La place de l’Allemagne dans l’Europe d’après-guerre selon Jean Monnet (1940-1952)1
p. 113-146
Texte intégral
I. Réflexions préliminaires
1Toutes les responsabilités qu’il a pu exercer sur le plan international après la Première Guerre mondiale et les diverses expériences qu’il lui a ainsi été donné de faire (et qui sont pour beaucoup dans l’élaboration de son profond savoir-faire de planificateur) n’ont pas empêché Jean Monnet, le « Père de l’Europe » ou « M. Jean Monnet, de Cognac », ainsi que certains ont choisi de l’appeler, de toujours rester « d’abord Français ». Ce fait constitue selon moi un élément dont il est essentiel de tenir compte dans l’analyse des réflexions sur le rôle de l’Allemagne et sur la place de la France dans l’Europe d’après-guerre que Jean Monnet a menées au cours de la deuxième phase de son éducation politique, c’est-à-dire du début de la guerre, en 1939, aux négociations sur la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, période qui nous intéresse ici. Vouloir croire – comme certains témoins d’époque affectent de le faire avec, d’ailleurs, d’autant plus d’insistance qu’est réduite leur connaissance des documents extérieurs à leur domaine de compétence, lui-même souvent restreint – vouloir croire, disais-je, que Monnet avait, dès cette époque, une conception claire du processus d’union européenne, qu’il ne lui resterait plus qu’à appliquer à partir du début des années cinquante, est une façon de voir profondément a-historique qui ne prend pas suffisamment en compte le contexte politique et historique de la socialisation du jeune Monnet et qui ne rend justice ni à sa personnalité et ses facultés extraordinaires, ni à son style de pensée et de travail. Ce que je veux dire par là est que, pour lui, pour les gens de sa génération, qui avaient vécu deux guerres contre l’Allemagne, ainsi que pour les personnalités aux côtés desquelles il avait travaillé pendant la guerre et dans les années précédant le Plan Schuman, la politique européenne de la France ne pouvait se concevoir indépendamment de sa politique allemande, et réciproquement. C’est pour cette raison que l’on peut affirmer que les idées de Jean Monnet sur l’Allemagne d’après-guerre, sur les intérêts de la France et sur la « construction européenne » s’inséraient tout à fait dans le consensus de la classe politique française. Aussi n’est-il pas surprenant que Jean Monnet reconnaisse dans ses mémoires que, « dans [s]es réflexions, la question allemande occupait une place centrale »2, fait que, par ailleurs, ses archives personnelles3 confirment tout à fait.
2Cette conception a toujours été portée par le souci de maintenir la paix en Europe à l’aide de structures supranationales et s’appuyait sur la reconnaissance du fait que, des « Quatre Grands »4, la France était la seule puissance indissociablement liée au destin de l’Europe, ce qui lui fait dire que « l’existence de la France [...] dépend de la solution du problème européen » 2*5.
3Si la France voulait assumer un rôle prédominant dans l’Europe laissée par Hitler – et Monnet était convaincu que ses traditions historiques et politiques en faisaient la puissance dominante naturelle de l’Europe continentale –, il fallait qu’elle se prépare à assumer cette responsabilité par des réformes administratives et industrielles d’envergure, ainsi que par une reconstruction et une modernisation rapides.
4Je crois que c’est sur la base de ces réflexions que Monnet développa l’idée d’une indissoluble triade France-Europe-Allemagne. Cette idée serait le fil conducteur des activités qu’il mena au cours des dernières années de la guerre et de l’après-guerre.
5Dans sa préface à la traduction allemande des mémoires de Jean Monnet, Helmut Schmidt a attiré l’attention sur un élément central du caractère de l’homme d’action pragmatique et a-idéologique qu’était Jean Monnet, dont n’est pas empreinte sa seule pensée politique à l’égard de l’Europe et de l’Allemagne, mais dont il a témoigné dans tous les domaines de son action : « Ses initiatives les plus importantes, il les a prises en dehors de tout mandat officiel. Ses seuls mandants étaient sa conscience, son sens des nécessités politiques et du bien commun, ainsi que son sens aigu des responsabilités, qui, ne s’arrêtant pas aux frontières de son pays, étaient ceux d’un véritable citoyen du monde6. Monnet offre l’exemple rare [...] d’un homme politique qui savait se passer de l’ingrédient le plus important de la politique, le pouvoir. Il s’attachait à définir la forme concrète d’une idée politique, à la traduire en un projet précis et cohérent. Ce n’est qu’au moment de passer à la réalisation de ce projet qu’il s’assurait de l’appui et de l’adhésion d’un homme politique au sens propre du mot, c’est-à-dire disposant du pouvoir nécessaire à la mise en œuvre du projet »7.
6Afin de mieux mettre en perspective les réflexions sur l’Allemagne menées par Monnet entre 1939 et 1951, je souhaiterais faire quelques remarques sur la question allemande8 et sur sa dimension historique, que, dans nombre de lettres, discours, entretiens et notes, Monnet a présenté comme un facteur de première importance, ce qu’il n’était pas, bien entendu, le seul à penser.
7L’Allemagne est située en plein centre de l’Europe. Sa position en Europe, mais aussi son attitude à l’égard de celle-ci, ont eu et auront toujours nécessairement des répercussions sur les structures de l’ensemble des Etats de ce continent. Chaque fois que ce « cœur » de l’Europe s’est trouvé affaibli sur le plan politique, il est devenu l’enjeu d’intérêts diplomatiques divergents, mettant en péril la stabilité de l’ordre général des nations européennes. Jusqu’au début du xixe siècle, la France a toujours su profiter de cette situation pour améliorer sa position et se donner un rôle plus important au sein de l’Europe. Or, à chaque fois que l’Allemagne, cet « État central de l’Europe », comme l’historien Heeren l’a qualifiée en 1816, a revendiqué la position de puissance hégémonique du continent, cela a failli mener à l’effondrement du système des États européens, ce qui a contribué à la faire apparaître comme un facteur de risque permanent pour la sécurité et la paix de l’Europe9. Dans la version originale de son recueil, Heeren attire l’attention sur ce problème intrinsèque de la nation allemande : « [...] l’État fédéral allemand ne se trouve en harmonie avec l’ensemble du système des nations européennes qu’en ce qu’il contribue à garantir la liberté de celui-ci. L’État fédéral allemand constitue le cœur géographique de ce système. Il a des frontières communes avec presque tous les principaux États de l’Ouest et de l’Est ; et rares sont les événements, qu’ils se produisent de l’un ou de l’autre côté de la parcelle du monde qu’il occupe, auxquels il puisse rester indifférent. Mais il est tout aussi vrai que les puissances étrangères ne peuvent, elles non plus, rester insensibles à la forme que se donne l’État central de l’Europe ! Si cet État – doté de toute la puissance matérielle qui est la sienne – était une grande monarchie avec une forte unité politique, de quelle sécurité ne jouirait-il pas ! [...] Un tel État pourrait-il longtemps résister à la tentation de s’accaparer cette puissance hégémonique à laquelle sa situation géographique et sa force sembleraient lui donner droit ? [...] L’instauration d’une monarchie unique et toute-puissante en Allemagne se solderait à court terme par la mort de la liberté en Europe »10.
8Depuis le xixe siècle, la France avait été confrontée, à plusieurs reprises, à la situation historique décrite ci-dessus. Elle était donc consciente que le seul moyen d’ouvrir à l’Europe et à l’Allemagne, mais aussi à elle-même, de meilleures perspectives d’avenir était de juguler ces tendances hégémoniques en promouvant la naissance d’une Allemagne fédérale et solidement arrimée à l’Europe et en lui permettant de jouer un rôle de puissance d’intégration et d’équilibrage du continent11.
9L’un des résultats de la Révolution Française de 1789 avait été de mettre au premier plan l’idée nationale ainsi que l’idéologie de la Nation une et indivisible. Ces idées ne tardèrent pas à passer la frontière et, dans les territoires allemands, l’idée de la Nation comme principe de configuration politique gagna vite de l’importance. Elle devint vite l’un des éléments centraux de la question allemande au xixe siècle et au-delà. Ce n’est donc qu’à l’époque de la pensée nationale que la Mitteleuropa allemande devint un problème pour ses voisins européens.
10La création, le 18 janvier 1871, dans la galerie des Glaces du château de Versailles, de l’Empire national prussien, puis son ascension politique, économique, démographique, technologique, scientifique et militaire qui le propulsa au rang de grande puissance européenne, voire de puissance mondiale, ne manquèrent pas de modifier les règles du jeu de la politique européenne jusqu’au tournant du siècle, ce dont Jean Monnet fut encore le témoin dans son enfance et sa jeunesse. La politique menée par l’Allemagne de Guillaume II, qui n’est pas pour rien dans la faillite, avant et pendant la Première Guerre mondiale, d’un système international qui se trouvait sur la voie de la globalisation, l’évolution du rôle et de la position de l’Europe à l’intérieur du système politique mondial, l’expérience d’une guerre mondiale hautement idéologique, l’échec de la paix instaurée par les traités de Versailles et de Saint-Germain, la rapide récession de l’Allemagne au rang de grande puissance européenne, la tentative avortée d’établir, avec la Société des Nations, un ordre international basé sur la légalité et le droit, la résurgence du nationalisme et de l’idée nationale, la montée en force du national-socialisme et les nouvelles tentations hégémoniques de l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale, tout cela se condensa en ce que les Allemands appelaient la « question allemande », leurs voisins le « problème allemand ». Durant la Seconde Guerre mondiale, lors de multiples tables rondes, conférences et autres rencontres, les milieux politiques et intellectuels des pays impliqués s’interrogèrent sur les moyens qui permettraient de répondre durablement à ces « incertitudes allemandes ». Les Alliés de la coalition antihitlérienne, au sein desquels la France libre ne fut pas admise dans un premier temps, étaient décidés à résoudre de la façon la plus définitive possible le « problème allemand ». En effet, l’histoire récente prouvait une fois pour toutes que la stabilité politique, la prospérité économique et la paix en Europe ne sauraient être obtenues sans qu’il soit procédé à des modifications substantielles de la configuration européenne, dont notamment une revalorisation du rôle de la France. La rapide récession de l’Allemagne au rang de grande puissance depuis 1918, la mobilisation sans précédent des hommes et des ressources par l’Allemagne national-socialiste, la domination exercée par l’Allemagne du Cap Nord jusqu’en Afrique, de l’Atlantique jusqu’au Caucase en 1942, ainsi que la volonté allemande, présentée comme une « lutte de libération de l’Europe », de mettre sur pied une communauté économique européenne, voire des États-Unis d’Europe sous l’autorité de l’Allemagne, devant englober notamment la France occupée, la France de Vichy et ses colonies, manifestaient clairement la nécessité de telles modifications, auxquelles il fallait procéder dès la défaite militaire du Reich national-socialiste. La solution national-socialiste de la « question allemande », qui concevait le Reich allemand comme la puissance arbitre d’une nouvelle Europe, n’était évidemment pas envisagée par les ennemis de l’Allemagne d’Hitler.
11Les activités que Jean Monnet mena à Londres, à Alger au sein du Comité Français de la Libération Nationale et aux États-Unis, ses nombreux contacts avec des fédéralistes, notamment européens, et ses relations privilégiées avec des responsables politiques, des diplomates, des journalistes et des industriels influents, lui permirent de suivre au plus près les discussions en cours sur l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe. C’est en s’appuyant sur la compétence qu’il avait ainsi pu acquérir que, dans les dernières années de la guerre, il se prononça, publiquement et à l’intérieur des réseaux administratifs, sur les solutions à apporter à la question allemande une fois l’Allemagne hitlérienne vaincue. Lors de son premier séjour à Washington, en 1941, Monnet rencontra, entre autres, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement belge en exil, Paul-Henri Spaak, avec lequel il eut un long entretien. Au cours de cette entrevue, les deux hommes développèrent les grands axes d’un plan dont, comme je vais m’attacher à le démontrer, des variantes resurgiront ensuite à intervalles réguliers et qui débouchera finalement sur la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier en 195112. Dans ses mémoires, Spaak rapporte une longue promenade commune de ces deux personnalités qui, nourries de leur expérience des années d’après-guerre, joueront un rôle politique et conceptuel si important dans l’histoire de l’intégration européenne : « Nous parlâmes de l’après-guerre, de la façon dont il faudrait assurer la paix et l’avenir de l’Europe. Il m’exposa la philosophie et les grandes lignes de ce qui devait être un jour le Plan Schuman »13.
12C’est dans ce contexte qu’émergea l’idée d’une « intégration positive » de l’Allemagne dans une structure européenne démocratique et supranationale14. L’analyse de la dimension historique et européenne de la question allemande démontre à quel point celle-ci a joué et joue, aujourd’hui encore, un rôle prépondérant aux niveaux européen et mondial. Cette question n’a pas brutalement fait son apparition à ce moment donné de l’histoire, mais constituait, depuis au moins la fin du xviiie siècle, l’un des thèmes centraux de l’histoire européenne.
13La nouvelle République fédérale d’Allemagne souveraine choisirait-elle la voie d’une Europe allemande ou celle d’une Allemagne européenne dans une Europe unie ? Cette question que l’on a tant débattue à l’heure de la réunification allemande en 1989-1990, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, on se l’était déjà posée dans des termes similaires entre 1940 et 1950-1951. Dans les discussions menées en France, les mêmes arguments ont été avancés, les mêmes peurs, les mêmes craintes, se sont exprimées à chacune de ces époques ; et, dans les deux cas, ces appréhensions ont su être surmontées en faveur d’une politique à long terme bénéfique pour la France comme pour l’Europe.
14Dans la suite de cette contribution, je commencerai par présenter l’indissoluble triade France-Europe-Allemagne. Je discuterai certains aspects majeurs de sa genèse, à partir de 1940, avant de me concentrer sur la période allant de la constitution du Comité Français de la Libération Nationale, en 1943, à la fin de la guerre en Europe, qui ferait de la France l’un des occupants de l’Allemagne. Dans un deuxième temps, après avoir tracé les grandes lignes de la politique allemande de la France entre 1945 et 1949 et présenté les réactions de cette dernière à la création d’un « État occidental » en Allemagne et au subséquent « problème de la réunification allemande », j’analyserai les conséquences de la guerre froide sur le besoin de sécurité de la France et sur sa politique allemande et européenne et j’examinerai les facteurs qui concourront finalement à la naissance de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier.
II. La triade France-Europe-Allemagne 1940-1945 : entre des traditions historiques et une nouvelle façon de penser
15Considérons d’abord les réflexions qui ont été développées en France, pendant la guerre, sur le futur rôle de l’Allemagne en Europe. Pour Monnet, l’essentiel était alors de ne pas répéter les erreurs commises par le passé, notamment lors de la Première Guerre mondiale et de la signature des traités de paix de 1919-1920, mais aussi dans l’entre-deux-guerres. Dans cet esprit, il préconisa, dès le début de la guerre, en 1939, que la France et la Grande-Bretagne, les derniers bastions européens de la civilisation, coordonnent leurs efforts de guerre et livrent bataille ensemble. Il s’en suivit la déclaration franco-britannique du 16 juin 1940 prévoyant la constitution d’une « union franco-britannique »15, dont Monnet dira plus tard qu’il en avait été à l’origine16, avec Lord Layton, futur membre influent du comité consultatif du Conseil Européen17. Pour Monnet, l’expérience historique témoignait de la nécessité d’une unité d’action absolue des deux nations. Ainsi, la « Déclaration of Liberty » élaborée par Monnet, de Gaulle, Pleven, Norton et Vansittart, soulignait-elle que la France et la Grande-Bretagne « are together the last great bastion of European civilization18 » et qu’elles se devaient de poursuivre la lutte en commun.
16La proposition d’union devait amener les deux gouvernements à déclarer que leurs pays ne constituaient désormais qu’une seule et même nation, qu’il n’y aurait bientôt qu’une seule nationalité et une seule monnaie, que les cabinets de guerre et les parlements des deux nations seraient regroupés et qu’une nouvelle constitution doterait les deux pays d’organes de défense et de politique économique communs19. Mais, au moment de sa rédaction, la « Déclaration of Liberty » était surtout destinée à empêcher que la France, malmenée sur le plan militaire, se voie obligée de signer une paix séparée avec l’Allemagne hitlérienne. Comme Monnet l’admettrait plus tard, ainsi qu’il le fait dans l’extrait d’interview de l’année 1961 cité ci-dessous, ce n’est pas à l’objectif de construire une future union de l’Europe que ce plan d’union franco-britannique répondait en priorité : « ... at that time I didn’t think of making Europe the way we are making it now. I thought of the very immédiate problem of the war... »20.
17Au printemps 1940, la préoccupation première de Monnet n’était donc pas la création d’une union franco-britannique comme noyau européen d’une union atlantique telle que la préconisait Clarence Streit dans son pamphlet Union now. Vouloir créer une union atlantique avant même qu’existe une union européenne n’avait à ses yeux pas beaucoup de sens : « I do not think that you can get to an Atlantic Union until you have done Europe »21.
18De son expérience de coordinateur des efforts de guerre communs de la Grande-Bretagne et de la France au cours des deux guerres, Monnet tira l’enseignement que, pour garantir une paix et une stabilité durables, il fallait d’abord faire l’union économique de l’Europe. Dans ce sens, Helmut Schmidt a tout à fait raison de dire que l’on peut presque considérer comme une « ruse de l’ Histoire » le fait que ce soit justement « la défense franco-britannique contre l’Allemagne qui ait mis Monnet sur la voie de la réconciliation avec l’Allemagne, vers laquelle s’orienteront tous ses efforts d’unification de l’Europe »22 Mais il restait un long et difficile chemin à parcourir jusqu’à sceller cette réconciliation, un chemin qui demandait, d’abord, à être préparé intellectuellement.
19Comme je l’ai mentionné plus haut, c’est en pensant en priorité à l’élément « France » de la triade France-Europe-Allemagne que Monnet se décide à rejoindre le Comité National Français à Alger23. Deux paramètres, qui concernaient la France au premier chef, mais qui revêtaient également une grande importance pour la politique à tenir à l’égard de l’Allemagne et de l’Europe, sont à l’origine de cette décision.
20Dans le cadre du nouvel ordre européen que l’Allemagne s’employa à instaurer à partir de la seconde moitié de l’année 1940, le gouvernement de Vichy fut soumis à de fortes pressions, les projets européens de l’Allemagne ne pouvant pas être efficacement mis en œuvre sans son soutien, ainsi que le soulignait un mémorandum que le « British Supply Council », dirigé par Monnet, adressa en 1940 au ministre de la guerre américain, Stimson. Du côté des Alliés, il fallait absolument parvenir à ce que Vichy n’apporte pas son soutien aux projets de l’Allemagne si l’on voulait empêcher que la propagande allemande puisse affirmer que la Grande-Bretagne n’était pas en guerre contre l’Allemagne, mais contre l’unité de l’Europe : « French acceptance of the « New Order » is indispensable for the appearance of a « New Order » of Europe, and for representing England as combatting not Germany but the unity of Europe »24. Par là même, c’est la question de l’ordre européen d’après-guerre qui était posée.
21Un autre facteur qui touchait la France de près concernait l’approvisionnement en denrées alimentaires de la France et de l’Europe, et, plus généralement, la situation économique française25. Les plans de « reconstruction » de la France après la guerre étaient élaborés sur la base d’une « connaissance de la réalité française »26 jugée satisfaisante – les informations dont on disposait étaient en effet assez complètes et de bonne qualité. Tous ces plans étaient considérés comme indissociablement liés au problème de la « reconstruction européenne ».
22A Alger27, Monnet sut mettre les compétences des personnalités qu’il fut amené à rencontrer au service de sa lutte en faveur du rétablissement de la position de grande puissance européenne de la France après la guerre et de la reconstruction européenne. Comme dans toutes ses fonctions antérieures et ultérieures, Monnet parvint à s’entourer d’experts – pour la période dont il est ici question, il s’agit surtout d’Hervé Alphand, Étienne Hirsch, René Mayer, Robert Marjolin28 et Pierre Uri – capables de se charger de responsabilités-clés29. Ce groupe d’experts devint en quelque sorte son « atelier d’idées ». Il était pour lui primordial de créer les conditions nécessaires à la mise en application des idées élaborées par le groupe. La philosophie qu’il suivait à cet effet se basait sur l’idée que la condition centrale de la résolution des problèmes internationaux était de modifier leur contexte. Une fois ce contexte modifié, les opinions publiques respectives suivraient le mouvement et évolueraient à leur tour. Dans une conférence tenue à Londres en 1962, il livra l’essence de cette philosophie en disant ceci : « Human nature does not change, but when nations and men accept the same rules and the same institutions to make sure that they are applied, their behaviour towards each other changes. This is the process of civilization itself »30.
23Comme Monnet l’écrivait dans son mémorandum du 5 août 1943 intitulé « Réflexions sur la France et l’Europe d’après-guerre » avec le sentiment que le cours de la guerre était alors en train de s’infléchir31, la condition essentielle de la réussite de tous les plans de « reconstruction européenne » était que l’on puisse empêcher qu’après la défaite de l’Italie et de l’Allemagne, l’Europe tombe dans le chaos. Monnet était convaincu que la stabilité de l’Europe et les chances d’une paix européenne prospère et durable dépendraient de la façon dont la France organiserait, après la Libération, son identité nationale retrouvée. Sans un apport conceptuel de la France à la paix et à la reconstruction de l’Europe, la réorganisation de l’Europe se ferait dans la confusion et l’hésitation et se fonderait sur des évaluations erronées de la véritable situation du continent. Sans une participation, active et à droits égaux, de la France à l’instauration de la paix en Europe, celle-ci succomberait à l’anarchie.
24Monnet était convaincu que les Britanniques et les Américains allaient se retirer des pays occupés pendant que les Soviétiques allaient tout mettre en œuvre pour ériger un cordon de sécurité en Europe. Ce serait alors à la France de trouver une réponse à la question européenne car « [... en] effet, des Alliés, seule la France est européenne ; et c’est de la solution du problème européen qu’il s’agit. Les autres, Anglais, Américains, Russes, ont des mondes à eux dans lesquels ils peuvent temporairement se retirer. La France est liée à l’Europe. Elle ne peut s’évader. De la solution du problème européen dépend la vie de la France »32.
25Dans son mémorandum du 5 août 1943, Monnet présente d’une façon tout à fait claire et convaincante d’un « point de vue français » les critères devant définir la future mission européenne de la France. Qu’il me soit permis de les reprendre en les explicitant et en les prolongeant là où cela me semble nécessaire :
- La France ne peut pas, au contraire des autres Alliés, se retirer temporairement d’Europe. Elle est située en Europe.
- La vie de la France dépend étroitement de la solution du problème européen.
- Dans une Europe libérée, au sein de laquelle l’Allemagne et l’Italie auront perdu leur statut de puissance dominante, « la France redevien[dra] la première puissance continentale »33.
- La France est prédestinée à jouer un rôle de puissance dominante en Europe en raison de son histoire et de ses traditions et institutions démocratiques. A cause de leur passé totalitaire, l’Allemagne ou l’Italie ne sauraient jouer ce rôle de façon crédible. Les autres pays du continent sont petits, nationalistes et faibles. On ne saurait s’attendre, de leur part, à des contributions décisives à la construction européenne.
- Seule la France peut donner des impulsions déterminantes en faveur d’un nouvel ordre européen ; elle peut seule prendre l’initiative de sa réalisation, « c’est donc de la France que peuvent, seule, provenir la conception d’un nouvel ordre européen et l’impulsion qui peut permettre, sinon d’en espérer la réalisation complète, tout au moins de l’entreprendre et de la réussir en partie »34.
26De ces convictions de base, Monnet tire la conclusion suivante quant aux objectifs à poursuivre dans l’Europe d’après-guerre : il faut créer ou réinstaurer un ordre démocratique en Europe et réaliser, parallèlement, l’« organisation économique et politique d’une “entité européenne” »35. Monnet aspire à l’instauration – sur la base d’une forme d’État démocratique, point essentiel pour lui – d’une structure supranationale de l’Europe, à l’aide de laquelle on transcendera les nationalismes. En effet, il est convaincu qu’il n’y aura pas de paix en Europe « si les États se reconstituent sur une base de souveraineté nationale avec ce que cela entraîne de politique de prestige et de protection économique. Si les pays d’Europe se protègent à nouveau les uns contre les autres, la constitution de vastes armées sera à nouveau nécessaire »36.
27Pour cette raison, il lui paraît souhaitable qu’une fois la paix conclue, les États européens s’unissent au sein d’une « fédération » ou, du moins, d’« une unité économique commune ». Ce processus, essentiel pour la prospérité et la paix sociale en Europe, devrait passer par une période de transition. Dans ce contexte, Monnet se penche également sur les questions devant être réglées par un congrès de la paix européen. Son projet prévoit des plans de reconstruction politique, économique et financière de l’Europe, l’instauration d’un conseil mondial avec participation européenne ainsi que la « constitution d’un État européen de la grosse métallurgie ». Il insiste également sur le fait qu’il ne faudra pas négliger de mettre sur pied un programme de règlement de la question allemande comprenant des « mouvements de population » et des réparations matérielles en faveur des pays occupés.
28A l’instar de Spaak et d’autres personnalités de l’époque, Monnet met en garde contre le danger que représenterait la répétition des erreurs commises lors de la conclusion de la paix de 1919 et pendant l’entre-deux-guerres. Il n’a de cesse de souligner les conséquences catastrophiques d’un possible retour du nationalisme politique et économique, tel qu’on l’a vécu avant 1914 et avant 1939. Seul l’établissement d’un ordre de droit international structuré de manière pouvoir fonctionner efficacement lui semble pouvoir s’opposer à la résurgence du nationalisme : « Le maintien de l’ordre au nom de la Nation ne sera satisfaisant que s’il est réalisé dans la légalité. Le drame européen est celui de l’arbitraire. Le respect de la loi doit être rétabli. Le pouvoir doit être dépersonnalisé. Il faut exclure le despotisme et l’anthro-polâtrie. Avant l’avènement des régimes totalitaires, essentiellement vers 1914, il en était ainsi dans presque toute l’Europe »37.
29Après d’intenses discussions avec ses collaborateurs, après avoir analysé, politiquement, économiquement et stratégiquement, la situation européenne et les besoins de la France et de l’Europe une fois la guerre terminée, Monnet était convaincu, au mois d’août 1943, qu’il fallait absolument amener le Comité Français de la Libération Nationale à épouser un point de vue commun. Il était essentiel que celui-ci parvienne à unifier les positions de ses membres et à devenir, avant même la création d’un gouvernement provisoire, l’interlocuteur privilégié des Alliés, ce qui lui permettrait de faire entendre et de défendre les intérêts de la France à l’égard de ceux-ci et de « parler à la France et [de] parler au monde »38.
30En amont de la conférence de Téhéran, une table ronde sur la reconstruction européenne39, réunissant, outre Monnet, le Général de Gaulle, René Mayer40, André Diethelm, Hervé Alphand41 et d’autres personnalités, fut organisée le 17 octobre 1943 à Alger. Une fois encore, le sujet principal était la reconstitution d’une Europe libérée sur de nouvelles bases politiques et économiques garantissant une paix durable et la prospérité de la France et de l’Europe. On s’y interrogea également sur l’opportunité de créer une zone européenne de libre-échange. Monnet souligna qu’il fallait accorder une attention particulière au problème allemand car c’était là une condition sine qua non de la paix et de la prospérité en France : « M. Monnet [...] pense que l’Europe doit constituer un ensemble économique unique d’échanges libres, en tenant compte du fait que le problème allemand doit en même temps faire l’objet d’une solution particulière ; car c’est ainsi seulement que la sécurité et la prospérité de la France pourront être assurées »42.
31Et Monnet d’ajouter que, si l’on choisissait la solution d’une Allemagne divisée, on devait veiller au préalable à ce que chacun des anciens États du Reich soit solidement ancré dans l’ensemble européen, pour éviter que les forces politiques attachées à l’idée d’un grand et puissant État national unitaire allemand ne reprennent une nouvelle fois le dessus : « On peut désirer une division politique de l’Allemagne, mais à une condition : c’est que chaque État germanique constitue un élément de l’ensemble européen, partageant les mêmes avantages que les autres éléments. Dans le cas contraire, les différentes parties de l’Allemagne divisée auront tendance à s’agglomérer de nouveau pour reconstituer un vaste État germanique au centre de l’Europe »43.
32Or, ce cas de figure ne se présenterait pas si l’Allemagne était fondamentalement remodelée. Dans cette perspective, et pour le bien de toute l’Europe, Jean Monnet proposa que l’on retire à l’Allemagne ses régions disposant de riches industries minières et métallurgiques et que l’on incorpore celles-ci dans un État industriel européen regroupant le bassin de la Ruhr, la Rhénanie et la Sarre, ainsi que le Luxembourg, et dont la production reviendrait à « l’Europe entière ». De Gaulle et René Mayer exprimèrent aussitôt leur opposition à ce projet, arguant qu’un État européen de cet acabit favoriserait l’industrie allemande et fortifierait la position de l’Allemagne. Tous deux jugeaient très difficile d’associer la France et l’Allemagne, après la Guerre, dans une union économique et préconisaient plutôt de réunir ceux des États d’Europe occidentale qui disposent de traditions communes et d’économies complémentaires44. La France serait appelée à jouer un rôle important dans cette union économique de l’Europe occidentale qui comprendrait, aux côtés de la France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et, peut-être, la Rhénanie, l’Italie, l’Espagne et la Suisse45. Mais cette solution ne pourrait être mise en pratique sans des pourparlers préalables avec l’Union soviétique et l’« organisation et le fonctionnement de l’Union européenne occidentale » exigeraient certainement aussi la conclusion d’un accord avec la Grande-Bretagne, ainsi que le maintien de bonnes relations avec les États-Unis. Pour pouvoir assumer cette position privilégiée au sein de l’Europe occidentale, la France devait augmenter son poids économique en procédant à de profondes réformes et restructurations de son économie.
33Cette solution établissait elle aussi, quoique de façon négative, une connexion entre la modernisation de la France et le problème allemand. Comme on peut le voir, de quelque bord qu’elles provinssent, les propositions françaises prenaient acte de cette interdépendance et en faisaient l’un des principaux facteurs de la triade France-Europe-Allemagne, en même temps que l’idée directrice de la politique allemande et européenne de la France. Gérard Bossuat a, en diverses occasions, mis l’accent sur cette interdépendance indissoluble, qui doit être considérée comme un élément majeur pour l’appréhension de l’attitude de Jean Monnet à l’égard du problème allemand. Bossuat a ainsi livré l’une des clés essentielles de la compréhension et de l’analyse du rôle, souvent ambigu, que joue la question allemande dans la pensée de Jean Monnet : « [L] a problématique française de modernisation est inséparable d’une réflexion sur la place de l’Allemagne en Europe. Sur le court terme, on l’a vu, la France manifeste des appétits constants pour le charbon allemand. Pour l’avenir, elle conçoit l’avenir de l’Europe avec une Allemagne affaiblie, politiquement et économiquement »46.
34Les analyses des dirigeants français s’appuyaient notamment sur la prévision du retrait des États-Unis du continent européen, une fois la paix conclue, et sur la conscience du fait que les possibilités de développement politique et économique de la France, « puissance européenne », seraient intimement liées aux conditions générales de l’évolution de l’Europe, ce qui n’était pas le cas de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique. Cela explique que, dans les projets français de « reconstruction européenne » élaborés pendant la guerre et dans l’immédiat après-guerre, les réflexions sur une « construction européenne anti-allemande » occupaient une place si importante. Celle-ci garantirait la sécurité de la France et lui permettrait de procéder à la modernisation nécessaire à son accession au rang de puissance continentale prédominante.
35Durant la phase finale de la guerre, Monnet fit plusieurs séjours aux États-Unis au cours desquels il présenta une analyse de la situation de l’Europe intégrant la perspective transatlantique. Dans les années 1943 et 1944, il donna plusieurs conférences publiques sur le rôle de l’Europe après la guerre et sur la place de la France dans l’ordre d’après-guerre – et donc sur la solution de la question allemande – qui suscitèrent un grand écho dans la presse. Lors d’une conférence sur les objectifs de paix français, qu’il tint le 6 décembre 1943 devant le Council of Foreign Relations à New York, Monnet fit la réponse suivante à un membre de l’assistance qui regrettait qu’il n’y eût pas de contrepoids efficace aux Trois Grands : « The situation would be an impossible one if an Europe were to be rebuilt wherein France would have to think in terms of defending herself against eighty million Germans »47.
36Au printemps 1944, Monnet évoqua une nouvelle fois le problème allemand dans le contexte de l’avenir de l’Europe et de la France, en affirmant qu’après la libération de la France et de l’Europe, il faudrait résoudre une fois pour toutes le problème central de la sécurité et du développement dans la paix du continent européen, « c’est-à-dire le problème allemand en Europe ». Comme il l’avait fait dans nombre de mémorandums, de lettres et de conférences, Monnet ne manqua pas de souligner, le 11 mars 1944 devant la Metropolitan Opéra Guild, qu’en vertu de son « great traditional rôle through her historical position in Europe, and the strategie importance of her territories overseas »48, la France était appelée à jouer à nouveau un rôle déterminant en Europe une fois la paix retrouvée. Mais, après la Libération, la situation de la France vis-à-vis du problème allemand serait la suivante : « But then she will be confronted with the same tragic problem that is hers – the problem of how to insure the security of her people since she has to continue to live next to those who three times invaded her, who twice hâve brought your boys to the soil of Europe. France cannot solve this problem alone »49.
37Sans un système de sécurité collective et « without solving the core of the trouble which is the German problem in Europe », il n’y aura pas de paix durable en Europe50.
38Or, fait essentiel pour l’évolution ultérieure en la matière, Monnet entrevoyait tout à fait la possibilité d’une solution du problème allemand qui soit acceptable pour la France et pour l’Europe : « As to the German Problem, we must establish such conditions as to make it possible at last one day for a peaceful German people to cooperate with other nations. But for this, I arn convinced that Germany must be fundamentally transformed not only in its governmental institutions but also in its military traditions and its material strength51. Out of this may corne a better and doser organization of Europe, and coopération between Europe and the rest of the world. But before this can even be attempted, we must see to it that chaos does not overtake Europe as a resuit of libération »52
39Les réflexions de Monnet sur la solution à apporter au problème allemand, qui conduisirent le New York Times à titrer « Frenchman urges Changes in Reich. Transformation of Country’s Government and Traditions are needed »53, se fondaient sur les prémisses suivantes, quelle que fût la future composition territoriale de l’Allemagne :
40L’intégration de l’Allemagne d’après-guerre dans une structure européenne supranationale est conditionnée :
- par la création et le solide ancrage d’un ordre démocratique libéral stable ;
- par une transition ordonnée de la guerre à la paix en Europe et qui tienne compte des intérêts de la France. Afin d’éviter le chaos, l’approvisionnement en denrées alimentaires doit être garanti.
III. La triade France-Europe-Allemagne 1945-1952 : entre libération, blocus, irritation et partenariat54
41Durant la dernière phase de la Seconde Guerre mondiale, les relations entre les principaux Alliés s’étaient assez notablement refroidies. Depuis l’été 1944, la méfiance allait croissant. Les points de vue respectifs divergeaient et il devenait de plus en plus difficile d’éviter les désaccords, que seuls des artifices rhétoriques parvenaient encore, et assez maladroitement, à maquiller. Ceci devint manifeste à l’occasion de la conférence monétaire mondiale de Bretton Woods (1944), comme lors de la conférence préparatoire des Nations unies de Dumbarton Oaks (1944), de la conférence de Crimée (1945), de la conférence de San Francisco du printemps 1945, et, tout particulièrement, de la conférence de Potsdam. Avec des degrés d’intensité et des centres de gravité géographiques différents, la « guerre froide » avait déjà commencé. De sérieux doutes planaient sur la volonté des « Trois Grands » de mener une politique commune à l’égard de l’Allemagne et de réaliser ensemble les idées de politique européenne et mondiale développées pendant la guerre. Ce nouveau contexte amenait les Européens, mais surtout la France – qui, selon Hervé Alphand, l’étroit collaborateur de Jean Monnet, devait jouer un « rôle capital à l’ouest de l’Europe »55 –, à se demander comment et sur quelles bases ils pourraient mener à bien la reconstruction politique, économique, sociale et territoriale de l’Europe. L’Europe pourrait-elle agir selon ses propres conceptions ou devrait-elle se plier à la volonté de puissances plus fortes qu’elle, serait-elle sujet ou objet de la politique mondiale ? La France parviendrait-elle à se comporter en véritable grande puissance européenne et à apporter cette contribution à la « reconstruction européenne » que Jean Monnet avait peaufinée et, qu’en tant d’occasions au cours de la guerre, il avait présentée comme une condition de la survie de l’Europe ? Ou l’année 1945 marquerait-elle effectivement la « finis Europae » prédite par certains ? Lorsque les hostilités cessèrent, il semblait en effet y avoir « plus de raisons que jamais de prédire la fin de ce continent »56.
42Au terme de la guerre en Europe, en mai 1945, tous les pays européens se voyaient confrontés à de graves problèmes alimentaires et d’approvisionnement, ce que Monnet et ses collaborateurs avaient craint et prédit. Ces problèmes provenaient de la chute de la production agricole provoquée par la guerre, l’absence presque totale d’engrais, les pillages et les abattages forcés. Cette situation ne changerait de façon significative qu’à partir de 1947-1948. Dans toute l’Europe, la priorité absolue des hommes était de trouver des stratégies de survie. En raison de la dépréciation galopante des monnaies, on assista à la naissance de vastes marchés noirs, à l’apparition du troc et à l’organisation d’expéditions de ravitaillement à la campagne. Dépassées par l’ampleur du problème, les instances politiques réagirent en prenant des mesures telles que la réquisition d’appartements, l’instauration de cartes d’alimentation et de tickets d’habillement. L’Europe se ressentait de l’absence d’un véritable engagement en faveur de sa reconstruction politique et économique. On était entré dans une phase critique dont, selon Jean Monnet, il était urgent de sortir si l’on voulait éviter que l’Europe ne sombre dans le chaos. La période de transition entre la guerre et l’établissement d’une paix durable et sûre devait être la plus brève possible. L’établissement de la paix et l’organisation du nouvel échiquier politique européen dépendaient de façon cruciale de la solution apportée au problème allemand et de la solidité de l’ancrage européen, à l’intérieur d’un « cadre général »57, d’une Allemagne qu’à la fin de la guerre, il restait encore à concevoir. Dans ce contexte, comme au cours de la guerre – et jusque dans les années 50, voire plus tard –, on put constater qu’il y avait un lien immédiat et indéfectible entre la question allemande et l’intégration européenne. En raison de leurs implications politiques, économiques, psychologiques et militaires, les politiques européenne et allemande ne pouvaient, dans la plupart des cas, être dissociées et la triade France-Europe-Allemagne gardait toute son actualité. Or, l’expérience historique enseignait que la seule solution du problème allemand consistait en l’ancrage solide de l’Allemagne, soit dans une Europe des Nations, soit dans une fédération européenne. A mesure qu’approchait la fin de la guerre et après la Libération de la France, la « question allemande » s’installa progressivement au cœur des discussions sur le futur de l’Europe, devenant l’un des principaux enjeux. Au cours de ces discussions, un certain nombre de conditions préalables et de priorités « du point de vue français » étaient répétées avec insistance par les représentants de la France. Qu’il me soit permis de présenter brièvement les plus importantes :
- Pour que les problèmes de l’Europe d’après-guerre puissent être résolus, il est impératif que soit apportée une réponse définitive à la question allemande, qui est d’un intérêt majeur pour la France.
- Après la guerre, on devra procéder à une intégration totale de l’Europe. La mise sur pied d’un authentique système fédéral se présente comme la meilleure solution à cet égard. Un ordre fédéral permettra de céder des droits souverains à des degrés divers et pour des domaines politiques déterminés et, par le biais d’instances de contrôle, de préserver en même temps les droits d’intervention de chaque pays.
- Avant de passer à la solution de la question allemande, à l’occasion par exemple d’un congrès pour la paix, on doit veiller à empêcher que l’Europe ne sombre dans le chaos. Des instances démocratiques doivent être créées ou, selon les pays, réinstaurées. L’Allemagne démocratique ainsi établie, et qui devra nécessairement disposer de structures et d’une organisation en parfait état de fonctionnement, devra être intégrée dans la communauté des peuples européens.
- La reconstruction économique de l’Europe doit être considérée comme l’un des objectifs de paix suprêmes. Ce point signifiait, et pas seulement pour les Français, « reducing the economic potentialities of an overindustrialized Germany, a new division of plants and factories over the continent, and a reasonable measure of industrialization of the poor agricultural countries of Europe, whithout which there could be no rise in the standard of living amongst the populations »58.
43Les questions relatives à la désindustrialisation de l’Allemagne occupaient une place très importante dans les discussions françaises portant sur l’immédiat après-guerre. S’il avait résolument rejeté le Plan Morgenthau, Monnet partageait cependant l’idée qu’il fallait affaiblir la position de l’Allemagne dans les secteurs industriels dont l’activité pourrait servir à la préparation d’une nouvelle agression militaire. Ce point de vue revient régulièrement, sous différentes variantes, dans ses notes et discours. Il est fort probable que, dans une perspective française de long terme, le souhait de voir un jour se modifier, en faveur de la France, le rapport de forces entre les industries et les économies allemande et française ait joué un rôle dans ces prises de position. Et c’est sans doute cela qui explique que le « problème Rhénanie-Westphalie », la question de l’appartenance politique et économique de la Rhénanie, celle de la création d’un État Rhénan et les interrogations au sujet de l’internationalisation de la Ruhr, soient si souvent abordés dans les projets français et fassent l’objet de tant de longs mémorandums. L’une des idées envisagées dans ce contexte consistait à intégrer dans le territoire douanier français, voire à rattacher politiquement à la France59, des territoires allemands riches en gisements houillers et en mines de fer. Comme on l’a fort pertinemment souligné, le fait d’assurer à la France « un approvisionnement satisfaisant en charbon [... était] l’élément central et la pierre de touche du plan de modernisation de l’industrie française élaboré par Monnet et ses conseillers en 1944/45 »60. Toutefois, la France ne parvint pas à maintenir les exigences maximales de sa politique à l’égard de l’Allemagne, qui obéissait à la devise « Grandeur, sécurité, charbon », découlant elle-même de ses « craintes concernant son statut de grande puissance, sa sécurité [...] et son approvisionnement en charbon [...], consciente qu’elle était de l’importance de l’énergie, facteur déterminant de la reconstruction française »61. Les principaux éléments qui s’opposèrent à la satisfaction de ces exigences furent l’instabilité politique de la IVe République dans l’immédiat après-guerre, caractérisée par de fréquents changements de la coalition gouvernementale et la revendication de droits de co-décision par le parlement, l’absence de conceptions claires dans la politique d’occupation de l’Allemagne62, mais aussi, et surtout, les divergences de vue entre les Alliés63.
44Les grandes lignes des résolutions adoptées par le conseil des ministres français en juillet 1945 prévoyaient une politique d’occupation64, et plus généralement une politique allemande, dure mais juste, et comprenaient la disjonction permanente des provinces rhénanes du reste de l’Allemagne. Ces idées directrices devaient être soumises aux autres puissances d’occupation lors des conférences des ministres des Affaires étrangères. Elles s’appuyaient sur les deux principes de base suivants : En résumé, la politique française à l’égard de la région rhéno-westphalienne est commandée par deux principes essentiels :
- cette région doit être séparée du reste du Reich au triple point de vue militaire, économique et politique ;
- les mesures adoptées pour réaliser cette séparation doivent avoir un caractère permanent65.
45Le projet du gouvernement français, basé sur des poncifs traditionnels et désuets, mais qui répondait tout à fait aux souhaits de la majorité de la population française de l’époque, prévoyait une séparation définitive des régions rhénanes de l’Allemagne. Ce projet était motivé par des considérations économiques et de sécurité, mais aussi et d’abord par la volonté d’obtenir la « déprussianisation » de l’Allemagne. Conformément aux conclusions des discussions menées pendant la guerre, on s’attacherait à encourager les velléités séparatistes en Allemagne. Paris songea même, entre autres possibilités, à promouvoir la refondation de l’ancien « Corps Germanique », réunissant des États indépendants allemands comme la Bavière, la Saxe, les États de la Hesse et du nord de l’Allemagne. Ces différents projets avaient en commun le même objectif, que la France tenait absolument à réaliser : « Il n’y aura plus de Reich, de gouvernement centralisé »66, ainsi que le formula de Gaulle dans son programme de politique allemande annoncé le 18 janvier 1946 – le jour de la commémoration de la création de l’Empire allemand, en 1871, dans la galerie des Glaces du château de Versailles67.
46Les exigences françaises furent jugées excessives par les Alliés et rejetées comme étant inacceptables. Leur désaccord se manifesta de façon de plus en plus claire lors des diverses conférences des ministres des Affaires étrangères qui eurent lieu entre 1945 et 1947 et à l’occasion des contacts intergouvemementaux entre Paris, Londres, Washington et Moscou. Paris dut alors se résoudre à réviser sa position tout en veillant à ne pas perdre la face ; ce retrait forcé marqua la naissance d’une nouvelle politique allemande et européenne de Paris68. Par ailleurs, la politique allemande du gouvernement français suscitait de nombreuses critiques au sein même du pays. Des partis, des associations et des représentants de toutes sortes de groupes proposaient des projets alternatifs et rejetaient le revanchisme, qu’ils jugeaient dépassé.
47Chercher à priver l’Allemagne de toute ambition de puissance, à s’accaparer ses ressources économiques et son potentiel industriel et permettre ainsi à la France de se poser comme puissance prédominante du continent européen, était un objectif que, dans une certaine mesure, Jean Monnet partageait69. Ses positions sur la question allemande étaient d’une grande complexité, voire parfois ambiguës70. Il craignait le retour d’un nouveau nationalisme allemand et la possible ambition des militaires allemands et des magnats industriels de la Ruhr de voir renaître la suprématie allemande. A cet égard, Monnet était résolument « d’abord français », même si le cours qu’avait pris l’histoire depuis la Première Guerre mondiale avait fait de lui un anti-nationaliste convaincu et l’avait mis en quête de solutions nouvelles. Or, en même temps, il était cet « anti-Poincaré » (Hervé Alphand) qui était prêt à construire un avenir européen commun avec une Allemagne démocratique et pacifique qui aurait laissé derrière elle son passé militariste. A ses yeux, la discrimination, la volonté de grandeur et l’arrogance ne mèneraient jamais à la création d’une Europe unie. Il se situait donc davantage dans le camp de ceux qui, sans attendre la fin de la guerre, avaient préparé des plans prévoyant l’intégration d’une Allemagne démocratique dans un nouvel ordre européen qu’il s’agissait de créer et qui, dans les débats qui se déroulaient à présent en France, continuaient à défendre ce type de solution comme le meilleur moyen de surmonter le « problème allemand »71.
48A l’intérieur du gouvernement, le consensus sur la politique allemande commençait lui-même à s’effriter. Ainsi, Léon Blum écrivait-il, le 15 juillet 1946, dans le journal d’opinion « Le Populaire », qu’il ne pouvait soutenir la ligne défendue par le gouvernement qu’en ce qui concernait les livraisons allemandes de charbon, le contrôle international de la Ruhr et la présence prolongée de troupes en Rhénanie. Une cession à la France de la Rhénanie, de la Ruhr et d’autres territoires allemands n’était pour lui pas acceptable pour des raisons de principe. Et d’ajouter qu’il était vain d’espérer que la Grande-Bretagne et les États-Unis apportent un quelconque soutien à cette ligne politique72.
49En raison de l’évolution de l’Europe et de l’Allemagne depuis 1945, mais également de la divergence croissante des positions des Alliés et de l’isolement français en matière de politique allemande, et à la suite de la décision de la Grande-Bretagne et des États-Unis de ne pas faire cas du « non » français et de regrouper leurs zones d’occupation respectives en une zone mixte afin de créer un État démocratique et fédéral dans les zones d’occupation occidentales, la France fut contrainte de modifier sa stratégie. Pour avoir une chance de faire avancer le moindre de ses objectifs et de ses intérêts économiques, il fallait qu’elle épouse une politique allemande plus modérée73. Ceci étant, au début de l’année 1947, la création d’un « Corps Germanique » de régime fédéral était encore envisagée par Paris. En amont de la conférence des ministres des Affaires étrangères de Moscou en 1947, qui devait traiter de la question allemande, Paris tenta une nouvelle fois de gagner Washington, Moscou et Londres à ses idées de politique allemande en rédigeant, le 17 janvier 1947, des mémorandums sur l’organisation territoriale et constitutionnelle de l’Allemagne74. Eu égard à la nécessité dans laquelle se trouvait la France d’obtenir des soutiens financiers américains, on renonça, dans ces mémorandums, à l’ancienne revendication d’un « démembrement de l’Allemagne ». Du point de vue français, deux choses devaient être évitées « dans l’élaboration de la nouvelle géographie politique d’une Allemagne fédérale ». Il serait dangereux :
- « de créer de trop grandes masses par le groupement de petits et moyens États suivant la méthode qui a servi de système d’unification à l’État prussien », alors qu’à l’extrême opposé, rien ne serait ;
- « plus périlleux que de procéder à un découpage trop poussé aboutissant à concevoir des États incapables de retrouver ou de préserver une individualité sérieuse »75.
50L’organisation territoriale devait en même temps tenir compte des réalités économiques de base et des traditions historiques les plus marquées. Les intérêts politiques et sécuritaires de la France exigeaient de trouver un système qui jugule toute velléité de création d’un État allemand centralisé, mais qui permette cependant de grouper les États de l’ancien Reich dans un régime fédéral en état de fonctionner. Lors des discussions françaises, mais également dans des projets élaborés en Allemagne du Sud76, on envisagea la création d’une nouvelle Confédération Germanique. Ces propositions prévoyaient que les États allemands ne cèdent que les droits souverains qui étaient absolument nécessaires au fonctionnement de l’organe confédéral commun. Cette idée est très clairement exprimée dans les mémorandums français sur la future organisation constitutionnelle allemande : « Il est indispensable de restituer aux États tous les moyens d’exprimer librement leur vie propre qui avait été abolie par le régime national-socialiste. Les États auront toute latitude pour élaborer leurs constitutions sous réserve de respecter les principes fondamentaux énoncés précédemment »77.
51Les projets constitutionnels élaborés par le gouvernement français pour son voisin de l’est se basaient sur un modèle de confédération dans lequel les États membres garderaient un maximum de leurs prérogatives d’État, surtout dans les domaines financier et économique, et dans lequel les compétences du gouvernement confédéral étaient restreintes et clairement délimitées. Ce principe est clairement énoncé dans le passage du mémorandum français sur l’État confédéral où l’on peut lire que « les États doivent être considérés comme les éléments de base du Bund »78.
52Les propositions françaises figurèrent bien à l’ordre du jour de la conférence de Moscou, mais la délégation française ne réussit ni à imposer son projet d’organisation confédérative de l’Allemagne, ni à faire progresser la clarification des questions territoriales. Les questions de la Ruhr et de la Sarre restaient en suspens, tout comme celle du charbon, pourtant cruciale pour la France. La diplomatie française ne parvenait pas à tirer profit des tensions croissantes entre les États-Unis et l’Union soviétique. De plus, le Quai d’Orsay dut constater à son grand désarroi qu’il n’était pas possible de parvenir à un accord avec l’allié oriental, l’Union soviétique, et que, bien au contraire, les politiques allemandes de Paris et de Moscou divergeaient de plus en plus, rendant tout compromis impossible. L’escalade de la guerre froide et la perspective d’une division de l’Europe par une ligne coupant l’Allemagne en deux, les changements qui étaient intervenus dans la politique européenne des États-Unis depuis début 1947, l’initiative en faveur de la reconstruction européenne, le Plan Marshall, annoncée le 5 juin 1947 lors de la conférence des premiers ministres de Munich, et la constitution du conseil économique de la zone anglo-américaine, fin juillet 1947 à Francfort-sur-le-Main, considéré par la France comme le noyau d’une organisation centraliste de l’Allemagne – tous ces événements contraignirent la France à renoncer à sa politique de blocage et à se résoudre à se rapprocher des puissances occidentales79. Ce changement de cap forcé ne se fit qu’après de fortes hésitations et à contrecœur80. Comme le soulignait Raymond Poidevin, « le problème allemand est inséparable de l’offre d’aide américaine. Chacun comprend qu’il ne peut être question d’organiser l’Europe sans y inclure l’Allemagne. Mais ne faut-il pas du coup essayer d’assurer la sécurité de la France et son redressement économique tout en interdisant un redressement trop rapide du vaincu ? »81 Lors de la conférence des ministres des Affaires étrangères de Paris, en juin 1947, Bidault concéda à ses collègues qu’un programme de relèvement économique de l’Europe excluant l’Allemagne était impensable et se déclara prêt à inclure les trois zones d’occupation occidentales de l’Allemagne dans le Plan Marshall. Avant cela, il fallait cependant régler différentes questions concernant l’Allemagne, sans que cela entérine pour autant un statut définif de cette puissance. Aux yeux de la France, il était nécessaire de s’entendre sur le niveau d’industrialisation qu’on lui autoriserait, sur les réparations et sur la question de la Ruhr. Bidault essayait de se servir de la conférence sur le Plan Marshall pour influencer la politique anglo-américaine dans un sens plus conforme aux vues françaises. Son ministère était la figure de proue de ceux qui s’indignaient de la volonté anglaise et américaine d’élever le niveau d’industrialisation de l’Allemagne avant que la capacité de production de la France n’eût été améliorée. Afin de voir se réaliser au moins les objectifs minimaux de la France, tels que la définition et la garantie des frontières occidentales de l’Allemagne, la séparation permanente de la Sarre, l’occupation pour une durée indéterminée des territoires allemands de la rive gauche du Rhin, l’organisation constitutionnelle de l’Allemagne sur une base confédérale et, également, l’accès aux ressources de la Ruhr, Bidault alla même jusqu’à proférer la menace, face à Marshall et à Bevin, que la France ne participerait pas au Plan Marshall82. La position des États-Unis, lors des consultations bi- et trilatérales de l’été 1947 à Paris, à Genève et à Washington, était on ne peut plus claire. Alors que les partisans de la politique allemande et européenne de de Gaulle au Quai d’Orsay, surtout le ministre des Affaires étrangères Bidault et le directeur général des « affaires politiques » Couve de Murville, s’attachaient encore à limiter le potentiel industriel de l’Allemagne et donnaient priorité absolue au développement de l’économie française, les Américains étaient convaincus de la nécessité, pour le bien de l’Europe entière, du redressement économique de l’Allemagne. Face à l’exacerbation du conflit entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France à propos de la question allemande et de l’initiative non concertée de Clay et de Robertson concernant la question de la Ruhr, Monnet, en tant que directeur de la commission économique du Plan, se vit obligé d’intervenir dans le débat. Au cours de la guerre, il n’avait cessé de répéter que la seule chance de préparer aux Français un avenir prospère et de doter la France d’une position internationale digne d’elle résidait dans l’accomplissement de la double tâche qu’étaient le relèvement et la modernisation du pays. Dans une note du 6 septembre 1946, Monnet formula ainsi l’objectif devant guider la reconstruction et la modernisation de la France : « L’objectif est que la France atteigne en 1950 une situation qui lui permette de porter sa production à un niveau suffisant et d’avoir modernisé ses prix de revient à un point tel qu’elle soit en mesure de donner aux Français toutes les conditions matérielles de la vie moderne des pays les plus avancés, de pouvoir exporter en concurrence avec les autres pays des produits de France ou des produits transformés en France en quantité suffisante pour assurer le paiement, par ce seul moyen, des importations essentielles à la vie de la France. Pour atteindre cet objectif, nous devrons développer nos ressources au maximum, moderniser nos méthodes et nos machines (...) »83.
53Dans cette note, Monnet soulignait les déficits et les problèmes, notamment dans les secteurs industriel et énergétique, que la France se devait de résoudre si elle voulait assurer à la fois sa sécurité et sa compétitivité sur le marché mondial. Il lui paraissait indispensable que les Français s’unissent dans un effort commun en vue de réaliser ces objectifs et de créer ainsi une « France nouvelle et forte » : « [...] tandis qu’un effort collectif tendant à utiliser nos ressources aux choses essentielles devrait nous permettre, aux environs de 1950, de surmonter ces difficultés »84.
54Eu égard aux retards accumulés par la France dans l’entre-deux-guerres et à la nécessité d’une modernisation de l’État, de l’économie et de la société, il jugeait aussi contre-productive que dangereuse la politique de confrontation avec les Alliés occidentaux pour laquelle avait opté le ministre des Affaires étrangères Bidault à propos de la question allemande. Ce n’était pas par cette voie que l’on parviendrait à imposer sur les scènes européenne et mondiale une « France nouvelle et forte », remodelée en profondeur. Dans un mémorandum qu’il adressa à Bidault fin juillet 1947, Monnet l’exhorta à obtenir un règlement rapide, et favorable à la France, de la question de la Ruhr – souhait qu’il n’avait cessé d’exprimer avec insistance depuis 1945, toujours porté par le souci de satisfaire les besoins énergétiques de la modernisation du pays – et à œuvrer pour l’intégration de l’Allemagne dans le processus de relèvement de l’Europe, ainsi que pour une collaboration étroite entre les Alliés occidentaux. La France, notamment à cause de la question allemande, devait éviter de s’isoler. Toute coopération européenne fructueuse passait par une solution satisfaisante du « problème allemand ». Dans ce contexte, trois points lui semblaient mériter une attention particulière :
- le rétablissement économique de l’Allemagne est indispensable à la reconstruction d’une Europe prospère ;
- la solution des problèmes européens est indissociablement liée à la question allemande. Pour être avalisé par l’opinion publique et le Congrès américains, le programme européen doit être global et tenir compte de la question allemande ;
- seule une participation constructive au processus de relèvement européen permettra à la France de faire avancer ses intérêts et d’influer sur les solutions qui seront retenues ;
- la France a besoin des crédits prévus dans le programme de relèvement européen du Plan Marshall pour retrouver une base économique solide.
55Aux yeux de Monnet, le règlement satisfaisant de la question de la Ruhr, y compris par son internationalisation, était d’un intérêt vital pour la France. C’est pour cela qu’il souligna encore une fois que « le problème allemand [...] est au cœur de la négociation avec l’Amérique sur les crédits, car c’est lui qui, pour tous les principaux intéressés, en est la difficulté majeure »85.
56Aussi Monnet invitait-il le ministre des Affaires étrangères à « engager le plus tôt possible des discussions avec les États-Unis et l’Angleterre sur le fond du problème allemand et sur le règlement du statut de la Ruhr »86 et à conclure au plus vite un accord sur ce point. Il jugeait important que cet accord s’insère dans un programme global de relèvement européen, mais surtout qu’il intervienne avant la création de « l’Union de l’Europe », ce qui éviterait les malentendus et les conflits en son sein.
57La question énergétique était un facteur-clé de la thérapie que le commissaire au Plan français voulait prescrire à la France. Ainsi, il n’est pas fortuit qu’il insiste encore une fois sur cette question en disant qu’« [en] effet, certaines ressources allemandes, comme le charbon de la Ruhr, sont nécessaires au relèvement immédiat de l’Europe – et le relèvement allemand lui-même est une nécessité pour une Europe prospère »– et donc pour une France prospère87.
58Ainsi qu’il l’avait déjà suggéré à diverses reprises depuis 1945 dans les discussions franco-françaises et face à ses interlocuteurs américains88, Monnet considérait que le meilleur instrument de contrôle de la Ruhr consistait en une autorité internationale indépendante et forte, devant être dotée de compétences de contrôle et d’exécution, et dirigée par un « dictateur du charbon » désigné par les puissances d’occupation. Bien qu’il existât un exemple d’une telle construction, la Tennessee Valley Authority américaine, la situation d’avant 1949-1950 rendait hautement improbable que le modèle proposé par Monnet fît l’unanimité. Cependant, cette proposition ne manqua pas de jouer un rôle déterminant, en tant que modèle, dans les discussions qui devaient mener à la mise en œuvre du Plan Schuman. Le Président Auriol soutenait les efforts de Monnet et écrivit à Bidault qu’il plaçait la question de la Ruhr « au centre de toute l’action internationale » et que la solution de ce problème était « une condition du succès de l’organisation de l’Europe et des idées de Marshall »89. L’ancien collaborateur de Monnet Hervé Alphand, qui avait entre-temps été nommé directeur des affaires économiques et financières au Quai d’Orsay, monta lui aussi au créneau en adressant à Bidault un mémorandum sur l’interdépendance de l’intégration occidentale et du Plan Marshall. Dans ce mémorandum, Alphand avertit Bidault que la France se trouve à la croisée de deux chemins et qu’il lui faudra faire un choix dans les semaines qui viennent. Les décisions qui seront prises « fixeront [le] sort [de la France] pour plusieurs années ». Les aides financières des États-Unis sont conditionnées par trois éléments. L’Europe doit préparer une union douanière, assainir ses finances – notamment en jugulant son inflation et en se rapprochant le plus possible de l’équilibre budgétaire – et accorder à l’Allemagne une place de membre à part entière dans le concert des Nations90. Et Alphand de conclure : « Ainsi, sur ces trois sujets qui paraissent si différents les uns des autres, mais qui tous se rattachent au succès de l’entreprise à laquelle la France s’est résolue – problème allemand, assainissement intérieur français, unions douanières en Europe –, des décisions très prochaines doivent être prises »91.
59Les idées de Monnet, Alphand et de nombreux autres ne furent pas mises en application dans l’immédiat, bien qu’elles eussent reçu le soutien du Président Auriol – qui n’avait cependant pas manqué de souligner que toute solution de la question de la Ruhr devait comporter des garanties de sécurité pour la France. La différence de points de vue entre Monnet et Auriol a été très justement saisie par Raymond Poidevin dans les phrases suivantes : « Dans [l]a vision [d’Auriol], l’Allemagne contrôlée et surveillée doit surtout être mise au service d’une coopération européenne dont les vainqueurs seraient les principaux bénéficiaires. Vision large de Jean Monnet ; vision plus nationaliste de Vincent Auriol »92.
60Les pourparlers des puissances d’occupation sur les trois zones d’occupation occidentales en Allemagne des mois d’août et septembre 1947 ne permirent pas de se mettre d’accord. Or, la France avait absolument besoin de résultats tangibles. De mauvaises récoltes étaient venues s’ajouter aux problèmes énergétiques, ce qui avait engendré des pénuries alimentaires et une accélération de l’inflation. La raréfaction des denrées alimentaires et l’explosion des prix avaient obligé les autorités à réagir par le rationnement du pain et le gel des salaires. Le spectre du soulèvement populaire pesait sur la politique de stabilisation et de modernisation envisagée par Monnet ; le Plan Monnet était en péril. Allait-on en arriver à une crise du système démocratique, au chaos tant redouté par Monnet93 ? La France, si elle voulait éviter que les choses n’évoluent dans ce sens, avait absolument besoin d’une « aide intérimaire »94. Il fallut cependant attendre l’échec de la conférence des ministres des Affaires étrangères de Londres pour que les puissances occidentales se décident à resserrer quelque peu les rangs et à faire preuve d’une certaine solidarité. Le fait que la situation intérieure de la France et son besoin pressant des crédits américains la rendaient vulnérable aux pressions de Washington, qui l’amenèrent effectivement à accepter des concessions en décembre 1947, n’y est certainement pas étranger95. L’issue favorable de ces discussions tint toutefois davantage à ce que l’on parvint, dans les pourparlers sur « l’aide intérimaire » qui furent conclus avec succès le 2 janvier 1948, à faire une jonction entre les Plans Marshall et Monnet96.
61Comme en témoignent notamment les conférences à six de l’année 1948, qui aboutirent à la rédaction des documents de Francfort et dont les conclusions plaidaient en faveur de la création d’un État occidental en Allemagne, les Français n’obtinrent que des concessions minimales sur la question allemande. René Girault a très justement résumé les maigres résultats et la vanité des efforts français en disant que, dans un « combat en retraite permanent contre les projets anglo-américains marqué par de constantes défaites, les autorités françaises se virent peu à peu forcées de reconnaître leur impuissance et d’admettre que la politique allemande de la France était vouée à l’échec – une bien douloureuse expérience »97.
62A côté des espoirs que l’on plaçait dans la politique allemande, étaient ainsi déçus ceux que l’on mettait dans la politique européenne. L’idée d’un « condominium » franco-britannique en Europe occidentale fut suivie d’aussi peu d’effets que l’intention d’établir une coopération étroite dans une série d’autres domaines98. Ceci est parfaitement illustré par les consultations menées dans le cadre du « Comité de coopération économique européenne »99, qui débouchèrent sur la constitution d’une structure d’organisation de l’Organisation Européenne de Coopération Économique de type intergouvememental. A présent, chacun des membres essayait de s’assurer une partie la plus grande possible du gâteau de l’European Reconstruction Program. Monnet, qui avait toujours milité en faveur d’une organisation dotée de pouvoirs exécutifs étendus, était très insatisfait de la structure institutionnelle de l’OECE. Duchêne décrit ainsi la déception que la constitution de l’OECE causa à Monnet : « Monnet lost interest either in European planning or the OEEC. In later years, whenever he said of something that it was “an OEEC affair”, he meant nothing would corne out of it »100. Or, il n’est pas que l’OECE qui déçût Monnet, le processus de création du Conseil de l’Europe, dont le statut fut finalement entériné le 5 mai 1949 à Londres, en fit tout autant101.
63Au lieu d’une nouvelle « entente cordiale », c’est à la création d’une « mésentente cordiale »102 qu’on assista, due entre autres aux profondes divergences d’intérêts entre la France et la Grande-Bretagne, longtemps sous-estimées par Paris. Au printemps 1949, on fut obligé de constater que l’idée d’un condominium franco-britannique en Europe occidentale ne se réaliserait pas. Le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois Bech définit ainsi l’attitude des Britanniques : « La volonté de coopération britannique n’excède pas pour l’instant le plan des manifestations verbales »103.
64La dépendance de la France à l’égard des aides prévues par le Plan Marshall, indispensables à sa modernisation, était manifeste. Rétrospectivement, la connexion des Plans Marshall et Monnet s’avère avoir été pour la France un important « asset » (Etienne Hirsch)104. C’est donc de très bon droit que François Duchêne a qualifié d’essentiel tant le travail de Monnet et de ses collaborateurs au sein du comité de planification, que le fait qu’ils soient parvenus à convaincre des acteurs importants de tous les niveaux, aux plans national et international, du bien-fondé de leur démarche : « In the end, the bulk of the Marshall aid was channelled into the Monnet Plan. Marshall aid represented only 20 per cent of French investment from 1948 to 1952, but it was a crucial margin [...]. It greatly loosened France’s main extemal bottleneck, the inability to earn dollars. And aid offered a key to changes which France on her own might have taken far longer to achieve [...]. Without Marshall aid, the French, starved of dollars, could probably not have carried their intentions through »105.
65Le fait d’avoir écarté la menace d’un échec total du programme de modernisation de la France aura en effet été un élément essentiel pour le développement futur de l’Europe, le processus d’intégration de l’Europe occidentale, la politique allemande de la France, et donc pour la triade France-Europe-Allemagne. Monnet, comme nous l’avons vu, était très insatisfait des modalités de distribution des moyens financiers fournis par le Plan Marshall qui avaient été définies dans le cadre de la structure intergouvemementale de l’OECE. Il eût préféré, notamment au regard de la question allemande, une institution indépendante dotée de certaines compétences supranationales. S’il accordait une telle importance aux institutions, c’est aussi parce qu’il estimait que l’unité européenne devait s’appuyer sur quelque chose de plus solide que la bonne volonté. Dans ses mémoires, il a noté à ce sujet : « Nous ne pouvons pas léguer notre expérience personnelle ; elle ne sous survit pas. Mais nous pouvons léguer des institutions. La durée de vie des institutions excède celle des hommes et ainsi celles-ci, si elles sont bien faites, peuvent accumuler, et transmettre, la sagesse des générations successives »106.
66Les aides financières du Plan Marshall, les changements intervenus dans le climat politique international et la reconnaissance, par la diplomatie française, de l’impossibilité d’empêcher la naissance d’un État démocratique dans les zones d’occupation occidentales, achevèrent de produire le revirement européaniste de la politique allemande de la France. Un large consensus se fit autour de l’idée, exprimée en diverses occasions depuis la fin de la guerre, que la stabilité, la prospérité, la sécurité et la modernité de l’Europe ne pouvaient être obtenues que grâce à l’intégration de l’Allemagne dans le système européen. De plus, en 1948-1949, certaines conditions d’une intégration positive de l’Allemagne dans la communauté des peuples d’Europe semblaient être remplies.
67Dans une note sur la solution définitive de la question allemande, vraisemblablement rédigée en 1945, la destruction du potentiel militaire allemand avait été présentée comme une première étape obligée, qui devait être suivie de la modification « of the whole german outlook on the world »107. Ces deux conditions semblaient désormais satisfaites. Les observateurs français suivirent la discussion constitutionnelle allemande avec un certain contentement. En effet, pour une grande partie des intervenants de ce vaste débat, hommes politiques, professeurs de droit public comme, par exemple, Carlo Schmid, et autres personnalités, le nouvel État allemand devait être prêt à céder un certain nombre de ses droits souverains à une organisation supranationale européenne – ce que la constitution de la République fédérale allemande prévoira en effet. Avec la création d’un État démocratique allemand, était remplie une troisième condition de l’« intégration of Germany in the Community of peaceful European nations »108.
68La note citée ci-dessus, rédigée aux alentours de 1945, reflète parfaitement la conception que Monnet se faisait du sens et de la valeur des institutions. Elle renvoie à un aspect central pour l’avenir de l’intégration européenne qui, en 1948-1949, mais surtout en 1950-1951, ouvrait à l’Europe occidentale une perspective évolutionniste : « It is upon the organization and functioning of this European community that we must now focus our eyes. The exact form it will take, we do not know yet »109.
69Face aux événements de l’année 1948-1949 et étant donné qu’il était clair désormais qu’il ne fallait pas compter sur un engagement européen de la Grande-Bretagne, les propositions relatives à un partenariat actif avec l’Allemagne prirent le dessus dans la discussion française. Il revenait soudain à la France d’assumer un rôle fédérateur et d’occuper le rang de puissance prédominante en Europe occidentale. Au sein du département européen du Quai d’Orsay, on commença à considérer la possibilité de procéder, à l’intérieur de l’OECE, à un rapprochement avec l’Allemagne et les pays du Bénélux, par exemple dans le cadre d’une union douanière, rejoignant ainsi des positions que Jean Monnet avait défendues depuis les premières années de la guerre. Ce nouveau tournant de la discussion, qui permettait à Monnet de croire en la prochaine concrétisation de ses propositions110, était davantage du goût de Schuman que de celui de de Gaulle.
70Ayant pris acte de la difficulté, voire, comme l’avaient démontré l’OECE et le Conseil de l’Europe, de la quasi-impossibilité, d’instaurer une coopération franco-britannique étroite en Europe – ce qui lui paraissait pourtant être la meilleure solution –, Monnet misa sur une Europe supranationale de caractère sectoriel organisée autour d’un noyau franco-allemand111. Cette solution permettrait en même temps d’établir la structure institutionnelle correspondant à la triade France-Europe-Allemagne et contribuerait à assurer durablement à l’Europe la paix et la liberté, ainsi qu’à surmonter ces réflexes nationalistes qui avaient plongé l’Europe dans les conflits sanglants du xxe siècle. A l’occasion de différentes rencontres, au printemps 1950, entre le 16 avril et le 6 mai, avec ses collaborateurs du comité de planification et d’autres experts, Monnet élabora des propositions pour une union franco-allemande. Plus tard, il reconnaîtra, et les notes et divers documents réunis dans ses archives le confirment, que ce projet n’aurait sans doute pas trouvé sa forme définitive, qui s’avérera constituer le véritable acte de naissance de la Communauté Européenne, sans les contributions « de Hirsch et de Reuter »112. « J’exposais le but, dont j’avais une idée très claire, et, par de nouvelles formes institutionnelles applicables à l’Europe qu’ils développaient en un rien de temps, eux me livraient les moyens de l’atteindre »113.
71Pour l’élaboration de la version définitive du projet devant être proposé par le gouvernement français, les trois hommes furent rejoints par Pierre Uri. Ce dernier – qui jouera plus tard un rôle important dans le Comité Spaak au moment de la « relance européenne » – donna au projet toute sa cohérence et introduisit des propositions relatives à la constitution d’un marché commun sans barrière douanière et sans discrimination. La version définitive du document fut prête le 6 mai 1950114.
72Le préambule de ce document, qui aborde, entre autres, la question du rôle de la France dans les efforts d’unification européenne, souligne que l’Europe devra entreprendre des initiatives concrètes et inventives en faveur de la paix dans le monde et que la création d’une communauté européenne devra s’inscrire dans la volonté absolue de surmonter l’antagonisme ancestral entre la France et l’Allemagne : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de 20 ans le champion d’une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L’Europe n’a pas été faite ; nous avons eu la guerre. L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée : l’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne »115.
73Grâce à sa grande force de conviction, Monnet obtint l’adhésion de Robert Schuman, le ministre des Affaires étrangères, au projet de création d’une communauté européenne du charbon et de l’acier, projet que l’on avait tenu secret dans un premier temps. Schuman, qui avait exercé différentes responsabilités gouvernementales depuis la fin de la guerre, dont celles de Premier ministre, de ministre des Finances et de ministre des Affaires étrangères, dans le cadre desquelles il avait été amené à rencontrer Monnet, se déclara prêt à défendre le projet sur le plan politique116. L’un des facteurs déterminants de ce ralliement est sans doute le fait que Schuman considérait le morcellement de l’Europe comme un anachronisme qui devait être dépassé, alors que les idées des fédéralistes lui paraissaient excessives. A ses yeux, la voie du dépassement de l’anachronisme européen ne pouvait être que celle des petits pas concrets et clairement circonscrits. Pour Schuman comme pour Monnet, la question allemande était l’un des éléments centraux de l’avenir de l’Europe. Elle a vraisemblablement constitué l’un des principaux motifs de la surprenante initiative de Schuman en date du 9 mai 1950. Depuis le début de l’année 1950, Monnet était de plus en plus inquiet car « la situation allemande devient rapidement un cancer pour la paix »117. Si l’on voulait que la triade France-Europe-Allemagne eût un avenir, il fallait agir tout de suite. Il fallait court-circuiter les possibilités de blocage aux niveaux intérieur, extérieur et économique, en profitant de la surprise que créerait ce Plan. Inscrivant les questions allemande et européenne dans un contexte nouveau, ce dernier était en effet susceptible d’amener les opinions publiques des pays concernés à modifier leur attitude à l’égard de l’idée d’une Europe commune. Pour parvenir à ce revirement des opinions publiques, il fallait mettre en avant certains arguments qui ne manqueraient pas de convaincre les citoyens européens de l’opportunité, voire de la nécessité, de fonder une organisation supranationale. Il s’agissait de la sécurité, du problème allemand, de la paix, de la prospérité, ainsi que de l’idée « communautaire » (community idea) 118, qui englobait l’idée de paix et l’idée européenne. Ce n’est donc certainement pas sans arrière-pensée dans ce sens que Schuman, dans sa déclaration liminaire lors de la conférence de presse du 9 mai 1950, tint les propos suivants sur l’initiative française et sur les motivations de la France : « Elle a agi essentiellement pour la Paix. Pour que la Paix puisse vraiment courir sa chance, il faut, d’abord, qu’il y ait une Europe »119.
74Le dépassement de l’opposition franco-allemande était considéré par Schuman comme la condition centrale de la paix, de la sécurité et de la prospérité en Europe. C’est pour cela que l’initiative française constituait à ses yeux un pas extrêmement important : « la France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l’Allemagne »120.
75Au nom du gouvernement français, Schuman proposa de confier la gestion de la « production franco-allemande de charbon et d’acier » à une haute autorité commune. Il envisageait la création d’une organisation à laquelle d’autres pays européens pourraient participer. La constitution d’une organisation européenne du charbon et de l’acier serait « la première étape de la Fédération européenne » et, par le biais de la coopération économique dans des secteurs sensibles, offrirait de sérieuses chances d’éliminer définitivement le risque de conflits armés entre les peuples européens. Le regard tourné vers l’avenir, le Plan Schuman formulait ainsi cet espoir de paix entre les peuples d’Europe : « Par la mise en commun de productions de base et l’instauration d’une Haute autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l’Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix »121.
76Les propositions de Monnet servirent de base aux pourparlers sur la création d’une communauté européenne du charbon et de l’acier, à laquelle prirent part, outre la France et l’Allemagne, les pays du Bénélux et l’Italie, mais pas la Grande-Bretagne122. La signature du traité, le 18 avril 1951 à Paris, marqua la conclusion heureuse de ces pourparlers en donnant naissance à la première organisation supranationale en Europe. Nombreux étaient alors ceux qui espéraient que la CECA servirait de modèle pour la création d’autres organisations supranationales européennes et qu’elle ouvrirait la voie à une fédération européenne par intégration sectorielle.
77Au cours des négociations, le climat international s’était radicalement modifié en raison du déclenchement de la guerre de Corée. Sur le plan européen, mais aussi à l’intérieur de la jeune République fédérale allemande, la discussion se focalisa progressivement sur la question de la participation militaire de l’Allemagne à la défense du monde occidental. La proposition qu’avait faite Churchill, le 11 août 1950 à Strasbourg devant l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, de créer une armée européenne comprenant des troupes allemandes123 obligea une nouvelle fois la France à prendre l’initiative124. Elle réagit avec le Plan Pleven, sur la base duquel sera élaboré le traité instituant la Communauté Européenne de Défense. Une Allemagne remilitarisée apporterait-elle sa contribution à la défense du monde occidental si on lui permettait d’agir sur une base nationale ou fallait-il l’arrimer plus solidement à l’ensemble des nations européennes ? Dans un mémorandum adressé au ministre des Affaires étrangères Schuman, Monnet étudiait cette question et demandait que la France détermine sans plus tarder sa position concernant le réarmement allemand. Voulait-on que l’Allemagne fasse son retour dans la communauté internationale en tant que nation jouissant de tous les attributs de la souveraineté, et donc disposant de forces armées, ou préférait-on, conformément à l’esprit du Plan Schuman, une Allemagne « incorporée à l’Europe continentale de l’Ouest »125 ? Dans ce mémorandum, Monnet exposait les conséquences possibles des options nationale et européenne, notamment en ce qui concerne la sécurité de la France, et concluait en disant : « En bref, il s’agit de savoir si l’on traite de l’Allemagne ou de l’Europe continentale. Si l’on traite de l’Europe continentale, on peut donner au problème allemand une solution positive. Si l’on traite de l’Allemagne isolément, on empêchera la constitution de l’Europe »126.
78Reprenant la proposition de création d’une communauté européenne du charbon et de l’acier, qu’il avait élaborée en vue de la conférence de presse du 9 mai 1950, Monnet ajoute : « Le Plan Schuman devait et peut être le commencement de la création d’une Europe occidentale organisée à l’initiative de la France, en même temps que le seul règlement possible du problème allemand, par l’incorporation politique et matérielle de l’Allemagne à une communauté supranationale, comprenant, outre la France, l’Italie et le Benelux »127.
79Monnet jugeait opportun d’associer au Plan Schuman le projet de constitution d’une communauté européenne de défense. La France devait donc exiger « que la participation de l’Allemagne à la défense commune soit organisée dans le cadre européen supranational d’un plan Schuman élargi – ce plan étant élaboré à l’initiative de la France, et la Grande-Bretagne et les États-Unis participant à son élaboration »128.
80Le même jour, Monnet, dans un nouveau mémorandum adressé à Schuman, exposa sa pensée sur la position de l’Allemagne à l’égard des puissances occidentales, ainsi que sur les options qui s’offraient à la France : « Trois voies semblent ouvertes. Ne rien faire ? Mais est-ce possible ? Traiter l’Allemagne sur une base nationale, mais rendre alors la constitution de l’Europe et le succès du Plan Schuman impossible ? – ou intégrer l’Allemagne à l’Europe par un plan Schuman élargi, en prenant dans un cadre européen les décisions qui devront être prises »129.
81Monnet optait pour une « solution positive » de la question allemande par une incorporation supranationale progressive de l’Allemagne dans de nouveaux secteurs politiques. La prise en compte de l’élément militaire et sécuritaire au travers d’« un plan Schuman élargi » constituait un premier pas dans ce sens ; mais on ne devait pas s’arrêter là. Ainsi que le démontre une note de Monnet adressée à Schuman dans le cadre de la préparation de la visite que celui-ci devait rendre au ministre de l’Économie allemand Ludwig Erhard, la France avait choisi l’option de l’intégration à part entière d’une Allemagne démocratique dans la communauté des États de l’Europe de l’Ouest : « En déposant le Plan Schuman, le gouvernement français a fait un choix. Il a montré qu’il était prêt à modifier le climat de ses relations avec l’Allemagne, à lui faire confiance, et qu’il considérait en même temps développer au maximum les relations économiques entre les deux pays en réalisant comme première étape le marché unique »130.
82Avec la ratification du traité sur la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, le 19 mars à Paris, Monnet semblait avoir mis l’Europe sur de bons rails et enclenché un mécanisme devant aboutir à la réalisation du Marché Commun. Dans le discours qu’il tint à l’occasion de la conclusion des négociations, Monnet rappela les « trois points essentiels qui caractérisent la transformation fondamentale que le Plan Schuman doit apporter à l’Europe de l’Ouest :
- d’abord, le caractère supranational de la Communauté européenne du charbon et de l’acier,
- ensuite, la création d’un marché de 150 millions de consommateurs et la mise en commun des ressources en charbon et en acier,
- enfin, l’élimination des pratiques restrictives des cartels et des concentrations excessives de puissance économique »131.
83Dans ces remarques de conclusion, Monnet souligna encore une fois le caractère révolutionnaire de la création de la CECA et la perspective ouverte par la création de cette première organisation supranationale européenne : « Ce traité du Plan Schuman doit ouvrir une brèche dans les souverainetés nationales, en substituant aux barrières du passé qui nous ont jusqu’à présent divisés et appauvris, des règles communes acceptées par tous et applicables à tous pour le bien commun de nos six pays »132.
84Dans l’exposé des motifs du traité, qui fut soumis le 30 avril 1950 au Président de la République française dans le cadre du processus de ratification du projet de loi l’autorisant à signer le traité, le ministre des Affaires étrangères mentionne non seulement les arguments immédiats en faveur de la CECA, mais souligne également son importance politique et économique pour le développement d’une Europe guidée par l’idée communautaire. En effet, d’après le ministre des Affaires étrangères, l’organisation européenne qui doit voir le jour « contient en son germe une double révolution. Une révolution économique d’abord [...]. Le Plan amorce aussi une révolution politique »133.
85Avec la ratification des traités instituant la Communauté Européenne de Défense et la Communauté Politique Européenne, ainsi que du traité franco-allemand, signé en mai 1952, le processus d’intégration de l’Europe de l’Ouest par secteurs semblait être arrivé à un point de non-retour et la République fédérale semblait avoir été solidement intégrée dans la communauté des nations de l’Europe de l’Ouest. L’entente franco-allemande apparaissait comme le moteur du processus d’intégration européenne, même dans un domaine aussi sensible que la politique de défense. Mais Monnet et Schuman restaient conscients des difficultés auxquelles il faudrait encore faire face dans la « construction européenne » avant d’en arriver à une fédération européenne. Dans une conférence tenue à l’école des hautes études commerciales de Saint-Galien, au cours de laquelle il aborda les aspects politiques de l’intégration européenne, Robert Schuman souligna l’importance de la CECA, mais évoqua également les problèmes d’ordre psychologique posés par la Communauté Européenne de Défense et par le processus d’intégration européenne en général. Le processus d’intégration européenne ne peut s’appuyer sur aucun modèle historique, n’étant comparable ni à la création des États-Unis, ni à l’unification de l’Allemagne, ni à l’union des cantons suisses : « Face à un problème d’une telle envergure, l’impatience ne mène à rien. Il est exigé de nos pays quelque chose d’extraordinaire, puisqu’on demande à d’anciennes puissances ennemies de renoncer ensemble à une part de leur souveraineté. C’est une véritable gageure. Mais, en même temps, une Europe morcelée risque l’effondrement. On doit à Paul Reynaud la devise : “s’unir ou périr”. Sans inspiration et sans un grand sens moral, rien ne mène à rien dans le monde actuel. L’Europe est un peu une vision du monde » 134. Et Schuman ajoutera plus tard : « L’Europe est une entreprise de raison et non de sentiment135. »
86Nous savons aujourd’hui que, pour poursuivre notre route sur le chemin européen, nous avons grand besoin d’une vision généreuse. C’est pour cela qu’il faut toujours veiller à ce que le citoyen européen puisse faire corps avec le processus de construction de cette maison européenne dont Monnet, porté par son engagement et son expérience, fut, dès la fin de la guerre, l’un des premiers architectes. Sans l’idée de l’indissoluble triade France-Europe-Allemagne développée par Monnet, les fondations institutionnelles de cette « Europe une » n’auraient jamais été posées. L’engagement qui fit de Monnet le « Père de l’Europe » émana de la nécessité de trouver une réponse à la question allemande et au problème de la modernisation de la France, sans laquelle celle-ci serait incapable d’assumer le rôle de fédérateur européen ; il procédait de la soif de paix et de liberté, que seul le dépassement des nationalismes économique et politique à l’aide de structures supranationales promettait de garantir.
87A l’occasion de l’entérinement du Plan Schuman, Walter Hallstein fit allusion aux sources de cet engagement et à sa personnification en la figure de Monnet, en déclarant : « Nous avons eu la grande chance de trouver en Monsieur Monnet un chef de notre conférence dans la personne duquel s’est incarné cet esprit de solidarité européenne, esprit qui est l’élément créateur de la Communauté dont nous avons élaboré le projet [...]. Le souvenir de votre volonté pure, de votre objectivité, de votre persévérance, restera toujours inscrit dans nos cœurs »136.
88La satisfaction d’avoir fait un premier pas en direction de l’unité européenne n’aveugla toutefois pas Hallstein, qui rappela que le processus serait toujours accompagné de résistances, dont seule une « persévérance » à la hauteur de celle de Monnet permettrait de triompher137 : « Nous savons que la plus grande partie du chemin qui mène à la Fédération Européenne se trouve encore devant nous. Nous connaissons également notre adversaire le plus dangereux : l’égoïsme national qui divise les peuples et qui a encore ses alliés dans tous nos pays. Nous sommes assez réalistes pour savoir que notre projet ne l’a pas anéanti. Mais si, à l’avenir, cette œuvre prend corps dans l’action d’hommes animés d’un esprit vraiment européen, nous lui aurons infligé une blessure mortelle. Voilà ce que nous voulons : une Europe unie dans laquelle tous les peuples libres pourront vivre et travailler dans une communauté pacifique. Plus jamais, une guerre ne doit pouvoir nous désunir ».
Notes de bas de page
1 Le texte de cette contribution constitue une transcription de mon intervention lors du colloque sur Jean Monnet, à laquelle seules quelques légères modifications ont été apportées. Les thèses de la dernière partie ont été complétées par du matériel d’archives resté inédit jusqu’à ce jour.
2 Jean Monnet, Erinnerungen eines Europaers, Munich 1980, p. 284.
3 Qu’il me soit permis de remercier ici très chaleureusement les collaborateurs de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe de Lausanne, et plus particulièrement le professeur Henri Rieben, ainsi que Mme Françoise Nicod et M. Martin Nathusius pour m’avoir donné accès aux archives personnelles de Jean Monnet, ainsi que pour l’aide et le soutien, généreux et agréablement peu bureaucratiques, qu’ils m’ont apportés lors de mon séjour à la Ferme de Dorigny.
4 Cette expression revient de façon récurrente dans les actes diplomatiques français, ainsi que dans les documents officiels ou semi-officiels de l’époque, ce qui peut être interprété comme un indice clair de l’image que la France de l’époque avait d’elle-même et de sa revendication du rôle de grande puissance européenne et internationale.
5 Monnet, Erinnerungen, p. 284.
6 Souligné par l’auteur.
7 Préface de Helmut Schmidt, in Monnet, Erinnerungen, p. 7.
8 Le cadre de cette contribution ne me permet que d’attirer l’attention sur quelques éléments et phénomènes essentiels. Je me suis plus longuement penché sur ce sujet en d’autres occasions. Pour une discussion plus détaillée du problème allemand et de certains aspects importants de la question allemande, notamment par rapport à la France, voir : Wolf D. Gruner, Die deutsche Frage in Europa 1800-1900, Munich, Zurich 1993 ; idem, Deutschland mitten in Europa, Hambourg, 1992 ; idem, « Deutschlandproblem und Europaische Einigung zwischen der Jaltakonferenz und dem Marshallplan 1945 – 1947 », in Michel Dumoulin (éd.), Plans de temps de guerre pour l’Europe d’après-guerre 1940-1947, Bruxelles 1995, pp. 589-615, ainsi que Gruner, « Germany in Europe. The German Question as Burden and Opportunity », in John Breuilly (éd.), The State of Germany. The National Idea in the Making, Unmaking and Remaking of a Modem Nation State, London, New York 1993, pp. 201-223.
9 Voir Arnold Herrmann Ludwig Heeren, Der Deutsche Bund in seinen Verhaltnissen zu dem europaischen Staatensystem ; bey Erdffhung des Bundestages dargestellt, Gôttingen 1816.
10 Ibid., pp. 10-12.
11 Pour une présentation du contexte global, voir, entre autres, les diverses contributions de l’ouvrage : Wolf D. Gruner, Klaus-Jürgen Müller (éd.), Über Frankreich nach Europa, Hambourg 1996.
12 Voir Paul-Henri Spaak, Combats inachevés, t. II : De l’espoir aux déceptions, Paris 1969, p. 38 sq.
13 Ibid., p. 38.
14 Voir à ce sujet Politisches Archiv des Auswartigen Amtes Bonn (que l’on désignera par la suite par PAAA), Abt. 2/245, « Berichte aus Brüssel an das Auswartige Amt v. 19. u. 20.11.1951 » qui comprend des textes originaux et des coupures de journaux en français, ainsi que Wolf D. Gruner, « Germany, European Intégration and the New Europe : Problems and Perspectives », in L’Union européenne à l’aube d’un nouveau siècle. Liber amicorum Jacqueline Lastenouse-Bury, Madrid 1997, pp. 407-423, p. 418 sq.
15 Pour consulter les ébauches et la « version définitive » voir Fondation Jean Monnet Lausanne, Archives Monnet (que l’on désignera par la suite par FJM AM), E 8/2, « Déclaration d’union franco-britannique » (sous-dossier), surtout n° 1-4, 7.
16 FJM AM, E 8/3, n° 1, Interview Monnet – John Caims du 19.6.1961 : « ... the idea and the offer of the Franco-British Union originated with me... ».
17 Ibid.
18 FJM AM, E 8/2, n° 4, « Declaration of Liberty »
19 JM AM, E 8/2, n° 7, « Declaration of Union ».
20 FJM AM, E 8/3, n° 1, Interview Monnet – John Cairns du 19.6.1961.
21 Ibid.
22 Monnet, Erinnerungen, p. 7.
23 Pour une présentation de l’arrière-plan politique, voir, en particulier, l’étude de François Duchêne, Jean Monnet. The First Statesman of Interdependence, New York, Londres 1994, surtout p. 103 sq. (« Roosevelt’s Emissary »), ainsi que Marry et Serge Bromberger, Jean Monnet and the United States of Europe, New York 1969, p. 35 sq. ; p. 36 : « Monnet was the man to send » (titre original : Les Coulisses de l’Europe, Paris 1968).
24 F JM AM, E 18/4, n° 1, « Mémorandum « British Supply Council » pour le Secretary of War Stimson, décembre 1940 ». Sur les projets européens de l’Allemagne, voir PAAA, NL Renthe-Fink, 13, ainsi que Robert Herzstein, When Nazi Dreams Corne True. The Third Reich’s Internai Struggle over the Future of Europe after a German Victory, Londres 1982, pp. 103 sq. et 183 sq. ; Wolf D. Gruner, « Die deutsche Frage – ein europaisches Problem ? », in Irma Hanke, Hannemor Keidel (éd.), Unruhe ist die erste Bürgerpflicht, Baden-Baden 1988, pp. 31-53 et 45 sq. ; Jurgen Elvert, « “Germanen” und “Imperialisten”. Zwei Europa-konzepte aus nationalsozialistischer Zeit », in Historische Mitteilungen 5 (1992), pp. 161-184 ; Paul KLUKE, « Nationalsozialistische Europaideologie », in Vierteljahrshefte fur Zeitgeschichte 8 (1955), pp. 240-275 ; Michael Salewski, « Ideas of the National Socialist Government and Party », in Walter Lipgens (éd.), Documents on the History of European Intégration, t. I : Continental Plans for European Union 1939-1945, Berlin, New York 1985, pp. 37-54.
25 Voir, entre autres, F JM AM, E 17/3, « Situation économique en France » (27.7.1942), en particulier le mémorandum « Questions économiques d’après-guerre du point de vue français », ainsi que FJM AM, E 17/5, n° 6, « Postwax Organizatior ». Cet exposé traite surtout de la situation alimentaire de l’année 1942.
26 FJM AM, E 17/3, « Questions économiques... ».
27 Pour une analyse du rôle de Jean Monnet à Alger, des activités qu’il y exerça et de leurs conséquences « sur l’avenir du Vieux Continent », voir, entre autres, Eric Roussel, Jean Monnet 1888-1979, Paris 1996, p. 377 sq., ainsi que André Kaspi, La mission de Jean Monnet à Alger. Mars-octobre 1943, Paris 1986, p. 122 sq.
28 Voir, sur cette question précise, Robert Marjolin, Le travail d’une vie. Mémoires 1911-1986, Paris 1986, p. 122 sq.
29 Voir aussi les remarques de Jean Monnet in Monnet, Erinnerungen, p. 283 sq.
30 Cité d’après Stimson, The Anatomy of Europe, Londres, New York 1968, p. 8.
31 « Le développement de la guerre est tel que l’on peut imaginer sa fin prochaine. L’Italie est à la veille d’abandonner la lutte, l’Allemagne donne des signes évidents de faiblesse » (FJM AM, E 33/1, n° 1, « Réflexions sur la France et l’Europe d’après-guerre », 5.8.1943). Cité aussi, sans indication bibliographique précise, in Henri Rieben, Des guerres européennes à l’Union de l’Europe, Lausanne 1987, pp. 272-285.
32 F JM AM, E 33/1, « La France et l’Europe d’après-guerre ».
33 Ibid.
34 Ibid.
35 Ibid.
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 FJM AM, E 33/1, n° 18, « Le problème de la reconstruction européenne », Alger, 17.10.1943. Reproduit sans indication bibliographique précise in Rieben (voir n. 31), pp. 286-291.
40 A la veille de cette conférence, René Mayer avait préparé un mémorandum intitulé « Un ensemble Fédéral Occidental : note de René Mayer », publié in Gérard Bossuat, D’Alger à Rome (1943-1957), Bruxelles 1989, pp. 47-54.
41 Sur la question de « l’institution à l’ouest de l’Europe d’un ensemble fédéral », voir la lettre qu’Hervé Alphand écrivit à Massigli, peu de jours avant cette conférence, publiée in Bossuat (voir n. 40), pp. 55-57.
42 Voir n. 39.
43 Ibid.
44 Sur la reconstruction de la France sur la base d’« une Europe anti-allemande », voir la version revue et augmentée, fort détaillée, de la remarquable thèse de doctorat de Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, 2 tomes, Paris 1992,1. I, p. 74 sq.
45 Sur la position de chacun des participants, voir FJM AM, E 33/1, n° 18 (voir n. 39).
46 Bossuat (voir n. 44), p. 74.
47 F JM AM, E 62/2, n° 23, « Digest of Discussion « French Peace Aims » at Council of Foreign Relations » du 6.12.1943.
48 F JM AM, E 62/2, n° 40, « France and Lasting Peace », conférence tenue devant la Metropolitan Opéra Guild le 11.3.1944.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Souligné par l’auteur.
52 Voir n. 48.
53 FJM AM, E 62/2, n° 45, New York Times du 12.3.1944. L’article cite de longs passages de la conférence.
54 Sur la politique allemande et européenne de la France entre 1945 et 1952, qui ne peut, ici, qu’être esquissée, et encore en se concentrant sur le rôle de Monnet, voir, outre les archives correspondantes, surtout les études et recueils de documents suivants : Andréas Wilkens, « Von der Besetzung zur westeuropäischen Intégration. Die franzôsische Deutschlandpolitik der Nachkriegszeit (1945 – 1950) », in Historische Mitteilungen 4 (1991), pp. 1-21 ; Alfred Grosser, La IVe République et sa politique extérieure, Paris 1972 ; Ernst Weisenfeld, Welches Deutschland soll es sein ? Frankreich und die deutsche Einheit seit 1945, Munich 1986 ; Frank Roy Willis, France, Germany and the New Europe, Stanford 1965 ; du même auteur, The French in Germany 1945-1949, Stanford 1968 ; Claus Scharf, Hans-Jürgen Schrôder (éd.), Die Deutschlandpolitik Frankreichs und die franzôsische Zone 1945-1949, Wiesbaden 1983 ; Rainer Hudemann, « Die französische Besatzung in Deutschland nach 1945 », in Wolf D. Gruner, Klaus-Jurgen Müller (éd.), Über Frankreich nach Europa, Hambourg 1996, pp. 443-473 ; Dietmar Hüser, Frankreichs « doppelte Deutschlandpolitik ». Konzeptionen, Instruktionen und Réalisation im Spannungsfeld innen- und aufienpolitischer Wechselwirkungen 1944-1950, Berlin 1996 ; Raymond Poidevin, « Frankreich unc die Ruhrfrage (1945-1951) », in HZ 228/1979, pp. 317-334 ; du même auteur, « La politique allemande de la France en 1945 », in Maurice Vaïsse (éd.), 8 mai 1945 : La victoire en Europe, Paris 1985, pp. 221-238 ; Stefan Martens (éd.), Vom « Erbfeind » zum « Erneuerer ». Aspekte und Motive der franzôsischen Deutschlandpolitik nach dem Zweiten Weltkrieg, Sigmaringen 1993 ; Martina Kessel, Westeuropa und die deutsche Teilung. Englische und franzôsische Deutschlandpolitik auf den Außenministerkonferenzen von 1945 bis 1947, Munich 1989, ainsi que, sur les relations économiques, Andreas Wilkens (éd.), Die deutsch-franzôsischen Wirtschaftsbeziehungen/Les relations économiques franco-allemandes 1945-1960, Sigmaringen 1997.
55 F JM AM, E 56/2, n° 4, « La France et la reconstruction européenne », discours tenu au Centre d’études internationales le 15.1.1944.
56 Walter Laqueur, Europa aufdem Weg zur Weltmacht 1945-1992, Munich 1992, p. 12.
57 Paul-Henri Spaak, La pensée européenne et atlantique de Paul-Henri Spaak (1942- 1972), F. Smets (éd.), 2 tomes, Bruxelles 1980, t. I, p. 12.
58 FJMAM, E 56/2, n° 15, « German Problem », sans date, 1944-1945.
59 Voir, entre autres, FJM AM, E 58/1, « L’Allemagne après la guerre » : mémorandums ayant pour titres « Problème Rhénan » ; « Délimitation d’une Rhénanie » (8.11.1944) ; « Problème de Rhénanie-Westphalie » (12.2.1945) ; « Régime politique de la région rhéno-westphalienne » (8.9.1945), ainsi que les actes in FJM AM, G 20, « Allemagne » traitant des positions des « Quatre Grands » sur la question allemande (20/1 « Les Quatre Grands et l’Allemagne 1945-47 »). Voir aussi le chapitre sur la question de la Ruhr in Kessel (voir n. 54), p. 46 sq.
60 Wilkens (voir n. 54), p. 6. Cf. aussi Philippe Mioche, Le Plan Monnet. Genèse et élaboration 1941-1947, Paris 1987, ainsi que la contribution de cet auteur au présent recueil. Sur l’importance du charbon pour la modernisation de la France dans la pensée de Monnet, voir notamment John Gillingham, Coal, Steel and the Rebirth of Europe 1945-1955. The Germans and the French from Ruhr Conflict to Economie Community, Cambridge 1991, p. 96. On ne manquera pas de consulter également les passages, fort informatifs, des archives de Jean Monnet traitant de ce sujet, par exemple, FJM AM, E 57, « Le problème du charbon » ; FJM AM, E 58, « L’Allemagne après la guerre » et FJM AM, F 0/n° 1, « Mémoire sur le 1er plan de modernisation », Documentation (n° 2), « Exemples de planification économique... » (n° 6), ainsi que FJM AM, F 3, 7, 10, 14 et 22.
61 Hudemann (voir n. 54), p. 445.
62 A ce sujet, voir également les indications fournies par Pierre Gerbet, Le relèvement, Paris 1991, p. 85 sq.
63 Voir à ce sujet Kessel (voir n. 54), p. 33 sq., 46 sq. ; Gillingham (voir n. 60), p. 148 sq. ; ainsi que Georges Bidault, D’une résistance à l’autre, Paris 1965. Voir également Documents on British Policy Overseas (que l’on désignera par la suite par DBPO), série I, vol. II : Conférences and Conversations 1945, Roger Bullen, M. E. Pelly (éd.), Londres 1985, p. 100 sq.
64 Sur le « problème allemand », ainsi que sur les problèmes connexes des politiques d’occupation, économique, de sécurité et extérieure, voir la présentation très claire faite par Pierre Gerbet (voir n. 62), p. 85 sq. On trouvera d’importants documents sur la politique allemande et d’occupation de la France, tels que les « Directives pour notre action en Allemagne » du 19.7.1945, in Henri Ménudber (éd.), L’Allemagne occupée 1945-1949, Paris 1989, p. 169 sq. (« Directives... »).
65 F JM AM, E 58/1, n° 9, « Régime politique de la région rhéno-westphalienne » du 8.9.1945.
66 Cité d’après Gerbet (voir n. 62), p. 92.
67 Cette date aurait-elle été choisie à dessein par le Général, dont on sait qu’il pensait essentiellement en termes historiques ?
68 Voir, entre autres, Gerbet (voir n. 62), p. 102 sq. et 259 sq. (« Le tournant ») ; Helmut Auerbach, « Die europâische Wende der franzôsischen Deutschlandpolitik 1947/48 », in Ludolf Herbst et al. (éd.), Vom Marshallplan zur EWG, Munich 1990, pp. 577-591. Consulter également Vincent Auriol, Journal du Septennat, 1947-1954, Paris 1970-1978,1.1 : 1947 et t. II : 1948, qui est une source importante et très informative, et dont l’appendice contient des documents publiés en entier ou par extraits.
69 Dans ses volumineuses archives, on trouve souvent des documents, des mémorandums et des notes qui ne portent pas de date ou qui ne sont pas signés et dont il est par conséquent difficile d’établir la paternité avec certitude. L’analyse des positions défendues par Monnet et de leur évolution dans le temps n’en est, bien évidemment, que plus délicate. Voir à ce sujet les indications fournies dans Bossuat (voir n. 40).
70 Voir la présentation, très pondérée, des points de vue complexes de Monnet sur la question allemande dans Duchêne (voir n. 23), p. 371 sq.
71 Voir à ce sujet Wilfried Loth, Sozialismus und Internationalismus. Die franzôsischen Sozialisten und die Nachkriegsordnung Europas 1940-1950, Stuttgart 1977, ainsi que Pierre Guillen, « Plans by Exiles from France », in Walter LIpgens (éd.), Documents on the History of European Intégration, t. II : Plans for European Union in Great Britain and in Exile 1939- 1945, Berlin 1986, pp. 279-352.
72 Voir à ce sujet Wilkens (voir n. 54), p. 8, qui cite un long extrait de cet article. Sur les idées de politique allemande et européenne de Léon Blum après la Seconde Guerre mondiale, voir Gérard Bossuat, « Léon Blum et l’organisation nouvelle de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale », in René Girault, Gilbert Ziebura (éd.), Léon Blum, socialiste européen, Bruxelles 1995, pp. 145-172.
73 Voir Gillingham (voir n. 60), p. 165 sq. ; Idem, « Die franzôsische Ruhrpolitik und die Ursprünge des Schumanplans », in Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte 35 (1987), pp. 1-24 ; ainsi que Reinhard Schreiner, Bidault, der MRP und die franzôsische Deutschlandpolitik 1944-1948, Francfort-sur-le-Main 1985.
74 FJM AM, G 20/1, n° 4, « Projet d’organisation territoriale de l’Allemagne » et n° 5, « Mémoire relatif à l’organisation constitutionnelle de l’Allemagne », Paris, 17.1.1947.
75 FJM AM, G 20/1, n° 4, « Projet d’organisation territoriale de l’Allemagne ».
76 Voir à ce sujet Wolf D. Gruner, « Deutschlandpolitische Grundsatzpositionen und Zielvorstellungen in den westlichen Besatzungszonen 1945-1949 », in Enquête-Kommission « Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland » (éd.), 9 tomes, Baden-Baden 1995, t. V/2 : Deutschlandpolitik, innerdeutsche Beziehungen und internationale Rahmenbedingungen, pp. 1404-1488.
77 F JM AM, G 20/1, n° 5, « Mémoire relatif à l’organisation constitutionnelle de l’Allemagne ».
78 Ibid.
79 Voir à ce sujet les remarques que Bidault fit à Spaak lors d’une rencontre secrète des deux hommes au château d’Ardennes le 8 juin 1947 : Spaak (voir n. 12), t. I, p. 172. Selon Spaak, Bidault jugeait que la tentative de rapprochement avec la Russie avait échoué et qu’une alliance était devenue impossible car on ne pouvait se fier aux dirigeants soviétiques ; il confia à Spaak qu’il avait décidé « de modifier sa ligne politique et de miser plus clairement sur la carte anglo-saxonne, et surtout, sur la carte américaine ». Sur l’ensemble du problème, la référence absolue est Gérard Bossuat (voir n. 44), p. 123 sq.
80 Voir à ce sujet le chapitre intitulé « De l’enlisement politique en Allemagne à l’alignement réticent », in Bossuat (voir n. 44), t. I, p. 120 sq.
81 Voir Raymond Poidevin, « Plan Marshall et problème allemand : les inquiétudes françaises (1947-1948) », in Le plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe, Actes du colloque tenu à Bercy les 21, 22 et 23 mars 1991, sous la dir. de René Girault et Maurice Lévy-Leboyer, Paris 1993, pp. 87-96, p. 87.
82 Voir à ce sujet Bossuat (voir n. 44), t. I, p. 128 sq.
83 FJM AM, F 5/9, n° 11, note du 6.9.1946 pour la deuxième session du Plan.
84 Ibid.
85 FJM AM, F 14/1, n° 6, Mémorandum de Monnet à l’adresse de Bidault du 24.7.1947, publié également in Auriol (voir n. 68), t. I, p. 695 sq.
86 Ibid.
87 Ibid. Sur la connexion entre le problème de la modernisation et la question de la Ruhr, voir notamment F JM AM, G 20/3. Sur les initiatives de Monnet dans cette phase critique, voir, entre autres, Poidevin (voir n. 81), p. 90 sq. et Auerbach (voir n. 68), p. 579 sq.
88 Voir, par exemple, FJM AM, F 4/3, ainsi que les documents publiés in Bossuat (voir n. 40), p. 65 sq.
89 Auriol (voir n. 68), t. I, pp. 375-383 (Auriol à Bidault du 7.8.1947).
90 Hervé Alphand à Bidault, mémorandum du 7.8.1947, « L’Union de l’Europe : une des conditions de l’aide américaine », in Bossuat (voir n. 40), pp. 81-84.
91 Ibid., p. 84.
92 Poidevin (voir n. 81), p. 92.
93 Voir, entre autres, FJM AM, F 10/1-4, sur le travail de la commission du Plan et sur les réflexions de Monnet à propos des efforts de stabilisation, ainsi que FJM AM, F 10/1, « Conférence de coopération économique européenne » et 14/6, sur l’OECE et la France.
94 Voir à ce sujet Bossuat, La modernisation de la France sous influence. Les premières étapes de l’appel à l’étranger 1944-1949, Paris 1988, p. 394 sq. Je tiens à remercier très chaleureusement l’auteur d’avoir mis à ma disposition une version de son travail sur microfiche, qui m’a été, jusqu’à la publication de la version revue et augmentée qui pousse l’étude jusqu’en 1954, aussi utile qu’indispensable.
95 Pour des informations plus détaillées sur ce sujet, consulter Bossuat (voir n. 44), t. I, p. 164 sq.
96 Voir à ce sujet Duchêne (voir n. 23), p. 166 sq., ainsi que Bossuat, L’Europe occidentale à l’heure américaine 1945-1952, Bruxelles 1992, p. 80 sq.
97 René Girault, « Der kulturelle Hintergrund der französischen Integrationspolitik », in Herbst et al. (éd.) (voir n. 58), pp. 561-576, p. 567 sq.
98 Voir à ce sujet la très importante thèse de doctorat soutenue à la Sorbonne par Gérard Bossuat (voir n. 94), chapitre 9, p. 458 sq.
99 Voir Poidevin (voir n. 81), p. 92 sq.
100 Duchêne (voir n. 23), p. 169.
101 Voir à ce sujet Wolf D. Gruner, « Europa in den Debatten der Beratenden Versammlung des Europarates 1949/50 : Anmerkungen zu einem interessanten Forschungsfeld », in Heiner Timmermann (éd.), Impulse für Europa, Berlin 1996, pp. 69-95, ainsi que Marie-Thérèse Bitsch, « Le rôle de la France dans la naissance du Conseil de l’Europe », in Raymond Poidevin, Les débuts de la construction européenne, Bruxelles 1986, pp. 165-198 ; Idem, Histoire de la construction européenne, Bruxelles 1996, surtout p. 34 sq. ; également, Bente Opel, Die Europavorstellungen in den Debatten der Beratenden Versammlung des Europarates 1950-1952, Hambourg 1996.
102 Voir à ce sujet René Massigli, Une comédie des erreurs, 1943-1956. Souvenirs et réflexions sur une étape de la construction européenne, Paris 1978. Massigli n’avait jamais cessé d’intervenir en faveur d’une meilleure entente franco-britannique.
103 Rapport de Saffroy, du 3.07.1948, à l’adresse du Quai d’Orsay (CE 48, n° 125), cité d’après Bossuat (voir n. 94), p. 498 ou Idem (voir n. 44), t. II, p. 619.
104 Duchêne (voir n. 23), p. 169 : « The existence of a [French Monnet] plan was a major asset ».
105 Ibid., p. 173.
106 Monnet (voir n. 2), p. 486.
107 FJM AM, E 56/2, n° 31, « If chaos is avoided... », sans date (vraisemblablement 1945), sans mention de l’auteur (peut-être rédigée par Monnet).
108 Ibid.
109 Ibid.
110 Voir à ce sujet Monnet (voir n. 2), p. 374 sq.
111 Voir à ce sujet les notices, notes et mémorandums correspondants, qui mèneraient à l’élaboration du Plan Schuman : FJM AM, G, « Plan Schuman », en particulier FJM AM, G 0/1, « Introduction générale » et FJM AM, G 0/5, « Documents de Jean Monnet concernant le Plan Schuman ».
112 Paul Reuter était professeur de droit et conseiller juridique au Quai d’Orsay.
113 Monnet (voir n. 2), p. 376.
114 FJM AM, G 1/2, n° 9, « Projet », du 6.5.1950.
115 Ibid.
116 Voir à ce sujet et à propos de la genèse du Plan Schuman, outre la littérature correspondante citée plus haut, Raymond Poidevin, Robert Schuman, Paris 1988, surtout p. 84 sq. et p. 174 sq. ; Klaus Schwabe (éd.), Die Anfänge des Schuman-Plans 1950/51, Baden-Baden 1988 ; Marie-Thérèse Bitsch, Histoire de la construction européenne, Bruxelles 1996, p. 64 sq. ; Bossuat (voir n. 44), t. n, p. 735 sq. ; Robert Schuman, Pour l’Europe, Paris 1963.
117 Cité d’après Poidevin (voir n. 116), p. 89.
118 Voir à ce sujet, entre autres, Clive Archer, Organizing Europe. The Institutions of Intégration, Londres 1994, p. 74 sq., ainsi que Paul Reuter, International Institutions, Londres 1958, Organisations européennes, Paris 1965 et La naissance de l’Europe communautaire, Lausanne 1980.
119 Déclaration liminaire de Robert Schuman du 9 mai 1950, in Poidevin (voir n. 116), p. 193 sq., p. 193.
120 Ibid.
121 FJMAM, G 1/2, n° 9, « Projet... ».
122 Concernant le point de vue allemand, voir notamment PA AA, Abt. 2, Sekretariat fur Fragen des Schuman-Plans (par la suite : SFSP), 1-3, 5-7, 12, 18, et 53/1, 61-63, 77/78, ainsi que PA AA, NL Professer Schlochauer 339/1-342/4, 344/6-359/21, 365/27-372/34.
123 Council of Europe – Consultative Assembly (désigné par la suite par CE CA) 5th Sitting du 11.8.1950, pp. 224-228, ainsi que CE CA Doc. As (2) 47 du 11.8.1950.
124 Voir à ce sujet, entre autres, Carolin Felicitas Cords, Die Diskussion über die Europaische Verteidigungsgemeinschaft im Spiegel der Debatten der Beratenden Versammlung des Europarates (1950-1952), Hambourg 1995.
125 FJM AM, G 6/6, n° 1, « Mémoire à M. Schuman », texte préliminaire, 16.9.1950.
126 Ibid.
127 Ibid.
128 Ibid.
129 FJM AM, G 6/6, n° 1, « Mémoire à M. Schuman » du 16.9.1950.
130 FJM AM, G 20/4, n° 3, « Note pour M. Schuman » du 28.9.1950.
131 PA AA, Abt. 2, SFSP, 55, « Allocution de M. Jean Monnet ».
132 Ibid.
133 Ibid., « Projet de Loi autorisant le Président de la République à ratifier le traité... instituant une communauté européenne du charbon et de l’acier ».
134 PA AA, Abt. 2, t. 574, « Robert Schuman über die Europäische Intégration. Ein Vbrtrag in St. Gallen », Neue Zürcher Zeitung du 1.6.1953.
135 Ibid., « Conférence de Schuman » du 7.12.1953 à Luxembourg.
136 PA AA, Abt. 2, SFSP, 55, « Discours de Walter Hallstein au nom de la délégation allemande » du 19.03.1951.
137 Ibid, pour la citation qui suit et qui conclut le texte.
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