, à la source, les ambiguïtés fondamentales du projet d’armée commune. Si la visée européenne de Monnet n’est pas niable, elle s’inscrit dans un projet plus vaste, d’essence universaliste, dont les circonstances la rendent indissociable. En d’autres termes, la pénurie financière, conjuguée au caractère encore inconcevable du réarmement allemand, provoquent le recours à une solution atlantique qui, loin d’exclure l’ambition européenne, permet de la préserver.

  • 211 Pour une réappréciation de cet épisode encore mal connu, et de son rôle dans la mise en place d’une (...)

90L’intransigeance américaine entraînera l’échec quasi-immédiat de ce grand dessein atlantique, dont la fugacité ne doit pas dissimuler l’importance. Car on y retrouve tous les termes du problème que posera la CED, en particulier le lien étroit existant entre les aspects matériels et politiques d’un effort de défense occidental, qui dépasse très largement le seul problème du réarmement allemand. L’attention portée à la question des grands équilibres financiers par l’Inspiratem annonce et explique son implication, même réticente, dans le futur « Comité des Sages » de l’OTAN. En dépit de ses limites structurelles, cette entreprise pouvait en effet constituer une première étape vers une forme d’organisation commune, qui assure aux Européens la garantie d’une assistance américaine sans entraîner les formes habituelles de dépendance politique211.

91Que réclame Jean Monnet, finalement, sinon cette égalité des droits qui sera, sur un autre plan, le cheval de bataille des négociateurs allemands, quelques mois plus tard ? Mais jamais les dirigeants de Washington n’accepteront de passer sous pareilles fourches caudines. Plus encore que leur réaction réservée à l’annonce du plan Pleven, la fin de non-recevoir catégorique qu’ils opposent aux thèses françaises, dès la fin juillet, en dit long sur leur conception des rapports avec l’Europe et sur les limites étroites dans lesquelles pourra se développer la future CED.

  • 212 A s’en tenir au seul cas de la Marine, il permit, en moyenne, pendant toute la IVe République, d’au (...)
  • 213 Le Jemtel (Commissaire principal), Les incidences de nos engagements internationaux sur l’organisat (...)
  • 214 On retiendra en particulier la mise en place du commandement intégré en Europe (SHAPE) et l’envoi d (...)
  • 215 Alphand (voir n. 2), p. 220.
  • 216 Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944- 1954, Paris, Comi (...)

92Pour autant, le grand dessein atlantique du président du Conseil mérite mieux que l’oubli dans lequel il a sombré. D’abord parce qu’il est à l’origine du budget des infrastructures communes de l’OTAN, dont l’apport permettra d’étoffer considérablement les crédits nationaux en la matière212. Comme le soulignera un conférencier de l’École de Guerre navale, quelques années plus tard, « son mécanisme est une réussite partielle du projet de budget commun, dont l’idée fut lancé par le mémorandum français du 5 août 1950 »213. Outre cette réussite concrète et méconnue, le premier plan Pleven est partiellement responsable d’un certain nombre d’avancées importantes dans le domaine militaire214. Sans aller jusqu’à souscrire à l’inventaire satisfait d’Alphand215, et en attendant qu’un bilan complet soit dressé, reconnaissons son importance, tant sur les plans stratégique et économique que politique. Il peut d’ores et déjà revendiquer une place de choix dans l’histoire complexe des rapports entre la France et l’Alliance atlantique. Jamais Paris, en effet, n’aura été aussi en pointe en matière d’intégration... Encore en août 1952, Pleven rappellera à ses interlocuteurs américains « son désir d’établir un programme atlantique intégré, répartissant les diverses catégories de production entre les membres »216. Loin de n’être qu’un épisode marginal, coincé entre les déclarations Schuman et Pleven, les mémorandums d’août représentent un moment essentiel de la politique extérieure de la IVe République.

93Dès son installation, la nouvelle équipe dirigeante a cherché à reprendre l’initiative, riche de l’expérience antérieure de ses principaux ministres. Et force est de constater que son dessein ne manquait ni d’ambition, ni de cohérence : nombre d’Américains en furent troublés. Mais le grand dessein atlantique du gouvernement va se briser sur le problème du réarmement allemand. Conçu comme une manière d’intégrer le potentiel matériel et économique de la RFA, le projet français ne peut résister au brutal coup d’accélérateur donné par Washington sur cette question. Sans que les dirigeants français perçoivent l’ampleur de l’évolution en cours chez les Américains, ces derniers bousculent le jeu début août en mettant à l’ordre du jour ce qui est encore inadmissible pour la plupart des responsables français.

  • 217 La réponse de Pleven est clairement négative (Bulletin du Centre d’histoire... (voir n. 2), p. 33), (...)
  • 218 Monnet (voir n. 12), pp. 399-400.

94Ont-ils été sous-informés217, contrairement à Monnet ? Plus vraisemblablement, ils ont à la fois sous-estimé la détermination de Washington et l’adhésion immédiate que recueillerait son initiative dans le camp atlantique. Convaincus que la majorité des pays membres ne pouvaient que partager leur répulsion viscérale à l’égard de tout réarmement allemand, les hommes de l’équipe Pleven en ont déduit qu’ils gardaient l’initiative puisque leurs thèses permettaient néanmoins une utilisation des ressources économiques de la RFA. Grâce à son incomparable réseau, l’homme de la rue de Martignac a, lui, très tôt, fait une meilleure analyse des rapports de force. C’est le sens de sa célèbre remarque à Schuman, au moment où celui-ci s’apprête à s’envoler pour New York, le 9 septembre218 : « Vous n’éviterez pas que le réarmement de l’Allemagne passe vite au premier plan de vos entretiens », lui annonce-t-il, avant de lui proposer une ligne de conduite. « J’en suis bien convaincu », répond Schuman qui, dans le même temps, ajoute : « Je préfère penser que le problème ne sera pas posé. » Le décalage est patent, qui porte moins sur le constat de départ que sur la manière de le gérer.

  • 219 Ibid., p. 401.
  • 220 Cf. Éric Mechoulian, Jules Moch et le socialisme, thèse de doctorat d’histoire, sous la direction d (...)

95La force de Monnet est là. Depuis un mois, il se prépare à affronter le problème quand le gouvernement s’enferme progressivement dans « l’impasse d’un refus de principe »219. Sans doute faut-il également tenir compte du passé de chacun pendant la guerre. On sait combien le drame vécu par Jules Moch inspira toute son attitude220. Monnet n’a pas été marqué dans sa chair par l’Occupation. Si l’idée d’un réarmement allemand éveille en lui nombre de craintes, elle ne suscite sans doute pas l’horreur physique qu’elle provoque chez le ministre de la Défense, et chez bien d’autres. Peut-être est-ce là la raison ultime pour laquelle l’Inspiratem put appréhender la nouvelle donne avec cette lucidité qui fit si étonnamment défaut à la plupart des responsables français.

Notes

1 Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? », in Gérard Bossuat, René Girault (éds.), Europe brisée, Europe retrouvée : nouvelles réflexions sur l’unité de l’Europe au xxe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, pp. 197-262. Cf. aussi Renata Dwan, An Uncommon Community : France and the European Defence Community, 1950-1954, D. Phil. Thesis, Oxford University, 1996. Rappelons que pendant longtemps, les responsabilités de Jean Monnet dans l’aventure de la CED ont été largement minorées, quand son action, dans la genèse de la CECA était précocement mise en exergue. Cf. Philippe Vial, « Redécouvrir la CED », in Matériaux pour l’histoire de notre temps 29 (1992), p. 9.

2 Monnet ne souffle mot de cette offensive atlantiste dans ses mémoires. René Pleven et Bernard Clappier ne se montrent pas plus diserts dans les interviews qu’il ont laissées à la Fondation Jean Monnet pour l’Europe ou, pour l’ancien président du Conseil, dans des centres universitaires (Bulletin du Centre d’histoire de la France contemporaine 1 (1981), Université Paris X, et Institut Pierre Renouvin, Travaux et Recherches 1 (1986) Université Paris I). Même silence chez Jacques de Bourbon-Busset (entretien avec l’auteur, 24 octobre. 1994). Seules exceptions, Hervé Alphand, qui en offre un bref résumé dans L’étonnement d’être. Journal (1939-1973), Paris, Fayard, 1977, p. 219 et, dans une moindre mesure, Jules Moch(Une si longue vie, Paris, Laffont, 1976, p. 406 et 412) ou René Massigli (Une comédie des erreurs, Paris, Plon, 1978, p. 244 et pp. 246-247) qui y font occasionnellement allusion. Devant cette maigre moisson, on ne peut qu’attendre avec intérêt la publication du t. IV du Journal du Septennat de Vincent Auriol, consacré à l’année 1950, dont la richesse habituelle peut laisser espérer des informations plus substantielles.

3 Les deux récentes biographies publiées sur Jean Monnet en ont donné les premiers éléments d’interprétation : François Duchêne, Jean Monnet. The First Statesman of Interdependence, New York, London, W.W. Norton & Co., 1994, pp. 226-228 et surtout Eric Roussel,Jean Monnet, Paris, Fayard, 1995, pp. 572-578.

4 Cf. Guy Rousseau, « Etienne Clémentel, un inspirateur méconnu de Jean Monnet », in Guerres mondiales et conflits contemporains 186 (1997), pp. 11-14.

5 « Jamais je ne l’avais encore vu dans un tel état », racontera Eric Westphal, seul auprès de lui durant cette soirée du 30 août 1954. « Pour la première fois, je l’ai alors vu douter de ce qu’il avait fait, du sens de son action. Il se demandait réellement s’il ne s’était pas trompé, si la direction qu’il avait imposée était la bonne ». Roussel (voir n. 3), p. 675.

6 « Le nouveau président du Conseil était un Européen fervent, davantage encore peut-être un admirateur de Jean Monnet », note ironiquement Massigli (voir n. 2), p. 243.

7 Pierre Guillen, « La France et la question de la défense de l’Europe occidentale, du Pacte de Bruxelles (mars 1948) au Plan Pleven (octobre. 1950) », in Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et des conflits contemporains 144 (1986), pp. 89-98 ; Irwin Wall,L’influence américaine sur la politique française, 1945-1954, Paris, Balland, 1989, pp. 278- 288 ; William I. Hitchcock, The Challenge of Recovery : The Politics and Diplomacy of Reconstruction in France, 1944-1952, Ph. D., Yale University, 1993, pp. 387-417.

8 Cette recherche a été grandement facilitée par le concours de la Fondation Jean Monnet, en particulier de Françoise Nicod, dont l’expertise et la diligence ont été précieuses pour donner à ce travail toute la précision nécessaire. Renata Dwan a accepté d’en relire la première version, et de suggérer de nombreuses pistes de réflexion supplémentaires : qu’elle soit ici également remerciée.

9 George Ball, Les États-Unis face à leur puissance, Paris, Laffont, 1968, pp. 66-67.

10 Vial (voir n. 1), pp. 200-201.

11 Note de réflexion de Jean Monnet, 3 mai 1950, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Lausanne (désormais FJM), AMI 4/3/6.

12 Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 409.

13 Ibid., p. 406. Un aveu confirmé des années plus tard dans ses mémoires : « Je ne pouvais pas laisser cette nouvelle crise se développer sans intervenir, mais je ne sus pas tout de suite comment ». Ibid., p. 396.

14 Cf. le récit édifiant de la crise que fait Vincent Auriol in Mon septennat, 1947-1954, Paris, Gallimard, 1970, pp. 270-281.

15 Ball (voir n. 9).

16 Melvyn P. Leffler, A Prépondérance of Power. National Security, the Truman Administration and the Cold War, Stanford, Stanford University Press, 1992, pp. 386-387.

17 Cité par Jean Lacouture, De Gaulle, t. I, Paris, Seuil, 1984, p. 387.

18 Roussel (voir n. 3), p. 566. « Je ne veux plus en entendre parler, les raisonnements n’y sont pas normaux », aurait même un jour déclaré Monnet à propos des affaires militaires. Cité, sans indication de date, par Gérard Bossuat, « Jean Monnet, la mesure d’une influence », in Vingtième siècle 51 (1996), p. 80.

19 Cf. les souvenirs de Louis Joxe sur la période algéroise : « Chez Jean Monnet, que j’ai beaucoup vu à ce moment-là, il y avait, à côté de l’influence qu’avait sur lui la démocratie américaine, un sentiment de méfiance totale à l’égard d’un soldat détenant le pouvoir politique – quel que fût l’homme d’ailleurs et quelle que fût la circonstance. Ses réflexes étaient, par certains côtés, ceux d’un républicain de tendance radicale qui n’aurait rien oublié du boulangisme et de l’affaire Dreyfus. (...) L’attitude de Monnet était la suivante (...) : nul n’a le droit de parler au nom de la France tant que la France ne peut pas parler, tout militaire peut devenir un apprenti dictateur ». Cité par Roussel (voir n. 3), p. 323. Voir aussi, dans la même veine, le témoignage de René Brouillet, ibid., p. 281.

20 « Algiers was the gathering ground for exiles homing in on the future France. By going there at the crucial juncture, Monnet the longstanding expatriate renewed his passport with the French goveming elite. (...) Presence there made Monnet a founder member of the postwar leadership in Paris », Duchêne (voir n. 3), p. 98.

21 Roussel (voir n. 3), pp. 280-367, et bien sûr Monnet (voir n. 12), pp. 213-251.

22 Monnet l’atteste en tout cas pour Juin ; Monnet (voir n. 12), p. 243.

23 Bossuat (voir n. 18), p. 75.

24 Déjeuner le 29 novembre 1949. Les informations concernant les rendez-vous et les contacts de Monnet proviennent du dépouillement de ses agendas de bureau et des blocs-notes téléphoniques de ses secrétaires pour la période 1949-1951, conservés par la FJM sous la cote AMM. Si l’on peut poursuivre leur exploitation dans les années suivantes, il faut noter que ces documents n’existent qu’à l’état fragmentaire avant 1949.

25 Entretien de l’auteur avec Étienne Hirsch, 23 février 1994.

26 Hirsch (voir n. 25), a assisté à chacune de ces rencontres, mais seules celles avec Juin sont répertoriées dans les archives (3 août et 19 novembre 1949). Agenda (voir n. 24). Mentionnons également l’invitation à dîner lancée aux Monnet par le maréchal Juin et son épouse en juillet 1952, FJM, AMH 72/1/18.

27 Entrevue impossible ; remplacée par un entretien téléphonique, le 10 juillet 1950. Agenda (voir n. 24).

28 Entrevue avec Guillaume, nouveau résident général au Maroc, à la fin novembre 1951, ibid.

29 Entrevues le 13 mars (avec le général Blanc et Alphand), et le 8 novembre 1950, ainsi que les 15 (avec Hallstein) et 17 novembre 1951 (avec Blanc). Demande de rendez-vous le 1er décembre 1951. Ibid.

30 Déjeuner chez Pleven (avec Bidault et Mayer) le 24 août, entrevue le 4 septembre 1951. Ibid.

31 Entrevues les 19 juillet., 11, Met 19 août 1951,plus nombreux entretiens téléphoniques durant toute cette période. Contacts réguliers entre la fin janvier et la fin mars 1952. Ibid.

32 Entrevues les 18 et 23 août 1951. Ibid.

33 Un constat déjà dressé par Massigli. Cf. Bossuat (voir n. 18), p. 77.

34 Roussel (voir n. 3), pp. 308-310.

35 Monnet (voir n. 12), p. 222.

36 André Cousine, « Linarès (François de) », in Philippe Masson (dir.), Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale, t. II, Paris, Larousse, 1980, pp. 1 113-1 114.

37 Il reçoit le commandement des forces françaises du Viêt-nam du Nord et de la zone opérationnelle du Tonkin, que Salan vient de quitter pour devenir l’adjoint opérationnel du « roi Jean ». Linarès terminera sa carrière en 1953 comme inspecteur général de l’infanterie. Cousine, ibid., et Gai Raoul salan, Mémoires. Fin d’un Empire, t. II, Paris, Presses de la Cité, 1971, p. 208.

38 Le colonel Blanc, alors sous-chef de l’état-major général « Guerre », assurait les liaisons avec Monnet au sujet des questions d’armement qui constituaient, rappelons-le, la raison officielle de sa présence à Alger. Monnet (voir n. 12), p. 244, et surtout Étienne Hirsch, Ains : va la vie, Lausanne, FJM, 1988, pp. 78 et 113 ; entretien avec l’auteur (voir n. 25).

39 Il a succédé en décembre au général Revers, écarté à la suite de « l’Affaire des généraux ». Jean PLANCHAIS, Une histoire politique de l’Armée, t. 2, Paris, Seuil, 1967, pp. 221-225.

40 Pour la seule année 1950, l’agenda de Monnet porte la trace de huit rendez-vous avec le général Blanc, un chiffre minimum si l’on veut bien considérer qu’il ne s’agit que des rencontres prévues à l’avance, et qui ne tient pas compte des très nombreux contacts téléphoniques dont gardent trace les blocs-notes des secrétaires de Monnet. Les relations sont au moins aussi régulières en 1951.

41 En voie de marginalisation depuis le départ du général Juin, au printemps 1947, la fonction de chef d’état-major général de la Défense nationale a été supprimée en avril 1950. Le président du Comité des chefs d’état-major, le général Léchères, titulaire du poste depuis sa création deux ans plus tôt, est donc devenu la plus haute autorité des forces armées françaises. Une organisation collégiale peu adaptée à la réalité des rapports de force interarmées et qui se-traduira, dès 1951, par le retour en force de l’armée de Terre, avec la nomination de Juin à la place de Léchères, et la restauration, en 1953, d’un poste de chef d’état-major interarmées. Cf. Philippe Vial, « De l’impuissance à la renaissance : le général Léchères à la tête de l’armée de l’Air (1948-1953) », in Revue historique des Armées 3 (1993), p. 46, et Idem, « Le militaire et le politique : le maréchal Juin et le général Ely face à la CED », in Michel Dumoulin (dir.), L’échec de la CED : leçons pour demain ?, Berne, Peter Lang, à paraître en 1999.

42 La défense de la frontière de l’Est a en effet le plus souvent primé sur le développement du Sea Power. Une hiérarchie des priorités qui n’est évidemment pas celle des thalassocraties anglo-saxonnes, mais qui est particulièrement d’actualité à l’heure où la menace soviétique vient de se substituer au danger allemand, et où l’Alliance atlantique attend de la France qu’elle fournisse le gros des forces aéro-terrestres nécessaires pour résister à une offensive ennemie en Centre-Europe. Cf. Philippe Vial, « Les officiers, les armées, les guerres : spécificités de la société militaire et perspectives européennes sous la IVe République », in Élisabeth du Réau (dir.), Europe des élites ? Europe des peuples ? Nouveaux regards sur la construction européenne, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1998.

43 Vial, « De l’impuissance à la renaissance... » (voir n. 41), p. 51. Léchères demeurera en poste de 1948 à 1953 et Blanc de 1949 à 1955, établissant chacun des records de durée à leur poste, en tout cas pour la IVe République. Le cas de la Marine est encore plus remarquable puisque Lemonnier restera six ans chef d’état-major (1943-1950) et Nomy neuf ans (1951-1960) ! Une stabilité qui offre un contraste singulier avec la valse ordinaire des gouvernements, même s’il faut pondérer cette impression en soulignant que les prédécesseurs de ces chefs d’état-major, comme leurs successeurs, se succédèrent à une cadence beaucoup plus accélérée.

44 Agenda (voir n. 40). Cf. Vial, « De l’impuissance à la renaissance... » (voir n. 41), p. 46.

45 Philippe Vial, Claude d’Abzac-Epezy, « Les Europe des militaires : forces armées et enjeux européens sous la IVe République », in du Réau (dir.) (voir n. 42).

46 Georges-Henri Soutou, « La sécurité de la France dans l’après-guerre », in Maurice Vaisse, Pierre Mélandrl Frédéric Bozo (dir.), La France et l’OTAN, 1949-1996, Bruxelles, Complexe, 1996, p. 41.

47 Bossuat (voir n. 18), p. 77.

48 Ibid., p. 74.

49 « Monnet avait-il un réseau chez les militaires français ? », s’interroge Gérard Bossuat. « Ses rapports avec le général Blanc semblent exceptionnels... », ibid., p. 77.

50 Cf., à propos de l’Algérie, le témoignage du général Le Diberder qui, jeune officier des Affaires indigènes, dut à une rencontre fortuite dans un train d’avoir le privilège de renseigner régulièrement Monnet sur le conflit en cours. Roussel (voir n. 3), pp. 718-719.

51 Entretien avec l’auteur (voir n. 25).

52 Cf, à titre d’exemple, Philippe Vial, Arnaud Balvay, « Les administrations militaires et la reconstruction civile : l’exemple de la Marine nationale », in Dominique Barjot, Rémi Baudoui, Danièle Voldman (dir.), Les reconstructions en Europe (1945-1948), Bruxelles, Complexe, 1997, pp. 115-134.

53 Commissariat général du Plan, Note sur les demandes militaires considérées dans le cadre des possibilités nationales, 28 février 1947, Archives départementales de l’Aveyron (désormais ADA), Fonds Ramadier, 52 J 68.

54 Gérard Bossuat, « Paul Ramadier et le plan Marshall : une rupture en politique étrangère », in Serge Berstein (dir.), Paul Ramadier, la République et le socialisme, Bruxelles, Complexe, 1990, p. 239.

55 Commissariat général du Plan, Note sur les demandes (voir n. 53).

56 Comité central d’Enquête sur le coût et le rendement des Services publics (désormais CCE), Note de M. Garnier, inspecteur des Finances, sur les effectifs des armées de Terre, de Mer et de l’Air, et l’institution d’un service national, sans date, ADA, 52 J 69.

57 CCE, Conclusions sur le problème des effectifs des armées françaises et l’institution d’un service national, 23 juillet 1947, A.D.A., 52 J 69.

58 Ibid.

59 CCE, Note de M. Garnier (voir n. 56).

60 CCE, Conclusions (voir n. 57).

61 Charles S. Maier, « Finance and Defense : Implications of Military Intégration, 1950- 1952 », in Francis H. Heller, John R. Gillingham (dir.), NATO : The Founding of the Atlantic Alliance and the Intégration of Europe, New York, St. Martin’s Press, 1991, pp. 335-351.

62 Note sur l’effort de réduction des dépenses militaires, signée Philippe Huet, conseiller chargé des questions financières et budgétaires au cabinet de Paul Ramadier, 31 juillet 1947, A.D.A., 52 J 68.

63 « Vous m’avez demandé de rechercher certains renseignements concernant les dépenses militaires, le montant total des dépenses budgétaires, le montant des recettes fiscales, et le revenu national pour différents pays, en particulier pour les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie et la France. Ces renseignements vous seraient utiles pour déterminer les normes approximatives qui peuvent être attribuées aux dépenses de la Défense nationale ». Lettre du Directeur général de l’INSEE à M. le Ministre de la Défense nationale (D.N.), 2 septembre 1949, A.D.A., 52 J 71.

64 Etude sur le pourcentage du revenu national consacré aux dépenses militaires en France et à l’étranger, et les conclusions à en tirer concernant le volume des investissements consacrés à la défense nationale, notes de Philippe Huet, conseiller chargé des questions financières et budgétaires au cabinet de Paul Ramadier, 28 septembre et 3 octobre 1949, AD A, 52 J 71.

65 Le 4 avril 1950, par exemple, c’est Hirsch qui représente le Commissariat à la réunion organisée à la Présidence du Conseil. Bloc-notes téléphonique, 1er octobre 1949-30 janvier 1950, FJM, AMM.

66 L’Ing. gai du Génie maritime Balland à M. le Ministre de la Défense nationale, 16 août 1949, ADA, 52 J 71.

67 Le Ministre de la Défense nationale à M. l’Ing. gai du Génie maritime Balland, 16 août 1949, ADA, 52 J 71.

68 Guillen (voir n. 7), p. 93.

69 CCE, Note d’information sur le coût et le rendement des armées françaises en 1948, sans date, mais vraisemblablement de la fin 1948, ADA, 52 J 69.

70 Ibid.

71 Anonyme, Note préliminaire aux budgets militaires de l’exercice 1949, sans date, mais vraisemblablement de la fin 1948, ADA, 52 J 69.

72 Ibid.

73 Agenda (voir n. 24).

74 Ibid.

75 Guillen (voir n. 7), note 46, p. 90.

76 Maier (voir n. 61), pp. 337 et 341.

77 Ministère de la DN, Comité technique des Programmes des Forces armées, Rapport sur les dépenses d’investissements de la DN, 23 septembre 1949, A.D.A., 52 J 71.

78 Et de tous les responsables occidentaux comme le souligne Alan Milward in « NATO, OEEC, and the Intégration of Europe », in Heller, Gillingham (dir.) (voir n. 61), p. 242.

79 Hitchcock (voir n. 7), p. 387.

80 Ibid., p. 389.

81 Une nouveauté toute relative, puisque Schuman, Petsche et Edgar Faure gardent leurs portefeuilles respectifs (Affaires étrangères, Finances, Budget), tandis que Pleven et Moch – le ministre de l’intérieur gagne la rue Saint-Dominique – ne font que changer de ministère. Georgette Elgey, Histoire de la IVe République, t. I, Paris, Fayard, 1993, pp. 652-54.

82 L’ensemble de ce développement est inspiré de Jean-Pierre Rioux, « La mort de René Pleven », in Le Monde, 19 janvier 1993, p. 12, et surtout de Eric Duhamel, « Pleven », in Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire historique de la vie politique française au xxe siècle, Paris, puf, 1995, pp. 801-805.

83 Duhamel (voir n. 82), p. 801.

84 Mais il y reviendra en mars 1952 pour y demeurer – sous trois cabinets différents – jusqu’en juin 1954, ce qui fait de lui le recordman de durée sous la IVe République, que l’on s’en tienne à ce seul séjour (27 mois) ou qu’on lui ajoute le précédent (8 mois, soit un total de près de trois ans). Maurice Bourgès-Maunoury, autre grande figure de la rue Saint-Dominique, n’y sera resté que 18 mois (janvier 1956-juin 1957).

85 Ibid., p. 803. On notera que cette préoccupation a joué dans son refus initial d’aller à Matignon : « Il y a d’autre part un élément nouveau, c’est la Corée. Il ne faut pas changer tous les jours de ministre à la Défense nationale. Il faut établir une continuité, et c’est pourquoi je tiens à rester dans ce ministère ». Auriol (voir n. 14), p. 279.

86 Ce qui constitue une première, dont Pleven restera toujours très fier. Cf. son interview à la FJM, 8 mai 1980.

87 Analyse détaillée dans Vial (voir n. 1), pp. 208-210.

88 New York, Simon and Schuster, 1949, 270 p.

89 Le 24 juillet, le secrétariat de Monnet demande à celui de Pleven que Modem Arms and Free Men soit rendu, ce qui est fait le jour même. Le lendemain, c’est Clappier qui réclame l’ouvrage, sans préciser s’il agit pour son compte ou celui de Schuman. Le 18 janvier suivant, c’est au tour de Guy Mollet. Blocs-notes téléphoniques (voir n. 24).

90 Leffler (voir n. 16), p. 384.

91 Bush (voir n. 88).

92 Ibid., p. 8.

93 Cf. Maurice Vaisse, « L’échec d’une Europe franco-britannique ou comment le pacte de Bruxelles fut créé et délaissé », in Raymond Poidevin (dir.), Histoire des débuts de la construction européenne (mars 1948-mai 1950), Paris, LGDJ, 1986, pp. 379-389.

94 Guillen (voir n. 7), pp. 80-89.

95 Ibid., pp. 89-91. Alphand, lui-même, a évoqué son rôle moteur durant cette période. « J’avais rédigé, à Bruxelles et à Londres, les projets français de résolution adoptées qui, si on les relit, apparaissent bien comme l’embryon de l’action présente » (voir n. 2), p. 218.

96 Ministère des Affaires étrangères, Note de la Direction politique pour le ministre, 10 avril 1950. Citée par Guillen (voir n. 7).

97 Guillen (voir n. 7), et « Les militaires français et la création de l’OTAN », in Vaïsse, Mélandri, Bozo (dir.) (voir n. 46), pp. 87-88. Il faut souligner que ces projets de réforme atlantique comportent également un volet proprement militaire (mise en place de structures de commandement intégrées, présence permanente de troupes anglo-américaines sur le continent...) beaucoup mieux connu que les aspects politico-économiques, et que nous ne traiterons donc pas ici. L’objectif ultime est d’obliger Washington et Londres à renoncer à toute stratégie périphérique en matière de défense européenne.

98 Wall (voir n. 7), pp. 276-77 ; L’Année politique 1950, Paris, Éditions du Grand Siècle, 1951, pp. 92-93 ; et surtout les dépêches envoyées par Bruce au Département d’État, les 15, 20 et 22 avril 1950, in Foreign Relations of the United States (désormais FRUS), 1950, vol. III, Western Europe, pp. 54-55, 57-58 et 60-62.

99 « Il n’a pas d’idées arrêtées concernant la composition d’une pareille instance ou les principes qui pourraient y présider », relève Bruce. Mais « un projet détaillé est en train d’être préparé par les Affaires étrangères, qui sera proposé à M. Acheson quand il viendra à Paris ». Bruce to Acheson, April 15, 1950, in FRUS 1950, p. 61.

100 Guillen (voir n. 7), p. 90.

101 Note de réflexion, 3 mai 1950, FJM, AMI 1/4/1.

102 Et que l’on retrouve dans l’un des rares documents que l’on possède pour les semaines qui précèdent... « Nous avons un objectif commun... », note manuscrite de Jean Monnet, sans date, mais vraisemblablement de la seconde quinzaine d’août 1950, FJM, AMI 4/3/3. Cf. note 195.

103 Interview de Milton Katz à la FJM, 8 janvier 1988.

104 « Chacun a ses caractéristiques fondamentales dues à un long passé, à une histoire que les plus grands bouleversements ne peuvent effacer de l’esprit des hommes et peut-être surtout à l’influence qu’exerce sur les hommes le sol sur lequel ils naissent... ». Note de réflexion, 3 mai 1950 (voir n. 101).

105 Lettre de Jean Monnet à René Pleven, 3 sept. 1950, FJM, AMI 4/3/6. Ce texte a été publié pour la première fois, dans son intégralité, in Vial (voir n. 1), pp. 256-2262. Cf. aussi Roussel (voir n. 3), pp. 574-577.

106 Cf. également la brillante démonstration d’Éric Roussel (voir n. 3), p. 570.

107 La mauvaise volonté manifeste de Monnet devait profondément décevoir ses deux collègues anglo-saxons. L’OTAN n’était pour lui qu’« une alliance ancien style n’impliquant aucun abandon de souveraineté », se plaindra le très atlantiste Plowden. En outre, « celle-ci n’était pas exclusivement européenne. Or Monnet attendait avec impatience le jour où une armée issue des États-Unis d’Europe remplirait la tâche de l’OTAN sans que les Américains s’en mêlent trop ». Vial (voir n. 1), pp. 236-239.

108 Bruce, par exemple, évoque à cette date « les discussions et spéculations de tous ordres auxquelles cette question donne lieu aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France ». Bruce to Acheson, April 15, 1950, in FRUS 1950, p. 54. Le Mémorandum by Mr. W. Sanders, Spécial Assistant to the Assistant Secretary of State for United Nations Affairs (Hickerson), du 27 avril, offre un panorama d’ensemble des propositions formulées par chacun des partenaires occidentaux. Ibid., pp. 75-77.

109 Le 23 avril, Bruce recommande ainsi à Acheson de substituer à la politique d’intégration européenne menée jusqu’alors, une politique privilégiant désormais le renforcement et l’élargissement de la communauté atlantique, ibid., p. 64, cf. aussi Pierre Mélandri, L’Alliance atlantique, Paris, Gallimard-Julliard, 1979, pp. 76-77.

110 Milward (voir n. 78), pp. 241-243.

111 C’est d’ailleurs l’un des seuls mérites que Bruce reconnaît à la proposition Bidault : « Une initiative française de ce genre pourrait bien nous donner l’occasion d’essayer de faire un grand pas vers une véritable intégration de la RFA dans la communauté atlantique ». Bruce to Acheson, April 20, 1950, in FRUS 1950, p. 58. Quelques jours plus tard, il sera encore plus explicite : « L’Allemagne doit le plus tôt possible être intégrée comme membre à part entière de la communauté atlantique », ibid., p. 64.

112 Bruce conclut d’ailleurs son compte-rendu de l’initiative Bidault en soulignant l’anxiété du président du Conseil à ce sujet. Bruce to Acheson, April 22, 1950, in FRUS 1950, p. 62.

113 Cf. le résumé des propositions françaises que fait l’ambassadeur à Londres. Douglas to Acheson, April 30,1950, in FRUS 1950, pp. 76-77.

114 Wall (voir n. 7), p. 278.

115 Milward (voir n. 78), p. 245.

116 Lors de la réunion des ministres de la Défense des Cinq à Fontainebleau, le 20 juillet, les Britanniques ont adopté une « attitude négative au sujet de l’installation permanente de forces terrestres sur le continent et sont restés évasifs quant à la couverture aérienne ». The Secretary of State to certain Diplomatie Offices, July 26, 1950, in FRUS 1950, p. 140.

117 Alphand (voir n. 2), p. 219.

118 Rendez-vous prévus les 10, 11 et 13 juillet. Agenda (voir n. 24).

119 Alphand, Note sur l’obligation pour le gouvernement français d’organiser la défense de l’Ouest en collaboration avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, 12 juillet 1950, FJM, AMI 4/2/1.

120 Spofford to Acheson, July 28, 1950, in FRUS 1950, pp. 148-150. Cf. aussi la dépêche du 31 qui est la traduction d’une synthèse informelle remise à Spofford par Alphand. Ibid., pp. 165-167.

121 Bruce to Acheson, July 20, 1950, ibid., p. 135.

122 Spofford to Acheson, August 2, 1950, ibid., p. 179.

123 Roussel (voir n. 3), pp. 276-277.

124 Bruce to Acheson, August 9, 1950, in FRUS 1950, pp. 196-197.

125 Spofford to Acheson, August 2, 1950, ibid., p. 179.

126 Spofford to Acheson, July 28, 1950, ibid., p. 149.

127 Bruce et Katz rencontrent une délégation française plus qu’étoffée. Présidée par Pleven en personne, elle est constituée de Moch, Petsche, Parodi, le secrétaire général du Quai, Alphand – rentré de Londres pour l’occasion – Guindey, le directeur des relations extérieures au ministère des Finances, et Calvet, le directeur du contrôle des changes. Les Français sont venus en force même si, outre l’absence de Monnet, il faut relever celle de Schuman. Bruce to Acheson, August 1, 1950, ibid., pp. 169-172.

128 Agenda (voir n. 24).

129 Bruce to Acheson, August 1, 1950, ibid., pp. 169-172.

130 Bruce to Acheson, July 20, 1950, ibid., p. 135.

131 Bruce to Acheson, July 28, 1950, ibid., pp. 151-159.

132 Roussel (voir n. 3), pp. 555-566.

133 Dîner le 20 juillet ; rendez-vous prévus les 4, 7, 8, 11 et 15 août 1950. Pour toute cette période, on trouve encore d’autres mentions dans l’agenda, dans un coin ou en face du jour, probablement pour se rappeler de téléphoner... Par exemple, le 3 août, « JM téléph. Alphand, Pleven ». Agenda (voir n. 24). René Pleven a d’ailleurs lui-même fait état de rencontres fréquentes avec Monnet à cette époque. Cf. son interview in Institut Pierre Renouvin (voir n. 2), P. 47.

134 Le Secrétaire d’État avait demandé à chaque pays européen d’avoir défini pour le 5 août la nature de l’effort supplémentaire de réarmement qu’il était disposé à faire. FRUS 1950, p. 128.

135 Alphand (voir n. 2), p. 219.

136 Auriol (voir n. 14), p. 281.

137 De la fin juillet au début août, le nouvel ambassadeur se trouve à Londres pour participer à la première réunion du Conseil des Suppléants. Une absence qui n’exclut pas de nombreux contacts téléphoniques, et peut-être même des rencontres impromptues. On note ainsi qu’Alphand a fait un saut à Paris le soir du 31 pour participer à la réunion au sommet avec Bruce et Katz.

138 Anonyme, Projet, 1er août 1950, FJM, AMI 4/2/2. Ce texte est accompagné d’une annexe non datée, mais qui lui est manifestement liée (FJM, AMI 4/2/3).

139 Texte intégral in L’Année politique 1950, pp. 364-365.

140 FJM, AMI 4/2/3.

141 C’est l’hypothèse retenue par Roussel (voir n. 3), p. 573, ou Vial (voir n. 1), p. 201.

142 Le document lui-même n’est pas signé, mais une annotation manuscrite de l’époque l’identifie comme « projet de mémorandum Alphand ». FJM, AMI 4/2/8. Contrairement au précédent, celui du 17 n’a pas été rendu public. On en trouve le Verbatim dans la dépêche envoyée le 17 par Bruce à Acheson, in FRUS 1950, pp. 220-224.

143 Anonyme, Observations sur le projet de mémorandum du 12 août, 15 août 1950, FJM, AMI 4/2/9.

144 Une revendication appuyée sur un rappel des expériences des deux guerres mondiales qui n’est pas, en lui-même, sans suggérer l’influence de Monnet.

145 La formule entre parenthèses a été raturée par Monnet.

146 Une annotation manuscrite de Jacques Van Helmont permet de penser qu’il s’agit d’un produit de l’équipe Monnet.

147 Souligné dans le texte.

148 Bossuat (voir n. 18), p. 69.

149 Mémorandum, 15 août 1950, FJM, 1re version : AMI 4/2/10, 2e version : AMI 4/2/11. Anonyme, The French Government must now examine..., sans date, FJM, AMI 4/2/12. Sur le rôle de Ball ou Tomlinson comme « petites mains », cf. Roussel (voir n. 3), p. 601.

150 Ibid., 2e version : AMI 4/2/11.

151 Ibid., souligné dans le texte.

152 Ibid., 1re version : AMI 4/2/10.

153 Ibid., 2e version : AMI 4/2/11.

154 L’Année politique 1950 (voir n. 98), p. 181.

155 Monnet (voir n. 12), p. 397.

156 Lettre de Jean Monnet à René Pleven (voir n. 105).

157 Pierre Mélandri, « Les États-Unis et le plan Pleven », in Relations internationales 11 (1977), p. 203.

158 Leffler (voir n. 16), p. 384.

159 Douglas to Acheson, July 12, 1950, in FRUS 1950, pp. 131-132.

160 « Plonger l’Allemagne dans cette question trop tôt, avant que nous nous soyons nous-mêmes engagés et que la détermination française à combattre ait été substantiellement encouragée, est une affaire risquée ». Douglas to Acheson, August 2, 1950, ibid., pp. 178-179.

161 Acheson to Bruce, August 1, 1950, ibid., pp. 172-173.

162 McCloy to Acheson, August 3, 1950, ibid., pp. 180-182, et Acheson to McCloy, August 4, 1950, ibid., pp. 183-184.

163 Mélandri (voir n. 157), pp. 203-204.

164 Dans son télégramme du 7 à Byroade, McCloy mentionne également Bruce parmi les personnes avec lesquelles il souhaite s’entretenir de son projet d’armée européenne, FRUS 1950, p. 184, n. 1.

165 Douglas to Acheson, August 8, 1950, ibid., p. 190-192.

166 Mémorandum of Conversation of August 10 between the Secretary of State and various Members of Congress, ibid., p. 202.

167 McCloy to Acheson, August 11, 1950, ibid., p. 206.

168 Matthews to Bums, August 16, 1950, ibid., p. 211.

169 Leffler (voir n. 16), p. 386.

170 Cf, par exemple, Johnson to Acheson, August 17, 1950, FRUS 1950, p. 227.

171 Les partisans d’une solution purement européenne s’opposent encore à ceux qui recommandent un scénario atlantique (Mélandri, voir n. 157), même s’il faut relativiser la portée de ces divergences. Leffler (voir n. 16).

172 Monnet voit Tomlinson seul les 13, 15 et 16 août. Il le rencontre avec Ball les 31 juillet, 7, 9 et 12 août, sans parler des innombrables contacts téléphoniques dont on retrouve trace pour la même période, en particulier avec Tomlinson. Agenda (voir n. 24). Pour une vision d’ensemble de leurs rapports avec l’inspirateur, cf. Roussel (voir n. 3), pp. 483, 589 et 601-602.

173 Bruce rencontre Monnet le 21 juillet, ainsi que les 2, 7 et 15 août. Agenda (voir n. 24).

174 Roussel (voir n. 3), pp. 109, 482-483 et 589.

175 Vial (voir n. 1), p. 206.

176 Acheson to Douglas, August 21, 1950, in FRUS 1950, p. 231.

177 Bruce to Acheson, July 28, 1950, ibid., pp. 196-197.

178 « Moins on en parle, mieux c’est ». Acheson to Bruce, July 21, 1950, ibid., p. 135.

179 Bruce to Acheson, August 1, 1950, ibid., p. 169.

180 Spofford to Acheson, August 24, 1950, ibid., pp. 246-248. Cf. aussi son télégramme préparatoire du 22, ibid., pp. 237-238, et la réaction du Département d’État le 25, ibid., pp. 249-250.

181 Spofford to Acheson, August 31, 1950, ibid., pp. 253-255.

182 Ibid., p. 255.

183 Cf. en particulier les projets de réponses de Spofford les 22 et 24 août, ibid., pp. 237- 238 et pp. 246-248.

184 Bruce to Acheson, August 9, et McCloy to Acheson, August 11, 1950, ibid., pp. 196- 197 et 205-207.

185 Les télégrammes envoyés par Spofford à Acheson les 22 et 24 août, la réponse d’Acheson en date du 26, constituent les meilleures synthèses des réactions officielles de Washington à l’égard des deux mémorandums d’août, ibid., pp. 237-238 et 246-250. Cf. aussi le message d’Acheson à Bruce du 6 sept., ibid., p. 268.

186 Leffler (voir n. 16), pp. 388-389.

187 PAM : Programme d’Aide Mutuelle ou Plan d’Assistance Militaire.

188 Cf. Philippe Vial, « L’aide américaine au réarmement français (1948 – 1956) », in Vaisse, Mélandri, Bozo (dir.) (voir n. 46), p. 171, n. 12.

189 C’est l’un des arguments essentiels développés par Katz lors de la réunion qui a lieu le 31 juillet, au soir, avec les dirigeants français. Bruce to Acheson, August 9, 1950, in FRUS 1950, p. 169.

190 Le budget commun « permet la limitation de la participation physique et matérielle de l’Allemagne de l’Ouest à l’effort de guerre, sans pour autant limiter le fardeau financier qu’elle doit assumer pour l’établissement d’une défense commune ». Note annexe sur les relations entre la question du financement en commun du programme d’armement et la question du réarmement de l’Allemagne, 8 sept. 1950. Citée par Hitchcock (voir n. 7), p. 395. Cf. aussi ce que dit Moch lors de la réunion du 31 juillet, in FRUS 1950, p. 171.

191 Mémorandum by Mr. John Foster Dulles, Consultant to the Secretary of State, to the Under Secretary of State, April 21, 1950, ibid., p. 60.

192 On en trouve en effet plusieurs dans ses archives, preuve de l’importance qu’il lui accorda. Brouillon de lettre de Jean Monnet à René Pleven, 23 août 1950, FJM, AMI 4/3/4. Versions dactylographiées, corrigées et augmentées de sa main en AMI 4/3/5, 5 bis et 5 ter.

193 Analyse complète in Vial (voir n. 1), pp. 203-205, et Roussel (voir n. 3), p. 577.

194 Encore le 2 septembre, dans un discours à Strasbourg, le président du Conseil rappelle que la France a proposé d’alléger le coût du réarmement par la création d’un pool financier atlantique. L’Année politique 1950, p. 197.

195 « La participation éventuelle de l’Allemagne... » et « Nous avons un objectif commun... », notes manuscrites de Jean Monnet, sans dates, FJM, AMI 4/3/2 et 4/3/3.

196 « La participation éventuelle de l’Allemagne... » (voir n. 195).

197 Cette citation, et les suivantes, sont tirées de « Nous avons un objectif commun... » (voir n. 195).

198 « Vous ne comprenez pas ce dont il s’agit. L’armée européenne ne dépend pas du nombre des divisions. Ce n’est pas une question technique, mais de rapports entre les gens », rétorquera Eisenhower à Gruenther, son adjoint, qui s’inquiète auprès de Monnet de la faisabilité technique de l’intégration prévue par la CED ; Georgette Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, Paris, Fayard, 1968, p. 250.

199 Monnet (voir n. 12), p. 406.

200 Vial (voir n. 1), pp. 210-216.

201 Envisagé jusqu’alors du point de vue de Monnet et grâce à ses archives, ce problème demanderait aujourd’hui à être étudié en partant de celui des autres acteurs, tant français qu’internationaux, pour pouvoir, dans une ultime démarche, réapprécier définitivement le rôle exact de l’Inspirateur

202 Lettre de B. Clappier à R. Schuman, 12 sept. 1950, FJM, Archives R. Schuman, 3/1/111.

203 Cf. aussi le message de Schuman que Bruce a transmis à Acheson le 7 sept., in FRUS 1950, pp. 269-270.

204 Lettre de B. Clappier à J. de Bourbon-Busset, 21 sept. 1950, FJM, Archives R. Schuman, 3/3/8.

205 « Cette articulation donnerait aux organes actuels de la communauté atlantique, avec les révisions nécessaires, une efficacité qui leur fait défaut aujourd’hui ». Mémorandum de Jean Monnet à Robert Schuman, 16 sept. 1950, FJM, AMI 4/4/3. Cf. aussi son mémorandum à Pleven du 18, FJM, AMI 4/4/4.

206 Entre le 18 et le 25 septembre, Schuman envoie à Paris une série de cinq télégrammes dans lesquels il recommande une solution sur la base du plan du 9 mai, avec la France comme chef de file. Vial (voir n. 1), pp. 215-217.

207 En italiques dans le texte.

208 Bulletin du Centre d’histoire (voir n. 2), p. 32.

209 « J’en escompte un ajournement sensible, peut-être définitif, du réarmement allemand », Moch (voir n. 2), p. 426.

210 Vial (voir n. 1), pp. 229-234.

211 Pour une réappréciation de cet épisode encore mal connu, et de son rôle dans la mise en place d’une pax americana globale, cf. l’analyse lumineuse de Charles Maier (voir n. 61), pp. 344-346.

212 A s’en tenir au seul cas de la Marine, il permit, en moyenne, pendant toute la IVe République, d’augmenter d’un tiers les investissements prévus pour les infrastructures. Cf. Philippe Vial, « Le réarmement de la Marine sous la IVe République : de la nécessité de l’aide, des inconvénients de la dépendance », in Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République face aux problèmes d’armement, 1998.

213 Le Jemtel (Commissaire principal), Les incidences de nos engagements internationaux sur l’organisation et les ressources de la Marine, Ecole de Guerre navale (?), 31 mars 1955, Service historique de la Marine, GG II 176/14.

214 On retiendra en particulier la mise en place du commandement intégré en Europe (SHAPE) et l’envoi de quatre divisions américaines supplémentaires. Cf. Georges-Henri Soutou, « La France et l’Alliance atlantique de 1949 à 1954 », in Cahiers du Centre d’Études d’Histoire de la Défense 3 (1997), p. 57.

215 Alphand (voir n. 2), p. 220.

216 Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944- 1954, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992, p. 839.

217 La réponse de Pleven est clairement négative (Bulletin du Centre d’histoire... (voir n. 2), p. 33), et se trouve corroborée par les dépêches échangées entre Paris et Washington dans les premiers jours de septembre (cf. FRUS 1950, pp. 260-273). Il est d’ailleurs difficilement concevable que Monnet n’ait pas tenu immédiatement informé les dirigeants français de ce qu’il pouvait déceler chez les Américains.

218 Monnet (voir n. 12), pp. 399-400.

219 Ibid., p. 401.

220 Cf. Éric Mechoulian, Jules Moch et le socialisme, thèse de doctorat d’histoire, sous la direction du professeur Jean-Marie Mayeur, Université de Paris-IV Sorbonne, 1996.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search